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France

  • MICHELE PEDINIELLI / VALERIO VARESI : CONTREBANDIERS. POUR UNE POIGNEE DE CIGARETTES.

    michèle pedinielli,valério varesi,contrebandiers,éditions pointsIl est paru au début de l'année, à l'occasion du festival des Quais du Polar à Lyon où les organisateurs, en collaboration avec les éditions Points, mettent en place, depuis plusieurs années, des projets d'écriture à quatre mains entre deux auteurs de deux pays différents afin de mettre en exergue les différences culturelles dont on découvre certains aspects dans une alternance de chapitres qui s'inscrivent dans un genre policier bien évidemment. Pour les éditions précédentes on s'aventurait entre Lyon et Manchester avec Le Steve McQuenn (Points 2024) de Tim Willocks et Cary Ferey, entre la France et l'Allemagne avec Terminus Leipzig (Points 2022) de Jérôme Leroy et Max Annas,  entre la Roumanie et la France avec Le Coffre (Points 2019) de Jacky Schwartmann et Luician-Dragos Bogdan et pour finir entre Barcelone et Lyon avec L'Inconnue Du Port (Points 2023) d'Olivier Truc et Rosa Montero. Pour cette année, ce sont deux grandes figures de la littérature noire, à savoir Michèle Pedinielli et Valério Varesi qui nous ont concocté avec Contrebandiers, une intrigue prenant pour cadre cette région frontalière des Alpes entre la France et l’Italie. La nouvelle est d’autant plus réjouissante qu’à la lecture de leurs œuvres respectives que ce soit la série Boccanera Pour Michèle Pedinielli ou la série Soneri pour Valério Varesi, on perçoit une affinité évidente entre ces deux écrivains engagés, rejaillissant dans cette admiration réciproque qui était manifeste durant le festival Toulouse Polar du Sud où ils étaient tous deux présents en tant que marraine et le parrain de cette édition 2025.

     

    michèle pedinielli,valério varesi,contrebandiers,éditions pointsC'est un peu l'effervescence sur le versant italien des Alpes, avec la découverte du corps sans vie d'un individu que la police identifie rapidement comme étant le nommé Léonardo Morandi, malgré le fait qu'il a été sauvagement défiguré. On signale également dans plusieurs bergeries des environs, des stocks importants de cigarettes de contrebande. Au même moment, du côté français, Suzanne Valadon, une accompagnatrice de montagne chevronnée, retrouve un jeune ressortissant du Burkina Faso complètement frigorifié qui tentait étrangement de retourner en Italie. Tant bien que mal, elle parvient à porter sur son dos le jeune réfugié, à moitié inconscient, pour se rendre au refuge tenu par Fabien. Le garçon aurait-il quelque chose à voir avec le meurtre qui vient de se produire ? De part et d'autre de la frontière, chacun s'évertue à faire la lumière sur ces événements le plus rapidement possible car les premières neiges s'abattent sur la montagne ce qui rend les investigations bien plus périlleuses dans un environnement où les contrebandiers croisent la route des réfugiés ce qui suscite bien des tensions.

     

    Que ce soit dans La Main De Dieu (Agullo 2022) de Valério Varesi ou Après Les Chiens  (Aube noire 2021) de Michèle Pedinielli, il était déjà question de cet environnement montagnard que l'on retrouve donc dans Contrebandiers où apparaissent les thèmes sociaux de la migration ainsi que les aspects peu reluisant de la contrebande, bien éloignée de l'image folklorique que l'on a pu s'en faire avec un personnage comme Farinet que Ramuz a mis en scène dans son roman éponyme. Ce qu'il émane donc d'un récit comme Contrebandiers c'est cette avidité du gain illicite permettant d'améliorer l'ordinaire de certains montagnards d'une région où l'on perçoit quelques aspects du désarroi économique, plus particulièrement en ce qui les exploitations agricoles qui deviennent le paravent d'un trafic international, mondialisation oblige. Et puis il est également question de ces migrants contraints, avec le verrouillage des postes de la frontière, de franchir les cols escarpés de ces montagnes hostiles en affrontant les intempéries pour y laisser parfois la vie tant ils ne sont pas équipés pour y faire face. Là également, on distingue le comportement odieux des passeurs qui n'hésitent pas à exploiter cette détresse humaine pour optimiser le passage périlleux de la marchandise illicite qu'ils font également transiter dans le même temps. Tout cela se décline donc sur cette alternance de chapitres entre deux auteurs que l'on sent véritablement inspirés au gré de cette brève intrigue ponctuée de nombreux personnages qui gravitent dans cette contrée alpestre et d'où émerge des personnalités attachantes comme Suzanne Valadon, une femme de caractère nous rappelant des traits de caractère de Ghjulia Boccanera avec cette humour mordant qui imprègne le texte tandis qu'avec l’adjudant Rapetti et le tenancier du refuge Remo Brusotti on retrouve cette mélancolie propre au commissaire Soneri. Ainsi, si l’enjeu de l’identification du meurtrier demeure primordial avec une enquête compacte et riche en rebondissements, Contrebandiers nous laisse à voir ce caractère engagé de deux romanciers qui s’emploient à mettre en lumière l’âpreté de cet environnement alpin d’où émerge pourtant quelques notes d’espoir et de solidarité au gré d’un texte cohérent et d’excellente facture. 

    Michèle Pedinielli/Valério Varesi : Contrebandiers. Editions Points 2025. Traduit pour la partie italienne par Serge Quadrupanni.

    A lire en écoutant : Torn Inside de Gary Moore. Album : The Power of the Blues. 2004 Orionstar Ltd.

  • LAURENT MAUVIGNIER : HISTOIRE DE LA NUIT. L'EFFACEMENT.

    histoires de la nuit,laurent mauvignier,les éditions de minuitCe qui est amusant avec ces auteurs et ces romancières qui s’aventurent dans les lisières du mauvais genre, ce sont les gesticulations de certains intellectuels du microcosme de la littérature blanche parisienne et des autres régions d’ailleurs, qui vont vous expliquer que celle ou celui qu’ils adulent s’inscrit dans la « grande tradition romanesque » en soulignant le caractère social du texte qui va bien au-delà du "simple" roman policier ou encore pire, du "vulgaire" thriller. Laurent Mauvignier n’échappe pas à ces effets de manche quand bien même l’auteur assume pleinement le registre dans lequel il s’inscrit puisqu’à l’occasion de la sortie de son roman Histoire De La Nuit, on remarquait sa présence en 2021 au festival Toulouse Polar du Sud où il débattait justement sur le thème de la frontière poreuse entre les différents genres littéraires en compagnie de Tiffany Tavernier qui s’est également distinguée dans un registre similaire avec L’Ami (Sabine Wespieser Editeur 2021) dont il faudra également évoquer cette intrigue singulière qui s’articule autour de la personnalité d’un tueur en série en adoptant le point de vue de son voisin qui s’est lié d’amitié avec celui qu’il côtoyait quotidiennement. Et si l'on observe une porosité dans le clivage des genres, il faut souligner que la présence de l'ancien pensionnaire de la Villa Médicis, publié au sein d'une des grandes maisons de l'édition française, n'a rien d'anodin alors que bon nombre d'attachés de presse et d'éditeurs des collections blanches rechignent encore à ce que leurs auteurs fréquentent des festivals dédiés à la littérature noire qui pourraient ternir leur réputation. On en est encore là dans un milieu littéraire qui, paradoxalement, est assez prompt à fustiger les discriminations régissant notre monde. Romancier reconnu, multi récompensé et promis à d'autres nouvelles distinctions à l'occasion de la sortie de son treizième roman, La Maison Vide (Les Editions de Minuit 2025), où l'on retrouve la richesse d'une écriture qui s'étire d'une manière singulière, Laurent Mauvignier semble se passionner pour le théâtre et le mouvement de la mise en scène qui en découle et dont on retrouve toute la quintessence dans Histoires De La Nuit au gré d'une intrigue s'étalant sur un jour et une nuit en prenant pour cadre le hameau perdu d'une région sans nom. Et si d'aventure vous prenez le temps de consulter le site de l'auteur, vous trouverez cette citation de Kafka : « Si un livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? » nous renvoyant à ce thriller magistral où l'on en prend plein la gueule.

     

    histoires de la nuit,laurent mauvignier,les éditions de minuitDu côté de La Bassée, il y a le hameau "des trois filles seules" où vit depuis toujours Bergogne, un éleveur qui a repris le domaine familial tandis que sa femme Marion travaille au sein d'une imprimerie et qu'ils élèvent leur fille Ida fréquentant le lycée de la région. Dans la maison voisine, on trouve Christine, une artiste peinte vieillissante qui a quitté Paris il y a de cela des années pour fuir l'agitation citadine en privilégiant la quiétude que lui offre cette contrée rurale. Mais il y a ces lettres anonymes que l'on dépose désormais devant sa porte, ceci depuis plusieurs semaines et qui l'incite à se rendre à la gendarmerie, accompagnée de Bergogne qui, en bon voisin, lui sert de chauffeur, pour savoir ce qu'il convient de faire. Ce n'est pourtant pas ces événements qui assombriront cette journée davantage dédiée aux préparatifs de l'anniversaire de Marion qui fête ses quarante ans. Et tandis que chacun vaque à ses occupations, il y a ces inconnus qui rôdent autour du hameau. Que peuvent-ils bien vouloir ?

     

    A une époque normée, calibrée, où la phrase doit être aussi brève que le chapitre, il convient de souligner que Laurent Mauvignier détonne radicalement dans ce marasme littéraire où l'escroquerie des grands groupes éditoriaux consiste à parier sur un pseudo manque d'intelligence des lecteurs tout en se réclamant d'un courant populaire destiné au plus grand nombre. Alors oui, il faut dompter la langue de Laurent Mauvignier, se l'accaparer et se laisser entraîner dans la sinuosité d'une longue scansion magistrale où chaque mot compte pour décortiquer par le menu détail cette journée et cette soirée sous haute tension s'étalant sur plus de 600 pages que l'on se prend à faire défiler à une allure vertigineuse, pour découvrir ce qu'il va advenir de Bergogne, Marion, Ida et Christine confrontés à la venue d'individus inquiétants qui semblent vouloir que l'on leur rendent compte de  certains événements du passé. Si la phrase s'étire dans une sorte d'outrance savoureuse, il faut bien prendre conscience qu'elle n'est pas faite pour faire joli mais qu'elle se met au service du récit avec cette sensation d'examiner la pellicule d'un long plan séquence qui survole chacun des protagonistes en captant certains aspects les plus intimes de leur vie dont les révélations vont alimenter une intrigue prenant effectivement l'allure d'un thriller se révélant paradoxalement à l'antithèse des codes d'écriture propre au genre. A partir de là, on parlera bien d'une mise en scène extrêmement travaillée qui s'articule autour de cette confrontation dont l'enjeu consiste à savoir auprès de qui elle s'adresse véritablement et qu'elles en sont les raisons qui vont nous être révélées au gré de scènes d'une impressionnante intensité qui s'inscrivent pourtant dans toute leur simplicité et, ce qui importe le plus, dans tout le réalisme de parcours de vies ordinaires qui se fissurent peu à peu à mesure que l'on progresse dans cette journée basculant dans la noirceur de la nuit pour s'achever sur une scène remarquable oscillant dans cet équilibre subtil de violence et de tragédie. Mais Histoires De La Nuit, c'est également une étude de caractère extrêmement fouillée où émerge, en côtoyant chacun des personnages, des thèmes comme la précarité des conditions rurales dans le domaine de l'agriculture avec Bergogne, le harcèlement au travail avec Marion, tandis qu'avec Christine il s'agira de prendre la mesure du rapport à l'art et de son aspect trépident auquel on peut vouloir se soustraire alors qu'avec Ida on explorera cette peur primaire qui nous habite en se diluant sur l'ensemble des protagonistes pour alimenter cette oppression qui imprègne ce roman d'une intensité remarquable dont on se réjouit de découvrir l'adaptation au cinéma pour une sortie prévue en 2026 avec Léa Mysius à la réalisation et Hafsia Herzi, Bastien Bouillon, Monica Bellucci ainsi que Benoît Magimel au casting. Ainsi, Histoires De La Nuit se révèle donc être une véritable  démonstration époustouflante de ce qui peut se faire de mieux dans le domaine du thriller où se conjugue la grâce d'une écriture onduleuse qui nous ensorcelle afin de nous entraîner dans le coeur et la beauté d'un récit d'une noirceur à la fois troublante et époustouflante qui nous laisse sans voix.


     

    Laurent Mauvignier : Histoires De La Nuit. Les Editions de Minuit 2020.

    A lire en écoutant : Suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach interprétées par Anne Gastinel. Album : 6 Suites Pour Violoncelle. 2008 naïve.

     

  • Benjamin Dierstein : L'Etendard Sanglant Est Levé. Faut qu'ça saigne.

    benjamin dierstein,l’étendard sanglant est levé,éditions flammarion

    Service de presse.

    Même si l'équipe marketing de la maison d'éditions hurlera de désespoir, il ne faut pas compter pouvoir entamer ce pavé de plus de 900 pages sans avoir digéré les 763 feuillets de l'ouvrage précédent, composant ce qui apparaît comme une trilogie à venir de cette fresque dantesque du déclin du règne de Giscard de la fin des années 70 à l'avènement de l'ère de Mitterand des années 80 et de l’ensemble des affaires troubles qui jalonnent cette période. Mais que l'on ne s'inquiète pas trop car avec Benjamin Dierstein, la lecture file à une allure proche de la vitesse de la lumière lorsque l'on se plonge dans Bleus, Blancs, Rouges (Flammarion 2025) paru au début de l'année 2025, en allant à la rencontre de Jackie Lienard et de Marco Paolini, deux flics novices que tout oppose, tout en croisant également la route du brigadier Jean-Louis Gouvernnec, infiltré dans les groupuscules gauchistes proches d'Action directe et du mercenaire Robert Vauthier qui fraye avec les officines de droite en montant des coups tant en Afrique que dans le milieu des nuits parisiennes. Et c'est autour de ces quatre destins que la fiction s'agrège à la succession d'événements historiques ponctuant cette époque chaotique dans un jeu habile de fiction et de réalité prenant l'allure d'une intrigue policière survoltée s'entremêlant à ce qui se révèle être une espèce de jeu de pouvoir politique cruelle où la raison d'état légitime les actions les plus infâmes. Avec une aisance assez déconcertante, le lecteur va donc retrouver tout cela dans L'Etendard Sanglant Est Levé qui, après une brève incursion en 1965, nous embarque dans ce moment de bascule entre 1980 et 1982, de la campagne présidentielle à la prise de pouvoir des socialistes en bousculant la destinée de ce quatuor de flics et de barbouze toujours en quête de ce trafiquant d'arme qui alimente tous les réseaux des groupuscules révolutionnaire qui sévissent tant en France que dans le reste du monde. 

     


    benjamin dierstein,l’étendard sanglant est levé,éditions flammarionEn janvier 1980, c'est le marasme en France qui s'enfonce dans la crise économique en disant adieu aux trente glorieuses tandis que tous les services de police sont focalisés sur la traque des membres des groupuscules révolutionnaires qui sévissent dans le pays. Désormais infiltré dans le noyau dure d'Action Directe, le brigadier Jean-Louis Gouvernnec tente d'approcher Geronimo, ce marchand d'arme formé par les libyens et qui alimente tous les réseaux terroristes d'extrême gauche. C'est Jacquie Lienard, son officier traitant au RG qui est à la manoeuvre tandis que Marco Paolini, jeune flic intrépide de la BRI, tente également de soustraire tous les renseignements possibles pour localiser et identifier le mystérieux trafiquant d'arme. Mais tandis que la campagne présidentiel bat son plein, les deux inspecteurs vont devoir également compter avec Robert Vauthier, mercenaire de son état reconverti dans le milieu de proxénétisme et qui enflamme le monde de la nuit parisienne et de la jet set avec son dancing ultra sélect servant de couverture pour ses trafics destinés à alimenter l'armée de barbouzes sévissant au Tchad afin de traquer Geronimo qui a ses entrées auprès de la dictature de Kadhafi en pleine ébullition. Mais les événements vont prendre une autre tournure lorsque le terroriste Carlos débarque en France bien décider à imposer sa loi par tous les moyens en entraînant Jacquie Lienard, Jean-Louis Gourvennec, Marco Paolini et Roger Vauthier dans un univers impitoyable de violence et de corruption qui sévit jusqu'au plus haute instance d'un état de droit qui n'en a plus que le nom. 

     

    On retourne donc au charbon avec ce quatuor d'individus écorchés vifs que l'on accompagne avec une certaine fébrilité dans cet amoncellement d'affaires troubles qui marquent cette période à la fois explosive et porteuse d'espoir, mais dont on connaît déjà l'immense déception qu'elle va engendrer par la suite avec l'avènement d'un président Mitterand à la personnalité complexe qui s'ingénie dans les manoeuvres machiavéliques accompagné en cela de son bras droit, François de Grossouvre qui apparaît tout au long de cette intrigue se révélant encore plus dantesque que la précédente. C'est dans cette atmosphère fiévreuse que Benjamin Dierstein nous entraîne au gré d'un récit d'une grande tenue qui transcende ce schéma narratif si cher à James Ellroy avec ces encarts de titres de la presse de l'époque, ces extraits d'écoutes téléphoniques et ces retranscriptions de procès-verbaux, prémisses des intrigues dans lesquelles il va mettre en scène les quatre personnages fictifs qui vont alimenter la perspective des événements historiques de cette époque foisonnante où l'on croise, outre les politiques et autres hauts fonctionnaires de police, toute une galerie de personnalité de la jet set que ce soit Alain Delon, Thierry Ardisson, Jean-Paul Belmondo, Mireille Dara, Serge Gainsbourg et Jane Birkin pour n'en citer que quelques unes. Mais avec la tuerie d'Auriol ou l'attentat de la rue Marbeuf, ce sont également des individus inquiétants qui apparaissent dans les dédales de cette fresque historique, tels que Carlos, Jean-Marc Rouillan et Nathalie Mérnigon, Pierre Debizet et Jacques Massié ainsi que la cohorte de d'individus de la pègre qui vont s'entredéchirer dans des règlements de compte explosifs donnant tout son sens à ce titre du roman, L'Etendard Sanglant Est Levé. Tout cela, Benjamin Dierstein le décline avec cette habilité qui le caractérise désormais, au rythme d'une écriture serrée d'où émerge toute cette tension permanente alimentant un texte de haute tenue que l'on s'accaparera littéralement avec une certaine fébrilité à mesure que l'on progresse dans cet ensemble d'intrigues parallèles toutes aussi passionnantes les unes que les autres tout en guettant ces instants explosifs où le récit va basculer dans un déchainement d'une violence sans égale. Et puis, il faut bien admettre que l'on demeure assez impressionné par cette capacité de l'auteur à digérer une documentation conséquente qu'il restitue avec cette aisance saisissante, dans le cours d'une fiction qui se conjugue parfaitement avec les événements historiques qui prennent un tout autre éclairage, ce d'autant plus avec l'actualité du présent où un ancien président de la République vient d'être condamné pour des faits d'association de malfaiteur en lien avec des financements libyens. Autant dire que L'Etendard Sanglant Est Levé tient donc toutes ses promesses amorcées avec le premier volume et que l'on attend avec une impatience fiévreuse, le troisième ouvrage, dont on sait déjà qu'il s'intitulera 14 Juillet et qu'il paraîtra au mois de janvier 2026. 

     

     

    Benjamin Dierstein : L'Etendard Sanglant Est Levé. Editions Flammarion 2025.

    A lire en écoutant : Traffic de Bernard Lavilliers. Album : Métamorphose. 2023 Barclay.

  • Frédéric Paulin : Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière. Samedi soir à Beyrouth.

    frédéric paulin,que s’obscurcissent les soleil et la terre,éditions agullo

    Service de presse.

    On ne sait plus trop quoi dire à son sujet, tant l'on a décliné de superlatifs élogieux pour encenser cette seconde trilogie trouvant sa conclusion dans la fusion des couvertures des deux précédents ouvrages où la sublime mosaïque orientale se décline désormais sur la palette des trois couleurs du drapeau du Liban tandis que le silhouette emblématique du cèdre s'imprègne d'une teinte sanguinolente lourde de sens. Avec Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière, Frédéric Paulin achève donc de manière magistrale, cette fresque de la guerre civile du Liban qu'il entamait il y a de cela une année avec Nul Autre Ennemi Que Mon Frère (Agullo 2024) s'articulant autour des origines de ce conflit fratricide tandis que l'on en découvrait toute son ampleur dans Rares Ceux Qui Echappèrent A La Guerre (Agullo 2025) où les attentats et les prises d'otage se succèdent en prenant une dimension internationale. Pour les frileux qui n'oseraient aborder cet ensemble de textes magistrales, tant pour des raison pécuniaires que pour des motifs plus abscons de thèmes obscurs et peu compréhensibles, on signalera tout d'abord que le premier volume est désormais disponible en version poche chez Folio policier et que loin d'être ardue, Frédéric Paulin déploie une intrigue solide où les faits historiques s'entremêlent à une fiction dynamique qui nous éclaire d'une manière à la fois sobre et convaincante sur les entournures d'un conflit aux ramifications complexes. Ainsi, au terme de Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière, on prendra la mesure des différents enjeux qui animent l'ensemble de cette région du Moyen-Orient et des conflits qui perdurent en s'inscrivant désormais dans la terrible actualité d'une autre guerre qui déciment les populations. Autant dire que la trilogie libanaise de Frédéric Paulin a valeur de document dans ce qui apparaît comme une guerre civile où seule l'amertume subsiste en résonnant comme une tragique défaite s'inscrivant dans le parcours de chacun des personnages d'un récit éblouissant.

     

    frédéric paulin,que s’obscurcissent les soleil et la terre,éditions agulloA la fin de l'année 1986, ce sont les attentats ravageant Paris qui rythment la vie du commissaire Nicolas Caillaux et de sa femme la juge d'instruction Sandra Gagliaco qui découvrent peu à peu que s'il faut retrouver rapidement les coupables pour calmer l'opinion publique, c'est désormais la raison d'état qui prévaudra sur la vérité en privilégiant l'improbable piste Abdallah afin de ménager les susceptibilités du gouvernement iranien se livrant désormais à une guerre ouverte des ambassades à laquelle la France ne compte pas céder. De son côté, le député Michel Nada ä fort à faire dans les négociations obscures pour la libération des otages français détenus depuis plusieurs années au Liban alors que Chirac et Mitterand se livrent à une course cynique pour s'en attribuer le mérite en vue des élections présidentielles de 1988. A Beyrouth, l'ancien attaché d'ambassade Philippe Kellermann constate avec amertume que la guerre reprend de plus belle avec des luttes fratricides au sein des milices chrétiennes mais également au sein des factions chiites conduisant à la formation de deux gouvernements que tout oppose. De toute manière pour Kellerman, seul compte le devenir de Zia, cette femme Chiite affiliée au Hezbollah, qui l'ensorcelle. Il n'y a donc plus d'avenir dans ce pays à feu et à sang où Dixneuf, ancien agent des service secrets, va régler ses comptes en comptant sur l'appui d'un allié inattendu. Il n’est d’ailleurs pas le seul à vouloir en finir avec toute cette folie dans une ultime déflagration de violence destructrice.

     

    Immanquablement, au terme de cette série de trois romans aux titres évocateurs, se pose la question de savoir sur quel sujet Frédéric Paulin va-t-il se pencher et sur sa capacité à faire aussi bien, si ce n'est mieux que la trilogie Benlazar et cette trilogie libanaise s'achevant dans ce qui apparaît comme un récit magistral qui vous coupe le souffle. Il faut dire que l'on a accompagné durant une année cette galerie de personnages déchirés par les événements tragiques de ce conflit qui marquent leurs vies respectives et auxquels l'on s'est attaché en dépit de cette vertigineuse perte de repère les entraînant, pour la plupart d'entre eux, dans une spirale de violence incontrôlable. Avec Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière, on découvre donc les enjeux politiques autour des otages français détenus au Liban ainsi que les soubassements de  cette guerre des ambassades entre la France et l'Iran en lien avec l'affaire Wahid Gordji mettant en perspective les entrelacs d'un pouvoir judiciaire malmené par la raison d'état qui s'invite au sein d'une procédure complexe visant ä faire la lumière sur les véritables commanditaires de la série d'attentats à Paris, dont celui de la rue de Rennes, durant la période entre 1985 et 1986. Et c'est autour de chacun de ses personnages fictifs, qu'il soit juge, policier, diplomate ou membre des milices libanaises, que Frédéric Paulin projette ce contexte historique dans ce qui apparaît comme un agrégat vertigineux de réalité et de fiction nous permettant de saisir toute la complexité des enjeux géopolitique de cette guerre du Liban dont il nous livre toutes les bassesses en compromissions au terme d'une intrigue extrêmement sombre, chargée d'amertume. Mais l'autre enjeu de Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière, consiste bien évidemment à connaitre le devenir de ces individus marquants et tourmentés que sont la juge Sandra Gagliaco et son compagnon le commissaire Nicolas Caillaux, l'attaché d'ambassade Phillipe Kellermann, le commandant Dixneuf, la milicienne chiite Zia al-Faqîh et son chef Abdul Rasool al-Amine ainsi que le député Michel Nada dont les destinées se fracassent dans un entrelacs de confrontations saisissantes. Tout cela se décline au gré d'un texte à la fois sobre et rythmé permettant de digérer la chaos de cette guerre du Liban que Frédéric Paulin restitue à la hauteur de ces femmes et de ces hommes qui nous marqueront à tout jamais. Un roman prodigieux.

     

    Frédéric Paulin : Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière. Editions Agullo 2025.

    A lire en écoutant : Samedi soir à Beyrouth de Bernard Lavillier. Album : Samedi soir à Beyrouth. 2008 Barclay.

  • Marin Ledun : Henua. Vahiné abimée.

    marin ledun,henua,série noire,gallimardA chaque reprise, lorsqu'il est question de ses romans, il n'est pas possible d'omettre Mon Ennemi Intérieur (Editions du Petit Ecart 2018) ce bref essai où il évoque la trajectoire qui l'a conduit vers l'écriture ainsi que certains aspects du milieu littéraire et des influences qui l'ont mené vers les rivages de la littérature noire dans laquelle il excelle depuis de nombreuses années. Une introspection magistrale qui donne sens à l'ensemble de l'oeuvre de Marin Ledun qui acquiert une certaine notoriété avec Les Visages Ecrasés dont l'adaptation au cinéma peut s'enorgueillir de l'interprétation magistrale d'Isabelle Adjani interprétant Carole Mathieu, donnant son titre au film, une médecin du travail qui s'interroge sur la vague de suicide qui frappe la grande entreprise de téléphonie dans laquelle elle travaille. S'il y est toujours question de tension et d'un certain suspense, l'oeuvre de Marin Ledun, également adepte de l'ultra trail, se distingue par cette propension à s'interroger sur les failles du monde qui nous entoure en prenant davantage d'ampleur lorsqu'il s'agit de dénoncer les dérives de l'industrie du tabac avec Leur Âme Au Diable (Série Noire 2020)  et celles d'une multinationale de la bière dans Free Queens (Série Noire 2023), se déroulant au Nigéria, où un directeur markéting exploite des jeunes femmes afin de promouvoir la marque en s'assurant l'appui des autorités corrompues et des réseaux de prostitution. Assimilant une documentation conséquente, il n'a pas été nécessaire pour le romancier de se rendre au Nigéria dont il restitue pourtant l'atmosphère fiévreuse avec une justesse déconcertante. Mais depuis quelques années, c'est la Polynésie et plus particulièrement les îles Marquises qui rythment une partie de la vie de Marin Ledun qui s'y est notamment rendu à l'occasion d'échanges culturelles tels que le salon Lire en Polynésie qui lui ont permis de s'immerger au coeur de cette région lointaine dont il dépeint certains aspects que ce soit avec Le Projet Hakanā (Rageot éditeur 2023), une dystopie principalement destinée aux adolescents et Henua, un roman policier dont l'action se déroule également sur l'île de Nuku Hiva, théâtre du meurtre d'une jeune femme autochtone. 

     

    marin ledun,henua,série noire,gallimardAux Marquises, lorsqu'il atteint le plateau de Terre Rouge qui domine la vallée de Hakaui pour chasser les chèvres sauvages, Teìki Bambridge découvre le corps sans vie de Paiotoka O'Connor, une jeune femme de la région qu'il connaît bien. En tant qu'OPJ de la gendarmerie basé à Papeete, c'est le lieutenant Tepano Morel qui est dépêché sur place pour diriger l'enquête, secondé par les autorités locales dont la sous-officière de gendarmerie Poerava Wong, native de l'île de Nuku Hiva. Très rapidement, la piste du meurtre commis par le petit ami de la victime est privilégiée quand bien même son alibi semble inattaquable. Et à mesure qu'il met à jour certains aspects de la personnalité de Paiotoka, le lieutenant Morel va s'orienter vers d'autres suspects tout en prenant conscience de l'envers du décor de ce paradis marquisien qu'il apprend à connaître et dont sa mère défunte est originaire avant de séjourner définitivement en France après avoir épousé un homme de la Métropole, mais dont tout le monde se souvient encore. En quête de son passé qui émane des lieux, l'officier de gendarmerie découvre ainsi un pays marqué par la colonisation et les essais nucléaires français, ce qui explique cette méfiance à l'égard des autorités et cette réticence à confier des secrets bien gardés. 

     

    D'entrée de jeu, on saluera la superbe maquette ornant la couverture du roman avec ces motifs tribaux recouvrant en filigrane la photo en noir et blanc d'une jeune femme marquisienne portant les parures des danseuses traditionnelles en illustrant ainsi certains thèmes de Henua où il est notamment question de culture et de tradition à l'instar du Patutiki désignant l'art du tatouage. Il faut également relever le fait que Marin Ledun s'est employé à dépeindre cette région lointaine et méconnue des Marquises sans jamais basculer dans les revers du polar ethnique et des clichés de pacotille qui en découlent parfois. Bien évidemment, on prend la mesure de la magnificence des lieux paradisiaques que le romancier met en valeur à mesure que l'on arpente les diverses régions de l'île de Nuku Hiva à mesure que l'on progresse dans les investigations du lieutenant Tepano Morel également en quête de ses origines. Mais même lorsqu'il est question de la beauté de la faune et de la flore, Marin Ledun met en perspective le braconnage notamment destiné à assouvir les désirs de touristes richissimes en quête de plats exotiques et également à la recherche d'autres plaisirs plus inavouables. Et c'est bien de cela dont il est question tout au long de cette intrigue policière classique qui se concentre sur la personnalité de Paiotoka O'Connor pour en faire bien plus qu'une simple victime nous révélant de cette manière, les facettes plus sombres auxquels sont confrontés les autochtones que ce soit les violences domestiques, la pauvreté et l'absence de perspective, plus particulièrement pour ce qui concerne les jeunes qui sont démunis et sans emploi tandis qu'il émane encore du passé colonialiste de nombreuses cicatrices douloureuses qui marque la communauté. Mais avec le lieutenant Tepano Morel, il est également question de déracinement tandis qu'avec sa partenaire, la sous-officière Poerava Wong on perçoit toute la difficulté pour une femme des îles Marquises de progresser dans la carrière et de s'émanciper. Tout cela se décline au gré d'une atmosphère fascinante dépourvue de tout misérabilisme où l'on s'immerge littéralement dans cet environnement luxuriant que Marin Ledun restitue avec une grande sensibilité rejaillissant d'un texte à la fois sobre et puissant qui rend véritablement hommage aux femmes et aux hommes de ces contrées lointaines dont on distingue la richesse culturelle qui demeure la colonne vertébrale qui soude la population en dépit des difficultés auxquelles elle doit faire face. Ainsi, au détour d'une intrigue policière captivante, agrémentée de rebondissements cohérents, Henua, terme marquisien désignant la terre-mère ou la terre des hommes, met à jour, sur un registre à la fois âpre et poétique, les revers mais également les aspirations d'une société insulaire d'où émane également un indéniable sentiment de fierté et de liberté que Marin Ledun retranscrit avec une humanité salutaire. Dépaysant et passionnant. 

     

    Marin Ledun : Henua. Editions Série Noire 2025.

    A lire en écoutant : Les Marquises de Jacques Brel. Album : Les Marquises (Brel). 1977 Barclay.