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04. Roman noir

  • SEVERINE CHEVALIER : THEORIE DE LA DISPARITION. QUE SE PASSE-T-IL ?

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    Service de presse.
     
     
    Puisque l'on semble découvrir son talent tout récemment, il semble important de souligner que cela fait plus de dix ans qu'elle endosse le rôle de romancière auquel elle ne croit guère, avec cette impression de faire l'objet d'une imposture quant à l'intérêt que l'on peut porter à son remarquable travail d'écriture s'inscrivant dans la précision de chaque mot pesé pour dépeindre, avec cette virtuosité d'une narration décalée, celles et ceux qui évoluent à la marge de leur environnement. De cette marginalité, Séverine Chevalier distille une émotion à fleur de peau qui marque les esprits dès son premier roman d'ailleurs où l'on côtoie, avec Recluses (La Table Ronde 2018), Zora, Zia et Suzanne trois femmes aux destins foudroyés lors d'un attentat suicide au sein d'un hypermarché de la banlieue lyonnaise. Et puis il y a l'immense Clouer L'Ouest (La Manufacture de livres 2019) où l'on suit le périple de Karl qui revient au sein du giron familial accompagné de sa petite fille en espérant que son père sera en mesure d'éponger ses dettes de jeux tandis qu'une bête rôde dans les environs d'une forêt sombre et enneigée que la romancière met en scène au gré de la force poétique d'une intrigue ciselée avec la précision d'une orfèvre en matière d'écriture. Même si ce n'est pas le thème principal, il y a cette notion de dureté rurale qui émerge des récits de Séverine Chevalier et peut-être de manière plus particulière avec Les Mauvaises (La Manufacture de livres 2018) prenant pour cadre cette région du Massif Central où l'on suit le parcours de deux jeunes filles d'une quinzaine d'années et d'un petit garçon évoluant dans le cadre désenchanté d'une ville marquée par le démantèlement des industries et le déboisement intensif des forêts. De l'environnement, il en est encore question avec Jeannette Et Le Crocodile (La Manufacture de livres 2022) où les rêves brisés d'une petite fille l'amène, de faux-semblant en désillusion, vers un implacable et bouleversant destin tragique qui vous laisse chancelant. Puis tout disparaît dans un habile mélange du sens propre et figuré avec En Campagne (Ours Editions 2024) bref récit que vous pourrez commander chez Ours Editions. Cette campagne qui disparaît on la retrouve pourtant dans Théorie De La Disparition qui concentre toute la maestria de Séverine Chevalier parvenant une nouvelle fois à nous interpeller sur ce registre d'un quotidien banal qui bascule soudainement avec cette volonté de disparaître pour peut-être mieux renaître. 

     

    Elle s’efface pour mieux se mettre au service de son mari Mallaury, romancier en vue dans le milieu du polar, qu’elle accompagne silencieusement dans les différents festivals dédiés au genre. Quel autre rôle pourrait-elle jouer que celui de femme au foyer qu’elle endosse avec une certaine acceptation s’illustrant notamment dans l’aspect méticuleux des tâches qu’elle effectue afin de tenir son ménage aussi consciencieusement que lorsqu’elle était employée de la municipalité de la ville de Saint-Etienne au sein d’un service du contrôle de l’habitat ? Mylène fait donc en sorte que tout se passe bien pour son mari, qu’il n’y ait pas le moindre accroc et qu’il puisse se consacrer pleinement à son travail d’écriture et de représentation qui en découle à la parution de ses romans. Mais c’est à l’occasion d’un repas entre écrivains se déroulant à Toulouse, que l’existence de Mylène prend une toute autre tournure lors d’une rencontre dans les toilettes du restaurant. Marquée par cette rencontre, elle prend la décision étrange de disparaître et d’échapper ainsi durant quelques jours à son mari alors qu’ils séjournent dans une résidence d’écrivains située dans une commune de Normandie. De ces instants d’échappatoire émergent des souvenirs de son passé que Mylène décide d’évoquer par le biais de l’écriture. La femme de l’écrivain sort de son silence et se met donc à écrire. 
     
    Pour l'épigraphe, il y aura Simenon et l'un de ses romans durs, La Chambre Bleue, qui nous ramène sur le comportement trouble de Mylène au gré d'un récit faisant également référence, d'entrée de jeu, à Perec avec la disparition de la lettre E de son clavier d'ordinateur. Ainsi débute Théorie De La Disparition dans ce qui apparaît comme une redoutable mise en abime du travail d'écriture, de ses doutes et de ses incertitudes quant à l'émergence d'un texte qui ne cesse de nous interpeller dans la banalité d'un quotidien où pointe quelques drames du fait divers se rapportant aussi bien à Mylène qu'à son mari Mallaury. Mais au-delà de Perec et de Simenon, il y a surtout le style Séverine Chevalier avec sa propension à faire en sorte qu'une part de nous rejaillisse de cette trame narrative d'une impressionnante densité alors que l'orfèvrerie savamment orchestrée de chaque mot ne sert pas qu'à magnifier le texte, bien loin de là, mais à lui donner un sens vertigineux que chacun pourra interpréter à sa manière. De l’écriture, il est ainsi question avec tout ce qui découle de cet univers littéraire que la romancière égratigne consciencieusement, que ce soit l'égocentrisme de Mallaury ou l'attitude revêche d'un écrivain s'en prenant à son attachée de presse dont il estime qu'elle n'en fait pas assez pour lui afin d'assoir sa renommée. Ainsi, derrière la fiction se dessine, à certains instant, cette part de réalité se déclinant notamment durant ce festival du polar se déroulant réellement à Toulouse tandis que la centrale nucléaire de Paluel, "nichée entre deux falaises" a véritablement défrayé la chronique avec un employé resté enfermé sur le site durant quatre jours. L’image même de l’ours blanc, ornant la couverture, s’agrège dans le cours de cette fiction. Mais apparait bien évidemment le thème de la disparition, de l’effacement ou de l’invisibilité sociale de Mylène qui nous ramène vers ce rapport ordinaire du couple qu’elle forme avec Mallaury et du contrat tacite qui s’y rapporte dans un quotidien normé. C’est peut-être en cela que Mylène diffère un peu des autres héroïnes que l’on a pu croiser dans les récits de Séverine Chevalier, où il n’est pas question de marginalité mais d’une normalité imposée dérivant vers le tragique dans ce qu’il y a de plus ordinaire et finalement de plus absolu apparaissant de manière définitive sur une pierre tombale au terme de cette bouleversante Théorie De La Disparition qui ne s’effacera pas de notre mémoire. Que se passe-t-il ? Et qui disparaît en définitive ?
     
     
    Séverine Chevalier : Théorie De La Disparition. Editions La Manufacture de livres 2024.

    A lire en écoutant : Fifteen Floors de Balthazar. Album : Applause. 2010 Maarten Devoldere / Jinte Deprez.

  • LEONARDO SCIASCIA : LE CHEVALIER ET LA MORT. LA DISSOLUTION DE LA DOULEUR.

    leonardo sciascia,le chevalier et la mort,éditions sillage"La sécurité du pouvoir se fonde sur l'insécurité du citoyen."

     

    Aussi étonnant que cela puisse paraître, bon nombre des romans de Leonardo Sciascia ont eu pour objet de dénoncer le fonctionnement de la Mafia à une époque où l'existence même de l'organisation criminelle était sujette à caution voire fortement contestée. Originaire de Sicile, ce romancier et homme politique érudit, également poète et scénariste à ses heures, se penchait plus particulièrement sur les accointances des réseaux mafieux avec les industriels puissants, le pouvoir politique corrompu ainsi qu'avec le pouvoir judiciaire dévoyé, et dont il décortiquait les mécanismes au gré de mises en scène  s’articulant autour d'enquêteurs quelque peu dépassés et très fréquemment sacrifiés sur l'autel de la raison d'Etat mettant un terme parfois extrêmement brutal aux investigations en cours, ceci dans le contexte délétère de la stratégie de la tension qui avait cours en Italie durant la période des "années de plomb ». C'est peu dire que les romans policiers aux connotations politiques de Leonardo Sciascia firent l'objet de violentes polémiques, ce d'autant plus que certains d'entre eux comme Le Contexte et Le Jour De La Chouette furent adaptés au cinéma à l'instar de Cadavres Exquis de Francesco Rosi avec Lino Ventura dans le rôle principal ou de La Mafia Fait La Loi de Damiano Damiani mettant en scène Claudia Cardinal, conférant à son auteur une notoriété grandissante. S'inscrivant très souvent dans le registre d'allégories aussi puissantes que subtiles, il émerge de l'œuvre de Sciascia ce sentiment de désarroi face à la corruption endémique qui gangrène le pays et dont il ne cesse de faire état, devenant de plus en plus prégnant au terme de sa carrière, comme en atteste Le Chevalier Et La Mort, son avant-dernier roman qu'il publia alors qu'il était atteint d'une longue maladie incurable et douloureuse. 

     

    A cet Adjoint du chef de la police, il ne reste que le plaisir de fumer en contemplant Le Chevalier, La Mort et Le Diable, une gravure d'Albrecht Dürer qu'il a acquise chèrement et qui trône désormais dans son bureau sans que personne n'y prête vraiment attention. Et malgré la maladie qui le ronge, il se voit confier l'enquête de l'assassinat de Me Sandoz alors que les soupçons tendent à laisser penser que le commanditaire ne soit autre que Le Président, un inquiétant et influent dirigeant industriel qui règne sur le pays. Mais rapidement les investigations font état d'un mystérieux groupe révolutionnaire radical, Les Enfants de 89 qui semblait vouloir s'en prendre à l'avocat. A moins qu'il ne s'agisse d'un subterfuge pour détourner l'attention. Et tandis qu'il tente de démêler cet entrelacs de faux-semblant et de subterfuges dangereux, l'Adjoint du chef de la police sent bien que tout se dérobe autour de lui et qu'il importe plus de dissimuler les faits plutôt que de payer le prix d'une vérité bien trop dérangeante. 

     

    leonardo sciascia,le chevalier et la mort,éditions sillageAvec Le Chevalier Et La Mort on parlera sans nul doute d'un texte crépusculaire, voire testamentaire, émanant d'un romancier dont il sait que la fin est proche en s'ingéniant, une dernière fois, à mettre en lumière les mécanismes de collusions entre la mafia et les pouvoirs en place ainsi que les tentatives de contre-feux destinées à dissimuler ces rapports occultes. Ce qui caractérise l'œuvre de Leonardo Sciascia, c'est sa clairvoyance et sa concision que l'on retrouve dans ce très bref roman qui prend l'allure d'une sotie, ces farces satyriques du Moyen-Âge destinées à mettre en lumière les travers de la société. Une critique sociale grinçante donc, chargée de symbolismes à l'image de la gravure d'Albrecht Dürer où l'on voit ce preux Chevalier chevauchant sa monture, accompagné de la Mort et du Diable qui rôdent et que l'on ne peut manquer de comparer à la trajectoire de cet Adjoint désabusé qui tente malgré tout de démêler le faux du vrai en dépit des dangers qui l'entourent tandis qu'il évolue dans les arcanes des salons feutrés d’une bourgeoisie immorale. On appréciera également, sans que cela ne soit jamais pesant, le côté érudit d'un récit chargé de notes poétiques qui nous ramène également au parcours de son auteur qui a fait également office de lanceur d'alerte quant aux dangers en rapport avec la manipulation des groupuscules terroristes faisant parfois office de fusibles pour masquer d'autres exactions servant à dissimuler des arrangements contre nature avec les autorités, les réseaux mafieux et d'autres entités extrémistes. On retrouve donc tout cela dans Le Chevalier Et La Mort, au gré d'une enquête vacillante tout comme son personnage central au regard lucide qui sait parfaitement de quoi il en retourne sans qu'il ne lui soit possible d'en rendre compte à qui que ce soit sans mettre son entourage en péril. Mais en dépit du danger, il émane du roman cette notion de courage et cette volonté de traduire la vérité coûte que coûte qui font que Le Chevalier Et La Mort s'inscrit dans ce qui apparaît comme une vision éclatante des travers d'une société italienne laminée par les dérèglements sociaux la conduisant vers une logique de violence implacable que Leonardo Sciascia a su dépeindre avec un discernement magistral que l'on retrouve dans l'ensemble de son oeuvre. 

     

     

    Leonardo Sciascia : Le Chevalier Et La Mort. Editions Sillage 2021. Traduit de l'italien par Michel Orcel et Mario Fusco.

    Saint-Saëns: Danse Macabre, Op. 40 . Album : Danse Macabre. Kyng-Wha Chung, Charles Dutoit, Philarmonia Orchestra. 1981 Decca Music Group Limited.

  • TIMOTHEE DEMEILLERS : LE TUMULTE ET L'OUBLI. LE MOUVEMENT DES MASSES.

    timothée demeillers,le tumulte et l’oubli,éditions asphalteCela fait déjà quatorze ans qu'Estelle Durand et Claire Duvivier sont à la tête de la maison d'éditions Asphalte qui cultive son indépendance avec des textes à fortes connotations sociales, versant parfois dans le registre du roman noir à l'instar de la collection Asphalte Noir permettant la découverte d'une ville par le biais de recueils de nouvelles noires inédites des auteurs locaux de la cité mise en avant et dont on apprécie également l'identité graphique bien marquée qui orne la première de couverture de chacun des ouvrages. Dans la collection fiction, on découvre des auteurs d'un incomparable talent à l'instar du brésilien Edyr Augusto nous entrainant dans les méandres de Belém, sa ville natale, du chilien Boris Quercia dont on se remémore encore les aventures déjantées de son inspecteur Santiago Quiñones ou du barcelonais Carlos Zanón qui nous avait ébloui avec son roman culte J'ai Eté Johnny Thunders (Asphalte 2016). Il ne s'agit là que d'un échantillon des nombreux écrivains et romancières figurant dans un catalogue nous embarquant dans des régions méconnues d'un monde que l'on se plait découvrir par le prisme de textes engagés et marquants à l'image de leurs éditrices. Justement, dans le domaine du récit engagé et marquant, on se remémore également Jusqu'à  La Bête (Asphalte 2017) de Timothée Demeillers qui nous immergeait littéralement dans les entrailles d'un abattoir en France au gré du parcours d'un de ses ouvriers qui sombre peu à peu dans une espèce de déshumanisation le conduisant à commettre l'irréparable. Egalement journaliste, en se focalisant notamment sur l'Europe de l'Est, Timothée Demeillers a rédigé des articles et réalisé deux reportages prenant pour cadre cette région qui lui a également donné l'inspiration pour son premier roman Prague, Faubourg Est (Asphalte 2014) tandis que Demain La Brume (Asphalte 2020), ouvrage plus récent, se déroule dans les Balkans. Mais à l'occasion de la sortie de son nouveau roman, c'est d'une autre partie de l'Europe de l'Est dont il va être question avec Le Tumulte Et L'Oubli prenant l'allure d'une fresque d'une grande ampleur ancrée dans l'histoire de la région des Sudètes en Tchéquie dont les grands-parents de l'auteur sont originaires. 

     

    En 1938, après un discours enflammé ne laissant que peu de doute quant à ses intentions, Hitler parvient à annexer les Sudètes, cette région de la Tchéquoslovaquie dont la population est principalement composée d'une importante communauté germanophone. C'est ainsi que Jedlov, petite ville de la Bohème, prend le nom de Tannberg pour la plus grande joie de Sieglinde et de sa famille. Mais sept ans plus tard, au terme de la seconde guerre mondiale, il faut déchanter et composer avec les vainqueurs pétris de haine et de vengeance et qui vont persécuter Sieglinde et sa mère, contraintes de prendre la fuite pour trouver refuge en Allemagne comme la plupart de leurs congénères. Mais avec l’influence de l’appareil politique communiste, c'est l'occasion pour Ivetka, jeune fille mariée à quatorze ans, de s'émanciper et de devenir la première tsigane à entamer des études et à endosser des responsabilités administratives de haute importance au sein de la communauté. Et puis survient le printemps de Prague, puis plus tard, la révolution de Velours et la chute du Mur laissant place à une économie de marché impitoyable qui broie les plus faibles comme Tereza qui, en dépit de sa beauté, fait l'objet d'une discrimination institutionnalisée à l'égard des Roms dont elle fait partie, en ne lui laissant pas d'autre choix que de s'évader par tous les moyens qui vont l'entraîner vers une déchéance sans fin.

     

    Avec Le Tumulte Et L'Oubli on parlera vraiment d'une fresque contemporaine ambitieuse s'étalant sur près de 80 ans pour dépeindre les bouleversements dont la région méconnue des Sudètes a fait l'objet au gré des événements qui ont jalonné cette période entre le début de la Seconde guerre mondiale et le terme de l'année 2017 où la Tchèquie a définitivement intégré depuis plus de dix ans le giron de l'Union européenne tandis que la Tchécoslovaquie demeure un lointain souvenir que Timothée Demeillers ravive par le prisme d'une trame romanesque prenant pour cadre la ville fictive de Tannberg/Jedlov, en Bohême, non loin de la frontière allemande. C’est donc dans cet environnement qu’évolue une impressionnante galerie de personnages composant les trois communautés tchèque, germanophone et rom qui se côtoient au sein de cette cité faisant l’objet de plusieurs vagues de migrations contraintes et forcées que l’on va observer à la hauteur de ces femmes et de ces hommes se heurtant au fracas du tumulte et dont une partie de leur descendance se désagrège dans la déliquescence de l’oubli, malgré les tentatives pour certains d’entre eux de conserver un trace de cette histoire ordinaire à l’instar de Mirko, ce jeune tchèque projetant le moindre de ses souvenirs dans une kyrielle de carnets qu’il entasse au fil des années et des regrets, celui notamment d’avoir rejeté Sieglinde, cette jeune femme aux origines allemandes dont il était fou amoureux. Si l’on perçoit les principaux événements historiques marquant la ville de Tannberg/Jedlow, que ce soit les affres de la seconde guerre mondiale, suivi de l’instauration du bloc soviétique pour s’achever sur l’ouverture à une économie de marché débridée, Timothée Demeillers ne s’attarde que très peu sur leurs déroulements en tant que tels pour davantage s’intéresser aux répercussions qui frappent l’ensemble de citoyens de la ville avec une dimension sociale extrêmement intense, ceci d’autant plus que l’auteur adopte plusieurs formes d’écriture empruntant parfois une consistance poétique émaillant d’ailleurs le début du récit alors que l’on assiste à cette ferveur s’emparant de la communauté germanophone de Jedlov/Tannberg à l’issue du discours de Hitler prônant l’intégration des Sudètes au sein du Reich en devenir. A partir de là, si l’on distingue l’antagonisme entre la communauté allemande et la communauté tchèque en lien avec la volonté de redéfinir la frontière, c’est davantage la discrimination institutionnalisée vis à vis des Roms qui émerge d’une roman riche en péripétie et tout en maîtrise, en dépit de la multitude de personnages traversant l’enchevêtrement d’intrigues multiples dont on parvient à saisir les différents aspects au gré d’une lecture attentive. Si Le Tumulte Et L’Oubli n’a rien d’un récit féministe et si les portraits des hommes ne sont pas en reste, ce sont les personnalités de Sieglinde la jeune femme aux origines allemandes ainsi que Ivetka et Tereza, deux filles tsiganes aux profils et aux destins différents qui prennent le dessus avec ce sentiment de regret et parfois même de gâchis imprégnant l’ensemble des parcours de chacun des individu de cette ville de Jedlov d’où émane cette atmosphère désenchantée, encore plus particulièrement prégnante au terme d’un récit qui ne tombe jamais dans le registre de la diatribe larmoyante. D'ailleurs le tableau d'Egon Schiele ornant la première de couverture de l'ouvrage rend parfaitement compte de cette ambiance propre à cette ville de Jedlov prenant une dimension quasi organique au gré de son évolution urbaine au fil des années et plus particulièrement de la cité Mír 14 autrefois dédiée aux ouvriers de la République tchèque et qui prend peu à peu l'allure d'un ghetto où l'on parque les Roms. Ainsi, au rythme des différentes histoires qui s’agrègent les unes aux autres avec une densité dramatique remarquablement bien mise en scène, Le Tumulte Et L’Oubli met en lumière les aléas de cette région des Sudètes bousculée par les velléités des nations à redessiner les frontières nous rappelant, à certains égards, quelques aspects du conflit qui défraie l’actualité en Europe. Un roman d’envergure qui tient toutes ses promesses.

     

     

    Timothée Demeillers : Le Tumulte Et L'Oubli. Editions Asphalte 2024.

    A lire en écoutant : Me And The Devil interprété par Soap&Skin. Album : Sugarbread - Single. 2013 Solo.