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  • TIM DORSEY : FLORIDA ROADKILL. TORTUES ET PELICANS.

    tim dorsey,florida roadkill,éditions rivagesS'il est né dans l'Indiana, sa terre d'adoption a toujours été la Floride où il a tout d'abord travaillé comme journaliste du côté de Tampa, puis de Tallahassee avant de se lancer dans l'écriture en publiant 26 romans noirs mettant en scène Serge A. Storms, le plus barré des tueurs psychopathes qui s'inscrit dans la lignée de ces personnages floridiens décalés qui peuplent les récits de John D. MacDonald ou de Carl Hiassen qui surgit d'ailleurs dans l'un de ses ouvrages déjantés. Tim Dorsey apparaît donc comme un auteur singulier et détonant que l'on découvre en 2000 avec la publication en français de Florida Roadkill qui figure dans l'emblématique collection Rivages/Noir en compagnie de six autres opus de la série qui n'ont malheureusement pas rencontré leur public en dépit de la véhémente insistance d'un blogueur afficionados de l'auteur qui ne s'est toujours pas remis de cette immersion dans un univers aussi hilarant que tonitruant. Et si l'on veut avoir une idée de la personnalité du romancier, on s'attardera sur la photo de son profil Facebook cet aspect cocasse qui émerge de ses textes. Mais au-delà de l'aspect désopilant de ses textes qui vous feront rire aux éclats, à moins d'avoir subi une lobotomie, on ne manquera pas d'apprécier la redoutable et énergique capacité de narration de Tim Dorsey qui vire parfois vers un surréalisme hilarant ainsi que le véritable cri d'amour à l'égard de la Floride dont il distille certains pans de son histoire et de sa culture sur un registre tout aussi survolté, tout en nous sensibilisant sur la préservation tant du patrimoine que de la nature, faisant notamment l'objet d'une convoitise immodérée des promoteurs immobiliers de la région et de leurs partenaires qu'il fustige allègrement, c'est le moins que l'on puisse dire, au gré d'un humour au vitriol.

     

    tim dorsey,florida roadkill,éditions rivagesOn dit de lui qu'il est un obsessionnel-compulsif, maniaco-dépressif, rétenteur anal, paranoïaque et schizophrène qui se révèle également extrêmement érudit notamment pour tout ce qui a trait à la Floride où il a toujours vécu. Pourtant durant son incarcération Serge A. Storms s'est merveilleusement bien entendu avec Coleman un junkie complètement abruti qu'il a pris sous son aile à sa sortie de prison. Ne s'embarrassant pas trop de la morale, les deux compères acceptent de prendre part à cette formidable escroquerie à l'assurance que la sculpturale Sharon leur propose afin d'assouvir leur train de vie plus que dissolu avec notamment une consommation immodérée de substances illicites. Mais le projet tourne court et voilà que le trio se lance à la poursuite d'une mallette contenant cinq millions de dollars en sillonnant les routes pour se rendre jusqu'aux Keys en croisant de près ou de loin le séducteur le plus maudit de la région, l'assureur le plus véreux de l'état, le cartel le plus minable du pays, le groupe de motards le plus nul du monde et le propriétaire de camping le plus odieux de l'univers. Mais quoi qu'il advienne, rien n'empêchera Serge le psychopathe de regarder les matchs baseballs des World Séries quitte éliminer, avec une inventivité sans égale, tous les obstacles qui se présentent à lui. Et autant dire qu'ils sont bien nombreux.  

    tim dorsey,florida roadkill,éditions rivagesSi les récits de Tim Dorsey prennent une forme outrancière, on notera que la seule faute de goût de l’auteur réside dans le fait de nous avoir quitté prématurément en 2023 à l’âge de 62 ans en laissant désormais orphelin Serge A. Storm et la kyrielle d’individus fantasques qui l’ont accompagné durant toute la série d’aventures déjantées et burlesques dont les ressorts comiques frisent le génie. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Florida Roadkill n’a rien d’un roman foutraque qui partirait dans tous les sens, sans aucune maîtrise. Bien au contraire, on relèvera le sens aigu de la mise en scène de l’auteur qui réussit à contrôler l’ensemble des intrigues éparses du roman afin de faire en sorte d’arriver à une formidable conjonction des événements qui s’emboîtent à la perfection au gré d’une course poursuite finale décapante. S’il présente tous les aspects du serial killer, on apprécie chez Serge A. Storm le choix de ses victimes ainsi que son inventivité dans la manière de les éliminer qui ne manquera pas de réjouir les lecteurs avec ce sentiment d’exutoire qui émerge en permanence. Il faut dire qu’elles sont gratinées les crapules odieuses qui côtoient ce tueur redoutable qui n’est pas dénué d’un certaine sensibilité notamment à l’égard de l’environnement qui l’entoure et qu’il entend bien préserver à sa manière, tout en tenant compte de ses intérêts et de ceux de Coleman, son abruti d’acolyte qui l’accompagne durant toutes ses aventures de Tampa, jusqu’au bout des Keys. Mais Florida Roadkill, c’est aussi l’occasion de présenter les différents aspects méconnus et décalés du Sunshine State que ce soit les bars les plus originaux qui existent vraiment et que ses protagonistes fréquentent au gré de circonstances parfois complètement farfelues, ou que la librairie de Haslam que Jack Kerouac fréquentait assidûment et qui a malheureusement mis la clé sous la porte en 2020. Et puis on apprécie véritablement ces portraits d’individus hors-normes ainsi que leurs parcours chaotiques tout en mettant en exergue, sur un registre extrêmement féroce, les dysfonctionnements sociaux d’une région magnifique suscitant certaines convoitises redoutables que Tim Dorsey dépeint avec cette ironie mordante qui le caractérise. Ainsi, Florida Roadkill  se révèle être un roman noir faisant également office de guide touristique aussi déjanté qu’hilarant qui s’inscrit dans la dimension d’une originalité résolument hors-norme.

    Tim Dorsey : Florida Roadkill (Florida Roadkill). Traduit de l'anglais (Etat-Unis) par Laetitia Devaux. Editions Rivages/Noir 2017. 

    A lire en écoutant : Hot Stuff de The Rolling Stone. Album : Black and Blue. 2012 Promotone B.V.

  • DAVID PEACE : PATIENT X, LE DOSSIER RYUNOSUKE AKUTAGAWA. LES AMES TOURMENTEES.

    david peace,patient x,editions rivages1974 (Rivages/Thriller 2002), 1977 (Rivages/Thriller 2003), 1980  (Rivages/Thriller 2004), 1983 (Rivages/Thriller 2005), derrière ces quatre années qui donnent leur titre aux romans formant la tétralogie du Yorkshire, débarque David Peace et cette écriture à nulle autre pareil qui nous immerge littéralement dans l'univers obscur de cette contrée de l'Angleterre où sévissait le tueur en série Peter Sutcliffe dont les exactions avaient marqué le romancier s'employant également à dénoncer les manquements d'une police dévoyée. Mais bien au-delà du genre noir dans lequel  on l'a volontiers catalogué, il émerge de ces intrigues les névroses de ses personnages dont les différentes facettes de leur personnalité reflètent, avec une acuité hors du commun, les aspects obscurs d'une société tourmentée. Pourtant, David Peace sort aisément du cadre de la littérature noire, comme en témoigne des romans comme GB 84  (Rivages/Thriller 2006), évoquant la lutte des mineurs contre les réformes du gouvernement Tatcher ou Rouge ou Mort  (Rivages/Thriller 2014), biographie romancée de Bill Shankly, directeur mythique du Liverpool Football Club qui prennent tous deux des connotations politiques au sens large du terme tout en incitant son auteur à quitter le pays pour enseigner l'anglais tout d'abord en Turquie puis finalement au Japon où il réside encore. Toujours à l'affut du monde qui l'entoure, David Peace se penche sur la société japonaise et son basculement vers notre époque contemporaine avec Tokyo, Année Zéro (Rivages/Thriller 2008), Tokyo, Ville Occupée (Rivages/Thriller 2010) et Tokyo, Revisitée (Rivages/Noir 2022) formant un cycle s'articulant autour de trois faits divers, se déroulant durant l'occupation américaine au terme de la seconde guerre mondiale, et qui ont bouleversé la nation. Pour définir son style d'une puissance si particulière où l'on s'immisce dans les pensées les plus tortueuses de ses personnages, David Peace cite abondamment James Ellroy mais évoque également l'oeuvre du nouvelliste japonais Ryünosuke Akutagawa dont il a repris d'ailleurs la trame narrative de Dans Le Fourré, sa nouvelle la plus connue, figurant dans le recueil Rashōmun, pour mettre en scène les différents points de vue des protagonistes de l'incandescent Tokyo, Ville Occupée où les fantômes côtoient les vivants dans un registre incantatoire hallucinant. Méconnu dans nos contrées, hormis peut-être cette fameuse nouvelle Dans Le Fourré adaptée au cinéma par Akira Kurosawa sous le titre Rashōmun, c'est sans doute pour cette raison que David Peace s'est lancé dans l'écriture de Patient X, Le Dossier Ryünosuke Akutagawa, une biographie romancée lui permettant d'exprimer toute son admiration pour cet auteur érudit et tourmenté qui se suicida en 1927 à l'âge de 35 ans et dont l'oeuvre est imprégnée d'influences variées entre la littérature orientale et la littérature occidentale de son époque qu’il a su concilier avec une remarquable maîtrise. 

     

    Si vous avez l'occasion de croiser le Patient X dans les couloirs du château de fer, peut-être prendra-t-il le temps de vous parler un instant, le temps de fumer une cigarette dont la fumée flotte autour de sa silhouette émaciée. Il s'agira sans doute de quelques fragments épars de sa vie qu'il vous racontera avec force de détails comme son émergence de la Rivière des Pêchés et de son ascension sur le fil de l'araignée. Il pourra évoquer la folie de sa mère et le désarroi psychologique qui en découle et qui l’a accompagné tout au long de sa vie. Il pourra évoquer sa passion dévorante pour la littérature ainsi que le génie tourmenté qui imprègne ses textes et en font le maître incontesté de la nouvelle sans qu'il ne puisse en prendre véritablement conscience, enfermé qu'il est dans le doute permanent quant à sa place au sein d'une société qui se disloque. Il pourra évoquer la mort de l'empereur marquant la fin de l'ère Meiji et le début de l'ère Taishō ainsi que le suicide du général Maresuke Nogi et de son épouse peut après les funérailles de l'empereur. Il pourra évoquer son séjour à Shanghai, sa santé déclinante ainsi que ses apparitions fantomatiques source d'angoisses prégnantes. Il y a l'influence des contes d'autrefois et des créatures qui les hantent. Il y a l'influence d'Edgard Allan Poe et de Joseph Conrad qui le plonge Au Coeur Des Ténèbres à l'image de ce grand séisme du Kantō qui ravage le pays également meurtri par les exactions meurtrières qui font plusieurs milliers de morts. Il pourra évoquer ce dégoût que lui inspire de nombreuses choses mais qui émerge également de sa propre personne. Tout cela figure d'ailleurs dans la succession des textes aux entournures poétiques et à la prose incantatoire où l'on oscille entre le surréalisme et le fantastique de récits aux accents lyriques qui définissent ainsi la personnalité du Patient X et qui composent le dossier Ryünosuke Akutagawa.

     

    Signe d'un changement du genre auquel on l'a cantonné, vous pourrez découvrir un entretien de David Peace, invité en France non pas à l'occasion d'un festival de la littérature noire mais sur la scène de La Maison de la Poésie à Paris qui vous permettra de saisir sur ce lien, quelques aspects de la genèse de cette biographie consacrée à Ryünosuke Akutagawa dont on ressent l'admiration sans borne pour cet auteur emblématique de la littérature nippone. Au gré de cet échange vous pourrez apprécier les différentes lectures d’extraits de Patient X, Le Dossier Ryünosuke Akutagawa dont certains dans la version originale déclamée par l’auteur lui-même vous permettant de saisir la puissance de cette scansion qui définit son style inimitable. A partir de là, il faut prendre conscience que cette biographie consacrée à cet écrivain japonais que David Peace adule ne prendra pas un parti pris conventionnel comme c’est le cas  pour l'ensemble de son œuvre hors norme qui fait bien évidemment écho à celle de Ryünosuke Akutagawa lui-même. Ainsi Patient X, Le Dossier Ryünosuke Akutagawa porte bien son titre et se compose de douze nouvelles comme autant d’étapes de la courte vie de cet homme tourmenté s’agrégeant habilement autour de sa bibliographie dont on distingue l’émergence de quelques récits emblématiques qui séduiront les amateurs de culture et de littérature japonaise, tandis que les néophytes comme moi, brûleront d’en savoir plus sur les énigmes qui entourent son parcours de vie chaotique avec l’envie irrépressible de découvrir les nouvelles et les contes qu’il a écrit tout au long de sa trop brève carrière littéraire. Formant un ensemble solide, chacune des nouvelles prend une forme narrative différente comme autant de reflets de la société japonaise de l’époque que David Peace restitue avec une exactitude rigoureuse, mais qui se confondent avec les névroses et les divagations d’un homme torturé dont on décèle toute les angoisses et obsessions qui l’animent en accompagnant parfois littéralement son cheminement de pensée à l’exemple de sa folle passion pour la littérature qui devient un refuge avant de le précipiter dans l’abime de l’écriture. Ainsi, au gré de cette lecture qui n’a rien de paisible, on décèle cette rigueur de l’exactitude des faits émanant d’une somme impressionnante de documentation que David Peace absorbe avec vigueur pour restituer toute la quintessence d’un parcours de vie basculant dans les méandres surnaturels découlant des dysfonctionnement d’un homme en rupture dont on suit les aléas dans Patient X, Le Dossier Ryünosuke Akutagawa remettant en cause, avec un génie prodigieux, tous les préceptes propre aux biographies conventionnelles. 

     

    David Peace : Patient X, Le Dossier Ryünosuke Akutagawa (Patient X, The Case-Book of Ryünosuke Akutagawa). Editions Rivages 2024. Traduit de l'anglais par Jean-Paul Gratias.

    A lire en écoutant : Paranoid Android de Radiohead. Album : Ok Computer. 1997 XL Recordings Ltd.

  • JAMES ELLROY : LES ENCHANTEURS. CAMERA HUMAINE.

    IMG_0008.jpegLes tendances avec James Ellroy, c'est de se prendre en photo en sa compagnie et de s'afficher ainsi fièrement sur les réseaux sociaux ou d'adopter la posture du critique blasé en expliquant à quel point le romancier a vieilli sans être capable de se renouveler tout en fustigeant son comportement, son arrogance ainsi que son attitude conservatrice que l'on conspuera allègrement. Alors, sans jouer les fans transis, on rappellera que James Ellroy a tout de même contribué à donner ses lettres de noblesse à la littérature noire avec des romans d'envergure comme la trilogie Llyod Hopkins dont Lune Sanglante (Rivages/Noir 1987) qui nous a ravagé le cerveau tout comme Le Quatuor de Los Angeles comprenant l'emblématique Dahlia Noir (Rivages/Noir 1988). On peut continuer en évoquant Un Tueur Sur La Route (Rivages/Noir 1989) ainsi que Ma Part D’Ombre (Rivages 1997), bouleversante autobiographie de l'auteur évoquant l'assassinat de sa mère. Et comme si cela ne suffisait pas, il faut également penser à la trilogie Underwold USA qui demeure l'un des monuments de cette carrière littéraire d'une densité incroyable. Mais les esprits chagrins prétendront que le nouveau quintette de Los Angeles qu'il a entamé avec Perfidia (Rivages/Noir 2015) et La Tempête Qui Vient (Rivages/Noir 2019) n'est pas à la hauteur des attentes avec des intrigues échevelées se déroulant durant la période chaotique de la Seconde guerre mondiale dont il restitue pourtant l'atmosphère délétère avec une effarante précision. Alors bien sûr qu'au sein d'une œuvre comprenant plus d'une vingtaine d'ouvrages, dont un certain nombre de romans marquants, trouvera-t-on quelques récits suscitant un enthousiasme moindre à l'instar d'Extorsion ou de Panique Générale, mettant tout deux en scène le détective privé Freddy Otash confessant, une fois arrivé dans l'au-delà, les frasques des stars hollywoodiennes dont il a été témoin et qu'il rapportait notamment pour le compte du tabloïd Confidential. Il faut préciser que cet ancien officier de police du LAPD n'a rien de fictif et qu'il a notamment inspiré le personnage de Jake Gittes dans le film Chinatown avant qu'Ellroy ne le fasse apparaître dans American Dead Trip (Rivages/Noir 2001) et Underworld USA (Rivages/Noir 2009). Pour le dire franchement, à l'annonce d'un troisième ouvrage mettant en scène cet enquêteur sulfureux, on pouvait craindre qu'il ne s'inscrive dans la même veine iconoclaste des deux opus précédents. Néanmoins, de manière assez curieuse, Les Enchanteurs fait partie du quintette de Los Angeles en opérant un saut dans le temps conséquent, puisqu'après les deux premiers récits se déroulant durant les années quarante, on passe sans transition (tout de même comblée par Le Quatuor de Los Angeles se déroulant durant les années cinquante) à cette date fatidique du 4 août 1962 où l'on découvre le corps sans vie de Marilyn Monroe.

     

    Rien ne va plus dans le petit microcosme hollywoodien de Los Angeles avec l'annonce de la mort de Marilyn Monroe, victime d'une overdose de médicaments tandis que l'actrice de seconde zone Gwen Perloff fait l'objet, au même moment, d'une tentative d'enlèvement se soldant par la mort d'un des ravisseurs exécuté par Freddy Otash, détective privé sulfureux, accompagné du Hat Squad dépêché par Bill Parker, responsable du LAPD désormais dans la tourmente. Expert dans la surveillance des stars du showbiz, voyeur invétéré spécialisé dans les intrusions discrètes et la pose de micros pour alimenter les ragots qu'il fournit notamment pour la presse à scandale, Freddy Otash se voit confier par les frères Kennedy une mission visant à discréditer l'image de Marilyn Monroe, au lendemain de sa mort, afin de couper court aux rumeurs de liaison clandestine avec le président des Etats-Unis nouvellement réélu. A l'occasion de cette enquête le détective privé réintègre le LAPD avec le grade de lieutenant afin que le procureur fédéral Bob Kennedy puisse avoir plus d'ascendant sur cet électron libre sous la menace d'une inculpation pour meurtre notamment. Ainsi, au gré de ses investigations Freddy Otash va mettre à jour les agissements d'un prédateur que l'on désigne comme Le Satyre qui s'en prend aux femmes seules dont il met les maisons à sac. Et puis, il y a les studios de la Fox recourant à d'étranges expédients pour pallier au gouffre financier que représente le tournage de Cléopâtre ainsi que cet obscène "Catalogue de Filles" que l'acteur Peter Lawford a partagé avec son beau-frère Jack Kennedy. Comment Freddy Otash va-t-il se dépêtrer d'un tel chaos secouant les notables d'une ville de Los Angeles complètement dévoyée ?

     

    Pour celles et ceux qui n'apprécieraient pas le style Ellroy, il vaut mieux passer son chemin car le vieux briscard du polar est de retour avec une écriture encore plus affirmée, n'en déplaise aux détracteurs qui y trouveraient une certaine redondance. Néanmoins, à l'heure où la standarisation de l'écriture devient un enjeu commercial, il faut se poser la question de savoir qui écrit comme Ellroy, hormis quelques auteurs s'inspirant de son style avec plus ou moins de bonheur ? Qui est encore capable, au gré de plus de 600 pages, de nous assener ce rythme dantesque qui s'inscrit tant dans la trame narrative que dans la musicalité d'un texte survolant le marasme de ces romans convenus que l'on nous inflige à longueur d’année ? Ainsi, Les Enchanteurs nous apparaît comme une salutaire bouffée d'oxygène littéraire se déclinant au gré d'une intrigue resserrée qui s'articule autour de la personnalité de Marilyn Monroe, icône mythique de Hollywood que James Ellroy s'emploie à déconstruire avec une hargne démoniaque. Pour y parvenir, le romancier se concentre donc autour du point de vue unique de Freddy Otash qui apparaît comme une véritable crapule bouffant à tous les râteliers pour s’extirper des mauvaises passes dans lesquelles il peut s’engouffrer pour faire de l’argent en travaillant tantôt pour Jimmy Hoffa pour salir la réputation des Kennedy, tantôt pour Bill Parker pour redorer le blason d’un LAPD controversé ou même pour la famille Kennedy afin d’empêcher que les rumeurs n’entachent leur réputation. Et c’est bien de cela qu’il s’agit dans Les Enchanteurs où James Ellroy, dans un mélange dantesque de rumeurs et de faits historiques, décline sa propre vérité d’une ville de Los Angeles qu’il s’emploie toujours à démystifier avec un acharnement obsessionnel qui vous secoue les neurones. Parce que, comme à l’accoutumée, il faudra s’accrocher pour saisir les différentes intrigues qui jalonnent le récit oscillant entre des faits d’actualités véridiques et une fiction vertigineuse et foisonnante mettant en scène plus d’une trentaine de personnages dont la plupart ont réellement existé. Et pour en revenir à Freddy Otash on saluera l’évolution d’un individu véritablement abject qui peut, malgré tout, se comporter avec une certaine élégance, plus particulièrement à l’égard des femmes marquantes qu’il côtoie à l’instar de Loïs Nettleton dont il est éperdument amoureux, tout comme de Patricia Kennedy Lawford et de Gwen Perlof, cette actrice de série B qui le fascine. Et si l’on veut rester sur le registre des personnages féminins manquants on appréciera la présence de Natasha Lytess qui fut la coach de Marilyn Monroe ainsi que celle de Georgia Lowell Farr, jeune artiste en devenir qui va se brûler les ailes en côtoyant la star de Hollywood. Ainsi, au-delà du mépris qu’il affiche pour Marilyn Monroe, apparaît de manière sous-jacente, la violence des dirigeants des studios vis-à-vis des stars mais également du staff composant cette usine à rêve qui prend la forme d’un véritable cauchemar extrêmement cruel. Tout cela se met en place sur le rythme effréné d’une enquête policière d’une violence inouïe, mais également d’un réalisme impressionnant se traduisant par un enchainement de fausses pistes foireuses, d’interrogatoires abusifs, de fastidieuses consultations de fichiers nous entrainant dans une cavalcade effrénée à travers les rues de Los Angeles que l’on parcourt à toute blinde, enivrés que nous sommes par un texte plein de fureur nous rappelant les enquêtes déjantées du sergent Lloyd Hopkins, plus particulièrement dans A Cause De La Nuit (Rivages/Noir 1987) où le fameux "Voyageur de la Nuit" nous renvoie aux manipulations des psychiatres côtoyant Marilyn Monroe, ainsi que les investigations inquiétantes de l’agent du FBI Kemper Boyd dans American Tabloïd (Rivages/Thriller 1995) où planait déjà l’ombre des Kennedy. Voyeurisme pervers, manipulations perfides, confrontations aussi brutales que sanglantes, Les Enchanteurs prend l’allure d’un roman endiablé aux entournures sordides qui vous dépouilleront de vos dernières illusions sur le mythe du rêve américain et de son corollaire hollywoodien.

     


    James Ellroy : Les Enchanteurs (The Enchanters). Editions Rivages/Noir 2024. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Sophie Aslanides et Séverine Weiss.


    A lire en écoutant : Crepuscolo Sul Mare de Piero Umiliani. Album : La Legge Dei Gangsters.1998 Right Tempo SNC.

  • DOMINIC NOLAN : VINE STREET. LE QUARTIER DES RADEUSES.

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    Service de presse.

     

    On ne sait pas grand-chose au sujet du parcours de Dominic Nolan, si ce n'est qu'en se référant à sa biographie établie par l'association du festival Quais du Polar, auquel il était présent d'ailleurs, on comprend, qu'au-delà de l'humour imprégnant le texte, l'auteur semble s'être concentré sur une carrière de romancier pour échapper aux contraintes d'une vie professionnelle peu reluisante. Né à Londres où il vit toujours, on entend parler de Dominic Nolan en 2019 avec la parution de son premier roman Past Life mettant en scène la détective Abigail Boone que l'on retrouve dans After Dark, second opus de la série qui est paru en 2020. Si les deux ouvrages aux allures de thriller paraissent avoir bénéficié de bonnes critiques dans les régions anglo-saxonnes, ceux-ci n'ont jamais été traduits en français ce qui n'est pas le cas de Vine Street, troisième roman de Dominic Nolan encensé notamment par la rédaction du Sunday Times qui l'a élu parmi les meilleurs romans policiers de l'année 2022. Publié chez Rivages/Noir, on pense immédiatement à David Peace ou James Ellroy, auteurs emblématiques de la collection, pour ce polar historique, extrêmement sombre, au souffle puissant et à l'envergure peu commune se déroulant dans le quartier populaire de Soho, ceci sur plusieurs décennies dont les années trente et la période du Blitz pour trouver une conclusion durant les sixties avant de s'achever sur un ultime retournement de situation au tout début du deuxième millénaire. 

     

    En 1935, dans le quartier de Westminster à Londres, c'est à Vine Street que se situe le plus grand poste de la City, non loin de Soho où jazzmen et truands côtoient prostituées et danseuses évoluant dans les clubs plus ou moins clandestins de ce secteur que Leon Geats connaît très bien. Travaillant au sein de la brigade des Mœurs & Night-clubs, ce flic solitaire et ombrageux a remisé le code de déontologie au fond d'un tiroir en instaurant ainsi sa propre vision de la loi et de l'ordre pour régir toute cette population hétérogène parcourant les rues tantôt glauques, tantôt animées de ce quartier populaire. Mais si sa morale peut être sujette à caution, Leon Geats n'en demeure pas moins proche de ces femmes et des ces hommes de la rue et s'intéresse plus particulièrement aux circonstances de la mort de l'une d'entre elle que l'on a retrouvée dans un appartement situé au-dessus d'un club d'Archer Street. S'agissant d'une asphalteuse, les inspecteurs de la Criminelle s'empressent de classer l'affaire. Mais à la découverte d'une seconde victime, Leon Geats entame une longue traque incertaine en collaborant avec Marc Cassar, un collègue de la Brigade Volante et de Billie, une des rares officières de police parvenant à se fondre dans le décor de ce quartier chaud, afin de confondre un tueur aussi sadique qu'insaisissable que l'on surnomme "Le Brigadier".

     

    On connaît la triste réalité quant à la durée d'un livre au regard de ces publications pléthoriques encombrant le paysage littéraire, ce qui explique peut-être le fait que le roman de Dominic Nolan semble passer sous le radar des médias à l'exception d'un article dans l'hebdomadaire Le Point à l'occasion de sa sélection finale pour le prix "Le Point" du polar européen qui a finalement couronné un autre ouvrage. Véritable biopsie d'un quartier emblématique de Londres, Vine Street nous éloigne pourtant des clichés navrants entourant les caractéristiques du tueur en série sadique, pour se pencher, avec une redoutable intelligence, sur le climat d'une époque révolue, au rythme d'une enquête de longue haleine nous dispensant ainsi de cette grotesque et irréaliste résolution en quelques jours par le sempiternelle enquêteur aguerri ou l'habituelle profileuse éclairée, toujours en proie à des démons intérieurs, que l'on retrouve dans la myriade de thrillers aussi ineptes que redondants. Ainsi, en souhaitant sortir de ces schémas narratifs éculés, il faut s'emparer de Vine Street pour se plonger dans la richesse de cette atmosphère électrique de Soho où évolue ce petit peuple de la rue dont on découvre les multiples facettes au gré des rencontres d'un flic de quartier au profil aussi détonnant qu'attachant.  L'intrigue s'articule donc autour de ce policier frayant avec la pègre et plus particulièrement dans le milieu de la prostitution au sein d'un poste de police où la corruption semble être la norme. On apprécie le caractère ambivalent de cet individu connaissant parfaitement les rouages du milieu ainsi que toute les strates de la population qui le compose. Paradoxalement, c'est son attachement à ces filles de la rue ainsi qu'à un sans-abri, vétéran de la Première guerre mondiale, qui vont le pousser à traquer durant plusieurs décennie un tueur dont les premiers actes trouvent leurs origines dans un contexte d'espionnage propre à cette période trouble de la fin des années trente où le renseignement devient l'enjeu majeur des gouvernements s'apprêtant à entrer en guerre. Sur des registres à la fois sociaux et criminels, Dominic Nolan nous entraine donc dans une configuration complexe, nécessitant une attention soutenue qui sera récompensée au gré d'une intrigue aux révélations fracassantes et surprenantes dont certaines d'entres elles se jouent sur cette narration habile entre les différentes périodes dont on découvre les méandres au fil de longues analepses aux allures de fresques historiques et plus particulièrement avec le regard de Billie et de Marc, deux personnages secondaires mais essentiels du roman nous permettant de prendre la mesure de la place faite aux femmes dans l'univers masculiniste de la police, mais également du poids du regard que l'on porte sur ces policiers se livrant à des actes homosexuels alors prohibés à l'époque. L'ensemble se décline ainsi dans une atmosphère extrêmement glauque rappelant les romans de Robin Cook, au détour de l'ambiance délétère du Soho des années trente prenant une allure beaucoup plus tragique durant Le Blitz pour se transporter dans un environnement encore plus sordide lorsque l'on arpente les garnis de Birmingham en 1963. Tout cela se met en place patiemment sur près de 700 pages, dans un bel équilibre où l'intrigue prenante en permanence ne cède pourtant jamais à une quelconque névrose propre au genre, adepte de ces détestables narrations rythmées jusqu'à l'excès, pour faire de Vine Street un roman d'une redoutable intensité qui foudroiera et comblera les lecteurs les plus exigeants.

     

    Dominic Nolan : Vine Street. Editions Rivages/Noir 2024. Traduit de l'anglais par Bernard Turle.

    A lire en écoutant : Bei Mir Bist Du Schoen de The Andrews Sisters. Album : The Andrews Sisters – World Broadcast Recordings. 2023 Circle Records.

  • Christian Roux : Fille De. L'effacement.

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    Service de presse.

     

    Après avoir suivi une formation de pianiste et effectué une multitude de métiers, on dit de lui désormais qu'il est un intermittent du spectacle, expression visant à définir la passion de Christian Roux pour la musique, la danse, le théâtre, le cinéma et bien évidemment la littérature, autant de domaines où il exerce désormais en mettant en place des projets artistiques dont on découvre certains aspects sur son site Nicri Productions. En ce qui concerne l'écriture, que ce soit tant pour la jeunesse que pour les adultes, Christian Roux a fait du roman noir, son genre de prédilection en mettant en scène des individus en rupture ou à la marge des valeurs et normes sociales afin de dénoncer l'exclusion et le rejet dont ils sont victimes. Avec des ouvrages édités principalement par la maison Rivages, on croise ainsi le parcours de Larry dans L'Homme A La Bombe (Rivages/Noir 2012) où ce chômeur désespéré se lance dans une série de braquages plutôt que de continuer à subir des entretiens d'embauche stériles et humiliants tandis que dans Kadogos (Rivages/Noir 2009) on découvre l'activité atypique de Marnie exécutant des malades en phase terminale. Puis en conciliant littérature et musique, Christian Roux publie Adieu Lili Marlène (Rivages/Noir 2015) où l'on rencontre de Julien, pianiste dans un restaurant qui doit jouer régulièrement cette emblématique chanson allemande des années 50 à la demande d'une cliente âgée disparaissant subitement du jour au lendemain, tandis que son passé de trafiquant le rattrape soudainement. Dans Que La Guerre Est Jolie (Rivages/Noir 2018), on assiste à l'opposition des habitants d'un quartier populaire dont une ancienne usine investie par un collectif d'artistes qui doivent faire face à une municipalité bien déterminée à implanter un ensemble résidentiel haut de gamme en employant des moyens plus illégaux les uns que les autres. De manière sous-jacente, Christian Roux explore ainsi cette confrontation à la violence insidieuse d'une société sans pitié à laquelle ces personnages acculés, répondent de manière parfois brutale et dont on découvre d'autres aspects au sein d'un cercle familiale dysfonctionnel de braqueurs avec Fille De, nouveau roman de l'auteur. 

     

    Samantha, 26 ans, que tout le monde surnomme Sam, est une mécanicienne experte qui tient un garage sur les hauteurs de Cassis. Une vie bien réglée et sans histoire qui bascule avec l’arrivée de Frank lui rappelant son adolescence où elle intégrait la bande de braqueurs dirigée par son père Antoine avec qui elle a coupé les ponts alors qu’elle avait 20 ans. Mais juste après les avoir quittés, ils ont mis au point un dernier coup qui a mal tourné contraignant Antoine à planquer le butin tandis que Frank se faisait alpaguer. Mais après avoir purgé sa peine, Frank désire récupérer sa part légitime du butin. Néanmoins, en retrouvant Antoine dans un centre médicalisé, il constate que le vieil homme a perdu un grand partie de sa mémoire à la suite d’une crise cardiaque. Afin qu’il recouvre ses sens, Frank contraint Sam à accompagner son père sur les différents lieux où ils ont vécu durant leur passé tumultueux. Elle entame donc un périple incertain sur les routes de France avec celui dont elle ne voulait plus entendre parler. Mais peut-on renoncer aussi facilement à être la « fille de » ?

     

    Les récits de Christian Roux sont à l'image de la déflagration d'un coup de feu, à la fois brefs et cinglants tout en prenant soin de tout décimer sur leur passage avec ce sentiment de chute sans fin, ponctuée d'éclats d'une violence qui devient un exutoire ultime comme c'est le cas pour Fille De où les retrouvailles entre un père et une fille ne vont pas se dérouler comme l'on pourrait s'y attendre. Certainement en partie dû à son activité de scénariste (il a adapté deux de ses romans pour la télévision et pour le théâtre), Christian Roux possède également ce sens inné de la narration qui nous saisit immédiatement en nous entraînant sur des registres dans lesquels on se laisse irrémédiablement surprendre à l'instar de cette confrontation entre Sam, son père Antoine et Frank son inséparable complice. Au détour d'une écriture aussi sobre qu'efficace comme le démontre d’ailleurs ces quelques scènes de braquages que Donald Westlake ne renierait pas, Christian Roux nous donne l'occasion d'explorer cette cellule familiale étrange, comme retirée du monde, dans laquelle Sam a baigné durant toute son enfance et son adolescence. A son corps défendant, cette jeune femme de caractère va donc revivre les moments tragiques de son passé et découvrir quelques secrets de famille entourant tant la mort de sa mère dans des circonstances terribles que la disparition odieuse de son amour de jeunesse. Ponctuée d'une bande-son signée Tom Waits, l'intrigue s'articule donc autour des rapports tendus entre ces trois personnages en quête du dernier coup à jouer qui prend soudainement une toute autre tournure avec cet enjeu sous-jacent de trahison devenant l'un des thèmes majeurs du récit. Mais au-delà du fracas des rapports qui s'instaurent entre les différents protagonistes, Fille De se construit également autour de cette relation entre un père dont la mémoire s'efface peu à peu et une fille qui aspire à se reconstruire, voire à renaître dans une démarche rédemptrice non dénuée d'émotion mais sans pour autant sombrer dans le pathos et avec cette notion de transmission imprégnant l'ensemble d'un texte d'une redoutable intensité. 

     

     

    Christian Roux : Fille De. Editions Rivages/Noir 2024.

    A lire en écoutant : Blue Valentine de Tom Waits. Album : Blue Valentines. 1978 Asylum Records.