Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04. Roman noir

  • Piergiorgio Pulixi : Stella / La Librairie Des Chats Noirs / Si Les Chats Pouvaient Parler. Vent de soleil, vent de vérité.

    IMG_2617.jpeg

    Services de presse.

    Pour le prix d’une chronique vous aurez un retour sur trois ouvrages d’un des auteurs italiens dont la notoriété grandissante n’est pas usurpée tout en suscitant un engouement notable autour de deux séries prenant pour cadre l’île de la Sardaigne dont il est originaire. On découvrait Piergiorgio Pulixi avec L’Île Des Âmes que les éditions Gallmeister publiait en 2021 en opérant un virage éditorial assez marquant puisque la maison à la « patte de loup » faisait une infidélité à la littérature de ces contrées des Etats-Unis à laquelle elle était entièrement dédiée depuis 15 ans, en s’ouvrant ainsi au reste du monde. S’il s’agissait de son premier roman traduit en français, Piergiorgio Pulixi n’avait rien d’un débutant puisque ce libraire qui a également travaillé dans le monde de l’édition, débutait sa carrière d’écrivain en publiant des ouvrages sous l’égide du collectif Mama Sabot, un groupe d’auteurs de romans policiers et de thrillers créé par le romancier italien Massimo Carlotto, qui reste encore méconnu au-delà des régions de la Péninsule, avant de s’émanciper avec une série de romans policiers mettant en scène l'inspecteur supérieur corrompu Biagio Mazzeo dont les récits n’ont pas encore  franchi nos frontières francophones. Mais c’est avec la série Les Chansons Du Mal que l’auteur rencontre une certaine notoriété en mettant en scène un groupe d’enquêteurs composés du vice-questeur Vito Strega de Milan, de l’inspectrice-cheffe sarde Mara Reis et de l’inspectrice Eva Croce, une policière milanaise mutée en Sardaigne. Couronné du prix Scerbanenco, prestigieuse récompense de la littérature noire italienne, pour L’Île Des Âmes, la série comptant désormais sept ouvrages (deux d’entre eux n’ont pas été traduits en français), s’inscrit dans un registre où le suspense s'agrège à l'aspect culturelle de l'île, dont on s’échappe parfois pour découvrir d’autres régions de l’Italie, et d'où émerge également une dimension sociale extrêmement prégnante qui deviendra la marque de fabrique du romancier sarde et que l’on perçoit plus particulièrement dans Stella, dernier opus en date qui vient de paraître. On retrouve d’ailleurs tous ces aspects, dans la série de La Librairie Des Chats Noirs, véritable hommage au whodunit, qui se déroule à Cagliari, chef-lieu de la Sardaigne en suivant les enquêtes de Marzio Montecristo l’irascible libraire au grand cœur, spécialisé dans le polar, et dont le second volume, Si Les Chats Pouvaient Parler vient également de paraître en français.

     

    piergiorgio pulixi,éditions gallmeister,la libraire des chats noirs,si les chats pouvaient parler,stellaRésumé : Stella

    « Vent de soleil, vent de vérité »

                              Proverbe sarde

     

    Du côté de Sant’Elia, banlieue déshéritée de Cagliari où elle vit, Maristella Coga, tout le monde l’appelle Stella. Jeune adolescente de dix-sept, elle apparaît comme une femme libre et farouche dont on admire la beauté qui rayonne sur l’ensemble de son entourage. Mais si elle s’affiche au bras du jeune caïd du quartier, Stella aspire à une autre destinée que celle de rester dans ce quartier où l’avenir demeure incertain. Mais Stella aura-t-elle la possibilité  de quitter cette famille dysfonctionnelle ainsi que ce conjoint encombrant, alors qu’elle ne trouve du réconfort qu’auprès de sa grand-mère qui l’a élevée tant bien que mal dans cet environnement délétère ? Une question qui demeurera sans réponse, puisqu’un beau matin où le mistral se lève, on retrouve le corps sans vie de la jeune femme, abandonné sur une plage, le visage mutilé. C’est Eva Croce, Mara Reis et Clara Pontecorvo, secondées du criminologue tourmenté Vito Strega,  qui héritent de cette affaire sensible à plus d’un titre car la mort de Stella ne va pas rester sans conséquence au sein de ce quartier où la police n’est guère la bienvenue et où l’on préfère régler les comptes soi-même.

     

    Avant d’entamer la lecture, on s’attardera quelques instants sur cette superbe couverture de Stella, toute en suggestion, signée Aurélie Bert qui s’occupe, avec un certain talent, du graphisme de la collection Fiction des éditions Gallmeister en suscitant d'ailleurs bien des émules auprès d'autres éditeurs. Mais pour en revenir au texte, il sera recommandé de lire les opus précédents afin de comprendre les liens et surtout les interférences entre les différents enquêteurs de cette section des crimes violents avec une dimension sérielle qui se penchent donc sur les profils de tueurs en série qui vont hanter les pages de romans tels que Le Chant Des Innocents (Gallmeister 2023) où l’on découvre la personnalité tourmentée du vice-questeur Vito Strega tandis qu’avec L’Îles Des Ames (Gallmeister 2021) on rencontrait donc les inspectrices Mara Reis et Eva Croce formant un duo sur le registre de leurs personnalités dissemblables. C’est avec L’Illusion Du Mal (Gallmeister 2022) que le criminologue milanais va se joindre aux deux enquêtrices basées à Cagliari dans le cadre d’une collaboration qui va se poursuivre avec La Septième Lune (Gallmeister 2024) où le trio est aux prises avec un tueur inquiétant. On comprend donc bien que Piergiorgio Pulixi s’est inscrit dans le registre du thriller qu’il décline en adoptant les codes du genre, mais en faisant en sorte de s’en distancer quelque peu pour s'intéresser davantage  à l’environnement social qui imprègne l’ensemble de ses textes oscillant parfois sur les gammes du roman noir. Et c’est dans ce genre du roman noir que s’oriente un texte comme Stella où l’auteur délaisse l’archétype de la narration autour du sérial killer pour s’intéresser à tout l’aspect de Sant’Elia, une banlieue de Cagliari marquée par la pauvreté, qui nous rappelle sur certains points l’urbanisme du tristement célèbre quartier de Scampia à Naples. Au sein de cette cité, dont on va connaître tout le contexte historique, émerge de fortes personnalités telles que Rosaria Nemus, la grand-mère de Stella qui va marquer les esprits tout comme Stella cette victime tragique dont on découvre les nombreuses facettes au gré de la progression des enquêteurs chargés de faire la lumière sur les circonstances du crime. Si l’enjeu de l’identification du coupable est bien palpable, c’est toute la tragédie découlant de ce crime qui devient le véritable moteur de l’intrigue à mesure que l’on prend la mesure des démarches vengeresses du frère ou du petit ami de Stella tandis que les enquêteurs de la police mobile de Sardaigne se confrontent à leurs homologues des Carabiniers et plus particulièrement au lieutenant-colonel Mirko Capasso qui semble vouloir faire cavalier seul. On saluera donc le fait que Piergiorgio Pulixi ait fait en sorte de sortir du confort de narration qui a fait son succès pour se lancer dans une enquête aux connotations bien différentes mettant en relief un environnement plutôt méconnu de la Sardaigne qu’il dépeint avec un regard affuté tandis que les personnages principaux, que ce soit Vito Strega, Eva Croce et Mara Reis, vont faire face à certaines déconvenues qui vont pimenter l’intrigue ainsi que l’arche narrative régissant l’ensemble de la série.

     

    piergiorgio pulixi,éditions gallmeister,la libraire des chats noirs,si les chats pouvaient parler,stellaRésumé : La Librairie Des Chats Noirs

    Entre deux êtres chers, il faut choisir celui qui vivra et celui qui mourra en disposant d’une minute avant que l’assassin sadique n’exécute le proche sacrifié. Après plusieurs crimes du même acabit sans que l’on ne comprenne les motivations du tueur, la police va faire appel à Marzio Montecristo, le patron colérique d’une librairie de Cagliari spécialisée dans le polar où évolue ses deux chats noirs, Poirot et Miss Marple. Il faut dire que cet ancien enseignant de mathématique passionné de littérature noire s’est distingué avec son étonnant club de lecture, « les enquêteurs du mardi », en aidant la police à résoudre, il y a de cela un an, une affaire extrêmement complexe. Outre Marzio, on trouve parmi les membres du club une dame à la retraite, une veuve de trois maris successifs, un moine capucin, une jeune gothique ainsi qu’un vieux dandy tout en élégance. Cette poignée d’experts amateurs sera-t-elle donc capable d’identifier celui que tout le monde surnomme désormais « le tueur au sablier » ?

     

    De par sa légèreté, son habile mélange des genres, que ce soit le thriller, le fameux cosy mystery et le classique roman policier à la Agatha Christie, auquel Piergiorgio Pulixi rend d’ailleurs hommage, ainsi que par le biais de son humour caustique, la série de La Libraire Des Chats Noirs tranche radicalement avec la série Les Chansons Du Mal à l’atmosphère sombre mais où l’on retrouve l’éclat méridionale de la Sardaigne qui convient parfaitement à cette intrigue pleine de charme. Il va de soi que l'histoire s’articule autour de la personnalité de Marzio Montecristo, ce libraire bourru qui est parvenu, en dépit de sa propension à envoyer balader une clientèle qu’il juge indigne, à s’entourer d’amateurs du genre policier aux profils atypiques qui vont résoudre des crimes sous l’égide de la police et plus particulièrement de l’inspecteur Flavio Caruso et de son adjointe la brigadière Angela Dimase pour laquelle Marzio semble éprouver quelques sentiments. L’autre aspect du récit tourne bien évidemment autour de l’enjeu quant à la découverte du meurtrier dont on se doute bien, sur un genre tel que le crime mystery, qu’il fera partie de l’entourage plus ou moins proche du personnage central, ce qui pimente le suspense. Mais avec Piergiorgio Pulixi, on ne s’éloigne jamais vraiment de la dimension sociale qui s’insère dans le texte en abordant différents thèmes dont les maladies dégénératives telles qu’Alzheimer ou les agression sexuelles qui vont alimenter la part sombre de ce roman qui fait référence à une multitude d’auteurs et de romancières de la littérature noire. Il n’en demeure pas moins que l’ensemble du récit se déroule dans une atmosphère à la fois caustique et chaleureuse où l’on se plaît à parcourir ce chef-lieu de la Sardaigne, en compagnie de ces enquêteurs du mardi et plus particulièrement de ce libraire qui se révèle extrêmement attachant tout comme ses chats qui l’accompagnent.

     

    piergiorgio pulixi,éditions gallmeister,la libraire des chats noirs,si les chats pouvaient parler,stellaRésumé : Si Les Chats Pouvaient Parler

    A force de rembarrer la clientèle qui lui déplait, Marzio Montecristo doit bien admettre que les affaires de sa librairie des Chats Noirs sont au plus mal et qu'il doit se résoudre à accepter la proposition de sa jeune employée Patricia qui a fait en sorte qu'il participe à l'opération marketing du célèbre auteur de romans policier Aristide Galezzao qui va écrire les derniers chapitres de son nouveau roman à bord d'un navire de croisière qui va voguer autour de la Sardaigne. Il s'agira pour Marzio de tenir la librairie flottante en compagnie de ses deux chats Poirots et Miss Marple ce qui lui permettra de renflouer les caisses de son commerce, même s'il doit frayer avec ce romancier à succès prétentieux qui se prend pour Simenon, mais dont l'oeuvre se résume à une série d'ouvrages médiocres dont il peine à comprendre qu'elle suscite un tel engouement. Accompagné de son ami l'inspecteur Flavio Caruso qui s’apprête ä intégrer le fameux club de lecture des « enquêteurs du mardi", les festivités battent leur plein sur le bateau et Marzio Montecristo doit bien admettre que les ventes se révèlent mirobolantes tandis qu'il fraye avec ce petit monde du livre en pleine effervescence. Mais la croisière prend une tournure dramatique lorsque l'on trouve le corps sans vie d'un des passagers dont il ne fait aucun doute qu'il a été assassiné alors qu'une tempête se lève, ce qui empêche toute intervention immédiate des autorités. En attendant, c'est l'inspecteur Caruso qui va procéder aux premières investigations tout en comptant sur les compétences sans faille de Marzio qui va lever le voile sur le milieu trouble de l’édition.

     

    piergiorgio pulixi,éditions gallmeister,la libraire des chats noirs,si les chats pouvaient parler,stellaD’entrée de jeu on décèle l’immense plaisir de Piergiorgio Pulixi à partager avec nous cette nouvelle enquête de Marzio Montecristo dont il décrit une  nouvelle fois le caractère irrascible, pour notre plus grand bohneur, notamment durant ces instants de colères mémorables où il fustige la rare clientèle qui ose encore s’aventurer dans sa librairie des Chats Noirs au charme indéniable. On perçoit derrière ces échanges féroces, l’expérience de l’ancien libraire, sans pour autant avoir agi de la même manière pour faire face aux exigences de clients aux comportements déroutants dont il critique, à certains égards, la propension à se tourner vers une littérature commerciale dans ce qui apparaît parfois comme une véritable mise en abîme, à l’instar de ce moment  extraordinaire où son personnage central exprime tout le désarroi qu’il ressent sur cette propension à exploiter, de manière outrancière, l’image des chats dans les genres littéraires afin d’attirer grossièrement le lectorat. Une sorte de défouloir jouissif en quelque sorte dans ce qui s’apparente à une intrigue similaire à celle de Mort Sur Le Nil d’Agatha Christie à laquelle il rend encore une fois hommage au cours de ce récit prenant pour cadre le Mise en Abyme, un petit navire de luxe au charme rétro. Si l’enjeu de l’intrigue se décline autour des investigations pour identifier l’auteur du crime, il s’agit pour Piergiorgio Pulixi de dresser un portrait au vitriol, du monde de l’édition dont il décline toute une galerie de portraits féroces lui permettant d’évoquer, sans fard, toute une multitude de dérives en lien avec l’exploitation d’un auteur à succès grotesque se prenant pour Georges Simenon dont il mentionne la journée brumeuse qu’il a passée en arpentant les rues de Milan à l’occasion d’un reportage photo de l’époque. Parce que derrière cette critique implacable du monde du livre, on distingue cette admiration pour les auteurs qu’il affection à l’instar de Benjamin Whitmer, de Jean-Claude Izzo, de Pierre Lemaître et de William McIlvanney pourtant bien éloignés du genre crime mystery, ce qui constitue là, une nouvelle fois, un paradoxe savoureux dans ce qui peut se révéler comme un excellent guide de la littérature noire. Et c’est bien dans ce domaine de la dérision que réside la réussite de ce second volet de la série  La Librairie Des Chats Noirs dont on savoure chacune des pages d’un récit plein d’attraits mettant également en exergue l’atmosphère attrayante de cette île de la Sardaigne dont on ne se lasse jamais.

     

    Piergiorgio Pulixi : Stella (Stella di mare). Editions Gallmeister 2025. Traduit de l’italien par Anatole Pons-Reumaux.


    Piergiorgio Pulixi : La librairie Des Chats Noirs (La libreria Dei Gatti Neri). Editions Gallmeister 2024 (collection Totem 2025). Traduit de l’italien par Anatole Pons-Reumaux.


    Piergiorgio Pulixi : Si Les Chats Pouvaient Parler (Se I Gatti Potessero Parlare). Editions Gallmeister 2025. Traduit de l’italien par Anatole Pons-Reumaux.


    A lire en écoutant : Monterey de Nick Waterhouse. Single : Monterey. 2022 Innovative Leisure.

  • MICHELE PEDINIELLI / VALERIO VARESI : CONTREBANDIERS. POUR UNE POIGNEE DE CIGARETTES.

    michèle pedinielli,valério varesi,contrebandiers,éditions pointsIl est paru au début de l'année, à l'occasion du festival des Quais du Polar à Lyon où les organisateurs, en collaboration avec les éditions Points, mettent en place, depuis plusieurs années, des projets d'écriture à quatre mains entre deux auteurs de deux pays différents afin de mettre en exergue les différences culturelles dont on découvre certains aspects dans une alternance de chapitres qui s'inscrivent dans un genre policier bien évidemment. Pour les éditions précédentes on s'aventurait entre Lyon et Manchester avec Le Steve McQuenn (Points 2024) de Tim Willocks et Cary Ferey, entre la France et l'Allemagne avec Terminus Leipzig (Points 2022) de Jérôme Leroy et Max Annas,  entre la Roumanie et la France avec Le Coffre (Points 2019) de Jacky Schwartmann et Luician-Dragos Bogdan et pour finir entre Barcelone et Lyon avec L'Inconnue Du Port (Points 2023) d'Olivier Truc et Rosa Montero. Pour cette année, ce sont deux grandes figures de la littérature noire, à savoir Michèle Pedinielli et Valério Varesi qui nous ont concocté avec Contrebandiers, une intrigue prenant pour cadre cette région frontalière des Alpes entre la France et l’Italie. La nouvelle est d’autant plus réjouissante qu’à la lecture de leurs œuvres respectives que ce soit la série Boccanera Pour Michèle Pedinielli ou la série Soneri pour Valério Varesi, on perçoit une affinité évidente entre ces deux écrivains engagés, rejaillissant dans cette admiration réciproque qui était manifeste durant le festival Toulouse Polar du Sud où ils étaient tous deux présents en tant que marraine et le parrain de cette édition 2025.

     

    michèle pedinielli,valério varesi,contrebandiers,éditions pointsC'est un peu l'effervescence sur le versant italien des Alpes, avec la découverte du corps sans vie d'un individu que la police identifie rapidement comme étant le nommé Léonardo Morandi, malgré le fait qu'il a été sauvagement défiguré. On signale également dans plusieurs bergeries des environs, des stocks importants de cigarettes de contrebande. Au même moment, du côté français, Suzanne Valadon, une accompagnatrice de montagne chevronnée, retrouve un jeune ressortissant du Burkina Faso complètement frigorifié qui tentait étrangement de retourner en Italie. Tant bien que mal, elle parvient à porter sur son dos le jeune réfugié, à moitié inconscient, pour se rendre au refuge tenu par Fabien. Le garçon aurait-il quelque chose à voir avec le meurtre qui vient de se produire ? De part et d'autre de la frontière, chacun s'évertue à faire la lumière sur ces événements le plus rapidement possible car les premières neiges s'abattent sur la montagne ce qui rend les investigations bien plus périlleuses dans un environnement où les contrebandiers croisent la route des réfugiés ce qui suscite bien des tensions.

     

    Que ce soit dans La Main De Dieu (Agullo 2022) de Valério Varesi ou Après Les Chiens  (Aube noire 2021) de Michèle Pedinielli, il était déjà question de cet environnement montagnard que l'on retrouve donc dans Contrebandiers où apparaissent les thèmes sociaux de la migration ainsi que les aspects peu reluisant de la contrebande, bien éloignée de l'image folklorique que l'on a pu s'en faire avec un personnage comme Farinet que Ramuz a mis en scène dans son roman éponyme. Ce qu'il émane donc d'un récit comme Contrebandiers c'est cette avidité du gain illicite permettant d'améliorer l'ordinaire de certains montagnards d'une région où l'on perçoit quelques aspects du désarroi économique, plus particulièrement en ce qui les exploitations agricoles qui deviennent le paravent d'un trafic international, mondialisation oblige. Et puis il est également question de ces migrants contraints, avec le verrouillage des postes de la frontière, de franchir les cols escarpés de ces montagnes hostiles en affrontant les intempéries pour y laisser parfois la vie tant ils ne sont pas équipés pour y faire face. Là également, on distingue le comportement odieux des passeurs qui n'hésitent pas à exploiter cette détresse humaine pour optimiser le passage périlleux de la marchandise illicite qu'ils font également transiter dans le même temps. Tout cela se décline donc sur cette alternance de chapitres entre deux auteurs que l'on sent véritablement inspirés au gré de cette brève intrigue ponctuée de nombreux personnages qui gravitent dans cette contrée alpestre et d'où émerge des personnalités attachantes comme Suzanne Valadon, une femme de caractère nous rappelant des traits de caractère de Ghjulia Boccanera avec cette humour mordant qui imprègne le texte tandis qu'avec l’adjudant Rapetti et le tenancier du refuge Remo Brusotti on retrouve cette mélancolie propre au commissaire Soneri. Ainsi, si l’enjeu de l’identification du meurtrier demeure primordial avec une enquête compacte et riche en rebondissements, Contrebandiers nous laisse à voir ce caractère engagé de deux romanciers qui s’emploient à mettre en lumière l’âpreté de cet environnement alpin d’où émerge pourtant quelques notes d’espoir et de solidarité au gré d’un texte cohérent et d’excellente facture. 

    Michèle Pedinielli/Valério Varesi : Contrebandiers. Editions Points 2025. Traduit pour la partie italienne par Serge Quadrupanni.

    A lire en écoutant : Torn Inside de Gary Moore. Album : The Power of the Blues. 2004 Orionstar Ltd.

  • LAURENT MAUVIGNIER : HISTOIRE DE LA NUIT. L'EFFACEMENT.

    histoires de la nuit,laurent mauvignier,les éditions de minuitCe qui est amusant avec ces auteurs et ces romancières qui s’aventurent dans les lisières du mauvais genre, ce sont les gesticulations de certains intellectuels du microcosme de la littérature blanche parisienne et des autres régions d’ailleurs, qui vont vous expliquer que celle ou celui qu’ils adulent s’inscrit dans la « grande tradition romanesque » en soulignant le caractère social du texte qui va bien au-delà du "simple" roman policier ou encore pire, du "vulgaire" thriller. Laurent Mauvignier n’échappe pas à ces effets de manche quand bien même l’auteur assume pleinement le registre dans lequel il s’inscrit puisqu’à l’occasion de la sortie de son roman Histoire De La Nuit, on remarquait sa présence en 2021 au festival Toulouse Polar du Sud où il débattait justement sur le thème de la frontière poreuse entre les différents genres littéraires en compagnie de Tiffany Tavernier qui s’est également distinguée dans un registre similaire avec L’Ami (Sabine Wespieser Editeur 2021) dont il faudra également évoquer cette intrigue singulière qui s’articule autour de la personnalité d’un tueur en série en adoptant le point de vue de son voisin qui s’est lié d’amitié avec celui qu’il côtoyait quotidiennement. Et si l'on observe une porosité dans le clivage des genres, il faut souligner que la présence de l'ancien pensionnaire de la Villa Médicis, publié au sein d'une des grandes maisons de l'édition française, n'a rien d'anodin alors que bon nombre d'attachés de presse et d'éditeurs des collections blanches rechignent encore à ce que leurs auteurs fréquentent des festivals dédiés à la littérature noire qui pourraient ternir leur réputation. On en est encore là dans un milieu littéraire qui, paradoxalement, est assez prompt à fustiger les discriminations régissant notre monde. Romancier reconnu, multi récompensé et promis à d'autres nouvelles distinctions à l'occasion de la sortie de son treizième roman, La Maison Vide (Les Editions de Minuit 2025), où l'on retrouve la richesse d'une écriture qui s'étire d'une manière singulière, Laurent Mauvignier semble se passionner pour le théâtre et le mouvement de la mise en scène qui en découle et dont on retrouve toute la quintessence dans Histoires De La Nuit au gré d'une intrigue s'étalant sur un jour et une nuit en prenant pour cadre le hameau perdu d'une région sans nom. Et si d'aventure vous prenez le temps de consulter le site de l'auteur, vous trouverez cette citation de Kafka : « Si un livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? » nous renvoyant à ce thriller magistral où l'on en prend plein la gueule.

     

    histoires de la nuit,laurent mauvignier,les éditions de minuitDu côté de La Bassée, il y a le hameau "des trois filles seules" où vit depuis toujours Bergogne, un éleveur qui a repris le domaine familial tandis que sa femme Marion travaille au sein d'une imprimerie et qu'ils élèvent leur fille Ida fréquentant le lycée de la région. Dans la maison voisine, on trouve Christine, une artiste peinte vieillissante qui a quitté Paris il y a de cela des années pour fuir l'agitation citadine en privilégiant la quiétude que lui offre cette contrée rurale. Mais il y a ces lettres anonymes que l'on dépose désormais devant sa porte, ceci depuis plusieurs semaines et qui l'incite à se rendre à la gendarmerie, accompagnée de Bergogne qui, en bon voisin, lui sert de chauffeur, pour savoir ce qu'il convient de faire. Ce n'est pourtant pas ces événements qui assombriront cette journée davantage dédiée aux préparatifs de l'anniversaire de Marion qui fête ses quarante ans. Et tandis que chacun vaque à ses occupations, il y a ces inconnus qui rôdent autour du hameau. Que peuvent-ils bien vouloir ?

     

    A une époque normée, calibrée, où la phrase doit être aussi brève que le chapitre, il convient de souligner que Laurent Mauvignier détonne radicalement dans ce marasme littéraire où l'escroquerie des grands groupes éditoriaux consiste à parier sur un pseudo manque d'intelligence des lecteurs tout en se réclamant d'un courant populaire destiné au plus grand nombre. Alors oui, il faut dompter la langue de Laurent Mauvignier, se l'accaparer et se laisser entraîner dans la sinuosité d'une longue scansion magistrale où chaque mot compte pour décortiquer par le menu détail cette journée et cette soirée sous haute tension s'étalant sur plus de 600 pages que l'on se prend à faire défiler à une allure vertigineuse, pour découvrir ce qu'il va advenir de Bergogne, Marion, Ida et Christine confrontés à la venue d'individus inquiétants qui semblent vouloir que l'on leur rendent compte de  certains événements du passé. Si la phrase s'étire dans une sorte d'outrance savoureuse, il faut bien prendre conscience qu'elle n'est pas faite pour faire joli mais qu'elle se met au service du récit avec cette sensation d'examiner la pellicule d'un long plan séquence qui survole chacun des protagonistes en captant certains aspects les plus intimes de leur vie dont les révélations vont alimenter une intrigue prenant effectivement l'allure d'un thriller se révélant paradoxalement à l'antithèse des codes d'écriture propre au genre. A partir de là, on parlera bien d'une mise en scène extrêmement travaillée qui s'articule autour de cette confrontation dont l'enjeu consiste à savoir auprès de qui elle s'adresse véritablement et qu'elles en sont les raisons qui vont nous être révélées au gré de scènes d'une impressionnante intensité qui s'inscrivent pourtant dans toute leur simplicité et, ce qui importe le plus, dans tout le réalisme de parcours de vies ordinaires qui se fissurent peu à peu à mesure que l'on progresse dans cette journée basculant dans la noirceur de la nuit pour s'achever sur une scène remarquable oscillant dans cet équilibre subtil de violence et de tragédie. Mais Histoires De La Nuit, c'est également une étude de caractère extrêmement fouillée où émerge, en côtoyant chacun des personnages, des thèmes comme la précarité des conditions rurales dans le domaine de l'agriculture avec Bergogne, le harcèlement au travail avec Marion, tandis qu'avec Christine il s'agira de prendre la mesure du rapport à l'art et de son aspect trépident auquel on peut vouloir se soustraire alors qu'avec Ida on explorera cette peur primaire qui nous habite en se diluant sur l'ensemble des protagonistes pour alimenter cette oppression qui imprègne ce roman d'une intensité remarquable dont on se réjouit de découvrir l'adaptation au cinéma pour une sortie prévue en 2026 avec Léa Mysius à la réalisation et Hafsia Herzi, Bastien Bouillon, Monica Bellucci ainsi que Benoît Magimel au casting. Ainsi, Histoires De La Nuit se révèle donc être une véritable  démonstration époustouflante de ce qui peut se faire de mieux dans le domaine du thriller où se conjugue la grâce d'une écriture onduleuse qui nous ensorcelle afin de nous entraîner dans le coeur et la beauté d'un récit d'une noirceur à la fois troublante et époustouflante qui nous laisse sans voix.


     

    Laurent Mauvignier : Histoires De La Nuit. Les Editions de Minuit 2020.

    A lire en écoutant : Suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach interprétées par Anne Gastinel. Album : 6 Suites Pour Violoncelle. 2008 naïve.

     

  • Benjamin Dierstein : L'Etendard Sanglant Est Levé. Faut qu'ça saigne.

    benjamin dierstein,l’étendard sanglant est levé,éditions flammarion

    Service de presse.

    Même si l'équipe marketing de la maison d'éditions hurlera de désespoir, il ne faut pas compter pouvoir entamer ce pavé de plus de 900 pages sans avoir digéré les 763 feuillets de l'ouvrage précédent, composant ce qui apparaît comme une trilogie à venir de cette fresque dantesque du déclin du règne de Giscard de la fin des années 70 à l'avènement de l'ère de Mitterand des années 80 et de l’ensemble des affaires troubles qui jalonnent cette période. Mais que l'on ne s'inquiète pas trop car avec Benjamin Dierstein, la lecture file à une allure proche de la vitesse de la lumière lorsque l'on se plonge dans Bleus, Blancs, Rouges (Flammarion 2025) paru au début de l'année 2025, en allant à la rencontre de Jackie Lienard et de Marco Paolini, deux flics novices que tout oppose, tout en croisant également la route du brigadier Jean-Louis Gouvernnec, infiltré dans les groupuscules gauchistes proches d'Action directe et du mercenaire Robert Vauthier qui fraye avec les officines de droite en montant des coups tant en Afrique que dans le milieu des nuits parisiennes. Et c'est autour de ces quatre destins que la fiction s'agrège à la succession d'événements historiques ponctuant cette époque chaotique dans un jeu habile de fiction et de réalité prenant l'allure d'une intrigue policière survoltée s'entremêlant à ce qui se révèle être une espèce de jeu de pouvoir politique cruelle où la raison d'état légitime les actions les plus infâmes. Avec une aisance assez déconcertante, le lecteur va donc retrouver tout cela dans L'Etendard Sanglant Est Levé qui, après une brève incursion en 1965, nous embarque dans ce moment de bascule entre 1980 et 1982, de la campagne présidentielle à la prise de pouvoir des socialistes en bousculant la destinée de ce quatuor de flics et de barbouze toujours en quête de ce trafiquant d'arme qui alimente tous les réseaux des groupuscules révolutionnaire qui sévissent tant en France que dans le reste du monde. 

     


    benjamin dierstein,l’étendard sanglant est levé,éditions flammarionEn janvier 1980, c'est le marasme en France qui s'enfonce dans la crise économique en disant adieu aux trente glorieuses tandis que tous les services de police sont focalisés sur la traque des membres des groupuscules révolutionnaires qui sévissent dans le pays. Désormais infiltré dans le noyau dure d'Action Directe, le brigadier Jean-Louis Gouvernnec tente d'approcher Geronimo, ce marchand d'arme formé par les libyens et qui alimente tous les réseaux terroristes d'extrême gauche. C'est Jacquie Lienard, son officier traitant au RG qui est à la manoeuvre tandis que Marco Paolini, jeune flic intrépide de la BRI, tente également de soustraire tous les renseignements possibles pour localiser et identifier le mystérieux trafiquant d'arme. Mais tandis que la campagne présidentiel bat son plein, les deux inspecteurs vont devoir également compter avec Robert Vauthier, mercenaire de son état reconverti dans le milieu de proxénétisme et qui enflamme le monde de la nuit parisienne et de la jet set avec son dancing ultra sélect servant de couverture pour ses trafics destinés à alimenter l'armée de barbouzes sévissant au Tchad afin de traquer Geronimo qui a ses entrées auprès de la dictature de Kadhafi en pleine ébullition. Mais les événements vont prendre une autre tournure lorsque le terroriste Carlos débarque en France bien décider à imposer sa loi par tous les moyens en entraînant Jacquie Lienard, Jean-Louis Gourvennec, Marco Paolini et Roger Vauthier dans un univers impitoyable de violence et de corruption qui sévit jusqu'au plus haute instance d'un état de droit qui n'en a plus que le nom. 

     

    On retourne donc au charbon avec ce quatuor d'individus écorchés vifs que l'on accompagne avec une certaine fébrilité dans cet amoncellement d'affaires troubles qui marquent cette période à la fois explosive et porteuse d'espoir, mais dont on connaît déjà l'immense déception qu'elle va engendrer par la suite avec l'avènement d'un président Mitterand à la personnalité complexe qui s'ingénie dans les manoeuvres machiavéliques accompagné en cela de son bras droit, François de Grossouvre qui apparaît tout au long de cette intrigue se révélant encore plus dantesque que la précédente. C'est dans cette atmosphère fiévreuse que Benjamin Dierstein nous entraîne au gré d'un récit d'une grande tenue qui transcende ce schéma narratif si cher à James Ellroy avec ces encarts de titres de la presse de l'époque, ces extraits d'écoutes téléphoniques et ces retranscriptions de procès-verbaux, prémisses des intrigues dans lesquelles il va mettre en scène les quatre personnages fictifs qui vont alimenter la perspective des événements historiques de cette époque foisonnante où l'on croise, outre les politiques et autres hauts fonctionnaires de police, toute une galerie de personnalité de la jet set que ce soit Alain Delon, Thierry Ardisson, Jean-Paul Belmondo, Mireille Dara, Serge Gainsbourg et Jane Birkin pour n'en citer que quelques unes. Mais avec la tuerie d'Auriol ou l'attentat de la rue Marbeuf, ce sont également des individus inquiétants qui apparaissent dans les dédales de cette fresque historique, tels que Carlos, Jean-Marc Rouillan et Nathalie Mérnigon, Pierre Debizet et Jacques Massié ainsi que la cohorte de d'individus de la pègre qui vont s'entredéchirer dans des règlements de compte explosifs donnant tout son sens à ce titre du roman, L'Etendard Sanglant Est Levé. Tout cela, Benjamin Dierstein le décline avec cette habilité qui le caractérise désormais, au rythme d'une écriture serrée d'où émerge toute cette tension permanente alimentant un texte de haute tenue que l'on s'accaparera littéralement avec une certaine fébrilité à mesure que l'on progresse dans cet ensemble d'intrigues parallèles toutes aussi passionnantes les unes que les autres tout en guettant ces instants explosifs où le récit va basculer dans un déchainement d'une violence sans égale. Et puis, il faut bien admettre que l'on demeure assez impressionné par cette capacité de l'auteur à digérer une documentation conséquente qu'il restitue avec cette aisance saisissante, dans le cours d'une fiction qui se conjugue parfaitement avec les événements historiques qui prennent un tout autre éclairage, ce d'autant plus avec l'actualité du présent où un ancien président de la République vient d'être condamné pour des faits d'association de malfaiteur en lien avec des financements libyens. Autant dire que L'Etendard Sanglant Est Levé tient donc toutes ses promesses amorcées avec le premier volume et que l'on attend avec une impatience fiévreuse, le troisième ouvrage, dont on sait déjà qu'il s'intitulera 14 Juillet et qu'il paraîtra au mois de janvier 2026. 

     

     

    Benjamin Dierstein : L'Etendard Sanglant Est Levé. Editions Flammarion 2025.

    A lire en écoutant : Traffic de Bernard Lavilliers. Album : Métamorphose. 2023 Barclay.

  • Frédéric Paulin : Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière. Samedi soir à Beyrouth.

    frédéric paulin,que s’obscurcissent les soleil et la terre,éditions agullo

    Service de presse.

    On ne sait plus trop quoi dire à son sujet, tant l'on a décliné de superlatifs élogieux pour encenser cette seconde trilogie trouvant sa conclusion dans la fusion des couvertures des deux précédents ouvrages où la sublime mosaïque orientale se décline désormais sur la palette des trois couleurs du drapeau du Liban tandis que le silhouette emblématique du cèdre s'imprègne d'une teinte sanguinolente lourde de sens. Avec Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière, Frédéric Paulin achève donc de manière magistrale, cette fresque de la guerre civile du Liban qu'il entamait il y a de cela une année avec Nul Autre Ennemi Que Mon Frère (Agullo 2024) s'articulant autour des origines de ce conflit fratricide tandis que l'on en découvrait toute son ampleur dans Rares Ceux Qui Echappèrent A La Guerre (Agullo 2025) où les attentats et les prises d'otage se succèdent en prenant une dimension internationale. Pour les frileux qui n'oseraient aborder cet ensemble de textes magistrales, tant pour des raison pécuniaires que pour des motifs plus abscons de thèmes obscurs et peu compréhensibles, on signalera tout d'abord que le premier volume est désormais disponible en version poche chez Folio policier et que loin d'être ardue, Frédéric Paulin déploie une intrigue solide où les faits historiques s'entremêlent à une fiction dynamique qui nous éclaire d'une manière à la fois sobre et convaincante sur les entournures d'un conflit aux ramifications complexes. Ainsi, au terme de Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière, on prendra la mesure des différents enjeux qui animent l'ensemble de cette région du Moyen-Orient et des conflits qui perdurent en s'inscrivant désormais dans la terrible actualité d'une autre guerre qui déciment les populations. Autant dire que la trilogie libanaise de Frédéric Paulin a valeur de document dans ce qui apparaît comme une guerre civile où seule l'amertume subsiste en résonnant comme une tragique défaite s'inscrivant dans le parcours de chacun des personnages d'un récit éblouissant.

     

    frédéric paulin,que s’obscurcissent les soleil et la terre,éditions agulloA la fin de l'année 1986, ce sont les attentats ravageant Paris qui rythment la vie du commissaire Nicolas Caillaux et de sa femme la juge d'instruction Sandra Gagliaco qui découvrent peu à peu que s'il faut retrouver rapidement les coupables pour calmer l'opinion publique, c'est désormais la raison d'état qui prévaudra sur la vérité en privilégiant l'improbable piste Abdallah afin de ménager les susceptibilités du gouvernement iranien se livrant désormais à une guerre ouverte des ambassades à laquelle la France ne compte pas céder. De son côté, le député Michel Nada ä fort à faire dans les négociations obscures pour la libération des otages français détenus depuis plusieurs années au Liban alors que Chirac et Mitterand se livrent à une course cynique pour s'en attribuer le mérite en vue des élections présidentielles de 1988. A Beyrouth, l'ancien attaché d'ambassade Philippe Kellermann constate avec amertume que la guerre reprend de plus belle avec des luttes fratricides au sein des milices chrétiennes mais également au sein des factions chiites conduisant à la formation de deux gouvernements que tout oppose. De toute manière pour Kellerman, seul compte le devenir de Zia, cette femme Chiite affiliée au Hezbollah, qui l'ensorcelle. Il n'y a donc plus d'avenir dans ce pays à feu et à sang où Dixneuf, ancien agent des service secrets, va régler ses comptes en comptant sur l'appui d'un allié inattendu. Il n’est d’ailleurs pas le seul à vouloir en finir avec toute cette folie dans une ultime déflagration de violence destructrice.

     

    Immanquablement, au terme de cette série de trois romans aux titres évocateurs, se pose la question de savoir sur quel sujet Frédéric Paulin va-t-il se pencher et sur sa capacité à faire aussi bien, si ce n'est mieux que la trilogie Benlazar et cette trilogie libanaise s'achevant dans ce qui apparaît comme un récit magistral qui vous coupe le souffle. Il faut dire que l'on a accompagné durant une année cette galerie de personnages déchirés par les événements tragiques de ce conflit qui marquent leurs vies respectives et auxquels l'on s'est attaché en dépit de cette vertigineuse perte de repère les entraînant, pour la plupart d'entre eux, dans une spirale de violence incontrôlable. Avec Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière, on découvre donc les enjeux politiques autour des otages français détenus au Liban ainsi que les soubassements de  cette guerre des ambassades entre la France et l'Iran en lien avec l'affaire Wahid Gordji mettant en perspective les entrelacs d'un pouvoir judiciaire malmené par la raison d'état qui s'invite au sein d'une procédure complexe visant ä faire la lumière sur les véritables commanditaires de la série d'attentats à Paris, dont celui de la rue de Rennes, durant la période entre 1985 et 1986. Et c'est autour de chacun de ses personnages fictifs, qu'il soit juge, policier, diplomate ou membre des milices libanaises, que Frédéric Paulin projette ce contexte historique dans ce qui apparaît comme un agrégat vertigineux de réalité et de fiction nous permettant de saisir toute la complexité des enjeux géopolitique de cette guerre du Liban dont il nous livre toutes les bassesses en compromissions au terme d'une intrigue extrêmement sombre, chargée d'amertume. Mais l'autre enjeu de Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière, consiste bien évidemment à connaitre le devenir de ces individus marquants et tourmentés que sont la juge Sandra Gagliaco et son compagnon le commissaire Nicolas Caillaux, l'attaché d'ambassade Phillipe Kellermann, le commandant Dixneuf, la milicienne chiite Zia al-Faqîh et son chef Abdul Rasool al-Amine ainsi que le député Michel Nada dont les destinées se fracassent dans un entrelacs de confrontations saisissantes. Tout cela se décline au gré d'un texte à la fois sobre et rythmé permettant de digérer la chaos de cette guerre du Liban que Frédéric Paulin restitue à la hauteur de ces femmes et de ces hommes qui nous marqueront à tout jamais. Un roman prodigieux.

     

    Frédéric Paulin : Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière. Editions Agullo 2025.

    A lire en écoutant : Samedi soir à Beyrouth de Bernard Lavillier. Album : Samedi soir à Beyrouth. 2008 Barclay.