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France - Page 6

  • SEBASTIEN VIDAL : DE NEIGE ET DE VENT. RECLUS.

    sébastien vidal,éditions le mot et le reste,de neige et de ventOn dira bien ce que l'on voudra des prix littéraires, dont certains d'entre eux font l'objet de polémiques avec des suspicions de collusions et de favoritisme, il n'en demeure pas moins qu'ils projettent, tous autant qu'ils sont, un éclairage bienvenu tant sur la sélection que sur le récipiendaire permettant ainsi de faire basculer le destin d'un livre et de son auteur. Avec l'émergence des centres culturels Leclerc, son dirigeant, grand opposant du prix unique du livre, créait en 2008 le prix Landerneau, du nom de sa commune d'origine, se concentrant tout d'abord sur la littérature blanche, jusqu'à ce que d'autre genres apparaissent quatre ans plus tard, à l'instar du prix Landerneau polar qui est l'un des premiers événements importants de l'année célébrant la littérature noire. Parmi les lauréats figurent quelques figures imposantes du roman policier ou du roman noir telles que Hervé Le Corre, Sandrine Collette, Colin Niel, Gwenaël Bulteau ainsi que l'ancien policier Hugues Pagan. Pour l'année 2024, c'est Sébastien Vidal, un autre membre des forces de l'ordre, au sein de la gendarmerie cette fois où il a officié durant 24 ans, qui obtient le prix Landerneau polar avec De Neige Et De Vent publié auprès de la maison d'éditions indépendante Le Mot et le Reste qui a déjà édité deux autres de ses romans Ca Restera Comme Une Lumière (Le Mot et le Reste 2021) et Où Reposent Nos Ombres (Le Mot et le Reste 2022). Il est également l'auteur d'une trilogie mettant en scène l'adjudant de gendarmerie Walter Brewski enquêtant dans la région de la Corrèze où le romancier a d'ailleurs élu domicile, ce qui explique sans doute cette prédominance aux ambiances rurales qui imprègnent l'ensemble de son œuvre et plus particulièrement De Neige Et De Vent dont la magnificence du cadre hivernal se situe à la frontière naturelle que forme les Alpes entre la France et l'Italie.

     

    Dans cette région reculée des Alpes, le village de Tordinona constitue la dernière localité avant le col conduisant vers l'Italie et qu'empruntent Victor Pasquinel, travailleur itinérant accompagné de son chien Oscar. Tant bien que mal, ils se frayent un chemin dans cette accumulation de neige tandis qu'une tempête s'abat sur la région les contraignant à trouver refuge dans l'unique café du village. Au même moment, le garde champêtre découvre le corps sans vie de la fille du maire ce qui suscite un regain d'émotion tandis que la bourgade se retrouve soudainement coupé du monde, suite à une avalanche qui emporte le pont, unique voie d'accès vers la vallée. Marcus et Nadia, composant la patrouille de gendarmerie également bloquée dans la localité, vont devoir s'interposer pour empêcher les habitants bien décidés à faire justice eux-mêmes en s'en prenant à ce voyageur égaré qu'ils considèrent comme le meurtrier tout désigné. Sous la conduite du maire, les hommes armés vont donc assiéger la mairie, où Nadia, Marcus et Victor ont trouvé refuge, en employant tous les moyens pour les déloger. S'ensuit un rapport de force de plus en plus tendu jusqu'à l'inévitable confrontation qui va faire parler la poudre. Sera-t-il possible alors possible de faire marche arrière et de revenir à la raison au sein de cet environnement à la fois hostile et isolé où la loi n'a plus cours ?

     

    Il faut se féliciter de cette mise en avant providentielle d'un roman tel que De Neige Et De Vent nous permettant ainsi d'apprécier l'écriture somptueuse de Sébastien Vidal, possédant l'indéniable talent, pas si évident que cela, de décliner une histoire d'une belle intensité en conjuguant l'introspection de ses personnages avec la description subtile de paysages rudes qui les entoure et dont l’ensemble est entrecoupé d'une succession de confrontations aussi vives que brutales s'inscrivant dans un registre extrêmement réaliste. D'entrée de jeu, le romancier pose le cadre de cette oppression hivernale au gré d'une tempête de neige s'abattant sur cette localité de Tordinona dont le nom fait certainement référence à cet ancien quartier de Rome abritant une prison avant que l'on y bâtisse le premier théâtre public de la cité. Et c'est bien ce qui apparaît au détour de cette dramaturgie aux allures de western contemporain se déroulant dans cet environnement à la fois majestueux et sans issue présentant ainsi l'aspect d'une prison à ciel ouvert. A partir de là, émerge du texte une force évocatrice troublante, imprégnée parfois d'une note poétique nous permettant de saisir immédiatement cette ambiance à la fois âpre et puissante qui plane sur l'ensemble du récit. Il y est donc bien évidemment question de nature, mais également de nature humaine avec tout ce qu'elle a de plus atavique autour de cette communauté repliée sur elle-même n'acceptant pas la différence et observant d'un très mauvais oeil celles et ceux qui n'appartiennent pas à leur monde à l’instar du maire Basile Gay, figure toute-puissante du village et incarnation des dérives et de la folie qui embrasent les habitants dès lors que la colère les submerge à la suite du drame qui le touche. Entre chagrin et fureur, on apprécie le caractère nuancé du personnage dont on découvre le désarroi lorsqu’on le retrouve dans l’intimité de la chambre de sa fille désormais disparue à se remémorer quelques souvenirs épars tout en distillant sa haine de l’étranger et également de l’autorité qui entend se mettre sur son chemin de justicier vengeur. Ainsi, Sebastien Vidal, bâtit une intrigue aussi classique que solide où les événements s’enchainent dans une escalade d'affrontement mettant en scène Victor, cet homme de passage, dont le profil présente quelques similitudes avec son auteur et plus particulièrement sur le sujet de l’écriture, tandis que les deux jeunes gendarmes que sont Nadia et Marcus évoquent sans nul doute quelques réminiscence de son ancien métier au sein des forces de l’ordre avec cet idéal et les valeurs qui en découlent. Mais au-delà, de ces nobles sentiments, il y a la violence et les doutes qui jaillissent et ceci plus particulièrement pour Marcus s’interrogeant sur le sens de la mission et sur sa capacité à l’accomplir en surmontant l’adversité. Il en va de même pour ce mystérieux vétéran qui voit dans cette flambée de violence, l’occasion de protéger les plus faibles ce qu’il n’a pas forcément eu à faire lorsqu’il était engagé sur les conflits. Tout cela, Sébastien Vidal l’intègre au gré d’un récit au lyrisme dynamique, qui nous questionne en permanence sur notre rapport à l’autre dans un contexte où les règles n’ont plus cours en libérant ainsi la part sauvage de l’homme, que ce soit pour le meilleur et pour le pire.

     

    Sébastien Vidal : De Neige Et De Vent. Editions Le Mot et le Reste 2024.

    A lire en écoutant : Neve (Versione Integrale) d'Ennio Morricone. Album : Quentin Tarantino's The Hateful Eight (Original Motion). 2015 Cine-Manic Productions Limited.

  • Nouvelles du front : Jean-Jacques Busino - Emmanuelle Robert - Olivier Beetschen - Stéphanie Glassey/Chrysotome Gourio - Séverine Chevalier - Jérémy Bouquin - Sébastien Gendron - Michèle Pedinielli.


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    Pour l'édition de février 2024, c'est Jean-Jacques Busino qui figure en première page avec Ego Te Absolvo, sublime texte sensible abordant le thème de la fin de vie et de l'euthanasie avec un narrateur passant en revue sa vie de couple, tandis que sa compagne agonise. Comme séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persiltoujours pour l'auteur de Un Café, Une Cigarette (Rivages/Noir 2017) et de Le Ciel Se Couvre (BSN Press 2022), on décèle dans cette nouvelle la
    quintessence de l'humanité de ses personnages extravagants entre ombre et lumière, autour de l'élaboration d'un monde enchanteur qui scelle la complicité d'un couple avec un vieux charpentier quelque peu bourru. 

     

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    Jean-Jacques Busino : Ego Te Absolvo. Journal Le Persil. Février 2024.

    Olivier Beetschen : Le Cortège. Journal Le Persil. Février 2024.

    Emmanuelle Robert : Le Chien. Journal Le Persil. Février 2024.

    Stéphanie Glassey/Chrysotome Gourio : Les Fatals En Concert. Ours Éditions. Collection Tête/Bêche 2024.

    Séverine Chevalier : Une Campagne. Ours Editions. Cousu-Main 2024.

    Jérémy Bouquin : Tu M'As Bien Vu ! Ours Editions. Cousu-Main 2023.

    Sébastien Gendron : 1976. Ours Editions. Cousu-Main 2023.

    Michèle Pedinielli : A L'Envers. Ours Editions. Cousu-Main 2023.

    A lire en écoutant : Pendant Que Les Champs Brûlent de Niagara. Album : Religion. 2010 Polydor

  • YVAN ROBIN : HERVE LE CORRE, MELANCOLIE REVOLUTIONNAIRE. LE CHAOS DU REEL.

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    Service de presse.

     

    Si les ouvrages dans le domaine n'ont jamais vraiment manqué, les dictionnaires, essais et entretiens en lien avec la littérature noire semblent prendre plus d'essor ces derniers mois, notamment avec la parution chez Playlist Society de DOA, Rétablir Le Chaos où l'on découvre l'œuvre de ce romancier énigmatique au gré d'un entretien tout en maîtrise conduit par la journaliste Elise Lepine qui passe au crible l'ensemble des ouvrages de l'auteur qui se dévoile quelque peu en évoquant notamment certains mécanismes de son écriture si particulière. Et puis tout récemment est paru aux éditions Presse Universitaire de France, Le Roman Noir : Une Histoire Française de Natacha Vallet qui se penche, avec un essai d'une incroyable richesse, sur l'histoire et le devenir de ce genre emblématique de la littérature qui reste encore méconnu. Essais et entretiens, les formats peuvent paraître arides pour certains, néanmoins il faut prendre en considération les propos de Benjamin Fogel, directeur passionné et passionnant de Playlist Society qui tient « à ne jamais prendre le lecteur de haut", ce qui transparaissait d'ailleurs en découvrant DOA, Rétablir Le Chaos, avec cette sensation de saisir aisément l'ensemble du contenu, ceci même pour les lecteurs qui ne se seraient jamais intéressés aux ouvrages du romancier, en ayant ainsi la possibilité de se faire une opinion de chaque livre, plutôt que de piocher au hasard. Au sein de cette collection essentiellement tournée vers la culture pop, vous trouverez des ouvrages consacrés aux séries comme The Leftovers ou Mad Men, aux musiciens comme Tricky et Kanye West, ainsi qu'aux réalisateurs à l'instar de Christopher Nolan, Lucas Belvaux et David Cronenberg quand ce sont pas des films emblématiques que l'on dissèque tels qu'Apocalypse Now ou Mad Max ou en s'intéressant également au travail d'Hideo Kojima, concepteur du fameux jeu vidéo Métal Gear Solid ou aux fondateurs du studio Ghibli. On s'arrêtera là avec cet inventaire à la Prévert qui n’a rien d’exhaustif puisque les éditions Playlist Society ont publié plus d’une quarantaine de livres. Mais pour revenir à la littérature noire, et plus particulièrement au roman noir, il convenait de s'intéresser à l'œuvre d'Hervé Le Corre l'une des figures marquantes du genre, ce d'autant plus qu'il se montre discret, même si l'on a pu découvrir certains aspects de son travail et de son parcours dans un documentaire datant de 2020, intitulé Hervé Le Corre, dans l'encre noire, de Laurent Tournebise et qui est entièrement consacré à ce romancier primé à maintes reprises, notamment pour Après La Guerre (Rivages/Noir 2014) récipiendaire de six récompenses majeures du monde du polar français. Pour en savoir davantage, les éditions Playlist Society ont donc réitéré l'exercice de l'entretien avec des propos recueillis par Yvan Robin, autre romancier bordelais, auteur d'Après Nous Le Déluge (in8 2021) et de La Fauve (Editions Lajoinie 2022) et qui nous offre avec Hervé Le Corre, Mélancolie Révolutionnaire un regard d'une impressionnante acuité en examinant notamment, dans une chronologie parfaite, l'intégralité des romans d'Hervé Le Corre. 

     

    On devine que cela ne va pas être simple de se livrer pour un homme de nature pudique, qui d'entrée de jeu, annonce qu'il n'aime pas trop parler de lui dès qu'il s'agit d'aborder son enfance dans laquelle on trouve pourtant quelques éléments qui vont émerger dans ses récits comme cette Cité Lumineuse du quartier de Bacalan au nord de Bordeaux qui devient le décor de l'un de ses premiers romans Les Effarés (Le Point 2020). Pourtant, peu à peu, Hervé Le Corre se confie au cours d'un entretien qui n'a rien d'un long fleuve tranquille se révélant parfois vif lorsque l'on aborde par exemple la violence faites aux femmes qu'il dépeint d'une manière réaliste et qui pourrait passer pour de la complaisance, ce qu'il réfute en mettant en exergue la dureté et l'injustice sociale du monde qui nous entoure dans une veine naturaliste exacerbée s'inscrivant dans le prolongement des romans de Jean-Patrick Manchette, de Didier Daeninckx, de Jean-Bernard Pouy et de Thierry Jonquet. On apprécie d'ailleurs cette vivacité d'autant plus qu'elle se conjugue avec le regard affuté d'Yvan Robin connaissant parfaitement l'ensemble de l'œuvre de son interlocuteur dont il est capable de citer certains extraits pour alimenter la discussion et plus particulièrement l'immense travail d'écriture qu'Hervé Le Corre remet toujours en question avec un regard dépourvu de complaisance. Hervé Le Corre, Mélancolie Révolutionnaire nous permet donc de passer en revue une impressionnante carrière d'écrivain se conjuguant avec une carrière de professeur de lettres au collège à laquelle il n'a d'ailleurs jamais renoncé tout en abordant ses engagements et convictions politiques, au sens large du terme, qu'il s'est bien gardé d'insérer dans ses récits. Tout cela se décline au gré de débuts fragiles où Hervé Le Corre raconte ses rapports parfois difficiles avec certains éditeurs et attachés de presse négligents ainsi que quelques belles rencontres décisives tandis qu'il publie, entre autres, l'étonnant et très politique Du Sable Dans La Bouche (Rivages/Noir 2016) ou Les Effarés avant de passer à un période de consécration avec L'Homme Aux Lèvres De Saphir (Rivages/Noir 2004) ainsi que Les Coeurs Déchiquetés (Rivages/Noir 2009) et Derniers Retranchements (Rivages/Noir 2011), un recueil de nouvelles où se cristallise tout le talent de l'auteur. Et puis il y a la notoriété survenant avec la publication de Après La Guerre (Rivages/Noir 2014) abordant, sur une trame historique, le climat de rancoeur et de suspicion régnant sur Bordeaux après la Libération et aux prémisses de la guerre d’Algérie. Ainsi, au gré de ses questions pertinentes, Yvan Robin parvient, de manière magistrale, à mettre en exergue l’inspiration d’Hervé Le Corre qui l’ont conduit à écrire des romans tels que Prendre Les Loups Pour Des Chiens (Rivages/Noir 2017) et Dans L’Ombre du Brasier (Rivages/Noir 2019) où l’on replonge dans l’époque de La Commune si chère au romancier avant de conclure avec la noirceur âpre de Traverser La Nuit (Rivages/Noir 2021) et l’impressionnante dystopie Qui Après Nous Vivrez (Rivages/Noir 2024) nous projetant dans l’obscurité d’un monde déchu. Au terme de cet entretien exceptionnel, on comprendra qu'Hervé Le Corre, Mélancolie Révolutionnaire s’adresse autant aux aficionados de l’auteur découvrant sans nul doute certains aspects méconnus de son parcours dans la multitude d’anecdotes passionnantes tandis que les néophytes pourront appréhender son oeuvre et sa démarche d’écriture en toute connaissance de cause pour puiser parmi les ouvrages d'un auteur remarquable qu'Yvan Robin a su parfaitement mettre en valeur.

     

    Yvan Robin : Hervé Le Corre, Mélancolie Révolutionnaire. Editions Playlist Society 2024.

    A lire en écoutant : A Toi de Léo Ferré. Album : Amour Anarchie (vol. 1). Barclay 1970.

  • Manu Larcenet / Cormac McCarthy : La Route. De cendre et d'os.

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    "Il n'y a pas de Dieu et nous sommes ses prophètes."

     

    Lors de l'un des rares entretiens télévisés qu'il accorde pour le Oprah Winfrey Show, au gré d'un échange extrêmement convenu et quelque peu décevant, Cormac McCarthy révélait la difficulté d'être père à l'âge de 73 ans en observant son fils endormi, ce qui aurait été pour lui la source de son inspiration dans l'écriture de La Route (l’Olivier 2008), son roman post-apocalyptique d'une noirceur absolue, récompensé par le prix Pulitzer en 2007. Mais à la lecture du long monologue final du shérif Ed Tom Bell dans No Country For The Old Man (l’Olivier 2007) où il évoque son rêve dans lequel il est à cheval en traversant un défilé enneigé, en pleine nuit, dans une atmosphère sombre et glaciale, alors que son père le dépasse en éclairant le chemin à l'aide d'une flamme se consumant dans une corne, ne trouve-t-on pas déjà quelques esquisses de ce périple crépusculaire qui va marquer les esprits ? Monument de la littérature nord-américaine, La Route est salué de par le monde comme l'œuvre emblématique de l'auteur, même si certains détracteurs lui reprochent son côté "commercial", ce d'autant plus qu'il s'est vendu à plusieurs millions d'exemplaires, ce qui serait manifestement un gage d'une qualité moindre ou d'une attitude suspecte d'un écrivain en a route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivierquête de reconnaissance. On mettra de côté ces assertions puériles, ce d'autant plus que la puissance de ce texte saisissant et épuré ne semble nullement être remis en cause par celles et ceux que le succès rebute. Il faut parler ici de saisissement, parce que, si la fureur ainsi que la sauvagerie ont toujours imprégné les récits intenses de Cormac McCarthy, La Route se distingue par la prégnance de son désespoir profond, au sein d'une humanité qui se dissout dans une violence aveugle, teintée d'une forme de mysticisme féroce. Pour celles et ceux qui l'ont lu, on connait tous le symbolisme de La Route, cette ligne de vie fragile sur laquelle chemine un père et son fils qui détiendrait un reliquat d'humanité que la figure paternelle s'emploie à entretenir tout en lui inculquant les règles impitoyables de la survie dans ce milieu hostile où les hommes s'entredévorent. Projeté brutalement dans cet univers de mort et de destruction dans lequel évolue quelques cohortes de sectes s'adonnant au cannibalisme, on suit pas à pas le parcours de ces deux individus dans leur quotidien dépourvu de perspective si ce n'est que de se rendre vers le sud en quête d'un surcroît de chaleur, promesse bien incertaine. L'une des forces du récit, réside dans le fait que l'on ignore complètement les raisons qui ont conduit le monde dans un tel précipice de cendre et de mort, ce que ne respecte pas l'adaptation cinématographique de John Hillcoat, avec Viggo a route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivierMortensen dans le rôle principal, qui se révèle quelque peu décevante pour un film trop bavard laissant planer quelques lueurs d'espoir dont le roman est totalement dépourvu mais qui répond aux canons hollywoodiens de la famille idéale américaine. A partir de là, on pouvait réellement avoir quelques craintes avec l'annonce d'une adaptation sous la forme d'une BD par Manu Larcenet, même si le dessinateur nous a régulièrement ébloui avec des œuvres originales telles que Blast (Dargaud 2009 – 2013) et Le Combat Ordinaire (Dargaud 2003 – 2008), ou une adaptation somptueuse comme Le Rapport de Brodeck de Philippe Claudel (Dargaud 2015 – 2016) ou les illustrations incroyables que l'on trouve dans Le Journal D'Un Corps de Daniel Pennac (Futuropolis 2013).

     

    Plus personne ne se souvient du monde d'autrefois et de ce qu'il s'est produit pour qu'il plonge dans le chaos. Désormais, il ne reste plus que des terres arides et des ruines calcinées qu'arpentent quelques sectes et hordes barbares suivies d'une troupe d'esclaves constituant leur garde-manger. Dans ce décor apocalyptique où le soleil disparait derrière un rideau de cendre, un père chemine sur la route, accompagné de son enfant en poussant un caddie contenant leurs maigres affaires. En quête de nourriture, ils fouillent dans les décombres avec à la clé quelques découvertes parfois macabres. Et puis il y a ce froid perpétuel qu'il faut affronter ce d'autant plus qu'il n'est pas toujours possible de faire un feu afin de ne pas attirer l'attention. Ils se rendent donc vers le sud avec cette hypothétique espoir d'y trouver une vie meilleure. Mais pour cela, il faut éviter ces maraudeurs cherchant à s'emparer de leurs modestes possessions et qu'ils repoussent avec cet antique revolver qui ne contient que deux balles qu'il ne faut pas gaspiller car nécessaire pour mettre fin à leurs jours si le besoin s'en fait sentir.

     


    a route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivierOn peut le dire, l'annonce de Manu Larcenet se lançant dans cette adaptation graphique de La Route a fait grand bruit sur les réseaux sociaux et constitue l'un des grands événements littéraires de cette année 2024 que l'on attendait avec une certaine fébrilité. D'ailleurs, à l'occasion de cette parution, les éditions Points ont réédité le roman dans une version collector reliée avec l'ajout d'un cordon marque-page noir tandis que le texte est agrémenté d'une vingtaine d'illustrations de Manu Larcenet. On aurait bien évidemment souhaité qu'il s'agisse d'illustrations originales plutôt qu'extraites de la bande dessinée et quitte à se montrer pénible jusqu'au bout, la couverture aurait mérité d'être toilée avec un aspect rugueux qui aurait mieux convenu. Mais quoiqu'il en soit, il faut lire ou relire le roman dans cette version pour s'approprier ainsi l'univers respectif de ces deux génies qui se rencontrent autour de ce texte imprégné de la noirceur du romancier se diluant dans celle de l'illustrateur avec cette impressionnante sensation de symbiose. Et puis il faut bien appréhender l'album en tant que tel qui se décline également sous la forme d'une édition limitée qu'il faut absolument acquérir si vousa route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivier êtes en fond. En noir et blanc, cette version contient un cahier où figure des croquis ainsi que quelques planches qui n'ont pas été retenues dans l'édition définitive. Toujours dans ce tirage limité, on appréciera les gros plans du profil du père et du fils figurant sur la couverture et sur le dos de cet ouvrage somptueux et dont la minutie dans chaque trait nous rappellent les gravures de Gustave Doré ou d'Albrecht Dürer auxquels Manu Larcenet fait d'ailleurs référence, même si l'on pense également, dans une certaine mesure, aux illustrations de Bernie Wrightson. On fera donc l'acquisition des deux albums, mais s'ił faut choisir, on adoptera la version en couleur avec cette spectaculaire nuance de gris absorbant les quelques lueurs rougeâtres ou jaunâtre parfois bleuâtres éclairant certaines planches en offrant ainsi plus de profondeur à l'ensemble du récit et plus d'intensité dramatique sur quelques scènes clés de l'intrigue comme cet instant où le père et son fils observent cette colonne de barbares défilant sur La Route. Comme une espèce de lever et de tomber de rideau ponctuant le début et la fin d'un spectacle aux accents dramatiques, il y a cette espèce d'abstraction fascinante dans la contemplation de ces nuages de cendre qui vont d'ailleurs nous accompagner tout au long de 156 planches composant l'album restituant avec une rigueur incroyable l'ensemble de la trame narrative du roman de Cormac McCarthy qui font que le monde de l'écrivain se confond avec l'univers de Manu Larcenet. Sans être expert dans le graphisme, à la contemplation de chacune des planches, de chacune des cases de La Route, on mesure la progression du dessinateur, dans sa veine réaliste depuis Blast, qui a abandonné l'encre et le papier en adoptant la palette graphique depuis quelques années, en voulant explorer a route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivierl'infinie richesse de cette technologie numérique, pour un rendu plus précis dans le trait tout en devinant le travail considérable et cette créativité sous jacente qui émane de son oeuvre. Ce qui ne change pas, c'est le désespoir, la douleur et les tourments dont le dessinateur ne fait pas mystère et qui imprègnent son travail au gré de cette adaptation où rien ne nous est épargné comme cette scène où le père apprend à son fils comment mettre fin à ses jours avec le revolver qu'ils détiennent ou ce festin macabre qu'ils découvrent dans un campement abandonné. On appréciera également le soin apporté aux dialogues qui se déclinent dans une proportion congrue, comme dans le roman d'ailleurs, en nous laissant de longues plages de silence où l'on contemple l'immensité terrible de la désolation des lieux qui absorbent les personnages. Et puis au milieu de cette noirceur, il y a quelques instants lumineux comme cette baignade au pied de la cascade où la maigreur des corps nous renvoie à une autre époque de barbarie des camps de concentration tandis que le festin que le fils et le père dégustent dans un bunker inutilisé, nous rappelle cet instant de grâce dans le film Soleil Vert où Charlton Eston et Edward G. Robinson se délectent de quelques aliments frais devenus introuvables. Tout cela s'inscrit dans cette volonté exigeante de transcender le récit de Cormac Mccarthy dans ce qu'il y a de plus désespérant pour nous plonger dans un nihilisme absolu en nous laissant sur le bord de La Route au terme d'une scène finale encore plus incertaine que celle du romancier et qui font de l'adaptation de Manu Larcenet une oeuvre aussi magistrale qu'éprouvante. C'est peut-être l'une des définitions du terme chef-d’oeuvre.

     

     

    Bd : Manu Larcenet / Cormac McCarthy : La Route. Editions Dargaud 2024.

    Bd édition limitée (4000 exemplaires). Manu Larcenet / Cormac McCarthy : La Route. Editions Dargaud 2024.

    Cormac McCarthy : La Route (The Road). Editions Points 2024. Traduction de l'anglais (Etats-Unis) par François Hirsch. Illusrations de Manu Larcenet.

    A lire en écoutant : Chant of the Paladin de Dead Can Dance. Album : The Serpent's Egg. 2007 4AD Lt

  • BERNARD YSLAIRE/JEAN-LUC FROMENTAL/GEORGES SIMENON : LA NEIGE ÉTAIT SALE. ROMAN DUR.

    bernard yslaire,jean-luc fromental,georges simenon,la neige était sale,éditions dargaudEtonnement, les adaptations BD de l'œuvre de Georges Simenon sont plutôt rares si l'on fait exception de Loustal, étroitement associé au célèbre auteur belge, qui a illustré plusieurs de ses romans et notamment l'ensemble des dix couvertures composant l'intégrale des enquêtes du commissaire Maigret publié aux éditions Omnibus pour nous proposer, en collaboration avec les scénaristes Jean-Luc Fromental et José-Louis Bocquet, Simenon, L'Ostrogoth (Dargaud 2023), un roman graphique se penchant sur la période où ce romancier déjà prolifique s'apprête à se lancer dans l'écriture des premiers ouvrages mettant en scène le célébrissime policier. Mais à l'occasion des 120 ans de la naissance de Georges Simenon, les éditions Dargaud publient deux adaptations de ses fameux romans "durs" désignant les 117 récits dans lesquels le commissaire Maigret n'apparaît pas. Ainsi, on retrouve une nouvelle fois le scénariste José-Louis Bocquet s'associant au dessinateur Christian Cailleaux pour mettre en image Le Passager Du Polarlys qui n'est pas le plus connu des romans de l'auteur belge et dont l'intrigue prend l'allure d'un thriller maritime tout en tension nous entrainant le long des côtes norvégiennes jusqu'au cercle arctique. De son côté, Jean-Luc Fromental s'est tourné vers Bernard Yslaire pour adapter La Neige Était Sale, le fameux roman existentialiste de Simenon qui fait partie des ouvrages emblématiques de son œuvre pour ce qui donne lieu à une rencontre au sommet entre deux grandes figures de la BD et l'un des maîtres de la littérature noire. Pour ceux qui ne sont guère familier avec l'univers du 9ème art, on présentera Jean-Luc Fromental, outre son travail de scénariste collaborant avec des dessinateurs renommés à l'instar de Floc'h, comme un éditeur dirigeant notamment la collection Denoël Graphic recelant quelques œuvres singulières telles que celles de Posy Simmonds et de Joann Sfar. A une époque où les lecteurs du journal Spirou sont plus coutumier de séries dynamiques comme Jess Long, Yoko Tsuno, Tif et Tondu ou les Tuniques Bleues, il faut bien admettre que Bidouille et Violette a de quoi surprendre avec cette histoire d'amour entre deux adolescents inaugurant pourtant l'incontestable talent de Bernard Yslaire qui va se lancer dans la fameuse série Sambre dont la dimension intergénérationnelle s'étalant entre 1768 et 1847 va également se décliner autour de la série La Guerre Des Sambres. Avec un style extrêmement affirmé au caractère à la fois sombre et intense, le choix de Bernard Yslaire apparaît comme une évidence pour cette somptueuse adaptation graphique de La Neige Était Sale qui fait figure d'événement autour de cette conjonction de talents à l'état pur.

     

    Au temps d'une guerre indéterminée, à une époque sans date, dans une ville occupée sans nom, Frank Friedmaier, à peine âgé de 18 ans, profite de l'oisiveté que lui procure son statut d'enfant gâté par sa mère Lotte, tenancière d'une maison close locale et fort rentable lui permettant également d'assouvir ses désirs en côtoyant les pensionnaires du bordel. De plus, il se rend bien compte que Sissy Holst, sa charmante petite voisine, est follement amoureuse de lui. Franck a également ses habitudes au bar-restaurant de Timo où il fraie avec quelques personnages louches comme Fred Kromer, crapule de bas étage se vantant régulièrement de ses crimes odieux. Par défi comme par jeu, au détour d'une ruelle sombre, Frank va égorger un officier de l'armée d'occupation et lui voler son revolver. Un acte gratuit qui sera suivi d'autres forfaits tout aussi abjects qu'immoraux. Frank se lance donc volontairement dans une longue descente aux enfers qu'il assume avec un redoutable cynisme. Dans une telle optique peut-on trouver la rédemption ?

     

    C'est cette simplicité narrative qui caractérise les récits de Georges Simenon où rejaillit ainsi la quintessence des thèmes qu'il aborde avec une acuité redoutable se déclinant autour de la personnalité complexe de ses personnages. Rédigé en 1948 alors que l'auteur séjourne à Tucson en Arizona, La Neige Était Sale prend une forme singulière avec ces lieux et cette époque complètement désincarnés comme pour mieux saisir l'universalité de cette atmosphère à la fois poisseuse et lourde nous rappelant paradoxalement la période trouble de l'Occupation durant la seconde guerre mondiale. Tout cela, Jean-Luc Fromental le restitue parfaitement dans une mise en scène soignée où les dialogues résonnent avec justesse tandis que les scènes cruciales du récit se déclinent au gré des réflexions de Frank Friedmaier en adoptant une narration à la deuxième personne avec cette sensation de malaise tandis que l'on observe ce personnage sombrer dans l'abjection la plus totale avec ce côté impavide saisissant, ceci tout en prenant soin de respecter la structure du roman se déclinant en trois parties comme autant de phases ponctuant sa destinée en passant de l'acte primaire odieux qu'il commet pour l'entraîner dans une escalade de crimes ignominieux s'achevant sur une ultime résurgence prenant la forme d'une rédemption le laissant en paix avec lui-même. Et puis il y a la richesse de la mise en image de Bernard Yslaire, ses cadrages élaborés ainsi que la nuance des couleurs restituant cette ambiance à la fois pesante et malsaine qui émane de l'intrigue tout en rendant hommage à Georges Simenon que l'on croise d'ailleurs au début du récit parmi la clientèle du bar-restaurant de Timo. On apprécie notamment ce soin que le dessinateur apporte à chaque détail que ce soit par exemple le papier peint des intérieurs, les éclairages des rues enneigées de cette ville sans nom ainsi que les costumes de cette galerie de personnages tourmentés aux traits si savamment travaillés. On en prend la pleine mesure en observant plus particulièrement les contours angéliques du visage de Frank Friedmaier nous permettant de saisir le contraste encore plus marqué de son avilissement lors de son parcours meurtrier avant qu'il n'aborde les stigmates des coups des passages à tabac successifs, incarnations de ce long chemin douloureux vers la rédemption au gré d'une espèce d'amour ultime que la neige recouvrira de son linceul immaculé. Une belle convergence de talents pour un album aux allures de roman noir aussi remarquable que saisissant.

     

    Bernard Yslaire/Jean-Luc Fromental/Georges Simenon : La Neige Était Sale. Editions Dargaud 2024.

    A lire en écoutant : La Neige de Claude Nougaro. Album : Sœur Âme. 1971 Mercury Music Group.