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France - Page 5

  • SANDRINE COHEN : ROSINE UNE CRIMINELLE ORDINAIRE. AU-DELA DES APPARENCES.

    Sandrine cohen, rosine une criminelle ordinaire, éditions du caïmanChroniqueur spécialiste du roman noir et policier, traducteur et écrivain, Maurice-Bernard Endrèbe a fondé en 1948 le Grand Prix de Littérature Policière qu'il a présidé jusqu'à sa mort en 2005. Dans le domaine, il s'agit de l'une des grandes références célébrant le genre qui se distingue par l'impressionnante liste des récipiendaires à l'instar de Manchette, Frédéric Dard, Léo Malet, Tito Topin, Patricia Highsmith, Giorgio Sabernenco, Elmore Leonard, Hervé Le Corre, James Sallis et Ron Rash pour n'en citer que quelques uns. Mais loin d'enfoncer des portes ouvertes, le Grand Prix de Littérature Policière célèbre des auteurs méconnus en contribuant ainsi à une reconnaissance du public comme il le démontre pour l'édition 2021 où il distingue pour la catégorie étrangère, L'Eau Rouge, premier roman policier croate traduit en français de Jurica Pavičić et pour la catégorie française, Rosine Une Criminelle Ordinaire de la primo-romancière Sandrine Cohen qui connaît un succès impressionnant avec des ruptures de stock régulières lors des dédicaces dans les différents salons du polar où elle est présente, à l'exemple de Toulouse Polars du Sud.

     

    Il y a la routine, le quotidien d'une femme ordinaire qui bascule soudainement sans que l'on ne comprenne ce qui a poussé Rosine Delsaux, mère aimante et amie admirable, à noyer ses deux petites filles lors du bain. La dynamique du fait divers se met alors en place avec une femme meurtrie ne contestant pas le double homicide qu'elle a commis. En prison, elle se mure dans le silence et la culpabilité en laissant un mari désemparé et un père rongé par la colère. Mais après l'enquête de police établissant sans aucun doute la culpabilité de la mère de famille, c'est au tour de la justice d'entrer en action avec Clélia Rivoire, enquêtrice de personnalité auprès des tribunaux qui doit déterminer les raisons pour lesquelles Rosine a commis un tel acte. Investigatrice sensible, à fleur de peau, Clélia va s'immiscer dans l'intimité de la famille afin de déterrer les traumatismes et les secrets d'hommes et de femmes accablés par les événements et qui peinent à se confier.

     

    Avec l'obtention d'un tel prix, c'est également l'occasion de mettre en lumière les éditions du Caïman, une petite maison stéphanoise indépendante qui publie de la littérature noire depuis plus de dix ans en se consacrant exclusivement aux auteurs francophones. Mais pour en revenir à l'ouvrage de Sandrine Cohen, on saluera tout d'abord le fait que le récit soit résolument orienté sur les codes du roman noir en se concentrant sur les raisons qui ont poussé une mère de famille ordinaire à commettre un double infanticide. Le crime se suffisant à lui-même dans le domaine du sordide, on appréciera également le fait que la romancière ne s'étale pas trop sur le déroulement des événements aussi terribles soient-ils et préfère jeter un voile de pudeur sur l'atrocité du crime pour se concentrer sur la personnalité des personnages et plus particulièrement de Rosine, bien évidemment, mais également de Clélia Rivoire qui va tenter de décortiquer les aspects sous-jacents de ce fait divers, ceci pour le compte de la justice qui doit juger cette meurtrière. A certains égards, les deux femmes présentent quelques similarités dont des secrets enfouis qui ont altéré leur trajectoire respective. Pour Rosine, on devine quelques secrets de famille que Clélia Rivoire va devoir déterrer envers et contre tout avec l'aide du juge d'instruction Isaac Delcourt qui apparaît comme son mentor, protecteur et père de substitution, mais également avec l'appui de l'inspecteur Samuel Varda chargé de l'enquête policière et dont l'interaction parfois acide avec la jeune enquêtrice auprès des tribunaux apporte un certain dynamisme au récit. Pour ce qui est de Clélia, le lecteur devra patienter pour entrevoir les failles qui entourent ce personnage à fleur de peau, ce qui est regrettable. On aurait aimé mettre en perspective le drame qui a touché cette femme à la fois forte et sensible avec les éléments qu'elle met à jour au gré de ses investigations dans l'entourage de Rosine. Néanmoins, Sandrine Cohen, comme bon nombre d'auteurs, a choisi d'opter pour une arche narrative entourant son personnage central que l'on retrouvera sans nul doute dans un prochain roman et dont on découvrira quelques éléments saillants de sa trajectoire auquel la romancière fait allusion.

     

    La particularité de Rosine Une Criminelle Ordinaire est de se concentrer sur l'aspect judiciaire du crime avec un enjeu central qui tourne autour du jugement et de la sanction en fonction des circonstances que l'on va découvrir peu à peu au cours du récit. Ainsi, la dernière partie de l'intrigue se focalise sur la joute oratoire entre la plaidoirie de l'avocate de Rosine et le réquisitoire du procureur chargé de l'accusation avec une atmosphère chargée de suspense qui relègue malheureusement Clélia Rivoire au second plan ce qui déséquilibre quelque peu la dynamique du récit sans pour autant gâcher l'ensemble d'un roman explorant avec sensibilité les contours d'un fait divers terrible qui va bouleverser l'ensemble d'une famille moins ordinaire qu'elle ne le laisse paraître.

     

    Sandrine Cohen : Rosine Une Criminelle Ordinaire. Editions du Caïman 2021

    A lire en écoutant : If de Bernard Lavilliers. Album : If. 1988 Barclay.

  • Michèle Pedinielli : Boccanera. Salade niçoise.

    Capture.PNGOn ne peut pas tout lire. Un fait indéniable qui prend parfois la forme d'une frustration avec cette sensation détestable de passer à côté d'ouvrages formidables à l'instar des romans policiers de Michèle Pedinielli qui met en scène, depuis trois ans, la détective privée Ghjulia (il faut prononcer Dioulia) Boccanera officiant dans la région de la Côte d'Azur et plus particulièrement à Nice que la romancière célèbre avec la poésie du mot juste comme Nougaro savait chanter Toulouse. Journaliste de formation, Michèle Pedinielli a exercé le métier durant une quinzaine d'années à Paris avant de retourner à Nice, sa ville natale, afin de se consacrer à l'écriture. Récipiendaire en 2015 du troisième prix du concours de nouvelles Thierry Jonquet, l'une des récompenses du festival Toulouse Polar du Sud, Michèle Pedinielli publie en 2018 Boccanera pour les éditions de l'Aube, collection Aube Noire, premier opus d'une série comptant désormais trois romans engagés qui mettent en exergue les turpitudes des puissants à l'égard des personnes défavorisées ou discriminées quand ce ne sont pas tout simplement les deux. Quinquagénaire à la forte personnalité, mélange savant d'origines corses et italiennes, toute vêtue de noire, Ghjulia Boccanera emprunte beaucoup de traits de caractère à la romancière en évoluant dans le dédale des ruelles du vieux Nice, recelant toute une mosaïque de personnages à la fois attachants et hauts en couleur et qu'elle dépeint avec une affection assaisonnée d'une pointe d'humour corsé comme le café noir que son héroïne ingurgite à longueur de journée afin d'entretenir ses insomnies.

     

    Ghjulia Boccanera tout le monde la surnomme Diou dans le vieux Nice où elle vit en travaillant comme détective privée. Un métier qui convient parfaitement à cette cinquantenaire insomniaque, indépendante et forte en gueule qui a décidé de ne pas avoir d'enfant par conviction. C'est Dan, son colocataire qui lui fournit parfois des clients, comme Dorian Lasalle qui veut que l'on fasse la lumière sur la mort de son compagnon Mauro Giannini, que l'on a retrouvé étranglé dans son appartement. Pour la police, il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un jeu érotique qui a mal tourné. Affaire classée, circulez, il n'y a rien à voir. Mais Dorian est persuadé que son compagnon ne l'aurait jamais trompé et qu'il ne se serait jamais adonné à de telles pratiques. Désormais mandatée par le jeune homme, Diou va tenter d'éclaircir les circonstances de ce crime qui prend une toute autre tournure, lorsqu'elle apprend le décès de son commanditaire qui a également été étranglé après avoir été torturé. Sillonnant une ville en chantier, la détective privée, chaussée de ses Doc Martens, va donner un grand coup de pieds dans la fourmilière pour bousculer l'ordre établi afin de résoudre ces deux meurtres. Ce d'autant plus que le tueur a décidé de s'en prendre à elle.

     

    Sans jamais rien céder au cliché bon marché ou au folklore de pacotille, Michèle Pedinielli restitue l'atmosphère pittoresque de cette belle ville de Nice autour du microcosme composant l'entourage de Ghjiulia "Diou" Boccanera, cette détective mémorable et captivante qui balance son ironie saignante comme Philip Marlowe enquillait les verres de Four Roses. On retrouve d'ailleurs chez Diou cette indépendance et cette décontraction qui caractérisait la personnalité du célèbre détective de Raymond Chandler. Mais loin d'être solitaire, on apprécie la belle déclinaison de personnages qui gravitent autour de cette enquêtrice à l'instar de son colocataire Dan, qui semble tout connaître de l'activité nocturne de la cité, de son ex compagnon Joseph "Jo" Santucci, flic de son état, auquel elle est toujours attachée, de Monsieur Amédée Bertolino, son voisin gâteux qui va se révéler d'un grand secours ou de tout le staff qui compose le café Aux Travailleurs où Diou a ses habitudes. Au niveau de l'enquête on part sur un schéma à la fois classique et solide autour d'une succession de meurtres et autres tentatives qui conduisent notre détective à investiguer auprès des entreprises de construction qui s'attellent à la mise en oeuvre du tramway, du percement d'un tunnel et de l'effondrement d'un mur de soutènement un soir d'orage. Un prétexte efficace pour mettre à jour les dérives dans ce milieu et dont on prend la pleine mesure par l'entremise de Shérif, un syndicaliste bedonnant mais perspicace qui va servir de guide pour notre détective privée. Une partie tellement réaliste que l'on se demande si Michèle Pedinielli ne s'est pas inspirée de faits réels qui auraient défrayé la chronique. On trouve d'ailleurs un article évoquant un effondrement du tunnel qui s'est produit au mois de juillet 2017. Quoi qu'il en soit on ne peut qu'apprécier ce polar dynamique et efficace qui nous entraine dans les différents quartiers de la ville à la rencontre de tout un panel de protagonistes détonants qui mettent en valeur, au gré d'échanges tonitruants, cette détective privée atypique que l'on se réjouit de retrouver dans Après Les Chiens (Aube noire 2019) et La Patience de L'Immortelle (Aube noire 2021), qui font suite ce premier opus très réussi.  

     

     

    Michèle Pedinielli : Boccanera. Editions de l'Aube. Collection Aube Noire 2021.

    A lire en écoutant : Good Fortune de PJ Harvey. Album : Storie from the City, Stories from the Sea. 2000 Universal Island Records Ltd.

     

  • Anouk Langaney : Clark. Supermother.

    Capture.PNGLe personnage du super-héros est étroitement associé à l'image, raison pour laquelle on le retrouve au sein des comics, mais également des films et des séries qui prennent de plus en plus d'importance. Sa présence dans les romans est beaucoup plus anecdotique et l'on compte une poignée d'ouvrages qui, bien souvent, mettent à mal la mythologie de tels individus, ceci dans une mise en scène quelque peu décalée à l'instar de Héros Secondaires (Agullo 2017) de S. G. Browne ou Supernormal (Aux Forges de Vulcain 2017) de Robert Meyer. Filiale de la maison d'éditions de l'Atalante orientée vers l'anticipation et la science-fiction, il était normal qu'une collection comme Fusion s'empare du sujet dans le cadre d'un roman noir et publie donc Clark d'Anouk Langaney qui dépeint, sous forme épistolaire, la naissance ou plutôt la création d'un super-héros au prénom prédestiné.  

     

    "Mais à quoi tu joues avec Clark ?". C'est à cette question, que sa fille lui a posé à l'âge de 15 ans, qu'Olympe-Louise va répondre dans une longue lettre destinée à renouer des liens avec celle qu'elle n'a plus revu depuis 10 ans. Consciente du monde qu'elle va laisser à ses enfants, Olympe-Louise va enfin dévoiler le projet qu'elle a concrétisé avec son fils Clark, ceci depuis sa conception jusqu'à l'âge adulte. Une vérité qui pourrait prêter à sourire tant le projet paraît farfelu mais qui glace le sang à la découverte d'un "essai raté" et à la prise de conscience de cette folie qui anime une mère prête à tout sacrifier pour la sauvegarde d'un monde voué à la destruction. Une lettre dévoilant l'amour immodéré qu'éprouve cette femme à l'égard de son fils, avec ses certitudes, ses joies, ses colères et ses déceptions mais qui révélera également la finalité de l'œuvre de toute une vie dont on ne peut plus se défaire. Clark incarne ainsi une logique implacable qui confine à la démence.

     

    On saluera tout d'abord la superbe illustration, dans le plus pur style des comics strip des années 40-50, ornant la couverture et résumant à elle seule l'ensemble d'un texte fourmillant de références à la pop culture en lien avec l'univers des super-héros. Clark se présente donc sous l'aspect d'une longue lettre de 160 pages, qu'une mère adresse à sa fille pour décrire tout le processus de réflexion qui l'a conduite à façonner (le terme n'est pas galvaudé) son fils pour en faire un super-héros. Il s'agit là d'un procédé narratif qui peut se révéler assez délicat avec, bien souvent, un texte dont le profil correspond davantage à l'auteur qu'à la personnalité du personnage. Autant vous dire qu'il n'en est rien avec Anouk Langaney qui s'efface derrière l'épaisseur du portrait de cette mère déjantée qu'elle a créée de toute pièce afin de nous livrer un sublime récit détonant, parfois teinté d'un humour au vitriol, qui vire à la tragédie au rythme d'une descente aux plus profonds des méandres de cette folie furieuse s'inscrivant dans le cadre d'une logique implacable. Cette logique pourra parfois prêter à sourire, mais le plus souvent, elle glacera d'effroi le lecteur qui prend peu à peu conscience des sacrifices consentis par cette mère obstinée déclinant avec application tous les aspects de son projet insensé. Dès le début de l'intrigue, on savoure notamment les comparatifs entre les différents super-héros qui vont lui servir de modèle mais dont les parcours prendront une toute autre dimension au terme du récit avec ce lien commun qui réunit l'ensemble de ces personnages emblématiques. Avec un titre pareil qui claque comme l'onomatopée d'une bulle de strip, on se doute bien de la référence du modèle que va choisir cette mère indigne en se demandant comment elle va parvenir à ses fins. Ainsi, de manière très habile, Anouk Langaney aborde de nombreux thèmes à l'instar de réflexions sur l'éco-terrorisme, du féminisme et de la violence faite aux femmes, mais également de tout ce qui a trait à la transmission entre parents et enfants avec les dérives qui s'ensuivent parfois. Mais au-delà des thèmes évoqués, on appréciera également avec Clark toute la qualité d'une écriture savamment maitrisée qui recèle même quelques alexandrins cachés donnant du rythme à un récit entraînant dont on se demande toujours jusqu'à quel degré de folie va-t-il nous emmener, sans jamais se douter de la finalité qui prend finalement tout son sens au terme d'un roman à la fois brillant et décalé.

     

    Stupéfiant roman noir, Clark nous invite donc à nous immerger dans les nébuleuses réflexions d'une mère névrosée mais bien déterminée à ne pas laisser tomber cette société qui se désagrège. Un brillante réflexion originale du monde qui nous entoure. 

     

    Anouk Langaney : Clark. Editions de l'Atalante/collection Fusion 2021.

    A lire en écoutant : Champagne de Jacques Higelin. Album : Champagne pour les uns, caviar pour les autres. 1979 Believe.

  • Frédéric Paulin : La Nuit Tombée Sur Nos Ames. Une balle dans la tête.

    frédéric paulin,la nuit tombée sur nos âmes,éditions agullo

    Service de presse.

     

    Policiers, manifestants ou habitants, quelles que soient d'ailleurs les parties prenantes et quelles que soient les villes où cela s'est déroulé, il est difficile d'imaginer que l'on ait pu oublier les événements qui ont jalonné les contre-manifestations du G8. Pour ce qui me concerne, je garde toujours en mémoire les images du contre-G8 se déroulant à Genève où j'officiais déjà en tant que jeune policier. C'était le 2 juin 2003 et je revois encore clairement les quelques scènes qui ont marqué mon esprit que ce soit les commerces barricadés, ce fameux samedi soir où toutes les vitrines de la grande rue commerçante de la ville ont été brisées par un groupuscule de casseurs, la grande manifestation de dimanche rassemblant près de 30'000 participants et les débordements qui ont suivi, au terme de la journée avec son cortège de commerces saccagés, parfois pillés, ainsi que les confrontations avec le fameux black bloc. Je me souviens encore de l'adrénaline, mais également de l'appréhension qui m'habitait durant les différentes phases de ces longues journées, soirées et nuits chargées de tensions. Je me souviens aussi de la fatigue et du soulagement lorsque tout cela s'est terminé. Au mois de juillet 2001, Frédéric Paulin s'est rendu à Gênes pour participer au contre-sommet du G8 qui a viré à la tragédie. Vingt ans plus tard, lui non plus n'a rien oublié et reste marqué par des événements terribles qui se sont soldés notamment par la mort d'un manifestant, Carlo Giuliani, abattu par un carabinieri. Comme pour exorciser un fardeau qui pèse encore sur ses épaules, Frédéric Paulin a donc choisi d'intégrer son témoignage par le prisme d'un magistral roman coup de poing, La Nuit Tombée Sur Nos Ames, qui revient sur les événements jalonnant les trois jours d'une ville de Gênes prenant l'allure d'un camp retranché pour abriter les dirigeants d'un sommet conspué par des milliers de manifestants. 

     

    Nathalie Deroin et Chrétien Wagenstein, que tout le monde surnomme Wag, sont un couple de militants d'extrême gauche, coutumiers des manifestations tournant à la confrontation avec les forces de l'ordre que ce soit en France ou à l'étranger, comme à Göteborg à l'occasion du contre-sommet du G8. Désormais, c'est à Gênes qu'ils se rendent pour grossir les rangs des 500'000 manifestants qui disent non au nouvel ordre mondial des dirigeants du G8 se réunissant dans un centre-ville qui prend l'apparence d'une cité assiégée. Mais le grand raout des altermondialistes tourne court avec des confrontations d'une extrême violence entre des groupuscules de manifestants déchaînés et des forces de l'ordre débridées et dirigées par un pouvoir italien qui instaure une stratégie de la tension sans précédent. Qu'ils soient manifestants, journalistes ou flics infiltrés, tous vont observer, durant ces trois jours, cette fureur qui s'abat sur la ville, en atteignant son paroxysme avec la mort d'un jeune manifestant, tué d'une balle dans la tête par un policier, mais aussi avec de terribles exactions du côté de l'école Diaz et de la caserne Bolzaneto où le déploiement des forces de l'ordre va  prendre, peu à peu, l'allure d'un règlement de compte sauvage, ponctué d'actes de tortures sadiques. Pris au coeur de cette tempête de violence effrénée que vont devenir Nath et Wag ?

     

    Le talent de Frédéric Paulin, repose déjà sur l'originalité des sujets sensibles de notre histoire récente qu'il traite en évoquant notamment le terrorisme islamiste sur l'espace de trois décennies débutant avec La Guerre Est Une Ruse (Agullo 2018) abordant la guerre civile qui sévissait en Algérie durant les années 90, suivi des Prémices De La Chute (Agullo 2019) restituant le parcours de l'organisation terroriste Al-Quaïda pour s'achever avec La Fabrique De La Terreur (Agullo 2020) qui se concentrait sur la guerre en Syrie et l'embrigadement des jeunes dans l'armée de Daech. De trois décennies on passe à un laps de temps de trois jours avec La Nuit Tombée Sur Nos Ames qui dépeint avec une précision chirurgicale le déroulement du contre-sommet du G8 à Gênes avec cette tension permanente qui plane sur l'ensemble d'un récit restituant l'atmosphère dantesque régnant dans les rues surchauffées de la ville. Tout y est parfaitement restitué que ce soit l'ambiance au sein des grands cortèges défilant dans les artères de la cité, ou le fracas des échauffourées, nimbées de nuages de gaz lacrymogène, qui tournent parfois à la tragédie avec, en toile de fond cette musique tonitruante résonnant sur les façades des immeubles pour clamer la rage et la colère des manifestants. Avec le mot juste et la phrase précise qui caractérisent l'écriture de Frédéric Paulin, le lecteur ressent ainsi cette tension permanente planant sur l'ensemble d'une galerie de personnages ambivalents, parfois troublants à l'instar de Wag endossant le rôle de preux chevalier auprès de Nath, la rebelle anarchiste qui fait partie du black bloc, dont il est fou amoureux, mais qui sert d'indic auprès de deux agents infiltrés de la DST qui l'accompagnent durant son périple gênois en devenant ainsi, par la force des choses, témoins des exactions de leurs collègues italiens tout comme Génovéfa Gicquel, journaliste française pour le Journal du dimanche et d'Erwan, photographe baroudeur, free-lance. Afin de ne pas sombrer dans le pamphlet, mais de dénoncer tout de même les dérives, Frédéric Paulin nous invite à adopter le point de vue du côté du sommet du G8 et des forces de l'ordre avec Franco de Carli chargé de la sécurité à Gênes qui rêve d'un grand retour du fascisme en Italie, de Laurent Lamar, chargé de la communication auprès du président Chirac et du caporal chef Dario Calvini, membre des carabinieri qui, de son propre aveux, aurait pu frayer avec le black bloc s'il ne s'était pas engagé dans la police. Des individus troubles autour desquels Frédéric Paulin pose quelques explications quant à la mentalité , voire même la culture d'entreprise, qui régit l'ensemble des forces de police dont de nombreux dirigeants se réclament de partis d'extrême-droite en encourageant l'usage de la force, ceci de manière immodérée comme en témoigneront les exactions commises à l'école Diaz et à la caserne Bolzaneto. Altermondialistes pacifistes versus anarchistes violents, Frédéric Paulin dépeint également de manière brillante les différents courants qui émergent au sein des manifestants avec cette sensation de disparité irréconciliable qui se cristallise avec la présence du fameux black bloc dont l'auteur démystifie certains fantasmes organisationnels ce qui explique l'aspect incontrôlable de ce mouvement. Il en résulte un roman âpre et passionnant dont la densité, mais également la pertinence des différents points du vue nous entraînent ainsi dans l'intensité d'un récit chargé d'une émotion brut qui va bouleverser à jamais l'âme de ceux qui ont participé à ce contre-sommet du G8 à Gênes qui vire à la tragédie en s'achevant de manière abrupte en nous laissant bouche bée pour finalement nous demander ce qu'il est advenu de tous les protagonistes sur lesquels planent un grande incertitude comme si la nuit était tombée sur leurs âmes.

     

    Intégrant la précision des faits historiques au gré d'une intrigue solide qui prend l'allure d'un roman choral, La Nuit Tombée Sur Nos Ames devient l'un des ouvrages majeurs de cette rentrée littéraire avec un sujet sensible qui a pu sombrer dans l'oubli alors que deux mois plus tard survenaient les événements du 11 septembre changeant définitivement la face du monde.

     

    Frédéric Paulin : La Nuit Tombée Sur Nos Ames. Agullo 2021.

    A lire en écoutant : Riot Van de Arctic Monkeys. Album : Whatever People Say I Am, That's What I'm Not. Domino Records 2016.

  • LAURENT GUILLAUME : UN COIN DE CIEL BRULAIT. ENFANTS PERDUS.

    Laurent guillaume, un coin de ciel brûlait. éditions Robert LaffontCe n'est pas chose si aisée que d'écrire du polar ou du roman noir lorsque l'on est policier. Et contrairement à l'idée reçue de l'expérience du terrain et du réalisme qui en découle, contribuant ainsi à la bonne facture du texte, il faut justement se départir de ce réalisme qui colle à la peau pour adopter une posture plus littéraire, plus romanesque. Parmi ces policiers qui se sont lancés dans l'écriture, on pense à Hugues Pagan qui endossa la fonction durant plus d'une vingtaine d'années avant de publier 12 romans marquants dont Une Dernière Station Avant L'autoroute (Rivages/Noir 1997) et Profil Perdu (Rivages/Noir 2017). On peut également citer Christophe Guillaumot, commandant à la SRPJ de Toulouse, qui a publié aux éditions Liana Levi trois romans mettant en scène Renato Donatelli, un policier calédonien, surnommé Le Kanak. Deux officiers de police qui ont su concilier réalisme et trame romanesque en insérant notamment dans leurs dialogues quelques expressions propre aux policiers mais qui se démarquent principalement par leur volonté de nous raconter des histoires. Des histoires il en a un certain nombre à raconter Laurent Guillaume, ancien capitaine de police qui exerça notamment en tant que commandant au sein d'une unité mobile du Val-de-Marne et également aux stups en qualité de chef de groupe. Si vous avez l'occasion de croiser ce personnage charismatique vous ne pourrez résister à l'envie de l'écouter vous narrer quelques anecdotes en lien avec sa carrière professionnelle. Cette envie de raconter des histoires, on la retrouve dans ses romans avec la série Mako et plus particulièrement dans Là Où Vivent Les Loups (Denoël 2018) où l'on découvre le commandant Priam Monet, un flic plutôt mal embouché. Outre son activité de policier puis romancier/scénariste, Laurent Guillaume officie également en tant que consultant pour des organisations internationales en lutte contre le crime organisé dans les régions de l'Afrique de l'Ouest. Issus de cette activité et de cette expérience, il a rédigé plusieurs articles et ouvrages traitant de ce sujet complexe qu'il tente de vulgariser afin de sensibiliser les profanes que nous sommes dans le domaine. C'est dans ce registre qu'il publie Un Coin De Ciel Brûlait qui évoque la guerre civile sierra-léonaise se caractérisant notamment par l'enlèvement de jeunes garçons enrôlés de force comme enfants soldats.

     

    En 1992, la Sierra Leone bascule dans la guerre civile bousculant ainsi le destin de Neal Yeboah, un jeune garçon de douze ans qui, après avoir été contraint d'exécuter son père, se retrouve enroulé de force dans une milice armée, composée essentiellement d'enfants soldats. A mesure qu'il grimpe les échelons de cette armée de fortune, Neal devient un combattant de légende au gré d'échauffourées sanglantes ponctuées d'actes innommables qui deviennent la norme pour ces enfants englués dans une violence quotidienne et terrifiante. 
    A Genève, de nos jours, Tanya Rigal, journaliste d'investigation pour Mediapart, se rend dans un palace pour retrouver un mystérieux correspondant avec qui elle a rendez-vous. Mais ce sont des inspecteurs de la police judiciaire qui l'accueillent. En effet, l'homme a été retrouvé mort dans sa suite luxueuse, avec un pic à glace enfoncé dans l'oreille. En décidant d'en savoir plus sur cette victime, Tanya va mettre à jour une terrifiante machination qui la conduit sur les traces d'un tueur impitoyable dont elle suit le parcours entre Freetown, Monrovia, Paris, Nice et Washington DC. Une route semée d'embûches, de cadavres et de révélations peu reluisantes que l'on a tout intérêt à dissimuler. Mais Tanya Rigal est bien déterminée à déterrer le passé en faisant abstraction des intérêts supérieurs des états impliqués dans un trafic d'armes et de diamants destiné à alimenter le cours d'une guerre abjecte.

     

    En abordant le sujet des enfants soldats sous la forme d'un thriller, Laurent Guillaume prenait un sacré risque avec un thème sensible qui a été évoqué à maintes reprises, ceci avec plus ou moins de réussite. On pense tout d'abord au roman d'Emmanuel Dongala, Johnny Chien Méchant (Editions du Rocher 2007) adapté au cinéma par Jean-Stéphane Sauvaire sous le nom de Johnny Mad Dog. Thème abordé dans une version plus hollywoodienne, on pense également à Blood Diamond d'Edward Zwick ou Beasts No Nation de Cary Jojy Fukunaga et dans une moindre mesure à Lord Of War d'Andrew Niccol. Le roman de Laurent Guillaume se distingue des oeuvres précitées parce qu'il intègre subtilement, sous l'angle du thriller, des éléments sociaux et géopolitiques de la Sierra Leone, pays dont on ne sait finalement pas grand-chose, ce qui est le cas pour la grande majorité des nations africaines. Pour ce qui concerne l'aspect social, c'est autour du personnage de Neal Yeboah que l'on va prendre la pleine mesure des conditions de vie de ces enfants soldats et des affres qu'ils subissent quotidiennement pour en faire des combattants dépourvus de la moindre empathie. On observe ainsi cette perte d'identité avec Neal Yeboah, enfant socialement bien intégré, se transformant peu à peu en un guerrier légendaire affublé du patronyme de Bande-à-la-guerre qui achève de le déshumaniser. Pour ce qui est de l'aspect géopolitique, c'est en accompagnant la journaliste Tanya Rigal que l'on va prendre la pleine mesure des accointances entre la Sierra Leone, le Libéria et les Etats-Unis sur fond de trafic d'armes et de diamants, ceci au détour d'une enquête sur une série de meurtres mettant en cause les acteurs de ces trafics. Pour plus de réalisme, on saluera la coup de génie de l'auteur qui a intégré quelques personnages réels qui sont des acteurs à part entière de l'histoire à l'instar de Charles Taylor, l'ancien président du Libéria ou de Foday Sanko leader du RUF (Revolutionnary United Front) et plus particulièrement du général Mosquito alias Sam Bockarie, chef des opérations du RUF qui prend le jeune Bande-à-la-guerre sous son aile. Pour aborder l'ensemble de ces thèmes, on appréciera l'écriture épurée de Laurent Guillaume qui sait distiller l'horreur des situations sans se complaire dans une violence outrancière tout comme il parvient à intégrer les éléments sociaux et géopolitiques dans la fluidité d'un texte brillamment maitrisé avec cette belle capacité à dépeindre les différentes atmosphères et ambiances des multiples endroits que l'on va explorer en compagnie de Neal Yeboah et de Tanya Rigal. Bien orchestré, on appréciera également l'aspect du thriller dont les codes sont respectés avec une certaine mesure et un bel équilibre au niveau d'un suspense savamment étudié dont on découvre les tenants et aboutissants en toute fin du récit.


    Thriller bouleversant, Un Coin De Ciel Brûlait nous permet d'appréhender les contours d'une terrible guerre civile au gré d'un superbe texte qui intègre le suspense d'une intrigue allant bien au-delà des affres d'un enfant soldat pour prendre en considération tous les enjeux d'un conflit dépassant les frontière de la Sierra Leone. 

     

     

    Laurent Guillaume : Un Coin De Ciel Brûlait. Editions Michel Lafon 2021.

    A lire en écoutant : Sierra Leone de Terry Callier. Album : Speak Your Peace. 2002 Mr Bongo Worldwild Ltd.

  • Marin Ledun : Leur Ame Au Diable. Fumer tue.

    Capture d’écran 2021-05-23 à 18.38.46.pngDurant cette période de pandémie on a pu lire quelques articles de presse faisant état d'une étude scientifique soutenant le fait que les fumeurs étaient moins affectés par le SARS Cov2 sans en expliquer d'ailleurs les raisons. Désormais, ce n'est pas tant le contenu de cette étude qui est sujet à caution mais le fait que les chercheurs qui l'ont rédigée aient des lien étroits avec l'industrie du tabac et qu'ils se sont bien gardés de signaler, raison pour laquelle ces publications ont été retirées alors même que les résultats étaient remis en cause. On mesure ainsi toute l'ampleur de la sphère d'influence des cigarettiers afin d'écouler sans vergogne leurs produits, un sujet que Marin Ledun aborde avec son dernier ouvrage, Leur Ame Au Diable, qui évoque, sur l'espace de deux décennies, les dérives de l'industrie du tabac en abordant également les thèmes de la contrebande et du trafic d'influence au détour d'une époustouflante fresque noire.

     

    28 juillet 1986, région du Havre. Le braquage spectaculaire de deux camions-citernes tourne au massacre avec la mort de sept hommes et la disparition de 24'000 litres d'ammoniac destinés à une usine de cigarettes. Si l'enquête échoit à la brigade criminelle, l'inspecteur Simon Nora, affecté à la brigade financière, va investiguer dans le milieu des cigarettiers et de leurs fournisseurs pour analyser les données comptables de ces entreprises. L'OPJ Patrick Brun, lui est chargé d'enquêter sur la disparition d'une jeune femme, Hélène Thomas, dont les parents n'ont plus de nouvelles depuis plusieurs semaines. Deux enquêtes en apparence sans lien convergeant vers l'inquiétant lobbyiste David Bartels qui assoit son influence sur les politiciens et hauts fonctionnaires de la République pour le compte d'European G. Tobacco. Sur fond de trafic d'influence, de proxénétisme et de contrebande entre les luxueux cabinets de consulting parisiens, la mafia italienne et les pays des Balkans, les deux policiers vont mettre à jour la corruption, la manipulation ainsi que la violence qui s'exerce au sein d'une inquiétante industrie du tabac dénuée de tout scrupule.

     

    D'entrée de jeu, il importe de souligner la scène de braquage magistrale qui fait office d'ouverture du roman en devenant le catalyseur d'un récit dantesque et foisonnant où l'auteur dézingue tout azimut les dérives du business de la nicotine. Précis, glaçant et extrêmement cruel, ce braquage n'est pas sans rappeler le prologue de l'attaque du fourgon blindé d'Underworld USA de James Ellroy. Cette référence n'a rien d'un hasard puisque l'on retrouve l'influence de l'oeuvre d'Ellroy aussi bien dans le style que dans la construction narrative et surtout dans l'intensité des personnages qui traversent l'intrigue. Digéré, assimilé, Marin Ledun transcende son modèle avec une rare maîtrise. Il nous livre ainsi une fresque noire à la fois  équilibrée et digeste que l'on lit d'une traite tant le roman tient toutes ses promesses en matière d'intrigues croisées qui nous bousculent au gré des événements réels qui ont marqué la lutte contre le tabac et que cette industrie dévoyée tente de contourner par tous les moyens que ce soit par le biais d'études scientifiques douteuses ou par un lobbyisme effréné que l'auteur décortique avec une rare minutie. L'intérêt du roman réside également dans l'incarnation des frasques d'entreprises peu scrupuleuses conjuguant leurs intérêts financiers sur le dos de la santé publique, ceci au travers d'une galerie de personnages se caractérisant tous par l'excès de leurs traits de caractère. L'histoire s'articule donc autour du lobbyiste mégalomane David Bartels et de son homme de main Anton Muller s'occupant de l'élimination physique des obstacles qui peuvent survenir. En matière d'excès, nous ne sommes pas en reste avec les enquêteurs Patrick Brun et Simon Nora sacrifiant leurs vies privées respectives sur l'autel des investigations qu'ils mènent pour confondre   leurs adversaires qui s'ingénient à mettre en place des marchés parallèles de la cigarette pour augmenter leurs profits ou des agences de "modèles" qui vont exercer leurs charmes aussi bien sur les circuits sportifs que dans les "salons cosys" où gravitent politiciens et fonctionnaires de haut rang prenant des décisions en matière de santé publique. C'est l'occasion pour Marin Ledun de dresser de très beaux portraits de femmes qui vont précipiter le destin funeste de certains protagonistes de l'intrigue. 

     

    Ainsi Leur Ame Au Diable devient le pavé dans la mare de l'industrie du tabac avec un récit génial, tout en nuance qui nous livre les arcanes d'entreprises bien implantées dans notre société restant peu regardantes en matière d'éthique pour maximiser des profits colossaux sur fond d'accoutumances et de maladies mortelles. Un massacre orchestré et douloureusement silencieux, malgré toutes les mises en garde, que Marin Ledun décline avec une rare justesse.

     

    Marin Ledun : Leur Ame Au Diable. Editions Série Noire 2021.

    A lire en écoutant : Whispering de Alex Clare. Album : The Lateness Of The Hour.  2011 Island Records.

  • Gilles Sebhan : Feu Le Royaume. Le royaume des insensés.

    gilles sebhan,feu le royaume,éditions du rouergueRomans, essais, biographies, après une dizaine d'ouvrages où Gilles Sebhan aborde les thèmes de la transgression, de la marginalité et de la criminalité c'est désormais par le prisme de la littérature noire qu'il évoque ces sujets autour d'une série policière mettant en scène le lieutenant de police Dapper plongé dans l'univers étrange d'un établissement psychiatrique pour enfants. C'est tout d'abord avec Cirque Mort que l'on faisait connaissance avec cet enquêteur désemparé tentant par tous les moyens de retrouver Théo, son fils kidnappé, et qui va recevoir l'aide inattendue d'Ilyas, enfant ambivalent et mutique qui semble doté d'une perception hors norme lui permettant de régner sur les jeunes patients internés au sein de l'unité psychiatrique. Il sera encore une fois question d'enlèvements avec La Folie Tristan, second ouvrage de la série, nous permettant d'en savoir davantage sur les liens qui régissent les petits patients du docteur Tristan, psychiatre controversé, régnant sans partage sur son petit royaume des insensés, expression équivoque qui donne désormais son titre à la série. Comme pour clôturer cet univers oppressant et énigmatique, Feu Le Royaume s'articule autour d'un tueur en série en cavale qui souhaite régler ses comptes avec le lieutenant Dapper, responsable de son incarcération.

     

    Après avoir été séquestrée et violée par ses ravisseurs avant d'être sauvée par le lieutenant Dapper, Marlène tente de se remettre de ces terribles événements lorsqu'elle découvre qu'elle est enceinte. Elle souhaite donc se tourner vers son sauveur pour lui faire part de son désarroi. Mais Dapper lui aussi se remet difficilement de cette éprouvante affaire d'enlèvement et essaie de se rapprocher de sa famille et plus particulièrement de Théo qui adopte un comportement distant. Le policier est d'autant plus désemparé qu'il vient de découvrir l'identité de son père qui s'est donné la mort en faisant de Théo son unique légataire. Chacun essaie donc de panser ses plaies et d'enterrer les morts afin de surmonter l'épreuve du chagrin. Mais de l'autre côté de la frontière toute proche, Marcus Baumann, l'homme des tueries du Brabant, parvient à s'évader de prison au terme d'un terrible massacre. Recherché activement par la police, Marcus Baumann n'a qu'une idée en tête : régler ses comptes avec les responsables de son arrestation dont fait partie le lieutenant Dapper.

     

    L'intérêt d'une série comme celle du lieutenant Dapper réside dans le fait que Gilles Sebhan ne cesse d'explorer les conséquences des événements frappant les différents protagonistes à l'instar du cadre familial de cet enquêteur qui semble toujours remis en question. On découvre ainsi la trajectoire de l'épouse de Dapper tombant amoureuse de la maîtresse d'école de son fils Théo qui lui-même entretient des rapports troublants avec Ilyas, ce jeune garçon autiste dont la sensibilité hors norme lui permet de percevoir des visions prémonitoires. De cette manière, Gilles Sebhan remet en question les normes de ce cadre familial constamment bousculé par les échos des investigations d'un policier distinguant, sans vraiment bien les comprendre, les écueils qui l'affectent ainsi que son fils et sa femme. Pour en saisir toutes les nuances, il importe donc de lire dans l'ordre les deux ouvrages précédents avant d'aborder Feu Le Royaume dont le tire fait référence à l'établissement psychiatrique et à ses patients en plein désarroi suite au décès tragique de son directeur. On retrouve donc ainsi, avec un certain plaisir, Ilyas qui va intervenir une nouvelle fois dans le cadre de l'enquête du lieutenant Dapper, chargé de retrouver un tueur en série qui vient de s'évader. Si l'enquête prend tout d'abord la forme d'une traque assez conventionnelle où l'on découvre un individu sans pitié et particulièrement sadique qui s'est mis en tête d'éliminer tous les responsables de sa détention, la tournure des événements devient de plus en plus étrange avec une confrontation aux connotations fantastiques qui troublera une nouvelle fois les convictions d'un enquêteur dont les certitudes se désagrègent peu à peu. Dans un autre registre, on s'intéressera également au devenir de Marlène, que l'on avait rencontrée dans La Folie Tristan alors qu'elle était au prise d'un sadique et d'un déficient mental qui, après l'avoir enlevée, ont entrepris de la violer tour à tour. Ayant découvert qu'elle est désormais enceinte de ses bourreaux, on prend la pleine mesure de son désarroi et du dilemme qui se pose à elle quant au devenir de cet enfant à naître. Comme toujours, au gré d'une écriture immersive, on apprécie cet univers à la fois troublant et inquiétant que Gilles Sebhan distille avec beaucoup d'intelligence et de pudeur, nous permettant de nous focaliser davantage sur le devenir de ses protagonistes confrontés aux doutes et à la douleur des événements qui bouleversent définitivement leurs destins respectifs.

     

    Avec Feu Le Royaume, on observe cette permanente remise en question des normes permettant à Gilles Sebhan de nous interpeller un nouvelle fois sur le vaste sujet de la transgression au gré d'une succession d'intrigues qui bouleversent la certitude de protagonistes confrontés aux aléas d'événements terrifiants qui affectent leur quotidien. Troublant et dérangeant.

     

     

    Gilles Sebhan : Feu Le Royaume. Editions du Rouergue Noir 2020.

    A lire en écoutant : Sour Times de Portishead. Album : Dummy. 1994 GO! Dics Ltd.

  • Hervé Le Corre : Traverser La Nuit. Dernier souffle.

    hervé le corre,éditions rivages,traverser la nuitEn guise de référence, lorsqu'il s'agit d'évoquer des auteur de romans noirs qui n'ont rien à envier aux grands romanciers de la littérature blanche, c'est le nom d'Hervé Le Corre qui me vient immédiatement à l'esprit, autant séduit par une écriture équilibrée que par l'intrigue soignée qui met en avant les fêlures tragiques d'hommes et de femmes irrémédiablement entraînés dans les méandres d'une noirceur s'articulant autour du fait divers qu'il soit contemporain ou historique. Pour le côté historique, on suivra un tueur en série sévissant durant la période trouble de la Commune avec L'Homme Aux Lèvres De Saphir suivit de Dans L'Ombre Du Brasier deux romans au souffle épique tout comme Après La Guerre se déroulant à Bordeaux à une drôle d'époque où collabos et résistants se côtoient sur fond d'une guerre d'Algérie qui résonne dans le lointain. Drames plus intimistes pour ce qui concerne la période contemporaine ce sera Du Sable Plein La Bouche, Dernier Retranchement, un terrible recueil de nouvelles noires ou Prendre Les Loups Pour Des Chiens se déroulant également dans la région de Bordeaux tout comme Traverser La Nuit, dernier roman publié par un auteur qui ne fait que confirmer son immense talent au gré d'une écriture nuancée d'où jaillit le destin de trois individus laminés par une douleur les enveloppant comme une seconde peau dont ils ne peuvent pas s'extraire. 

     

    Louise travaille comme aide à domicile en côtoyant des personnes âgées dont la vie bascule dans la détresse sociale et la solitude. Elle connaît bien ce désespoir latent, elle qui a dérivé dans les méandres de la drogue et de l'alcool après la mort accidentelle de ses parents. Mais depuis la naissance de son fils Sam, âgé de 8 ans, Louise s'accroche à la vie tant bien que mal en dépit de son ancien compagnon qui continue à la harceler en la brutalisant psychiquement et physiquement. C'est à la suite d'une nouvelle agression dont elle est victime qu'elle rencontre le commandant Jourdan qui dirige un groupe de la brigade criminelle à Bordeaux. Un lien, un espoir peut-être ? Mais Jourdan est un flic fatigué qui trimbale le souvenir des scènes de crime comme un fardeau qu'il ne peut plus supporter et qui l'éloigne de sa femme et de sa fille avec lesquelles il n'est plus en mesure de communiquer. Et puis il y a ce tueur de femmes qui sévit dans la région. Un homme qui ne se contrôle plus, qui assouvit ses pulsions pour ne pas tuer une mère qu'il aime et qu'il déteste tout à la fois. Trois destinées chaotiques s'entremêlant dans la dérive du quotidien où chacun tente de traverser la nuit qui lui est propre.

     

    Il y a tout d'abord cette pluie omniprésente inondant cette région de Bordeaux qu'Hervé Le Corre évoque par petites touches subtiles afin de donner corps à une atmosphère plombée par la noirceur de trois personnages à la dérive dont on perçoit cette analogie à la nuit qu'ils doivent traverser. On découvre ensuite cette actualité du pays, voire même du monde, qu'Hervé Le Corre distille également par petites touches tout au long de l'intrigue en soulignant ainsi la déliquescence d'une société en décomposition qui ne fait que renforcer cette noirceur omniprésente qui imprègne le récit à l'image de ces manifestations de gilets jaunes (qu'il ne nomme jamais) et de ces flics de la BAC se réjouissant déjà de la confrontation à venir au grand dam de Jourdan, personnage central du roman. Commandant dirigeant un groupe de la brigade criminelle, Jourdan est un policier usé par le métier dont il ne perçoit plus le sens et qui l'éloigne ainsi de ses proches avec qui il n'est plus en mesure de communiquer, mais également de ses collègues avec lesquels il se confie de moins en moins en faisant cavalier seul ou en prenant des initiatives qui le mettent en danger à l'instar de ce forcené qu'il déloge seul de la maison dans lequel il a trouvé refuge. Loin de jouer avec les clichés d'un tel personnage que l'on a rencontré dans bon nombre de récits, Hervé Le Corre met à jour, avec un naturalisme éprouvant, le quotidien morbide d'un flic de la criminelle perdant peu peu tous ses repères et qui trouve une lueur d'espoir presque improbable dans le regard de Louise, cette femme battue qui survit pour l'amour de son fils qu'elle chérit plus que tout. Là aussi, Hervé Le Corre décline un quotidien oppressant avec l'entourage professionnelle de cette femme officiant comme aide-ménagère auprès de personnes âgées dont l'état de santé se dégrade peu à peu en mettant en exergue le caractère inexorable de ce déclin. A tout cela s'ajoute le destin de Christian, tueur en série, qui poignarde sauvagement prostituées ou rencontres d'un soir et dont on découvre les rapports ambigus avec une mère, sèche et dure, au comportement à la fois ambigu et castrateur. Bien éloigné également des clichés que l'on a pu rencontrer dans les thrillers, Hervé Le Corre souligne le caractère sordide de ce parcours destructeur qui nous fait frémir. 

     

    Trois destins, trois solitudes, Traverser La Nuit se construit ainsi autour de ces trajectoires disparates dont l'enjeu réside dans la rencontre ou plutôt la collision entre ces individus ayant perdu leurs repères au coeur de cette nuit qui semble les engloutir inexorablement. Un roman dur et prenant où la lueur d'espoir se dilue dans les larmes et la pluie qui emportent tout.

     

     

    Hervé Le Corre : Traverser La Nuit. Editions Rivages/Noir 2021.

    A lire en écoutant : Noir De Monde de Bashung. Album : L'Imprudence. 2002 Barclay.

  • Yan Lespoux : Presqu'îles. Médoc noir.

    Capture d’écran 2021-01-24 à 18.38.22.pngPour débuter l'année, les éditions Agullo ont décidé de varier leur catalogue en intégrant une nouvelle collection au format court où ils  accueillent Yan Lespoux, un nouveau romancier qui inaugure cette collection en nous proposant avec Presqu'îles un recueil de nouvelles tournant autour d'une région du Médoc bien éloignée des châteaux prestigieux et des chais opulents entourés de vignobles plusieurs fois centenaires pour nous entrainer du côté d'une terre plutôt pauvre, composée de forêts de pins, de marécages et bordée de dunes se désagrégeant dans l'écume des vagues de l'océan. Pour ceux qui s'intéressent un tant soit peu à la littérature noire, Yan Lespoux n'a rien d'un inconnu puisqu'il anime avec Encore Du  Noir, un blog de référence dont les brillantes chroniques vous invitent à découvrir polars et romans noirs qu'il commente depuis plus de dix ans et dont certains articles sont publiés dans des revues telles que Marianne, Alibi et 813. Et lorsqu'il n'écrit pas, Yan Lespoux trouve le temps pour animer des rencontres d'auteurs dans des librairies ou des salons dédiés au genre ce qui fait que l'on ne s'étonnera pas de trouver au gré de la trentaine de nouvelles composant Presqu'îles toute une variation d'histoires aux nuances plus ou moins sombres dans lesquelles évoluent des individus qui façonnent ce territoire au gré de leurs péripéties insolites.

     

    Dans ce coin du Médoc, même le Bordelais est un étranger qui doit fermer sa gueule. On ne parle même pas du Charentais. Quant aux parisiens on les croise parfois en lisière de forêt à la recherche de leur chien tout aussi paumé que leur maître. Dans ce coin du Médoc on garde jalousement secret ses coins à ceps et tout le monde semble affubler d'un surnom. Dans ce coin du Médoc on fait de drôles de rencontres la nuit lorsque l'on va pêcher clandestinement ou que l'on part en expédition pour piquer la marijuana d'un cultivateur. Gare aux coups de fusil. Sur les plages de ce coin du Médoc on contemple à marée basse l'épave du navire échoué qui vous a amené dans la région pour fuir la guerre civile en Espagne et on attend le premier noyé qui marque le début de la saison comme l'ouverture des cabanes à chichis. Dans ce coin du Médoc on désaile les canards et les mecs qui en veulent à vos économies. On règle les problèmes de cambriolage à sa manière. Gare aux crises cardiaques. Dans ce coin du Médoc on drague les filles, on va à un concert improbable des Pogues et on se balade dans la région en enjambeur. Dans ce coin du Médoc, on boit plus de Ricard que de pinard et on se raconte des histoires qui s'estompent dans la fumée du grill et le murmure sourd des hommes qui se rassemblent.

     

    On le dira avec d'autant plus d'assurance et de fierté qu'il s'agit d'un ami, Presqu'îles est un formidable recueil de nouvelles qui célèbre la terre d'enfance d'un auteur possédant un indéniable talent de conteur qu'il restitue par le biais d'une écriture à la fois sobre et pudique. Avec plus d'une trentaine d'intrigues, Yan Lespoux nous invite donc à découvrir ce Médoc méconnu qu'il affectionne par le prisme d'une galerie de personnages hauts en couleur qui vous feront tantôt sourire, parfois frémir et souvent grincer des dents avec cette propension à la chute caustique qui caractérise bon nombre de ses récits. Immanquablement on retrouvera une forme de noirceur dans la plupart de ces nouvelles qui se manifeste plus particulièrement dans Moisson où l'on suit les péripéties de deux voleurs de plants de marijuana poursuivis par un cultivateur particulièrement psychotique ou dans Cambriolage avec un quincailler qui fait sa propre justice et surtout dans Sécurité Routière où deux autonomistes basques font preuve d'un excès de prudence qui se révélera particulièrement dramatique. Outre la noirceur, on appréciera le mordant d'une ironie grinçante qui saisit immanquablement le lecteur touché par la fine mécanique subtile de récits extrêmement concis et par l'atmosphère remarquable émanant d'un territoire à la saisissante beauté que Yan Lespoux sait dépeindre à la perfection à l'instar de cette introduction figurant dans Rencontre  : "Les pins ont été éclaircis et la lumière du fin croissant de lune suffit à faire ressortir les deux lignes de sable blanc qui traversent les dunes en direction de l'océan dont on entend le grondement au loin." Mais outre la noirceur, outre les rires grinçants, il transparait également une certaine émotion que l'on perçoit dans Une Vie où l'on suit ce vieillard qui va sur la plage pour voir une dernière fois l'épave du navire échoué qui l'a conduit dans la région alors qu'il fuyait la guerre civile en Espagne. Et puis ce sont ces souvenirs d'enfance chargés d'émotion tels que Concert Fantôme évoquant ce groupe de copains qui vont voir un concert des Pogues se déroulant dans un patelin perdu de la région ou Le Couteau avec un récit tout en pudeur où l'on perçoit, au lendemain du jour de l'an, l'affection entre un grand-père et son petit-fils s'apprêtant  à quitter tout prochainement le monde de l'enfance et qui reste pour moi la plus belle des nouvelles du recueil. 

    Avec une magnifique préface d'Hervé Le Corre, Presqu'îles nous invite donc à découvrir toute une mosaïque de personnages atypiques et attachants évoluant sur un territoire à la fois sauvage et mystérieux que Yan Lespoux décrit avec la saisissante beauté du mot juste qui touche parfois au sublime. Un romancier est né.

     

    Yan Lespoux : Presqu'îles. Editions Agullo Court 2021. 

     

    A lire en écoutant : Dirty Old Town de The Pogues. Album : Rum Sodomy & Lash. 2006 Warner Music UK Ltd.

  • FRANCOIS MEDELINE : L’ANGE ROUGE. ORCHIDEE FATALE.

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    Service de presse.

     

    A la lecture des romans de François Médéline on ne peut s’empêcher d’éprouver une espèce de perte de contrôle avec des récits intenses comme La Politique Du Tumulte (La manufacture de livres 2012) parfois étranges comme Les Rêves De Guerre (La manufacture de livres 2014) voire même déjantés à l’instar de Tuer Jupiter (La manufacture de livres 2018) mettant en scène l’assassinat du président Macron. Comme à l’accoutumée, avec une écriture vive et un style tranchant qui donne le vertige, le lecteur, malmené dans la fureur du récit, va retrouver cette sensation de perte de contrôle dans son dernier opus, L’Ange Rouge dont l’action se situe à Lyon en mettant en scène un groupe de la brigade criminelle de Lyon traquant un tueur en série dont la particularité consiste à peindre une orchidée sur le corps de ses victimes. Flics borderlines, serial killer, à l’image des livres d’Ellroy dont il revendique l’influence, François Médéline nous concocte une intrigue aussi trouble qu’insensée dont l’ambition va bien au-delà des standards d’un thriller à la trame usée jusqu’à la corde, pour nous livrer un ouvrage ambitieux qui oscille entre le roman noir et le polar procédural.

     

    Lyon 1998. Alors que la nuit tombe, on distingue un étrange radeau dérivant sur les flots sombre de la Saône. Eclairée de torches enflammées, on peut distinguer sur l’embarcation un corps mutilé sur lequel on a peint une orchidée avant de le placer sur une croix en bois. Elaborée, macabre, la mise en scène marque les esprits pour celui que l’on appelle désormais le crucifié de la Saône  devenant ainsi une affaire spectaculaire qui échoit au commandant Alain Dubak et à son groupe de la brigade criminelle. Pression hiérarchique et médiatique, le groupe livre désormais une course contre la montre en traquant un tueur déterminé et audacieux qui les contraindra à violer les toutes les procédures tout en mettant leur intégrité physique en danger. Ils risquent bien d’y perdre aussi la raison.

     

    Que l'on se le tienne pour dit, L'Ange Rouge va bien au-delà des stéréotypes du thriller avec cette sempiternelle confrontation entre un serial-killer forcément retord et un enquêteur borderline dont le passé tourmenté ressurgit à mesure de l'avancée de ses investigations. François Médéline bouscule donc les codes à la façon d'un James Ellroy en nous offrant un récit extrêmement bien calibré où l'on retrouve, plus que le style syncopé, répétitif qu'il emploie, une intrigue à la fois adroite et profonde avec cette sensation de folie et parfois même de génie qui fait forcément référence au maître du polar américain. Pavé nerveux de près de 500 pages de ce qui s'avère être une série à venir, L'Ange Rouge s'articule autour de l'ensemble d'un groupe de la criminelle dont les protagonistes sont soumis bien évidemment aux aléas des investigations qu'ils doivent mener collectivement mais également aux pressions de la hiérarchie et des instances judiciaires dont on découvre toutes les arcanes et les enjeux que François Médéline décline avec rigueur et précision sans que l'on éprouve cette lourdeur d'une exactitude outrancière des procédures policières avec à la clé un mariage réussi en fiction et réalisme qui comblera les lecteurs les plus exigeants. Même si l'on découvre l'ensemble des membres qui compose ce groupe de la brigade criminelle de Lyon, il va de soi que l'on va se focaliser sur deux enquêteurs atypiques que sont Alain Dubak, commandant dudit groupe secondé de Mamy, son adjointe inamovible de la vieille école qui se gave de sucreries et sait manier le tonfa avec dextérité lui permettant de "dialoguer" avec les prévenus les plus mutiques. Un duo détonant qui compose avec les autres membres du groupe ainsi que les services d'appuis de la police qu'ils soient scientifiques ou psychologiques qui vont intervenir dans cette enquête qui risque à tout moment de s'enliser dans les méandres des fausses pistes. Personnage central du récit, on appréciera ce commandant Dubak, forcément borderline, mais pas trop, qui oscille entre certitudes et doutes en le faisant parfois basculer du côté de "procédures" qui ne sont pas forcément conformes aux directives policières. Issu de la brigade des stupéfiants où il a été affecté trop longtemps en consommant les produits qu'il saisissait, Dubak est un homme blessé, fragile qui tente de se remettre de ses excès, même si la démarche se révèle plutôt difficile tant les tentations sont nombreuses. Mais cette fragilité devient une force avec cette capacité à se retrouver sur le seuil de la folie qui devient un atout dans le cadre de cette traque au tueur en série.

     

    Et puis avec L'Ange Rouge il y a cette ville de Lyon et sa région que l'on découvre au gré d'un récit qui fait la part belle aux particularismes de la cité que ce soit sur le plan géographique bien sûr, mais également avec la dimension sociale et politique nous permettant de nous glisser dans les méandres des milieux extrémistes qu'ils soient de droite ou de gauche mais également dans le monde estudiantin de l'art. Natif de la région, François Médéline nous immerge ainsi avec quelques petites touches bien équilibrées dans le cadre de cette capitale de la Gaule que l'on parcoure dans tous les sens au détour du charme de ses traboules mais également d'endroits plus glauques comme les égouts de la ville abritant quelques sympathisants anarchistes qui vont interférer dans le cours de l'enquête. On le voit, même s'il s'agit bien d'un roman policier on retrouve quelques thématiques politiques, chères à l'auteur, qui donnent encore plus d'ampleur à un récit qui n'en manquait pas.

     

    Cocktail explosif de talent et de folie, L'Ange Rouge, premier opus d'une série à venir, nous réconcilie définitivement avec les histoires de tueur en série au détour d'un récit énergique et fascinant en côtoyant des personnages hauts en couleur que l'on se réjouit déjà de retrouver.

     

    François Médéline : L’Ange rouge. La Manufacture de livres 2020.

     

    A lire en écoutant : People Ain’t No Good de Nick Cave. Album : The Boatman’s Call. 2011 Mute Records Ltd.