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France - Page 2

  • MICHELE PEDINIELLI : LA PATIENCE DE L'IMMORTELLE / SANS COLLIER. BOUCHE NOIRE.

    michèle pedicelli,editions de l’aube,sans collier,la patience de l'immortellePlus qu'aucune autre série de romans policiers, il conviendra de lire l'ensemble des enquêtes de Ghjulia “Diou" Boccanera, qui plus est dans l'ordre, afin d'apprécier l'arche narrative qui relie l'ensemble des ouvrages, ceci quand bien même, selon la formule consacrée propre au markéting de l'édition, chaque livre peut se lire séparément. Mais si l'on parcourt les premiers chapitres d'Un Seul Oeil, dernier opus des investigations de la détective privée niçoise, on remarquera les nombreuses notes en bas de page faisant référence à l'ensemble des romans précédents que ce soit Boccanera (Aube Noire 2018), Après Les Chiens (Aube Noire 2019), La Patience De L'Immortelle (Aube Noire 2021) et Sans Collier (Aube Noire 2023), ce qui ne fait que confirmer cette assertion consistant à s'imprégner de l'ensemble des polars de Michèle Pedinielli pour en percevoir toute l'envergure. Il faut dire, qu'outre le fait qu'il s'agit de l'un des rares personnages féminins officiant comme détective privée, la singularité de la série réside dans l'importance que prend l'entourage de Diou, que ce soit le commandant de police Joseph "Jo" Santucci, son ex compagnon, ou Daniel "Dan" Lehmann, son colocataire gay qui tient une galerie de photos ou Ferdi, un sdf muet qui a pris ses quartiers dans le Vieux-Nice où réside notre enquêtrice au caractère affirmé, tout comme sa créatrice. Michèle Pedinielli partage d’ailleurs de nombreux autres points communs avec sa protagoniste principale à l'instar de ses origines corses dont prend la mesure dans La Patience De L'Immortelle avec une enquête se déroulant, dans son intégralité, sur l'Île de Beauté tandis que Sans Collier se penche sur le passé de Ferdi en lien avec son engagement dans la lutte contre le fascisme durant la période de la fin des années de plomb en Italie. L'extrémisme et ses dérives sont l'un des thèmes que la romancière engagée aborde frontalement dans la série, tout comme les conditions des ouvriers sur les nombreux chantiers qui défigurent la cité niçoise, ainsi que l'immigration clandestine à la frontière franco-italienne et les violences domestiques comme autant de sujets sociaux s'inscrivant dans une actualité qu'elle saisit avec une redoutable acuité, agrémentée d'une pointe d'humour acide et d'une certaine tendresse qui émerge de l'attachante personnalité de cette dure-à-cuire qu'incarne Diou se révèlant aussi généreuse que courageuse. Après avoir donc évoqué les deux premiers volumes de la série, il importait d'examiner les deux suivants que sont La Patience De L'Immortelle et Sans Collier qui s'inscrit d'ailleurs dans l'actualité littéraire du moment puisqu'il vient d'être publié en format poche. 

     

    La Patience De L’Immortelle.
    Cela faisait bien des années que Ghjulia Boccanera n'était pas retournée en Corse, et c'est le coeur lourd qu'elle s'y rend puisqu'elle doit accompagner son ex compagnon Joseph Santucci dont la nièce a été assassinée sauvagement. En effet, après avoir été abattue d'un coup de fusil dans la nuque, on a placé le corps de la jeune journaliste dans le coffre de sa voiture que l'on a incendiée. Si le commandant Santucci a promis de ne pas interférer dans le déroulement de l'enquête de ses collègues corses, il demande à Diou, dont il connaît la détermination, d'examiner les circonstances de cette atroce affaire. Mais dans cette région montagneuse de l'Alta Rocca, la détective privée se rend bien compte qu'elle ne possède plus les codes lui permettant de percer le mutisme d'une communauté méfiante. Et puis, au-delà des investigations l'entrainant dans les rapports complexes de la spéculation foncière et des incendies qui en découlent, il y a les souvenirs qui rejaillissent de manière éparse tandis qu'un milan tournoie inlassablement au-dessus de sa tête comme pour la guider dans ses démarches. Il y a donc de quoi perdre pied au sein de cette famille en deuil qui ne fait qu'amplifier ce sentiment de désarroi qui l'étreint. Livrée à elle-même, c'est auprès de ce vieil homme à la main tordue par les rhumatismes que Diou trouvera les ressources nécessaires pour surmonter les épreuves qui l'attendent au sein de cet environnement insulaire où les secrets émergent peu à peu dans la douleur.

     

    Si les romans précédents n'étaient pas avare en émotion, il faut bien admettre que La Patience De L'Immortelle est probablement le meilleur récit de la série parce qu'il s'inscrit dans une définition plus complexe et plus nuancée de la personnalité de cette détective privée cinquantenaire à laquelle on ne peut manquer de s'attacher fortement tandis qu'elle évolue dans un autre environnement que les ruelles de la vieille ville de Nice pour nous entrainer sur cette terre insulaire de ses origines d'où émerge quelques réminiscences du passé comme l'apparition de ce tirailleur  sénégalais faisant allusion à son sous-officier, grand père de la détective, qui est sans nul doute inspiré de l'aïeul de Michèle Pedinielli qui a servi au sein d'un tel bataillon. Dès lors, on ne peut donc manquer de ressentir cette résurgence des origines corses de la romancière s'agrégeant à une intrigue policière aux tonalités rurales pleines de saveurs méditerranéennes dont elle prend soin de ne pas trop abuser en évitant ainsi l'écueil des clichés propre à un tel environnement. C'est d'ailleurs de l'environnement dont il est question avec La Patience De L'Immortelle qui met en lumière les combines peu reluisantes de la spéculation des terres agricoles et plus particulièrement du trafic des oliviers centenaires, sujet à bien des convoitises. A partir de là découle toute une intrigue s'articulant autour des activités de la journaliste assassinée qui entendait dénoncer ces agissements illégaux. Mais c'est également dans le giron familiale de la victime que se dessine certains aspects de cette enquête où l'on croise notamment quelques fortes personnalités que sont Antoinette, mère désarçonnée par la douleur de la perte de sa fille, et sa belle-soeur Diane, au caractère âpre et revêche mais qui fait preuve d'un soutien sans faille. On appréciera également les rapports quasiment filiaux que Diou entretient avec le dénommé Barto, une espèce de vieux sage au réflexions aussi malicieuses que pleines d'esprit qui vont lui permettre d'obtenir certains éclairages quant aux comportements des habitants de la région. Tout cela se met en place au gré d’un récit dynamique, chargé en émotion, et dont la finalité va se révéler bien plus surprenante qu’elle ne le laissait à penser en bouleversant à tout jamais, les rapports que Diou va entretenir avec son ex compagnon, alors qu’elle en proie à un terrible dilemme.

     

    Sans Collier.
    Ils ne sont assujettis à aucune obédience et se démarquent de tous les groupuscules politiques de cette Italie des années 70 alors qu'ils entendent renverser le monde avec cette énergie et cette naïveté propre à leur jeunesse. "Cane sciolti", chiens sans collier, c'est ainsi qu'on les surnomme tandis qu'il s'opposent vaillamment à cette montée du fascisme gangrénant à nouveau le pays, et dont les activités vont prendre fin dans un terrible bain de sang. Et c’est ce pan de la tragique histoire de l’Italie qui va rejaillir brutalement dans l’existence de Ghjulia Boccanera tandis qu’elle enquête sur l'étrange disparition d’un ouvrier moldave qui travaillait sur l’un des plus gros chantier de la ville Nice et qui semblait avoir quelques dettes de jeu conséquentes. Entre les réminiscences du passé qui refont surface peu à peu et les menaces anonymes qui deviennent de plus en plus prégnantes, Diou va avoir bien du mal à démêler les écheveaux de cette intrigue complexe où tout le monde s’emploie à dissimuler des secrets enfouis dans une mémoire parfois défaillante.

     

    C'est dans un jeu habile et subtil des temporalités que se dessine la trame narrative de Sans Collier où l'on retrouve Nice et son cortège de travaux pharaoniques qui plongent la ville dans le chaos tandis que l'on surexploite les ouvriers que l'on emploie sans autorisation au sein de sociétés de sous-traitance plus que douteuses. A certains égards, on retrouve donc l'univers du premier roman de la série en croisant à nouveau Shérif, cet inspecteur du travail obèse qui sollicite régulièrement les services de Ghjulia Boccanera afin d'enquêter, à titre gracieux bien évidemment, dans ce milieu où la corruption et les malversations en tout genre font office de règles incontournables pour exploiter ces travailleurs en situation précaire. Mais en parallèle, c'est le parcours de la jeunesse de Ferdi, autre personnage récurrent de la série, que Michèle Pedinielli a décidé de mettre en scène en nous entraînant ainsi sur un registre historique pour se pencher sur cette époque douloureuse des années de plomb et de la stratégie de la tension qui prévalait en Italie en nous apportant un certain éclairage quant à la personnalité de ce sdf muet qui s'est improvisé comme protecteur de notre intrépide détective privée qu'il a tiré de mauvais pas, à plusieurs reprises. Et puis comme point d'orgue, il y a cette missive aussi menaçante qu'anonyme à l'adresse de Diou mais également de Dan son colocataire et ami qui tient une galerie de photos qui va être vandalisée. Comme à l'accoutumée, il y a ces thématiques sociales qui émergent d'une intrigue bien ficelée, mais dont on devine peut-être un peu trop à l'avance certains aspects, même si le roman s'achève soudainement sur une scène finale aussi imprévisible que brutale qui va bien évidemment rejaillir dans Un Seul Oeil dont les événements se déroulent deux heures plus tard. Mais pour en revenir à Sans Collier, on appréciera toujours autant les contours de la personnalité de cette cinquantenaire libertaire, forte en gueule, toujours très drôle, qui doit désormais faire face à des bouffées de chaleur dont elle ne saisit pas immédiatement l'origine et qui en font une héroïne malheureusement atypique au sein de cet univers de la littérature noire où il n'est que trop rarement question des sujets du quotidien ayant trait aux femmes qui nous entourent. Et si l’on fait allusion à Fabio Montale ou à Sergio Corbucci pour définir le caractère de Ghjulia Boccanera, vivement le jour elle fera office de référence pour d’autres personnalités féminines de son calibre.

     


    Michèle Pedinielli : La Patience De L'Immortelle. Editions de l'Aube/Noire 2021.

    Michèle Pedinielli : Sans Collier. Editions de l'Aube/Noire 2023.

    A lire en écoutant : La Ficelle d'Alain Bashung. Album : L'Imprudence. Barclay 2002.

  • Alexandre Courban : Rue De L'Espérance, 1935. Vers un avenir radieux ?

    alexandre courban,rue de l’avenir 1935,éditions agulloService de presse.


    C'est encore une fois autour de l'intrigue policière que les événements de l'Histoire ou pour le moins, sur le registre du roman noir que l'on perçoit les enjeux sociaux qui vont avoir une influence sur la tournure de certains épisodes du passé rejaillissant parfois dans le cours de notre actualité à l'instar de ce nouveau front populaire faisant référence à cette coalition de gauche des années trente qui avait marqué nos sociétés avec l'instauration de plusieurs acquis en faveur des travailleurs salariés dont les plus emblématiques sont les fameux congés payés et la semaine de quarante heures. Mais on ne saurait s'arrêter sur ces deux aspects d'une époque charnière finalement méconnue qu'Alexandre Courban se charge de décortiquer année après année en débutant avec Rue De L'Avenir, 1934 où l'on distingue la polarisation des opinions dont cette inquiétante montée du fascisme avec comme point d'orgue cette journée d'émeute du 6 février 1934, menée par les ligues d'extrême droite incitant les partis de gauche à s’unir afin de contrer ces mouvements fascistes qu'un journal comme l'Humanité dénonce avec véhémence. C'est en adoptant le point de vue d'un journaliste du fameux quotidien communiste, d'une ouvrière d'une raffinerie de sucre et d'un commissaire d'un poste de police du quartier que s'égrène cette année 1934 en se focalisant notamment sur l'enquête autour de la découverte d'une femme que l'on a retrouvé noyée dans la Seine. Outre les terribles conditions de travail des ouvriers et plus particulièrement des ouvrières harcelées par les contremaîtres, Alexandre Courban se penche également sur le fonctionnement du quotidien L'Humanité dont il connaît bien les rouages puisqu'il y a consacré une thèse qu'il a soutenue en 2005 alors qu'il était étudiant en histoire. Et puis, sur un registre naturaliste, on s'immerge littéralement dans le tissu social de l'époque en parcourant les rues de ce quartier méconnu du XIIIème arrondissement de Paris dont l'auteur, exerçant la fonction de conseiller d'arrondissement auprès de la mairie du XIIIème, met en exergue certains aspects du patrimoine qui s'intègrent parfaitement dans le déroulement d'une intrigue policière s'inscrivant dans cette même veine naturaliste de l'environnement qui entoure les personnages. On retrouve d'ailleurs tous ces éléments dans Rue De L'Espérance, 1935, second opus de cette chronique du Front Populaire dont l’union sacrée prend de plus en plus d'ampleur tandis que les rumeurs de la guerre exacerbent toutes les convoitises en matière de technologie et de contrats juteux qui en découlent.

     

    En 1935 à Paris, on assiste à un véritable essor de l'industrie aéronautique avec l'expansion de la société Gnome et Rhône spécialisée dans la conception de moteurs d'avion et pour laquelle travaille André Legendre, dessinateur industriel, que l'on a poignardé dans le métro. Les faits se déroulant à la station Campo-Formio, l'enquête sur les circonstances du meurtre est confiée au commissaire Bornec qui officie dans le quartier de la Gare. Mais les indices sont minces et le policier va devoir faire quelques appels à témoin en sollicitant notamment Gabriel Funel  journaliste pour le compte du quotidien L’Humanité, au sein de la rubrique sociale et qui s'intéresse plus particulièrement aux conditions de travail des métallurgistes. Pourtant, au cours de l'enquête, ils sont rejoints par Camille Dubois qui, outre son travail au service des abonnements du journal, se passionne pour la photographie en vue de devenir reporter photographe. Et c'est peut-être en consultant ses clichés que va émerger certains éléments permettant d'identifier un insaisissable meurtrier qui semble vouloir faire le ménage dans le milieu aéronautique pour le compte du gouvernement italien dirigé par Mussolini. Il faut dire que le dictateur est bien décidé à en découdre avec les forces éthiopiennes avec lesquelles il est en conflit depuis des années et qu'il lui faut pour cela acquérir du matériel performant afin d'équiper ses troupes.  

     

    Alexandre Courban poursuit donc la mise en oeuvre de cette fresque historique du Front Populaire qu'il met en scène à une échelle humaine, sans grandiloquence et surtout sans manichéisme quant à cette union sacrée des partis de gauche dont on perçoit l'émergence par le prisme de la rédaction du quotidien L'Humanité et plus particulièrement de son journaliste Gabriel Funel qui nous permet de nous immerger dans les coulisses de la rédaction et de découvrir certains aspects des personnalités qui le dirige. On perçoit de cette manière la perplexité des figures dirigeantes du journal quant à la position de l'URSS vis à vis de la France et de ses velléités de ramener le service national obligatoire à deux ans  alors que le secrétaire général du Parti communiste français lance le mot d'ordre de "Front populaire pour le pain, la paix et la liberté". Mais avec Rue De L'Espérance, 1935, bien loin de cette attitude pacifique qui prévaut dans les rangs de la gauche, émerge déjà cette atmosphère belligérante des nations qui donnent l'impression de se préparer aux hostilités à venir, à l'instar du gouvernement fasciste italien enlisé depuis bien des années dans un conflit avec l'empire d'Éthiopie et dont on perçoit les échos par l'entremise de l'enquête du commissaire Bornec chargé d'élucider le meurtre d'un employé de la société Gnome Et Rhône, la plus grande entreprise de construction de moteurs d'avion d'Europe. A partir de là, Alexandre Courban construit une intrigue policière aussi habile que réaliste en faisant en sorte que chacun des personnages, que ce soit le journaliste Gabriel Funel ou le commissaire Bornec, restent dans leurs prérogatives respectives sans jamais outrepasser les limites qui leur sont imposées, ceci même si certains aspects de l'enquête se déroulent notamment en Suisse alors que l’on suit le parcours d’un individu inquiétant endossant de multiples identités. On reste donc, pour la plupart du temps, dans le magnifique et méconnu quartier populaire du XIIIème arrondissement au gré d'investigations qui se diluent (parfois un peu trop) dans le temps, en arpentant les rues du quartier en compagnie du journaliste et du policier mais également de Camille Dubois, cette ancienne ouvrière de la raffinerie du sucre qui se passionne désormais pour la photographie tout en travaillant au service abonnement du journal L’Humanité et dont on apprécie la prépondérance  dans le cours de  l'intrigue. Ainsi, outre les événements en lien avec le Front Populaire que ce soit, la victoire de la gauche aux  élections municipales, la grande fête de L’Humanité qui prend plus d'ampleur ainsi que la grande manifestation du 14 juillet 1935 rassemblant plusieurs centaines de milliers de personnes, Alexandre Courban nous entraîne également dans le milieu héroïque de l’aviation, objet de toutes les convoitises militaires notamment, ainsi que dans les balbutiements du travail de photographe reporter prétexte à une immersion encore plus intense dans le milieu modeste des travailleurs qu'il dépeint avec une impressionnante force naturaliste. Tout cela se met en place dans un environnement où les positions contradictoires sont exacerbées dans une lutte des classes extrêmement intense qu’Alexandre Courban a su restituer sur un registre historique d’une impressionnante justesse se conjuguant à hauteur d’hommes et de femmes ordinaires, témoins presque malgré eux d’événements qui les dépassent quelque peu mais auxquelles ils entendent bien prendre part, ceci sur une note pleine d’espoir de cette année 1935 que l’on a traversé le souffle coupé. Vivement la prochaine année 1936. 

     


    Alexandre Courban : Rue De L'Espérance, 1935. Editions Agullo 2024.

    A lire en écoutant : Tosca: "E lucevan le scelle" interprété par Luciano Pavarotti. Album : Puccini:Tosca   Freni - Pavarotti - Milnes. 1979 Decca Music Group Limited.

  • Olivier Truc : Le Premier Renne. Terres rares.

    IMG_0352.jpegOriginaire de la région du Sud-ouest en France, le journaliste Olivier Truc s'installe en 1994 à Stockholm en devenant correspondant de plusieurs radios, hebdomadaires et quotidiens français pour les pays baltes et nordiques. Outre ce rôle de correspondant, il travaille également comme réalisateur de documentaires ayant notamment pour sujet cette fameuse Police des rennes qui sera à l'origine de son premier roman policier Le Dernier Lapon publié en 2012 par les éditions Métailié en suscitant un enthousiasme tant auprès des lecteurs que des critiques avec notamment l'obtention de plus d'une  vingtaine de prix littéraires dédiés au genre. Mais loin de se cantonner dans ce registre du polar en lien avec la culture des Samis dans laquelle il s'est immergé à de nombreuses reprises, on apprécie l'humilité d'Olivier Truc ainsi que son côté journaliste baroudeur qui se penche sur de nombreux autres sujets allant des mouvances d'extrême-droite servant de base pour des scénarios de bande-dessinée tels que On Est Chez Nous (Robinson 2019), aux méandres de l'affaire de l'attentat de Karachi coûtant notamment la vie à 11 ingénieurs français chargés de la mise au point d'un sous-marin dont le gouvernement pakistanais a fait l'acquisition auprès des autorités françaises et dont on découvre les dessous avec Les Sentiers Obscurs De Karachi (Métailié 2022). Et puis, lorsque l'on croise Olivier Truc dans les allées d'un festival de littérature, c'est désormais la guerre en Ukraine qui suscite son attention en tant que journaliste tandis que le romancier nous livre Le Premier Renne, cinquième opus de sa série policière emblématique, mettant une nouvelle fois en scène Nina Nansen et Klemet Nango ces deux enquêteur officiant sur le territoire des Samis. Si comme moi, vous n'avez pas lu les ouvrages précédents, il va de soi que l'on peut aisément appréhender les différents thèmes du récit s'articulant plus particulièrement autour du plus grand gisement de terres rares d'Europe situé à Kiruna en Laponie, ceci même si l'on a cette impression tenace de passer à côté de certains aspects du parcours tant de la norvégienne Nina Nansen que de son partenaire Sami, Klemet Nango nous incitant dès lors à découvrir les autres ouvrages de la série.

     

    Sur les auteurs des Alpes-de-Haute-Provence, Joseph Cabanis, éleveur de brebis, doit faire face à la voracité du loup qui décime son troupeau. Aprés une incursion du prédateur au sein même de sa bergerie, ivre de vengeance, il décide de se rendre en Laponie où on lui a dit qu'il était possible de tuer les loups en toute impunité ce qui s'avérera totalement erroné. Néanmoins, il rencontre Anja, cette jeune femme Sami que son clan a marginalisé en raison de sa forte tête et de son refus de se plier aux règles et à qui l'on a désormais confier le pouvoir d'éliminer clandestinement le moindre animal qui s'en prendrait aux troupeaux de rennes que l'on rassemble afin de procéder au marquage des faons. Mais la région est au prise avec des événements terribles comme ces rennes que l'on a retrouvé morts le long de voie ferrée qui transporte le minerai de fer que l'on extrait de la mine recélant également d'important gisement de terres rares extrêmement convoités. Chargé d'investiguer sur ce qui s'avère être un acte criminel prémédité, Nina Nansen et Klemet Nango, enquêteurs de la police des rennes se retrouve au coeur de conflits qui déchirent les membres du clan Sami qui voient leurs pâturages disparaître au profit des rendements miniers destinés à assurer cet transition énergétique qui a tout de même un prix à payer, celui du sacrifice des terres du pays sur lequel plane cette lumière permanente du solstice d'été qui perturbe les âmes et les esprits. Et puis, comme s'il s'agissait de représailles, il y a cet attentat mettant hors d'usage un tronçon de la voie ferrée qui n'arrange pas les clivages entre autochtones et entrepreneurs bien décidés à exploiter toutes les ressources minières. Une situation explosive qui va exacerber les tensions entre les différents protagonistes bien déterminés à parvenir à leurs fins, quoiqu’il en coûte. 

     

    Englobant des territoires norvégiens, suédois, finlandais et même russes, la Laponie se distingue par son peuple autochtone Samis vivant encore de l'élevage de rennes, véritable pilier de leur économie, même si l'activité est en déclin et dont Olivier Truc, véritable spécialiste de la Scandinavie, dépeint les difficultés par l'entremise de polars qui n'ont rien de nordiques en se déclinant donc autour de cette unité de la police des rennes qui officie réellement sur l'ensemble de la région. Mais au-delà de l'élevage, la Laponie, et plus particulièrement du côté de la Suède, recèle d'importants gisements miniers que le gouvernement exploite avec une absence de retenue, ce d'autant plus que l'on vient de découvrir un gisements conséquent de "terres rares" destinés au technologies vertes en lien avec la transition énergétique. C'est donc sur le thème de cette confrontation entre deux activités diamétralement opposées que se décline Le Premier Renne avec une intrigue prenant notamment pour cadre la ville de Kiruna dont l'exploitation minière à ciel ouvert a laissé place à d'importantes galeries souterraines à plus de 1800 mètres de profondeur causant, outre la pollution conséquente en lien avec l'extraction, d'important affaissement mettant en péril l'intégrité des bâtiments du centre de la localité. Se déroulant durant la période estivale, Olivier Truc, nous entraîne également dans l'univers des Samis durant l'intense période de marquage des faons nous permettant de découvrir la structure sociale des samebys, ces communautés d'éleveurs de rennes aux règles bien établies. Et c'est peut-être là que réside l'intérêt du récit, car si Olivier Truc met en évidence les dérives de l'exploitation minière, il se garde bien d'édulcorer les dysfonctionnements d'une société autochtone émaillée de certaines rivalités et de traditions parfois trop contraignantes. Cet ensemble de discordances sociales et économiques se traduit autour de la personnalité extraordinairement complexe d'Anja, une jeune femme Sami refusant tous compromis quels qu'ils soient en s'inscrivant dès lors dans une logique de révolte qui font d'elle une paria vis-à-vis de son clan dont certains membres la relègue à des tâches occultes destinées à protéger les troupeaux. Prenant une place prépondérante dans le déroulement de l'intrigue, on découvre, au gré de son parcours, l'immensité et la beauté de la taïga, mais également l'atmosphère plus sombre de l'environnement de la mine et de ses environs que le romancier dépeint avec la rigueur qui le caractérise, tout en prenant soin de mettre également en scène la culture ancestrale des Samis dans laquelle la jeune femme va puiser des forces afin de faire face à ses adversaires, secondée en cela par Joseph Cabanis, cet éleveur français au caractère la fois ambivalent et nuancé qui cherche également à trouver un sens à sa vie en se confrontant à un autre univers. Tout cela se met en place au gré d'une série d'investigations menées par le duo de policiers que forme Nina Nansen et son comparse Klemet Nango, un cinquantenaire toujours en quête ses origines Samis dont il ignore certains aspects quant à la trajectoire de son père défunt. Quelque peu relégués en second plan, ces deux enquêteurs vont mener leurs investigations quant à la mort d'un éleveur Sami que l'on a retrouvé non loin de la carcasse d'un loup que l'on a abattu en toute illégalité tandis que la région est en ébullition à la suite du massacre d'un troupeau de rennes attirés délibérément sur les rails avant d'être percutés par un convoi ferroviaire et qui s'ensuit d'un acte de sabotage sur la voie ferrée en guise de représailles. Malgré la diversité des événements et des personnages jalonnant l'intrigue, on aurait tort de croire que le récit va partir dans tous les sens, car Olivier Truc, en narrateur accompli, parvient à mettre en scène, de manière assez habile, les différentes trajectoires de ses protagonistes évoluant dans un cadre qui sort résolument de l'ordinaire mais dont il n'abuse pourtant pas. De fait, il nous livre ainsi un roman tout en sobriété et en maîtrise, mettant en valeur cette culture méconnue de la communauté des Samis qui ne manquera pas de nous fasciner tant dans ses aspects sociaux qu'environnementaux et que l'on prend véritablement plaisir à explorer en compagnie de ces deux agents de la police des rennes que l'on espère retrouver très prochainement.

     

    Olivier Truc : Le Premier Renne. Editions Métailié 2024.

    A lire en écoutant : Cihkosis - Hidden de Maddji. Album : Dobbelis - Beyond.2010 Dat O/S

     

  • SEVERINE CHEVALIER : THEORIE DE LA DISPARITION. QUE SE PASSE-T-IL ?

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    Service de presse.
     
     
    Puisque l'on semble découvrir son talent tout récemment, il paraît important de souligner que cela fait plus de dix ans qu'elle endosse le rôle de romancière auquel elle ne croit guère, avec cette impression de faire l'objet d'une imposture quant à l'intérêt que l'on peut porter à son remarquable travail d'écriture s'inscrivant dans la précision de chaque mot pesé pour dépeindre, avec cette virtuosité d'une narration décalée, celles et ceux qui évoluent à la marge de leur environnement. De cette marginalité, Séverine Chevalier distille une émotion à fleur de peau qui marque les esprits dès son premier roman d'ailleurs où l'on côtoie, avec Recluses (La Table Ronde 2018), Zora, Zia et Suzanne trois femmes aux destins foudroyés lors d'un attentat suicide au sein d'un hypermarché de la banlieue lyonnaise. Et puis il y a l'immense Clouer L'Ouest (La Manufacture de livres 2019) où l'on suit le périple de Karl qui revient au sein du giron familial accompagné de sa petite fille en espérant que son père sera en mesure d'éponger ses dettes de jeux tandis qu'une bête rôde dans les environs d'une forêt sombre et enneigée que la romancière met en scène au gré de la force poétique d'une intrigue ciselée avec la précision d'une orfèvre en matière d'écriture. Même si ce n'est pas le thème principal, il y a cette notion de dureté rurale qui émerge des récits de Séverine Chevalier et peut-être de manière plus particulière avec Les Mauvaises (La Manufacture de livres 2018) prenant pour cadre cette région du Massif Central où l'on suit le parcours de deux jeunes filles d'une quinzaine d'années et d'un petit garçon évoluant dans le cadre désenchanté d'une ville marquée par le démantèlement des industries et le déboisement intensif des forêts. De l'environnement, il en est encore question avec Jeannette Et Le Crocodile (La Manufacture de livres 2022) où les rêves brisés d'une petite fille l'amène, de faux-semblant en désillusion, vers un implacable et bouleversant destin tragique qui vous laisse chancelant. Puis tout disparaît dans un habile mélange du sens propre et figuré avec En Campagne (Ours Editions 2024) bref récit que vous pourrez commander chez Ours Editions. Cette campagne qui disparaît on la retrouve pourtant dans Théorie De La Disparition qui concentre toute la maestria de Séverine Chevalier parvenant une nouvelle fois à nous interpeller sur ce registre d'un quotidien banal qui bascule soudainement avec cette volonté de disparaître pour peut-être mieux renaître. 

     

    Elle s’efface pour mieux se mettre au service de son mari Mallaury, romancier en vue dans le milieu du polar, qu’elle accompagne silencieusement dans les différents festivals dédiés au genre. Quel autre rôle pourrait-elle jouer que celui de femme au foyer qu’elle endosse avec une certaine acceptation s’illustrant notamment dans l’aspect méticuleux des tâches qu’elle effectue afin de tenir son ménage aussi consciencieusement que lorsqu’elle était employée de la municipalité de la ville de Saint-Etienne au sein d’un service du contrôle de l’habitat ? Mylène fait donc en sorte que tout se passe bien pour son mari, qu’il n’y ait pas le moindre accroc et qu’il puisse se consacrer pleinement à son travail d’écriture et de représentation qui en découle à la parution de ses romans. Mais c’est à l’occasion d’un repas entre écrivains se déroulant à Toulouse, que l’existence de Mylène prend une toute autre tournure lors d’une rencontre dans les toilettes du restaurant. Marquée par cette rencontre, elle prend la décision étrange de disparaître et d’échapper ainsi durant quelques jours à son mari alors qu’ils séjournent dans une résidence d’écrivains située dans une commune de Normandie. De ces instants d’échappatoire émergent des souvenirs de son passé que Mylène décide d’évoquer par le biais de l’écriture. La femme de l’écrivain sort de son silence et se met donc à écrire. 
     
    Pour l'épigraphe, il y aura Simenon et l'un de ses romans durs, La Chambre Bleue, qui nous ramène sur le comportement trouble de Mylène au gré d'un récit faisant également référence, d'entrée de jeu, à Perec avec la disparition de la lettre E de son clavier d'ordinateur. Ainsi débute Théorie De La Disparition dans ce qui apparaît comme une redoutable mise en abime du travail d'écriture, de ses doutes et de ses incertitudes quant à l'émergence d'un texte qui ne cesse de nous interpeller dans la banalité d'un quotidien où pointe quelques drames du fait divers se rapportant aussi bien à Mylène qu'à son mari Mallaury. Mais au-delà de Perec et de Simenon, il y a surtout le style Séverine Chevalier avec sa propension à faire en sorte qu'une part de nous rejaillisse de cette trame narrative d'une impressionnante densité alors que l'orfèvrerie savamment orchestrée de chaque mot ne sert pas qu'à magnifier le texte, bien loin de là, mais à lui donner un sens vertigineux que chacun pourra interpréter à sa manière. De l’écriture, il est ainsi question avec tout ce qui découle de cet univers littéraire que la romancière égratigne consciencieusement, que ce soit l'égocentrisme de Mallaury ou l'attitude revêche d'un écrivain s'en prenant à son attachée de presse dont il estime qu'elle n'en fait pas assez pour lui afin d'assoir sa renommée. Ainsi, derrière la fiction se dessine, à certains instant, cette part de réalité se déclinant notamment durant ce festival du polar se déroulant réellement à Toulouse tandis que la centrale nucléaire de Paluel, "nichée entre deux falaises" a véritablement défrayé la chronique avec un employé resté enfermé sur le site durant quatre jours. L’image même de l’ours blanc, ornant la couverture, s’agrège dans le cours de cette fiction. Mais apparait bien évidemment le thème de la disparition, de l’effacement ou de l’invisibilité sociale de Mylène qui nous ramène vers ce rapport ordinaire du couple qu’elle forme avec Mallaury et du contrat tacite qui s’y rapporte dans un quotidien normé. C’est peut-être en cela que Mylène diffère un peu des autres héroïnes que l’on a pu croiser dans les récits de Séverine Chevalier, où il n’est pas question de marginalité mais d’une normalité imposée dérivant vers le tragique dans ce qu’il y a de plus ordinaire et finalement de plus absolu apparaissant de manière définitive sur une pierre tombale au terme de cette bouleversante Théorie De La Disparition qui ne s’effacera pas de notre mémoire. Que se passe-t-il ? Et qui disparaît en définitive ?
     
     
    Séverine Chevalier : Théorie De La Disparition. Editions La Manufacture de livres 2024.

    A lire en écoutant : Fifteen Floors de Balthazar. Album : Applause. 2010 Maarten Devoldere / Jinte Deprez.

  • Simon Fichet : Tornade. Partie de chasse.

    simon fiche,tornade,édition marchialyQuitte à découvrir un texte exceptionnel, autant le publier en créant sa propre maison d'éditions et puisqu'il en vaut sacrément la peine, autant effectuer soi-même la traduction tout en développant une maquette et une charte graphique originales mettant superbement en valeur un ouvrage tel que Tokyo Vice de Jake Adelstein. C'est autour de ce projet que Clémence Billault travaillant notamment chez Sonatine a rencontré Cyril Gay traducteur, entre autre, pour les éditions Asphalte ainsi que Guillaume Guilpart graveur et typographe qui se sont donc réunis sous la bannière des éditions Marchialy qu'ils ont fondé pour l'occasion. Autant dire que l'origine du nom de cette entreprise littéraire prend l'allure des récits qu'ils publient en s'inscrivant dans une invraisemblable réalité à l'image des soixante ouvrages qui composent le catalogue qu'ils entretiennent depuis plus de huit ans en nous proposant des investigations romancées et bien évidemment des quêtes journalistiques loufoques et subjectives dignes des récits gonzos de l’époque, ainsi que de grands reportages à la lisière du roman d'aventure à l'instar de Lieutenant Versiga, Une Vie De Flic Dans Le Mississippi de Raphaël Malkin, autre publication marquante des éditions Marchialy. Sans doute que Tornade de Simon Fichet rassemble toutes ces catégories de récits en nous entraînant dans cette calvacade effrénée au sein de l'immense région de Tornado Alley aux Etats-Unis où ce caméraman a suivi, en compagnie du reporter Alexandre Paré, deux chasseurs de tornades afin de réaliser un reportage pour le compte de France Télévision. 

     

    Issus de la même promotion de l'école de journalisme, Simon et Alex travaillent ensemble pour la première fois en se rendant aux USA, à Ferguson en proie aux émeutes à la suite d'un crime racial commis par un policier qui n'a pas été inculpé. Mais en mai 2015, ils s'apprêtent à retourner aux Etats-Unis pour un tout autre type de reportage, puisqu'ils vont suivre deux "storm chaser" français en parcourant les Grandes Plaines d'Amérique, en quête de ces monstres ravageant la région que l'on désigne désormais sous l'appellation terrifiante de Tornado Alley et qui englobe notamment les états du Colorado, de l'Oklahoma, du Kansas, du Nouveau Mexique et du Texas. S'ensuit un périple dantesque de douze jours et de plusieurs milliers de kilomètres en traversant ces régions désertiques, ces champs pétrolifères ainsi que ces exploitations agricoles industrielles pour affronter ces tempêtes de grêle et de pluies torrentielles tandis que la foudre menace de les désagréger et que ces fameuse tornades, phénomène si imprévisible, se font toujours désirer. Et à mesure que les événements météorologiques dangereux s'enchaînent, c'est la peur qu'il faudra surmonter pour s'approcher de ces vortex redoutables.

     

    D'entrée de jeu, Simon Fichet évoque l'appréhension qu'il éprouve à l'idée de se lancer dans cette entreprise tumultueuse consistant à s'approcher au plus près de ces tornades qui ravagent plus particulièrement ces contrées désolées des Etats-Unis. Et c'est peut-être là que réside l'un des intérêts du récit où l'on perçoit ce stress permanent qui imprègne d'ailleurs l'ensemble de l'équipe que ce soit Laetitia et Matthieu deux chasseurs de tornade expérimentés, mais également Alex qui doit rendre compte à sa rédaction de l'absence de progrès quant à la traque de ces fameux vortex qui se font tant désirer. On distingue ainsi l'envers du décor de ce qui constitue les aléas de l'élaboration d'un reportage avec un journaliste qui sombre peu à peu dans une dépression sans doute en lien avec les troubles de stress post-traumatiques dont les reporters ne peuvent être exempts quand bien même rien ne transparaît jamais vraiment dans les documentaires ou des articles qu'ils conçoivent. A partir de là, Tornade prend l'allure d'un journal de bord où chaque chapitre passe en revue chacune des douze journées de cette traque imprévisible contraignant l'équipe à parcourir de long en large l'immensité d'une région des Etats-Unis peu touristique, ponctuée de motels miteux et de junk food en guise de repas qui ne font que renforcer le désarroi de chacun à l'image de Laetitia qui, en dépit de son immense expérience dans le domaine de la chasse aux tornades, se laisse aller quelques instants au découragement. Mais l'autre aspect palpitant de Tornade, c'est bien évidemment cette recherche effrénée des éléments météorologiques déchaînés qu'ils vont régulièrement traverser en se mettant littéralement en danger que ce soit en affrontant les pluies diluviennes qui s'abattent sur eux ou ces épisodes de foudre dont il sont parfois trop proches ainsi que ces soudaines chutes de grêles qui endommagent tout sur leur passage, en risquant notamment de détruire leurs véhicules en mettant ainsi un terme à leur quête insensée. L’enjeu du récit, et la tension qui en émane, consiste donc à déterminer si les deux journalistes vont parvenir à capturer les images tant convoitées de tornades, en compagnie de ces deux chasseurs français dont on ne sait finalement pas grand chose, tout comme ce qui pousse l’ensemble de cette communauté de "storm chasers" bien à part, dont il émerge quelques vedettes, à se lancer dans une telle entreprise si risquée que ce soit par goût de l’aventure ou pour la collecte de données scientifiques à moins que ce ne soit tout simplement l’envie de saisir des images sensationnelles. Car, outre la tension imprégnant l'ensemble du texte, il y a le sentiment de se retrouver comme dans une bulle, un peu à part, où seul compte la capture d'image de ce phénomène climatique tant convoité et si imprévisible. Néanmoins, au terme du récit, Simon Fichet passe outre la beauté monstrueuse de ces tornades si fascinantes pour s'attarder sur les conséquences qui en découlent en évoquant notamment certains des événements les plus meurtriers qui ont frappé la région et qui ont marqué la communauté dont une famille ayant trouvé refuge dans leur baignoire qui leur a permis de rester en vie après le passage d'une des tornades les plus puissantes enregistrées et qui a détruit toute une partie de la ville de Norman située dans l'état de l'Oklahoma. Tout cela se décline au gré d'un texte d'une intensité permanente et palpable où il est question bien évidemment du côté grandiose de ce phénomène climatique effrayant mais également du traumatisme résultant de la fureur de ces éléments incontrôlables que nul ne peut maîtriser et qui marquent les esprits comme en témoigne Simon Fichet avec beaucoup de talent.  

     

     

    Simon Fichet : Tornade. Editions Marchialy 2024.

    A lire en écoutant : Sticks & Stones de Carmel. Album : The Falling. 2021 London Records.