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  • COLIN NIEL : WALLACE. FORET CHIMERIQUE.

    Wallace, Colin Niel, éditions du rouergueC'est en s'aventurant sur le terrain de la forêt amazonienne et plus particulièrement celle de la Guyane française, que cet ancien ingénieur des eaux et forêts s'est fait connaître en lançant une série de romans policiers mettant en scène le capitaine André Anato, un gendarme noir-marron en quête de ses origines guyanaises et dont on suit les enquêtes débutant avec Les Hamacs De Carton (Rouergue/Noir 2012)  où il est justement question d'identité, puis se poursuivant au cœur de la jungle avec Ce Qui Reste En Forêt (Rouergue noir 2013) tandis que Obia (Rouergue noir 2015) prenait une allure un peu plus mystique alors que Sur Le Ciel Effondré (Rouergue noir 2015) nous permettait de nous immerger au sein du peuple Wayana, une communauté autochtone vivant sur les rives du fleuve Maroni.  Si le genre policier convient parfaitement à Colin Niel, il n'est pas en reste lorsqu'il se lance dans le roman noir où l'on découvre l'aspect rural de la région des Grandes Causse avec Seules les Bêtes (Rouergue noir 2017), dont l'adaptation au cinéma par le réalisateur Dominik Moll a connu un succès retentissant. Adoptant une nouvelle fois les codes du roman noir, avec une alternance entre le massif pyrénéen et les contrées sauvages de la Namibie, les thèmes de la faune et de la nature demeurent omniprésents avec Entre Fauves (Rouergue noir 2020) où l'intrigue s'articule également autour du délicat sujet de la chasse. Et puis il y a Darwyne (Rouergue noir 2022) roman aux connotations à la fois sociales et fantastiques avec lequel Colin Niel nous entraîne une nouvelle fois en Guyane au gré du parcours singulier d'un petit garçon partagé entre l'amour de sa mère qui le rejette et sa fascination pour la forêt amazonienne. C'est peu dire que l'on avait été marqué par cette intrigue à la fois sombre et poignante où le rapport à la magie nous offrait une toute autre vision de l'environnement forestier, en allant à la rencontre de créatures issues des contes et légendes de la région. Cet aspect chimérique de la faune et de la flore de la Guyane, on va le retrouver avec Wallace qui prend l'allure d'une suite, sans en être vraiment une, puisque l'on retrouve bon nombre des protagonistes principaux de Darwyne, dix ans après les péripéties de ce précédent récit. A l'occasion de la sortie de ce nouveau roman, il ne faudra pas manquer d'aller à la rencontre de Colin Niel qui sera présent lors du festival Le Livre Sur Les Quais se déroulant sur les bords du lac Léman à Morges.

     

    Au service social de la protection de l'enfance d’une ville de Guyanne, on peut toujours compter sur les compétences de Mathurine qui s'investit corps et âme dans son travail d’assistante sociale tout en élevant seule son fils Wallace, âgé de neuf ans. Passionné de jeux vidéo, le jeune garçon ne comprend pas l'intérêt que sa mère porte à tout ce qui a trait à cette forêt si dense qu'elle fait presque peur, tant et si bien que les relations deviennent de plus en plus tendues, ce d'autant plus que Mathurine est encore bouleversée par la mort d'une jeune fille placée en famille d'accueil et que l'on a retrouvé noyée dans le lit d’une rivière. Et lorsque le père de l'enfant décédée confie à l'assistante sociale avoir vu une étrange apparition à la lisière de cette jungle qu'il connaît bien, il y a les souvenirs qui remontent à la surface. Ceux de ce petit garçon qu'elle a croisé il y a de cela bien des années et dont elle est persuadée qu'il n'a pas pu disparaître au cœur de cette forêt qu'il affectionnait tant et dans laquelle il évoluait comme s'il était chez lui.

     

    On appréciera tout d'abord cette superbe couverture colorée de Wallace illustrant parfaitement le thème de cette nature luxuriante à laquelle se mêlent quelques créatures légendaires de la forêt amazonienne que l'on avait déjà croisées lors de la lecture de Darwyne, tout en notant que ce récit n'intègre plus la collection noire des éditions du Rouergue, ce qui n'enlève rien à ses qualités, bien au contraire puisque l'on retrouve cette construction narrative chargée en tension, caractéristique intrinsèque de l'auteur qui sait également jouer avec les émotions. Avec Wallace, Colin Niel se concentre principalement autour du personnage de Mathurine qui a bien évidemment évolué avec le temps, ce d'autant plus qu'elle a donné naissance à l'enfant qu'elle désirait tant et qu'elle élève seule du mieux qu'elle le peut. On observera les rapports complexes qu'elle entretient avec son fils dont on adopte également le point de vue au rythme de l'alternance des chapitres qui se concentrent également sur le personnage de Tiburce, ce père meurtri par la perte de sa fille et qui veut en faire porter la responsabilité sur quelqu'un d'autre que lui car il ne peut supporter un tel poids sur ses épaules. Ainsi, Colin Niel dépeint habilement la difficulté des rapports entres parents et enfants, du manque qui peut en découler parfois, de l'incompréhension générant colère et frustration et surtout de cet amour qui déborde mais que l'on ne sait pas toujours formuler de manière correcte. Et puis en arrière-plan, à la lisière du parcours chaotique de ces trois protagonistes, il y a la personnalité de Darwyne qui plane sur l'ensemble de l'intrigue où l'enjeu consiste à déterminer si cet enfant d'autrefois a vraiment existé en endossant les aspects du Maskilili, ce petit être issu du folklore guyanais dont les pieds retournés lui permettent d'égarer dans la forêt ceux qui se seraient mis en tête de le suivre. A partir de là, le récit bascule dans une dimension fantastique tout en maîtrise car elle oscille sur un certain réalisme en nous permettant de découvrir d'autres créatures étranges, issues de cette forêt primaire dont on dit qu'une partie de la faune et de la flore n'a pas encore été répertoriée et qui recèle donc quelques secrets dont l'homme n'a pas encore eu accès et qu'il convient sans doute de préserver. Mais au-delà de l'égarement dont il est question, le passage dans la forêt prend l'allure d'un voyage initiatique permettant à Mathurine, Wallace et Tiburce de retrouver un certain sens dans leur vie et peut être de dégager ce qui parait essentiel, à savoir cet amour qu'ils gardaient en eux, par crainte de faiblesse ou de maladresse. Mais plutôt que d'apparaître comme une évidence, Colin Niel joue avec l'incertitude et la peur générant cette fameuse tension émanant d'un texte prenant et tout en émotion, ceci jusqu'au terme d'un récit séduisant qui sort de l'ordinaire tout en appréciant ces petits clins d'oeil, pour les connaisseurs, à Obia, troisième opus des enquêtes du capitaine Anato, dont on découvre le devenir de l'entourage de certains de ses protagonistes. Ainsi, c’est tout l’univers de la Guyane que l’on découvre encore une fois, sans d’ailleurs que la région soit explicitement évoquée, ce qui confère à Wallace un caractère universel, tant dans les domaines sociaux qu’environnementaux tout en s’agrégeant dans le substrat foisonnant des légendes au gré d’une intrigue habile qui ne manquera pas de bouleverser les lecteurs qui vont s’aventurer dans monde à nul autre pareil.

     

    Colin Niel : Wallace. Editions du Rouergue 2024.

    A lire en écoutant : Ti Péyi-a de Saïna Manotte. Album : Poupée Kréyol.2018 Saïna Manotte.

  • DOMINIC NOLAN : VINE STREET. LE QUARTIER DES RADEUSES.

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    Service de presse.

     

    On ne sait pas grand-chose au sujet du parcours de Dominic Nolan, si ce n'est qu'en se référant à sa biographie établie par l'association du festival Quais du Polar, auquel il était présent d'ailleurs, on comprend, qu'au-delà de l'humour imprégnant le texte, l'auteur semble s'être concentré sur une carrière de romancier pour échapper aux contraintes d'une vie professionnelle peu reluisante. Né à Londres où il vit toujours, on entend parler de Dominic Nolan en 2019 avec la parution de son premier roman Past Life mettant en scène la détective Abigail Boone que l'on retrouve dans After Dark, second opus de la série qui est paru en 2020. Si les deux ouvrages aux allures de thriller paraissent avoir bénéficié de bonnes critiques dans les régions anglo-saxonnes, ceux-ci n'ont jamais été traduits en français ce qui n'est pas le cas de Vine Street, troisième roman de Dominic Nolan encensé notamment par la rédaction du Sunday Times qui l'a élu parmi les meilleurs romans policiers de l'année 2022. Publié chez Rivages/Noir, on pense immédiatement à David Peace ou James Ellroy, auteurs emblématiques de la collection, pour ce polar historique, extrêmement sombre, au souffle puissant et à l'envergure peu commune se déroulant dans le quartier populaire de Soho, ceci sur plusieurs décennies dont les années trente et la période du Blitz pour trouver une conclusion durant les sixties avant de s'achever sur un ultime retournement de situation au tout début du deuxième millénaire. 

     

    En 1935, dans le quartier de Westminster à Londres, c'est à Vine Street que se situe le plus grand poste de la City, non loin de Soho où jazzmen et truands côtoient prostituées et danseuses évoluant dans les clubs plus ou moins clandestins de ce secteur que Leon Geats connaît très bien. Travaillant au sein de la brigade des Mœurs & Night-clubs, ce flic solitaire et ombrageux a remisé le code de déontologie au fond d'un tiroir en instaurant ainsi sa propre vision de la loi et de l'ordre pour régir toute cette population hétérogène parcourant les rues tantôt glauques, tantôt animées de ce quartier populaire. Mais si sa morale peut être sujette à caution, Leon Geats n'en demeure pas moins proche de ces femmes et des ces hommes de la rue et s'intéresse plus particulièrement aux circonstances de la mort de l'une d'entre elle que l'on a retrouvée dans un appartement situé au-dessus d'un club d'Archer Street. S'agissant d'une asphalteuse, les inspecteurs de la Criminelle s'empressent de classer l'affaire. Mais à la découverte d'une seconde victime, Leon Geats entame une longue traque incertaine en collaborant avec Marc Cassar, un collègue de la Brigade Volante et de Billie, une des rares officières de police parvenant à se fondre dans le décor de ce quartier chaud, afin de confondre un tueur aussi sadique qu'insaisissable que l'on surnomme "Le Brigadier".

     

    On connaît la triste réalité quant à la durée d'un livre au regard de ces publications pléthoriques encombrant le paysage littéraire, ce qui explique peut-être le fait que le roman de Dominic Nolan semble passer sous le radar des médias à l'exception d'un article dans l'hebdomadaire Le Point à l'occasion de sa sélection finale pour le prix "Le Point" du polar européen qui a finalement couronné un autre ouvrage. Véritable biopsie d'un quartier emblématique de Londres, Vine Street nous éloigne pourtant des clichés navrants entourant les caractéristiques du tueur en série sadique, pour se pencher, avec une redoutable intelligence, sur le climat d'une époque révolue, au rythme d'une enquête de longue haleine nous dispensant ainsi de cette grotesque et irréaliste résolution en quelques jours par le sempiternelle enquêteur aguerri ou l'habituelle profileuse éclairée, toujours en proie à des démons intérieurs, que l'on retrouve dans la myriade de thrillers aussi ineptes que redondants. Ainsi, en souhaitant sortir de ces schémas narratifs éculés, il faut s'emparer de Vine Street pour se plonger dans la richesse de cette atmosphère électrique de Soho où évolue ce petit peuple de la rue dont on découvre les multiples facettes au gré des rencontres d'un flic de quartier au profil aussi détonnant qu'attachant.  L'intrigue s'articule donc autour de ce policier frayant avec la pègre et plus particulièrement dans le milieu de la prostitution au sein d'un poste de police où la corruption semble être la norme. On apprécie le caractère ambivalent de cet individu connaissant parfaitement les rouages du milieu ainsi que toute les strates de la population qui le compose. Paradoxalement, c'est son attachement à ces filles de la rue ainsi qu'à un sans-abri, vétéran de la Première guerre mondiale, qui vont le pousser à traquer durant plusieurs décennie un tueur dont les premiers actes trouvent leurs origines dans un contexte d'espionnage propre à cette période trouble de la fin des années trente où le renseignement devient l'enjeu majeur des gouvernements s'apprêtant à entrer en guerre. Sur des registres à la fois sociaux et criminels, Dominic Nolan nous entraine donc dans une configuration complexe, nécessitant une attention soutenue qui sera récompensée au gré d'une intrigue aux révélations fracassantes et surprenantes dont certaines d'entres elles se jouent sur cette narration habile entre les différentes périodes dont on découvre les méandres au fil de longues analepses aux allures de fresques historiques et plus particulièrement avec le regard de Billie et de Marc, deux personnages secondaires mais essentiels du roman nous permettant de prendre la mesure de la place faite aux femmes dans l'univers masculiniste de la police, mais également du poids du regard que l'on porte sur ces policiers se livrant à des actes homosexuels alors prohibés à l'époque. L'ensemble se décline ainsi dans une atmosphère extrêmement glauque rappelant les romans de Robin Cook, au détour de l'ambiance délétère du Soho des années trente prenant une allure beaucoup plus tragique durant Le Blitz pour se transporter dans un environnement encore plus sordide lorsque l'on arpente les garnis de Birmingham en 1963. Tout cela se met en place patiemment sur près de 700 pages, dans un bel équilibre où l'intrigue prenante en permanence ne cède pourtant jamais à une quelconque névrose propre au genre, adepte de ces détestables narrations rythmées jusqu'à l'excès, pour faire de Vine Street un roman d'une redoutable intensité qui foudroiera et comblera les lecteurs les plus exigeants.

     

    Dominic Nolan : Vine Street. Editions Rivages/Noir 2024. Traduit de l'anglais par Bernard Turle.

    A lire en écoutant : Bei Mir Bist Du Schoen de The Andrews Sisters. Album : The Andrews Sisters – World Broadcast Recordings. 2023 Circle Records.

  • COLIN NIEL : DARWYNE. SORTILEGES DE LA FORET.

    colin niel, darwyne, éditions du rouergueOn connaît Colin Niel avec sa série de romans policiers se déroulant dans le département de la Guyane française en mettant en scène les enquêtes du capitaine Anato et dont le dernier récit, Sur Le Ciel Effondré (Rouergue Noir 2018) avait marqué critiques et lecteurs conquis par ce personnage central aux origines Noirs Marrons sortant de l'ordinaire. Mais Colin Niel s'est également distingué avec des romans noirs à l'instar de Seules Les Bêtes (Rouergue Noir 2017) superbement adapté au cinéma par Dominik Moll et Entre Fauves (Rouergue Noir 2020) dont l'intrigue se déroulait entre les Pyrénées et la Namibie. Outre le télescopage des destins qui anime ses intrigues, l'auteur prend soin d'évoquer, sans jamais être pesant, l'aspect de la thématique de l'écologie émergeant de textes nous entraînant dans des contrées méconnues. De retour en Guyane française, Colin Niel délaissera pourtant le capitane Anato pour nous inviter à découvrir Darwyne, un petit garçon à la personnalité ensorcelante qui semble faire communion avec la forêt environnante qui prend, un nouvelle fois, une place centrale dans ce récit aux accents fantastiques. 

     

    En Guyane française, le bidonville de Bois Sec gagne toujours un peu plus de terrain sur la forêt environnante. C'est donc à l'orée de cette jungle que vit Darwyne Massily, un jeune garçon de dix ans qui doit composer avec un handicap au niveau des pieds suscitant les moqueries de ses camarades qu'il évite soigneusement. Ainsi isolé, il se tourne vers sa mère Yolanda, une femme au caractère fort et d'une beauté à nulle autre pareille qui subjugue les hommes composant la longue liste de beaux-pères perturbant l'existence du jeune garçon en s'installant dans leur petit carbet. Le dernier en date est un colosse se prénommant Johnson qui n'hésite pas à malmener Darwyne. C'est ainsi que surgit Mathurine, une assistante sociale de la protection de l'enfance  à qui l'on a confié un signalement concernant le garçon. Elle succède à une collègue qui a définitivement quitté la région après une première évaluation dont les conclusions apportent davantage de questions que de réponses. 

     

    L'histoire s'articule autour de deux personnages que sont bien évidemment Darwyne qui recherche obstinément l'affection de sa mère Yolanda aussi belle que forte de caractère, mais paraissant éprouver quelques révulsions à l'égard de son fils. L'autre aspect de l'intrigue s'intéresse au parcours de Mathurine, cette femme célibataire qui souhaite avoir un enfant à tout prix en tentant des démarches auprès de médecins spécialisés dans le domaine de procréation assistée. Avec Mathurine c'est l'occasion de voir les difficultés des service sociaux en Guyane et plus particulièrement de la protection de l'enfance mise à mal par la multitude de dossiers en cours, ceci plus particulièrement dans les bidonvilles où la vie est particulièrement difficile comme le dépeint Colin Niel avec beaucoup de justesse par l'entremise de la relation ambivalente entre Yolanda et Darwyne qui survivent tant bien que mal dans leur petit carbet à proximité de la forêt. On apprécie cette écriture expressive mettant en relief le quotidien d'une population précaire en s'intéressant plus particulièrement à ce petit garçon attachant qui semble nouer un rapport complexe avec la forêt. Un endroit prenant, nous permettant de percevoir sa dimension toute particulière à mesure que l'on progresse dans un récit à la fois envoûtant et fantastique où l'auteur exploite d'une manière très mesurée l'aspect des contes et des traditions qui émane de la densité de cette forêt guyanaise devenant l’enjeu principal du roman. L'ensemble nous offre ainsi une intrigue intelligemment construite autour de personnages très réalistes qui vont évoluer dans un registre surprenant qui fonctionne pourtant parfaitement au terme d'un récit trop bref pouvant susciter quelques frustrations tant l'on a apprécié ce roman confirmant tout le talent de Colin Niel pour nous immerger dans des lieux à la beauté improbable qui nous font parfois frémir.

     

    Colin Niel : Darwyne. Editions du Rouergue/Noir 2022.

     

    A lire en écoutant : Démons de Angèle et Damso. Album : Nonante-Cinq La Suite. 2022 Angèle Vl Records.

  • KRIS NELSCOTT : BLANC SUR NOIR. SUR LE FIL DU RASOIR.

    Capture d’écran 2020-12-18 à 12.19.58.pngLes éditions de l’Aube ont eu l’excellente idée de remettre au goût du jour la série de romans policiers mettant en scène le détective privé Smokey Dalton dont on ne trouvait les ouvrages qu’en format poche. C’est donc l’occasion de découvrir cet enquêteur afro-américain dont les enquêtes se déroulent à Chicago durant la période des années soixante alors que les Etats-Unis entament de profondes réformes issues de l’intense lutte pour l’obtention des droits civiques au bénéfice de la communauté afro américaine, mouvement dont plusieurs leaders trouvèrent la mort qui déclenchèrent des émeutes sanglantes. C’est d’ailleurs autour des événements entourant l’assassinat de Martin Luther King que débute la série avec La Route De Tous Les Dangers où Smokey Dalton prend en charge Jimmy, un petit garçon témoin du meurtre de l’emblématique pasteur. Fuyant le FBI et trouvant refuge à Chicago, on retrouve Smokey Dalton dans A Couper Au Couteau dont l’intrigue se focalise autour de la période de la fameuse convention des Démocrates de 1968 qui fut le théâtre d’une émeute sévèrement réprimée par la police de Chicago. Tout comme les deux romans précédents qu’il est recommandé de lire avant d’entamer ce troisième opus, on croise donc, dans Blanc Sur Noir, quelques personnages historiques à l’instar de Fred Hampton, responsable du Black Panther Party à Chicago, alors que Smokey Dalton enquête sur la mort d’un dentiste dont on a retrouvé le cadavre dans un parc public de la ville.

     

    Désormais installé à Chicago, Smokey Dalton se fait connaître en rendant de multiples services à la communauté noire de son quartier. Détective privé à son compte, sa réputation est arrivée aux oreilles de Madame Foster qui veut savoir ce qu’il s’est réellement produit dans le parc Washington où son mari a trouvé la mort, victime d’un coup de poignard. Pour la police, l’affaire est passée aux oubliettes en estimant qu’il ‘s’agit tout simplement d’un règlement de compte entre bandes rivales et que la mort d’un afro américain ne vaut pas la peine que l’on fournisse des efforts afin d'identifier le meurtrier. Mais Smokey Dalton doute fortement que ce dentiste à la vie rangée puisse avoir fait l’objet d’une agression liée à un gang, ceci d’autant plus lorsqu’il découvre des similarités dans plusieurs affaires de meurtres qui n’ont jamais été résolues. Se pourrait-il qu’il y ait un lien avec ce nouveau phénomène où des personnes de couleur nouvellement enrichies s’installent dans des quartiers plus aisés et plus sûrs dont la plupart des résident sont blancs ? Se pourrait-il que l’un ou plusieurs de ces résidents aient fixés des limites qu’il ne faut pas franchir ? Smokey Dalton va avoir bien du mal à enquêter dans un quartier où un noir rôdant dans les environs n'est pas le bienvenu, surtout lorsqu’il est détective et qu’il se mêle de ce qui ne le regarde pas.

     

    Avec Blanc Sur Noir, Kris Nelscott s’éloigne des événements majeurs qui ont entouré le mouvement afro-américain des droits civiques pour se focaliser sur le quotidien d’un ghetto noir gangréné par les gangs. On observe ainsi la difficulté des rapports entre parents désemparés et jeunes qui intègrent, plus ou moins de gré ou de force, des gangs prenant le prétexte de la lutte pour les droits civiques pour s’adonner à des activités illicites comme le racket ou le trafic de drogue à l’instar des Blackstone Rangers. C’est donc autour des rapports entre Smokey Dalton et son fils adoptif Jimmy que l’on prend la pleine mesure des problèmes qui touchent une jeunesse qui ne trouverait d’avenir que dans l’intégration d’un gang qui fréquente les alentours des écoles afin de recruter de nouveaux membres. A partir de là on comprend la démarche de certains membres les plus aisés de la communauté qui décident de déménager vers des quartiers beaucoup plus favorisés mais majoritairement occupés par des blancs. C’est donc au travers du crime que Kris Nelscott souligne ainsi la difficulté que présente la cohabitation entre deux communautés avec cette inquiétude des blancs qui voient d’un mauvais oeil l’arrivée de nouveaux voisins noirs qui risquent de dévaluer la valeur de leur bien immobilier. On constate ainsi les discriminations qui s’opèrent au quotidien à l’exemple de ce supermarché où Smokey Dalton effectue ses achats en dépit de l’hostilité des employés et de son directeur qui cherchent tous les prétextes pour l’en empêcher. 

    Blanc Sur Noir nous donne également l’occasion de retrouver quelques personnages récurrents comme Truman Johnson, le flic noir sur lequel Smokey Dalton peut s’appuyer dans le cadre de ses enquêtes et Laura Hathaway, une femme d’affaire blanche, décidée à reprendre la direction de la société de son défunt père. C’est par le prisme de cette femme que l’on observe également les discriminations faites aux femmes avec un comité de direction qui n’entend pas céder ses prérogatives à une personne de la gente féminine qui serait incapable d'assumer une telle charge. Discrimination raciale, discrimination de genre et cohabitation entre deux communautés, on appréciera l’intrication de ces trois thèmes autour d’une série de meurtres que Smokey Dalton va tenter de résoudre au gré d’un récit qui souffre parfois de quelques longueurs et d’un épilogue au happy-end un peu surfait. Néanmoins on ne manquera pas de savourer la finesse et la justesse d’un récit qui fait écho aux événements en lien avec le mouvement Black Lives Matter qui fait la démonstration des discriminations qui subsistent encore de nos jours.

     

    Rigoureux roman policier historique restituant l'atmosphère d'un ghetto afro américain de Chicago durant la période des années soixante, Blanc Sur Noir conjugue avec brio l'intrigue policière au climat social de l'époque pour nous livrer un récit saisissant qui ne fait que confirmer tout le bien que l'on pense de la série mettant en scène le charismatique détective privé Smokey Dalton.

     

    Kris Nelscott : Blanc Sur Noir (Thin Walls). Editions de l’aube/L’aube noire 2018. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Luc Baranger.

     

    A lire en écoutant : Misterioso par Thelonius Monk. Album : Misterioso/Thelonius Monk Quartet. 2012 Concord Music Group. 

  • COLIN NIEL : ENTRE FAUVES. TABLEAU DE CHASSE.

    Capture d’écran 2020-10-14 à 18.50.17.pngOutre La Série Guyanaise qui a fait sa renommée avec les enquêtes passionnantes du capitaine de gendarmerie André Anato se déroulant dans le contexte lointain de ce département d’outre-mer, Colin Niel, loin de surfer sur le succès de cette série, trouve encore le moyen de nous séduire avec des romans noirs comme Seules Les Bêtes (Rouergue Noir 2017) dont l’adaptation au cinéma par Dominik Moll a connu un très grand succès. Jalonnant toute l’oeuvre du romancier, la nature et la faune, sont des thématiques omniprésentes qui prennent davantage de place dans un roman tel que Ce Qui Reste En Forêt (Rouergue Noir 2018) où l’on découvrait les enjeux des recherches scientifiques dans une station scientifique de la Guyane française. Avec Entre Fauves, Colin Niel reprend ces thèmes en abordant notamment tout l’aspect lié à la chasse et à ses abus, ainsi que les dérèglements climatiques qui bouleversent les habitudes d’une faune locale que ce soit dans les Pyrénées ou du côté de la Namibie, deux régions fascinantes où l’auteur nous entraîne dans un véritable chassé-croisé bourré de suspense.

     

    Garde au parc national des Pyrénées, Martin s’inquiète du devenir de Cannellito, le dernier ours de la région dont on n’a plus repéré de traces depuis de nombreux mois. Il est donc persuadé qu’un chasseur a abattu le plantigrade avant de camoufler la dépouille de l’animal afin de dissimuler son forfait. Mais outre ses activités professionnelles, Martin livre à la vindicte populaire les chasseurs d’animaux sauvages qui ont l’outrecuidance d’exposer leurs trophées sur les réseaux sociaux. C’est ainsi qu’il découvre cette jeune femme blonde qui s’exhibe, arc de chasse en main, aux cotés d’un lion qu’elle a abattu lors d’une battue en Namibie. Martin découvre rapidement l’identité de la jeune chasseuse, mais conserve curieusement ces données pour lui en ayant la ferme intention de châtier lui-même cette odieuse criminelle. Mais ce garde faune à l’assurance inamovible sait-il vraiment ce qu’il s’est produit lors de cette chasse en Namibie ?

     

    A l’instar de Martin, le garde faune, et Apolline, la chasseuse de lion, séjournant tous deux comme par hasard dans la même région des Pyrénées, il faudra avant tout faire fi des nombreuses congruences qui jalonnent un récit au rythme palpitant s’articulant autour de deux traques, dont l’une se déroule dans les Pyrénées tandis que l’autre prend pour cadre, une région sauvage de la Namibie, A partir de cette technique narrative, Colin Niel met en place deux intrigues parallèles implacables qui vont trouver leur aboutissement lors d’une confrontation palpitante se déroulant dans la nature sauvage d’un parc des Pyrénées alors que partisans et opposants à la chasse vont se retrouver dans des situations paradoxales assez tragiques faisant ainsi en sorte de s’éloigner du simple plaidoyer anti-chasse dans lequel l’auteur aurait pu se fourvoyer. Autour de ces paradoxes, que ce soit celui de Martin l’opposant à la chasse qui se met à traquer un gibier bien particulier ou Kondjima, le jeune namibien, qui veut abattre un lion pour protéger les habitants du village et séduire la belle Karieterwa dont il est amoureux et qui va payer chèrement son audace, Colin Niel fait en sorte que le thème de la chasse qu’il aborde avec intelligence se révèle bien plus complexe qu’il n’y paraît. Autour de ces trois personnages centraux dont on aborde tour à tour les points de vue, on découvre ainsi les motivations qui les poussent à agir en les menant invariablement vers un point du rupture tragique qui ne manquera pas de secouer les lecteurs. Avec une succession d’événements se révélant bien plus surprenants que ce à quoi on pouvait s’attendre  l’auteur aborde également avec une belle maîtrise toutes les conséquences des dérèglements climatiques qui sont l’autre thème majeur du récit. Il en résulte ainsi un récit sous tension permanente qui décline subtilement les enjeux parfois contradictoires opposant autochtones et faunes locales dont on mesure toute la difficulté à cohabiter ensemble, ceci aussi bien dans les Pyrénées que dans les lointaines contrées d'Afrique.

     

    Au détour d’une double intrigue captivante, Colin Niel nous offre avec Entre Fauves un roman maîtrisé évoquant avec une belle intelligence toutes les conséquences d’une cohabitation difficile avec une nature dont on ne respecte plus les aléas qui nous dépassent tout en impactant la faune qui nous entoure. Un récit pertinent et efficace.

     

    Colin Niel : Entre Fauves. Editions du Rouergue Noir 2020.

     

    A lire en écoutant : Tableau de Chasse de Claire Diterzi. Album : Tableau de Chasse. 2008 Naïve.

  • COLIN NIEL : SUR LE CIEL EFFONDRE. LEGENDES PERDUES.

    sur le ciel effondré, Colin Niel, éditions du rouergue, série guyanaiseAu-delà du recueil composé de trois romans, La Série Guyanaise de Colin Niel poursuit son cours avec un quatrième volume nous permettant de retrouver le capitaine de gendarmerie André Anato en nous immergeant dans les profondeurs de la forêt guyanaise pour découvrir le territoire des Wayanas, peuple amérindien se détachant peu à peu de ses traditions au contact des garimperos et des évangélistes qui prolifèrent dans la région. Il faut noter que chacun des titres de cette série emblématique se rattache au thème abordé comme c’était le cas avec Les Hamacs De Carton qui faisait allusion à ces dossiers suspendus contenant les dossiers de centaines de citoyens guyanais souhaitant obtenir une naturalisation devenant de plus en plus hypothétique à mesure des aléas et exigences de l’administration française. Second volume de la série, Ce Qui Reste En Forêt  provenait de l’expression « ce qui se passe en forêt, reste en forêt » en se focalisant sur une petite communauté de scientifiques stationnée au coeur de la jungle guyanaise. Obia faisait tout simplement référence aux traditions du chamanisme du peuple Noir-Marron qui affectait particulièrement le capitaine Anato. Dernier roman de la série, Sur Le Ciel Effondré s’inscrit dans la légende poétique désignant le peuple Wayanas désormais démuni de toute magie et n’ayant plus d’accès aux cieux après avoir offensé leur dieu Kuyuli.

     

    L’adjudante Angélique Blakaman fait la fierté du corps de gendarmerie après sa conduite héroïque lors d’un attentat en métropole qui lui a laissé des stigmates sur son visage. Ces hauts faits lui ont permis de revenir au Haut-Maroni en Guyane, en obtenant un poste à Maripasoula, ville de son enfance. Mais le retour au pays est difficile avec le regard de sa mère qui ne la comprend plus et son frère paraissant refuser tout contact. Et il faut bien l’avouer, la ville a drastiquement changé en subissant l’influence du voisinage des villes sauvages du Suriname où pullule commerce chinois, bordels et dancings pour assouvir les besoins des garimperos revenant de leurs exploitations aurifères. Mais au-delà de ces derniers sursauts urbains s’ouvre l’immensité de la forêt et de la région de Tumuc-Humac où vivent les Wayanas, peuple amérindien subissant l’arrivée de cette civilisation débridée. Blakaman côtoie bon nombre de ces Wayanas dont Tapwili Maloko, une des figures du village qui sollicite son aide afin de retrouver son fils disparu. Faisant fi des restrictions de sa hiérarchie, l’adjudante Blakaman va demander l’appui du capitaine Anato, un Noir-Marron tout comme elle qui a fort à faire avec une bande de cambrioleurs écumant la région de Cayenne.

     

    Après avoir cherché les fondements de ses origines, le personnage du captaine André Anato évolue en intégrant désormais la culture Ndjuka et tout ce qui a trait à l’obia afin de lutter contre l’ensorcellement dont il a été victime. Paradoxalement, il faut bien admettre que ce protagoniste central de la série, semble plus en retrait dans cette intrigue qui se braque davantage sur l’adjudante Angélique Blakaman dont le profil se révèle extrêmement détonant avec notamment ses liens qu’elle entretient avec le peuple Wayanas dont on découvre par son entremise tout l’aspect culturel qui semble sur le déclin en dépit de tous les efforts de Tapwili Maloko, un amérindien qui s’ingénie à entretenir les traditions de son peuple dont certains membres se convertissent pourtant à la religion des évangélistes qui écument la région en quête de nouveaux fidèles. L’autre aspect du contexte social du peuple Wayanas se focalise autour du mal-être des jeunes avec une propension au suicide qui devient l’unique perspective face à un avenir incertain. Autour de ces malaises, Colin Niel, bâtit comme à l’accoutumée une intrigue à tiroir assez complexe qui tourne autour d’un trafic d’influence sur les mines d’or, une série de cambriolages qu’un trio de délinquants violents commet en séquestrant leurs propriétaires et la disparition du jeune Tipoy, le fils de Tapwili, que l’adjudant Blakaman s’est mise en tête de retrouver, même si son pères n'a plus aucun espoir de le revoir vivant.

     

    Sur Le Ciel Effondré a la particularité d’être un polar qui se déroule au rythme lent d’une intrigue qui prend l’allure des légendes Wayanas ponctuant les trois parties du roman. Au-delà des éclats de violence qui marquent le récit, iI émane de l’ensemble une sensation poétique assez sombre se déclinant sur le fond du décor évocateur de cette épaisse forêt équatoriale et de la langueur de ce fleuve boueux chargé d’or et d’alluvions transperçant cette région boisée de part en part. L’autre aspect du décor ce sont les sites urbains, tels que les cités dans les environs de Cayenne où l’on prend la mesure de la misère qui y règne, sans pourtant que Colin Niel ne cède au misérabilisme. C’est toute cette déclinaison de problèmes sociaux qui frappent cette région de la Guyane que l’auteur dépeint autour d’une intrigue policière à la fois réaliste et exotique qui prenant son temps pour s’installer afin d’en livrer tous ses ressorts qui se révéleront plutôt surprenants.

     

    Alliant les différentes cultures de ce département d’outre-mer, Sur Le Ciel Effondré confirme le talent de Colin Niel qui réussit à concilier l’exotisme d’une région envoûtante à la complexité d’une enquête intense révélant les maux mais également l’espoir que recèlent ce territoire guyanais à nul autre pareil.

     

    Colin Niel : Sur Le Ciel Effondré. Editions du Rouergue Noir 2018.

    A lire en écoutant : Minha Selva de Bernard Lavilliers. Album : Champs du possible. 1994 Barclay.

  • COLIN NIEL : OBIA. MALEDICTION.

    Colin Niel, obia, éditions du rouergue, la série guyanaisePublié en 2018, le recueil de La Série Guyanaise, rassemble trois romans où Colin Niel met en scène le capitaine de gendarmerie André Anato affecté au département amazonien de la Guyane. Dirigeant la Section de recherches de Cayenne on découvre un officier en proie au doute alors qu’il retrouve ses racines Noirs-Marrons en débarquant sur la terre d’origine de ses parents disparus en trouvant la mort dans un accident de voiture. Premier volume de la série, Les Hamacs De Carton nous permet de prendre la pleine mesure des rites et traditions du peuple Noir-Marron, notamment durant la période de deuil, tout en découvrant le brassage de cette région métissée avec pour conséquence cette quête administrative insensée des origines permettant l’obtention de papiers d’identité français, objets de toutes les convoitises et de tous les excès. En parallèle des enquêtes qu’il dirige, André Anato, cherche à lever le voile de mystère qui entoure ses origines en interrogeant les membres de sa famille qui semble lui dissimuler certains éléments. On en saura un peu plus à la lecture du second volume, Ce Qui Reste En Forêt,qui aborde le thème de la faune et de la flore en nous immergeant au coeur de cette forêt équatoriale recouvrant la majeure partie du territoire guyanais et qui est l’objet de convoitise des orpailleurs exploitant illégalement des camps miniers en ravageant cette nature luxuriante au grand dam des scientifiques travaillant sur le terrain. Dans cet opus, le capitaine André Anato en sait un peu plus sur ses origines ainsi que sur les secrets que ses parents lui dissimulaient. Dernier ouvrage du recueil, Obia se focalise sur plusieurs thèmes que sont la jeunesse entraînée parfois dans le trafic de drogue en tant que mule ainsi que la guerre civile qui s’est déroulée au Suriname en 1986 et qui a duré près de cinq ans avec son lot de massacres poussant une partie de la population à trouver refuge en Guyane. Le titre fait référence au terme désignant le rituel d’envoûtement Noir-Marron permettant aux guerriers de faire face à leurs ennemis.

     

    colin niel,obia,éditions du rouergue,la série guyanaiseRien ne se déroule comme prévu pour Clifton Vakansie qui est désormais recherché pour le meurtre de son camarade Willy Nicolas. Tout accuse le jeune homme qui est la dernière personne à avoir été vue en compagnie de la victime. Son dernier recours : la fuite à tout prix pour rejoindre l’aéroport de Cayenne. La fuite pour l’avenir de sa petite fille Djayzie. La fuite pour son propre avenir. Traverser les rivières pour contourner les barrages de la gendarmerie, courir dans les ruelles sombres de Saint-Laurent, sa ville natale nichée au bord du fleuve Maroni, se dissimuler dans des caches improbables. Clifton sait qu’il peut y parvenir car il est sous la protection de l’obia, la magie des Noirs-Marrons qui le rend invincible. Mais il ne sait pas qu’il est traqué par deux gendarmes chevronnés qui ne lâcheront pas leur proie. Il y a tout d’abord le major Marcy, un colosse Créole qui connait la région comme sa poche et que ses collègues considèrent comme une tête brulée. Et puis il y a le capitaine Anato, un Ndjuka comme Clifton, un type étrange qui s’interroge sur la culpabilité du jeune homme. S’ensuit une poursuite impitoyable qui va faire ressurgir des événements du passé en lien avec la guerre civile du Suriname qui provoqua l’afflux de réfugiés en Guyane avec son lot de conflits avec des habitants peu désireux de faire de la place pour ces nouveaux arrivants. Ressurgit alors le souvenir de drames que l’on croyaient oubliés. Mais au Suriname, les fantômes sont avides de vengeance et les anciens du Jungle Commando reconvertis pour la plupart dans le trafic de cocaïne vont demander des comptes. Tous seront sans pitiés.

     

    A n’en pas douter, Obia marque un tournant dans la Série Guyanaise avec un opus à l’intrigue à la fois complexe et maîtrisée et cette impression que Colin Niel fait preuve d’une plus grande aisance au niveau de la narration afin de nous entraîner dans un récit qui tourne autour de la destinée de trois jeunes guyanais Clifton, Francis et Bradley dont les prénoms désignent les trois parties d’un roman époustouflant. L’intrigue se focalise donc autour de ces trois individus, incarnations d’une jeunesse sacrifiée, à l’avenir incertain qui se tourne vers le trafic de cocaïne afin de pouvoir assouvir leurs rêves et de palier la précarité de leurs proches. On ne manquera pas d’apprécier notamment la traque dont fait l’objet Clifton Vakansie, personnage poignant qui tente par tous les moyens de rallier l’aéroport de Cayenne afin d’assumer la tâche que lui ont confié des narcotrafiquants du Suriname. Au détour d’une succession de courses-poursuites dantesques et d’une tension narrative prenante, le lecteur suit le parcours de ce jeune homme désespéré qui tente d’échapper aux gendarmes qui sont à ses trousses et dont l’épilogue tragique à l’embouchure de la rivière de Cayenne, reste un des grands temps forts du récit. En contrepoint à cette traque, on retrouve bien évidemment le capitaine Anato qui s’interroge sur le mobile qui a poussé le jeune Clifton à commettre son forfait, mais également son collègue, le major Marcy, un nouveau personnage haut en couleur dont les origines Créoles font écho à celles de l’officier Ndjuka. S’instaure ainsi une dynamique de défiance et de méfiance entre deux hommes qui vont tenter de surmonter ces à priori au gré des événements qu’ils vont affronter ensemble, ceci d’autant plus qu’Anato va succomber au charme de Melissa la fille du major Marcy, autre personnage intense du roman.

     

    Obia nous permet également d’avoir une vision d’une guerre civile méconnue qui a sévit au Suriname durant plusieurs années en occasionnant son lot d’exactions commises par l’armée régulière du pays et combattue par les guérilleros des Jungle Commando. On prend ainsi la pleine mesure des traumatismes qu’ont subit les habitants incarnés par Melita Koosman, une vieille femme qui ne s’est jamais remise de cette tragédie qui a marqué sa famille. Bien documenté, Colin Niel nous en restitue ainsi les principaux événements en faisant notamment référence aux nombreuses personnes qui ont trouvé asile en Guyane avec des autorités rapidement dépassées par l’afflux de réfugiés. C’est autour de ces événements que l’auteur bâtit son intrigue policière sur fond de vengeance que le capitaine André Anato et Pierre Vacaresse, devenu détective privé, vont devoir déjouer. Là également on ne manquera pas d’apprécier les nombreux rebondissements qui jalonnent un récit extrêmement riche en tensions narratives.

     

    Dense et à la fois poignant, Obia est un somptueux roman policier intense dont la charge émotionnelle et le suspense vont subjuguer le lecteur qui sera sous le charme de ce long récit passionnant qui se lit d’une traite.

     

     

    Colin Niel : Obia. Recueil La Série Guyanaise. Editions du Rouergue Noir 2018.

    A lire en écoutant : Lado B Lado A de O Rappa. Album : Lado B Lado A. 1999 WEA International Inc.

  • COLIN NIEL : CE QUI RESTE EN FORET. SILENCE COUPABLE.

    Capture d’écran 2020-08-08 à 22.10.32.pngSecond volet du recueil de La Série Guyanaise de Colin Niel, on retrouve donc dans Ce Qui Reste En Forêt, le capitaine de gendarmerie André Anato toujours en quête de ses origines, lui le natif de la Guyane qui n’y a jamais vécu jusqu’à son affectation à la Section de recherches de Cayenne. L’identité était d’ailleurs le thème central du premier volume de la série, Les Hamacs De Carton où l’on découvrait les différentes ethnies des Noirs-Marrons, peuple autochtone de la Guyane qui constitue l’une des communautés de ce département français de l’Amazonie dont la population bigarrée fait le charme de cette région hors-norme. Jouxtant le Suriname et le Brésil, on percevait les enjeux de l’immigration et les difficultés qui en découlent, ceci particulièrement pour les autochtones qui doivent affronter un casse-tête administratif en vue de l’obtention de papiers français, une espèce de graal pour accéder au marché de l’emploi déjà saturé par un chômage endémique. Au-delà du décor exotique que Colin Niel dépeint avec beaucoup de soins, La Série Guyanaise à la particularité d’évoquer, sans fard, les problèmes sociaux de la région au travers du genre policier en abordant les difficultés auxquels font face cette population multiculturelle, bien éloignée des préoccupations de la métropole. Mais loin d’être un faire-valoir, la faune, tout autant que la végétation devient l’enjeu majeur de Ce Qui Reste En Forêt dont le titre fait référence à cette expression consacrée : Ce qui se passe en forêt, reste en forêt. Un thème qui tourne donc autour de cette forêt équatoriale recouvrant 96 % du territoire guyanais, objet de convoitise aussi bien des scientifiques souhaitant la préserver que des garimperos qui rôdent dans la région en quête de l’or que renferme les sous-sols de cette région boisée qu'ils défrichent sans vergogne.

     

    Capture d’écran 2020-08-15 à 14.00.44.pngLes membres de la station scientifique de Japigny, située en plein coeur de la forêt amazonienne, ont signalé la disparition d’un des leurs aux services de la gendarmerie qui entreprennent immédiatement d’importantes recherches. En effet, dans ce milieu hostile la survie n’est qu’une question d’heure, même pour un homme expérimenté comme Serge Feuerstein, scientifique de renom. On retrouve d’ailleurs son corps enfoui dans une fosse en pleine forêt avec les poumons gorgés d’eau comme le révélera l’autopsie. En charge de l’enquête, le capitaine Anato et le lieutenant Vacaresse doivent répondre à de nombreuses interrogations alors que l’on soupçonne des orpailleurs, installés non loin de la station, d’avoir tué la victime qui devenait gênante par rapport à leurs activités illégales. Mais pourquoi avoir noyé le naturaliste pour ensuite jeter son corps dans une fosse ? Et que vient faire cette histoire énigmatique d’Albatros découvert sur une plage de Cayenne, bien loin des terres australes où il vit ? Autant de questions que ces gendarmes chevronnés vont devoir résoudre alors qu’un nouveau drame survient dans la station qui va bouleverser toutes leurs investigations.

     

    Avec Ce Qui Reste En Forêt, la majeure partie de l’intrigue tourne autour de la station fictive de Japigny fortement inspirée de la station CNRS des Nouragues, située en plein coeur de la forêt amazonienne, donnant ainsi l’occasion à Colin Niel de nous entrainer dans une ambiance extraordinaire ponctuée de tensions en lien avec le meurtre qui a été perpétré et la proximité des orpailleurs rôdant dans la région. On apprécie donc cette atmosphère tendue, rendue plus oppressante à mesure que l’on se familiarise avec les bruits, les senteurs et bien évidemment les paysages somptueux de cette forêt humide que l’auteur nous restitue parfaitement au gré des pérégrinations de ses personnages dont le lieutenant Vacaresse qui peine toujours à s’adapter à cet environnement guyanais mais qui s’obstine à vouloir résoudre ces dossiers quoi qu’il lui en coûte. On découvre ainsi les dessous de la communauté scientifique, ses dysfonctionnements, ses jalousies et la concurrence féroce entre naturalistes en quête de reconnaissances au gré de leurs publications ou de leurs thèses coûteuses dans lesquelles ils s’investissent sans compter. Tout cela nous est restitué avec talent dans un texte fluide derrière lequel on devine pourtant une documentation conséquente. Et pourtant rien d’ennuyeux avec ce second roman qui fonctionne parfaitement avec des enquêtes qui se déroulent en parallèles et qui nous égarent quelque peu pour mieux se recentrer au terme d’un récit passionnant tant par l’intrigue policière que par les thèmes qu’il aborde notamment avec cette histoire étonnante d’albatros, échoué sur la côte guyanaise, s’intégrant parfaitement dans l’ensemble d’une histoire se révélant bien plus surprenante qu’il n’y paraît. On découvre également des personnalités atypiques comme les personnages de Serge Feuerstein et de son adjoint Luc Job qui a une façon bien particulière de parcourir la jungle qui va dérouter le lieutenant Vacaresse qui semble se lier d'amitié avec cet individu un peu particulier dont le parcours professionnel se révèle tout aussi déroutant que son caractère. 

     

    Si le lieutenant Pierre Vacaresse peine toujours à s’adapter à son environnement, il n’en va pas de même pour le capitaine André Anato qui se familiarise peu à peu avec la culture Ndjuka dont il est originaire. Néanmoins en rendant visite aux membres de la famille qu’il lui reste, il apprend par une aïeule qu’il aurait un frère qu’il n’a jamais connu. Une nouvelle qui le perturbe d’autant plus qu’il pense le reconnaître dans la personne d’un consommateur de crack qui a le même regard que lui. Solide lorsqu’il dirige les investigations de sa Section de recherches, séducteur dans l’âme, on s'aperçoit peu à peu que l'on a affaire à un personnage beaucoup plus fragile et donc plus humain qu’il ne veut bien le montrer à son entourage. Peu à peu, Colin Niel va donc lever le voile autour du capitaine Anato et plus particulièrement autour du décès de ses parents, même si l’on devine déjà qu’il y aura d’autres révélations dans les opus à venir d’une Série Guyanaise passionnante dont on se réjouit de découvrir la suite.

     

    Colin Niel : Ce Qui Reste En Forêt. Recueil La Série Guyanaise. Editions du Rouergue Noir 2018.

     

    A lire en écoutant : Fora da Memória de Tribalistas. Album : Tribalistas. 2017 Monte Criação Produção Ltda.

  • Colin Niel : Les Hamacs De Carton. La Série Guyanaise.

    Capture d’écran 2020-08-08 à 22.10.32.pngIngénieur agronome et en génie rural des eaux et forêts, Colin Niel a séjourné durant plusieurs années en Guyane française en participant notamment à la création du parc amazonien de la Guyane en tant que chef de mission. De ce territoire méconnu, multiculturel, abritant une biodiversité à nulle autre pareille l’homme s’est mis en tête de raconter les dérives qui en découle telles que l’immigration clandestine, l’orpaillage abusif par des garimperos sans scrupule et cette drogue qui ravage la jeunesse de la région. Tout un registre de dérives sociales qu’il décline par le biais du polar en mettant en scène, dans ce que l’on appelle désormais la Série Guyanaise, le capitaine de gendarmerie André Anato, un noir-marron en quête de ses origines. Edité depuis 2012 chez Rouerge Noir, la maison d’éditions a eu la bonne idée de composer un recueil des trois premiers romans de la série qui en compte désormais quatre et qu’il convient de lire dans l’ordre sans que cela ne soit vraiment
    indispensable. Néanmoins il faut prendre conscience que la quête du capitaine Anato quant à ses origines et aux événements tragiques qui ont frappé ses parents devient une espèce d’arche narrative qui relie l’ensemble des ouvrages ce qui explique que les trois premiers d’entre eux sont désormais publiés sous la forme de ce superbe recueil débutant avec Les Hamacs De Carton.

     

    Capture d’écran 2020-08-08 à 22.15.49.pngEn Guyane, les habitants d’un village niché sur les rives françaises du fleuve Maroni sont bouleversés en découvrant les corps sans vie d’une femme et de ses deux enfants qui semblent endormis dans leurs hamacs. Débutent alors les rites funéraires de ce peuple noir marron, tandis que le capitaine de gendarmerie André Anato, un « originaire », guyanais de naissance, doit composer avec les procédures policières qui se heurtent aux traditions que le chef du village doit faire perdurer afin de laisser la parole aux défunts. L’enquête entraîne le capitaine et son équipe de Cayenne au Suriname sur un territoire où les ethnies et les communautés se brassent en quête de leurs origines et d’un destin meilleurs qui passe peut-être par l’obtention de papiers d’identité permettant d’accéder à leurs rêves les plus fous, comme cette métropole lointaine qui devient l’eldorado tant convoité. Mais le parcours est semé d’embuches et de désillusions comme en témoigne ces dossiers suspendus s'accumulant depuis des années dans les tiroirs de l’administration française et que les fonctionnaires surnomment les hamacs de carton.Quand la folie des rêves devient meurtrière.

     

    Avec ce premier roman de la série, le lecteur va donc faire connaissance avec le capitaine de gendarmerie André Anato, premier officier « originaire » de Guyane qui ne connaît pourtant absolument rien de la région puisqu’il a toujours vécu dans la banlieue parisienne. Ayant perdu ses parents qui ont péri deux ans plus tôt dans un accident de voiture, il lui importe donc de renouer les liens avec les membres d’une famille qu’il n’a jamais connue. Ainsi se pose au travers de ce personnage central la question des origines qui devient l’un des thèmes du récit se déroulant au coeur d’un territoire où le brassage des ethnies et l’absence d’une frontière bien déterminée entre le Suriname et le Brésil jouxtant ce département d’outre-mer recouvert à 96 % d’une forêt équatoriale extrêmement dense, favorise une immigration clandestine assez intense. Le capitaine Anato est secondé dans ses enquêtes de deux officiers au profil diamétralement opposé que sont les lieutenants Pierre Vacaresse et Stéphane Girbal. Si le premier peine à s’acclimater, le second a fait de la Guyane une espèce de terrain de jeu qu’il apprécie et c’est sur cet antagonisme que se déroule les enquêtes de la Série Guyanais en mettant en scène ces trois enquêteurs aux profils si différents qui vont pourtant se compléter en fonction des affaires dont ils ont la charge. Il faut dire que Colin Niel développe ses intrigues de manière déconcertante en déroutant le lecteur avec des faits divers en apparence disparates qui vont pourtant révéler des liens parfois singuliers comme c’est le cas avec ce premier opus où les trois gendarmes semblent enquêter sur des affaires bien différentes comme la mort de cette famille dans un petit village reculé, niché au bord du fleuve Maroni, le décès accidentelle d’une joggeuse du côté de Cayenne et le meurtre crapuleux d'une jeune fille détroussée de son téléphone portable.

     

    Outre les investigations des gendarmes, Colin Niel développe avec Les Hamacs De Carton tout l’aspect des us et coutumes du peuple noir-marron en s’attardant particulièrement sur ce qui a trait aux funérailles d’une femme et de ses deux enfants que l’on a retrouvé morts dans leur carbet. On découvre ces rites par le biais du lieutenant Vacaresse contraint de rester dans ce village reculé de la Guyane, ceci pour les besoins de l’enquête afin d’interroger les habitants de la petite communauté qui semblaient marquer une distance à l’égard de cette famille. Loin d’être anecdotiques, ces éléments vont s’intégrer parfaitement dans le développement de l’intrigue tout comme le parcours de ce couple guyanais qui fait écho à l’enquête des gendarmes à mesure qu’ils avancent dans leurs investigations, nous permettant de prendre la mesure du casse-tête administratif pour l’obtention de papier d’identité qui devient ainsi l’enjeu central du récit. Et puis il y a cette nature luxuriante, cette atmosphère indéfinissable d’un pays hors norme que Colin Neil dépeint à la perfection ceci sans ostentation puisque ces paysages exotiques et cette ambiance métissée d’une Guyane lointaine qui devient pourtant si proche du lecteur, se suffisent à eux-mêmes.

     

    Premier roman à la fois rythmé et très émouvant d’une série prometteuse, Les Hamacs De Carton ne manquera pas d’époustoufler le lecteur avec ce cadre exceptionnel dont l’auteur sait tirer le meilleur parti pour nous immerger dans le contexte méconnu de cette région d’outre-mer dont il décline les travers par le prisme d’une intrigue policière singulière. Une réussite.

     

     

    Colin Niel : Les Hamacs De Carton. Recueil La Série Guyanaise. Editions du Rouergue Noir 2018.


    A lire en écoutant : Depois Dos Temporais de Ivan Lins. Album : Depois Dos Temporais. 1983 Universal Music Ltda.

     

     

     

  • NARDELLA/BIZZARRI : LA CITE DES TROIS SAINTS. PROCESSIONS MORTELLES.

    la cité des trois saints, éditions sarbacane, vincenzo bizzarri, stefano nardella, mafiaPeut-être que les éditions Sarbacane, qui ont fêté leurs dix ans d’existence, incarnent cette nouvelle désignation de la bande dessinée en nous offrant ce que l’on appelle désormais des romans graphiques à l’instar du fabuleux album A Love Supreme de Paolo Parisi retraçant la vie de Coltrane ou de la splendide version de Moby Dick illustrée par Anton Lomaev. Des auteurs aux lignes graphiques fortes et originales tout comme les thèmes abordés et les scénarios d’ailleurs, vous découvrirez un catalogue d’une impressionnante richesse avec une belle diversité d’ouvrages de qualités dont certains sont reliés comme La Cité Des Trois Saints, de Stefano Nardella pour le scénario et de Vincenzo Bizzarri pour le dessin. Une première œuvre de toute beauté se déroulant dans une banlieue italienne en empruntant tous les codes du roman noir sur fond de mafia locale et de processions religieuses célébrants les trois saints de la cité.

     

    Durant trois jours les habitants célèbrent avec ferveur l’archange Saint Michel, Saint Nicandre et Saint Marcien qui veillent depuis toujours sur la cité. Mais la mafia locale a également une certaine emprise sur la population et il est difficile d’y échapper. Ainsi, sur fond de processions religieuses, les destinées de Nicandro, petit dealer de la cité, de Michele, boxeur déchu désormais junkie et homme de main féroce et de Marciano, mafieux repenti tenant un stand de paninis, vont l’apprendre à leurs dépends. Nicandro amoureux de la belle Titti pourra-t-il échapper aux deux tarés de frangins qui la surveillent en permanence ? Michele va-t-il accepter de truquer le prochain combat de boxe opposant deux espoirs prometteurs ? Et Marciano pourra-t-il résister à la pression de ceux qui sont venus lui réclamer le pizzo ? De tensions latentes en éclats tragiques, les événements se succèdent dans l’effervescence des festivités où tout peut arriver. Car le drame inéluctable se met en place sous l’œil impavide des trois saints.

     

    D’entrée de jeu, on ressent l’influence du cinéma dans le travail de découpage du scénariste Stefano Nardella qui laisse une grande place au visuel avec des planches exemptes de la moindre ligne de dialogue à l’exemple de cet épilogue extraordinaire intégrant un pointe de surréalisme pouvant rappeler l’œuvre cinématographique de Fellini. En ce qui concerne l’aspect graphique, on décèle une certaine naïveté dans le trait de Vincenzo Bizzari amplifiant la violence des personnages qui évoluent dans une mise en scène à la fois brutale et poétique. Parce qu’il émane tout au long de ce récit noir une sensation de lyrisme que l’on devine dans la confrontation de personnages aux caractères affirmés qui peuvent receler toute une part d’humanité, notamment dans leur relations avec leurs proches que les deux auteurs prennent soin de mettre en valeur dans de belles scènes empruntes d’émotions et de tensions.

     

    La Cité Des Trois Saints c’est avant tout le destin croisé de trois protagonistes qui vont tenter de s’extraire d’une logique implacable de violence régissant leur quotidien sur fond de mafia locale qui imprime sa volonté farouche de contrôler l’ensemble du tissu social de la cité. Nous faisons la connaissance de personnages ambivalents, portant le nom des trois saints qui protègent la ville, comme Nicandro, un jeune homme déscolarisé qui s’adonne au deal tout en plaçant ses espoirs dans l’amour qu’il porte pour la belle Titti, ceci en dépit des menaces des deux frères reprouvant cette liaison. Dans le même registre, il y a Marciano, le vendeur de paninis qui a renoncé à son ancienne vie de truand pour l’amour de sa femme et de son fils mais qui doit affronter ses comparses d’autrefois bien décidés à lui extorquer le fameux pizzo, une forme de racket des gangs mafieux offrant leur « protection » aux commerçants. Comme une ombre malsaine rôdant dans les alentours de la cité, Michele promène sa carcasse de junkie en ressassant les souvenirs d’une gloire déchue du boxeur qu’il a été autrefois avant de se compromettre dans des combats truqués. Brutal, dénué de tout scrupule il ne lui reste plus que cette terreur qu’il impose à tous en devenant son unique raison de vivre et son ultime gagne-pain en tant qu’homme de main, même si l’on entrevoit un petite lueur d’humanité lorsqu’il rend visite à sa mère. Sur des schémas assez convenus, les deux auteurs mettent en place une intrigue qui va rapidement sortir des sentiers battus avec un dénouement tout en nuance n’offrant que peu d’espoir quant au devenir de ces protagonistes broyés par la cruauté d’un environnement régit par la violence.

     

    Une ambiance crépusculaire, mise en valeur avec un jeu de couleurs somptueuses, La Cité Des Trois Saints devient un conte obscur avec cette légende des trois saints qui plane sur la ville et à laquelle les habitants se raccrochent avec cette lueur d’espoir qui brillent dans leurs yeux à l’image de cette bougie que le prêtre allume au début du récit et dont il pince la mèche au terme d’une intrigue s’achevant sur une case noire, ultime écho d’un univers accablant.

     

    Stefano Nardella (Scénario) / Vincezo Bizzarri  (Dessin) : La Cité Des Trois Saints (Il Paese Dei Tre Santi). Traduit de l’italien par Didier Zanon. Editions Sarbacane 2017.

    A lire en écoutant : Perché (STO Freestyle) de NTÒ. Album : single (feat. Samouraï Jay). 2017 Stirpe Nova/NoMusic.