PATRICK DELPERDANGE : UN PARFUM D'INNOCENCE. UN JARDIN EXTRORDINAIRE.
La maison porte le nom du format d'un livre où la feuille a été pliée à trois reprises pour composer ainsi un ouvrage de 16 pages recto-verso, in-octavo. Autant dire que les éditions in8 se sont spécialisées dans le format court, ceci plus particulièrement avec la collection Polaroïd dirigée par Marc Villard qui s'y connait quelque peu dans le domaine de la nouvelle aux connotations plus ou moins sombres puisqu'il a publié plus d'une quarantaine de recueils rassemblant de brèves histoires souvent teintées d'une ambiance jazzy qu'il affectionne. On se souvient ainsi d'Entrée Du Diable A Barbèsville (Rivages/Noir 2008) ainsi que de son dernier ouvrage au titre évocateur, Ciel De Réglisse (Editions La Noire 2023) ou de Scènes De Crime (Editions Le Bec en l'air 2014) où chacune des photos d'Hermance Triay étaient agrémentées d'un texte assez bref du romancier, soulignant l'atmosphère inquiétante de la série d'images composant l'album. Mais pour en revenir à son travail de directeur de la collection Polaroïd, Marc Villard a rassemblé quelques figures de la littérature dont Marcus Malte, Marin Ledun, Marion Brunet, Jean-Bernard Pouy et Nicolas Mathieu marquant son retour dans un registre un peu plus noir avec Rose Royal (In8/Polaroïd 2019). Intégrant tout récemment la collection, on se réjouit de retrouver Patrick Delperdange avec Un Parfum D’Innocence, brève intrigue de 80 pages se déroulant dans un environnement rural à l’atmosphère âpre nous rappelant ses précédents romans aux titres imprégnés d’une connotation biblique tels que Si Tous Les Dieux Nous Abandonnent (Série Noire 2016) et L’Eternité N’Est Pas Pour Nous (Les Arènes/Equinox 2019), figurant parmi la soixantaine récits que ce romancier belge, bien trop sous-estimé, a écrit durant sa carrière de romancier tout en officiant également comme scénariste de bande dessinée.
Lorraine a emprunté la voiture à sa copine Florence qui travaille comme serveuse dans le même bar qu'elle. Elle est venue chercher son frère Arthur qui vient de sortir de prison. Mais loin d'être apaisé, elle sent bien la tension qui germe encore en lui tandis qu'ils traversent cette région désolée où les cadavres de chats écrasés jonchent les bords de la route nationale. Et la chaleur n'arrange rien. Mais à l'occasion d'un arrêt à la station-service pour boire une bière bien fraîche, les choses tournent au vinaigre lorsqu'Arthur a la mauvaise idée de piquer dans la caisse de la tenancière des lieux et de bousculer violemment le fils qui tentait de s'interposer en les braquant avec sa carabine. Afin d'échapper à la police rapidement alertée, Lorraine et Arthur vont donc emprunter les petites routes de campagne et entamer ainsi un périple chaotique au sein d'un environnement de plus en plus inquiétant.
Comme son nom l'indique, la collection Polaroïd se concentre sur la photographie de l'instant que Patrick Delperdange saisi pour l'occasion afin de nous présenter le parcours de Lorraine qui vient chercher son frère à sa sortie de prison. On passe ainsi en revue quelque instantanés que sont les retrouvailles tendues entre une soeur et un frère dont on ignore le motif de son incarcération, la confrontation chaotique avec la tenancière d'une station-service et de son fils ainsi que la rencontre dantesque avec une famille de paysans dont les comportements suscitent une inquiétude de plus en plus larvée. L'ensemble se décline sur un mode davantage orienté sur une succession d'actions nous offrant quelques scènes incongrues comme cette course-poursuite entre un tracteur et une voiture se retrouvant embourbée au beau milieu des champs, ce qui nous permet d'apprécier cette intrigue décalée qui sort radicalement du registre auquel on s'attend dans le cadre d'une traque de deux fuyards plus ou moins paumés. Il faut dire que Patrick Delperdange maîtrise l'art de la mise en scène au gré d'une écriture décantée se concentrant sur l'essentiel pour développer ce format à la fois très bref et extrêmement concentré. Et puis il y a cette atmosphère sombre et poisseuse qui émerge du texte et plus particulièrement lorsque Lorraine et Arthur pense trouver refuge au sein de ce corps de ferme délabré où réside cette famille paysanne au comportement dysfonctionnel rappelant par certains aspects quelques scènes dignes du film Délivrance. Tout cela se décline en adoptant le point de vue de Lorraine cherchant à renouer avec son frère Arthur dont elle perçoit cette colère qui le ronge trouvant sans doute quelques racines dans l'émergence de ses souvenirs de jeunesse dont on devine quelques aspects sous-jacents peu reluisants. Entre violence et fêlure, Un Parfum D'Innocence met donc en lumière ces instantanés brutaux se révélant dans l'alchimie habile d'un texte d'une sombre intensité.
Patrick Delperdange : Un Parfum D'Innocence. Editions in8. Collection Polaroïd 2024.
A lire en écoutant : Born On The Bayou de Creedence Clearwater Revival. Album : Summer Classics. 2024 UMG Recording.
Etonnement, les adaptations BD de l'œuvre de Georges Simenon sont plutôt rares si l'on fait exception de Loustal, étroitement associé au célèbre auteur belge, qui a illustré plusieurs de ses romans et notamment l'ensemble des dix couvertures composant l'intégrale des enquêtes du commissaire Maigret publié aux éditions Omnibus pour nous proposer, en collaboration avec les scénaristes Jean-Luc Fromental et José-Louis Bocquet, Simenon, L'Ostrogoth (Dargaud 2023), un roman graphique se penchant sur la période où ce romancier déjà prolifique s'apprête à se lancer dans l'écriture des premiers ouvrages mettant en scène le célébrissime policier. Mais à l'occasion des 120 ans de la naissance de Georges Simenon, les éditions Dargaud publient deux adaptations de ses fameux romans "durs" désignant les 117 récits dans lesquels le commissaire Maigret n'apparaît pas. Ainsi, on retrouve une nouvelle fois le scénariste José-Louis Bocquet s'associant au dessinateur Christian Cailleaux pour mettre en image Le Passager Du Polarlys qui n'est pas le plus connu des romans de l'auteur belge et dont l'intrigue prend l'allure d'un thriller maritime tout en tension nous entrainant le long des côtes norvégiennes jusqu'au cercle arctique. De son côté, Jean-Luc Fromental s'est tourné vers Bernard Yslaire pour adapter La Neige Était Sale, le fameux roman existentialiste de Simenon qui fait partie des ouvrages emblématiques de son œuvre pour ce qui donne lieu à une rencontre au sommet entre deux grandes figures de la BD et l'un des maîtres de la littérature noire. 
François est un vieux garçon à la vie bien rangée qui travaille comme chauffeur-livreur pour la
On évoquera tout d'abord de la reliure cousue qui confère à l'ouvrage une certaine élégance avec son liseré en toile rouge ornant le dos de l'album. Outre l'aspect esthétique, ce type de reliure permet de déployer de manière plus adaptée les sublimes doubles pages qui ponctuent le récit en nous offrant la beauté des perspectives ahurissantes de cette ville fantasmée qui devient un personnage à part entière. Avec Joris Mertens, on parlera davantage de lumières que de couleurs qui s'affichent déjà sur la couverture avec cette conjugaison de pluie, d'éclairage public et de gigantesques panneaux publicitaire lumineux parcourant les élégantes façades tarabiscotées des immeubles de la ville pour nous offrir cette atmosphère trépidante d'un centre congestionné par la circulation au travers de laquelle le flux de piétons se faufilent avant d'arpenter les trottoirs humides. C'est dans cet environnement tumultueux qu'évolue François dont on découvre, dans une première partie, son parcours quotidien au coeur de ce lacis de rues et de boulevards qu'il parcourt d'un pas pressé, puis à la place passager de sa fourgonnette de livraison qu'Alain, le nouveau chauffeur qu'il doit former, conduit maladroitement. On devine la solitude du personnage qui aspire à une autre vie en misant les mêmes numéros à la loterie depuis plusieurs années ; on perçoit l'affection maladroite qu'il éprouve pour Maryvonne et sa fille Romy et puis cette succession de scènes urbaines qui soulignent son isolement au milieu du fracas de la ville. La seconde partie prend une tournure beaucoup plus sombre avec la découverte d'une scène de crime et d'un sac abandonné dont François s'empare pour l'entraîner dans une succession d'ennuis au coeur d'un environnement boisé plutôt sinistre. Oscillant entre la chronique sociale et le fait divers, ponctué d'un humour parfois grinçant, Joris Mertens nous offre au final une superbe fresque urbaine dans laquelle se débat cet homme solitaire tandis que le destin livre son dessein cruel dont on découvre l'ultime coups du sort dans la dernière case d'un album éblouissant.