CLAIRE VESIN : BLANCHES. QUOI QU'IL EN COUTE.
Elle écrit depuis des années de courtes chroniques évoquant le quotidien de son métier en étant davantage centrée sur les portraits assez émouvants de ses patients que sur la pratique thérapeutique en tant que telle, pour les publier sur un réseau social où elle endosse le pseudonyme de Madame le docteur Vagin. Exerçant comme cardiologue, Claire Vesin expose donc les mille et une péripéties de sa profession au gré de textes lumineux d'où émergent bien souvent des moments chargés d'une émotion forte, de quelques instants de rire et parfois de colère, tout en soulignant l'amour qu'elle voue pour un travail se focalisant essentiellement sur les rapports humains et la confiance qui en découle et sans lesquels tout cela n'aurait plus aucun sens. L'environnement prend également une grande importance puisque Claire Vesin a repris un cabinet de cardiologie à Argenteuil, une banlieue parisienne souffrant de la déshérence des pouvoirs publics et qui se traduit notamment par une désertification médicale aiguë aux portes même de Paris. Pourtant, à la lecture de l'ensemble des récits, on perçoit un attachement certain pour cette ville faite de diversités tant sociales que culturelles qui se répercutent dans la salle d'attente de son cabinet où l'on distingue quelques fragments du quotidien de ces femmes et de ces hommes dont on devine la condition modeste et la forte résilience. C'est de tout cela dont il est question dans Blanches, premier roman de Claire Vesin qui s'est donc lancée dans l'écriture au long cours pour nous livrer un récit aux connotations plus sociales que noires et fortement imprégné de la voix de celles et ceux qui s'emploient à maintenir à flot un système hospitalier qui s'effondre.
En 2013, Aimée Larrieux, débarque à l'hôpital de Villedeuil, non loin de Paris, où elle va effectuer son premier stage en tant qu'interne affectée aux urgences de l'établissement. Un choix délibéré car la jeune femme sait qu'il est probable qu'elle croise Jean-Claude Pouillat qui y travaille depuis toujours au sein du service de chirurgie en trainant sa mélancolie et sa solitude depuis la disparition de son fils Arnaud dont elle était la compagne. Native de Villedeuil, Laetitia travaille également à l'hôpital en tant qu'infirmière préposée à l'accueil des urgences, où elle doit faire face à la détresse des patients qui s'entassent dans la salle d'attente alors que Fabrice, médecin au SAMU, enchaîne les interventions comme pour mieux fuir son rôle de père à venir. Quatre parcours qui s'entrecroisent tant dans les couloir de l'établissement hospitalier qui périclite que dans les quartiers de cette ville qui s'étiole au gré des moments de joie et des instants de peine et de doute jusqu'à cette nuit aux urgences où tout bascule en remettant en cause la destinée de chacun.
Publié en février 2024, Blanches poursuit encore son parcours éditorial avec l’obtention au mois de juin de deux prix littéraires couronnant un texte d'une intense humanité dépeignant sans fard la décomposition des milieux de la santé et de son impact tant sur les patients que sur les soignants. Comme pour souligner son propos, Claire Vesin choisi le nom de Villedeuil désignant l'agglomération où se situe l'ensemble d'une intrigue où évolue des protagonistes profondément attachés à leur ville qu'ils voient s'effriter peu à peu sous leurs yeux avec ce sentiment diffus de déclin. Et ce déclin c'est sans doute Jean-Claude qui l'incarne alors qu'il ne lui reste plus que la passion de son métier de chirurgien tandis que sa vie privée s'étiole dans la boisson et les recherches vaines de son fils toxicomane dont il est sans nouvelle depuis plus d’une année. Pour autant, il n'y a rien de larmoyant ou de lénifiant dans le contexte que dépeint Claire Vesin en déclinant le quotidien d'Aimée qui débarque dans cet environnement hospitalier dégradé avec le sentiment diffus d'être redevable tout en se lançant dans ce premier stage d'interne où les consultations s'enchainent à un rythme infernal avec ses instants de joies et ses moments de peine que l'on perçoit également par le prisme de Laetitia, cette infirmière au caractère fragile qui doit affronter quotidiennement les défaillances d'un service continuellement débordé par le flot des patients qu’il faut pourtant accueillir du mieux que l’on peut. Si l'on perçoit la passion du métier émanant de ces deux femmes, Claire Vesin n'édulcore en rien les revers de la médaille en abordant des thèmes tels que le harcèlement, voire même le viol, le burn-out ainsi que le manque cruel de moyens et surtout d'encadrement qui vont conduire à l’épuisement professionnel et au drame qu'elle met en scène avec beaucoup d'habilité en évoquant également le corporatisme plus ou moins bien intentionné pour couvrir les carences d'un système à bout de souffle. Et puis il y a ce portrait plus ambivalent de Fabrice, ce médecin du SAMU pour qui le métier comble un manque d'assurance qui se traduit par une certaine morgue tout en l'éloignant de sa famille qui le renvoie à ses désillusions et à sa déception d'un vie privée apparaissant sans avenir et sans intérêt en dépit d'un enfant à venir. Et c'est cet ensemble de trajectoires imprégnées d'une profonde humanité que la romancière met en scène avec une redoutable acuité au gré d'un récit naturaliste rigoureux qui déborde parfois du cadre de l'hôpital en accompagnant notamment la quête d'emploi frénétique de Kamel et de ses déceptions malgré un parcours scolaire sans faille mais qui se heurte aux réticences d'employeurs dont les motifs de refus lui apparaissent fallacieux en générant ainsi colère et frustration. Cette âpreté d’un quotidien morne, on la distingue également avec le très beau portrait de Flora, cette concierge originaire de Pologne vivant avec son mari handicapé dans une loge exiguë et qui doit surmonter l’angoisse de douleurs dorsales qui l’empêchent de dormir. Là également, on retrouve cette ambivalence du caractère avec ce côté revêche masquant la vulnérabilité d’une patiente qui ne sait plus vers qui se tourner pour soulager le mal dont elle souffre. Ainsi, révélateur de dysfonctionnements qui vont bien au-delà du milieu de la santé, pour nous livrer un radioscopie sociale du mal-être d'une ville de banlieue, Blanches est un roman extrêmement poignant qui, en dépit des difficultés, des désillusions et de la douleur qui se succèdent, distille ces rapports humains de tous les jours d'où émane ces instants fugaces de chaleur et cette lueur d'espoir prégnante que l'on ressent plus particulièrement au terme d'un récit aussi intense que lumineux.
Claire Vesin : Blanches. Editions La Manufacture de livres 2024.
A lire en écoutant : Larme Fatale de Julien Doré et Eddy de Pretto. Album : Aimée. 2021 Sony Music Entertainment France SAS.