Claire Vesin : Le Lotissement. Que c’est beau le monde !
Parfois, le texte prend davantage d’importance que l’image ce qui est plutôt un exploit sur une plateforme numérique telle qu’Instagram ainsi que le signe de récits d’une grande tenue comme c’est le cas avec Claire Vesin dont on se réjouissait de découvrir ses chroniques sur son quotidien de cardiologue exerçant dans son cabinet situé du côté d’Argenteuil, non loin de Paris. Aussi n’aura-t-on pas été surpris lorsque la praticienne s’est lancée dans l’écriture d’un roman en nous proposant Blanche (La Manufacture de livres 2024) abordant le thème des soignants dont elle évoque le mal être au sein d’un hôpital de la banlieue parisienne d’où émane une certaine forme de noirceur se conjuguant autour de tout un panel sensible d’hommes et de femmes, acteurs de cet environnement médical particulièrement malmené et dont on perçoit le désarroi et parfois même le désespoir qui rejaillit sur leur entourage. Nul tabou et surtout nul pamphlet n’émane de ce récit qui a rencontré son public tout en obtenant plusieurs récompenses dont tout dernièrement le prix Folio-Elle célébrant l’intensité d’une écriture d’où l’on distingue un impressionnant sens de la narration. Si Claire Vesin a mis quelque peu en veille ses chroniques de médecin sur son compte Instagram, c’est pour mieux la retrouver dans son rôle incontestable de romancière où elle s’éloigne audacieusement du monde médical, ce qui constitue déjà en soi une surprise, pour se pencher sur un petit village pavillonnaire de la banlieue parisienne des années 80 dont elle décortique toute une série d’évènements tragiques en s’inscrivant sur le registre du roman noir chargé d’une tension latente aux effluves poétiques.
Elle se souvient encore de l’incendie de l’un des pavillons de Mare-les-Champs en ce soir de l’année 1986 où ses parents l’ont tirée du lit pour voir ce qu’il se passait chez leurs voisins, la famille Mondessert. Elle revoit encore la civière sur laquelle gisait Elise, adolescente rebelle, tandis que sa mère Béatrice apparaissait effondrée, bien loin de l’image de reine incontestée qu’elle affichait vis-à-vis de la petite communauté du quartier. Quarante ans après, devenue médecin et après avoir enterré sa mère, voilà qu’elle trie les affaires dans la chambre parentale où elle exhume la photo de classe de l’époque avec sa maîtresse, Mme Suzanne Bourgeois ainsi que le journal intime d’Elise qu’elle avait dérobé à l’époque lors de l’escapade avec ses frères dans les décombres de la villa sinistrée. C’est l’occasion pour elle de rassembler des souvenirs perdus ainsi que les témoignages des protagonistes d’une succession de tragédies ravivant des blessures que l’on préfèrerait diluer à tout jamais dans les méandres de l’oubli.
Il y a eu toute une multitude d'exploration de l'envers du décors de ces charmants quartiers pavillonnaires dont on distinguait les aspects troubles déjà en 1974 avec un roman comme Les Femmes De Stepford d'Ira Levin où l'on percevait déjà la charge mentale que les hommes d'une banlieue du Connecticut avaient "généreusement" attribués à leurs épouses modèles. Dans un registre tout aussi cynique, un film comme American Beauty plaçait également ce personnage d'épouse modèle au centre de l'intrigue que l'on retrouve également dans la fameuse série Desperate Housewives d'ailleurs. Transposé en France, ce modèle banlieusard de la classe moyenne parvenue atteint son apogée dans les années 80, période durant laquelle Claire Vesin décline son intrigue qui n'a donc rien d'un choix anodin puisque le récit s'inscrit dans le registre d'une lutte des classes embryonnaire où la communauté pavillonnaire redoute l'émergence de barres d'immeubles toutes proches qui risquent de prétériter ce si bel environnement alors que l'on parle d'un certain Le Pen et de son parti qui fait son entrée à l’Assemblée. On sait déjà que tout cela finira mal, puisque l'intrigue débute avec cet incendie, point d'orgue de toute une série d'événements que la narratrice, dont on ignore le nom, mais qui exerce la profession de médecin, va nous rapporter, trente ans plus tard, à l'occasion de l'enterrement de sa mère alors qu'elle déterre quelques souvenirs peu reluisants. Et tandis qu'elle revient sur les lieux de son enfance, on replongera dans les méandres de cette époque trouble en adoptant différents points de vue dont celui de Béatrice, la femme modèle par excellence, de sa fille Elise, une adolescente tourmentée, de Suzanne jeune institutrice fraichement débarquée dont les origines guadeloupéenne suscitent un certain émoi, et bien évidemment de la mère de la narratrice incarnation de ce mal de vivre par rapport à cette quête de l'icône idéale, de la femme parfaite que son amie Agnès va mettre en exergue, sans pour autant la juger, bien au contraire. C'est cette envie, cette convoitise du bonheur qui émerge tout au long du récit où les veuleries, les mesquineries et autres petites lâchetés s'enchainent dans un quotidien somme toute assez banal qui va pourtant peu à peu dérailler jusqu'à une succession de tragédies inéluctables que Claire Vesin met en scène avec une redoutable efficacité en nous entraînant dans cet atmosphère pesante, où l'on distille le bonheur à coup d'antidépresseurs que le médecin généraliste de la région distribue comme des bonbons et avec une certain dose de cynisme. Véritable laminoire de la pensée divergente, l’ensemble pavillonnaire devient un véritable cauchemar pour celles et ceux qui font le pas de travers à l’instar de Suzanne Bourgeois, cette institutrice novice, férue de poésie dont la beauté rayonnante sème le trouble et la jalousie, jusqu’au drame ultime prenant une allure sacrificielle terrifiante et cinglante. Bien plus que la bande sonore composée des tubes de l’époque, que ce soit Balavoine ou Bronski Beat, davantage que l’actualité de cette période, à l’instar de Tchernobyl ou de l’entrée du FN à l’Assemblée, ce sont ces poèmes parsemant le récit, et que Suzanne affectionne, qui deviennent le véritable coup de projecteur dessinant les contours de cette intrigue sombre, et dont la lumière rejaillit sur la personnalité tourmentée des protagonistes arpentant Le Lotissement.
Claire Vesin : Le Lotissement. Editions de La Manufacture de livres 2025.
A lire en écoutant : It ain't necessarily so de Bronski Beat. Album : The Age of Consent. 1984 London Records Ltd.
"Ça fait partie de nous. C’est en nous. Pour ceux qui ont été blessé, c’est dans leur chair. Pour nous, les images sont toujours dans notre cerveau. Et on ne peut pas les oublier. C’est impossible de les oublier."
Du fait d'une certaine méfiance vis à vis de tous les médias en quête de sensation avec les abus qui en découlent, la démarche n'a rien eu d'une évidence pour le photographe qui s'est employé à instaurer
Dans les travées reliant les immeubles d'une banlieue décatie de Bornemouth, Abab, un jeune garçon exploité par des trafiquants d'êtres humains pakistanais, tente d'échapper à une bande de tueurs albanais qui viennent de liquider tous les occupants de l'appartement sordide où il logeait. Au cours de la fusillade, il a tout juste eu le temps de distinguer le visage de l'un d'entre eux dont il a croisé le regard. Désormais traqué par les assassins ainsi que par la police désireuse d'obtenir son témoignage, il trouve refuge dans l'appartement de Gloria, une femme trans qui ne sait pas trop quoi faire de ce jeune migrant clandestin indien bien trop encombrant pour intégrer son univers de solitude et de douleurs qu'elle intériorise depuis toujours. Chargé de démanteler un réseau mafieux albanais implanté à Londres, l'inspecteur David Burn est provisoirement affecté au commissariat de la ville balnéaire où le chef du gang aurait pris ses quartiers dans la région. De là à penser qu'il pourrait être le commanditaire de cette tuerie, il n'y a qu'un pas qu'il est prêt à franchir envers et contre tous.
On notera le fait qu'en abordant le thème des "grooming gangs" sévissant au Royaume-Uni, Gilles Sebhan s'attaque à un sujet délicat qui a suscité la polémique en lien avec le manque d'implication, voire la complicité des autorités, c'est peu de le dire, générant une récupération politique des partis d'extrême-droite par rapport au profil ethnique et religieux de ces individus qui ont mis en place ces réseau de prostitution en enlevant de leur famille ou des foyers auxquels il étaient confiés, des mineurs à la dérive. S'il n'édulcore en rien les aspects gênants de cette affaire notamment pour tout ce qui a trait à la communauté indo-pakistanaise ainsi que les licenciements de travailleurs sociaux ayant tenté d'alerter leur hiérarchie ou les instances policières et judiciaires du phénomène dramatique dont ils étaient témoins, Gilles Sebhan se concentre sur le profil des victimes que ce soit la jeune Amy en rupture avec sa famille et surtout Abad cet enfant pakistanais que sa famille a confié aux bons soins de son "oncle" Daddy qui en a fait un migrant clandestin qu'il exploite sans vergogne tout en assouvissant ses pulsions libidineuses au sein d'un appartement insalubre dans lequel s'entasse près de dizaine de
comparses d'infortune. C'est dans ce logement que débute l'intrigue de Night Boy prenant pour cadre la ville côtière de Bornemouth, dont la principale activité économique se décline autour des séjours linguistiques et qui se situe non loin de West Bay dont les falaises ont servi de décor pour la série Broadchurch auquel l'auteur fait d'ailleurs allusion.
Lors de la tenue de festivals tels que celui des Quais Du Polar à Lyon, il y a ces moments magiques où l'on se livre à quelques considérations autour de la littérature noire avec tout ce petit monde du livre, en partageant le verre de l'amitié et en dégustant les spécialités de la région quand les restaurateurs daignent bien vouloir nous servir ce qui n'a rien d'une évidence dans la Capital des Gaules où l'accueil se révèle parfois légèrement bancal dans ce domaine. Quoiqu'il en soit, c'est l'occasion de belles rencontres comme celle avec Lionel Destremau qui a officié dans le monde de l'édition parisienne durant une vingtaine d'années avant de retourner à Bordeaux, ville de ses origines, où il dirige notamment le fameux festival Lire en Poche de Gradignan qui est le premier événement littéraire français exclusivement dédié à ce format et qui célèbre ses vingt ans d'existence. Mais outre ses activités dans les univers de l'édition et des manifestations littéraires, Lionel Destremau a publié trois recueils de poésie chez Tarabuste éditions, entreprise indépendante officiant depuis quarante ans dans la région du Centre-Val de Loire. On notera également la part active qu'il prendra à l'élaboration, durant cinq ans, de la revue de critique littéraire Prétexte qu’il a animé en collaboration avec Jean-Christophe Millois, et dans laquelle on trouve notamment quelques dossiers dédiés au mauvais genre comme Les marges du polar, littérature blanche ou noire ? C'est d'ailleurs probablement dans cette marge que s'installe Lionel Destremau publiant son premier roman noir, Gueules D'Ombre (La Manufacture de livres 2022) prenant pour cadre un pays fictif dans lequel évolue, au milieu des décombres d'une guerre sans nom, un enquêteur chargé de découvrir l'identité d'un soldat plongé dans le coma. Un récit décalé à l'image de la superbe couverture de l'ouvrage tout comme celle ornant Jusqu'à La Corde (La manufacture de livres 2023), second livre de l'auteur qui s'inscrit dans le même registre insolite de la ville fictive de Caréna. Mais c'est dans l'agglomération bien réelle de Lyon, durant les années trente, que se déroule Un Crime Dans La Peau, son troisième ouvrage que l'on peut définir comme le récit d'un fait divers au procédé narratif déconcertant puisque Lionel Destremau navigue une nouvelle fois à la marge des genres entre fiction et réalité de l'époque qu'il restitue avec une impressionnante habilité.
A l'occasion de la visite du musée des Techniques policières d'Edmond Locard à Lyon, le jeune officier de police en devenir Eric Mailly, passionné de tatouage, découvre deux ouvrages qui ont été retirés de la vente aux enchères d'une collection privée. Il s'agit notamment d'une étrange pochette ayant appartenu au médecin légiste et criminologue Jean Lacassagne qui présente la particularité d'avoir intégré dans sa reliure la peau tatoué d'un homme, ce qui en interdit toute commercialisation. En se penchant sur les origines de l'ouvrage, Eric Mailly découvre que le tatouage ornait le corps de Louis Rambert, coupable de l'effroyable double meurtre de deux personnes âgées, crime qui avait défrayé la chronique judicaire lyonnaise des années trente. Et en poursuivant ses recherches, le jeune élève de l'école de police constate avec stupeur que le complice prénommé Gustave porte le même nom que lui. Se pourrait-il qu'il s'agisse d'un de ses aïeuls ? ainsi, en se plongeant dans les archives, dont celles de la presse qui a relaté le procès, Eric Mailly va découvrir certains pans de la vie tumultueuse de Louis Rambert et de Gustave Mailly, deux vauriens qui ont fini par commettre l'irréparable. S'agit-il d'un parcours prédestiné ? Et que sont-ils devenus après avoir été condamnés ?
Maison d'éditions indépendante fondée et dirigée par Pierre Fourniaud, La Manufacture de livres s'enorgueillit désormais d'une collection un peu à part, intitulée
La Petite Gauloise.
La Petite Fasciste.