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France

  • Mathilde Beaussault : Les Saules. Dans la coulée.

    Capture d’écran 2025-11-14 à 21.48.36.pngPrimo romancière récipiendaire du Grand Prix de la Littérature policière 2025, on est surpris par le fait que cette professeur de français ne se prédestinait pas, de prime abord, à écrire un roman policier ou même un roman noir, littérature de genre qu'elle ne lit qu'occasionnellement. Est-ce à dire que Les Saules de Mathilde Beaussault est un polar par accident et que l'autrice se prédestinait davantage à évoquer cette enfance passée sur les terres de la Côte d'Armor où les branches  tombantes des saules caressent la surface froide de cette rivière de l'Arguenon qui jouxte la ferme familiale qui l'a vue grandir ? La réponse se trouve sans doute au sein des pages de ce texte entamé dans la quarantaine où la romancière distille les fragments de cette jeunesse bretonne dans ce qui apparaît comme un roman policier aux connotations rurales débutant avec la mise à mort de ce cochon que l'on dépèce devant le hangar avant que l'on ne se penche sur une autre tuerie bien plus sordide. Mais outre l'inspiration qu'elle puise dans l'environnement rural de son enfance, il y a sans doute quelques éléments de son cursus dans la filière des lettres à la faculté de Rennes ainsi que son parcours en lettre moderne pour devenir professeur du second degré que l'on retrouve dans la maîtrise d'un premier texte saisissant qui a séduit bon nombre d'amateurs de littérature noire ainsi que le jury exigeant de ce Grand Prix de la Littérature policière qui n'est pas usurpé. On dira même, sans être présomptueux, qu'il s'agit là d'une des belles découvertes de l'année 2025 et que l'on se réjouit d'ores et déjà de retrouver Mathilde Beaussault très prochainement puisqu'elle annonce la parution, chez Seuil/Cadre Noir, d'un second roman noir se déroulant une nouvelle fois en Bretagne. 

     

    C’est l’émoi du côté de la Basse Motte, ce lieu-dit de la Bretagne où l’on a découvert le corps sans vie de Marie flottant dans la coulée, ce bras mort de la rivière bordée de saules. Qui pouvait bien vouloir à cette jeune fille de dix-sept ans dont le meurtre par strangulation ne fait aucun doute. Belle à couper le souffle suscitant autant de convoitise que de jalousie, le décès de Marie sème le trouble au sein de la communauté tandis que la gendarmerie s’emploie à identifier l’auteur de ce crime sordide en interrogeant l’entourage de la victime dont la personnalité se dévoile peu â peu en révélant un certain mal-être. Témoin de toute cette agitation, il y a Marguerite cette petite fille mutique que tout le monde pense simple d’esprit en subissant les quolibets de ses camarades. Délaissée par ses parents qui travaillent sans relâche pour maintenir, tant bien que mal, la ferme à flot. La fillette trimbale donc sa solitude du côté de la rivière où elle a bien vu quelque chose la nuit où Marie, qu’elle adorait, a été assassinée. Mais qui ferait attention à une petite fille débraillée, aux cheveux sales, qui ne s’exprime jamais et que l’in regarde de haut. Alors Marguerite observe ces femmes et ces hommes qui s’entredéchirent sur fond de rivalités, de rancoeurs et de rumeurs malsaines qui brouillent les cartes de cette quête de vérité. 


    Avec Les Saules, il est bien question de la terre mais dans tout ce qu’elle a de plus âpre et d’universelle, ce qui fait que l’on s’éloigne d’entrée de jeu d’une Bretagne caricaturale pour intégrer un environnement rural que Mathilde Beaussault magnifie sans effet ostentatoire au gré d’une langue subtile faite d’évocations aux entournures poétiques qui ne sont pas dépourvues de ce regard acéré d’une confondante justesse quant aux dynamiques sociales qui animent cette communauté villageoise. Et c’est d’entrée de jeu que l’on saisit cette puissance évocatrice dans tout ce qu’elle a de plus tragique alors que l’on observe ce corps immergé dans ce cours d’eau dans lequel se reflète la silhouette tombante des saules pleureurs, nous rappelant immanquablement Le dormeur du val de Rimbaud. Impossible donc de ne pas céder au charme de cette écriture d’une délicatesse d’orfèvre mettant en exergue ce bout de terre meurtrie par ce drame qui va bouleverser les castes de ce qui apparaît comme une lutte sociale sur fond d’enjeux écologiques que la romancière intègre subtilement dans le cours de l’intrigue. Et s’il s’agit bien d’une intrigue policière, on notera que Mathilde Beaussault s’est employée à disloquer les code du genre non par défi, mais dans une espèce de grâce naturelle qui se décline principalement dans le regard de Marguerite, cette petite fille au comportement décalé que personne ne comprend et que l’on rejette, Ainsi, les enquêteurs sont relégués aux second plan que ce soit André le capitaine de gendarmerie quelque peu dépassé par les événements ou Arlette officière de police judiciaire davantage aguerrie à ce type d’investigations sensibles. Là également, la dynamique de la narration prend une toute autre allure bien plus réaliste avec cette succession de convocations au poste de gendarmerie où les proches de Marie, plus ou moins suspects, vont se confier auprès des enquêteurs avec une bonne volonté toute relative dont on appréciera la retranscription fluide et originale nous permettant d’entrer dans la confidence de ces hommes et de ces femmes marqués par la disparition de l'adolescente. De cette manière, on distingue les contours de la personnalité de la victime ainsi que quelques traits de caractères des proches dévastés mais également de entourage au comportement ambivalent d'où émerge quelques opinions discutables tout en donnant une certaine profondeur à leur personnalité. Et c'est à la lecture de ses interrogatoires que certaines révélations affleurent tandis que, paradoxalement, l'enquête s'enlise avec ce sentiment d'incertitude qui devient de plus en plus prégnant quant à l'identité du meurtrier. A partir de là, Mathilde Beaussault s'écarte définitivement du schéma classique du roman policier pour nous entraîner sur un registre beaucoup plus sombre où les comptes se règlent en dehors du cadre régit par les autorités et en fonction des intérêts troubles de chacun des protagonistes révélant leur part d'ombre tout comme celle de l'assassin de Marie. Et que ce soit pour Marie ou Marguerite, c'est de la terrible perte d'innocence dont il est finalement question dans Les Saules au gré d'un roman d'une superbe ampleur et d'une originalité sans commune mesure qu'il convient de lire toute affaire cessante pour découvrir la richesse d'une écriture maîtrisée de bout en bout, tout comme l'intrigue surprenante à plus d'un titre. Sans nul doute, l’une des belles révélations de l’année.

     

    Mathilde Beaussault : Les Saules. Editions Seuil/Cadre Noir 2025.

    A lire en écoutant : Pendant que les Champs brûlent de Niagara. Album : Religion. 2010 Polydor.

  • OLIVIER ROLLER : BATACLAN MEMOIRES. PHOTOGRAPHIES, RECITS, TATOUAGES.

    la manufacture de livres,bataclan mémoires,olivier coller,récit,témoignages,attentats 13 novembre,chronique littéraire"Ça fait partie de nous. C’est en nous. Pour ceux qui ont été blessé, c’est dans leur chair. Pour nous, les images sont toujours dans notre cerveau. Et on ne peut pas les oublier. C’est impossible de les oublier."

     

    C'est assez délicat de parler d'un livre pareil, parce qu'après l'avoir refermé, on reste forcément sans voix au terme de la lecture marquante des vingt-et-un témoignages de ces rescapés du Bataclan au soir des attentats du 13 novembre 2015 qui ont ravagé les rues de Paris.

    Publié en 2022, l'ouvrage en grand format se définit tout d'abord dans la dignité d'une couverture sobre où l'on trouve sur le dos le nom de ces hommes et de ces femmes qui se sont confiés auprès du photographe Olivier Roller qui a pris soin de faire leurs portraits en mettant l'accent sur leurs tatouages respectifs, souvenirs de ces instants où tout a basculé au cours de cette tragédie dont ils dépeignent les événements, mais qui évoquent également ce difficile chemin de l'après.

    la manufacture de livres,bataclan mémoires,olivier coller,récit,témoignages,attentats 13 novembre,chronique littéraireDu fait d'une certaine méfiance vis à vis de tous les médias en quête de sensation avec les abus qui en découlent, la démarche n'a rien eu d'une évidence pour le photographe qui s'est employé à instaurer auprès de ces membres de Life of Paris, un climat de confiance que l'on ressent tout au long de la lecture de ces textes sensibles.

    Comme un mémorial, on soulignera le soin apporté à ce livre pour mettre en valeur cette sensibilité des témoignages où émerge l'émotion mais également la  délicatesse de ces entretiens qui vont nous plonger dans l'enfer de cette soirée du Bataclan.

    La beauté d'un livre pour contenir l'horreur du déroulement de cette tragédie se conjuguant avec cette étincelle d'humanité que l'on décèle dans chacune des personnalités de ces témoins et qui rejaillit sur l'ensemble d'une horreur indescriptible dont ils parviennent pourtant à nous en restituer l'ampleur.

    Et il faut bien admettre que lorsque l'on a parcouru les récits de Jean-Claude, Helen, Stéphanie, Marilyn, Alix, Nicolas, Sylvie, Natasha, Frank, Stéphane, Camille, Alix N., Coralie, Gabin, Christophe, Marie-Pierre, Clotilde, Julien, Benoît, Florence et Guillaume, tout le reste des oeuvres consacrées aux attentats du 13 novembre 2025, que ce soit des romans comme Terrasses de Laurent Gaudé, ou des films comme Novembre de Cédric Jimenez apparaissent comme dénué de substance tant la force de chacun de ses récits dilue toutes les autres démarches, aussi louables soient-elles, pour retranscrire le déroulement de cette soirée d'automne qui a foudroyé la destinée d'une multitude de personnes, dont certaines livrent leurs témoignages.

    Le moins que l'on puisse faire, c'est de les écouter ou de les lire.

    Alors à l'occasion des dix ans de cette série d'attentats, les éditions de La Manufacture de livres nous proposent Mémoires Du Bataclan où vous retrouverez l'ensemble de ces récits uniques, dénués de l'image, qu'il importe de découvrir pour prendre la mesure de ces événements qui continuent de nous hanter. 

     

    Olivier Roller : Bataclan Mémoires. Photographie Récits Tatouages. Editions La Manufacture de livres 2022.

    Olivier Roller : Mémoires du Bataclan. Editions La Manufacture de livres 2025.

    A lire en écoutant : Mille Vagues de Feu! Chatterton. Album : Labyrinthe. 2025 Univers Em Fogo.

  • Pascal Garnier : La Place Du Mort. Sortie de route.

    Capture d’écran 2025-11-09 à 15.35.29.pngIl est l'auteur de près d'une vingtaine de romans noirs publiés initialement dans des collections dédiées au mauvais genre telle que Fleuve Noir avant d'intégrer la maison d'éditions Zulma qui a eu la bonne idée de rééditer très récemment certains de ses écrits afin que l'on n'oublie pas l'humour acide qui imprègne les textes de ce romancier qui est décédé en 2010 alors qu'il avait à peine 60 ans. Après avoir quitté l'école à l'âge de 15 ans débouchant sur une carrière professionnelle faite d'errance et de petits boulots ainsi qu'une tentative très brève dans le domaine du rock français en tant que parolier, il rédige quelques nouvelles avant de se consacrer définitivement à l'écriture de romans noirs. On lui doit également toute une multitude d'ouvrages dédiés à la jeunesse ainsi que plusieurs recueils de nouvelles ce qui ne m'a pas empêché de découvrir cet écrivain que très tardivement à l'occasion de ce #bookclub du #prixbookstagram consacré à la littérature noire, sous l'appellation #leromannoir. Et c'est en consultant la multitude de romans noirs proposés au sein de ce club de lecture qu'émerge La Place Du Mort l'un des livres représentatifs du talent de Pascal Garnier que l'on considérera sans hésitation comme l'une des belles découvertes de l'année et dont on se réjouit déjà à l'avance de savourer l'intégralité d'une oeuvre qui semble s'inscrire dans un style à la fois tendre et cinglant s'articulant autour de faits divers révélant toute la misère humaine d'individus dont les comportements décalés nous entrainent dans le sillage d'intrigues flirtant avec l'absurde.

     

    la place du mort,pascal garnier,éditions zulmaAprès avoir séjourné quelques jours chez son père, Fabien prend son train pour rentrer à Paris. Il n'a pas manqué de ramener une lilas pour son épouse Sylvie qui a sans doute accompagné son amie Laure au cinéma, comme elle le fait parfois lorsqu'il est absent, ce qui fait qu'il retrouve l'appartement vide. Mais c'est en consultant le répondeur du téléphone que Fabien apprend, par l'entremise de l'hôpital de Dijon, que Sylvie a eu un accident de voiture et qu'il est désormais veuf. En se demandant ce que faisait sa femme du côté de Dijon, il apprend incidemment que celle-ci avait un amant qui conduisait le véhicule et qui est également décédé lors de cette embardée mortelle. La nouvelle a de quoi vous bouleverser à plus d'un titre, mais Fabien, en apprenant que l'amant était également marié, décide d'épier cette femme et de la séduire afin de pouvoir se targuer de lui rendre la pareille. Un quête virant à l'obsession, ce qui fait que Fabien ne perçoit pas le guêpier dans lequel il s'est fourré. Il va bien rapidement l'apprendre à ses dépens.


    Second roman noir de Pascal Garnier, publié en 1997 chez Fleuve Noir, La Place Du Mort apparaît en format poche dans la collection roman noir aux éditions Point avant d'être réédité en grand format chez Zulma en 2013 qui le remettra au goût du jour au sein de leur catalogue en 2025, dans une version poche également. Avec à peine 160 pages au compteur, on dira qu'il s'agit d'un texte extrêmement dépouillé, d'une redoutable sobriété où le jugement n'est jamais de mise pour se décliner sur une logique béhavioriste, rappelant à bien des égards les intrigues de Jean-Patrick Manchette, en suivant le parcours de Fabien, homme assez ordinaire se laissant littéralement porter par les événements qui se présentent à lui jusqu'au moment où il s'achemine vers une démarche de vengeance dérisoire illustrant parfaitement le désarroi du personnage. Et c'est peut-être bien là que réside le talent de Pascal Garnier à mettre en place cette structure narrative redoutable où l'on observe les interactions avec Martine que Fabien s'est mis en tête de séduire tout en composant avec sa meilleure amie Madeleine qui se méfie de lui. Autant dire que la démarche va prendre une tournure tragique avec quelques éclats d'une violence aussi brève qu'efficace et plutôt déroutante tout en se conjuguant avec ce regard caustique dans lequel Pascal Garnier se distingue véritablement au gré de cette comédie douce amère qui va basculer dans une dimension de fait divers sordide. Il n'y a donc aucun mot de trop dans cette intrigue d'une intense noirceur, parfois terriblement drôle, parfois d'une sensibilité délicate, où l'on observe les affres et la banalité d'individus peu à peu rongés par cette dépression insidieuse qui va bousiller leurs vies respectives jusqu'à en faire, pour certains d'entre eux, de terribles monstres ordinaires que Pascal Garnier dépeint dans un équilibre de férocité et de tendresse qui accentue encore davantage la dynamique tragique de La Place Du Mort, véritable démonstration de ce qui se fait de mieux dans le registre du roman noir. 

     


    Pascal Garnier : La Place Du Mort. Editions Zulma 2025.

    A lire en écoutant : I Want You de The Divine Comedy. Album : Rainy Sunday Afternoon. 2025 Divine Comedy Records.

  • MICHELE PEDINIELLI / VALERIO VARESI : CONTREBANDIERS. POUR UNE POIGNEE DE CIGARETTES.

    michèle pedinielli,valério varesi,contrebandiers,éditions pointsIl est paru au début de l'année, à l'occasion du festival des Quais du Polar à Lyon où les organisateurs, en collaboration avec les éditions Points, mettent en place, depuis plusieurs années, des projets d'écriture à quatre mains entre deux auteurs de deux pays différents afin de mettre en exergue les différences culturelles dont on découvre certains aspects dans une alternance de chapitres qui s'inscrivent dans un genre policier bien évidemment. Pour les éditions précédentes on s'aventurait entre Lyon et Manchester avec Le Steve McQuenn (Points 2024) de Tim Willocks et Cary Ferey, entre la France et l'Allemagne avec Terminus Leipzig (Points 2022) de Jérôme Leroy et Max Annas,  entre la Roumanie et la France avec Le Coffre (Points 2019) de Jacky Schwartmann et Luician-Dragos Bogdan et pour finir entre Barcelone et Lyon avec L'Inconnue Du Port (Points 2023) d'Olivier Truc et Rosa Montero. Pour cette année, ce sont deux grandes figures de la littérature noire, à savoir Michèle Pedinielli et Valério Varesi qui nous ont concocté avec Contrebandiers, une intrigue prenant pour cadre cette région frontalière des Alpes entre la France et l’Italie. La nouvelle est d’autant plus réjouissante qu’à la lecture de leurs œuvres respectives que ce soit la série Boccanera Pour Michèle Pedinielli ou la série Soneri pour Valério Varesi, on perçoit une affinité évidente entre ces deux écrivains engagés, rejaillissant dans cette admiration réciproque qui était manifeste durant le festival Toulouse Polar du Sud où ils étaient tous deux présents en tant que marraine et le parrain de cette édition 2025.

     

    michèle pedinielli,valério varesi,contrebandiers,éditions pointsC'est un peu l'effervescence sur le versant italien des Alpes, avec la découverte du corps sans vie d'un individu que la police identifie rapidement comme étant le nommé Léonardo Morandi, malgré le fait qu'il a été sauvagement défiguré. On signale également dans plusieurs bergeries des environs, des stocks importants de cigarettes de contrebande. Au même moment, du côté français, Suzanne Valadon, une accompagnatrice de montagne chevronnée, retrouve un jeune ressortissant du Burkina Faso complètement frigorifié qui tentait étrangement de retourner en Italie. Tant bien que mal, elle parvient à porter sur son dos le jeune réfugié, à moitié inconscient, pour se rendre au refuge tenu par Fabien. Le garçon aurait-il quelque chose à voir avec le meurtre qui vient de se produire ? De part et d'autre de la frontière, chacun s'évertue à faire la lumière sur ces événements le plus rapidement possible car les premières neiges s'abattent sur la montagne ce qui rend les investigations bien plus périlleuses dans un environnement où les contrebandiers croisent la route des réfugiés ce qui suscite bien des tensions.

     

    Que ce soit dans La Main De Dieu (Agullo 2022) de Valério Varesi ou Après Les Chiens  (Aube noire 2021) de Michèle Pedinielli, il était déjà question de cet environnement montagnard que l'on retrouve donc dans Contrebandiers où apparaissent les thèmes sociaux de la migration ainsi que les aspects peu reluisant de la contrebande, bien éloignée de l'image folklorique que l'on a pu s'en faire avec un personnage comme Farinet que Ramuz a mis en scène dans son roman éponyme. Ce qu'il émane donc d'un récit comme Contrebandiers c'est cette avidité du gain illicite permettant d'améliorer l'ordinaire de certains montagnards d'une région où l'on perçoit quelques aspects du désarroi économique, plus particulièrement en ce qui les exploitations agricoles qui deviennent le paravent d'un trafic international, mondialisation oblige. Et puis il est également question de ces migrants contraints, avec le verrouillage des postes de la frontière, de franchir les cols escarpés de ces montagnes hostiles en affrontant les intempéries pour y laisser parfois la vie tant ils ne sont pas équipés pour y faire face. Là également, on distingue le comportement odieux des passeurs qui n'hésitent pas à exploiter cette détresse humaine pour optimiser le passage périlleux de la marchandise illicite qu'ils font également transiter dans le même temps. Tout cela se décline donc sur cette alternance de chapitres entre deux auteurs que l'on sent véritablement inspirés au gré de cette brève intrigue ponctuée de nombreux personnages qui gravitent dans cette contrée alpestre et d'où émerge des personnalités attachantes comme Suzanne Valadon, une femme de caractère nous rappelant des traits de caractère de Ghjulia Boccanera avec cette humour mordant qui imprègne le texte tandis qu'avec l’adjudant Rapetti et le tenancier du refuge Remo Brusotti on retrouve cette mélancolie propre au commissaire Soneri. Ainsi, si l’enjeu de l’identification du meurtrier demeure primordial avec une enquête compacte et riche en rebondissements, Contrebandiers nous laisse à voir ce caractère engagé de deux romanciers qui s’emploient à mettre en lumière l’âpreté de cet environnement alpin d’où émerge pourtant quelques notes d’espoir et de solidarité au gré d’un texte cohérent et d’excellente facture. 

    Michèle Pedinielli/Valério Varesi : Contrebandiers. Editions Points 2025. Traduit pour la partie italienne par Serge Quadrupanni.

    A lire en écoutant : Torn Inside de Gary Moore. Album : The Power of the Blues. 2004 Orionstar Ltd.

  • LAURENT MAUVIGNIER : HISTOIRE DE LA NUIT. L'EFFACEMENT.

    histoires de la nuit,laurent mauvignier,les éditions de minuitCe qui est amusant avec ces auteurs et ces romancières qui s’aventurent dans les lisières du mauvais genre, ce sont les gesticulations de certains intellectuels du microcosme de la littérature blanche parisienne et des autres régions d’ailleurs, qui vont vous expliquer que celle ou celui qu’ils adulent s’inscrit dans la « grande tradition romanesque » en soulignant le caractère social du texte qui va bien au-delà du "simple" roman policier ou encore pire, du "vulgaire" thriller. Laurent Mauvignier n’échappe pas à ces effets de manche quand bien même l’auteur assume pleinement le registre dans lequel il s’inscrit puisqu’à l’occasion de la sortie de son roman Histoire De La Nuit, on remarquait sa présence en 2021 au festival Toulouse Polar du Sud où il débattait justement sur le thème de la frontière poreuse entre les différents genres littéraires en compagnie de Tiffany Tavernier qui s’est également distinguée dans un registre similaire avec L’Ami (Sabine Wespieser Editeur 2021) dont il faudra également évoquer cette intrigue singulière qui s’articule autour de la personnalité d’un tueur en série en adoptant le point de vue de son voisin qui s’est lié d’amitié avec celui qu’il côtoyait quotidiennement. Et si l'on observe une porosité dans le clivage des genres, il faut souligner que la présence de l'ancien pensionnaire de la Villa Médicis, publié au sein d'une des grandes maisons de l'édition française, n'a rien d'anodin alors que bon nombre d'attachés de presse et d'éditeurs des collections blanches rechignent encore à ce que leurs auteurs fréquentent des festivals dédiés à la littérature noire qui pourraient ternir leur réputation. On en est encore là dans un milieu littéraire qui, paradoxalement, est assez prompt à fustiger les discriminations régissant notre monde. Romancier reconnu, multi récompensé et promis à d'autres nouvelles distinctions à l'occasion de la sortie de son treizième roman, La Maison Vide (Les Editions de Minuit 2025), où l'on retrouve la richesse d'une écriture qui s'étire d'une manière singulière, Laurent Mauvignier semble se passionner pour le théâtre et le mouvement de la mise en scène qui en découle et dont on retrouve toute la quintessence dans Histoires De La Nuit au gré d'une intrigue s'étalant sur un jour et une nuit en prenant pour cadre le hameau perdu d'une région sans nom. Et si d'aventure vous prenez le temps de consulter le site de l'auteur, vous trouverez cette citation de Kafka : « Si un livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? » nous renvoyant à ce thriller magistral où l'on en prend plein la gueule.

     

    histoires de la nuit,laurent mauvignier,les éditions de minuitDu côté de La Bassée, il y a le hameau "des trois filles seules" où vit depuis toujours Bergogne, un éleveur qui a repris le domaine familial tandis que sa femme Marion travaille au sein d'une imprimerie et qu'ils élèvent leur fille Ida fréquentant le lycée de la région. Dans la maison voisine, on trouve Christine, une artiste peinte vieillissante qui a quitté Paris il y a de cela des années pour fuir l'agitation citadine en privilégiant la quiétude que lui offre cette contrée rurale. Mais il y a ces lettres anonymes que l'on dépose désormais devant sa porte, ceci depuis plusieurs semaines et qui l'incite à se rendre à la gendarmerie, accompagnée de Bergogne qui, en bon voisin, lui sert de chauffeur, pour savoir ce qu'il convient de faire. Ce n'est pourtant pas ces événements qui assombriront cette journée davantage dédiée aux préparatifs de l'anniversaire de Marion qui fête ses quarante ans. Et tandis que chacun vaque à ses occupations, il y a ces inconnus qui rôdent autour du hameau. Que peuvent-ils bien vouloir ?

     

    A une époque normée, calibrée, où la phrase doit être aussi brève que le chapitre, il convient de souligner que Laurent Mauvignier détonne radicalement dans ce marasme littéraire où l'escroquerie des grands groupes éditoriaux consiste à parier sur un pseudo manque d'intelligence des lecteurs tout en se réclamant d'un courant populaire destiné au plus grand nombre. Alors oui, il faut dompter la langue de Laurent Mauvignier, se l'accaparer et se laisser entraîner dans la sinuosité d'une longue scansion magistrale où chaque mot compte pour décortiquer par le menu détail cette journée et cette soirée sous haute tension s'étalant sur plus de 600 pages que l'on se prend à faire défiler à une allure vertigineuse, pour découvrir ce qu'il va advenir de Bergogne, Marion, Ida et Christine confrontés à la venue d'individus inquiétants qui semblent vouloir que l'on leur rendent compte de  certains événements du passé. Si la phrase s'étire dans une sorte d'outrance savoureuse, il faut bien prendre conscience qu'elle n'est pas faite pour faire joli mais qu'elle se met au service du récit avec cette sensation d'examiner la pellicule d'un long plan séquence qui survole chacun des protagonistes en captant certains aspects les plus intimes de leur vie dont les révélations vont alimenter une intrigue prenant effectivement l'allure d'un thriller se révélant paradoxalement à l'antithèse des codes d'écriture propre au genre. A partir de là, on parlera bien d'une mise en scène extrêmement travaillée qui s'articule autour de cette confrontation dont l'enjeu consiste à savoir auprès de qui elle s'adresse véritablement et qu'elles en sont les raisons qui vont nous être révélées au gré de scènes d'une impressionnante intensité qui s'inscrivent pourtant dans toute leur simplicité et, ce qui importe le plus, dans tout le réalisme de parcours de vies ordinaires qui se fissurent peu à peu à mesure que l'on progresse dans cette journée basculant dans la noirceur de la nuit pour s'achever sur une scène remarquable oscillant dans cet équilibre subtil de violence et de tragédie. Mais Histoires De La Nuit, c'est également une étude de caractère extrêmement fouillée où émerge, en côtoyant chacun des personnages, des thèmes comme la précarité des conditions rurales dans le domaine de l'agriculture avec Bergogne, le harcèlement au travail avec Marion, tandis qu'avec Christine il s'agira de prendre la mesure du rapport à l'art et de son aspect trépident auquel on peut vouloir se soustraire alors qu'avec Ida on explorera cette peur primaire qui nous habite en se diluant sur l'ensemble des protagonistes pour alimenter cette oppression qui imprègne ce roman d'une intensité remarquable dont on se réjouit de découvrir l'adaptation au cinéma pour une sortie prévue en 2026 avec Léa Mysius à la réalisation et Hafsia Herzi, Bastien Bouillon, Monica Bellucci ainsi que Benoît Magimel au casting. Ainsi, Histoires De La Nuit se révèle donc être une véritable  démonstration époustouflante de ce qui peut se faire de mieux dans le domaine du thriller où se conjugue la grâce d'une écriture onduleuse qui nous ensorcelle afin de nous entraîner dans le coeur et la beauté d'un récit d'une noirceur à la fois troublante et époustouflante qui nous laisse sans voix.


     

    Laurent Mauvignier : Histoires De La Nuit. Les Editions de Minuit 2020.

    A lire en écoutant : Suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach interprétées par Anne Gastinel. Album : 6 Suites Pour Violoncelle. 2008 naïve.