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03. Roman policier

  • OLIVIER BEETSCHEN : LA NUIT MONTRE LE CHEMIN. AU BOUT DE LA LEGENDE.

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    Avec La Dame Rousse (Editions l'Age d'Homme 2016), il entamait une trilogie prenant l'allure définitive d'un polar à la lecture du second opus, L'Oracle des Loups (Editions l'Age d'Homme 2019), où les légendes d'autrefois s'agrègent à l'intrigue policière de notre époque en prenant pour cadre la ville médiévale de Fribourg où Olivier Beetschen a étudié la littérature française et allemande sur les bancs de l'université. C'est peu dire que ce grand voyageur, amateur d'alpinisme a baigné dans l'écriture puisqu'il débuta sa carrière de romancier et de poète dans les années 1990 tout en enseignant la littérature française au collège à Genève où il vit désormais. On retrouve tous ces éléments dans La Nuit Montre Le Chemin, désormais publié par Bernard Campiche, éditeur emblématique de la scène littéraire romande qui a mis en avant, l'air de rien, toute une multitude de romans policiers à l'instar des récits de Daniel Abimi ou d'Anne Cunéo qui n'ont malheureusement pas franchi nos frontières helvétiques. Si le fait d'étudier et d'enseigner dans le domaine littéraire, ne fait pas de vous un romancier accompli, cela se saurait, on perçoit chez Olivier Beetschen cet amour de la langue et des beaux textes que l'on retrouve dans son écriture avec cette propension à intégrer, peut-être parfois avec excès, de nombreux aspects de son parcours de vie. La présence des loups dans nos contrées, une enquête inter cantonale sur la traitre des êtres humains, une quête de paternité dont l'ensemble s'articule autour de la légende de Guillaume Tell revisitée sur un mode nordique, La Nuit Montre Le Chemin aborde donc une multitude de thèmes que l'auteur décline avec une certaine maitrise autour d'une intrigue policière oscillant vers le fantastique tout en s'émancipant des codes du polar local pour tendre vers l'universalité.

     

    Dans la région montagneuse du Jaunpass, non loin de Fribourg, la population est en émoi lorsque l'on découvre le corps d'un homme mutilé qui semble avoir subi l'attaque d'une meute de loups. Mais la victime se révèle être un étudiant moldave qui a eu maille à partir avec la justice à la suite d'une affaire de détournement de mineurs. Que venait-il donc faire, en pleine nuit, dans cette contrée reculée du canton de Fribourg ? Peut-il s'agir d'un règlement de compte dont on a dissimulé l'apparence ? C'est à ces interrogations que va devoir répondre l'inspecteur René Sulić en charge de l'affaire qui va l'entraîner dans les méandres obscurs d'une organisation criminelle sanguinaire camouflant ses activités dans les tréfonds du darknet. Confronté à la cruauté de malfrats sans pitié, René Sulić va apprendre à ses dépends, au détour d'une légende lointaine, qu'il faut se montrer aussi féroce que ses adversaires. Une leçon qui risque de le marquer à tout jamais.

     

    Corps sauvagement mutilés, trafics abjects, on pourra dire qu'Olivier Beetschen ne lésine pas sur l'aspect sordide de l'affaire dans laquelle il va entraîner René Sulić, cet inspecteur massif à l'âme quelque peu tourmentée qui va s'appuyer sur d'autres membres de la police de Fribourg mais également sur deux inspecteurs de la police genevoise endossant l'identité de véritables enquêteurs qui ont fait partie de l'institution et à qui l'auteur rend rend un hommage appuyé. Autant dire que sans entrer dans le registre du manuel de police, on appréciera l'aspect très réaliste de cette intrigue policière se déroulant donc dans l'arrière pays montagneux du canton de Fribourg ainsi que sur les bords du Léman en faisant même une petite incursion en France. Et puis il y a la découverte de cette superbe région du val de Jaun sur laquelle pèse cette menace incertaine au sein d'un environnement sauvage à l'image de René Sulić qui y a trouvé refuge auprès de sa compagne qui exploite une ferme isolée de tout. Il émane ainsi une atmosphère saisissante, toute en tension, parfois agrémentée d'une dimension spirituelle, ceci plus particulièrement à la lecture de cette légende s'insérant dans le cours de l'intrigue, comme pour dicter le destin de René Sulić qui va en apprendre davantage sur ses origines. On retrouve ainsi dans un texte aux intonations parfois poétiques, cette quête de l'identité d'un individu partagé , voire même parfois un peu perdu, entre ses origines balkaniques et son attachement au pays qui transparait au gré d'un récit où apparaissent également tous les codes d'un excellent polar qu'Olivier Beestchen exploite sans jamais abuser des artifices pour nous livrer, une fois de plus, un roman singulier qui tient toutes ses promesses. 


    Olivier Beetschen : La Nuit Montre Le Chemin. Bernard Campiche Editeur 2024.


    A lire en écoutant :  Becuz de Sonic Youth. Album : Washing Machine. 2015 Geffen Records.

  • Abir Mukherjee : Les Ombres De Bombay. Infiltration.

    abir mukherjee,éditions liana levi,les ombres de bombayAu rythme d'une parution annuelle, on a fini par rattraper les lecteurs anglophones, ce d'autant plus qu'Abir Mukherjee marque une pause dans l'écriture de la série des enquêtes du capitaine Wyndham et du sergent Banerjee qui a fait sa renommée, en proposant, tout récemment, un thriller intitulé Hunter se déroulant à notre époque dans des contrées bien éloignées de l'Inde du Raj et de la période historique de la décolonisation devenant l'arche narrative à l'ensemble des récits déjà parus. Pour ce romancier britannique, natif de Londres qui a grandi en Ecosse, il importait d'évoquer ses origines indiennes et plus particulièrement la ville de Calcutta, en se lançant dans un projet ambitieux puisqu'il s'est mis en tête de décliner, pour chacune des années de cette époque mouvementée, une intrigue policière s'imbriquant dans les interstices de l'Histoire. Quand on sait que L'Attaque Du Calcutta-Darjeeling (Liana Levi 2019), premier opus de la série, débute en 1919 et que l'indépendance de l'Inde a été proclamée en 1947, on mesure l'ampleur de l'œuvre à venir en s'interrogeant sur la manière dont Abir Mukherjee va y parvenir en tenant compte du fait, comme il le souligne non sans humour, que l'espérance de vie du côté de Glascow où il vit désormais n'est guère élevée. Quoiqu’il en soit, le succès de la série réside dans le fait qu'Abir Mukherjee parvient à se renouveler continuellement en nous permettant de partir à la découverte d’une multitude de régions composant le pays à l'instar de ce royaume d'un maharadjah que l'on explore dans Les Princes De Sambalpur (Liana Levi 2020) au gré d'un whodunit intriguant, genre qu'il reprendra dans Le Soleil Rouge de l'Assam (Liana Levi 2023), alors qu'Avec La Permission De Gandhi (Liana Levi 2022) se décline sur un registre empruntant quelques codes du thriller nous permettant de parcourir les rues de Calcutta. À la lecture des quatre volumes qu’il est recommandé de lire dans l’ordre, on comprend que le capitaine Sam Wyndham et le sergent Satyenda Banerjee sont l’incarnation des deux facettes composant la culture d’Abir Mukherjee avec cette dualité entre l’Angleterre et l’Inde alors que l’on observe une évolution des rapports qu’entretiennent ces deux personnages centraux à mesure que le rejet du colonialisme britannique prend de l’ampleur. Ainsi, dans Les Ombres De Bombay on appréhende une nouvelle forme de narration avec une alternance des points de vue entre les deux enquêteurs ce qui donne encore davantage d’importance à la personnalité du sergent Satyenda Banerjee qui n’a plus rien du faire-valoir que pourrait lui conférer son rôle d’adjoint.

     

    A Calcutta, en 1923, les communautés religieuses sont à couteau tiré tandis que Gandhi croupi dans les cachots d'une prison. Et la tension est à son comble à l'annonce de la mort d'un célèbre homme de lettre hindou qui s'est fait assassiner lors d'une rencontre dans le quartier musulman. Pour la police, il faut tout faire pour dissimuler les circonstances de ce meurtre, ce d'autant plus que le sergent Banerjee, rapidement présent sur les lieux, devient le principal suspect. Mais la rumeur enfle et soudainement, la ville devient la proie de violentes et sanglantes émeutes tandis que le policier indien se lance à la poursuite du meurtrier qu'il a vu prendre la fuite. En voyant son adjoint en si mauvaise posture, le capitaine Wyndham va tout faire pour l'innocenter en entamant lui aussi une course-poursuite qui vont finalement conduire les deux enquêteurs du côté de  Bombay où va se tenir sur le parvis de la mosquée de la ville un grand meeting rassemblant les fidèles musulmans de tout bord alors que le climat politique prend l'allure une véritable poudrière.  

     

    Pour ce cinquième opus, on ne change pas de registre au gré d'une enquête policière prenant davantage l'allure d'un thriller avec son aspect trépident pour osciller parfois dans le domaine du récit d'aventure épique où nos deux héros empruntent tous les modes de transport imaginables de l'époque pour parcourir les rues de Calcutta en ébullition ou se rendre à Bombay en utilisant notamment l'avion, ce qui n'a rien d'une évidence dans les années 20, en faisant ainsi l'objet d'une scène mémorable imprégnée de cet humour "so british", si particulier qui caractérise le style d'Abir Mukherjee. Avec Les Ombres De Bombay, on notera la prépondérance du rôle du sergent Satyendra Banerjee tout au long d'une intrigue mouvementée tandis que son supérieur et ami, le capitaine Sam Wyndham figure presque en retrait, ce qui nous permet d'appréhender le tiraillement de ce natif de Calcutta dont allégeance à l'occupant britannique, dans le cadre de sa fonction de policier, lui vaut l'inimitié de sa famille et plus particulièrement de son père qui voit dans son engagement une forme de trahison vis-à-vis du peuple indien oppressé. Si le récit se décline sur un rythme assez effréné d'actions et de rebondissements tout en nous permettant d'apprécier l'atmosphère électrique de Calcutta et de Bombay que l'on découvre pour la première fois en fréquentant notamment le fameux Taj Mahal Palace, la mosquée de Haji Ali Dargah ou le monument de la Porte de l'Inde en cours de construction, il faudra se montrer particulièrement attentif aux enjeux de cette quête de l'indépendance qu'Abir Mukherjee insère en filigrane et de manière assez subtile, pour en faire le thème central du roman. De cette manière, on observe, au-delà de la figure fédératrice de Gandhi, les discordances parfois meurtrières entre les communautés musulmanes et indoues qu'alimentent les autorités britanniques soucieuses de conserver le contrôle du pays en divisant la population autochtone pour mieux régner. On distingue ainsi les accointances et les trahisons entre les différents mouvements et plus spécifiquement au sein des courants politiques hindous où les partisans d'actions plus radicales et plus musclées s'opposent à ceux qui prônent la voie de la non-violence. C'est donc autour de ses dissensions historiques qu'Abir Mukherjee bâtit un trame narrative passionnante, comme toujours, ce d'autant plus que les personnages évoluent constamment en fonction de la tournure des événements dont ils sont les témoins, dans le contexte de cette Inde coloniale en déclin, comme le démontre cet ultime chapitre où l'on devine que l'existence de l'un d'entre eux va être passablement bouleversée ce qui fait que l'on attend le prochaine ouvrage des aventures de Wyndham et Banerjee avec une certaine fébrilité. 


    Abir Mukherjee : Les Ombres De Bombay (The Shadow Of Men). Editions Liana Levi 2024. Traduit de l'anglais par Emmanuelle et Philippe Aronson.

    A lire en écoutant : Chakkar de John Mayer's Indo - Jazz Fusions. Album : Asian Airs. Fusion 1996.

  • ADRIAN MCKINTY : DES PROMESSES SOUS LES BALLES. GUN STREET GIRL

    sean duffy,des promesses sous les balles,éditions fayardIl y a tout d'abord eu deux opus Une Terres Si Froide et Dehors J'entends Les Sirènes parus dans la collection Cosmopolite Noir chez Stock puis un silence de près de 7 ans avant que la maison d'éditions Actes Sud ne publie Ne Me Cherche Pas Demain, troisième roman de la série Sean Duffy qui est finalement reprise par Fayard Noir nous proposant Des Promesses Sous Les Balles pour retrouver cet inspecteur catholique évoluant dans la structure du RUC (Royal Ulster Constabulary) à majorité protestante ce qui n'a rien d'une évidence durant la période des Troubles dans les années 80 en Irlande du Nord. Avec quatre volumes pour autant de traducteurs, on peut dire que son auteur Adrian McKinty connaît un parcours plutôt chaotique dans nos contrées francophones avec une reconnaissance tardive par le biais de La Chaîne, un thriller qui a connu un certain retentissement. Mais pour en revenir à Sean Duffy, même si le succès escompté ne semble pas être au rendez-vous, il faut bien admettre que la série compte sa cohorte de fans assidus espérant que l'ensemble des sept volumes soient traduits en français. Qu'on se le dise essayer Sean Duffy c'est l'adopter avec cet équilibre qui émane de textes aux énigmes extrêmement bien ficelées s'inscrivant dans un registre historique aussi passionnant que surprenant, agrémentés d'une tonalité ironique aussi impertinente que rafraichissante. Et puis il y a cette atmosphère si particulière de l'Irlande du Nord des années 80 et plus spécifiquement de Carrickfergus, non loin de Belfast, où a grandi Adrian McKinty restituant certains de ses propres souvenirs en ajoutant ainsi une dimension pittoresque à l'ensemble d'une série d'envergure dont les titres, dans leur version originale, font référence à des chansons de Tom Waits. C’est pourquoi on regrettera la version peu inspirée du titre français de ce quatrième épisode des enquêtes de Sean Duffy, Des Promesses Sous Les Balles, alors que le titre original, Gun Street Girl, souligne  un instant clé du récit. On déplorera également cette couverture assez laide, il faut en convenir, ne rendant pas justice à ce polar d'excellente facture qui comblera les attentes des aficionados de Sean Duffy.

     

    En 1985, pour lutter contre un trafic d’armes alimentant des groupuscules de l’IRA, l’inspecteur Sean Duffy assiste à une collaboration entre ses services du RUC et ceux du MI5, du FBI et d'Interpol qui tourne au fiasco sur une plage d’Irlande du Nord. Et tandis que l’interpellation vire à la fusillade, Sean Duffy préfère rentrer chez lui à Carrickfergus en distillant son désappointement avec une pinte de Vodka gimlet tout en farfouillant dans sa collection de vinyls. Mais en cette période électrique des Troubles, l'accalmie sera de courte de durée, puisque son adjoint lui téléphone au milieu de la nuit afin de solliciter son appui sur un drame familial dont la juridiction reste incertaine. Après avoir envoyé paître les service de la police du comté voisin empiétant sur ses plates-bandes, Sean Duffy va tout de même s'intéresser à cette affaire en se demandant si c'est bien le jeune Michael Kelly qui a tué ses parents avant de se jeter du haut d'une falaise. Il faut dire que la scène de crime fait davantage penser au travail d'un professionnel qu'à l'oeuvre d'un jeune homme désemparé. Et puis en fouillant dans les activités du père défunt, Sean Duffy va mettre à jour des accointances avec une entreprise d'armement du pays annonçant avoir égaré du matériel sensible. L'enquête prend donc une tournure délicate qui pourrait bien le mener une nouvelle fois à sa perte.


    Comme à l'accoutumée, même si l'on peut parfaitement saisir les éléments de l'intrigue de ce dernier ouvrage sans avoir lu les précédents, il apparaît plus pertinent de découvrir, dans l'ordre, l'ensemble de la série Sean Duffy pour appréhender la personnalité complexe ainsi que la trajectoire chaotique de cet enquêteur opiniâtre, en perpétuelle opposition avec sa hiérarchie, ce qui lui vaut bien des déboires. L'autre intérêt de la série, réside dans la perception et l'évolution de cette guerre civile d'Irlande dont Adrian McKinty parvient à cerner de manière assez synthétique les principaux enjeux sans que le lecteur ne se perde dans des détails inutiles tout en distinguant certains événements historiques singuliers qui ont marqué cette période, à l'instar du scandale qui entacha la mythique entreprise DeLorean Motor Compagny installée à Belfast ainsi que l'attentat de Brighton visant la Première ministre Margaret Thatcher. Ainsi, Sous La Promesse Des Balles s'inscrit parfaitement dans ce registre du polar historique en mettant en avant un autre scandale industriel pouvant avoir un impact sur le déroulement de cette guerre civile alors que Sean Duffy, arrivant à une impasse au niveau de sa carrière, se voit proposer un échappatoire étonnant. S’il est toujours aussi solitaire, ce dernier roman nous permet de découvrir davantage d’éléments concernant son équipe dans laquelle figure son adjoint, le sergent McCrabe avec qui il entretient une certaine amitié ainsi que deux jeunes recrues qu’il tente de former tant bien que mal. Tout cela se décline au gré d'un texte intense où l'enquête policière solide révèle tout un lot de péripéties surprenantes tandis que l'on suit également l'enquêteur dans son quotidien mouvementé et plus particulièrement dans les lotissements de Coronation road où il doit composer avec quelques voisins étranges ainsi que des groupes paramilitaires protestants virulents tout en inspectant régulièrement le châssis de son véhicule afin détecter un éventuel engin explosif. A bien des égards, Sean Duffy, amateur éclairé de musique, nous rappelle certains aspects de la personnalité de John Rebus dont ce penchant pour l'alcool qui semble le seul échappatoire au sein de cet environnement chargé de tensions. Mais ce qui émerge de l’ensemble des enquêtes de Sean Duffy c’est cette tonalité piquante qui imprègne notamment des dialogues savoureux donnant du rythme à une intrigue qui n’est pas dénuée d’une certaine émotion se conjuguant avec les parcours de l’entourage de ce policier désinvolte se révélant bien plus sensible qu’il n’y paraît comme le démontre Des Promesses Sous Les Balles qui nous surprend une nouvelle fois dans les dernières lignes d’un roman bouleversant dont on attend impatiemment la suite. Drôle, percutante et passionnante découvrez sans tarder la série Sean Duffy. Vous ne le regretterez pas.

     


    Adrian McKinty : Des Promesses Sous Les Balles (Gun Street Girl). Editions Fayard Noir 2024. Traduit de l'anglais (Irlande du Nord) par Pierre Reignier.

    A lire en écoutant : Gun Street Girl de Tom Waits. Album : Rain Dogs. An Island Records release; 1985 UMG Recordings, Inc.

  • GWENAËL BULTEAU : MALHEUR AUX VAINCUS. AU TEMPS BENI DES COLONIES.

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    Il en est déjà à son troisième roman qui tous s'inscrivent dans un registre historique en adoptant les codes du roman policier pour nous livrer des intrigues sombres se déroulant durant la période du début du XXème siècle tout en mettant en exergue le contexte social de l'époque. Professeur des écoles où il enseigne dans une classe de CP en Vendée, Gwenaël Bulteau débute sa carrière de romancier en rédigeant des nouvelles avant de se lancer dans l'écriture d'un premier roman, La Républiques Des Faibles (La Manufacture de livres 2021) qui obtient le prix Landerneau Polar en 2021 récompensant ce récit prenant pour cadre la ville de Lyon en 1898 tandis que sur fond d'élections, les nationalistes donnent de la voix en affichant un antisémitisme décomplexé alors que l'affaire Dreyfus explose au même moment avec le fameux article "J'accuse" rédigé par Emile Zola et qui paraît dans L'Aurore. Le Grand Soir (La Manufacture de livres 2023), second roman de l'auteur, fait référence à cette grande manifestation historique du 1er mai 1906 à Paris, sur fond de révoltes ouvrières, tandis que les femmes aspirent à faire valoir leurs droits et que Lucie Desroselles arpente les rues de la capitale, à la recherche de sa cousine disparue. Si les deux premiers ouvrages se penchaient sur la lutte des classes de l'époque et dont les thèmes rejaillissent dans notre actualité récente, il en est encore question avec Malheur Aux Vaincus, nouveau roman de Gwenaël Bulteau qui s'intéresse plus particulièrement aux atrocités de la colonisation en Algérie.

     

    En 1900, l'émotion secoue la communauté d'Alger lorsque l'on découvre un massacre dans l’enceinte de la somptueuse propriété de la famille Wandell. On soupçonne immédiatement deux forçats, détachés du bagne pour effectuer des travaux dans le jardin, d'avoir perpétré ces six meurtres, dont les maîtres de maison, avant de prendre la fuite. Malgré le fait qu'il soit un officier de l'armée, c'est pourtant le lieutenant Julien Koestler qui est en charge de l'affaire en traquant les criminels dans les rues grouillantes d'Alger, tandis que les citoyens expriment avec de plus en plus de véhémence leurs positions antisémites qu'ils affichent ostensiblement, encouragés par quelques notables importants de la cité. La ville est d'autant plus sous pression, qu'une série d'employés de banque se font agresser violemment avant que l'on ne s'empare de la collecte des dettes impayées qu'ils transportent dans leur sacoche. Dans cet environnement sans pitié, au gré de ses investigations, le lieutenant Koestler va prendre connaissance de cette effroyable expédition en Afrique noire à laquelle la famille Wandell a pris part et qui pourrait bien avoir un lien avec ces meurtres sanglants sur lesquels il enquête. 

     

    Où il est question de vengeance trouvant ses fondements dans un passé que le lecteur va découvrir peu à peu, c'est sur une trame narrative extrêmement classique que s'articule cette intrigue policière solide nous permettant de prendre la mesure de l'horreur institutionnalisée, et le terme n'est pas galvaudé, régnant au sein du système d'exploitation colonial français que Gwenaël Bulteau entend dénoncer en se focalisant plus particulièrement sur la terrifiante et véridique expédition Voulet-Chanoine, dirigée par ces deux capitaines de l'armée française partant à la conquête du Tchad en semant le chaos au gré de tueries qui s'enchaînent à mesure qu'ils progressent dans le pays. S'affranchissant de toute autorité, le capitaine Voutet en vient même à tuer le lieutenant-colonel Klobb chargé de mettre fin aux exactions de cette cohorte infernale. Et l'on doit bien avouer que l'on est complètement tétanisé à la lecture captivante de cette mission cauchemardesque que l'auteur restitue au gré d'une écriture sobre ne faisant que renforcer ce sentiment d'horreur et d'abjection qui imprègne le texte, ce d'autant plus qu'au-delà de cette barbarie, on découvre l'amour qui unit l'un des sous-officiers de l'expédition avec une princesse autochtone que son père a cédée en signe d'allégeance à cette armée fantoche. Dans ce contexte de barbarie et de déshumanisation que l'auteur restitue avec une impressionnante intensité, on pensera au fameux roman de Joseph Conrad, Au Cœur Des Ténèbres  (Flammarion 1993) et dans une moindre mesure à Apocalypse Now, son adaptation cinématographique dantesque. Cette densité, on la retrouve également dès les premières pages du texte en suivant la trajectoire du jeune René Josse incorporé de force aux bataillons d'Afrique, suite à un délit mineur, avant d'être incarcérer dans les colonies pénitentiaires d'Afrique du Nord. Plus que le parcours criminel de ces bagnards, c'est l'exploitation de cette main-d'œuvre bon marché au profit de riches entrepreneurs que l'on découvre tout au long de l'intrigue en nous offrant une vision peu reluisante d'un système colonial qui broie les plus faibles qu'ils soient autochtones bien évidemment ou en provenance, parfois sous la contrainte, de la Métropole. On en prend d'ailleurs pleine conscience avec toute la partie du récit se déroulant à Alger où l'on suit les investigations du lieutenant Koestler tombant sous le charme de Catherine Hoffmann, cette commerçante dont le nom aux consonances juives vont lui valoir quelques ennuis au sein d'une communauté affichant ostensiblement son antisémitisme allant de pair avec l'affaire Dreyfus qui défraie l'actualité judiciaire du pays. Une hostilité d'autant plus prégnante que la jeune femme s'emploie à protéger quelques orphelins qui mendient dans le périmètre du port ce qui lui vaut quelques inimitiés de sa clientèle et de ses collègues. Tout cela, Gwenaël Bulteau le met en scène avec beaucoup de soin et d'habileté au rythme d'une intrigue chargée de tension tout en restituant cette ensorcelante atmosphère méditerranéenne si caractéristique que l'on découvre en côtoyant ce couple en devenir sans que leur relation ne sombre dans la romance mièvre. On arpentera ainsi en leur compagnie, les rues de cette fameuse ville blanche dont on perçoit les aspects sombres et pesants touchant plus particulièrement la population indigène sous le joug brutal d'une communauté de colons s'arrogeant tous les droits avec l'appui des autorités de la Métropole qui entend bien exploiter les richesses des territoires conquis. Et si l'on ne manquera pas d'apprécier la force de ce polar historique d'exception, Malheur Aux Vaincus nous révèle également cette mécanique insidieuse qui ronge l'homme peu à peu lorsqu'il se défait de toute règle et de toute norme pour atteindre le seuil de la barbarie qu'il finit par franchir sans jamais se retourner. Un ouvrage qui vous permettra de vous distancer à tout jamais de ces propos ineptes sur les "bienfaits" des colonies. Indispensable.

     

    Gwenaël Bulteau : Malheur Aux Vaincus. Editions La Manufacture de livres 2024.


    A lire en écoutant : Doubt de Ibrahim Maalouf. Album : Wind. 2012 Mi'ster.

  • EMMANUELLE ROBERT : DORMEZ EN PEILZ. NARCOSE LEMANIQUE.

    SeIMG_2072.jpeg déroulant non loin de Sète, plus précisément à Frontignan belle localité occitane en bord de mer, le Festival International du Roman Noir, plus communément désigné sous l'appellation FIRN, a pour particularité, outre sa programmation impeccable, de convoquer régulièrement des romancières et auteurs suisses à l'instar de Joseph Incardona, bien sûr, mais également de Marie-Christine Horn ou de Stéphanie Glassey deux icônes de la littérature noire helvétique dont on a pu dire le plus grand bien au détour des pages de ce blog. Pour l'édition 2024, c'est Emmanuelle Robert qui a représenté la Suisse avec ses deux romans aux allures de polar que sont Malatraix (Slatkine  2020) et Dormez En Peilz (Slatkine 2023) qui ont connu un succès certain dans nos contrées romandes, en nous permettant de côtoyer le monde du trail pour le premier récit tandis que le second se déroule dans le cadre somptueux de la Riviera vaudoise, autour de l'univers des sports nautiques tels que la plongée en eau douce et le paddle. Journaliste qui s'est tournée vers la communication, cette passionnée de littérature policière connaît très bien cette région lémanique puisqu'elle a grandi à Montreux, non loin de cet îlot légendaire de Peilz qui a inspiré tant Byron qu'Andersen et qui donne son titre à ce nouveau polar. Avec un tel cadre lacustre, il n'est pas étonnant de retrouver Emmanuelle Robert à l'occasion du Festival du Lac 2024 prenant ses quartiers au sein de la ferme de Saint-Maurice à Collonge-Bellerive dans le canton de Genève où elle côtoiera plus d'une centaine d'auteurs renommés comme Laurent Petitmangin, Marie-Christine Horn, Joseph Incardona, Corinne Jaquet et Nicolas Verdan pour ne citer que quelques uns des représentants du roman noir et du polar présents à cet événement.

     

    En mai 2021, c'est l'effervescence sur les rives du Léman que l'on s'approprie à nouveau après cette longue période de restriction en lien avec la pandémie. A cette occasion, Fabienne Corboz, plongeuse chevronnée que l'on surnomme Ab Fab, a pour projet de battre le record de profondeur dans le lac. Mais l'événement est relégué au second plan, lorsque son compagnon, l'avocat et ancien chanteur de variété Patrick Zwerg, disparaît au large de l'île de Peilz alors que l'on ne repère que son paddle à la dérive. S'agit-il d'un accident ou d'un crime ? C'est ce que doit déterminer Stéphanie Rusca, cheffe de la brigade du lac qui se met au service du commissaire Chalabagne, secondé de l'inspectrice Abimi en charge de l'enquête. Mais à mesure que les investigations progressent, les secrets remontent à la surface tandis que les tragédies se succèdent en bouleversant le petit microcosme des sports aquatiques lacustres.

     

    En préambule, il est préférable de lire tout d'abord Malatraix, premier roman d'Emmanuelle Robert, afin d'assimiler avec plus d'acuité le contour de la personnalité des protagonistes que l'on retrouve dans Dormez En Peilz à l'instar de la journaliste Aline Moser et du capitaine de la police municipale Riviera-Chablais, Max Kender dont on ne saisit pas si aisément que cela les affres dont ils ont été victimes précédemment. Il en va de même pour les rapports qu'entretient Fabienne Corboz, personnage central de ce second opus, avec son ex-mari, un homme d'affaire en fuite suite à des malversations qui semblent trouver leur origine dans le premier ouvrage. Hormis ce léger écueil qui n'aura pas d'interférence dans la compréhension de l'intrigue, on apprécie la maîtrise de la romancière déclinant avec une certaine aisance l'interaction de plus d'une trentaine d'individus au gré d'un récit aux ramifications multiples sans jamais que l'on ne s'y perde, si l'on fait un léger effort de concentration rendu d'ailleurs plus aisé avec la présence d'un répertoire des différents personnages présents dans le roman. S'articulant autour de trois parties portant les noms de lieux emblématiques des profondeurs du lac Léman que fréquentent plongeurs et apnéistes, Emmanuelle Robert s'empare de cet univers si particulier de ces sports de l'extrême en se focalisant sur la plongée en profondeur tandis que les crimes s'enchaînent sur le plan d'eau majestueux en décimant l'entourage de Fabienne Corboz, cette sexagénaire dynamique et sportive qui s'est libérée d'un mariage sans issue. On apprécie particulièrement le caractère affirmé de cette femme pleine d'énergie en découvrant quelques aspects plus sombres de sa personnalité à mesure que l'enquête progresse. Ainsi, la romancière décline une intrigue policière extrêmement solide en nous permettant de côtoyer les différents acteurs des instituions policières et judiciaires du canton de Vaud au détour d'investigations au réalisme surprenant, tout en prenant plaisir à découvrir les parcours des enquêteurs qui vont se pencher les crimes frappant la région. Tout cela se déroule dans le cadre sublime de cette Riviera vaudoise qui a vu passer tant de personnalités que ce soit Ernest Hemingway, Charlie Chaplin ou Freddy Mercury pour ne citer que certains de ces artistes qui ont succombé aux charmes des lieux qu’Emmanuelle Robert restitue avec ferveur au gré d’un texte imprégné de mystère et de tension sans jamais abuser des artifices propre au genre hormis peut-être cette propension au "name-dropping" helvétique qui semble affecter bon nombre d'auteurs de la littérature noire romande avec cette sensation de déjà lu qui pourra agacer certains lecteurs tandis que d’autres apprécieront ces clins d’oeil dispensables. Immergé, c’est peu de le dire, au sein de cette atmosphère si singulière qui émane de cet environnement lacustre méconnu, il faut bien avouer que Dormez En Peilz nous maintiendra dans un état d'éveil fébrile afin de découvrir les tenants et aboutissants d’une intrigue aussi captivante que surprenante. 


    Emmanuelle Robert : Dormez En Peilz. Editions Slatkine 2023.

    Festival du Lac. 8 & 9 juin 2024. Ferme de Saint-Maurice à Collonge-Bellerive. Canton de Genève.

    A lire en écoutant : Noyés Dans La Masse de Phanee de Pool. Album : Algorithme. 2023 Escales Productions.

  • SEBASTIEN VIDAL : DE NEIGE ET DE VENT. RECLUS.

    sébastien vidal,éditions le mot et le reste,de neige et de ventOn dira bien ce que l'on voudra des prix littéraires, dont certains d'entre eux font l'objet de polémiques avec des suspicions de collusions et de favoritisme, il n'en demeure pas moins qu'ils projettent, tous autant qu'ils sont, un éclairage bienvenu tant sur la sélection que sur le récipiendaire permettant ainsi de faire basculer le destin d'un livre et de son auteur. Avec l'émergence des centres culturels Leclerc, son dirigeant, grand opposant du prix unique du livre, créait en 2008 le prix Landerneau, du nom de sa commune d'origine, se concentrant tout d'abord sur la littérature blanche, jusqu'à ce que d'autre genres apparaissent quatre ans plus tard, à l'instar du prix Landerneau polar qui est l'un des premiers événements importants de l'année célébrant la littérature noire. Parmi les lauréats figurent quelques figures imposantes du roman policier ou du roman noir telles que Hervé Le Corre, Sandrine Collette, Colin Niel, Gwenaël Bulteau ainsi que l'ancien policier Hugues Pagan. Pour l'année 2024, c'est Sébastien Vidal, un autre membre des forces de l'ordre, au sein de la gendarmerie cette fois où il a officié durant 24 ans, qui obtient le prix Landerneau polar avec De Neige Et De Vent publié auprès de la maison d'éditions indépendante Le Mot et le Reste qui a déjà édité deux autres de ses romans Ca Restera Comme Une Lumière (Le Mot et le Reste 2021) et Où Reposent Nos Ombres (Le Mot et le Reste 2022). Il est également l'auteur d'une trilogie mettant en scène l'adjudant de gendarmerie Walter Brewski enquêtant dans la région de la Corrèze où le romancier a d'ailleurs élu domicile, ce qui explique sans doute cette prédominance aux ambiances rurales qui imprègnent l'ensemble de son œuvre et plus particulièrement De Neige Et De Vent dont la magnificence du cadre hivernal se situe à la frontière naturelle que forme les Alpes entre la France et l'Italie.

     

    Dans cette région reculée des Alpes, le village de Tordinona constitue la dernière localité avant le col conduisant vers l'Italie et qu'empruntent Victor Pasquinel, travailleur itinérant accompagné de son chien Oscar. Tant bien que mal, ils se frayent un chemin dans cette accumulation de neige tandis qu'une tempête s'abat sur la région les contraignant à trouver refuge dans l'unique café du village. Au même moment, le garde champêtre découvre le corps sans vie de la fille du maire ce qui suscite un regain d'émotion tandis que la bourgade se retrouve soudainement coupé du monde, suite à une avalanche qui emporte le pont, unique voie d'accès vers la vallée. Marcus et Nadia, composant la patrouille de gendarmerie également bloquée dans la localité, vont devoir s'interposer pour empêcher les habitants bien décidés à faire justice eux-mêmes en s'en prenant à ce voyageur égaré qu'ils considèrent comme le meurtrier tout désigné. Sous la conduite du maire, les hommes armés vont donc assiéger la mairie, où Nadia, Marcus et Victor ont trouvé refuge, en employant tous les moyens pour les déloger. S'ensuit un rapport de force de plus en plus tendu jusqu'à l'inévitable confrontation qui va faire parler la poudre. Sera-t-il possible alors possible de faire marche arrière et de revenir à la raison au sein de cet environnement à la fois hostile et isolé où la loi n'a plus cours ?

     

    Il faut se féliciter de cette mise en avant providentielle d'un roman tel que De Neige Et De Vent nous permettant ainsi d'apprécier l'écriture somptueuse de Sébastien Vidal, possédant l'indéniable talent, pas si évident que cela, de décliner une histoire d'une belle intensité en conjuguant l'introspection de ses personnages avec la description subtile de paysages rudes qui les entoure et dont l’ensemble est entrecoupé d'une succession de confrontations aussi vives que brutales s'inscrivant dans un registre extrêmement réaliste. D'entrée de jeu, le romancier pose le cadre de cette oppression hivernale au gré d'une tempête de neige s'abattant sur cette localité de Tordinona dont le nom fait certainement référence à cet ancien quartier de Rome abritant une prison avant que l'on y bâtisse le premier théâtre public de la cité. Et c'est bien ce qui apparaît au détour de cette dramaturgie aux allures de western contemporain se déroulant dans cet environnement à la fois majestueux et sans issue présentant ainsi l'aspect d'une prison à ciel ouvert. A partir de là, émerge du texte une force évocatrice troublante, imprégnée parfois d'une note poétique nous permettant de saisir immédiatement cette ambiance à la fois âpre et puissante qui plane sur l'ensemble du récit. Il y est donc bien évidemment question de nature, mais également de nature humaine avec tout ce qu'elle a de plus atavique autour de cette communauté repliée sur elle-même n'acceptant pas la différence et observant d'un très mauvais oeil celles et ceux qui n'appartiennent pas à leur monde à l’instar du maire Basile Gay, figure toute-puissante du village et incarnation des dérives et de la folie qui embrasent les habitants dès lors que la colère les submerge à la suite du drame qui le touche. Entre chagrin et fureur, on apprécie le caractère nuancé du personnage dont on découvre le désarroi lorsqu’on le retrouve dans l’intimité de la chambre de sa fille désormais disparue à se remémorer quelques souvenirs épars tout en distillant sa haine de l’étranger et également de l’autorité qui entend se mettre sur son chemin de justicier vengeur. Ainsi, Sebastien Vidal, bâtit une intrigue aussi classique que solide où les événements s’enchainent dans une escalade d'affrontement mettant en scène Victor, cet homme de passage, dont le profil présente quelques similitudes avec son auteur et plus particulièrement sur le sujet de l’écriture, tandis que les deux jeunes gendarmes que sont Nadia et Marcus évoquent sans nul doute quelques réminiscence de son ancien métier au sein des forces de l’ordre avec cet idéal et les valeurs qui en découlent. Mais au-delà, de ces nobles sentiments, il y a la violence et les doutes qui jaillissent et ceci plus particulièrement pour Marcus s’interrogeant sur le sens de la mission et sur sa capacité à l’accomplir en surmontant l’adversité. Il en va de même pour ce mystérieux vétéran qui voit dans cette flambée de violence, l’occasion de protéger les plus faibles ce qu’il n’a pas forcément eu à faire lorsqu’il était engagé sur les conflits. Tout cela, Sébastien Vidal l’intègre au gré d’un récit au lyrisme dynamique, qui nous questionne en permanence sur notre rapport à l’autre dans un contexte où les règles n’ont plus cours en libérant ainsi la part sauvage de l’homme, que ce soit pour le meilleur et pour le pire.

     

    Sébastien Vidal : De Neige Et De Vent. Editions Le Mot et le Reste 2024.

    A lire en écoutant : Neve (Versione Integrale) d'Ennio Morricone. Album : Quentin Tarantino's The Hateful Eight (Original Motion). 2015 Cine-Manic Productions Limited.

  • Valerio Varesi : La Stratégie du Lézard. Le sens du contexte.

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    Service de presse.

     

    Comme les hirondelles, le commissaire Soneri débarque chaque début de printemps, ceci depuis maintenant 9 ans, au détour d'enquêtes se déroulant à Parme ou dans les environs de la région de l'Emilie-Romagne avec une prédilection pour les berges brumeuses du Pô ou le massif des Apennins comme en témoigne des romans tels que Le Fleuve Des Brumes (Agullo 2016), La Maison Du Commandant (Agullo 2021) ainsi que Les Ombres De Montelupo (Agullo 2018) ou La Main De Dieu (Agullo 2022). Outre la diversité géographique, le succès de la série réside dans le fait que son auteur, Valerio Varesi, également journaliste à La Repubblica s'emploie à aborder une multitude de thèmes sociaux par le biais des crimes sur lesquelles le commissaire Soneri se penche avec une attention plus particulière sur les formes de fascisme tant du passé que du présent qui gangrènent une Italie qui est loin d'avoir soldé ses comptes avec ces mouvances extrêmes. Mais il va de soi que l'immigration et les discriminations qui en découlent, les trafics de stupéfiants et d'êtres humains ainsi que les accointances avec la mafia ne sont pas en reste avec une remise en question permanente de cet enquêteur obstiné s'interrogeant sur le sens de sa mission au gré d'échanges et de débats prenant parfois une dimension philosophique s'intercalant à la périphérie du crime qu'il doit résoudre sans qu'il ne constate le moindre changement au sein de la société dans laquelle il évolue, ceci à son grand désarroi. Ainsi, d'un policier contemplatif qu'il était au début de sa carrière, on décèle chez le commissaire Soneri, une colère sourde devenant de plus en plus prégnante, en traduisant son impuissance face à la tournure d'un monde qui s'inscrit dans une logique implacable de profit au détriment des individus les plus faibles restant sur le carreau et d'institutions sclérosées et démunies. Dernier roman en date, La Stratégie Du Lézard ne déroge pas à ce constat au rythme d'une enquête impliquant les édiles de la ville de Parme sous le coup de scandales en lien avec une corruption qui semble endémique.

     

    Quelques centimètres de neige et c'est le chaos dans les rues de la ville de Parme tandis que le maire prend des vacances pour aller skier alors que l'ensemble de son entourage est impliqué dans des affaires de corruption. Est-ce pour cette raison que l'on est sans nouvelle de lui, comme s’il s’était soudainement volatilisé ? Indigné par un tel comportement, le commissaire Soneri enquête également sur la disparition étrange d'un vieillard qui semble avoir déjoué la surveillance du personnel de l'hospice dans lequel  il a été admis. Et puis il y a cette sonnerie mystérieuse qui résonne sur les berges du fleuve conduisant le policier à la découverte d'un téléphone portable dépourvu de carte mémoire. Trois événements distincts qui vont pourtant converger dans un contexte politique fragilisé par les affaires douteuses qui émergent peu à peu tandis que la colère gronde au sein de la population. Mais pour rester dans l'ombre et étouffer le scandale, le commissaire Soneri va s'apercevoir que certaines personnes impliquées adoptent la stratégie du lézard consistant à sacrifier les membres les plus exposés.

     

    On notera le comportement peu habituel du commissaire Soneri habité d'une colère sourde face à la corruption institutionnelle dont il est témoin au sein de sa chère ville de Parme. Mais connait-on vraiment ce qui anime ce personnage que l'on côtoie depuis 9 ans comme s'il s'agissait d'un vieil ami ? A vrai dire, on ne sait pas grand-chose hormis le fait qu'il se prénomme Franco et qu'il partage sa vie avec Angela, une avocate aussi habile que séduisante qui sait prononcer les bonnes paroles pour réconforter son compagnon lorsque cela s'avère nécessaire, même si l'on devine quelques troubles dont elle ne semble pas être tout à fait remise. Il en va d'ailleurs de même pour le commissaire Soneri toujours marqué par le décès de son enfant mort-né qui lui a coûté son mariage. De ses amis, il n'en est que rarement question à l'exception de Nanetti, responsable de la police technique et scientifique, avec qui il partage sa passion pour la gastronomie locale en dégustant quelques repas savoureux au Milord, établissement tenu par Alceste, où ils ont leurs habitudes. De sa jeunesse, on apprend qu'il a vécu dans le massif des Apennins du côté de Montelupo, à l'ombre de son père amateur de cueillette de champignons tout comme lui. C'est donc à l'occasion des enquêtes dont il a la charge, que l'on découvre la personnalité de ce policier abhorrant la hiérarchie et plus particulièrement le questeur Capuezzo dont l'opportunisme l'insupporte au plus haut point. On côtoie ainsi un policier aussi idéaliste que réaliste possédant une grande capacité d'écoute lui permettant de progresser avec une certaine aisance dans les entrelacs parfois complexes de ses investigations. Mais pour en revenir à cette colère qui anime le commissaire Soneri dans La Stratégie Du Lézard, sans doute traduit-elle celle de son auteur, Valerio Varesi confronté, comme tous les citoyens de Parme, à l'ampleur des affaires de fraudes qui ont entaché la législature d'un maire contraint à démissionner en 2011 suite à des arrestations de certains membres de son équipe pour corruption. Publié en Italie deux ans après les événements, La Stratégie Du Lézard, s'inspire donc de ces faits en mettant en exergue un maire qui joue l'arlésienne au sein d'une intrigue fustigeant les instances politiques et plus particulièrement leurs accointances avec des entrepreneurs véreux dont certains paraissent frayer avec la mafia à l'exemple de cette entreprise de pompes funèbres au comportement plus que douteux. Avec cette atmosphère caractéristique d'un paysage urbain hivernal au charme indéniable que Valerio Varesi sait si bien dépeindre, on arpente donc les rues de la ville de Parme et des localités avoisinantes au détour d'un trafic de stupéfiants dont le transport s'avère aussi ingénieux qu'odieux qui s'inscrit également dans le dévoiement d'autorités politiques corrompues. Et comme toujours, il y a ces personnalités fortes qui émergent de l'intrigue à l'instar de l'entrepreneur Ugolini, totalement dénué du moindre scrupule et dont les discussions avec le commissaire Soneri révèlent des sommets d'ignominie trouvant leurs justifications dans la bonne marche entrepreneuriale qui ne souffrirait d'aucune contrariété et d'aucune règle. C'est dans ce registre que Valerio Varesi excelle en s'employant à dénoncer ainsi, par le prisme de ces enquêtes, les disfonctionnements sociaux qui frappent le pays. On apprécie également ces individus au caractère plus nuancé comme le peintre faussaire Valmarini effectuant des reproductions pour une clientèle aussi aisée qu'ignorante, désireuse d'exhiber quelques œuvres emblématiques de peintres dont ils ne savent rien, juste pour le plaisir de s'afficher auprès de leur entourage. Avec cette rencontre nocturne au bord du fleuve, se poursuivant au domicile du peintre, le commissaire Soneri, comme à son habitude, entame quelques conversations aux entournures philosophiques sur les thèmes de la vérité et de la réalité qui vont bien évidemment prendre corps avec le cours d'une intrigue s'articulant autour de trois axes aux apparences disparates mais qui vont converger sur la mise à jour d'un contexte aussi complexe qu'impitoyable permettant d'élucider les circonstances de la disparition mystérieuse d'un maire déchu. De tout cela émerge une analyse sociale d'une extrême sagacité nous permettant de saisir les rouages complexes qui animent le landernau politique et le monde des entreprises, sous la tutelle obscure du financement des mafias s'infiltrant ainsi dans un système économique dévoyé. C'est ce qui fait la force des romans policiers de Valerio Varesi dont on ne se lasse jamais.

     

     

    Valerio Varesi : La Stratégie du Lézard (La Strategia Della Lucertola). Editions Agullo/Noir 2024. Traduit de l'italien par Florence Rigollet.

    A lire en écoutant : Rigoletto: Preludio de Giuseppe Verdi. Album Rigoletto– Piero Cappuccilli, Philarmonique de Vienne, Carlo Maria Giulini. 1980 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin.

  • DOMINIC NOLAN : VINE STREET. LE QUARTIER DES RADEUSES.

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    Service de presse.

     

    On ne sait pas grand-chose au sujet du parcours de Dominic Nolan, si ce n'est qu'en se référant à sa biographie établie par l'association du festival Quais du Polar, auquel il était présent d'ailleurs, on comprend, qu'au-delà de l'humour imprégnant le texte, l'auteur semble s'être concentré sur une carrière de romancier pour échapper aux contraintes d'une vie professionnelle peu reluisante. Né à Londres où il vit toujours, on entend parler de Dominic Nolan en 2019 avec la parution de son premier roman Past Life mettant en scène la détective Abigail Boone que l'on retrouve dans After Dark, second opus de la série qui est paru en 2020. Si les deux ouvrages aux allures de thriller paraissent avoir bénéficié de bonnes critiques dans les régions anglo-saxonnes, ceux-ci n'ont jamais été traduits en français ce qui n'est pas le cas de Vine Street, troisième roman de Dominic Nolan encensé notamment par la rédaction du Sunday Times qui l'a élu parmi les meilleurs romans policiers de l'année 2022. Publié chez Rivages/Noir, on pense immédiatement à David Peace ou James Ellroy, auteurs emblématiques de la collection, pour ce polar historique, extrêmement sombre, au souffle puissant et à l'envergure peu commune se déroulant dans le quartier populaire de Soho, ceci sur plusieurs décennies dont les années trente et la période du Blitz pour trouver une conclusion durant les sixties avant de s'achever sur un ultime retournement de situation au tout début du deuxième millénaire. 

     

    En 1935, dans le quartier de Westminster à Londres, c'est à Vine Street que se situe le plus grand poste de la City, non loin de Soho où jazzmen et truands côtoient prostituées et danseuses évoluant dans les clubs plus ou moins clandestins de ce secteur que Leon Geats connaît très bien. Travaillant au sein de la brigade des Mœurs & Night-clubs, ce flic solitaire et ombrageux a remisé le code de déontologie au fond d'un tiroir en instaurant ainsi sa propre vision de la loi et de l'ordre pour régir toute cette population hétérogène parcourant les rues tantôt glauques, tantôt animées de ce quartier populaire. Mais si sa morale peut être sujette à caution, Leon Geats n'en demeure pas moins proche de ces femmes et des ces hommes de la rue et s'intéresse plus particulièrement aux circonstances de la mort de l'une d'entre elle que l'on a retrouvée dans un appartement situé au-dessus d'un club d'Archer Street. S'agissant d'une asphalteuse, les inspecteurs de la Criminelle s'empressent de classer l'affaire. Mais à la découverte d'une seconde victime, Leon Geats entame une longue traque incertaine en collaborant avec Marc Cassar, un collègue de la Brigade Volante et de Billie, une des rares officières de police parvenant à se fondre dans le décor de ce quartier chaud, afin de confondre un tueur aussi sadique qu'insaisissable que l'on surnomme "Le Brigadier".

     

    On connaît la triste réalité quant à la durée d'un livre au regard de ces publications pléthoriques encombrant le paysage littéraire, ce qui explique peut-être le fait que le roman de Dominic Nolan semble passer sous le radar des médias à l'exception d'un article dans l'hebdomadaire Le Point à l'occasion de sa sélection finale pour le prix "Le Point" du polar européen qui a finalement couronné un autre ouvrage. Véritable biopsie d'un quartier emblématique de Londres, Vine Street nous éloigne pourtant des clichés navrants entourant les caractéristiques du tueur en série sadique, pour se pencher, avec une redoutable intelligence, sur le climat d'une époque révolue, au rythme d'une enquête de longue haleine nous dispensant ainsi de cette grotesque et irréaliste résolution en quelques jours par le sempiternelle enquêteur aguerri ou l'habituelle profileuse éclairée, toujours en proie à des démons intérieurs, que l'on retrouve dans la myriade de thrillers aussi ineptes que redondants. Ainsi, en souhaitant sortir de ces schémas narratifs éculés, il faut s'emparer de Vine Street pour se plonger dans la richesse de cette atmosphère électrique de Soho où évolue ce petit peuple de la rue dont on découvre les multiples facettes au gré des rencontres d'un flic de quartier au profil aussi détonnant qu'attachant.  L'intrigue s'articule donc autour de ce policier frayant avec la pègre et plus particulièrement dans le milieu de la prostitution au sein d'un poste de police où la corruption semble être la norme. On apprécie le caractère ambivalent de cet individu connaissant parfaitement les rouages du milieu ainsi que toute les strates de la population qui le compose. Paradoxalement, c'est son attachement à ces filles de la rue ainsi qu'à un sans-abri, vétéran de la Première guerre mondiale, qui vont le pousser à traquer durant plusieurs décennie un tueur dont les premiers actes trouvent leurs origines dans un contexte d'espionnage propre à cette période trouble de la fin des années trente où le renseignement devient l'enjeu majeur des gouvernements s'apprêtant à entrer en guerre. Sur des registres à la fois sociaux et criminels, Dominic Nolan nous entraine donc dans une configuration complexe, nécessitant une attention soutenue qui sera récompensée au gré d'une intrigue aux révélations fracassantes et surprenantes dont certaines d'entres elles se jouent sur cette narration habile entre les différentes périodes dont on découvre les méandres au fil de longues analepses aux allures de fresques historiques et plus particulièrement avec le regard de Billie et de Marc, deux personnages secondaires mais essentiels du roman nous permettant de prendre la mesure de la place faite aux femmes dans l'univers masculiniste de la police, mais également du poids du regard que l'on porte sur ces policiers se livrant à des actes homosexuels alors prohibés à l'époque. L'ensemble se décline ainsi dans une atmosphère extrêmement glauque rappelant les romans de Robin Cook, au détour de l'ambiance délétère du Soho des années trente prenant une allure beaucoup plus tragique durant Le Blitz pour se transporter dans un environnement encore plus sordide lorsque l'on arpente les garnis de Birmingham en 1963. Tout cela se met en place patiemment sur près de 700 pages, dans un bel équilibre où l'intrigue prenante en permanence ne cède pourtant jamais à une quelconque névrose propre au genre, adepte de ces détestables narrations rythmées jusqu'à l'excès, pour faire de Vine Street un roman d'une redoutable intensité qui foudroiera et comblera les lecteurs les plus exigeants.

     

    Dominic Nolan : Vine Street. Editions Rivages/Noir 2024. Traduit de l'anglais par Bernard Turle.

    A lire en écoutant : Bei Mir Bist Du Schoen de The Andrews Sisters. Album : The Andrews Sisters – World Broadcast Recordings. 2023 Circle Records.

  • Laurent Guillaume : Les Dames De Guerre/Saïgon. L'opium du peuple.

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    Service de presse.

     

    Il fait partie des 137 autrices et auteurs que vous allez pouvoir côtoyer si vous vous rendez au festival Quais Du Polar à Lyon qui célèbre ses 20 ans d'existence. Il faut dire que Laurent Guillaume est l'une des belles figures de la littérature noire que l'on prend plaisir à écouter lorsqu'il nous livre ses anecdotes sur les années qu'il a passées au sein de la Police nationale en tant qu'officier pour diriger des unités spécialisées que ce soit en lien avec l'anti criminalité ou la lutte contre les stupéfiants. Il émane d'ailleurs du personnage un certain charisme se conjuguant avec une soif d'aventure qui le conduit à se rendre notamment au Mali dans le cadre d'une coopération policière qu'il poursuit après avoir quitté l'institution en exerçant désormais une activité de consultant international en lutte contre le crime organisé et en s'intéressant plus particulièrement aux région de l'Afrique de l'ouest. On retrouve un peu de tout cela dans l'ensemble de son œuvre que ce soit avec la trilogie Mako du nom de cet officier travaillant à la BAC dans la région parisienne, ou avec Là Où Vivent Les Loups (Denoël 2018)nous permettant de croiser Priam Monet, ce flic de l'IGPN en mission dans les confins des Alpes française tandis qu'avec Un Coin De Ciel Brûlait (Michel Lafon 2021) on se retrouvait en Sierra Leone durant la tragique guerre civile qui a dévasté le pays. Il ne s'agit là que d'un échantillon de la dizaine de romans qu'il a écrit tout en travaillant également comme scénariste en collaborant notamment avec Olivier Marchal que l'on ne présente plus. A la conjonction de ces deux activités de scénariste et de romancier, on retrouve donc Laurent Guillaume à l'occasion de la sortie de son dernier roman Les Dames De Guerre/Saïgon s'inscrivant dans une trilogie à venir qui devrait être prochainement adaptée par Alex Berger, producteur de la fameuse série Le Bureau Des Légendes.

     

    En septembre 1953, à la frontière du Laos et de la Birmanie, le reporter Robert Kovacs trouve la mort alors qu'il accompagnait un commando dans le cadre d'un reportage sur la guerre d'Indochine. A New-York, l'ensemble de la rédaction du magazine LIFE est consternée à l'annonce de ce décès tragique. Mais en récupérant dans les affaires personnelles de Kovacs un rouleau de pellicule qu'il a dissimulé dans la doublure de sa veste, Elizabeth Cole, photographe mondaine de la page culturelle du magazine, prend conscience que sa mort n'a rien d'accidentelle. C'est l'occasion pour cette jeune femme intrépide de réaliser son grand rêve en devenant correspondante de guerre pour couvrir les événements de cette guerre oubliée tout en cherchant à comprendre ce qu'il est vraiment arrivé à son collègue. Mais en débarquant à Saïgon, Elizabeth se retrouve au cœur d'un enchevêtrement d'intérêts complexes où s'affrontent espions de tout bord, tueurs à gages déterminés, aventuriers et trafiquants d'armes sans scrupule et militaires désabusés qui savent déjà que cette guerre est perdue. Cela ne l'empêchera pas de se rendre à Hanoï et de parcourir les hauts plateaux du Laos tout en faisant face à ceux qui ne souhaitent pas que la lumière soit faite sur les circonstances de la mort de Robert Kovacs.

     

    Pour situer le contexte historique de la première partie de cette saga, il faut mentionner quelques références comme La 317e Section du réalisateur français Pierre  Schoendoerffer ou Un Américain Bien Tranquille du romancier britannique Graham Greene auquel Laurent Guillaume rend d’ailleurs un hommage appuyé qu’il évoque dans la postface de son roman. C’est donc à la lisière de ces deux œuvres emblématiques abordant le thème de la guerre plutôt méconnue d’Indochine que se situe Les Dames De Guerre/Saïgon en se concentrant plus particulièrement sur l’aspect historique de l’Opération X désignant un trafic d’opium mis en place par l’armée française afin de financer ses opérations spéciales visant à lutter contre les combattants Việt Minh. Sur cette trame historique, à la lisière du roman policier et d’espionnage tout en empruntant quelques caractéristiques propre au récit d’aventure, Laurent Guillaume met en place une redoutable intrigue s’articulant autour de la perception d’Elizabeth Cole, cette jeune reporter de guerre audacieuse au caractère bien affirmé qui va donc nous entraîner dans la nébuleuse diaspora d’espions sévissant notamment dans ce Saïgon d’autrefois au charme suranné que l’auteur restitue avec une impressionnante précision au gré d’une atmosphère exotique et envoûtante. On ne manquera pas d’être impressionné par cette habilité consistant à mélanger toute une  galerie de personnages tant fictifs qu’historiques que l’on croise bien évidemment à Saïgon maïs également sur les hauts plateaux du Laos, dans la région du fameux Triangle d’Or où Elizabeth Cole évolue en compagnie de membres d’un commando français et des combattants Meos qu’ils encadrent en nous donnant l’occasion d’assister à quelques scènes de combat épiques et percutantes. Alors que la reporter côtoie le capitaine Bremond, officier aussi désabusé que chevaleresque, on devine l’inévitable glissement vers un registre romanesque qui reste, fort heureusement, extrêmement sobre pour se concentrer sur les rapports de force idéologiques qui prennent tous leurs sens dans une série de rebondissements contenant quelques longueurs explicatives qui demeurent néanmoins nécessaires pour la bonne compréhension de l’ensemble du texte. Ainsi, en arrière-plan brièvement évoqué, se dessine la défaite de Diên Biên Phu ainsi que les prémisses de l’emprise américaine et de la guerre du Vietnam qui va bientôt débuter. Au final, Les Dames De Guerre/Saïgon se révèle être un superbe roman ponctué d’hommages à cette époque extraordinaire de la décolonisation de l’Indochine particulièrement bien restituée que l’on découvre au travers du regard de cette reporter de guerre que l’on se réjouit de retrouver très prochainement ainsi que son entourage à l’instar du personnage de Graham Fowler dont la personnalité est particulièrement réussie.

     

    Laurent Guillaume : Les Dames De Guerre/Saïgon. Editions Robert Laffont/Collection La Bête Noire 2023.

    A lire en écoutant : Heaven and Earth de Kitaro. Album : Heaven & Earth (Motion Picture Soudtrack). 1993 Universal Music Classical.

  • MARYLA SZYMICZKOWA : LE RIDEAU DECHIRE. DERRIERE LE VOILE DES APPARENCES.

    maryla szymiczkowa,le rideau déchiré,éditions agulloService de presse.

    A l’origine, il y a le fameux whodunit incarné notamment par la romancière britannique Agatha Christie avec cette prédominance de l'énigme policière s'inscrivant autour d'une succession d'indices permettant à une enquêtrice amateure de découvrir le coupable dont l'identité sera révélée à la toute fin du récit. Issu de ce genre littéraire, le cosy mystery ou cosy crime connaît un essor considérable depuis quelques années avec des intrigues qui se définissent par leur caractère édulcoré, donnant du sens à cet oxymore anglophone, ainsi que par leur légèreté, pour ne pas employer le terme vacuité, que les couvertures au style infantile ne démentiront pas. Dans ce registre, on ne manquera pas de s'intéresser à l'oeuvre de Maryla Szymiczkowa, nom de plume du duo d'auteurs mariés que forme Jacek Dehnel et Piotr Tarczynski ayant désormais élus domicile à Berlin mais qui représenteront tout de même la Pologne lors de leur venue à Lyon à l'occasion du festival international Quais du Polar. C'est avec Madame Mohr A Disparu (Agullo 2023) que l'on fait la connaissance de Zofia Turbotyńska, cette bourgeoise de Cracovie au caractère quelque peu acariâtre, mariée à un professeur d'université, comblant l'ennui d'une vie domestique en se mêlant aux affaires criminelles qui émaillent le ville, ceci au gré d'une série d'énigmes policières prenant pour cadre la société polonaise de la fin du XIXème siècle jusqu'au tournant de la Seconde guerre mondiale. Si à bien des égards, les ouvrages de ces romanciers polonais répondent aux critères du cosy crime, on ne manquera pas de souligner l'aspect historique qui émerge de ces intrigues policières ainsi que l'étude de moeurs au caractère social affirmé comme en témoigne Le Rideau Déchiré, second opus de la série qui en compte désormais trois puisque Séance A La Maison Egyptienne va paraître très prochainement.

     

    A Cracovie en 1895, Zofia Turbotyńska doit faire face aux impondérables de la vie domestique avec les préparatifs des fêtes pascales qu'elle doit assumer avec l'unique appui de sa cuisinière Franciszka alors que sa femme de chambre Karolina a disparu du jour au lendemain après avoir remis sa démission. Un véritable scandale. Mais lorsque l'on retrouve le corps sans vie de la  jeune domestique au bord de la Vistule, la nouvelle à de quoi bouleverser les membres de la maison Turbotyńska ce d'autant plus qu'au vu des violences commises, il s'agit indéniablement d'un crime. Dotée d'un grand sens de l'observation conjugué à un esprit de déduction sans faille, Zofia va mener l'enquête en s'intéressant davantage à la personnalité de cette jeune femme qu'elle ne connaissait pas si bien que cela. Elle parcourra ainsi le bas-fond de la ville en croisant sur son chemin des malfaiteurs en tout genre, tout en découvrant le monde interlope de la prostitution que les édiles de la cité fréquentent assidument. C'est l'occasion pour elle de lever le voile sur cette province pauvre de la Galicie qui conduit femmes et hommes miséreux vers la ville en quête d'un espoir tout relatif.

     

    L'originalité de la série mettant en scène la détective amateure Zofia Turbotyńska réside dans son caractère érudit, sans être trop ostentatoire, tout en pariant sur l'intelligence du lecteur ce qui n'apparaît pas comme un critère essentiel dans la déclinaison de récits que l'on propose dans le cadre d'un genre littéraire comme le cosy crime. C'est également autour du contexte historique et de la multitude de détails qui en découlent que l'on prend la mesure de la densité de ces intrigues imprégnées de l'atmosphère sophistiquées de l'empire austro-hongrois et de sa complexité politique. Indéniablement, Le Rideau Déchiré présente un registre historique un peu moins prégnant pour se concentrer sur le volet social qui régit les différentes castes de la communauté de la ville de Cracovie et plus particulièrement le milieu bourgeois côtoyant la domesticité et plus spécifiquement les femmes de condition modeste devenant la proie d'individus inquiétants naviguant dans les réseaux de la prostitution. Cela permet aux auteurs d'aborder des sujets sensibles comme la conditions des femmes de l'époque et d'observer les mouvements progressistes qui s’amorcent au sein de la société polonaise, notamment avec l’émergence du socialisme qui prend davantage d’essor autour de personnalités historiques telles qu'Ignacy Daszyński que Zofia Turbotyńska va côtoyer à son corps défendant. Ainsi, sans mettre à bas les certitudes conservatrices de cette femme au caractère affirmé, qui cache d'ailleurs ses activités d'enquêtrice à son mari, on observe, sur un registre très nuancé, l'effritement de certaines de ses certitudes notamment en lien avec l'hypocrisie qui régit son entourage et plus particulièrement le milieu policier et judiciaire qu'elle côtoie dans le cadre de ses investigations. Mais en dépit de la gravité des thèmes abordés, Le Rideau Déchiré n'est pas dépourvu d'humour avec quelques scènes cocasses à l'instar de cette rencontre avec une prostituée que Zofia Turbotyńska rejoint dans un parc public, accoutrée d'un déguisement vaudevillesque ou de son effarement lorsqu’un médecin évoque son intérêt pour l’instauration d’une éducation sexuelle qu’il définit au sein de ce qu’il dénomme la “sexuologie“. Et puis, il y a cette multitude d’hommages à l’exemple du titre Le Rideau Déchiré faisant allusion à l’une des oeuvres du maître du suspense Alfred Hitchcock dont on trouve le nom dans l’énoncé du premier chapitre du récit également ponctué de citations de L'Étrange Cas Du Docteur Jekyll Et De Mr Hyde de Robert Louis Stevenson. Avec une intrigue se déroulant, sur plus d’une année, Le Rideau Déchiré est aux antipodes des romans trépidents propres à notre époque, pour se décliner sur un rythme prenant tout son temps au gré d’une construction narrative à la fois foisonnante et passionnante. 

     

    Maryla Szymiczkowa : Le Rideau Déchiré (Rozdarta Zaslona). Editions Agullo 2024. Traduit du polonais  par Cécile Bocianowski.

    A lire en écoutant : Polonaise No. 5 in F-Sharp Minor, Op 44. Album : Chopin: Polonaise - Rafal Blechacz. 2013 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin.