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  • Shelby Foote : Tourbillon. Autopsie d'un crime.

    shelby foote,tourbillon,editions gallimard,collection la noireComme tous les romanciers originaires du sud des Etats-Unis, on l'affilie volontiers à un écrivain comme William Faukner dont il a évoqué son influence ainsi que son admiration et qu'il a côtoyé à l'aune de sa carrière de romancier, même si son écriture est beaucoup plus proche de celle de Flannery O'Connor ou de Penn Warren en s'inscrivant dans une dimension sociale, voire ethnographique de son environnement ainsi que sur un registre historique centré notamment, en tant qu'historien, sur les aspects de la guerre de Sécession en développant un ouvrage ambitieux de près de 3000 pages qui fait référence dans le domaine et qui n'a toujours pas fait l'objet d'une traduction en français. De cet intérêt marqué pour cette guerre civile meurtrière, Shelby Foote a également publié Shiloh (Rivages 2025) un roman dont le titre fait référence à l'une des batailles les plus meurtrières de ce conflit fratricide et qui paraît en format poche, 20 ans après la disparition du romancier comme pour marquer cette résurgence des risques d'un conflit similaire qui plane sur le pays. Avec Shiloh, on observe, à hauteur d'homme, en adoptant le point de vue de six soldats des deux factions, le fracas d'une bataille qui dura deux jours au gré de longues shelby foote,tourbillon,editions gallimard,collection la noiremanoeuvres aux contours parfois absurdes et de confrontations cruelles et sanglantes s'inscrivant dans une impressionnante exactitude, jusqu'à la restitution des conditions météorologiques de l'époque. Mais le visage du sud prend également forme avec L'Amour En Saison Sèche (Rue d'Ulm 2019), ouvrage notable de l'auteur, qui se lance dans une fresque à la fois romanesque et historique s'étendant sur une période d'une quarantaine d'années, de la fin de la guerre de Sécession jusqu'aux débuts de la Seconde guerre mondiale. C'est avec Tourbillon second roman de sa carrière de romancier qu'il a rédigé en 1950, que l’écriture de Shelby Foote prend toute son ampleur avec cette technique de narration ingénieuse où chacun des points de vue laissent apparaitre quelques éléments d'une affaire de meurtre qui est en phase d'être jugée, nous laissant entrevoir toutes les composantes sociales de la communauté du Delta du Mississippi que ce soit les carcans religieux, la discrimination raciale mais également l'inégalité entre les hommes et les femmes d'où émerge cette violence qui sourdre dans toutes les couches de la population. Ne répondant à aucun schéma narratif de l'époque et encore moins à ceux qui prévalent de nos jours, Tourbillon apparaît comme un roman singulier tant dans son rythme que dans son contenu qui va dérouter le lecteur en quête de format convenu où il lui faut son content de rebondissements et d'émotions. C'est probablement pour ces raison qu'il faut découvrir toute affaire cessante l'œuvre de Shelby Foote, romancier bien trop sous-estimé.

     

    shelby foote,tourbillon,editions gallimard,collection la noireÀ Bristol dans le Mississippi, les jeux sont faits pour Luther Eustis, ce fermier quinquagénaire,  marié et père de trois enfants qui reconnaît avoir étranglé Beulah Ross, une fille de petite vertu qui l’a séduit et avec laquelle il s’est acoquiné quelques semaines avant de jeter son corps dans le lac Jordan, lesté d’un enchevêtrement de câbles et de blocs de ciment. Mais en dépit de ces précautions, le cadavre est remonté à la surface et le meurtrier qui a regagné le foyer conjugal est rapidement appréhendé.  Luther Eustis ne conteste pas les faits et il sait que c’est la chaise électrique qui l’attend au terme de son procès qui vient de débuter. Pourtant, au fil des débats, ce sont les voix du greffier, du geôlier de la prison, du journaliste local, d’un jeune homme sourd et muet, du meurtrier, de son épouse et même du fantôme de sa maîtresse qui donnent un autre éclairage à cette balade meurtrière sur laquelle pèse le poids de la Bible.  Et c’est son avocat qui va mettre en exergue tous ces éléments, reflets d’un certain dévoiement qui renvoie la petite communauté vers ses frasques et ses turpitudes. Dès lors, le jury va-t-il condamner un homme reflétant leurs propres travers qu’ils dissimulent tant bien que mal, quand bien même personne n’est dupe.

     

    Si l'on reprend la traduction du titre originale (Follow Me Down), il s'agit effectivement d'une descente dans les entrelacs de cette communauté du Sud, située aux abords du Delta du Mississippi durant la période du début des années cinquantes, dont Shelby Foote décortique par le menu tous les fondamentaux animant l'ensemble des citoyens qui la composent. Il ne s'agit pas pour autant d'un pamphlet, mais plutôt d'une radiographie ethnographique qui prend forme autour d'un fait divers dont on va découvrir les tenants et aboutissants au gré d'un procès où Luther Eustis est accusé du meurtre de sa maîtresse, ce qu'il ne conteste nullement. Subdivisé en trois parties, le récit débute dans la salle du tribunal où l'on découvre ce qui nous est rapporté quant à la découverte du corps et à l'enquête succincte qui en découle aidé en cela du Nigaud, témoin inespéré pour les enquêteurs, en dépit de son handicap. Puis l'on bascule, dans la seconde partie, sur les points de vue de Luther Eustis et de Beulah Ross qui vont nous permettre d'entrevoir leur périple amoureux voué à l'échec et s'achevant de manière tragique sur cette île perdue au milieu d'un lac, ultime refuge de ce couple bancal. Avec la dernière partie, c'est autour de l'épouse du meurtrier et de son avocat que l'on va adopter une toute autre vision des faits s'achevant, en guise d'épilogue, sur le ressenti du geôlier. Que l'on soit bien clair, il n'y aura pas de révélation fracassante ni de coup d'éclat au cours d'un récit se déclinant sur un rythme calme et posé qui répond à l'atmosphère languissante et poisseuse de cette région du sud des Etats-Unis, sans jamais se livrer à une quelconque caricature mais en s'inscrivant, au contraire, sur une dimension extrêmement réaliste. Il y est donc question de traditions et du poids des croyances qui s'inscrivent dans cette Bible omniprésente, véritable carcan dont on ne pourrait s'extraire, au risque de remords qui vous rongent jusqu'à la folie meurtrière comme Luther Eustis en fera l'amère expérience. Tout cela s'articule tout de même autour d'une certaine hypocrisie que l'avocat Parker Nowell va mettre en lumière, non pas par idéalisme, mais davantage pour nourrir son caractère misanthrope qu'il entretient depuis que sa femme l'a quitté pour un autre homme. L’intensité du roman réside notamment lorsque l’on accompagne Luther Eustis dans sa balade meurtrière et plus particulièrement lorsqu’il s’approche de Beulah, victime à plus d’un titre, les bras tendus, prêt à la noyer dans le lac où ils ont l’habitude de se baigner. Paradoxalement, on distingue une forme de soulagement chez le meurtrier qui y voit une épreuve qu’il a surmonté, en lui permettant de regagner ainsi le giron familial qu’il n’aurait jamais dû quitter. Tel est le thème que Shelby Foote déploie avec Tourbillon où il met en exergue la pesante entrave des traditions et des croyances dont il détaille les éléments par le menu à l’instar des menaces de mort pesant sur les souscripteurs d’un statue à la gloire des soldats de la Seconde guerre mondiale qui oseraient inscrire sur le monument les noms des combattants afro-américains ou la véritable signification du Midnight Spécial dont il est question dans les paroles d’un vieux blues traditionnel qui a été repris à moult reprises. Dérive meurtrière conjuguée au quotidien ordinaire décortiqué dans le moindre détail sans pour autant s’égarer dans le cours de son intrigue, Shelby Foote fait preuve d’une impressionnante acuité avec Tourbillon qui nous entraine dans la découverte de ce sud des Etats-Unis à la fois saisissant et fascinant qu’il dépeint sans aucun artifice.

     

     

    Shelby Foote : Tourbillon (Follow Me Down). Editions Gallimard/Collection La Noire 2021. Traduction de l'anglais (Etats-Unis) par Maurice-Edgard Coindreau et Hervé Belhiri-Deluen. Edition révisée par Marie-Caroline Aubert.

    A lire en écoutant : Piano Concerto for the Left Hand de Maurice Ravel. Album : Concertos - Alexandre Tharaud - Louis Langrée - Orchestre National de France. 2023 Parlophone Records Limited.

  • Benjamin Dierstein : Bleus, Blancs, Rouges. Ennemis publics.

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    Il y a tout d'abord cette trilogie fracassante et percutante comme l'impact d'un .357 magnum qui s'articulait autour des années Hollande et Sarkozy et des fameuses affaires de ce dernier qui sont d'ailleurs en cours de jugement pour certaines d'entre elles, en adoptant les codes du polar survolté, voire sauvage, dans un registre d'une ampleur démoniaque où la fiction s'agrège à l'actualité de l'époque, au gré d'une mosaïque complexe dont on saisit pourtant, avec assez d'aisance, tous ses aspects saisissants sans aucun temps mort. On découvrait ainsi avec Benjamin Dierstein, une fresque gigantesque débutant avec La Sirène Qui Fume (Nouveau Monde 2018) pour se poursuivre avec La Défaite Des Idoles (Nouveau Monde 2020) avant de s'achever de manière dantesque avec La Cour Des Mirages (Les Arènes/Equinox 2022) en changeant de maison d'éditions pour intégrer la collection EquinoX dirigée par Aurélien Masson qui éditait également Un Dernier Ballon Pour La Route (Les Arènes/EquinoX 2021), polar rural trash prenant parfois des intonations de western spaghetti savoureuses et explosives. Au terme de La Cour Des Mirages, on se demandait sur quel projet allait travailler Benjamin Dierstein qui répondait de manière assez évasive qu'il se penchait sur l'époque de la fin des années 70 et du début des années 80 en empruntant une nouvelle fois les codes du roman policier pour disséquer les événements d'une période explosive, c'est peu de le dire. Et voilà que débarque Bleus, Blancs, Rouges, un pavé dantesque de plus de 700 pages qui débute dans le chaos des manifestations de mai 68 pour se concentrer ensuite sur le tumulte des années Giscard et les affaires qui ont éclaboussé la République en s'inscrivant d'ores et déjà dans une nouvelle trilogie à venir dont on connaît déjà les titres puisqu'elle se poursuivra durant la période de la présidence de Mitterand avec L'Etendard Sanglant Est Levé et 14 Juillet qui seront publiés chez Flammarion où Aurélien Masson travaille désormais puisque la collection EquinoX a désormais cessé ses activités, ce qui est bien regrettable. 

     

    Au printemps de l'année 1978, autant dire qu'il faut arriver en tête de classement pour intégrer la prestigieuse BRI dirigée par le commissaire Broussard et que c'est sur un registre de concurrence impitoyable que s'affronte Marco Paolini et Jacquie Lienard fraichement émoulus de l'Ecole supérieure des inspecteurs de la police nationale et que tout oppose hormis cette volonté farouche de mettre la main sur un mystérieux trafiquant d'armes frayant avec tous les groupuscules terroristes sévissant notamment en France et que l'on surnomme Géronimo. Profondément marqué par la mort d'un collègue durant les échauffourées de mai 68, le brigadier Jean-Louis Gourvennec végète dans les services de la police jusqu'à ce qu'on lui propose d'infiltrer une cellule gauchiste bien décidée à prendre les armes en se rapprochant du groupe Action Direct. Après avoir offert ses "bons services" aux plus hautes instances du gouvernement, notamment en Afrique, Robert Vauthier débarque à Paris en étant bien décidé à régner sur les nuits parisiennes en pouvant compter sur l'appui des personnalités du grand banditisme français. Et tandis qu'il continue à côtoyer les membres des arcanes gouvernementales lui aussi va croiser le chemin de Géronimo. Autant de destins disparates qui vont se rassembler sous la bannière des coups bas et des affaires de la Françafrique, des attentats qui secouent le pays et d'une guerre des polices où les dirigeants sont élevés au rang de stars.

     

    Biberonné à James Ellroy que Benjamin Dierstein cite volontiers dans le cercle de ses influences littéraires, on dira de Bleus, Blancs, Rouges qu'il s'inspire du style narratif d'un roman tel que Lune Sanglante où, en guise d'introduction, les émeutes de mai 68 se substituent à celles de Watts et d'un livre comme American Tabloïd où l'on retrouve ces encarts des notes et des retranscriptions des écoutes des services secrets ainsi que ces titres à la une des journaux de l’époque, ponctuant les différents chapitres du roman. Mais sur le plan de la structure et du rythme beaucoup plus intense que les récits du Dog, on s'orientera davantage vers un auteur comme Don Winslow que Benjamin Dierstein évoque également en mentionnant La Griffe Du Chien. Et puis si l'on veut rester en France, on pensera immanquablement à Frédéric Paulin, autre romancier résidant, tout comme Benjamin Dierstein, dans les environs de Rennes et qui se faufile, de manière similaire, dans les interstices de l'histoire de la France contemporaine pour mettre en scène des fictions d'une envergure peu commune, en relevant le fait que leurs ouvrages respectifs, récemment parus, se situent peu ou prou à la même période, même s'ils abordent des thèmes complètement différents. Ce que l’on soulignera avec Benjamin Dierstein, c’est cette capacité à assimiler une impressionnante documentation dont il restitue toute la quintessence pour mettre en scène des récits d’une énergie peu commune et sans le moindre temps mort, au gré d’une narration toute en maîtrise en dépit de la multitude de personnages réels et fictifs qui se côtoient d’une parfaite manière. Outre la documentation figurant au terme de Bleus, Blancs, Rouges, vous trouverez également un index de chacun des protagonistes qui traversent le récit avec la référence de toutes les pages où ils apparaissent, ce qui nous facilite grandement la tâche lorsqu’il s’agit de se remémorer la présence de chacun d’entre eux dans le cours de l’intrigue. A partir de là, on constatera, avec un certain plaisir, que l’on retrouve bon nombre des individus de la trilogie précédente à l’instar de Jacquie Lienard, Jean-Claude Verhaeghen, Philippe Nantier, Domino Battesti, Toussaint Mattei, Didier Cheron et Michel Morroni en saisissant encore mieux certains aspects de leurs parcours respectifs sans que cela ne trouble le moins du monde la compréhension du roman qui s’articule autour de la traque de ce mystérieux individu surnommé Géronimo dont on ignore la véritable identité mais qui a ses entrées auprès des organisations terroristes les plus inquiétantes qui sévissent de par ce monde de la fin de ces années 70 et plus particulièrement dans une France particulièrement visée par toute une série d’attentats plus meurtriers les uns que les autres. Tout cela prend une envergure incroyable avec le contexte explosif de cette fin de règne giscardienne et l’émergence des affaires troubles se déroulant notamment en Centrafrique mais également en France où le SAC tente d'étouffer les scandales pouvant offrir une voie royale aux hommes politiques de gauche et dont Benjamin Dierstein dépeint les plus improbables turpitudes avec une précision redoutable. Dans un registre similaire l'auteur nous entraîne dans le cour de cette infiltration des groupuscules terroristes d'extrême gauche comme Action Directe dont on suit toutes les exactions ainsi que celles de Jacques Mesrine traqué par toutes les polices de France qui s'affrontent au gré d'une rivalité exacerbée par la notoriété de ces flics adulés par les médias de l'époque et que Benjamin Dierstein retranscrit dans ce qui apparaît comme une véritable guerre des polices qu'incarnent Marco Paolini, Jacquie Lienard et Jean-Louis Gourvennec, trois flics aux profils radicalement divergents et qui vont s'affronter sur un registre de compromissions et de tourments sans équivoque. Et puis en compagnie de Robert Vauthier, on prendra la mesure de l'effervescence des nuits parisiennes et plus particulièrement des clubs sélects où les stars côtoient les figures du grand banditisme adoubés par une police mondaine dévoyée imposant ses règles alambiquées sur cet empire nocturne qui prend de plus en plus d’ampleur. On pourrait citer bien d'autres intrigues sous-jacentes prenant leurs essors dans ce roman aussi robuste que fascinant dont il faut souligner la rigueur sans faille tout en saluant la prise de recul d'un romancier qui a su s'approprier l'atmosphère de l'époque sans qu'il ne fasse état d'un quelconque jugement ou d'une inclination coupable pour l'un de ces protagonistes emblématiques d'une période tourmentée qu'il restitue avec une incroyable justesse et dont on attend, avec une certaine impatience fébrile, la suite toujours aussi survoltée, soyons en certain.

     

    Benjamin Dierstein : Bleus, Blancs, Rouges. Editions Flammarion 2024.

    A lire en écoutant : Crache Ton Venin de Téléphone. Album : Crache Ton Venin. 1979 / 2015 Parlophone. 

  • Simon Fichet : Tornade. Partie de chasse.

    simon fiche,tornade,édition marchialyQuitte à découvrir un texte exceptionnel, autant le publier en créant sa propre maison d'éditions et puisqu'il en vaut sacrément la peine, autant effectuer soi-même la traduction tout en développant une maquette et une charte graphique originales mettant superbement en valeur un ouvrage tel que Tokyo Vice de Jake Adelstein. C'est autour de ce projet que Clémence Billault travaillant notamment chez Sonatine a rencontré Cyril Gay traducteur, entre autre, pour les éditions Asphalte ainsi que Guillaume Guilpart graveur et typographe qui se sont donc réunis sous la bannière des éditions Marchialy qu'ils ont fondé pour l'occasion. Autant dire que l'origine du nom de cette entreprise littéraire prend l'allure des récits qu'ils publient en s'inscrivant dans une invraisemblable réalité à l'image des soixante ouvrages qui composent le catalogue qu'ils entretiennent depuis plus de huit ans en nous proposant des investigations romancées et bien évidemment des quêtes journalistiques loufoques et subjectives dignes des récits gonzos de l’époque, ainsi que de grands reportages à la lisière du roman d'aventure à l'instar de Lieutenant Versiga, Une Vie De Flic Dans Le Mississippi de Raphaël Malkin, autre publication marquante des éditions Marchialy. Sans doute que Tornade de Simon Fichet rassemble toutes ces catégories de récits en nous entraînant dans cette calvacade effrénée au sein de l'immense région de Tornado Alley aux Etats-Unis où ce caméraman a suivi, en compagnie du reporter Alexandre Paré, deux chasseurs de tornades afin de réaliser un reportage pour le compte de France Télévision. 

     

    Issus de la même promotion de l'école de journalisme, Simon et Alex travaillent ensemble pour la première fois en se rendant aux USA, à Ferguson en proie aux émeutes à la suite d'un crime racial commis par un policier qui n'a pas été inculpé. Mais en mai 2015, ils s'apprêtent à retourner aux Etats-Unis pour un tout autre type de reportage, puisqu'ils vont suivre deux "storm chaser" français en parcourant les Grandes Plaines d'Amérique, en quête de ces monstres ravageant la région que l'on désigne désormais sous l'appellation terrifiante de Tornado Alley et qui englobe notamment les états du Colorado, de l'Oklahoma, du Kansas, du Nouveau Mexique et du Texas. S'ensuit un périple dantesque de douze jours et de plusieurs milliers de kilomètres en traversant ces régions désertiques, ces champs pétrolifères ainsi que ces exploitations agricoles industrielles pour affronter ces tempêtes de grêle et de pluies torrentielles tandis que la foudre menace de les désagréger et que ces fameuse tornades, phénomène si imprévisible, se font toujours désirer. Et à mesure que les événements météorologiques dangereux s'enchaînent, c'est la peur qu'il faudra surmonter pour s'approcher de ces vortex redoutables.

     

    D'entrée de jeu, Simon Fichet évoque l'appréhension qu'il éprouve à l'idée de se lancer dans cette entreprise tumultueuse consistant à s'approcher au plus près de ces tornades qui ravagent plus particulièrement ces contrées désolées des Etats-Unis. Et c'est peut-être là que réside l'un des intérêts du récit où l'on perçoit ce stress permanent qui imprègne d'ailleurs l'ensemble de l'équipe que ce soit Laetitia et Matthieu deux chasseurs de tornade expérimentés, mais également Alex qui doit rendre compte à sa rédaction de l'absence de progrès quant à la traque de ces fameux vortex qui se font tant désirer. On distingue ainsi l'envers du décor de ce qui constitue les aléas de l'élaboration d'un reportage avec un journaliste qui sombre peu à peu dans une dépression sans doute en lien avec les troubles de stress post-traumatiques dont les reporters ne peuvent être exempts quand bien même rien ne transparaît jamais vraiment dans les documentaires ou des articles qu'ils conçoivent. A partir de là, Tornade prend l'allure d'un journal de bord où chaque chapitre passe en revue chacune des douze journées de cette traque imprévisible contraignant l'équipe à parcourir de long en large l'immensité d'une région des Etats-Unis peu touristique, ponctuée de motels miteux et de junk food en guise de repas qui ne font que renforcer le désarroi de chacun à l'image de Laetitia qui, en dépit de son immense expérience dans le domaine de la chasse aux tornades, se laisse aller quelques instants au découragement. Mais l'autre aspect palpitant de Tornade, c'est bien évidemment cette recherche effrénée des éléments météorologiques déchaînés qu'ils vont régulièrement traverser en se mettant littéralement en danger que ce soit en affrontant les pluies diluviennes qui s'abattent sur eux ou ces épisodes de foudre dont il sont parfois trop proches ainsi que ces soudaines chutes de grêles qui endommagent tout sur leur passage, en risquant notamment de détruire leurs véhicules en mettant ainsi un terme à leur quête insensée. L’enjeu du récit, et la tension qui en émane, consiste donc à déterminer si les deux journalistes vont parvenir à capturer les images tant convoitées de tornades, en compagnie de ces deux chasseurs français dont on ne sait finalement pas grand chose, tout comme ce qui pousse l’ensemble de cette communauté de "storm chasers" bien à part, dont il émerge quelques vedettes, à se lancer dans une telle entreprise si risquée que ce soit par goût de l’aventure ou pour la collecte de données scientifiques à moins que ce ne soit tout simplement l’envie de saisir des images sensationnelles. Car, outre la tension imprégnant l'ensemble du texte, il y a le sentiment de se retrouver comme dans une bulle, un peu à part, où seul compte la capture d'image de ce phénomène climatique tant convoité et si imprévisible. Néanmoins, au terme du récit, Simon Fichet passe outre la beauté monstrueuse de ces tornades si fascinantes pour s'attarder sur les conséquences qui en découlent en évoquant notamment certains des événements les plus meurtriers qui ont frappé la région et qui ont marqué la communauté dont une famille ayant trouvé refuge dans leur baignoire qui leur a permis de rester en vie après le passage d'une des tornades les plus puissantes enregistrées et qui a détruit toute une partie de la ville de Norman située dans l'état de l'Oklahoma. Tout cela se décline au gré d'un texte d'une intensité permanente et palpable où il est question bien évidemment du côté grandiose de ce phénomène climatique effrayant mais également du traumatisme résultant de la fureur de ces éléments incontrôlables que nul ne peut maîtriser et qui marquent les esprits comme en témoigne Simon Fichet avec beaucoup de talent.  

     

     

    Simon Fichet : Tornade. Editions Marchialy 2024.

    A lire en écoutant : Sticks & Stones de Carmel. Album : The Falling. 2021 London Records. 

  • BERNARD YSLAIRE/JEAN-LUC FROMENTAL/GEORGES SIMENON : LA NEIGE ÉTAIT SALE. ROMAN DUR.

    bernard yslaire,jean-luc fromental,georges simenon,la neige était sale,éditions dargaudEtonnement, les adaptations BD de l'œuvre de Georges Simenon sont plutôt rares si l'on fait exception de Loustal, étroitement associé au célèbre auteur belge, qui a illustré plusieurs de ses romans et notamment l'ensemble des dix couvertures composant l'intégrale des enquêtes du commissaire Maigret publié aux éditions Omnibus pour nous proposer, en collaboration avec les scénaristes Jean-Luc Fromental et José-Louis Bocquet, Simenon, L'Ostrogoth (Dargaud 2023), un roman graphique se penchant sur la période où ce romancier déjà prolifique s'apprête à se lancer dans l'écriture des premiers ouvrages mettant en scène le célébrissime policier. Mais à l'occasion des 120 ans de la naissance de Georges Simenon, les éditions Dargaud publient deux adaptations de ses fameux romans "durs" désignant les 117 récits dans lesquels le commissaire Maigret n'apparaît pas. Ainsi, on retrouve une nouvelle fois le scénariste José-Louis Bocquet s'associant au dessinateur Christian Cailleaux pour mettre en image Le Passager Du Polarlys qui n'est pas le plus connu des romans de l'auteur belge et dont l'intrigue prend l'allure d'un thriller maritime tout en tension nous entrainant le long des côtes norvégiennes jusqu'au cercle arctique. De son côté, Jean-Luc Fromental s'est tourné vers Bernard Yslaire pour adapter La Neige Était Sale, le fameux roman existentialiste de Simenon qui fait partie des ouvrages emblématiques de son œuvre pour ce qui donne lieu à une rencontre au sommet entre deux grandes figures de la BD et l'un des maîtres de la littérature noire. Pour ceux qui ne sont guère familier avec l'univers du 9ème art, on présentera Jean-Luc Fromental, outre son travail de scénariste collaborant avec des dessinateurs renommés à l'instar de Floc'h, comme un éditeur dirigeant notamment la collection Denoël Graphic recelant quelques œuvres singulières telles que celles de Posy Simmonds et de Joann Sfar. A une époque où les lecteurs du journal Spirou sont plus coutumier de séries dynamiques comme Jess Long, Yoko Tsuno, Tif et Tondu ou les Tuniques Bleues, il faut bien admettre que Bidouille et Violette a de quoi surprendre avec cette histoire d'amour entre deux adolescents inaugurant pourtant l'incontestable talent de Bernard Yslaire qui va se lancer dans la fameuse série Sambre dont la dimension intergénérationnelle s'étalant entre 1768 et 1847 va également se décliner autour de la série La Guerre Des Sambres. Avec un style extrêmement affirmé au caractère à la fois sombre et intense, le choix de Bernard Yslaire apparaît comme une évidence pour cette somptueuse adaptation graphique de La Neige Était Sale qui fait figure d'événement autour de cette conjonction de talents à l'état pur.

     

    Au temps d'une guerre indéterminée, à une époque sans date, dans une ville occupée sans nom, Frank Friedmaier, à peine âgé de 18 ans, profite de l'oisiveté que lui procure son statut d'enfant gâté par sa mère Lotte, tenancière d'une maison close locale et fort rentable lui permettant également d'assouvir ses désirs en côtoyant les pensionnaires du bordel. De plus, il se rend bien compte que Sissy Holst, sa charmante petite voisine, est follement amoureuse de lui. Franck a également ses habitudes au bar-restaurant de Timo où il fraie avec quelques personnages louches comme Fred Kromer, crapule de bas étage se vantant régulièrement de ses crimes odieux. Par défi comme par jeu, au détour d'une ruelle sombre, Frank va égorger un officier de l'armée d'occupation et lui voler son revolver. Un acte gratuit qui sera suivi d'autres forfaits tout aussi abjects qu'immoraux. Frank se lance donc volontairement dans une longue descente aux enfers qu'il assume avec un redoutable cynisme. Dans une telle optique peut-on trouver la rédemption ?

     

    C'est cette simplicité narrative qui caractérise les récits de Georges Simenon où rejaillit ainsi la quintessence des thèmes qu'il aborde avec une acuité redoutable se déclinant autour de la personnalité complexe de ses personnages. Rédigé en 1948 alors que l'auteur séjourne à Tucson en Arizona, La Neige Était Sale prend une forme singulière avec ces lieux et cette époque complètement désincarnés comme pour mieux saisir l'universalité de cette atmosphère à la fois poisseuse et lourde nous rappelant paradoxalement la période trouble de l'Occupation durant la seconde guerre mondiale. Tout cela, Jean-Luc Fromental le restitue parfaitement dans une mise en scène soignée où les dialogues résonnent avec justesse tandis que les scènes cruciales du récit se déclinent au gré des réflexions de Frank Friedmaier en adoptant une narration à la deuxième personne avec cette sensation de malaise tandis que l'on observe ce personnage sombrer dans l'abjection la plus totale avec ce côté impavide saisissant, ceci tout en prenant soin de respecter la structure du roman se déclinant en trois parties comme autant de phases ponctuant sa destinée en passant de l'acte primaire odieux qu'il commet pour l'entraîner dans une escalade de crimes ignominieux s'achevant sur une ultime résurgence prenant la forme d'une rédemption le laissant en paix avec lui-même. Et puis il y a la richesse de la mise en image de Bernard Yslaire, ses cadrages élaborés ainsi que la nuance des couleurs restituant cette ambiance à la fois pesante et malsaine qui émane de l'intrigue tout en rendant hommage à Georges Simenon que l'on croise d'ailleurs au début du récit parmi la clientèle du bar-restaurant de Timo. On apprécie notamment ce soin que le dessinateur apporte à chaque détail que ce soit par exemple le papier peint des intérieurs, les éclairages des rues enneigées de cette ville sans nom ainsi que les costumes de cette galerie de personnages tourmentés aux traits si savamment travaillés. On en prend la pleine mesure en observant plus particulièrement les contours angéliques du visage de Frank Friedmaier nous permettant de saisir le contraste encore plus marqué de son avilissement lors de son parcours meurtrier avant qu'il n'aborde les stigmates des coups des passages à tabac successifs, incarnations de ce long chemin douloureux vers la rédemption au gré d'une espèce d'amour ultime que la neige recouvrira de son linceul immaculé. Une belle convergence de talents pour un album aux allures de roman noir aussi remarquable que saisissant.

     

    Bernard Yslaire/Jean-Luc Fromental/Georges Simenon : La Neige Était Sale. Editions Dargaud 2024.

    A lire en écoutant : La Neige de Claude Nougaro. Album : Sœur Âme. 1971 Mercury Music Group.

  • Nicolás Ferraro : Notre Dernière Part Du Ciel. L'avenir est ailleurs.

    Capture d’écran 2023-03-11 à 20.07.23.pngLa violence semble être une des caractéristiques de la littérature noire sud-américaine où elle explosait dans un roman comme Entre Hommes, livre culte de l'argentin Germán Maggiori, publié par la défunte Dernière Goutte/Fonds Noirs ou plus particulièrement dans le cours des récits brutaux du brésilien Edyr Augusto qui nous avait marqué notamment avec Pssica (Asphalte 2017).  Un roman tel que Puerto Apache (Asphalte 2015) de l'argentin Juan Marini s'illustrait dans le même registre. Oubliez l'aspect esthétique que l'on retrouve dans certains ouvrages mettant en scène des tueurs en série d'une inventivité grotesque. Chez ces romanciers, la violence n'a rien de gratuite ni de racoleur et se décline dans des scènes d'une âpreté saisissante et troublante en traduisant le malaise de pays ravagés par des crises économiques sans précédent et d'injustices sociales brutales. Heurtés par la férocité du texte, bon nombre de lecteurs porteront sur ce type de récits un regard distancé voire même parfois amusé comme pour se départir de l'embarras qu'ils suscitent. Premier roman traduit en français de Nicolás Ferraro, notamment coordinateur des littératures policières à la Bibliothèque nationale argentine et passionné de polars, Notre Dernière Part Du Ciel s'inscrit dans le même registre de violence outrancière qui assomme le lecteur par la virulence d'un texte d'une dureté époustouflante qui reflète parfaitement la violence sociale d'une région reculée de l'Argentine.

     

    Les règlements de compte sont légions dans le domaine du trafic de stupéfiants. Néanmoins, ils se déroulent assez rarement à bord d'un Cessna survolant l'Argentine, quelque part à la frontière avec le Brésil et le Paraguay. Après s'être écrasés dans cette région reculée, Keegan et Lucero doivent retrouver une partie de la cargaison, éparpillée dans les environs, s'ils ne veulent pas que l'opération tourne au fiasco avec toutes les conséquences qui en découleraient. Mais pour ces habitants miséreux, ces "pains" de cocaïne tombés du ciel constituent une manne inespérée qu'ils ne sont pas prêt de restituer à l'instar du vieux Reiser, un ancien gangster qui s'est fait oublier ou des frères Vargas, deux ouvrier agricoles, qui souhaitent se rendre à Buenos Aires afin de tourner le dos à un avenir incertain. Mais outre Keegan et Lucero, il faudra affronter Zupay, un tueur impitoyable au service du cartel, qui va mettre la région à feu et à sang pour récupérer la marchandise. Dans ce monde sans foi ni loi, la part du ciel reviendra au plus fort.

     

    Voici une belle trouvaille des éditions Rivages/Noir nous proposant avec Notre Dernière Part Du Ciel de découvrir l'écriture racée de Nicolás Ferraro déclinant, sur ce récit aux allures de western, le désarroi des habitants d'une région perdue de l'Argentine qui font valoir leurs droits à coups de confrontations brutales reflétant ainsi le caractère brut et impitoyable d'une galerie de personnages déjantés, souvent paumés, courant résolument vers leur propre perte. Avec un vieillard irascible et taciturne comme Reiser on pense à Clint Eastwood dans ses interprétations mutiques tandis qu'avec un individu comme Zupay on songe à Javier Bardem dans son iconique rôle de tueur à gage alors que l'ensemble des fusillades qui jalonnent ce texte nous rappelle les scènes dantesques des films de Peckinpah. Mais c'est plus particulièrement avec Emiliano et Javier Vargas que l'on prend la pleine mesure du côté inéluctable d'une destinée qui s'inscrit forcément dans la violence. En quelques phrases, Nicolás Ferraro dresse avec une acuité impitoyable, le contexte social dans lequel évolue ces deux frères en nous faisant parfaitement comprendre qu'il ne peut en aller autrement dans cet environnement sans règle, où la police corrompue côtoie les truands de la région. Avec l'énergie du désespoir qui imprègne l'ensemble des protagonistes, l'auteur construit donc une intrigue dantesque et époustouflante jalonnées de seconds couteaux miteux au charme indéniable qui font parfois basculer l'intrigue de manière abrupte avec le sentiment que nul n'est à l'abri d'une destinée funeste. Et puis, au milieu de toute cette virilité, il y a quelques portraits de femmes également dépouillées de toute forme d'espoir dans cette atmosphère délétère à l'instar d'Irina s'efforçant d'entrainer son compagnon du côté de la capital du pays en quête d'un avenir meilleur. Mais dans ce tourbillon de férocité, nulle place pour l'espérance au terme d'un récit redoutable et implacable qui vous coupe le souffle.

     

     

    Nicolás Ferraro : Notre Dernière Part Du Ciel (El Cielo Que Nos Queda). Editions Rivages/Noir 2023. Traduit de l'espagnol (Argentine) par Alexandra Carrasco et Georges Tyras.

    A lire en écoutant : Me Gusta de Charles Ans. Album : Sui Generis. 2018 Charles ANS.