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Pologne

  • MARYLA SZYMICZKOWA : LE RIDEAU DECHIRE. DERRIERE LE VOILE DES APPARENCES.

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    A l’origine, il y a le fameux whodunit incarné notamment par la romancière britannique Agatha Christie avec cette prédominance de l'énigme policière s'inscrivant autour d'une succession d'indices permettant à une enquêtrice amateure de découvrir le coupable dont l'identité sera révélée à la toute fin du récit. Issu de ce genre littéraire, le cosy mystery ou cosy crime connaît un essor considérable depuis quelques années avec des intrigues qui se définissent par leur caractère édulcoré, donnant du sens à cet oxymore anglophone, ainsi que par leur légèreté, pour ne pas employer le terme vacuité, que les couvertures au style infantile ne démentiront pas. Dans ce registre, on ne manquera pas de s'intéresser à l'oeuvre de Maryla Szymiczkowa, nom de plume du duo d'auteurs mariés que forme Jacek Dehnel et Piotr Tarczynski ayant désormais élus domicile à Berlin mais qui représenteront tout de même la Pologne lors de leur venue à Lyon à l'occasion du festival international Quais du Polar. C'est avec Madame Mohr A Disparu (Agullo 2023) que l'on fait la connaissance de Zofia Turbotyńska, cette bourgeoise de Cracovie au caractère quelque peu acariâtre, mariée à un professeur d'université, comblant l'ennui d'une vie domestique en se mêlant aux affaires criminelles qui émaillent le ville, ceci au gré d'une série d'énigmes policières prenant pour cadre la société polonaise de la fin du XIXème siècle jusqu'au tournant de la Seconde guerre mondiale. Si à bien des égards, les ouvrages de ces romanciers polonais répondent aux critères du cosy crime, on ne manquera pas de souligner l'aspect historique qui émerge de ces intrigues policières ainsi que l'étude de moeurs au caractère social affirmé comme en témoigne Le Rideau Déchiré, second opus de la série qui en compte désormais trois puisque Séance A La Maison Egyptienne va paraître très prochainement.

     

    A Cracovie en 1895, Zofia Turbotyńska doit faire face aux impondérables de la vie domestique avec les préparatifs des fêtes pascales qu'elle doit assumer avec l'unique appui de sa cuisinière Franciszka alors que sa femme de chambre Karolina a disparu du jour au lendemain après avoir remis sa démission. Un véritable scandale. Mais lorsque l'on retrouve le corps sans vie de la  jeune domestique au bord de la Vistule, la nouvelle à de quoi bouleverser les membres de la maison Turbotyńska ce d'autant plus qu'au vu des violences commises, il s'agit indéniablement d'un crime. Dotée d'un grand sens de l'observation conjugué à un esprit de déduction sans faille, Zofia va mener l'enquête en s'intéressant davantage à la personnalité de cette jeune femme qu'elle ne connaissait pas si bien que cela. Elle parcourra ainsi le bas-fond de la ville en croisant sur son chemin des malfaiteurs en tout genre, tout en découvrant le monde interlope de la prostitution que les édiles de la cité fréquentent assidument. C'est l'occasion pour elle de lever le voile sur cette province pauvre de la Galicie qui conduit femmes et hommes miséreux vers la ville en quête d'un espoir tout relatif.

     

    L'originalité de la série mettant en scène la détective amateure Zofia Turbotyńska réside dans son caractère érudit, sans être trop ostentatoire, tout en pariant sur l'intelligence du lecteur ce qui n'apparaît pas comme un critère essentiel dans la déclinaison de récits que l'on propose dans le cadre d'un genre littéraire comme le cosy crime. C'est également autour du contexte historique et de la multitude de détails qui en découlent que l'on prend la mesure de la densité de ces intrigues imprégnées de l'atmosphère sophistiquées de l'empire austro-hongrois et de sa complexité politique. Indéniablement, Le Rideau Déchiré présente un registre historique un peu moins prégnant pour se concentrer sur le volet social qui régit les différentes castes de la communauté de la ville de Cracovie et plus particulièrement le milieu bourgeois côtoyant la domesticité et plus spécifiquement les femmes de condition modeste devenant la proie d'individus inquiétants naviguant dans les réseaux de la prostitution. Cela permet aux auteurs d'aborder des sujets sensibles comme la conditions des femmes de l'époque et d'observer les mouvements progressistes qui s’amorcent au sein de la société polonaise, notamment avec l’émergence du socialisme qui prend davantage d’essor autour de personnalités historiques telles qu'Ignacy Daszyński que Zofia Turbotyńska va côtoyer à son corps défendant. Ainsi, sans mettre à bas les certitudes conservatrices de cette femme au caractère affirmé, qui cache d'ailleurs ses activités d'enquêtrice à son mari, on observe, sur un registre très nuancé, l'effritement de certaines de ses certitudes notamment en lien avec l'hypocrisie qui régit son entourage et plus particulièrement le milieu policier et judiciaire qu'elle côtoie dans le cadre de ses investigations. Mais en dépit de la gravité des thèmes abordés, Le Rideau Déchiré n'est pas dépourvu d'humour avec quelques scènes cocasses à l'instar de cette rencontre avec une prostituée que Zofia Turbotyńska rejoint dans un parc public, accoutrée d'un déguisement vaudevillesque ou de son effarement lorsqu’un médecin évoque son intérêt pour l’instauration d’une éducation sexuelle qu’il définit au sein de ce qu’il dénomme la “sexuologie“. Et puis, il y a cette multitude d’hommages à l’exemple du titre Le Rideau Déchiré faisant allusion à l’une des oeuvres du maître du suspense Alfred Hitchcock dont on trouve le nom dans l’énoncé du premier chapitre du récit également ponctué de citations de L'Étrange Cas Du Docteur Jekyll Et De Mr Hyde de Robert Louis Stevenson. Avec une intrigue se déroulant, sur plus d’une année, Le Rideau Déchiré est aux antipodes des romans trépidents propres à notre époque, pour se décliner sur un rythme prenant tout son temps au gré d’une construction narrative à la fois foisonnante et passionnante. 

     

    Maryla Szymiczkowa : Le Rideau Déchiré (Rozdarta Zaslona). Editions Agullo 2024. Traduit du polonais  par Cécile Bocianowski.

    A lire en écoutant : Polonaise No. 5 in F-Sharp Minor, Op 44. Album : Chopin: Polonaise - Rafal Blechacz. 2013 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin.

  • MARYLA SZYMICZKOWA : MADAME MOHR A DISPARU. GRAND THEATRE.

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    Dans le domaine de la littérature noire polonaise, on reste encore marqué par les enquêtes du procureur Teodore Szacki que son auteur, Zygmunt Miloszewski, mettait en scène dans une série composée de trois romans publiés chez Mirobole Editions et Fleuve Noir. Du côté de chez Agullo, on découvrait le pays et plus particulièrement la ville de Varsovie par le biais de Wojciech Chmierlarz et des investigations de son inspecteur Jakub Mokta, surnommé le Kub dont on suivait les péripéties au gré d'une série de cinq romans passionnants mettant en perspective les disfonctionnements de la société polonaise. Avec Maryla Szymiczkowa, nom de plume d'un duo d'auteurs mariés à la ville que sont Jacek Dehnel et Piotr Tarczynski, c'est du côté de Cracovie, ancienne capitale de la Pologne, que Agullo nous convie avec cette nouvelle série de quatre ouvrages, débutant en 1893 et qui se déroulera sur l'espace de plusieurs décennies pour s'achever en 1946 en présentant ainsi l'évolution du pays mais également de l'Europe centrale, ceci depuis l'empire austro-hongrois jusqu'au basculement du régime communiste peu après la fin de la seconde guerre mondiale. Pour aborder cette époque mouvementée et riche en péripéties, les auteurs ont pris le parti de suivre la destinée de Zofia Turbotynska, bourgeoise conservatrice, mariée à un professeur d'université, qui se découvre une vocation de détective au gré d'intrigues prenant l'allure d'un whodunit à la Agatha Christie nous permettant d'aborder ainsi les grands événements qui constituent cette période de l'Histoire. 

     

    Cracovie 1893. Zofia Turbotynska est une femme débordée devant impérativement renouveler son staff de domestique et plus particulièrement sa femme de chambre qui ne lui convient pas. De plus, elle organise une collecte à l'intention des indigents de la Maison Helcel, institution de soins privée dirigée par des bonnes sœurs charitables. Mais rien ne va plus lorsque l'on découvre dans le grenier de cet établissement le corps sans vie de madame Mohr. Sur place, le médecin conclut rapidement à une crise cardiaque, ceci au grand désarroi de Zofia, grande lectrice de romans policiers, qui y voit plutôt un acte criminel, ce d'autant plus lorsque l'on trouve une seconde résidente morte étranglée. C'est l'occasion pour cette femme désœuvrée de mettre en lumière les petits secrets plus ou moins sordides des résidents et des employés de la maison Helcel et de contrer le juge d'instruction Klossowitz toujours prompt à enfermer le premier suspect venu. Mais bien au-delà des apparences, Zofia va tout mettre en œuvre pour faire jaillir la vérité en se découvrant ainsi un passe-temps bien plus amusant que le point de croix.

     

    On apprécie d'emblée ce récit rédigé à quatre mains où le féru d'Histoire côtoie le passionné de tabloïds criminels pour nous offrir un roman bien équilibré conjuguant bien évidement l'Histoire avec l'intrigue policière mais également la comédie de mœurs nous permettant d'avoir un bon aperçu de la diaspora bigarrée d'une ville de Cracovie et de ses environs qui avait, à l'époque, le statut particulier de république semi-autonome contrôlée par les trois empires qu'étaient la Russie, la Prusse et l'Autriche avant d'être incorporée au sein de l'empire austro-hongrois. Dans un contexte historique assez complexe, il importe donc de lire attentivement l'avant-propos afin d'avoir une vision éclairée d'une période trouble où les soulèvements évoqués vont intervenir dans la destinée de certains protagonistes du récit en nous donnant ainsi davantage de recul quant à leurs motivations. On découvre ainsi une ville d'une belle richesse culturelle que les auteurs mettent en valeur avec deux points d'orgue qui ont marqué l'année 1893 que sont l'inauguration du nouveau théâtre de Cracovie et les funérailles du grand peintre polonais Jan Matejko qui refusa son titre de citoyen honoraire de la ville indigné qu'il était que l'on ait construit le théâtre sur l'emplacement d'un couvent et d'une église en ruines. Loin d'être anecdotiques, ces deux événements s'intègrent parfaitement dans le cours de l'intrigue en suivant les pérégrinations de Zofia Turbotynska évoluant dans toutes les castes qui composent la cité en nous permettant d'avoir une bonne vue d'ensemble des communautés de la ville à l'instar des juifs considérés comme des citoyens de seconde zone. Avec cette enquêtrice atypique, on découvre ainsi le quotidien d'une femme conservatrice aux idées bien arrêtées, un peu pingre, souhaitant assoir son rang avec l'aide de la noblesse qu'elle fréquente notamment par le biais de ses activités bénévoles qui ne sont pas vraiment désintéressées. Cet aspect du quotidien est d'autant plus intéressant qu'il est ponctué d'une pincée d'humour parfois mordant qui donne du relief à l'ensemble du roman. Et puis il y a bien évidement l'intrigue policière habilement construite qui rend hommage à la reine du roman policier britannique tout en s'en affranchissant avec talent au gré d'une enquête assez complexe dont on connaît l'aboutissement qu'en toute fin de récit avec la fameuse réunion théâtrale réunissant tous les suspects fréquentant cette Maison Helcel qui abrite bien des secrets. Tout cela nous donne un roman historique et policier passionnant s'attardant sur les aspects sociaux de l'époque au gré d'un récit plaisant en accompagnant une enquêtrice au charme indéniable que l'on se réjouit déjà de retrouver au cours d'une série qui s'annonce très prometteuse.

     

     

    Maryla Szymickowa : Madame Mohr A Disparu (Tajemnica Domu Helclow). Editions Agullo 2022. Traduit du polonais par Marie Furman-bouvard.

    A lire en écoutant : Joahnnes Brahms – Piano Quintet in F minor Op. 34, String Quartet in a minor Op. 51 No 2. Album : Camerata Quartet. 2022 Camerata Quartet.

  • WOJCIECH CHMIELARZ : LES OMBRES. ABUS DE POUVOIR.

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    Service de presse.

    A l'évocation des cycles de romans policiers, j'ai beaucoup de peine à dire que les ouvrages peuvent se lire indépendamment les uns des autres même si cela peut être effectivement le cas à l'exemple des livres de Valério Varesi narrant les enquêtes du commissaire Soneri se déroulant dans la région de Parme et de la plaine du Pô. Néanmoins, en lisant les romans dans l'ordre, on découvre l'évolution d'un personnage complexe ainsi que ses rapports avec la cité où il vit qui s'impriment dans le passé et plus particulièrement dans son enfance avec les liens qu'il entretenait avec son père. Avec ces éléments, on prend ainsi la mesure de son positionnement dans le cours des investigations qu'il mène et parfois de la frustration qu'il éprouve lorsqu'il se heurte à un adversaire insaisissable tel que la mafia qui gangrène la ville. Lire dans le désordre une série policière devient d'ailleurs un exercice de plus en plus difficile puisque l'on constate que de nombreux romanciers élaborent parfois, sur l'ensemble des différents volumes, une arche narrative dont il sera difficile de saisir les contours si l'on ne respecte par l'ordre chronologique des parutions à l'exemple de la série emblématique de l'auteur polonais Wojciech Chmielarz mettant en scène l'inspecteur Jakub Morkta, surnommé Le Kub. Dans ce cycle, l'auteur prend la peine d'intégrer le cadre familial de son personnage central ainsi que celui de son acolyte l'inspecteur Darius Kochan en mettant en lumière l'inquiétant processus des violences domestiques qui semble frapper durement la société polonaise. L'autre aspect de l'arche narrative du cycle réside dans la confrontation récurrente entre le Kub et le truand Borzestowski qui trouve sa conclusion dans Les Ombres, dernier volet de la série.

     

    Rien ne va plus pour l'inspecteur Darius Kochan, un mari violent qui a été mis au placard en traitant de vieilles affaires criminelles qui sont restées irrésolues. Comme si cela ne suffisait pas, il est désormais soupçonné d'avoir abattu la femme d'un gangster disparu depuis des années ainsi que sa fille. Il faut dire que l'on a retrouvé son arme de service sur les lieux du crime et que sa fuite fait office d'aveux. Acculé, le fugitif va demander de l'aide à son ancien partenaire, Jakub Mortka dit Le Kub qui croit en son innocence et décide de faire la lumière sur cette étrange affaire. De son côté La Sèche, adjointe du Kub, a mis la main sur la vidéo d'un viol collectif mettant en cause des politiciens de haut rang. Persuadée que cette affaire va être étouffée par sa hiérarchie, elle décide de mener ses investigations seule. Mais les difficultés s'enchainent et la policière décide de se confier au Kub qui va rapidement constater que les deux affaires sont liées avec l'implication de Borzestowski, son ennemi de toujours, qui règne sans partage sur la pègre de Varsovie.

     

    Dans Les Ombres, le récit débute là où s'achevait l'intrigue du roman précédent, La Cité Des Rêves, en révélant notamment le contenu d'une mystérieuse clé USB où est stockée une vidéo compromettante qui implique d'importants dignitaires du gouvernement s'adonnant à un viol collectif sur un jeune prostitué. C'est l'occasion pour La Sèche d'enquêter sur les arcanes du monde politique et de découvrir l'ampleur du trafic d'influence incarné autour du personnage de Wiesek qui fraie avec les politiciens véreux, mais également avec les flics corrompus et bien évidemment avec les truands représentés par l'inquiétant Borzestowski. Un monde opaque que Wojciech Chmielarz dépeint à la perfection par le prisme des investigations d'une tempétueuse enquêtrice au caractère bien trempé qui détonne au milieu des portraits de femmes battues, phénomène social que l'auteur s'emploie à dénoncer, tant le problème semble être latent dans son pays. L'autre aspect de l'intrigue tourne autour de l'exécution de trois truands, une vieille affaire que Darius Kochan avait remis au goût du jour en découvrant leurs corps enterrés dans un coin reculé de la campagne polonaise. Reprenant l'enquête à son compte, Le Kub va rapidement découvrir que son vieil ennemi Borzestowski est impliqué dans cette triple exécution qui a fait de lui le caïd de la pègre de Varsovie. Deux enquêtes parallèles que Wojciech Chmielarz met en scène au gré d'une narration maîtrisée et qui vont trouver des liens surprenants pour s'achever au détour d'une scène finale dantesque se déroulant dans les entrailles d'un ancien bunker truffé de souterrains. On oscille donc entre l'intrigue sociale dénonçant les dérives d'une société polonaise en plein essor et le récit d'action captivant qui va nous amener son lot de révélations, ceci jusqu'aux dernières pages du roman en clôturant brillamment une série de polars passionnants qui font un état des lieux sans concession de la Pologne.

     

    Avec Les Ombres, Wojciech Chmielarz signe donc l'achèvement d'une série de romans policiers brillants dont l'arche narrative trouve une conclusion détonante qui ne manquera pas de saisir les lecteurs les plus blasés. A lire sans modération.

     

    Wojciech Chmielarz : Les Ombres (Cienie). Editions Agullo 2021. Traduit du polonais par Caroline Raszka-Dewez.

    A lire en écoutant : Fiolkowe Pole de Sobel, Piotrek Lewandowski. Single. 2021 DEF JAM Recordings Poland.

  • WOJCIECH CHMIELARZ : LA CITE DES REVES. PULP FICTION.

    Capture d’écran 2020-08-06 à 13.31.10.pngIl importe désormais d'avoir une certaine attention pour les romans policiers en provenance des pays de l’est et plus particulièrement à la littérature noire issue de la Pologne avec ce que l’on peut considérer comme de grandes figures du genre comme Zygmunt Miloszewski qui s’est tourné vers la littérature blanche ou Wojciech Chmielarz qui devient la nouvelle référence dans le domaine du polar polonais avec sa série mettant en scène l’inspecteur Jakub Mortka surnommé Le Kub. Publiée chez Agullo, on découvrait cette nouvelle série policière avec Pyromane en suivant l’enquête de ce policier revêche affecté  à la brigade criminelle de Varsovie qui tournait autour d’une série d’incendies meurtriers. Avec La Ferme Aux Poupées Le Kub nous entrainait dans son exil dans les Carpates où il mettait à jour un trafic de traite de femmes destinées à la prostitution. Avec La Colombienne on assistait au retour en grâce de cet inspecteur opiniâtre réaffecté à Varsovie afin de s’atteler à une enquête périlleuse portant sur un trafic international de stupéfiant. Davantage focalisé sur le domaine de la politique et du trafic d’influence qui peut en résulter, Wojciech Chmielarz nous invite à retrouver, avec La Cité Des Rêves, son policier fétiche dont les investigations tournent autour d'un meurtre commis au sein d'une résidence cossue de la capitale polonaise.

     

    Les habitants de La Cité des Rêves sont en émoi lorsqu’ils apprennent que le gardien de cette résidence protégée a découvert le cadavre d’une jeune femme dans la cour de ces immeubles modernes, tout confort. C’est l’inspecteur Jakub Mortka qui est en charge de l’enquête secondé de la lieutenante Suchoka, surnommée La Seiche. Rapidement leurs soupçons portent sur une femme de ménage ukrainienne qui a pris la fuite le matin même du meurtre. Mais au fil de leurs investigations, les deux policiers vont mettre à jour les étranges comportements de certains habitants dont un ancien jeune député ambitieux tombé en disgrâce qui affiche la volonté d'effectuer un retour en force dans les affaires politiques du pays. Mais quels sont les atouts de cet individu qui semble bénéficier de l’appui de quelques personnalités louches de la pègre polonaise auquel Jakub Mortka a déjà dû côtoyer pour son plus grand déplaisir.

     

    L’intérêt d’une intrigue telle que La Cité Des Rêves repose sur la multitudes de personnages qui entrent en ligne de compte dans un récit où chacun d’entre eux prend autant d’importance, si ce n’est plus, que les protagonistes principaux du livre qui semblent davantage en retrait, en particulier pour ce qui concerne Jakub Mortka devenant le centre névralgique des interactions entre les différents individus intervenant dans le cours de cette histoire complexe. On apprécie ainsi cette rigueur dans la construction narrative où chaque chapitre met en exergue à un intervalle régulier les différentes actions des nombreux personnages du roman qui nous fait penser au rythme d’un film tel que Pulp Fiction auquel l’auteur fait d’ailleurs référence. Plus que Le Kub ou La Seiche, les deux policiers chargés de l’enquête, on s’intéressera davantage à des individus tels que Piort Celtycki nous donnant une vision peu glorieuse du système politique polonais ou à un malfrat comme Mieszko qui se révèle moins balourd qu’il n’y paraît. Trafics d’influence, chantages, extorsions, le monde polonais tel que présenté par Wojciech Chmielarz est assez sombre ceci d’autant plus lorsqu’il dépeint le milieu politique mais également le milieu journalistique auquel il appartient. Tout cela nous donne une vision lugubre d’un pays qui n’a pas encore totalement rompu avec les anciennes pratiques d’un régime communiste corrompu et qui s'engouffre dans une logique capitaliste ne présentant pas ses meilleurs atours comme le démontre des jeunes polonais tels que Aleksandr Chelmonski et ses camarades d’infortune en quête d’argent pour financer leurs concepts informatiques les entraînant vers des dérives qu’ils ne peuvent plus maitriser. Victimes intègres ou personnes vulnérables, on s’intéressera également aux femmes qui interviennent dans le récit à l’instar de la courageuse étudiante journaliste Suzanna Latkowska ou de Svitlana, cette femme de ménage ukrainienne contrainte d’endosser un meurtre qu’elle se défend d’avoir commis. C’est d’ailleurs autour de ce personnage ambivalent que l’on appréciera le coup de génie Wojciech Chmielarz qui parvient toujours à nous surprendre avec quelques éléments ou détails qui révéleront toute leur importance au terme d’un épilogue qui laisse sans nul doute place à une suite. Outre ces nouveaux intervenants on prend également plaisir à revoir quelques personnages récurrents comme Dariusz Kochan, ancien adjoint du Kub qui est relégué aux archives pour déterrer quelques « cold case » lui permettant d’obtenir un certain succès, ceci presque à son corps défendant dont une affaire tournant autour du caïd Borzestowski que l’on avait croisé dans les romans précédents de la série.

     

    Complexe, mais extrêmement bien mené, La Cité Des Rèves révèle tout le talent de Wojciech Chmielarz qui, dans la précision du détail, parvient à nous surprendre jusqu’à la toute dernière ligne d’un texte plaisant et abouti.

     

     

    Wojciech Chmielarz : La Cité Des Rêves (Osiedle Marzen). Editions Agullo Noir 2020. Traduit du polonais par Erik Veaux.

     

    A lire en écoutant : Eden de Talk Talk. Album : Spirit of Eden. 1997 Parlophone Records Ltd.

     

     

  • Wojciech Chmielarz : La Colombienne. Traînée de poudre.

    Capture d’écran 2019-08-01 à 12.05.07.pngMême s’il ne s’agit pas à proprement parler d’un phénomène, on assiste à une recrudescence de publications de polars et de romans noirs en provenance des pays de l’est, et plus particulièrement de Pologne dont la série à succès composée de trois romans de Zygmunt Miloszewski mettant en scène le procureur Teodore Szacki débutant avec Les Impliqués (Mirobole 2013) puis se poursuivant avec Un Fond De Vérité (Mirobole 2014) pour s’achever avec La Rage (Fleuve Noir 2016). Toujours en provenance de Pologne, mais se situant dans un autre registre, on découvrait deux romans de Magdalena Parys 188 Mètres Sous Berlin (Agullo Noir 2017) et Le Magicien (Agullo Noir 2019) dont les intrigues se déroulant en Allemagne, évoquaient les résurgences et les vieilles rancœurs trouvant leurs origines durant cette période trouble de la guerre froide. Un ensemble de romans incisifs, imprégnés d’une critique sociale mettant en lumière les carences du pays, tout comme cette nouvelle série de Wojciech Chmielarz où l’on suit les enquêtes de l’inspecteur Jakub Morkta surnommé Le Kub dont les investigations nous ont conduit tout d’abord à Varsovie avec Pyromane (Agullo Noir 2017) pour nous entraîner ensuite du côté de Kretowic avec La Ferme Aux Poupées (Agullo Noir 2018). La Colombienne, troisième opus de la série, marque donc le retour de ce flic atypique à nouveau affecté à Varsovie après son exil dans une province perdue qui l’aura marqué à plus d’un titre.

     

    En échange de quelques jours de tournages publicitaires sur les plages paradisiaques de Colombie, un groupe de jeunes polonais profite de ces vacances à moindre frais. Mais à l’annonce de l’annulation du tournage, le séjour tourne au cauchemar alors qu’il faut rembourser les frais engagés sous la menace de narcotrafiquants qui leur proposent une solution qu’ils ne peuvent refuser. A Varsovie, on retrouve le corps éventré d’un homme pendu par les pieds sous le pond de Gdansk. Chargé de l’enquête, l’inspecteur Mortka s’intéresse rapidement à l’entreprise d’investissements pour laquelle travaillait la victime. Trafic de stupéfiants, règlements de compte et blanchiment d’argent, les investigations prennent de plus en plus d’ampleur à mesure que les crimes s’enchaînent et que le tueur déterminé devient de plus en plus audacieux.

     

    Si la lecture de l’ensemble de la série n’est pas indispensable et que l’on peut découvrir chaque ouvrage indépendamment les uns des autres, il est cependant préférable de suivre l’ordre de parution des romans pour prendre la pleine mesure d’un personnage dont les contours et les caractéristiques se dévoilent au fur et à mesure des événements auxquels il a du faire face lors de ses différentes investigations. L’inspecteur Jakub Mokta plus, communément désigné sous le sobriquet du Kub, détonne dans le paysage du roman policier, parce qu’au delà des failles qu’il peut présenter, notamment au travers du naufrage de son mariage, l’homme reste résolument ordinaire et mène une vie plutôt ennuyeuse. Pas de vice, pas de passion, Le Kub s’investit complètement pour ses enquêtes sans pour autant posséder de quelconques facultés de déduction exceptionnelles, hormis son acharnement et son implication pour mener à bien ses investigations. On appréciera également l’entourage du Kub qui présente des caractéristiques similaires, particulièrement en ce qui concerne leur évolution, à l’instar de son partenaire, l’inspecteur Kochan, dont les problèmes domestiques prennent une tournure dramatique, permettant à l’auteur de mettre une nouvelle fois en avant toutes les dérives des violences conjugales, aux entournures d’une enquête dévoilant les aspects inquiétants d’individus dont les femmes ont la caractéristique de s’être suicidées dans des pièces closes de l’intérieur.

     

    Mais il va de soi qu'avec un titre et une illustration assez explicites ornant la couverture, La Colombienne tourne principalement autour de la thématique du trafic de stupéfiants en découvrant "Polaco", mystérieux personnage inquiétant, contraignant de jeunes polonais à endosser le rôle de mule pour le compte de narcotrafiquants colombiens et qui prend une tournure dramatique pour l'une de ces jeunes victimes tentant vainement de s'y opposer. Découvrir l'identité de ce "Polaco", traquer un tueur déterminé donnant ainsi prétexte à toute une série de règlements de compte qui prennent la forme d'une vengeance plutôt sanglante, tels sont les enjeux de l'enquête dont Le Kub a la charge et qu'il devra résoudre avec l'aide d'une jeune policière débutante surnommée La Sèche, dont la force de caractère donne l'occasion à quelques échanges savoureux avec son mentor qui n'est pas en reste de répliques cinglantes. Il en résulte un récit dynamique partant parfois dans toutes les directions, sans pour autant se disperser, qui met en lumière les arcanes de cette nouvelle économie d'investisseurs audacieux n'hésitant pas à intégrer d'ingénieux systèmes de blanchiment d'argent dans le circuit économique de la Pologne. Un portrait du pays qui demeure toujours sans concession au détour d'un texte précis et prenant, on apprécie toujours autant ces enquêtes du Kub que Wojciech Chmielarz met en scène avec une redoutable efficacité pour nous révéler les dessous peu reluisants d'organisations criminelles se jouant toujours un peu plus des frontières, sur fond de spéculations boursières douteuses.

     

    Captivant récit décrivant les dérives d'un système économique gangréné par des individus peu scrupuleux, La Colombienne est un roman qui ne fait que confirmer le talent d'un auteur maitrisant parfaitement les mécanismes du suspense et les codes du polar pour nous livrer une intrigue passionnante à haute valeur sociale ajoutée.

     

    Wojciech Chmielarz : La Colombienne. Editions Agullo Noir 2019. Traduit du polonais par Erik Veaux.

    A lire en écoutant : Infidelity (Only You) de Skunk Anansie. Album : Stoosh. 1996 One Little Indian Records.