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France - Page 8

  • Alice Géraud : Sambre, radioscopie d'un fait divers.

    sambre,radioscopie d’un fait divers,alice géraud,éditions jean-claude lattèsA l'occasion de sa venue aux Quais du Polar à Lyon, le cinéaste Dominik Moll accordait un entretien à Christophe Laurent pour évoquer son travail de réalisateur et plus particulièrement son dernier film La Nuit Du 12 inspiré de 18.3, Une Année A La PJ (Denoël 2021), un récit de Pauline Guéna qui a suivi les enquêteurs de différentes brigades de police judiciaire de Versailles, en se focalisant plus spécifiquement sur le meurtre d'une jeune femme aspergée d’essence et brûlée vive alors qu’elle cheminait le soir pour rentrer chez elle, et qui ne sera jamais résolu. Durant cette interview, dont vous trouverez l'intégralité sur le blog The Killer Inside Me, le réalisateur parlait de son intérêt pour les récits de non-fiction en mentionnant Sambre d'Alice Géraud, une journaliste indépendante qui a enquêté durant quatre ans en se penchant sur le procès de Dino Scala, un auteur d'une série de viols et d'agressions sexuelles perpétrés sur l'espace de trois décennies par celui que l'on surnommait «le violeur de la Sambre» et qui sévissait dans cette petite région industrielle du Nord de la France en s’en prenant à un nombre considérable de femmes des agglomérations environnantes.

     

    Hiver 1986, l’aube ne s’est pas encore levée sur cette rue de Maubeuge où chemine Danielle, une aide-soignante qui se rend à son travail lorsqu’un individu cagoulé la soulève brutalement pour l’entrainer à l’écart de l’artère avant de lui enfoncer un tissu dans la bouche afin qu’elle se taise pour ensuite la tuer pense-t-elle. Mais l’homme semble renoncer et lui glisse un billet de 50 francs dans la main avant de s’enfuir. Au commissariat où elle se rend, Danielle remet le billet aux policiers et dépose plainte. Elle n’aura aucune nouvelle de son agression durant 30 ans. Il semble que ce soit la première des nombreuses victimes de Dino Scala qui est arrêté le 26 février 2018 en étant soupçonné d’être celui que l’on surnomme «le violeur de la Sambre». Après quatre ans d’instruction, ce prédateur est jugé pour pas moins de 56 viols et agressions sexuelles. Outre la temporalité, c’est le nombre considérable de victimes qui interpelle, en se demandant comment Dino Scala a-t-il pu agir aussi longtemps, sur un si petit territoire en commettant tous ces crimes, avec le même modus operandi, sans jamais être inquiété une seule fois. C’est auprès des victimes que l’on trouvera des réponses en découvrant le témoignage d’une multitude de femmes brisées et bafouées, parfois même oubliées, dont le long parcours judiciaire chaotique met en exergue les défaillances de toute une société et plus particulièrement l’incompétence d’institutions qui sont incapables de faire face à la prise en charge de personnes ayant subi des violences sexuelles. 

     

    Comme pour le film de Dominik Moll, il est donc question, avec Sambre, de violences faites aux femmes en se concentrant plus spécifiquement sur le sort réservé aux victimes, et plus particulièrement sur la prise en considération de leurs plaintes suite à des agressions sexuelles ou des viols s'étalant sur une période de trente ans entre 1988 et 2018 année où l'on procède enfin à l'interpellation de Dino Scala dont on ignore, aujourd'hui encore, le nombre exact d'exactions qu'il a commises durant toutes ces années. D'entrée de jeu, on rejoint le réalisateur dans le fait qu'un récit tel que Sambre devient un témoignage sociétal important devant figurer dans la liste des ouvrages obligatoires à l'intention des écoles de police en mettant en exergue tout ce que l'on ne doit pas faire lorsque l'on prend en charge une victime d'un viol ou d'une agression sexuelle. Parce qu'en se focalisant principalement sur les points de vue des victimes, Alice Géraud décrit le désarroi de ces femmes devant faire face à une somme effarante d'incompétence, d'ignorance et parfois même de défiance des forces de l'ordre, mais également de la justice, qui s'ajoute à la détresse des crimes dont elles ont fait l'objet. Se déroulant sur une temporalité de plusieurs décennies, on observe également de manière extrêmement prégnante, l'insidieux processus de démolition ravageant définitivement l'existence de ces personnes violées ou agressées sexuellement qui ne peuvent se remettre d'un tel événement. Le point fort de Sambre réside dans le fait que la journaliste s'attache à restituer le climat de l'époque au gré d'une écriture à la fois sobre et immersive s'appuyant sur des témoignages factuels ce qui fait que le texte n'a rien d'un pamphlet, bien au contraire, puisque l'on ressent cette émotion qui nous étreint tout au long de cette lecture passionnante. Et puis, au-delà des erreurs et des carences qui ont permis à Dino Scala d’agir en tout impunité, Alice Géraud met en exergue les acteurs qui se sont investis, en dépit de tout, pour tenter d’appréhender "le violeur de la Sambre » et dont les fonctions donnent le titre à certains chapitres qui ponctuent le récit, à l’instar de la juge, de l’archiviste, de la maire et de quelques policiers dont les compétences et l'empathie mettent davantage en perspective les manquements de leurs institutions respectives. Ainsi, Alice Géraud relève, avec une pertinence et une lucidité incroyable, l'état d'esprit d'une époque qui n’a pas encore basculé dans l’ère des mouvements sociaux comme #MeToo. On distingue donc dans Sambre certains aspects d'une prépondérance toute masculine, formels ou informels, à l’exemple de l’évocation de l'ancien code pénal régissant notamment les délits en lien avec l'intégrité sexuelle avec certains aspects du viol qualifiés comme des attentats à la pudeur et que de très nombreux policiers persistaient à mentionner dans leurs procédures et dépit de la révision de ce texte législatif abandonnant cette terminologie désuette. Il faut également souligner la qualité de la construction narrative de Sambre qui, du présent autour du procès de Dino Scala, nous projette dans une longue analepse s’inscrivant dans la chronologie de l’ampleur de ses crimes, pour nous ramener sur les instants assez poignants où les victimes prennent connaissance du verdict mettant un terme à leur parcours judiciaire d’une intensité saisissante. Alice Géraud parvient donc littéralement à nous immerger dans les méandres de cette enquête rigoureuse, dont on retrouve la plupart des éléments dans l’adaptation d’une série tout aussi magistrale que ce récit criminel atypique et bouleversant qu’il faut lire impérativement.

     

    Alice Géraud : Sambre. Radioscopie d'un fait divers. Editions Jean-Claude Lattès 2023.

    A lire en écoutant :

    En Rouge Et Noir de Jeanne Mas. Album : Femme d'Aujourd'hui. 2010 Warner Music France.

    Sambre de Raf Keunen. Album : Sambre (Musique originale de la série). 2023 Ear Inn.

  • MARIE-CHRISTINE HORN : SANS RAISON. RUPTURE.

    sans raison, bsn press, okama, marie-christine hornL'occasion a été donnée à de multiples reprises d'évoquer les éditons BSN Press qui font figure de pilier de la littérature noire helvétique avec Giuseppe Merrone comme maître à bord mettant en valeur les textes de Nicolas Verdan, d'Antonio Albanese ou de Marie-Christine Horn ainsi que ceux de Jean-Jacques Busino pour ne citer que quelques auteurs à la noirceur assumée figurant dans l'immense catalogue de l'éditeur lausannois. On trouvera désormais certains d'entre eux dans la collection Tenebris issue d'une collaboration avec les éditions OKAMA créées en 2019 par la dynamique Laurence Malè afin de publier des textes davantage orientés vers le fantastique et la fantasy. On découvre ainsi, dans cette nouvelle collection, Le Complexe D'Eurydice (BSN Presse/OKAMA 2023) d'Antonio Albanese, Cruel (BSN Presse/OKAMA 2023) de Nicolas Verdan ainsi que Sans Raison, dernier roman noir de Marie-Christine Horn nous rappelant, dans sa thématique sociale, Le Cri Du Lièvre (BSN Press 2019) où elle décortiquait les rouages tragiques des violences domestiques. Avec le même regard acéré, débutant autour des prémisses d'une tuerie sur une place de jeu, Marie-Christine Horn aborde, cette fois-ci, le sujet de l'exclusion sociale et des conséquences terribles qui découlent parfois.

     

    Par une belle journée ensoleillée, peut-être un peu trop chaude, Salvatore Giordani empoigne son fusil d'assaut, ouvre la fenêtre et fait un carnage sur une place de jeux en blessant et tuant plusieurs enfants ainsi qu'une femme enceinte. De son côté, Margot doit quitter son logement à la suite de loyers impayés, ceci au grand soulagement de ses voisins qui ne supportaient plus les visites intempestives de son fils adulte faisant régulièrement du scandale entre hurlements et tambourinements aux portes des appartements de l'immeuble. Désormais elle occupe une caravane vétuste d'un camping en côtoyant toute une communauté de résidents à l'année qui tentent de surmonter, tout comme elle, les difficultés d'une existence précaire. Mais contrairement à Salvatore, c'est dans l'adversité que Margot prend la mesure de la solidarité de celles et ceux qui refusent de flancher tout en découvrant que les actes, aussi innommables qu'ils soient, ne sont pas dénués de raison.

     

    Tout en abordant les thèmes de manière frontale, l'écriture de Marie-Christine Horn se caractérise par cette pudeur qui imprègne ce récit aux accents tragiques, bien évidemment, sans pour autant prendre une tournure larmoyante ou une allure horrifique comme on peut les trouver dans certains romans putassiers se complaisant dans l'abjection de scènes sanguinolentes tout en glorifiants des monstres de pacotille. Dans Sans Raison, Marie-Christine Horn dresse ainsi, avec beaucoup de nuance, le portrait et certains éléments du parcours de Salvatore qui n'a rien d'un monstre, bien au contraire, ce qui accentue d'ailleurs l'ignominie de ses actes, tout en observant l'amour et le désarroi d'une mère meurtrie par les actes de son fils. Par petite touche, la romancière assemble donc un puzzle existentiel, dépourvu de révélations fracassantes mais imprégné d'une humanité ordinaire qui nous conduit sur la trajectoire d'un homme qui s'est enfoncé dans la marginalité jusqu'au point de rupture. Il n'y a aucune complaisance dans les propos de Marie-Christine Horn qui, en parallèle, nous invite à découvrir toute la petite communauté de personnalités précaires qui entourent l'existence de Margot refusant de perdre pied au sein de ce camping où elle pourra s'appuyer sur Marcel le gérant, son amie La Duchesse, ainsi qu'Anita, Carmen, René et l'ineffable Moumousse, autant de personnages attachants refusant de basculer dans la fatalité, ce qui n'a rien d'une évidence. Parce que Sans Raison, donne également l'occasion à Marie-Christine Horn de mettre en exergue l'absurdité des rouages administratifs qui broient de manière impitoyable l'existence de femmes et d'hommes qui n'entrent pas dans les cases d'une société plus prompte à rejeter qu'à tenter de comprendre les aléas de ces personnes précaires. Sans concession mais avec un regard empreint d'humanité, Sans Raison lève ainsi le voile de cette opulence helvétique pour mettre en lumière celles et ceux, toujours plus nombreux, qui n'entrent pas dans les critères d'une collectivité bien pensante mais se révélant bien plus abjecte qu'il n'y paraît avec les individus qu'elle réprouve. 

     

    Marie-Christine Horn : Sans Raison. Editions BSN Press/Okama. Collection Tenebris 2023.

    A lire en écoutant : Etna de Lomepal. Album : Mauvais Ordre. 2022 Pinéale.

  • Olivier Ciechelski : Feux Dans La Plaine. Etat sauvage.

    Capture d’écran 2023-12-10 à 22.31.06.pngC'est avec l'écossais Peter May et sa série policière mettant en scène l'enquêteur chinois Li Yang que la collection noire des éditions du Rouergue voit le jour en valorisant des auteurs français et anglo saxons tels que Peter Guttridge et Colin Niel pour ne citer que les trois romanciers emblématiques du catalogue, même si l'on peut également mentionner Gilles Sebhan et Valentine Imhof incarnant cette tonalité décalée caractérisant la ligne éditoriale de la collection. L'autre particularité du Rouergue noir, c'est de donner la voix à toute une multitude de primo-romanciers s'inscrivant dans ce même registre du pas de côté, à l'instar d'Olivier Ciechelski transgressant littéralement les codes du mauvais genre avec Feux Dans La Plaine où le triangle relationnel du héros blessé soignant son mal être dans la solitude, de la belle jeune femme au caractère farouche et du vieux despote local odieux, va prendre une tournure des plus singulières autour d'un récit aux accents ruraux nous questionnant sur notre rapport à une nature nous dépouillant peu à peu de nos certitudes. 

     

    Après avoir servi au sein de l'armée française et notamment au Mali, Stanislas Kosinski aspire à oublier la femme qu'il a perdu là-bas, en retapant un chalet isolé à flanc de montagne, au milieu d'un terrain de 60 hectares de maquis qu'il a acheté pour une somme dérisoire. Il ne reste plus que le silence et la quiétude tout en cultivant son potager et en contemplant cette nature sauvage qui s'offre à lui. Pour unique voisinage, il y a cette jeune bergère prénommée Mathilde qui s'est installée dans un caravane vétuste et qui conduit son immense troupeau sur les pâtures de la région. Mais lorsque Stan découvre que l'on a tracé un chemin sur sa propriété, il va s'expliquer avec Guy Castagnary, le président du club de chasse, qui a effectué les démarches sans demander son autorisation. Mais la confrontation tourne au pugilat, puis ce sont des hommes armés qui débarquent un soir en encerclant la maison de Stan. 

     

    Avec un vétéran asocial, un groupe de chasseurs hostiles et une gardienne de moutons misanthrope, on devine déjà quelques péripéties des événements à venir qui vont jalonner ce premier roman aux allures classiques d'où émane cette atmosphère à la fois sauvage et envoûtante si caractéristique des Hautes Alpes dont les décors majestueux imprègnent l'ensemble d'un texte extrêmement épuré qui va très rapidement à l'essentiel. Mais bien vite, on s'aperçoit que Feux Dans La Plaine va diverger de ce que l'on peut attendre des archétypes de tels personnages et plus particulièrement d'un Stanislas Kosinski apparaissant bien plus nuancé qu'il n'y parait car l'on perçoit rapidement sa fragilité, son obstination mais également son désarroi lorsqu'il se confronte, dans les aléas de sa fuite éperdue, aux rigueurs d'une nature qui va peu à peu le révéler à lui-même. S'articulant sur trois parties prenant les paliers des altitudes sur lesquelles se déroulent les péripéties du roman, mais qui incarnent également, dans leur élévation, le dépouillement du personnage central tournant le dos à la civilisation, Olivier Ciechelski nous entraîne ainsi dans ce cheminement intérieur d'un homme retournant à l'état primitif tout en se confrontant au caractère âpre de cette région montagneuse qui l'entoure comme pour mieux l'absorber. Et il faut bien avouer, qu'au-delà de ces sublimes phases d'introspection révélant le caractère profond de Stan, l'auteur ponctue son récit de scènes époustouflantes telles que cette traversée d'une forêt incendiée ou ce combat dantesque pour faire face à un ours, et parfois plus désopilantes à l'instar de cette acquisition de chaussures de marche dans un commerce de matériel de randonnée ou cette pelleteuse finissant dans un talus.  Il résulte de tout cela, un périple rythmé et saisissant, aux accents tragiques bien sûr, qui font de Feux Dans La Plaine un roman noir singulier qu'il convient de découvrir toute affaire cessante.

     

    Olivier Ciechelski : Feux Dans La Plaine. Editions du Rouergue/Noir 2023.

    A lire en écoutant : Beyond de Morgane Matteuzzi. Album : Beyond. 2022 Morgane Matteuzzi.

  • PIERRE PELOT : LOIN EN AMONT DU CIEL. DU SANG ET DE LA BOUE.

    loin en amont du ciel, pierre pelot, éditions gallimard, collection la noireA la fin des années 60, Sergio Leone règne en maître dans le domaine du western avec des films emblématiques et légendaires comme Le Bon, La Brute Et Le Truand ou Il Etait Une Fois Dans L'Ouest qui marqueront d'une manière indélébile l'histoire du cinéma. La BD francophone n'est pas en reste puisque l'on assiste à l'émergence du Lieutenant Blueberry scénarisé par Charlier et dessiné par Giraud tandis qu'au début des années 70, Hermann se lance, avec Greg au scénario, dans la série Comanche et que Michel Blanc-Dumont et Laurence Harlé mettent en scène les aventures de Jonathan Cartland et puis qu'apparait le personnage de Buddy Longway créé par Derib. A la même époque, s’inscrivant dans cette effervescence du genre, il faut également compter sur Pierre Pelot débutant sa carrière de romancier avec une série mettant en scène Dylan Stark un métis moitié cherokee, moitié français qui, au terme de la guerre de sécession, se jette à corps perdu dans une longue quête de vengeance après avoir découvert, en revenant au pays, que toute sa famille a été massacrée. Au gré des 22 ouvrages publiés, on remarquera que certains d'entre eux sont illustrés par Hermann tandis que dans d'autres publications on trouvera les dessins de Michel Blanc-Dumont ou de Michel Auclair, autre auteur de BD, qui se distinguera avec les aventures de Simon Du Fleuve, dans un genre post-apocalyptique aux allures de western. On notera que l'ensemble de la série Dylan Stark n'est malheureusement plus disponible mais que l'on peut les retrouver sur le marché de l’occasion, en constatant d'ailleurs que le 17ème volume, Le Tombeau De Satan (Marabout 1969), est préfacé par Hergé. Après cette incursion notable dans le western, il sera difficile de résumer la suite de la carrière littéraire de Pierre Pelot s'étalant sur plus de cinq décennies en publiant pas moins de deux cents ouvrages pour s'aventurer sur des registres variés tels que la science-fiction, le polar, le roman noir mais également du côté de la littérature blanche avec ces phrases redoutables, presque sans fin qui envoûtent le lecteur en l’entrainant dans la splendeur d'un récit tel que Braves Gens Du Purgatoire (Héloïse d’Ormesson 2019) dont on retrouvera les caractéristiques dans Loin En Amont Du Ciel, dernier ouvrage de l'auteur qui renoue avec le western aux accents crépusculaires où apparaît, de manière lointaine, la silhouette de Dylan Stark dont la trajectoire s’insinue dans celle de trois sœurs se lançant à la poursuite de la bande de renégats qui ont pillé leur ferme et assassiné leurs proches.

     

    Si la guerre de Sécession a pris fin et que le pays se reconstruit peu à peu, on voit apparaître des anciens combattants qui se sont reconvertis dans le meurtre et le pillage en formant des bandes de hors-la-loi sans foi ni loi. L'une d'entre elles est commandée par Captain Sangre de Cristo qui peut notamment compter sur l'appui d'une sorcière sanguinaire que ses comparses surnomment Mother. Déferlant désormais dans la vallée des Orzak, cette horde de pillards sèment terreur et désolations en s'en prenant plus particulièrement aux fermes isolées, dont celle appartenant à la famille McEwen après avoir massacré les parents ainsi que la cadette des filles sous le regard impuissant des trois sœurs survivantes. Bien décidées à se venger, Enéa McEwen ainsi que les deux jumelles Aïleen et Erin vont traquer sans relâche chaque membre de cette bande de renégats qui poursuivent leurs exactions dans tous les recoins des états du Sud. Ainsi, au fil de leur périple, les sœurs McEwen croisent d'autres femmes, également victimes de cette horde sauvage, qui se joignent à leur croisade vengeresse où le fracas des armes rugira pour solde de tout compte.

     

    Dans la collection La Noire on trouve notamment Méridien De Sang (Gallimard/La Noire 1992) de Cormac McCarthy et Deadwood (Gallimard/La Noire 1994) de Peter Dexter, représentatifs de ce fameux courant western gothique caractérisant ces deux romans légendaires. Il y a donc une cohérence certaine à ce que Pierre Pelot intègre cette collection mythique avec ce western aux accents âpres et crépusculaires dont il décline l'atmosphère à la fois lourde et violente au détour d'un texte tempétueux et d'une saisissante intensité s'articulant autour de la destinée des trois soeurs McEwen bien décidées à faire payer le prix fort à tous ceux qui ont massacré leur famille. Et puis, comme une mise en abime vertigineuse, on observe également le parcours d'Anton Deavers, journaliste pour The True Republican New Chronicle et qui a déjà rédigé les aventures du lieutenant Dylan Stark pour s'intéresser désormais au devenir de ces trois femmes qui ont pris les armes pour former une milice comptant de nombreuses comparses qui s'abattent sur leurs adversaires avec une farouche détermination. Et comme pour donner davantage d'assise et de réalisme au récit, Pierre Pelot convoque la personnalité historique de William Quantrill qui dirigea une horde déchaînée de hors-la-loi sévissant dans le Missouri et le Kansas et dont certains membres formèrent par la suite le redoutable gang James-Younger. Avec un tel personnage, l'auteur s'inspire de cette sauvagerie, propre à l'époque, pour mettre en scène les exactions de Captain Sangre De Cristo, ancien membre de la bande Quantrill, et de Mother, une furie sanguinaire qui éprouve une certaine prédilection à éventrer tous les individus qu'elle croise, en lançant quelques imprécations furieuses pour invoquer tous les démons de l'enfer. Tout cet ensemble s'embrase au détour d'un texte aux longues phrases tumultueuses que l'auteur façonne avec cette passion sans égale du mot juste dont il reprend parfois à son compte la signification pour l'insérer parfaitement dans la scène qu'il dépeint, que ce soit ces paysages majestueux, ces recoins sordides et bien évidemment ces éclats d'une violence flamboyante et outrancière comme en témoigne le pillage de la ferme McEwen ou le règlement de compte entre Enéa et Mother prenant une allure dantesque au cour d'un affrontement déchainé entre bandes rivales s'affrontant au sein d'un saloon ravagé par la multitude de coups de feu qui éclatent de toute part. Ainsi, Pierre Pelot, en pleine maitrise de la langue et du récit, vous entraine dans la sauvagerie de cette période tumultueuse au gré d'une succession d'événements d'une envergure peu commune vous coupant le souffle et vous laissant sans voix au milieu de ces éclats de boue et de sang qui semblent toujours vous coller à la peau même une fois l'ouvrage terminé.

     

    Pierre Pelot : Loin En Amont Du Ciel. Editions Gallimard/Collection La Noire 2023.

    A lire en écoutant : You Will Be My Ain True Love de Alison Krauss. Album : A Hundred Miles Or More: A Collection. 2007 Rounder Records.

  • Laurent Petitmangin : Les Terres Animales. Ceux qui restent.

    laurent petitmangin,les terres animales,la manufacture de livresOn se souvient encore de cet engouement général pour Ce Qu’il Faut De Nuit (La Manufacture de livres 2020), premier roman de Laurent PetitMangin qui raflait une vingtaine de prix de la rentrée littéraire de 2020. Oscillant entre la chronique sociale et le roman noir en se déroulant dans la région de sa Lorraine natale, on relevait cette pudeur et cette émotion que l’auteur distillait autour des relations entre un père cheminot aux convictions syndicales bien ancrées et un fils tenté par les dérives de l’extrémisme de droite, en s’inscrivant ainsi sur certains thèmes abordés par Nicolas Mathieu issu de ces mêmes contrées lorraines. Écrivant depuis au moins une dizaine d’année sans jamais être publié, Laurent Petitmangin proposait aux éditeurs, en même temps que Ce Qu’il Faut De Nuit, un texte intitulé Ainsi Berlin (La Manufacture de livres 2021) en changeant totalement de registre puisqu’il abordait le genre de l’espionnage de l’après-guerre autour d’une relation amoureuse. Publié au début de l’année 2021, la visibilité de ce roman fut probablement quelque peu occultée par la continuité du succès du premier ouvrage dont on parle encore aujourd’hui. Les aléas du succès sans doute. Mais il est temps de se tourner vers Les Terres Animales, nouveau roman de Laurent Petitmangin qui change une nouvelle fois de genre avec un récit dystopique où l’on rencontre une petite communauté persistant à rester dans une région irradiée suite à l’explosion d’une centrale nucléaire, en s’inspirant notamment d’un reportage s’intéressant à ces personnes âgées voulant à tout prix continuer à vivre à Fukushima en dépit des risques engendrés.

     

    Ça a finit par arriver. La centrale a explosé. L’équivalent de dix Fukushima avec une région qu’il a fallu évacuer pour fuir les radiations. Une zone condamnée, silencieuse où certains ont pourtant choisi de rester malgré tout, attachés qu’ils sont par les souvenirs. Et puis il y a le corps de Vic qui repose dans cette terre contaminée, la fille que Sarah et Fred ont perdu bien avant l’accident de la centrale. Un attachement viscéral auquel s’associe les amis de longue date que sont Marc et Lorna, ainsi qu’Alessandro. Ils forment un groupe soudé qui leur permet de survivre sur ce territoire empoisonné où ils côtoient quelques anciens ainsi qu’une douzaine de migrants estimant que pour eux il n’y a pas d’ailleurs que cette terre animale et désormais indomptable. L’avenir est donc tout tracé pour ces femmes et ces hommes qui vont pourtant devoir remettre en cause leurs certitudes à la survenue d’un événement qui va bouleverser leur existence. 

     

    On recommandera tout d'abord d'éviter de s'attarder sur le résumé du quatrième de couverture dévoilant trop d'éléments de l'intrigue. Tout comme Ce Qu'il Faut De Nuit, on constatera que Les Terres Animales est un roman assez bref où Laurent Petitmangin ne s'embarrasse pas de détails. Ainsi, hormis la beauté vénéneuse du paysage et ce sentiment de liberté qui s'en dégage malgré tout, on ne saura rien de l'aspect géographique de la région dans laquelle évolue cette communauté qui fait le choix de rester dans cette atmosphère irradiée, tout comme l'on ignorera les circonstances de l'accident de cette centrale nucléaire ainsi que l'évacuation qui s'ensuit à l'exception de quelques détails en rapport avec les maisons abandonnées comme figées par la catastrophe. Essentiellement concentré sur l'humain, Laurent Petitmangin décline son récit sur une alternance des points de vue de Fred et de Sarah en définissant ainsi leur quotidien ainsi que les rapports qu'ils entretiennent avec Alessandro et l'autre couple que forme Marc et Lorna en prenant également la mesure des raisons tout de même insensées qui les poussent à vivre ou plutôt survivre au coeur de ce territoire empoisonné qui ne laisse que peu d'espoir quant à leur devenir. Devant l'absence de rationalité d'une telle décision, on ne peut donc raisonnablement pas vraiment s'attacher à ces personnages qui nous bouleversent tout de même au gré des événements auxquels ils vont devoir faire face en bousculant leur périlleuse routine, tout en remettant en cause leurs motivations respectives qui les ralliaient plus particulièrement autour de la destinée de Sarah. Avec cette belle écriture poétique qui caractérise son texte, Laurent Petitmangin met en place cette espèce de léthargie qui enveloppe ce groupe engoncé dans des certitudes ataviques qui perdent brutalement tout leur sens, au rythme d'une succession de drames dont on prendra toute la mesure au terme d'un épilogue chargé d'une émotion parfaitement contenue ce qui la rend d'autant plus poignante. L'intrigue prend également une forme admirable autour des non-dits et plus particulièrement du vertige des ellipses temporelles entre les chapitres qui ne font que renforcer l'intensité des péripéties qui vont marquer les membres de ce groupe qui se révélera beaucoup plus fragile qu'il ne le laisse paraître en révélant toutes les failles de ces personnages qui se révéleront dans tout le poids de leur humanité tragique et que le regard extérieur des membres de cette communauté d'Ouzbeks qu'il côtoient ne fait que renforcer, en devenant ainsi les témoins impavides des malheurs qui frappent ces terres animales. Avec Les Terres Animales, Laurent Petitmangin dépeint, de manière remarquable, cet attachement viscéral au territoire autour de l’amitié qui se désagrège dans les entrelacs de la déraison et des certitudes aveugles.

     

    Laurent Petitmangin : Les Terres Animales. Editions de la Manufacture de livres 2023.

    A lire en écoutant : Lullaby For Caïn de Shinead O'Conor et Gabriel Yared. Album : The Talented Mr. Ripley (Music from th Motion Picture). 1999 Sony Music Entertainment.