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MON ROMAN ? NOIR ET BIEN SERRE !

  • DICKER, FEUZ, VOLTENAUER & MARCEAU MILLER. LA LITTERATURE EST UN BUSINESS.

    joël dicker,marc voltenauer,nicolas feuz,le roman de marceau miller,rosie & wolfe,la martinière,istya & cie,la très catastrophique visite du zoo,ultimatumJoël Dicker : La Très Catastrophique Visite Du Zoo.


    Selon Edistat, l'estimation s'élève à près de 50'000 exemplaires vendus en une semaine faisant en sorte que, dès sa parution, le roman figure en tête du classement des meilleurs ventes, toutes catégories confondues. C'est ainsi qu'il faut évoquer l'oeuvre de Joël Dicker et notamment La Très Catastrophique Visite Du Zoo, en se focalisant davantage sur le phénomène des ventes que sur l'aspect du texte, même si l'on vous explique qu'il s'agit d'un roman à très large spectre destiné autant à la jeunesse qu'aux adultes et qu'il aborde les sujets de la démocratie, de la tolérance et de l'inclusion au gré d'une enquête assez similaire à ses précédents récits s'inscrivant sur le registre très prononcé du suspense. Que voulez-vous, on ne change pas une équipe qui gagne, ce d'autant plus que le romancier est également devenu éditeur. Pour ce qui est du contenu, on fera mention de l'aspect formaté, calibré et sans aucune once d'aspérité ou d'originalité afin de faire en sorte de plaire au plus grand nombre en s'inspirant, d'une manière plutôt lourde, des textes de Goscinny et de son fameux Petit Nicolas illustré par Sempé dont Joël Dicker aurait dissous toute la force narrative pour nous restituer une intrigue extrêmement fade, en dépit de la présence de ces enfants spéciaux se révélant plutôt ordinaires. Mais finalement peu importe le contenu, car l'ensemble des médias se rangent désormais derrière le romancier genevois qui a su faire coïncider la sortie de son nouveau roman avec cette campagne de joël dicker,marc voltenauer,nicolas feuz,le roman de marceau miller,rosie & wolfe,la martinière,istya & cie,la très catastrophique visite du zoo,ultimatumsensibilisation #11marsjelis où il diffuse notamment sur Instagram, un clip promotionnel mettant en scène une multitude de personnalités s'associant à cette démarche de lecture, ceci en collaboration avec sa maison d'éditions Rosie & Wolfe ce qui en dit long sur le redoutable sens du marketing de l'entrepreneur Joël Dicker à qui l'on ne saurait reprocher de marteler cette injonction de se plonger dans les livres, surtout les siens qu'il imprime à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires. Tout juste admettra-t-on une pointe d'agacement lorsqu'il se fait donneur de leçon en expliquant "avec modestie et humilité" que l'industrie du livre a raté quelque chose qui est de fédérer les gens avec une explication assez simpliste qui caractérise d'ailleurs ses textes. Ce côté donneur de leçon on le retrouve également dans la postface de La Très Catastrophique Visite Du Zoo où Joël Dicker s'émeut de la fermeture des librairies qu'il met sur le compte de l'érosion du lectorat sans évoquer l'augmentation des charges et bien évidemment sans mentionner la concurrence des plateformes numériques et des grandes surfaces où ses ouvrages sont abondamment mis en avant par l'entremise d'Interforum, filiale d'Editis qui diffuse et distribue sa maison d'éditons. Joël Dicker semble d'ailleurs s'être résigné quant au côté immuable de la fermeture des librairies puisque sur le site de son entreprise figure désormais un lien de la grande plateforme numérique américaine nous dirigeant vers la vente en ligne de son nouveau roman, démarche qu'il se gardait bien d'effectuer auparavant. Mais on sent bien qu'avec la parution de La Très Catastrophique Visite Du Zoo, Joël Dicker est passé sur un autre registre beaucoup plus intense du marketing, ce qu'on ne saurait lui reprocher d'ailleurs. Il faut bien vendre et tant pis pour ce qui est de l'abandon des idéaux se diluant dans des injonctions paradoxales dont il n'a pas l'apanage dans le milieu de la littérature. Et tout le monde est sur le pont, en rang serré, pour mettre en exergue la démarche entrepreneuriale de l'auteur que des lecteurs et des journalistes enthousiastes défendent avec une certaine véhémence. Ainsi, pour les détracteurs qui se pencheraient sur le contenu des textes comme ça été le cas pour La Vérité Sur L'Affaire Harry Québert, Le Livre Des Baltimore ou La Disparition De Stéphanie Mailer, la cohorte de fans de Joël Dicker vous ramènera immanquablement vers un amalgame abscons où émerge des notions comme le mépris tant de l'auteur que des lecteurs, ou comme l'élitisme qui font que l'on exècre forcément tout ce qui a trait au succès en lien avec la littérature populaire qu'il ne faudrait pas lire. Joël Dicker se lâchait d'ailleurs sur le sujet en 2012 à l'occasion d'un entretien sur la RTS, en expliquant qu'avec le succès de La Vérité Sur L'Affaire Harry Québert, il intègre "le grand club de la Suisse qui gagne" tandis que ceux qui le critiquent font bien évidemment partie "du petit club de ceux qui aiment perdre.…" On appréciera. Mais à titre de contre-exemple, on citera Zep, un autre suisse qui plus est genevois, qui a su concilier succès et popularité tout en conservant cette dimension artistique imprégnée d'audace et d'originalité tout comme Manu Larcenet et Pierre Lemaître qui ne se sont pas asséchés sous la lumière artificielle du marketing. Et puis si l'on reprend l’image des brocolis chers à Joël Dicker, on pourra expliquer que si l'on n’aime pas ce légume, il ne s'agit pas d'un manque de respect à l'égard du producteur et encore moins vis à vis de celles et ceux qui en consomment et qui le dégustent avec plaisir. Chacun mange ce qu’il veut et ce qu’il lui convient. Et pour en revenir à la littérature, il faudra souligner le fait que les personnes qui jettent comme moi, un regard critique sur l'oeuvre de Joël Dicker et tout ce qui entoure ses démarches de marketing, ne sont pas forcément toutes issues d'un pseudo sérail littéraire élitiste qui conspuerait le moindre succès qui n'a d'ailleurs absolument rien à voir avec la qualité du texte. Cela se saurait. 

     

    joël dicker,marc voltenauer,nicolas feuz,le roman de marceau miller,rosie & wolfe,la martinière,istya & cie,la très catastrophique visite du zoo,ultimatumNicolas Feuz & Marc Voltenauer : Ultimatum.


    Dans le domaine du marketing, ils n'ont rien à envier à Joël Dicker et après une petite baisse de visibilité en matière de présence médiatique à l'occasion de la parution de leurs derniers ouvrages, Nicolas Feuz et Marc Voltenaueur reviennent en force dans le paysage des médias helvétiques en publiant Ultimatum, un roman écrit en duo qui met en scène leurs personnages respectifs que sont l'inspecteur Andreas Auer et le procureur Norbert Jemsen qui vont faire face à une menace d'attentat d'envergure qui va frapper la Suisse. Là également, le contenu importe peu et l'on retrouve ce côté guide touristique de la Suisse pour les nuls, ainsi que ce côté burlesque,  quelque peu involontaire, avec des tueurs déguisés en Père Noël ou prenant le nom de personnages de dessins animés de Walt Disney tandis que le récit prend l'allure d'un thriller aux connotations complotistes avec cette propension pesante à mettre en avant la documentation qu'ils ont accumulée lors de la rédaction de l'ouvrage et qui émerge un peu trop, en  brisant ainsi le rythme d'une intrigue bancale. Il va de soi que c'est cette écriture à quatre mains qui est désormais mise en exergue que ce soit dans les articles de presse ainsi que sur les plateaux de la télévision qui ne font guère mention de la qualité du texte qui connaît, comme toujours, un certain retentissement en Suisse romande puisqu'ils figurent en bonne place dans le classement des ventes de la chaîne des librairies Payot, juste derrière un certain Joël Dicker qui leur doit peut-être une certaine inspiration en matière de marketing, puisque Nicolas Feuz et Marc Voltenauer se sont tournés bien avant lui vers le marché de la littérature jeunesse en publiant des intrigues policières pour le compte des éditions Auzou. Et la démarche n'est, de loin pas, anodine ni désintéressée, parce que ces romanciers ont bien compris qu'il s'agissait d'un marché en pleine expansion qui ne connaît pas vraiment la crise, en dépit d'un léger recul des ventes ces deux dernières années, et qu'elle contribuait à asseoir leur notoriété. Pour preuve, à l'occasion du Salon du livre à Genève, Nicolas Feuz et Marc Voltenauer seront davantage présents sur le stand Auzou pour dédicacer leurs livres jeunesses et consacreront beaucoup moins de temps à signer leur dernier thriller. Mais qu'à cela ne tienne, on ne saurait reprocher à ces deux romanciers suisses de vouloir vendre des livres, si ce n'est que de se laisser aller à une écriture formatée avec une absence de style assez caractéristique qui se décline au gré de chapitre extrêmement courts. 


    joël dicker,marc voltenauer,nicolas feuz,le roman de marceau miller,rosie & wolfe,la martinière,istya & cie,la très catastrophique visite du zoo,ultimatumLe Roman De Marceau Miller


    Mais l'incarnation du coup marketing littéraire dans ce qu'il y a de plus dévoyé revient, pour ce début d'année 2025, aux éditions de La Martinière publiant Le Roman De Marceau Miller qui prend pour cadre les bords du lac Léman, non loin de la Suisse. Est-ce un signe ? Une prolifération de ce qui se fait de plus mauvais en matière de littérature industrielle dans la région ? Toujours est-il que l'argument de vente réside dans l'identité mystérieuse de l'auteur dont on se garde bien de nous dévoiler le nom, histoire de nous faire un peu frémir, tandis que l'éditrice surenchérit en nous  assurant que les droits à l'étranger font l'objet d'enchères ou de préemptions émanant d'une multitude de maisons d'éditions prestigieuses, mais dont on ne voit toujours pas l'issue. On parle de montants à "6 chiffres" voire même “7 chiffres" sur le site dédié à ce fameux Marceau Miller. Avec de tels effets d'annonce, il va de soi que journalistes et influenceurs éclairés se sont engouffrés dans la brèche pour brandir ce qui apparaît pour eux comme un nouveau phénomène éditorial à venir, ceci bien évidemment dans le cadre de collaborations commerciales rémunérées. Alors pour s'extraire de l'enfumage autour de ce roman aux chiffres vertigineux, on notera que selon les éléments fournis par Edistat, la vente cumulée des ouvrages s'élève à 9'099 exemplaires depuis sa parution au 17 janvier 2025 (performance honorable sans être faramineuse), qu'il s'est classé à la 116ème position des meilleurs ventes durant la première semaine avant de disparaître du classement et que l'on se demande dès lors, au vu de la muraille de livres qui trônent dans les grandes chaînes de librairie, combien d'entre eux finiront au pilon. Mais rien n'est encore perdu, on garde espoir. Néanmoins, pour revenir au contenu, on dira, à la lecture de ce texte laborieux, que l'on comprend que son auteur ait souhaité rester anonyme : la honte sans aucun doute, conjuguée à une mythomanie exacerbée qu'il ne faudrait cependant pas trop afficher. Désireux de lever le voile de cet anonymat, on fustigera celles et ceux qui ont voulu en attribuer la paternité à une application de l'intelligence artificielle qui aurait sans doute fait beaucoup mieux que ce condensé d'inepties reprenant les fameux codes du thriller haletant, ce qui n'est pas forcément  un gage de qualité de nos jours. On remarquera, entre autre, qu'en guise de documentation, l'auteur s'est probablement appuyé sur Google Maps en prenant soin de donner la référence de chacune des routes empruntées par les protagonistes d'une mauvaise intrigue dont on peut survoler de nombreux passages tant ils apparaissent aussi répétitifs que dépourvus d'intérêt, sans que cela ne pérore cette lecture fastidieuse, bien au contraire.

     


    Joël Dicker : La Très Catastrophique Visite Du Zoo. Editions Rosie & Wolfe 2025.

    Nicolas Feuz & Marc Voltenaueur : Ultimatum. Editions Istya & Cie 2025.

    Anonyme : Le Roman De Marceau Miller. Editions La Martinière 2025.

    A lire en écoutant : I'll Stay Here de Balthazar. Album : Applause. 2010 Maarten Devoldere / Jinte Dprez.

  • Simone Buchholz : River Clyde. Le passage.

    simone buchholz,rive clyde,collection fusion,éditions de l'atalanteToutes les bonnes chose ont une fin mais on regrettera bien évidemment le fait que la série des investigations de la procureure Chastity Riley s'achève avec River Clyde ce dernier roman de Simone Buchholz qui semble donc avoir fait le tour de cette héroïne hors-norme dont elle a distillé   les récits en publiant dix ouvrages parmi lesquels cinq sont traduits en français par Claudine Layre pour la collection Fusion des éditions de l'Atalante, dirigée par Caroline de Benedetti et Emeric Cloche, bien connus dans le milieu de la littérature noire avec leur association Fondu Au Noir. Autant dire que l'on a été véritablement séduit par cet emploi vertigineux de l'ellipse, ainsi que ces dialogues  incisifs mettant en scène des individus attachants gravitant autour de la personnalité parfois éthérée de cette femme insaisissable où l'incertitude devient sa force de caractère tout en révélant certaines failles notamment pour ce qui a trait à ses origines. Issue d'un amour entre un soldat américain basé en Allemagne qui se suicidera alors qu'elle est adolescente et d'une mère allemande qui l'a abandonnée sans un mot, Chastity Riley incarne bon nombre de ces enfants  allemands partagés entre deux cultures que Simone Buchholz a côtoyé à l'école qui s'est donc penchée sur cette quête des origines qui rejaillit plus particulièrement dans River Clyde avec cette incursion en Ecosse, du côté de Glascow et de sa région, même si la ville de Hambourg apparaît encore une fois au gré d'une intrigue parallèle. Parce qu'il va de soi que la série de la procureure Chastity Riley met également en évidence cette ville portuaire de Hambourg avec cette ouverture au monde dont on a un échantillon en évoluant dans le secteur de Sankt Pauli, ce quartier populaire où l'on côtoie des communautés étrangères relativement pauvres ainsi que des individus venus faire la fête dans la multitude de bars et de salons où les prostituées travaillent dans une ambiance extrêmement animée. Bien loin des clichés qui pourraient émaner d'un tel environnement, Simone Buchholz a fait en sorte de nous livrer des récits imprégnés d'une certaine poésie tout en abordant des thème sociaux issus de l'actualité du moment que ce soit les problèmes de stupéfiants transitant par le port, la lutte inégale des classes ainsi que les difficultés en lien avec l'intégration des étrangers, ceci avec une pertinence totalement dénuée de naïveté. 

     

    Après l'explosion au dernier étage du bar de l'hôtel où ils célébraient un départ à la retraite, personne ne s'est vraiment remis des événements tragiques et notamment de la disparition de l'un des leurs qui a marqué à tout jamais les membres de l'équipe de la brigade criminelle et bien évidemment la procureure Chastity Riley qui est désormais en disponibilité. Et puis il y cette lettre d'un avocat de Glascow l'informant qu'elle est désormais l'héritière d'une maison au fin fond de l'Ecosse et qui appartenait à sa tante paternelle qu'elle n'a jamais connu. Alors voilà Chastity Riley qui se balade sur les bords de la Clyde River tandis que les fantômes du passé ressurgissent au gré d'une errance jalonnée de rencontres impromptues, parfois surnaturelles. Et du côté de Hambourg, Stepanovic et Calabretta, ainsi que le reste de l'équipe, reprennent du service en investiguant du côté de promoteurs immobiliers sans foi ni loi qui ont incendié un ensemble d'immeubles vétustes du quartier de Sankt Pauli. Mais pas certain que cela ne concerne vraiment Chastity Riley qui s'est lancée dans une enquête intime à la recherche de ses racines dans les méandres du loch recelant quelques secrets qui lui permettront peut-être de se reconstruire.

     

    simone buchholz,rive clyde,collection fusion,éditions de l'atalanteVéritable fil conducteur de la narration, le fleuve donnant son titre au roman River Clyde devient une espèce d'entité magique faisant office de passeur entre le monde invisible et l'univers chamboulé de Chastity Riley qui tente de se remettre des événements que l'on a découvert dans Hôtel Carthagène (Fusion 2024) qu'il est recommandé de lire avant, afin de saisir toutes les nuances des intrigues qui touchent son entourage. Si le thème de l’origine a toujours été présent dans les aspects de la personnalité de la procureure hambourgeoise, il s’inscrit dans une dimension beaucoup plus prégnante au cours de ce dernier opus prenant l’allure d’une véritable introspection, aux connotations parfois oniriques, ponctuée de très belles rencontres au gré de ses pérégrinations que ce soit du côté de Glascow, ville extrêmement bien incarnée, ou du côté de la région de Garelochhead, au milieu des landes et lochs écossais où se situe la maison que sa tante Eliza lui a légué, ce qui va lui permettre de se connecter avec l'histoire de sa famille, du côté paternel dont elle ignore pratiquement tout. Toujours dans la mesure, Simone Buchholz se garde bien de nous entrainer sur le registre des révélations fracassantes ou d'une pseudo enquête policière nous dévoilant les raisons du suicide de son père. Il en va d'ailleurs de même pour ce qui a trait aux investigations des incendies intentionnels des immeubles de Hambourg dont s'occupe les membres de la brigade criminelle qui, tout comme Chastity Riley, tentent de surmonter leur chagrin chacun à leur manière, et que la romancière met en scène au rythme d'une longue filature où les policiers deviennent davantage témoins qu'enquêteurs alors qu'une espèce de justice "naturelle" des choses se met en place, tout en s'attardant également du côté du Nuit Bleue (Fusion 2021) où Chastity Riley a passé tant de temps à écluser quelques verres de bière et de gin en compagnie des tenanciers de l'établissement dont elle est extrêmement proche. Comme à l'accoutumée, c'est la richesse et l'originalité de la mise en scène qui séduit le lecteur avec un texte intense où l'émotion se distille autour de ces échanges à la fois marquants et sobres qui caractérisent chacun des personnages d'une série qui prend fin dans le cadre d'une atmosphère envoûtante dont on s'extrait avec regret. On saluera néanmoins le fait que Simone Buchholz a préféré mettre fin à une série policière singulière plutôt que de prendre le risque de nous livrer l’ouvrage de trop comme c’est souvent trop le cas dans le domaine de la littérature noire. Et puis on notera, avec un certain plaisir, que Nuit Bleue premier roman des enquêtes de Chastity Riley intègre désormais la collection des éditions Rivages/Noir, en espérant qu’il en sera de même pour l’ensemble des ouvrages de Simone Buchholz.

     

     


    Simone Buchholz : River Clyde (River Clyde). Editions de l'Atalante/collection Fusion 2025. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

    A lire en écoutant : Slow Like Honey de Fiona Apple. Album : Tidal. 1996 Epic Records.

  • TIM DORSEY : FLORIDA ROADKILL. TORTUES ET PELICANS.

    tim dorsey,florida roadkill,éditions rivagesS'il est né dans l'Indiana, sa terre d'adoption a toujours été la Floride où il a tout d'abord travaillé comme journaliste du côté de Tampa, puis de Tallahassee avant de se lancer dans l'écriture en publiant 26 romans noirs mettant en scène Serge A. Storms, le plus barré des tueurs psychopathes qui s'inscrit dans la lignée de ces personnages floridiens décalés qui peuplent les récits de John D. MacDonald ou de Carl Hiassen qui surgit d'ailleurs dans l'un de ses ouvrages déjantés. Tim Dorsey apparaît donc comme un auteur singulier et détonant que l'on découvre en 2000 avec la publication en français de Florida Roadkill qui figure dans l'emblématique collection Rivages/Noir en compagnie de six autres opus de la série qui n'ont malheureusement pas rencontré leur public en dépit de la véhémente insistance d'un blogueur afficionados de l'auteur qui ne s'est toujours pas remis de cette immersion dans un univers aussi hilarant que tonitruant. Et si l'on veut avoir une idée de la personnalité du romancier, on s'attardera sur la photo de son profil Facebook cet aspect cocasse qui émerge de ses textes. Mais au-delà de l'aspect désopilant de ses textes qui vous feront rire aux éclats, à moins d'avoir subi une lobotomie, on ne manquera pas d'apprécier la redoutable et énergique capacité de narration de Tim Dorsey qui vire parfois vers un surréalisme hilarant ainsi que le véritable cri d'amour à l'égard de la Floride dont il distille certains pans de son histoire et de sa culture sur un registre tout aussi survolté, tout en nous sensibilisant sur la préservation tant du patrimoine que de la nature, faisant notamment l'objet d'une convoitise immodérée des promoteurs immobiliers de la région et de leurs partenaires qu'il fustige allègrement, c'est le moins que l'on puisse dire, au gré d'un humour au vitriol.

     

    tim dorsey,florida roadkill,éditions rivagesOn dit de lui qu'il est un obsessionnel-compulsif, maniaco-dépressif, rétenteur anal, paranoïaque et schizophrène qui se révèle également extrêmement érudit notamment pour tout ce qui a trait à la Floride où il a toujours vécu. Pourtant durant son incarcération Serge A. Storms s'est merveilleusement bien entendu avec Coleman un junkie complètement abruti qu'il a pris sous son aile à sa sortie de prison. Ne s'embarrassant pas trop de la morale, les deux compères acceptent de prendre part à cette formidable escroquerie à l'assurance que la sculpturale Sharon leur propose afin d'assouvir leur train de vie plus que dissolu avec notamment une consommation immodérée de substances illicites. Mais le projet tourne court et voilà que le trio se lance à la poursuite d'une mallette contenant cinq millions de dollars en sillonnant les routes pour se rendre jusqu'aux Keys en croisant de près ou de loin le séducteur le plus maudit de la région, l'assureur le plus véreux de l'état, le cartel le plus minable du pays, le groupe de motards le plus nul du monde et le propriétaire de camping le plus odieux de l'univers. Mais quoi qu'il advienne, rien n'empêchera Serge le psychopathe de regarder les matchs baseballs des World Séries quitte éliminer, avec une inventivité sans égale, tous les obstacles qui se présentent à lui. Et autant dire qu'ils sont bien nombreux.  

    tim dorsey,florida roadkill,éditions rivagesSi les récits de Tim Dorsey prennent une forme outrancière, on notera que la seule faute de goût de l’auteur réside dans le fait de nous avoir quitté prématurément en 2023 à l’âge de 62 ans en laissant désormais orphelin Serge A. Storm et la kyrielle d’individus fantasques qui l’ont accompagné durant toute la série d’aventures déjantées et burlesques dont les ressorts comiques frisent le génie. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Florida Roadkill n’a rien d’un roman foutraque qui partirait dans tous les sens, sans aucune maîtrise. Bien au contraire, on relèvera le sens aigu de la mise en scène de l’auteur qui réussit à contrôler l’ensemble des intrigues éparses du roman afin de faire en sorte d’arriver à une formidable conjonction des événements qui s’emboîtent à la perfection au gré d’une course poursuite finale décapante. S’il présente tous les aspects du serial killer, on apprécie chez Serge A. Storm le choix de ses victimes ainsi que son inventivité dans la manière de les éliminer qui ne manquera pas de réjouir les lecteurs avec ce sentiment d’exutoire qui émerge en permanence. Il faut dire qu’elles sont gratinées les crapules odieuses qui côtoient ce tueur redoutable qui n’est pas dénué d’un certaine sensibilité notamment à l’égard de l’environnement qui l’entoure et qu’il entend bien préserver à sa manière, tout en tenant compte de ses intérêts et de ceux de Coleman, son abruti d’acolyte qui l’accompagne durant toutes ses aventures de Tampa, jusqu’au bout des Keys. Mais Florida Roadkill, c’est aussi l’occasion de présenter les différents aspects méconnus et décalés du Sunshine State que ce soit les bars les plus originaux qui existent vraiment et que ses protagonistes fréquentent au gré de circonstances parfois complètement farfelues, ou que la librairie de Haslam que Jack Kerouac fréquentait assidûment et qui a malheureusement mis la clé sous la porte en 2020. Et puis on apprécie véritablement ces portraits d’individus hors-normes ainsi que leurs parcours chaotiques tout en mettant en exergue, sur un registre extrêmement féroce, les dysfonctionnements sociaux d’une région magnifique suscitant certaines convoitises redoutables que Tim Dorsey dépeint avec cette ironie mordante qui le caractérise. Ainsi, Florida Roadkill  se révèle être un roman noir faisant également office de guide touristique aussi déjanté qu’hilarant qui s’inscrit dans la dimension d’une originalité résolument hors-norme.

    Tim Dorsey : Florida Roadkill (Florida Roadkill). Traduit de l'anglais (Etat-Unis) par Laetitia Devaux. Editions Rivages/Noir 2017. 

    A lire en écoutant : Hot Stuff de The Rolling Stone. Album : Black and Blue. 2012 Promotone B.V.

  • Frédéric Paulin : Rares Ceux Qui Echappèrent A La Guerre. Prise d'otage.

    frédéric paulin,rares ceux qui échappèrent à la guerre,éditions agulloService de presse.
     
    Outre l'énormité du travail d’écriture de l'auteur, c'est également autour du processus de la publication qu'il faut saluer l'activité de la maisons d'éditions Agullo qui nous a permis d'absorber en l'espace d'une année et demi, la trilogie Tedj Benlazar, du nom de cet agent actif (et fictif) de la DGSE que l'on suit, sur l'espace de plus de deux décennies, dans sa lutte contre le terrorisme dont Frédéric Paulin a dressé le panorama entre les années 90 marquées par la guerre civile en Algérie, dont le conflit s'exporte sur le territoire français, pour se poursuivre avec les attentats du 11 septembre 2001 avant de s'achever sur les événements qui ont frappé Paris le 15 novembre 2015. Dès lors, le défi consistait  à effectuer le découpage à la fois cohérent et équilibré d’un texte d’une intensité considérable où la fiction s’agrège à la réalité des faits historiques qui ont jalonné cette époque tout en permettant aux lecteurs d’assimiler l’ensemble du champ narratif extrêmement complexe dont il faut se remémorer les différents aspects sur l’espace de périodes plus ou moins longues ponctuant les différentes publications. Après avoir abordé le terrorisme islamiste avec une telle pertinence qui a marqué tous les esprits, il faut bien avouer qu'il y avait de quoi s'enthousiasmer lorsque l'on a appris que Frédéric Paulin allait se concentrer sur cette période sombre de la guerre civile au Liban dont on a tous quelques souvenirs épars et parfois marquants sans pour autant avoir saisi toute la nature des enjeux qui ont entouré ce conflit chaotique où des termes étranges émergeaient parfois des dépêches. On pense aux milices du Hezbollah, aux phalanges chrétiennes, à Tsahal, au poste Drakkar, tout en se remémorant certains lieux comme Beyrouth bien sûr et plus particulièrement certains quartiers ou camps de réfugiés comme Sabra et Chatila, sans parler des attentats sur le sol libanais mais également en France ainsi que ces otages dont les portraits apparaissaient quotidiennement en préambule du journal télévisé. On retrouve bien évidemment tout cela, et bien plus encore, dans le premier opus intitulé Nul Autre Ennemi Que Mon Frère (Agullo 2024) en faisant figure d'événement littéraire lors cette rentrée de l'automne 2024 tant la réputation de Frédéric Paulin n'est pas usurpée quant à sa capacité à faire coïncider, de manière parfaite, ses personnages de fiction dans la réalité des événements qui ont jalonné l'époque qu’il dépeint et que l'on assimile avec une aisance désarmante tant l'écriture est précise et rigoureuse. A partir de là, c’est peu dire que l’on attendait, avec une certaine fébrilité, le second volume de cette trilogie annoncée, intitulé Rares Ceux Qui Echappèrent A La Guerre, titre évocateur s’il en est, de la dégradation d’un conflit prenant de plus en plus d’ampleur en dépassant les frontières du Liban et dont le romancier va mettre en évidence les contours complexes ainsi que les enjeux sous-jacents et sinueux qui vont avoir un impact jusqu’au plus haut niveau des instances du gouvernement français.
    Emporté par l’intensité de cette fresque sombre, on notera avec satisfaction que la maison d’éditions Agullo a opté pour un rythme de parution encore plus soutenu, avec un intervalle de six mois entre les volumes formant la trilogie que Frédéric Paulin a rédigé d’une traite, en nous permettant ainsi de soulager quelque peu la fébrilité de l’attente et de garder en mémoire les différents éléments de l’intrigue, tout en sachant que le roman final, intitulé  Que S’Obscurcissent Le Ciel Et La Terre, paraîtra à l’occasion de la rentrée littéraire de l’automne 2025.

     

    23 octobre 1983. Le moins que l'on puisse dire c'est que le commandant Dixneuf, rattaché à l'ambassade française de Beyrouth, est sur la sellette en tant qu'agent de la DGSE qui doit rendre des comptes quant aux manquements des services du renseignement qui n'ont pas été en mesure d'éviter l'attentat du poste Drakkar faisant près de soixante victimes au sein du contingent de soldats français déployés dans la ville. Ainsi, la France devient partie prenante de la guerre civile qui ravage le Liban et ce n'est pas Phillipe Kellermann, officiant comme conseiller après du président Mitterand sur les sujets du Moyen-Orient, qui dira le contraire en apprenant que son fils fait partie des disparus. Mais du côté du Hezbollah, on change déjà de tactique en confiant à Abdul Rassal al-Amine la mission de  prendre en otage tout d'abord un ressortissant américain avant de cibler des citoyens français qui vont alimenter l'espace médiatique durant plusieurs années ainsi qu'un certain clivage politique quant à la façon de mener à bien cette résolution d'un conflit qui s'enlise dans la violence. Mais l'enjeu de la libération des otages, c'est également une opportunité pour l'opposition de s'emparer du pouvoir que Michel Nada désormais candidat aux législatives et proche de Charles Pasqua, va saisir en s'éloignant ainsi définitivement des membres de sa famille restés à Beyrouth pour défendre la cause chrétienne. Et tandis que l'on s'entredéchire sur le sujet, c'est désormais une vague d'attentats et d'exécutions, portant la signature d'Action Directe et du Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient, qui frappe Paris et la province. 

     

    Autant dire que l'on est dans la continuité de ce qui s'avère être l'une des lectures les plus passionnantes de ces dernières années, sans pour autant vouloir surenchérir, parce qu'il est évident que les qualificatifs visant à définir les textes de Frédéric Paulin perdent finalement de leur substance dans un amalgame de louanges trop outrancières qui n'ont plus beaucoup de sens. Plus parfait que la perfection ? Plus exceptionnel que le récit d'exception ? C'est à voir et à débattre, mais peut-être faudra-t-il s'arrêter sur la notion de chef-d'œuvre quitte à être audacieux pour qualifier avec un enthousiasme bien légitime les deux premiers opus de cette trilogie consacrée à la guerre civile du Liban durant les années 80 et dont on saisit avec une facilité assez déconcertante tout le panorama de l'époque. Portant sur la période de 1983 à 1986, Rares Ceux Qui Echappèrent A La Guerre se focalise sur l'aspect sombre des otages détenus au Liban et bien évidemment sur les enjeux qui en découlent, que ce soit les négociations entre le Liban et la France, mais également la lutte de pouvoir trouble entre le gouvernement socialiste de Mitterand à l'opposition conduite par Chirac et Pasqua en saisissant ainsi certains aspects peu reluisants des officines politiques, quel que soit leur bord. Dans ce contexte, on notera une présence plus marquée en France, puisque Frédéric Paulin évoque également toute la série d'attentats à l'explosif perpétrés dans les différents quartiers de Paris en faisant une multitude de blessés et de morts. A partir de là, il est évident que la tension narrative est permanente, ce d'autant plus que le romancier prend soin de décliner son récit sur un registre aussi sobre qu'efficace sans qu'il n'y ait d'ailleurs aucune notion de jugement, même si l'on peut ressentir parfois le désarroi de certains des personnages et plus particulièrement de la juge Sandra Caillaux et de son mari le commissaire Nicolas Caillaux qui tentent d'endiguer cette vague d'attentats tout en composant avec les instances politiques ainsi qu'avec les services de renseignement qui ne leur facilitent pas forcément la tâche. Et comme à l'accoutumée, on retrouve cette homogénéité de la fiction et de la réalité des événements en nous permettant de les percevoir au gré d'une dimension beaucoup plus humaine qui n'est pas dénuée d'émotions tout en nous donnant l'occasion de distinguer parfois certains revers des épisodes tragiques qui ont jalonné cette période extrêmement sombre et trouble. Mais ce qu'il émerge peut-être davantage dans le cours de cette nouvelle trilogie, c'est la densité des personnages fictifs dont on apprécie les failles et parfois même les doutes qui transparaissent parfois dans leurs rapports avec leurs proches que ce soit le commandant Dixneuf avec son père, Philippe Kellerman marqué par le deuil de son fils, mais surtout d'Abdul Rassal al-Amine chef d'un groupe de miliciens du Hezbollah au Liban qui n'est pas complètement dupe et qui entretien une relation trouble avec Zia, devenue à sa manière une combattante active au sein du mouvement. Ainsi, l'ensemble de cette galerie de personnages fictifs devient le fil conducteur des multiples intrigues qui s'entrecroisent sur un registre certes complexe, mais qui demeure pourtant extrêmement limpide tant Frédéric Paulin maîtrise l'ensemble de son sujet dont on saisit au final tous les éléments avec certaines révélations aussi édifiantes que saisissantes qui vont marquer les lecteurs. De cette manière, Rares Ceux Qui Echappèrent A La Guerre s'inscrit, comme le volume précédent, parmi les romans essentiels qu'il faut lire afin d'intégrer certains aspects du monde qui nous entoure tout en s'immergeant dans le coeur d'une intrigue absolument fascinante.

     

     

     


    Frédéric Paulin : Rares Ceux Qui Echappèrent A La Guerre. Agullo 2025.

    A lire en écoutant : Once In A Lifetime de Talking Head. Album : Stop Making Sense. 1984 Emi Records Ltd. 

  • MICHELE PEDINIELLI : UN SEUL OEIL. SOCCA SAIGNANTE.

    michèle pedinielli,un seul oeil,éditions de l'aubeService de presse.

     

    Le personnage de détective privé dans les polars est incarné la plupart du temps par un homme comme en témoigne les plus emblématiques d'entre eux tels que Sherlock Holmes, Hercule Poirot, Philip Marlowe ou Sam Spade. Il en va de même pour l'enquêteur libertaire qu'incarne Nestor Burma, Eugène Tarpon ou Gabriel Lecouvreur, ceci même si l'on peut citer quelques exceptions à l'instar d'Angie Gennaro qui travaille avec Patrick Kenzie dans la série des six romans policiers de Dennis Lehane. Mais de manière générale, pour ce qui est des femmes, celles-ci sont cantonnées irrémédiablement au rang d'amatrice comme en atteste Miss Marple ou Imogène McCarthery pour celles et ceux qui se souviennent encore des romans de Charles Exbrayat. Sans doute que le phénomène #MeToo n'y est pas étranger, mais il faut attendre l'année 2018 pour voir débarquer la détective privée niçoise Ghjulia Boccanera qui va prendre une place prépondérante parmi les personnages de fiction occupant cette fonction jusque-là dévolue aux hommes et qui va bousculer tous les codes, puisque cette cinquantenaire insomniaque qui carbure exclusivement à l’eau et au café, n'emploie pas d'arme, se fringue avec ce qu'elle trouve dans son armoire à savoir pantalons, t-shirts et pulls noirs de préférence, pour chausser exclusivement des Doc Martens lui permettant d'arpenter les rues sinueuses de la vieille ville de Nice où elle a ses habitudes. Et puis il y a ce caractère entier et ces convictions fortes l'entraînant dans des investigations prenant pour cadre les injustices sociales de son environnement dont elle tente, tant bien que mal, de faire tomber les barrières avec un regard qui n'est pas dénué d'un certain humour mordant. Une femme de notre époque qui se débat pour surmonter les aléas d'une vie qui ne l'épargne pas mais qui fait toujours preuve d'une générosité et d'une humanité sans faille à l'égard des siens, en dépit des doutes qui l'assaille comme on peut le voir au détour des cinq romans qui composent désormais la série qu'il faut aborder dans l'ordre chronologique afin de saisir l'ensemble de la trajectoire de cette détective privée peu commune qui a inspiré des émules comme la fille du Poulpe, nouvelle série où l'on découvre Gabriella digne héritière de Gabriel Lecouvreur qui commence à prendre de l'âge.


    Sale temps pour Ghjulia Boccanera qui doit faire face à une succession d'événements tragiques qui touchent les membres de son entourage. Tout d'abord, il y a Dan, son coloc, son ami de toujours, que l'on retrouve inconscient dans sa galerie de photos et dont on soupçonne qu'il ne s'agit pas d'un accident ce d'autant plus qu'ils avaient tous deux reçus un message de menaces anonymes. Mais la police n'a que peu de temps à consacrer à cette affaire depuis que la compagne du commandant Jo Santucci a fait l'objet d'une violente agression. Alors pour savoir qui s'en est pris à son ami, la détective privée va se lancer dans une enquête chaotique en s'appuyant sur un agent des renseignements désireux de découvrir celui qui a plongé son compagnon dans le coma, une tenancière d'une boutique de seconde main recelant des trésors en matière vestimentaire et une vieille chienne qui a subi les pires sévices de son ancien maître. Et puis, Ghjulia doit consoler Jo, son ancien amant, qui sombre dans le désespoir, tandis que dans le silence de la chambre d'hôpital où il repose, émerge les pensées de Dan se remémorant cette histoire d'amour bancal qui va chavirer. 

     

    Si le premier ouvrage de Michèle Pedinielli, intitulé sobrement Boccanera (Aube Noire 2018), prenait pour cadre la ville de Nice, on s'éloignait de l'agglomération pour s'aventurer dans la région montagneuse des Alpes Maritimes avec Après Les Chiens (Aube Noire 2019). Et puis c'est la découverte de la Corse avec La Patience De L'Immortelle (Aube Noire 2021) où notre détective privée retrouvait la terre de ses origines alors qu'à l'occasion de la résurgence de certains aspects de la jeunesse d'un sdf, on s'immergeait dans l'atmosphère de l'Italie des années 70, durant la période chaotique des années de plomb et de ses militants antifascistes que l'on surnommait Sans Collier (Aube Noire 2023) et qu'il convient de lire avant d'entamer Un Seul Œil, nouvel ouvrage de la série qui reprend, quelques heures après, les éléments du retournement de situation terrible figurant dans le dernier chapitre du roman précédent. Ce que l'on apprécie avec la série Ghjulia Boccanera c'est le fait que la ville de Nice joue un rôle prépondérant dans l'articulation des récits  sans jamais céder le pas aux clichés des cartes postales propre à cette Côte d'Azur qui recèle sa part d'ombre avec laquelle Michèle Pedinielli joue habilement en distillant cette atmosphère des lieux si particulière qu'elle restitue avec autant d'attachement que d'acuité. Plus que jamais, on parcourt les lieux chères à notre détective privée que ce soit le café des Travailleurs où elle a ses habitudes et bien évidemment, les ruelles du Vieux Nice où elle réside, ainsi que l'ensemble des proches qui partagent son existence que ce soit le commandant Jo Santucci ou son colocataire Daniel Lehman, surnommé Dan, dont on va découvrir les circonstances qui les ont amenés à nouer cette amitié si solide qui les unit. L'intrigue d'Un Seul Oeil va prendre l'allure d'un thriller assez mesuré en terme de rebondissements mais qui tient le lecteur en haleine autour de l'enjeux de la survie de Dan désormais hospitalisé à la suite de l'agression dont il a été victime et qui l'a plongé dans le coma. A partir de là, on observe une alternance de la narration entre les investigations de Ghjulia Boccanera et les souvenirs de Dan et plus particulièrement d'une liaison toxique avec un amant fantasque laissant paraître, peu à peu, son côté sombre et destructeur en se doutant bien que la jonction va se faire au terme d'une intrigue qui joue davantage sur l'émotion et les profils subtils des personnalités que sur un suspense trépident. Il découle de cet ensemble plutôt complexe, une intrigue policière solide, parfois drôle, parfois émouvante et toujours imprégnée d'humanité, marque de fabrique de la romancière qui nous gratifie de l'apparition surprise d'un commissaire officiant du côté de la ville de Parme. Mettant un terme à une intrigue qui prenait forme dans Sans Collier, le lecteur va continuer à explorer, avec Un Seul Oeil, les multiples facettes de la trajectoire des proches gravitant autour de Ghjulia Boccanera en révélant ainsi toute sa nature fragile, bien au-delà du sentiment de force émanant de cette femme aux convictions inébranlables, à laquelle on ne peut manquer de s'attacher et qui devient incontournable dans cet univers du polar encore un peu trop viril.

     

    Michèle Pedinielli : Un Seul Oeil. Editions de l'Aube/Noire 2024.

    A lire en écoutant : A Rainy Night In Soho de The Pogues. Album : Rum Sodomy & The Lash. 2006 Warner Music UK Ltd.