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  • Nagui Zinet : Une Trajectoire Exemplaire. La vie ne vaut rien.

    nagui zinet,une trajectoire exemplaire,joelle losfeld éditions"Les amours ratent, mais de peu, c'est ainsi que naissent les suivantes."


    Nagui Zinet

     

    Le phénomène Nagui Zinet n'a pas encore atteint la quiétude larvée de nos contrées helvétiques et pour découvrir son premier roman, il vous faudra farfouiller dans les rayonnages, voire même le commander auprès de votre libraire préféré. Ce serait pourtant dommage de passer à côté de ce qui apparaît comme la substantifique moelle du récit noir se distinguant au gré d'un style à la fois drôle et vachard qui vous flingue le moral. Ainsi, pour vous inciter à vous procurer, par n'importe quel moyen, Une Trajectoire Exemplaire, il peut être utile de mentionner quelques prescripteurs illustres tels que Nicolas Mathieu, Pierre Lescure ou Benoît Poolvorde qui ont pris le temps de dire tout le bien qu'ils pensaient de ce récit d'une centaine de pages s'attachant au parcours de ce gars en rade, vaguement porté sur la boisson, un peu moins sur le travail lui laissant le temps de lire les livres de Jim Thompson, et dont la relation amoureuse incertaine va forcément virer au drame. Et avant de vous dire que vous avez déjà lu cela mille fois, peut-être vous faudra-t-il prendre le temps de parcourir, en guise d’échantillon, les chroniques quotidiennes de Nagui Zinet que l'on trouve sous son profil Instagram Nestor Maigret. Il y décline, dans un style à l'humour cinglant, un quotidien de bières, de cigarettes et d'anxiolytiques au détour de ses échanges acides avec C. son amoureuse qui le supporte malgré tout, et qui vous balance quelques références littéraires à l'instar de Daniel Woodrell, de Jim Thompson bien sûr et de Georges Simenon pour ne citer quelques uns des auteurs qu'il affectionne et dont on soulignera le bon goût, ce qui n'a rien d’une évidence en ces temps où l’on nous abreuve de productions littéraires ineptes. Et ce n'est pas l’actualité des parutions du polar helvétique qui me contredira.

     

    Il lui reste 1000 euros sur son compte qu'il compte dilapider en bières et en cigarettes tout en lisant quelques romans noirs à la terrasses des rades qu'il fréquente pour dissoudre cette vie terne et sans objet. Le travail, il ne faut pas trop y compter car N. est un looser de 25 ans qui soigne son ambition à coup d'anxiolytiques et de tranquillisants. Il trouvera peut-être le salut avec Irène qu'il rencontre dans un bar au gré d'une attirance diffuse déboulant sur une relation amoureuse qui pourraient bien mettre fin à leurs solitudes respectives. Mais quand on est un paumé comme N. on cultive le mensonge comme un second souffle pour dissimuler son indigence. Et il suffit d'un tout petit grain de sable pour que tout s'écroule laissant place à la violence et à la folie qui en découle. 

     

    Cela a sans doute déjà été dit, mais il faut souligner qu'Une Trajectoire Exemplaire n'est ni plus ni moins que la fusion fracassante entre le style de Jim Thompson et celui de Charles Bukowski où la violence et la folie de l'un se conjugue à la déshérence et déchéance de l'autre, tout en se déclinant sur un registre à l'humour noir vif et percutant au gré du parcours de vie désenchanté d'un homme sans envergure, hormis une certaine roublardise lui permettant de poursuivre son existence végétative. A la suite d'un prologue intense, l'ensemble de l'intrigue prend l'allure d'un fait divers qu'un juge d'instruction est amené à juger en prenant connaissance du journal de N. nous permettant de nous immerger dans cette vie sans relief, se déclinant sur un tu intimiste, qui n'est pas dénuée d'instants poignants très vite balayés par ces considérations au vitriol qui ne l'épargnent guère, comme pour mieux assoir ce profil de perdant magnifique semblant se complaire dans cette trajectoire sans issue. Mais il ne suffit pas de balancer quelques petites punchlines bien senties pour faire un bon texte et il faut bien admettre que Nagui Zinet s’y entend pour maintenir un impressionnant équilibre narratif, dans un jeu d’équilibriste impressionnant d’où émerge ce mal-être permanent qui va nous conduire vers le drame inéluctable sans pour autant s’appesantir sur le registre de la violence qui reste pourtant extrêmement cruelle jusqu’au terme d’un récit maîtrisé. Ainsi, avec cette tonalité singulière dont on redemande déjà quelques pages supplémentaires, tels des toxicos en manque, Une Trajectoire Exemplaire fait figure de roman détonant que l’on recommande à celles et ceux en quête de cette fraîcheur impertinente qui fait trop souvent défaut dans un monde littéraire tout en convenance. 

     

    Nagui Zinet : Une Trajectoire Exemplaire. Joëlle Losfeld Editions 2024.

    A lire en écoutant : La Vie Ne Vaut Rien d'Alain Souchon. Album : Collection. 2001 Parlophone Music.

  • Carlos Zanón : Taxi. Nuits d’errance.

    Carlos Zanón, taxi, éditions asphalteParfois, on ne peut s’empêcher d’éprouver un sentiment de frustration lorsqu’un livre que l’on apprécie ne trouve pas son public et l’on se retrouve même à regretter que l’ouvrage n’ait pas fait l’objet d’un écho plus conséquent auprès des chroniqueurs qui semblent avoir boudé le roman. Pourtant après le succès critique de J’ai Été Johnny Thunder qualifié, à juste titre, de roman culte, Carlos Zanón ne s’est pas reposé sur ses lauriers et a fait preuve d’audace en nous proposant de suivre avec Taxi, les pérégrinations de José que tout le monde surnomme Sandino, chauffeur de taxi insomniaque et volage, cherchant à fuir toutes formes de confrontation. Et si l’esprit de la légende maudite du rock’n roll du précédent ouvrage a disparu des thèmes principaux, on en trouve quelques réminiscences, notamment au rythme des chapitres qui portent le nom des 36 titres composant Sandinista!, le triple album emblématique des Clash donnant son surnom au personnage principal. Une somme d’errances et d’incertitudes dans la mélancolie des rues de Barcelone compose ce portrait d’un monde désenchanté qui prend parfois l’allure d’une odyssée aussi burlesque qu’hallucinante.

     

    Sandino connaît déjà la tournure de la discussion qu’il va avoir avec sa femme Lola. « Il faut qu’on parle » lui a-t-elle dit. Ne souhaitant pas évoquer ses trop nombreuses incartades, préférant fuir à tout prix l’issue fatidique, il entame donc, au volant de son taxi, une errance de sept jours et six nuits dans les rues de Barcelone. Tous les prétextes sont bons pour retarder l’échéance. Il faut dire que les histoires s’enchaînent avec un défilé de clients qui se confient à lui pour l’entraîner, parfois à son corps défendant, dans de drôles d’aventures. Et si cela ne suffisait pas, il y a ses collègues dont il faut se soucier comme Ahmed s’inquiétant pour son petit frère Emad qui a bien changé depuis qu’il fréquente un entourage d’individus douteux ou Sofia qui s’est bien gardée de restituer tout le contenu d’un sac oublié dans son taxi, en se retrouvant ainsi embringuée dans une sombre histoire de trafic de stupéfiants avec des propriétaires désireux de récupérer l’intégralité de leurs biens. Sans relâche, les événements se succèdent en entraînant Sandino dans une espèce de fuite en avant qui risque de lui porter de bien plus graves préjudices que la confrontation qu’il doit avoir avec Lola.

     

    Insomniaque, irresponsable et emprunt d’une certaine forme de spleen l’empêchant de prendre la pleine mesure de ses actes, on suit cette lente déliquescence d’un individu qui ne trouve plus aucun sens dans sa vie au point de vouloir la fuir ou d’endosser quelques éléments épars de celles de son entourage, ennuis y compris, afin de recouvrer l’espoir d’un changement radical lui permettant de se dérober à ses responsabilités et de s’engouffrer dans une perspective de rêves et de désirs inassouvis. Il émane donc du texte une sensation de torpeur et de lenteur, bien loin des rythmes trépidants auxquels le lecteur est habitué, permettant à Carlos Zanón de décliner en détail tous les aspects de la vie de Sandino pour mettre en scène un récit d’une profonde humanité où l’on découvre toute une kyrielle de protagonistes s’entrecroisant dans une succession de rencontres insolites, de virées improbables et de quelques confrontations d’une violence aussi surprenante qu’épique comme cet impressionnant règlement de compte  entre Sandino et Hector, un ancien flic véreux devenu tenancier d’un rade où le taxi à ses habitudes. 

     

    Imprégné d’une multitude de références littéraires, musicales et cinématographiques, Taxi est un récit glissant parfois vers une dimension chargée de poésie nous permettant d’appréhender tout ce petit monde gravitant dans les différents quartiers de Barcelone avec un texte tout en maîtrise mettant en exergue la difficulté et la complexité des rapport sociaux qui régissent l’ensemble des protagonistes. Il en résulte un sentiment de chaos, parfois de maladresse et surtout d’incompréhension qui donnent lieu à des situations insolites pouvant prendre une tournure parfois cocasse comme le remplissage d’une urne funéraire ou plus inquiétante comme cette allusion du jeune Emad évoquant quelques amis devant passer au Bataclan. On se surprend donc à rire ou à tressaillir de surprise au gré d’un roman très dense où l’amour et ses désillusions, l’amitié et ses trahisons ponctuent cette errance confuse qui laisse poindre une lueur d’espoir à l’image de quelques scènes poétiques mettant en lumière une ville de Barcelone bien éloignée des clichés touristiques.

     

    Surprenant périple aux entournures mélancoliques et oniriques, Taxi est un roman noir tourmenté qui traduit l’incertitude et la fragilité d’un monde dont on distingue toute la complexité au travers du regard trouble d’un homme dont l’esprit, embrumé par une succession de nuits sans sommeil, lui fait perdre tout sens de la mesure. Un récit chaotique et flamboyant.

     

    Carlos Zanon : Taxi (Taxi). Asphalte éditions 2018. Traduit de l’espagnol par Olivier Hamilton.

    A lire en écoutant : Tourmento de Mon Laferte. Album : Mon Laferte, Vol. 1. 2015 Universal Music Mexico, S.A. de C.V.

     

  • CARLOS ZANON : J’AI ETE JOHNNY THUNDERS. PERDRE ET MOURIR.

    carlos canon,j'ai été johnny thunders,asphalte éditionsIl y a parfois comme ça, au détour d’un livre, une espèce de charme indéfinissable où un auteur parvient à concilier au cœur d’un roman résolument noir, une petite musique poétique quelque peu décalée donnant à l’ensemble une allure décadente empreinte d’une sombre nostalgie. Une ville de Barcelone décatie sur fond de musique rock abrupte et cinglante, Carlos Zanon signe avec J’ai été Johnny Thunders un grand roman fiévreux.

     

    Retour à la case départ pour Francis lorsqu’il débarque dans le quartier de Barcelone où il a grandit, en laissant derrière lui ses rêves de gloire et son double maléfique, Mr Frankie. Il est désormais un musicien déchu, complètement paumé qui n’est jamais parvenu à percer vraiment dans le monde cruel du rock. Il a pourtant joué avec des légendes comme Johnny Thunders, mais tout cela désormais n’est plus qu’un lointain souvenir. Aujourd’hui, la cinquantaine bedonnante, Francis, complètement fauché, retourne vivre chez son père. Il aspire à trouver un job pour rembourser ses dettes, payer la pension qu’il doit à son ex femme afin de renouer avec ses enfants. Mais le retour dans le droit chemin peut s’avérer être un parcours tortueux où les réminiscences du passé deviennent des obstacles insurmontables.

     

    En guise d’introduction, Carlos Zanon nous immerge immédiatement dans l’univers chaotique d’un rock’n roll noir et cruel avec la rencontre de Johnny Thunders et de Mr Frankie qui scellera son destin ou plutôt son absence de destinée. Puis comme Francis, on ressort du club, complètement lessivé et dépassé par la violence d’un spectacle dramatique où les idoles se brûlent les ailes dans la lumière des projecteurs d’une gloire factice et dans l’ombre malsaine de la dope et de l’alcool. Le réveil est brutal et sans concession ainsi que la rédemption qui ne devient plus qu’une illusion supplémentaire pour continuer à avancer, tituber vers un dénouement aussi noir et cruel que ce concert rock qui a vu naître et mourir un Mr Frankie tragiquement immortel.

     

    On découvre tout au long du texte une espèce d’amertume vénéneuse et poisseuse que l’auteur distille sur un rythme cinglant et nerveux en nous projetant dans les périphéries d’une ville de Barcelone désenchantée, bien éloignée des circuits touristiques, où Francis (et son double maudit, Mr Frankie) promène ses désillusions et ses échecs. Il n’y a rien de schizophrénique dans ce personnage s’alimentant de ses rêves perdus du passé et de ses projets étriqués du présent. Mr Frankie a été le guitariste qui a accompagné Johnny Thunders lors d’un concert épique où la légende n’était déjà plus qu’une ombre déchue en quête d’une prochaine dose. Francis est le looser fauché qui souhaite trouver un job stable afin de pouvoir renouer avec ses enfants. Lors de ce retour aux sources, au domicile d’un père honnis, Francis va devoir affronter les fantômes qu’il laissé derrière lui avec une déclinaison d’âmes brisées qui tentent de survivre comme elles peuvent dans un pays ravagé par la crise économique.

     

    Outre Francis, on rencontre une déclinaison de personnages poignants à l’image de la jeune Marisol refusant de renoncer à ses rêves et s’abandonnant à toutes sortes de compromissions abjectes qui la brisent à petit feu. C’est le message que Carlos Zanon décline tout au long de ce roman puissant où une jeunesse en quête d’ambitions se heurte au marasme d’une société sans illusion. Et pour les plus âgés, il ne reste que la chute permanente et l’échec patent qui se décline dans un quotidien morose et sans lendemain, représenté par le père de Francis, petit homme infâme qui fera brutalement rejaillir l’ensemble de sa médiocrité et de ses frustrations sur son entourage. Pourtant, l’auteur n’a pas pour ambition de dénoncer quoique ce soit dans son roman. Carlos Zanon dépeint sans aucun misérabilisme et sans aucune pudeur cette vie de petites gens au détour d’un texte rugueux qui n’épargne personne. Une mise en scène s’installe lentement, de manière éclatée, par l’entremise des différents protagonistes animant le livre pour nous acheminer vers un final tragique d’une cruelle violence sordide.

     

    J’ai été Johnny Thunders restitue donc ces quelques instants de gloire pour toute une somme de vies bousillées sur l’autel d’un rock tonitruant et impavide. De petites combines foireuses, en coups tordus le conte musical brutal devient un roman noir féroce qui laboure les cœurs et les âmes.

     

     

    Carlos Zanon : J’ai été Johnny Thunders. Editions Asphalte 2016. Traduit de l’espagnol par Olivier Hamilton.

     

    A lire en écoutant : Spanish Stroll de Mink DeVille. Album : Cabretta. 1977, 2001 Capitol USA.