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  • SIGITAS PARULSKIS : TENEBRES ET COMPAGNIE. LA DANSE DE SALOME.

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    Après une belle incursion en Pologne suivie de la découverte des contrées balkaniques, c'est du côté de la région des pays Baltes que les éditions Agullo nous entraînent pour nous proposer Ténèbres Et Compagnie, premier roman traduit en français du poète, dramaturge et essayiste lituanien Sigitas Parulskis levant le voile sur l'un des grands tabous du pays au sujet de l'extermination de la communauté juive durant la période trouble de la Seconde guerre mondiale et plus particulièrement du rôle actif de ses compatriotes qui ont contribué à ce génocide. Comptant moins de 3 millions d'habitants, ce petit pays méconnu que la plupart d'entre nous peineront à situer sur la carte du monde, fait partie de l'Union européenne depuis 2003 alors que son destin contemporain a basculé en 1940 lorsque Hitler donne l'ordre d'occuper les trois pays baltes et que suite à l'opération Barbarossa, c'est pratiquement l'ensemble population juive qui est victime de la Shoah avec un génocide figurant parmi les plus élevés d'Europe. Publié en 2012 en Lituanie, soit 12 ans après l'indépendance du pays s'émancipant de l'occupation de l'Union soviétique, on comprendra, à la lecture de la postface de Ténèbres Et Compagnie, que ce sujet délicat apparaît encore comme extrêmement sensible pour une bonne partie de la population prétendant qu'il n'est pas bon de ressasser ce terrible passé qu'il convient d'oublier à tout jamais et de se pencher plutôt sur les actes de la résistance dans le pays pour contrer l'invasion des forces allemandes. Ainsi, au gré de ces arguments qui nous font frémir, traduisant la mauvaise foi et le déni qui prévalent toujours à notre époque, on comprendra que dans toute l'horreur qu'il décline sans ambage, un roman tel que Ténèbres Et Compagnie devient un récit incontournable nous permettant de nous confronter à cette part sombre de l'humanité et de ses résurgences qui continuent à nous bouleverser. 

     

    Alors que la guerre commence, Vincentas sort dans la rue pour en photographier les éclats mais est rapidement arrêté par des partisans l'accusant d'être à la solde des bolchéviques. Enfermé dans une geôle, il en est extrait pour être exécuté et ne doit son salut qu'à cet officier SS appréciant son travail et qui lui propose un pacte afin que lui et Judita, sa compagne juive qu'il aime avec passion, bénéficient d'un sécurité relative en ces temps troublés où l'extermination des juifs s'enchaînent à l'orée des villages et des forêts de son pays occupé. L'accord qu'il conclut avec ce responsable des Einsatzgruppe, que Vincentas surnomme l'Artiste, consiste à photographier leurs activités et plus particulièrement les dernières étincelles de vie des victimes s'entassant dans les fosses communes. Accompagné de soldats baltes acquis à la cause, Vincentas devient ainsi le témoin de ces massacres qui s'échelonnent à un rythme soutenu visant à l'extermination totale de la communauté juive. Une activité éprouvante qu'il dissimule à Judita qu'il protège de la déportation vers le ghetto de Vilnius. Mais à force d'être témoin sans rien faire ne devient-on pas complice ? Et jusqu'où l'horreur accompagnant Vincentas et Judita va-t-elle les conduire dans le fracas de la guerre.

     

    On ne peut s'empêcher de faire un parallèle avec Les Bienveillantes quand bien même le roman de Johnathan Littell ne prend pas pour cadre la Lituanie mais s'inscrit tout comme Ténèbres Et Compagnie dans le contexte de cette opération Barbarossa ouvrant le front à l'Est durant la Seconde guerre mondiale et permettant à ces fameux Einsatzgruppe de procéder à l'extermination des communautés juives avec l'appui des populations locales. Si Les Bienveillantes s'articulait autour du mythe d’Eschyle où ces furies vengeresses persécutent les auteurs de crimes à l'encontre des membres de leur famille, Sigitas Parulskis fera continuellement référence à la décapitation de Saint-Jean Baptiste et sa mise en scène dans Salome, l'opéra de Richard Strauss atteignant son paroxysme avec cette fameuse danse des sept voiles dont on découvrira l’adaptation effroyable par l'Artiste, surnom de cet officier SS qui hante les pages de Ténèbres Et Compagnie et dont on trouve quelques points communs avec Maximilien Aue. Mais outre le fait qu’il se déroule en Lituanie, Sigitas Parulskis prend pour personnage central non pas un bourreau mais un témoin des exactions en la personne de Vincentas, ce photographe désarmé capturant les instants d’horreur dans le prisme de son objectif et dont le caractère ambivalent nous renvoie vers cette question lancinante nous saisissant tout au long du récit quant à notre attitude en de pareilles circonstances. Ainsi, Ténèbres Et Compagnie, prend l’allure d’une tragédie faustienne avec ce pacte entre Vincentas et l’Artiste, même si l’officier SS reste très en retrait pour laisser la place aux seconds couteaux lituaniens qu’incarnent des individus effrayants tels que Simonas Petras et Jokūbas l’Ainé membres convaincus du commando chargé de l’exécution des juifs de la région qu’ils entassent dans des fosses communes avec un certain savoir-faire terrifiant. On suit donc les parcours de ces individus aux différents stade de la guerre et de leur effroyable mission quant à l’éradication de celles et ceux qu’ils considèrent comme une menace juive et bolchevique qu’il convient de contrer à tout prix avec l’appui de leurs alliés allemands de circonstance qu’ils considèrent avec une certaine défiance. On perçoit ainsi, sans que rien ne nous soit épargné, toute la mise en oeuvre de cette collaboration meurtrière avec en toile de fond la mise en place du ghetto de Vilnius, antichambre de ce qui va apparaître comme la solution finale. Et puis en filigrane, apparaît cette histoire d’amour immodéré entre Vincentas et Judita, cette femme juive de caractère, unique personnage féminin du livre qui devient la pierre angulaire de ce récit d’une intensité effroyable qui prend parfois une allure quasiment onirique que ce soit durant la confrontation de Vincentas avec l’Artiste ou au terme de son affrontement avec Jokūbas l’Ainé dont le devenir apparaît incertain. Il n’en demeure pas moins que la monstruosité des actes se décline sur un registre nuancé avec une habilité certaine qui font de Ténèbres Et Compagnie un ouvrage indispensable auquel il faut se confronter et dont la portée dépasse les frontières de la Lituanie et encore plus celle du temps pour nous ramener cruellement à notre époque. 

     

    Sigitas Parulskis : Ténèbres Et Compagnie (Tamsar Ir Partneriai). Editions Agullo 2024. Traduit du lituanien par Marielle Vitureau.

    A lire en écoutant : Salome, Op. 54 - Scene 4: Salome's Dance of the Seven Veils de Richard Strauss. Album : Salome. Catherine Malfitano, Byrn Terfel, Philharmonique de Vienne, Christophe von Dohnányl. 1995 Decca Music Group Limited.

  • DAVID PEACE : PATIENT X, LE DOSSIER RYUNOSUKE AKUTAGAWA. LES AMES TOURMENTEES.

    david peace,patient x,editions rivages1974 (Rivages/Thriller 2002), 1977 (Rivages/Thriller 2003), 1980  (Rivages/Thriller 2004), 1983 (Rivages/Thriller 2005), derrière ces quatre années qui donnent leur titre aux romans formant la tétralogie du Yorkshire, débarque David Peace et cette écriture à nulle autre pareil qui nous immerge littéralement dans l'univers obscur de cette contrée de l'Angleterre où sévissait le tueur en série Peter Sutcliffe dont les exactions avaient marqué le romancier s'employant également à dénoncer les manquements d'une police dévoyée. Mais bien au-delà du genre noir dans lequel  on l'a volontiers catalogué, il émerge de ces intrigues les névroses de ses personnages dont les différentes facettes de leur personnalité reflètent, avec une acuité hors du commun, les aspects obscurs d'une société tourmentée. Pourtant, David Peace sort aisément du cadre de la littérature noire, comme en témoigne des romans comme GB 84  (Rivages/Thriller 2006), évoquant la lutte des mineurs contre les réformes du gouvernement Tatcher ou Rouge ou Mort  (Rivages/Thriller 2014), biographie romancée de Bill Shankly, directeur mythique du Liverpool Football Club qui prennent tous deux des connotations politiques au sens large du terme tout en incitant son auteur à quitter le pays pour enseigner l'anglais tout d'abord en Turquie puis finalement au Japon où il réside encore. Toujours à l'affut du monde qui l'entoure, David Peace se penche sur la société japonaise et son basculement vers notre époque contemporaine avec Tokyo, Année Zéro (Rivages/Thriller 2008), Tokyo, Ville Occupée (Rivages/Thriller 2010) et Tokyo, Revisitée (Rivages/Noir 2022) formant un cycle s'articulant autour de trois faits divers, se déroulant durant l'occupation américaine au terme de la seconde guerre mondiale, et qui ont bouleversé la nation. Pour définir son style d'une puissance si particulière où l'on s'immisce dans les pensées les plus tortueuses de ses personnages, David Peace cite abondamment James Ellroy mais évoque également l'oeuvre du nouvelliste japonais Ryünosuke Akutagawa dont il a repris d'ailleurs la trame narrative de Dans Le Fourré, sa nouvelle la plus connue, figurant dans le recueil Rashōmun, pour mettre en scène les différents points de vue des protagonistes de l'incandescent Tokyo, Ville Occupée où les fantômes côtoient les vivants dans un registre incantatoire hallucinant. Méconnu dans nos contrées, hormis peut-être cette fameuse nouvelle Dans Le Fourré adaptée au cinéma par Akira Kurosawa sous le titre Rashōmun, c'est sans doute pour cette raison que David Peace s'est lancé dans l'écriture de Patient X, Le Dossier Ryünosuke Akutagawa, une biographie romancée lui permettant d'exprimer toute son admiration pour cet auteur érudit et tourmenté qui se suicida en 1927 à l'âge de 35 ans et dont l'oeuvre est imprégnée d'influences variées entre la littérature orientale et la littérature occidentale de son époque qu’il a su concilier avec une remarquable maîtrise. 

     

    Si vous avez l'occasion de croiser le Patient X dans les couloirs du château de fer, peut-être prendra-t-il le temps de vous parler un instant, le temps de fumer une cigarette dont la fumée flotte autour de sa silhouette émaciée. Il s'agira sans doute de quelques fragments épars de sa vie qu'il vous racontera avec force de détails comme son émergence de la Rivière des Pêchés et de son ascension sur le fil de l'araignée. Il pourra évoquer la folie de sa mère et le désarroi psychologique qui en découle et qui l’a accompagné tout au long de sa vie. Il pourra évoquer sa passion dévorante pour la littérature ainsi que le génie tourmenté qui imprègne ses textes et en font le maître incontesté de la nouvelle sans qu'il ne puisse en prendre véritablement conscience, enfermé qu'il est dans le doute permanent quant à sa place au sein d'une société qui se disloque. Il pourra évoquer la mort de l'empereur marquant la fin de l'ère Meiji et le début de l'ère Taishō ainsi que le suicide du général Maresuke Nogi et de son épouse peut après les funérailles de l'empereur. Il pourra évoquer son séjour à Shanghai, sa santé déclinante ainsi que ses apparitions fantomatiques source d'angoisses prégnantes. Il y a l'influence des contes d'autrefois et des créatures qui les hantent. Il y a l'influence d'Edgard Allan Poe et de Joseph Conrad qui le plonge Au Coeur Des Ténèbres à l'image de ce grand séisme du Kantō qui ravage le pays également meurtri par les exactions meurtrières qui font plusieurs milliers de morts. Il pourra évoquer ce dégoût que lui inspire de nombreuses choses mais qui émerge également de sa propre personne. Tout cela figure d'ailleurs dans la succession des textes aux entournures poétiques et à la prose incantatoire où l'on oscille entre le surréalisme et le fantastique de récits aux accents lyriques qui définissent ainsi la personnalité du Patient X et qui composent le dossier Ryünosuke Akutagawa.

     

    Signe d'un changement du genre auquel on l'a cantonné, vous pourrez découvrir un entretien de David Peace, invité en France non pas à l'occasion d'un festival de la littérature noire mais sur la scène de La Maison de la Poésie à Paris qui vous permettra de saisir sur ce lien, quelques aspects de la genèse de cette biographie consacrée à Ryünosuke Akutagawa dont on ressent l'admiration sans borne pour cet auteur emblématique de la littérature nippone. Au gré de cet échange vous pourrez apprécier les différentes lectures d’extraits de Patient X, Le Dossier Ryünosuke Akutagawa dont certains dans la version originale déclamée par l’auteur lui-même vous permettant de saisir la puissance de cette scansion qui définit son style inimitable. A partir de là, il faut prendre conscience que cette biographie consacrée à cet écrivain japonais que David Peace adule ne prendra pas un parti pris conventionnel comme c’est le cas  pour l'ensemble de son œuvre hors norme qui fait bien évidemment écho à celle de Ryünosuke Akutagawa lui-même. Ainsi Patient X, Le Dossier Ryünosuke Akutagawa porte bien son titre et se compose de douze nouvelles comme autant d’étapes de la courte vie de cet homme tourmenté s’agrégeant habilement autour de sa bibliographie dont on distingue l’émergence de quelques récits emblématiques qui séduiront les amateurs de culture et de littérature japonaise, tandis que les néophytes comme moi, brûleront d’en savoir plus sur les énigmes qui entourent son parcours de vie chaotique avec l’envie irrépressible de découvrir les nouvelles et les contes qu’il a écrit tout au long de sa trop brève carrière littéraire. Formant un ensemble solide, chacune des nouvelles prend une forme narrative différente comme autant de reflets de la société japonaise de l’époque que David Peace restitue avec une exactitude rigoureuse, mais qui se confondent avec les névroses et les divagations d’un homme torturé dont on décèle toute les angoisses et obsessions qui l’animent en accompagnant parfois littéralement son cheminement de pensée à l’exemple de sa folle passion pour la littérature qui devient un refuge avant de le précipiter dans l’abime de l’écriture. Ainsi, au gré de cette lecture qui n’a rien de paisible, on décèle cette rigueur de l’exactitude des faits émanant d’une somme impressionnante de documentation que David Peace absorbe avec vigueur pour restituer toute la quintessence d’un parcours de vie basculant dans les méandres surnaturels découlant des dysfonctionnement d’un homme en rupture dont on suit les aléas dans Patient X, Le Dossier Ryünosuke Akutagawa remettant en cause, avec un génie prodigieux, tous les préceptes propre aux biographies conventionnelles. 

     

    David Peace : Patient X, Le Dossier Ryünosuke Akutagawa (Patient X, The Case-Book of Ryünosuke Akutagawa). Editions Rivages 2024. Traduit de l'anglais par Jean-Paul Gratias.

    A lire en écoutant : Paranoid Android de Radiohead. Album : Ok Computer. 1997 XL Recordings Ltd.

  • JURICA PAVIČIĆ : MATER DOLOROSA. AFFAIRE DE FAMILLE.

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    Ça va bien plus loin que cela. Si l'on dit de lui qu'il est le premier auteur de roman policier croate traduit en français, il importe de souligner que Jurica Pavičić fait partie des grands écrivains que l'on a découvert durant ces cinq dernières années et qu'il se joue allègrement des codes de la littérature noire pour transcender les genres. Et c'est peu dire que L'Eau Rouge (Agullo 2021), son premier roman paru en France chez Agullo, a connu un certain retentissement en obtenant notamment quatre des grands prix célébrant le polar tout en suscitant un certain enthousiasme auprès des lecteurs découvrant l'histoire de la Croatie contemporaine au gré d'une fresque sociale prenant parfois des allures historiques. Plus intimiste, La Femme Du Deuxième Etage (Agullo 2022) se déclinait autour d'un fait divers se déroulant à Split, ville où Jurica Pavičić a toujours vécu en travaillant également comme scénariste et journaliste lui permettant de dépeindre les grands changements qui se sont opérés dans la région que ce soit la chute du communisme, le démantèlement industriel, la guerre qui a déchiré le pays ainsi que le sur-tourisme de cette côte dalmate très prisée. On retrouve d'ailleurs tous ces thèmes dans son oeuvre et plus particulièrement celui de la guerre qui résonne de près ou de loin dans les différentes nouvelles rassemblées dans Le Collectionneur De Serpents (Agullo 2023). Mais au-delà de ces sujets qu'il aborde avec une redoutable acuité, c'est cette capacité à se fondre dans l'intimité de ses personnages qui caractérise le style de Jurica Pavičić déclinant, dans la banalité du quotidien, une impressionnante tension que l'on va ressentir tout au long de la lecture de Mater Dolorosa nous permettant de nous immerger dans l'envers du décor de la ville de Split, bien éloignée de la carte postale touristique. 

     

    L'automne 2022, comme chaque année, marque la fin de la saison touristique à Split, même si quelques voyageurs s'attardent encore sur les quais ou dans les ruelles de vieille ville. Réceptionniste à la Split Heritage Résidence, Ines Runjic en voit défiler un certain nombre en dispensant ses conseils pour agrémenter leur séjour. Et à chaque fin de service elle retourne dans sa banlieue sans fard pour retrouver sa mère Katja qui s'occupe du foyer tout en travaillant comme femme de ménage au sein d'une clinique, ainsi que son jeune frère Mario, totalement désœuvré. De son côté, Zvone vit avec son père Sinisa, un vétéran de la guerre des Balkans. En tant qu'officier de police prometteur, il se voit confier l'enquête sur le meurtre de Viktorija, une jeune fille de 17 ans dont on a retrouvé le corps dans le hangar d'une usine désaffectée. L'affaire fait grand bruit, ce d'autant plus que la victime est la fille d'un éminent notable de la ville et que les circonstances de sa mort vont secouer toute la communauté et plus particulièrement Ines et sa famille. 

     

    Ce qui est vraiment impressionnant avec Mater Dolorosa, c'est ce naturalisme qui imprègne l'ensemble d'un texte oscillant entre le roman noir et le roman policier en prenant même parfois l'allure d'un thriller tant l'intrigue est chargée en tension. Et si l'on a une idée de l'identité du meurtrier, Jurica Pavičić instille le doute en permanence tout en se concentrant essentiellement sur les rapports complexes entre les membres d'une famille au travers des non-dits, des rancœurs et bien évidemment de cette affection, voire même de cet amour atavique qui unit chacun d'entre eux. C'est dans ce registre que s'inscrit cette tension entre Ines, sa mère Katja et son frère Mario tandis que les deux femmes découvrent dans les médias les circonstances d'un crime sordide qui vont les marquer durablement. Et il faut dire que l'auteur croate s'y entend pour mettre en place un récit d'un redoutable habilité où chaque détail compte que ce soit la grande réunion familiale en campagne dans le domaine du grand-père, admirablement décrite, le poids de la religion et de la culpabilité pesant sur les épaules de Katja, les rapports qu'Ines entretient avec son amant marié, ou l'indifférence crasse de Mario face aux événement qui secouent la ville de Split. Ainsi, on prend la mesure des démarches entreprises pour protéger ses proches et de la lente dissolution des bonnes résolutions de principe cédant le pas à cette volonté farouche de se soustraire aux investigations de la police pouvant impliquer l'un des siens. Mais dans un contrepoint subtil, Jurica Pavičić nous donne à voir également, sous une forme extrêmement réaliste, les démarches de l'enquête policière conduite par l'officier de police Zvone et le regard qu'il porte sur ses partenaires dérogeant au cadre légal pour impliquer le suspect dans cette affaire de viol et de meurtre d'une jeune victime dont ils souhaitent venir à bout quel qu'en soit le prix. A partir de là, l'ambivalence de la famille fait écho à l'ambivalence policière dans un concert narratif admirable qui résonne avec une magistrale justesse. Tout cela se décline dans l'atmosphère mélancolique d'une ville de Split s'étiolant dans la torpeur d'une saison automnale vidant ses rues du centre-ville dépourvue de touriste tandis que les grands ensembles des quartiers avoisinants  rassemblent une communauté croate encore marquée par son passé tumultueux dont certain peine à se remettre à l'instar du père de Zvone, un invalide de guerre qui n'a plus que ses sorties en mer à bord de son petit canot pour le raccrocher à une morne existence. Et comme à l'accoutumée, on découvre avec Mater Dolorosa toute la richesse d'une intrigue d'une rare maîtrise se conjuguant avec l'intensité de personnages inoubliables nous permettant d'appréhender les moindres aspects d'une société croate tout en complexité que Jurica Pavičić restitue avec une effarante justesse, marque de fabrique d'un auteur au talent incontestable. 


    Jurica Pavičić : Mater Dolorosa (Mater Dolorosa). Editions Augullo/Noir 2024. Traduit du croate par Olivier Lannuzel.

    A lire en écoutant : Stabat Mater de Giovanni Battista Pergolesi. Album : Stabat Mater. Claudio Abbado, London Symphony Orchestra. 1985 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin.

  • Frédéric Paulin : Nul Ennemi Comme Un Frère. La guerre du Liban.

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    Service presse.

     

    Alors bien sûr, on annonce plus de 450 romans pour cette rentrée littéraire 2024, tandis que journalistes, chroniqueurs, blogueurs et autres influenceurs littéraires affutent leurs arguments éclairés pour vous livrer l’ouvrage indispensable qu’il vous faut acquérir en énumérant notamment quelques mastodontes de la littérature trustant cette faste période livresque. Alors bien sûr, il y a les classiques d’autrefois dans lesquels on trouve refuge et les romances d’aujourd’hui qui vous lavent la tête dans une logique toujours plus expansive de divertissement comme en témoigne les rayonnages toujours plus imposants de littérature « young adult » et de récits « feelgood ». Alors bien sûr, on aura l’air malin de dénigrer ces genres littéraires alors que le roman noir et le polar font l'objet d'un dédain, voire d'un mépris qui reste d'actualité. Tout juste nous accorderons-nous sur le fait que la plupart de ces ouvrages s’inscrivent dans une logique d’échappatoire du quotidien tandis que la littérature noire se décline autour d’une démarche totalement opposée dans laquelle figure, parmi tant d’autres, le romancier rennais Frédéric Paulin s’interrogeant en permanence sur le monde qui nous entoure. Diplômé de science politique, ayant exercé les professions de journaliste indépendant et de professeur d’histoire et géographie, il est désormais l’auteur de près d’une trentaine de romans et de nouvelles dont la fameuse trilogie Tedj Benlazar qui fait référence, au gré d’une fiction nous permettant d’appréhender, de manière saisissante, l’histoire du terrorisme djihadistes lors de son émergence en Algérie avec La Guerre Est Une Ruse (Agullo 2018), de son évolution nous entraînant vers les tragédies du 11 septembre 2001 aux USA avec Prémices De La Chute, pour nous conduire finalement, avec La Fabrique De La Terreur (Agullo 2020), jusqu’aux attentats du 15 novembre 2015 qui ont frappé Paris. Toujours animé de cette volonté de mettre en lumière, par le biais de la fiction, la part sombre de l’histoire contemporaine, Frédéric Paulin se penchait, avec La Nuit Tombée Sur Nos Âmes (Agullo 2021), sur les événements du G8 à Gênes et de l’escalade de violences débouchant sur des émeutes et des exactions policières sans précédent ainsi que sur la mort d’un manifestant abattu par un carabinieri. Difficile d’énumérer la liste des prix prestigieux qui ont encensé ces différents ouvrages en récompensant notamment cette surprenante assimilation d’une documentation impressionnante permettant de mettre en scène d’habiles fictions se conjuguant avec les méandres des faits historiques qu’il dépeint avec autant de rigueur que de recul. C’est dans ce même registre, mais en affichant une dimension encore plus ambitieuse, que l’on va découvrir une nouvelle trilogie époustouflante que Frédéric Paulin consacre à la guerre du Liban et dont on appréhende les premières années avec Nul Ennemi Comme Un Frère, titre évocateur d’une lutte aussi sanglante que fratricide. Alors bien sûr, à l’aune de cette période éditoriale surchargée où l’emploi des superlatifs en tout genre devient monnaie courante en suscitant tout juste un vague haussement d’épaule blasé, il conviendra simplement de mentionner que Nul Ennemi Comme Un Frère fait figure de roman incontournable, bien au-delà de cette simple rentrée littéraire, nous donnant l'occasion de mieux saisir notre époque et plus particulièrement certains aspects des événements actuels frappant cruellement le Proche-Orient qui s’embrase.

     

    Cela fait déjà quelques temps que les milices chrétiennes du Liban voient d'un mauvais œil l'implantation de camps de réfugiés palestiniens, source de toutes les tensions prenant soudainement une tournure dramatique le 13 avril 1975 lorsque leur leader Pierre Gemayel, qui inaugurait une église dans la banlieue est de Beyrouth, est blessé lors d'une fusillade où l'un de ses gardes du corps perd la vie. En guise de représailles, les miliciens mitraillent un bus transitant dans leur périmètre en abattant plus d'une vingtaine de militants palestiniens et chiites. Ainsi débute la guerre civile libanaise dont le diplomate Philippe Kellerman, attaché à l'ambassade de France, va être le témoin en observant l'embrasement d'un pays qui s'enfonce dans une violence aveugle et sans limite. Agent des services de renseignement français, attaché également auprès de l'ambassade, le capitaine Dixneuf se demande si le gouvernement de Giscard et celui de Mitterand qui lui succède sont en mesure d'endiguer cette spirale infernale de luttes fratricides où les alliances se font et défont en fonction des circonstances et des intérêts de chacun. C'est pour y répondre, en tentant de sensibiliser la droite française à la cause chrétienne que le jeune avocat Michel Nada s'installe à Paris tandis que ses frères poursuivent le combat dans les quartiers de Beyrouth. Dans un tel contexte délétère, le chiite Abdul Rassol al-Amine se doute bien que la situation va encore dégénérer tout en préparant déjà ses combattants à une lutte à mort où tous les coups sont permis jusqu'au sacrifice ultime.

     

    Pour certains d'entre nous, il y a encore ces faits d'actualités d'autrefois qui résonnent à l'instar de ce décompte quotidien des jours de détentions des otages du Liban dont les portraits s'affichaient sur nos écrans en préambule du journal télévisé de 20 heures d'Antenne 2 ou de ces attentats et massacres qui ont marqué notre mémoire. On revoit encore ces carcasses des immeubles de Beyrouth ravagés par les explosions. Et puis on se souvient vaguement du nom de ces factions qui s'affrontent avec l'émergence du Hezbollah et des phalanges chrétiennes sans que l'on ne comprenne réellement les enjeux de cette guerre civile d'une cruauté sans limite faisant plus de 200'000 morts sur une période de 15 ans. Sans pour autant devenir un expert en géopolitique spécialisé dans les questions du Proche-Orient et dont les prérequis ne s'avèrent d'ailleurs pas nécessaire pour aborder Nul Ennemi Comme Un Frère, vous allez découvrir dans cette première partie d'une trilogie annoncée, l'enchainement des événements tragiques qui ont émaillé ce conflit armé ainsi que ses répercussions en France au gré d'un récit au rythme soutenu, dépourvu du moindre chapitre et que l'on absorbera d'un traite au bout d'une petite journée de 72 heures tant l'intrigue se révèle passionnante du début jusqu'à une fin provisoire qui nous fera trépigner d'impatience dans l'attente d'une suite qui s'annonce d'ores et déjà prodigieuse. Pariant sur l'intelligence du lecteur ainsi que sur sa concentration, aidé en cela par l'absence d'une cartographie inutile et d'un glossaire bien trop souvent abscons, Frédéric Paulin décline un texte d'une redoutable efficacité et d'une solide précision nous permettant de digérer aisément la multitude de personnages fictifs ainsi que l'ampleur d'une intrigue complexe où la fiction s'agrège habilement à l'actualité de l'époque que ce soit en France et au Liban tout en côtoyant les personnalités de l'Histoire qui ont joué un rôle dans le déroulement de ces événements. Outre les belligérants du Liban et des pays avoisinants, les diplomates désabusés et alcooliques, les dirigeants et responsables politiques aux positions ambivalentes, les agents secrets aux allures de barbouze frayant avec des policiers traquant des groupes terroristes comme Action Directe, on appréciera la personnalité trouble de Zia al-Faqîh, épousant la cause chiite au Liban jusqu'aux extrémités les plus abjectes ainsi que la force de caractère de la juge Sandra Gagliago qui s'investi peu à peu dans les affaires judiciaires en lien avec le terrorisme qui frappe la France. C'est donc autour de l'ensemble du parcours de ces protagonistes que l'on observe cet enchainement d'éclats de violence qui en entrainent d'autres en générant tout un flot de conséquences s'inscrivant dans une logique aussi factuelle qu'infernale que n'aurait pas renié un romancier comme Jean-Patrick Manchette, tandis que l'intensité du texte nous rappelle les récits de James Ellroy tout en étant parsemé de quelques instants lyriques que David Peace aurait sans doute écrit. Mais bien plus que ces références, on dira du style de Frédéric Paulin qu'il est à nul autre pareil avec cette volonté d'aller à l'essentiel au détour d'une écriture cinglante, dépourvue de la moindre fioriture nous permettant d'aborder sans difficulté la chronologie des événements qui ont marqué la guerre du Liban tout en découvrant quelques aspects méconnus de ce conflit à l'instar de ce trafic de stupéfiants de grande ampleur permettant de financer les milices chiites et les phalanges chrétiennes au gré d'une alliance de circonstance plus que surprenante ou de ce contentieux financier conséquent entre la France et l'Iran entrainant des répercussions d'une incroyable violence. Dès lors, on comprendra que Nul Ennemi Comme Un Frère apparaît comme un roman d'une envergure peu commune qui va vous foudroyer de la première à la dernière page et dont on attend les deux autres volumes avec une certaine fébrilité.  

     

    Frédéric Paulin : Nul Ennemi Comme Un Frère. Agullo noir 2024.

    À lire en écoutant : The Rythm Of The Heat de Peter Gabriel. Album : Peter Gabriel (4). 1982 Peter Gabriel Ltd.

  • Nouvelles du front : Jean-Jacques Busino - Emmanuelle Robert - Olivier Beetschen - Stéphanie Glassey/Chrysotome Gourio - Séverine Chevalier - Jérémy Bouquin - Sébastien Gendron - Michèle Pedinielli.


    séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persilAvec Léman Noir, recueil rassemblant des nouvelles d'auteurs romands confirmés, Marius Daniel Popescu est sans doute l'un des acteurs qui a contribué à l'essor de la littérature noire en Suisse Romande. Ecrivain et poète, il est également le fondateur en 2004 du journal littéraire Le Persil, lui permettant de diffuser ses textes, mais qui devient rapidement la tribune libre des auteur novices et confirmés de la Suisse romande. 

     

    Pour l'édition de février 2024, c'est Jean-Jacques Busino qui figure en première page avec Ego Te Absolvo, sublime texte sensible abordant le thème de la fin de vie et de l'euthanasie avec un narrateur passant en revue sa vie de couple, tandis que sa compagne agonise. Comme séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persiltoujours pour l'auteur de Un Café, Une Cigarette (Rivages/Noir 2017) et de Le Ciel Se Couvre (BSN Press 2022), on décèle dans cette nouvelle la
    quintessence de l'humanité de ses personnages extravagants entre ombre et lumière, autour de l'élaboration d'un monde enchanteur qui scelle la complicité d'un couple avec un vieux charpentier quelque peu bourru. 

     

    séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persilDans ce même numéro, on appréciera Le Cortège d'Olivier Beetschen, fulgurante nouvelle évoquant l'enterrement du Général Guisan où l'événement rassemblant tout un peuple oscille subtilement entre faits historiques, souvenirs d'enfance et critique sociale d'un pays où l'on est amené, l'air de rien, à courber l'échine. Auteur d'une trilogie policière aux accents surnaturels se déclinant avec La Dame Rousse (L'âge d'Homme 2017), L’Oracle Des Loups (L'âge d'Homme 2019) et La Nuit Montre Le Chemin (Editions Bernard Campiche 2024), Olivier Beetschen est un romancier aussi audacieux que pertinent qui dépeint avec l'acuité qui le caractérise, le monde qui nous entoure.  

     

    séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persilNouvelle venue au sein du journal Le Persil, on découvre également Le Chien, un récit d'Emmanuelle Robert, l'une des révélation de la littérature noire helvétique avec Malatraix (Editions Slatkine 2021) et Dormez En Peilz (Editions Slatkine 2023). La nouvelle s'articule autour d'une jeune fille composant avec la garde partagée de ses parents divorcés et qui intègre un nouveau quartier tout en soupçonnant ses voisins de maltraitance animale. A noter qu'Emmanuelle Robert sera l'une des invitées du 27ème Festival International du Roman Noir à Frontignan plus communément désigné sous l'appellation emblématique de FIRN désignant l'un des grands événements du polar en France.

     

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    séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persilIl baigne dans le polar depuis toujours avec des récits âpres se déroulant, pour la plupart, dans un environnement rural et qu'il publie auprès de petites maison d'éditions indépendantes comme in8, Caïrn et Caïmans pour son dernier roman Bad Run. A la lecture, de Tu M'As Bien Vu ! texte court, aussi rude que cinglant qui vous percute dès la première ligne et vous achève sur une dernière phrase à l'impact mortel, il y a cette interrogation qui flotte dans l'air : Qu'est-ce que j'attends pour lire les autres romans noirs de Jérémy Bouquin ?

     

    séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persilIl vaut mieux en rire qu'en pleurer, ou peut-être faire les deux lorsque l'on lit les romans de Sébastien Gendron où le côté déjanté de ses intrigues ne fait que mettre en exergue l'absurdité de notre société à l'instar de Fin De Siècle (Série Noire 2022) dystopie sanglante et cruelle, de Camping Paradis (Série Noire 2022) aux allures de western rural ou de son dernier roman Chevreuil (Gallimard/La Noire 2024) revisitant la guerre de Cent Ans au coeur d'un village dont les habitants ont érigé Eric Zemmour comme une icône nationale. Chez Ours Editions, Sébastien Gendron publie Il, récit aux connotations nostalgiques, se déclinant autour d'une construction narrative subtile et plein de sensibilité, où l'on s'interroge sur notre identité à travers le choix du pseudonyme d'un écrivain et des traces qu'il laisse sur un calepin tandis que sa mémoire demeure soudainement en rade après un accident vasculaire cérébral. Sébastien Gendron est un auteur talentueux.

     

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    Jean-Jacques Busino : Ego Te Absolvo. Journal Le Persil. Février 2024.

    Olivier Beetschen : Le Cortège. Journal Le Persil. Février 2024.

    Emmanuelle Robert : Le Chien. Journal Le Persil. Février 2024.

    Stéphanie Glassey/Chrysotome Gourio : Les Fatals En Concert. Ours Éditions. Collection Tête/Bêche 2024.

    Séverine Chevalier : Une Campagne. Ours Editions. Cousu-Main 2024.

    Jérémy Bouquin : Tu M'As Bien Vu ! Ours Editions. Cousu-Main 2023.

    Sébastien Gendron : 1976. Ours Editions. Cousu-Main 2023.

    Michèle Pedinielli : A L'Envers. Ours Editions. Cousu-Main 2023.

    A lire en écoutant : Pendant Que Les Champs Brûlent de Niagara. Album : Religion. 2010 Polydor

  • MARTO PARIENTE : LA SAGESSE DE L'IDIOT. CASSE TOUS RISQUES.

    marto pariente,la sagesse de l’idiot,série noireFranchement, à bien y réfléchir, il faut bien admettre que mes connaissances sont plutôt lacunaires pour tout ce qui concerne la littérature noire hispanique et ses auteurs emblématiques comme Manuel Vázquez Montalbán dont je n'ai lu aucun de ses innombrables romans mettant notamment en scène le fameux détective privé Pepe Carvalho dont il faudra bien que je découvre un jour ses enquêtes entrecoupées de repas pantagruéliques. Ma première incursion dans ces contrées, je la dois à Victor Del Arbol évoquant les réminiscences de la guerre civile d'Espagne avec son premier roman, La Tristesse Du Samouraï (Actes Noirs 2012). Et puis débarque J'ai Été Johnny Thunder de Carlos Zanon que l'on peut considérer comme un roman noir culte publié chez Asphalte Editions grand pourvoyeur d'auteurs issus d'Amérique du Sud et d'Espagne bien sûr, à l'instar d'Andreu Martin et de sa fameuse Société Noire (Asphalte 2016). On peut également se remémorer Monteperdido (Actes Noirs 2017), premier polar marquant d'Augustìn Martìnez nous entrainant dans les entrelacs des rapports complexes entre les habitants d'un village niché au creux du massif des Pyrénées. Si le polar hispanique trouve sa place au sein de nos régions francophones, on constate que son essor n'a pas de comparaison avec la déferlante du polar nordique et anglo-saxon comme l'illustre parfaitement la collection Série Noire recelant une trentaine d'ouvrages d'auteurs espagnols dont La Face Nord Du Cœur (Série Noire 2021) de Dolores Redondo Meira se révélant être un préquel de la fameuse trilogie de la Vallée du Baztan, se déroulant dans la région de la Nouvelle-Orléans avec une enquêtrice espagnole sur la trace d'un tueur en série. Dans un registre totalement différent, en prenant pour cadre la province rurale de Guadalajara où il vit, on saluera l'arrivée de Marto Pariente au sein de la collection avec La Sagesse De L'Idiot, véritable souffle nouveau pour un récit explosif aux tonalités à la fois âpres et désopilantes nous rappelant, pour certains aspects, Pottsville, 1280 Habitants (Rivages/Noir 2016) de Jim Thompson.

     

    On ne sait pas trop comment Toni Trinidad est parvenu à obtenir son diplôme de flic, lui qui s'évanouit à la vue de la moindre goutte de sang. Toujours est-il qu'il est devenu l'unique policier municipal du village d'Asturias et que sa principale activité consiste à surveiller la circulation lorsque les enfants sortent de l'école en fin d'après-midi. Une vie faite de routine, idéale pour cet homme qui passe pour l'imbécile de service et qui ne porte jamais d'arme. Mais Toni doit faire face à bien des difficultés avec la mort un peu étrange de son ami Triste que l'on a retrouvé pendu à un arbre tandis que sa sœur Vega, unique propriétaire d'une casse automobile depuis la disparition de son mari, doit faire face aux velléités de l'Apiculteur, un trafiquant de drogue brutal et sans pitié à qui elle a dérobé une cargaison de came en croyant que c'était du fric. En voulant savoir ce qu'il est vraiment arrivé à son ami et vouloir protéger sa sœur, Toni se retrouve embringué dans des histoires de règlements de compte entre trafiquants déjantés, tueurs à gage impitoyables et promoteurs immobiliers douteux qui vont croiser sa route pour son plus grand regret mais également pour leur plus grand malheur. 

     

    Egalement auteur de romans noirs, dont certains publiés au sein de la collection La Noire des éditions Gallimard, on doit saluer la traduction de Sébastien Rutés ayant parfaitement saisi l'essence d'un texte comme La Sagesse De L'Idiot pour nous en restituer toute la quintessence, propre au genre, dans sa version française. Mais il faut également relever le véritable talent de Marto Pariente à construire une intrigue au rythme explosif pour mettre en scène toute une galaxie des personnages truculents dont les actes vont s'entrechoquer au détour d'une succession de confrontations dont certaines vont virer à la pantalonnade vacharde, ceci pour notre plus grand plaisir sadique. Néanmoins, il convient de souligner, que La Sagesse De L'Idiot va bien au-delà d'une simple bouffonnerie puisque l'auteur prend également la peine de soulever quelques aspérités du contexte sociale dans lequel évolue l'ensemble des protagonistes. Ainsi, de la région de Guadalajara, située au centre de l'Espagne, on découvre les accointances entre les banques et les milieux de l'immobilier pour faire davantage de profit tandis que certains propriétaires terriens touchent des subsides grâce à des plantations qu'ils laisseront pourrir sur pieds en s'épargnant ainsi les frais et les efforts d'une récolte qui ne leur rapporterait rien. Tout cela, on le perçoit par le biais du regard de Toni Trinidad, ce flic municipal que l'on prend volontiers pour un imbécile alors qu'il se révèle un peu plus perspicace qu'il n'y paraît, même s'il fait preuve parfois d'une maladresse crasse qui va avoir un impact sur l'ensemble de son entourage et des individus qu'il croise sur son chemin. C'est bien évidemment cette dynamique que l'on apprécie et que Marto Pariente met en scène de manière habile en nous permettant de saisir l'ensemble des rapports qui régissent les interactions entre cette succession de bûcherons reconvertis en exécutant des basses œuvres, de trafiquants au bord de la faillite, de promoteurs véreux et d'un tueur à la foi immodérée et dont découvre certains aspects au gré d'un épilogue savoureux révélant tout un lot d'éléments surprenants que l'on ne voit pas venir. Et puis pour en revenir à Toni Trinidad, on appréciera toute l'affection qu'il éprouve pour sa sœur Vega, quelque peu portée sur la bouteille, nous entraînant sur un registre un peu plus émouvant, donnant encore plus de relief à l'ensemble du récit, tandis que l'on plonge dans ses souvenirs d'enfance pour mettre à jour les épreuves auxquels ils ont dû faire face, sources de traumatismes indélébiles. Ainsi, au gré d'un texte affuté comme la lame tranchante d'un cran d'arrêt, l'émotion se conjugue avec l'humour et cette férocité parfois cruel dans un mélange parfait qui font de La Sagesse De L'Idiot un récit détonant nous permettant d'affirmer que Marto Pariente devient une des voix originales du roman noir espagnol qu'il convient de découvrir toutes affaires cessantes.  

     

    Marto Pariente : La Sagesse De L'Idiot (La Cordura Del Idiota). Editions Gallimard/Série Noire 2024. Traduit de l'espagnol par Sébastien Rutés.

    A lire en écoutant : Hijo De La Luna de Mecano. Album : Entre el Cielo y el Suelo. 2005 BMG Rights Management and Administration (Spain) S.L.U.

  • JURICA PAVIČIĆ : LE COLLECTIONNEUR DE SERPENTS. GUERRE ET PAIX.

    jurica pavičić,agullo court,le collectionneur de serpentsOn ne compte plus les découvertes littéraires enthousiasmantes de la maison d'éditions Agullo nous entraînant aux quatre coins de l'Europe avec une prédisposition marquée pour les auteurs des pays de l'Est et plus particulièrement du côté de la Pologne avec la rencontre et le succès phénoménal de Zygmunt Miloszewski publié chez Mirobole quand Nadège Agullo y travaillait encore en tant qu'éditrice avant de créer l'entreprise à son nom où elle met en valeur les romans policiers de Wojciech Chmielarz, autre romancier polonais reconnu. Peut-être moins visibles, mais pas moins passionnants, en ce qui concerne notamment la littérature noire, il y a eu des escapades dans d'autres contrées comme la Roumanie avec Bogdan Teodorescu, la Slovénie avec Arpad Soltesz et un retour en Pologne avec Magdelana Parys qui séjourne désormais à Berlin tout comme Maryla Szymiczkowa, nom de plume d'un couple d'auteurs gays. Beaucoup plus médiatisée, c'est l'arrivée de Jurica Pavičić, en tant que premier auteur de polar croate traduit en français, qui a suscité un intérêt certain avec L'Eau Rouge (Agullo 2021) vaste panorama de l'histoire contemporaine du pays se déclinant sur un brillant registre de roman choral aux tonalité intimistes récompensé du Prix du polar européen et du Grand prix de littérature policière. Son précédent roman, La Femme Du Deuxième Etage publié en 2022 par Agullo, tout aussi remarquable et remarqué d'ailleurs, s'articule autour de l'anatomie d'un fait divers et de la mutation d'une société en suivant le parcours d'une femme purgeant sa peine de prison pour avoir empoisonner un membre de sa famille, avant de s'exiler sur une de ces petites îles que l'on trouve au large de la Croatie. Et puis de manière plus frontale, Jurica Pavičić dépeint les fracas de la guerre de Yougoslavie dans une première nouvelle intitulée Le Collectionneur De Serpents donnant son titre au recueil rassemblant quatre autres récits imprégnés des échos de ce conflit fratricide dont les répercussions bouleversent le destin de ces femmes et de ces hommes de l'ordinaire.

     

    Le Collectionneur De Serpents.
    En 1992, les combattants se terrent dans des tranchées pour faire face aux soldats monténégrins dans un échange quotidien de tirs et de bombardements. Et puis c'est un jeune garçon qui débarque dans son uniforme trop grand en étant chargé de manipuler des missiles filoguidés antichars. Un peu comme dans jeu vidéo. Mais quand il faut abattre des prisonniers trop encombrants la guerre n'a plus rien d'un jeu. 

    Le Tabernacle.
    Niko a bataillé pendant quinze ans pour récupérer l'appartement dont il était le propriétaire mais dont il ne pouvait avoir l'usufruit  car occupé par M. Vujnović, un vétéran de la guerre qui avait obtenu gain de cause devant les tribunaux. Néanmoins, à la mort de ce locataire encombrant, Niko peut désormais entamer les travaux. Mais lors de la rénovation, il découvre une pièce étrange aux allures de sanctuaire.

    La Patrouille Sur La Route.
    Policier officiant dans la petite localité d'Imotski, Josip Jonjić patrouille non loin de l'Herzégovine en se remémorant ses rapports houleux avec son frère Frane, un ancien soldat qui s'est reconverti dans la contrebande et le trafic de drogue. 

    La Soeur.
    Ne pouvant racheter la part de sa soeur, Margita s'apprête à céder la vieille demeure insulaire de son grand-père à une architecte de Rijeka. En faisant visiter la maison familiale, Margita se remémore les souvenirs avec son aïeul ainsi que tout ce qui la sépare de sa soeur Marija qui vit dans la lointaine Belgrade, devenu un autre pays après la guerre.

    Le Héros.
    Robert séjourne dans un petit village situé non loin de l'Herzégovine. En tant que géomètre, il est chargé de mesurer la frontière en vue du nouveau poste-frontière que l'on va bâtir dans le cadre des accords Schengen. Mais tandis qu'il parcourt la région, Robert semble être à la recherche de quelque chose … ou de quelqu'un. 

     

    Il faut bien avouer que l'on reste, une fois encore, complètement saisi par la maîtrise de l'écriture du Jurica Pavičić parvenant à restituer d'une manière magistrale les affres de la guerre de Yougoslavie au détour de ces cinq nouvelles composant Le Collectionneur De Serpents où l'on passe de l'atrocité "ordinaire" des champs de bataille, en s’attardant sur les rancoeurs qui en découlent au sein des familles, pour s'achever sur une espèce de solde de tout compte en traquant ceux qui se sont livrés au pires exactions durant cette période tragique. Et sans grandiloquence, sans excès, l'auteur décline cette tragédie dans la banalité d'un quotidien que les événements de l'histoire bouscule plus ou moins soudainement comme en témoigne ces hommes mobilisés intégrant le front en quelques jours à peine, pour faire face aux assauts de l'ennemi tout en perdant pied, peu à peu, dans le fracas des combats. On devine ainsi cette dichotomie entre la vie journalière et l'impact de la guerre dont on perçoit la douleur insidieuse qui laboure le coeur des membres de ces communautés s'accommodant tant bien que mal aux nouvelles frontières qui se sont dessinées. Sur des registres bien différents et toujours avec cette sobriété caractérisant l'auteur, on ressent également cette somme de regrets et de tristesse émanant de l'ensemble des personnages traversant les différentes nouvelles qui semblent se télescoper les unes les autres, au détour d'un assemblage élaboré avec une indéniable habilité nous permettant d'assimiler l'intégralité des incidences de cette guerre qui va déchirer et dissoudre des familles entières. Mais au delà de la tragédie, on retrouve, dans Le Collectionneur De Serpents, cette humanité et cette lueur d'espoir émergeant en filigrane au sein de cette atmosphère méditerranéenne si caractéristique imprégnant ces cinq récits bouleversants où l'ombre côtoie la lumière dans un agencement narratif d'une remarquable intensité. 

     

    Jurica Pavičić : Le Collectionneur De Serpents (2008 : Skupljać zmija,Patrola na cesti - 2013 :Tabernakul, Heroj, Sestra). Editions Agullo Court 2023. Traduit du croate par Olivier Lannuzel.

    A lire en écoutant : Ista Slika de Darko Rundek. Album : Ruke (Remastered 2022). 2022 Menart.

  • PIERRE PELOT : LOIN EN AMONT DU CIEL. DU SANG ET DE LA BOUE.

    loin en amont du ciel, pierre pelot, éditions gallimard, collection la noireA la fin des années 60, Sergio Leone règne en maître dans le domaine du western avec des films emblématiques et légendaires comme Le Bon, La Brute Et Le Truand ou Il Etait Une Fois Dans L'Ouest qui marqueront d'une manière indélébile l'histoire du cinéma. La BD francophone n'est pas en reste puisque l'on assiste à l'émergence du Lieutenant Blueberry scénarisé par Charlier et dessiné par Giraud tandis qu'au début des années 70, Hermann se lance, avec Greg au scénario, dans la série Comanche et que Michel Blanc-Dumont et Laurence Harlé mettent en scène les aventures de Jonathan Cartland et puis qu'apparait le personnage de Buddy Longway créé par Derib. A la même époque, s’inscrivant dans cette effervescence du genre, il faut également compter sur Pierre Pelot débutant sa carrière de romancier avec une série mettant en scène Dylan Stark un métis moitié cherokee, moitié français qui, au terme de la guerre de sécession, se jette à corps perdu dans une longue quête de vengeance après avoir découvert, en revenant au pays, que toute sa famille a été massacrée. Au gré des 22 ouvrages publiés, on remarquera que certains d'entre eux sont illustrés par Hermann tandis que dans d'autres publications on trouvera les dessins de Michel Blanc-Dumont ou de Michel Auclair, autre auteur de BD, qui se distinguera avec les aventures de Simon Du Fleuve, dans un genre post-apocalyptique aux allures de western. On notera que l'ensemble de la série Dylan Stark n'est malheureusement plus disponible mais que l'on peut les retrouver sur le marché de l’occasion, en constatant d'ailleurs que le 17ème volume, Le Tombeau De Satan (Marabout 1969), est préfacé par Hergé. Après cette incursion notable dans le western, il sera difficile de résumer la suite de la carrière littéraire de Pierre Pelot s'étalant sur plus de cinq décennies en publiant pas moins de deux cents ouvrages pour s'aventurer sur des registres variés tels que la science-fiction, le polar, le roman noir mais également du côté de la littérature blanche avec ces phrases redoutables, presque sans fin qui envoûtent le lecteur en l’entrainant dans la splendeur d'un récit tel que Braves Gens Du Purgatoire (Héloïse d’Ormesson 2019) dont on retrouvera les caractéristiques dans Loin En Amont Du Ciel, dernier ouvrage de l'auteur qui renoue avec le western aux accents crépusculaires où apparaît, de manière lointaine, la silhouette de Dylan Stark dont la trajectoire s’insinue dans celle de trois sœurs se lançant à la poursuite de la bande de renégats qui ont pillé leur ferme et assassiné leurs proches.

     

    Si la guerre de Sécession a pris fin et que le pays se reconstruit peu à peu, on voit apparaître des anciens combattants qui se sont reconvertis dans le meurtre et le pillage en formant des bandes de hors-la-loi sans foi ni loi. L'une d'entre elles est commandée par Captain Sangre de Cristo qui peut notamment compter sur l'appui d'une sorcière sanguinaire que ses comparses surnomment Mother. Déferlant désormais dans la vallée des Orzak, cette horde de pillards sèment terreur et désolations en s'en prenant plus particulièrement aux fermes isolées, dont celle appartenant à la famille McEwen après avoir massacré les parents ainsi que la cadette des filles sous le regard impuissant des trois sœurs survivantes. Bien décidées à se venger, Enéa McEwen ainsi que les deux jumelles Aïleen et Erin vont traquer sans relâche chaque membre de cette bande de renégats qui poursuivent leurs exactions dans tous les recoins des états du Sud. Ainsi, au fil de leur périple, les sœurs McEwen croisent d'autres femmes, également victimes de cette horde sauvage, qui se joignent à leur croisade vengeresse où le fracas des armes rugira pour solde de tout compte.

     

    Dans la collection La Noire on trouve notamment Méridien De Sang (Gallimard/La Noire 1992) de Cormac McCarthy et Deadwood (Gallimard/La Noire 1994) de Peter Dexter, représentatifs de ce fameux courant western gothique caractérisant ces deux romans légendaires. Il y a donc une cohérence certaine à ce que Pierre Pelot intègre cette collection mythique avec ce western aux accents âpres et crépusculaires dont il décline l'atmosphère à la fois lourde et violente au détour d'un texte tempétueux et d'une saisissante intensité s'articulant autour de la destinée des trois soeurs McEwen bien décidées à faire payer le prix fort à tous ceux qui ont massacré leur famille. Et puis, comme une mise en abime vertigineuse, on observe également le parcours d'Anton Deavers, journaliste pour The True Republican New Chronicle et qui a déjà rédigé les aventures du lieutenant Dylan Stark pour s'intéresser désormais au devenir de ces trois femmes qui ont pris les armes pour former une milice comptant de nombreuses comparses qui s'abattent sur leurs adversaires avec une farouche détermination. Et comme pour donner davantage d'assise et de réalisme au récit, Pierre Pelot convoque la personnalité historique de William Quantrill qui dirigea une horde déchaînée de hors-la-loi sévissant dans le Missouri et le Kansas et dont certains membres formèrent par la suite le redoutable gang James-Younger. Avec un tel personnage, l'auteur s'inspire de cette sauvagerie, propre à l'époque, pour mettre en scène les exactions de Captain Sangre De Cristo, ancien membre de la bande Quantrill, et de Mother, une furie sanguinaire qui éprouve une certaine prédilection à éventrer tous les individus qu'elle croise, en lançant quelques imprécations furieuses pour invoquer tous les démons de l'enfer. Tout cet ensemble s'embrase au détour d'un texte aux longues phrases tumultueuses que l'auteur façonne avec cette passion sans égale du mot juste dont il reprend parfois à son compte la signification pour l'insérer parfaitement dans la scène qu'il dépeint, que ce soit ces paysages majestueux, ces recoins sordides et bien évidemment ces éclats d'une violence flamboyante et outrancière comme en témoigne le pillage de la ferme McEwen ou le règlement de compte entre Enéa et Mother prenant une allure dantesque au cour d'un affrontement déchainé entre bandes rivales s'affrontant au sein d'un saloon ravagé par la multitude de coups de feu qui éclatent de toute part. Ainsi, Pierre Pelot, en pleine maitrise de la langue et du récit, vous entraine dans la sauvagerie de cette période tumultueuse au gré d'une succession d'événements d'une envergure peu commune vous coupant le souffle et vous laissant sans voix au milieu de ces éclats de boue et de sang qui semblent toujours vous coller à la peau même une fois l'ouvrage terminé.

     

    Pierre Pelot : Loin En Amont Du Ciel. Editions Gallimard/Collection La Noire 2023.

    A lire en écoutant : You Will Be My Ain True Love de Alison Krauss. Album : A Hundred Miles Or More: A Collection. 2007 Rounder Records.

  • Laurent Petitmangin : Les Terres Animales. Ceux qui restent.

    laurent petitmangin,les terres animales,la manufacture de livresOn se souvient encore de cet engouement général pour Ce Qu’il Faut De Nuit (La Manufacture de livres 2020), premier roman de Laurent PetitMangin qui raflait une vingtaine de prix de la rentrée littéraire de 2020. Oscillant entre la chronique sociale et le roman noir en se déroulant dans la région de sa Lorraine natale, on relevait cette pudeur et cette émotion que l’auteur distillait autour des relations entre un père cheminot aux convictions syndicales bien ancrées et un fils tenté par les dérives de l’extrémisme de droite, en s’inscrivant ainsi sur certains thèmes abordés par Nicolas Mathieu issu de ces mêmes contrées lorraines. Écrivant depuis au moins une dizaine d’année sans jamais être publié, Laurent Petitmangin proposait aux éditeurs, en même temps que Ce Qu’il Faut De Nuit, un texte intitulé Ainsi Berlin (La Manufacture de livres 2021) en changeant totalement de registre puisqu’il abordait le genre de l’espionnage de l’après-guerre autour d’une relation amoureuse. Publié au début de l’année 2021, la visibilité de ce roman fut probablement quelque peu occultée par la continuité du succès du premier ouvrage dont on parle encore aujourd’hui. Les aléas du succès sans doute. Mais il est temps de se tourner vers Les Terres Animales, nouveau roman de Laurent Petitmangin qui change une nouvelle fois de genre avec un récit dystopique où l’on rencontre une petite communauté persistant à rester dans une région irradiée suite à l’explosion d’une centrale nucléaire, en s’inspirant notamment d’un reportage s’intéressant à ces personnes âgées voulant à tout prix continuer à vivre à Fukushima en dépit des risques engendrés.

     

    Ça a finit par arriver. La centrale a explosé. L’équivalent de dix Fukushima avec une région qu’il a fallu évacuer pour fuir les radiations. Une zone condamnée, silencieuse où certains ont pourtant choisi de rester malgré tout, attachés qu’ils sont par les souvenirs. Et puis il y a le corps de Vic qui repose dans cette terre contaminée, la fille que Sarah et Fred ont perdu bien avant l’accident de la centrale. Un attachement viscéral auquel s’associe les amis de longue date que sont Marc et Lorna, ainsi qu’Alessandro. Ils forment un groupe soudé qui leur permet de survivre sur ce territoire empoisonné où ils côtoient quelques anciens ainsi qu’une douzaine de migrants estimant que pour eux il n’y a pas d’ailleurs que cette terre animale et désormais indomptable. L’avenir est donc tout tracé pour ces femmes et ces hommes qui vont pourtant devoir remettre en cause leurs certitudes à la survenue d’un événement qui va bouleverser leur existence. 

     

    On recommandera tout d'abord d'éviter de s'attarder sur le résumé du quatrième de couverture dévoilant trop d'éléments de l'intrigue. Tout comme Ce Qu'il Faut De Nuit, on constatera que Les Terres Animales est un roman assez bref où Laurent Petitmangin ne s'embarrasse pas de détails. Ainsi, hormis la beauté vénéneuse du paysage et ce sentiment de liberté qui s'en dégage malgré tout, on ne saura rien de l'aspect géographique de la région dans laquelle évolue cette communauté qui fait le choix de rester dans cette atmosphère irradiée, tout comme l'on ignorera les circonstances de l'accident de cette centrale nucléaire ainsi que l'évacuation qui s'ensuit à l'exception de quelques détails en rapport avec les maisons abandonnées comme figées par la catastrophe. Essentiellement concentré sur l'humain, Laurent Petitmangin décline son récit sur une alternance des points de vue de Fred et de Sarah en définissant ainsi leur quotidien ainsi que les rapports qu'ils entretiennent avec Alessandro et l'autre couple que forme Marc et Lorna en prenant également la mesure des raisons tout de même insensées qui les poussent à vivre ou plutôt survivre au coeur de ce territoire empoisonné qui ne laisse que peu d'espoir quant à leur devenir. Devant l'absence de rationalité d'une telle décision, on ne peut donc raisonnablement pas vraiment s'attacher à ces personnages qui nous bouleversent tout de même au gré des événements auxquels ils vont devoir faire face en bousculant leur périlleuse routine, tout en remettant en cause leurs motivations respectives qui les ralliaient plus particulièrement autour de la destinée de Sarah. Avec cette belle écriture poétique qui caractérise son texte, Laurent Petitmangin met en place cette espèce de léthargie qui enveloppe ce groupe engoncé dans des certitudes ataviques qui perdent brutalement tout leur sens, au rythme d'une succession de drames dont on prendra toute la mesure au terme d'un épilogue chargé d'une émotion parfaitement contenue ce qui la rend d'autant plus poignante. L'intrigue prend également une forme admirable autour des non-dits et plus particulièrement du vertige des ellipses temporelles entre les chapitres qui ne font que renforcer l'intensité des péripéties qui vont marquer les membres de ce groupe qui se révélera beaucoup plus fragile qu'il ne le laisse paraître en révélant toutes les failles de ces personnages qui se révéleront dans tout le poids de leur humanité tragique et que le regard extérieur des membres de cette communauté d'Ouzbeks qu'il côtoient ne fait que renforcer, en devenant ainsi les témoins impavides des malheurs qui frappent ces terres animales. Avec Les Terres Animales, Laurent Petitmangin dépeint, de manière remarquable, cet attachement viscéral au territoire autour de l’amitié qui se désagrège dans les entrelacs de la déraison et des certitudes aveugles.

     

    Laurent Petitmangin : Les Terres Animales. Editions de la Manufacture de livres 2023.

    A lire en écoutant : Lullaby For Caïn de Shinead O'Conor et Gabriel Yared. Album : The Talented Mr. Ripley (Music from th Motion Picture). 1999 Sony Music Entertainment.

  • IVY POCHADA : CES FEMMES-LÀ. CELLES QUE L'ON OUBLIE.

    ivy pochada, ces femmes-la, éditions globesIl faut le savoir, de plus en plus de maisons d'éditions publient des polars, des romans noirs et même des thrillers sans pour autant en faire mention dans une collection particulière. Dans ces cas particuliers, on observe qu'il s'agit pour la plupart du temps de récits qui s'inscrivent à la lisière des genres avec une connotations fortement marquée sur les dérives sociales que leurs auteurs s'emploient à dénoncer. En partant de ce constat, on s'intéressera donc plus particulièrement aux ouvrages de la maison d'éditions Globe qui avait déjà défrayé la chronique avec La Note Américaine (Globe 2018) de David Grann, un récit portant sur la série de meurtres frappant la population autochtone des Osages dans les années 20 et qui a récemment fait l'objet d'une adaptation pour le cinéma réalisé par Martin Scorcese. Dans un registre similaire, il faut impérativement découvrir Ces Femmes-Là, dernier roman d'Ivy Pochada qui figure sans nul doute parmi les meilleurs romans de l'année 2023 avec un thriller solide et pertinent aux connotations féministes pleinement assumées tout en s'articulant autour des méfaits d'un tueur en série. Il faudra faire fi des a priori concernant ce fameux personnage de serial-killer, qui a fait l'objet d'un foisonnement de récits ineptes suscitant une certaine lassitude pour bon nombre de lecteurs, car en bousculant tous les codes propres au genre, Ivy Pochada met en exergue le parcours des victimes et de leur entourage pour souligner l'absence d'écoute dont ces femmes font l'objet, ceci sans pour autant négliger l'aspect palpitant d'une intrigue policière d'une rare intensité.


    En 1999, du coté de West Adams, un quartier miteux de la partie sud de la ville de Los Angeles, Feelia tente de faire entendre sa voix de survivante parmi les treize prostituées qu'un individu a sauvagement assassiné sans que cela ne suscite aucun écho auprès des services d'une police semblant peu encline à écouter le témoignage d'une victime ne suscitant que mépris et indifférence. Mais après une interruption de quinze ans, les crimes recommencent avec la découverte, en l'espace de dix-huit mois, des corps de quatre femmes dont la gorge a été tranchée et la tête recouverte d'un sac en plastique. En adoptant le point de vue de Dorian, mère d'une des victimes, de Julianna, travaillant comme danseuse dans un bar sordide du quartier, d'Essie, une policière des moeurs qui semble être la seule à se pencher sur cette série de meurtres, de Marella, une artiste s'intéressant également au sort des victimes pour adopter une démarche artistique et d'Anneke, une mère au foyer aux idées bien arrêtées, on découvre la voix de celles que personne n'écoute mais qui semblent posséder, pour chacune d'entre elles, une partie des éléments qui permettront de faire la lumière sur ce meurtrier qui continue d'agir dans l'indifférence générale.

     

    On parle tout d'abord de personnages hors du commun qu'Ivy Pochada décline autour de la magnifique personnalité de ces six femmes composant ce roman chorale doté d'une trame narrative absolument bluffante s'articulant autour des actes de ce tueur qui n'aura d'ailleurs jamais la parole. C'est le parti pris d'Ivy Pochada que de laisser s'exprimer celles que l'on entend jamais. Et quelles personnalités extraordinaires on découvre notamment autour du parcours détonnant de la lieutenante Essie Perry de la brigade des Moeurs circulant désormais à vélo dans la ville de Los Angeles, suite au traumatisme d'un accident de voiture dont elle a été victime. Une enquêtrice mise de côté au sein de son unité qui prend tout de même le temps de recueillir le témoignage de Feelia, une personnalité haute en couleur, qui va devenir le fil conducteur de cette intrigue oscillant entre les événements de 1999 et de 2014. Il faut également mettre en exergue les rapports entre Dorian Williams qui ne s'est jamais remise de la perte de sa fille et Julianna, cette strip-teaseuse aspirant à une autre vie en prenant des photos de l'environnement dans lequel elle évolue. Tout aussi nuancé, on prendra la mesure des rapports complexes qu'entretient Marella, jeune plasticienne ambitieuse, avec sa mère Anneke incarnant la rigueur d'une mère au foyer devant protéger à tout prix les membres de sa famille exposée aux turpitudes d'un monde qu'elle rejette alors que sa fille choisit de le mettre en scène dans un happening violent prenant pour cadre la série de meurtres qui frappe le quartier. Il faut également évoquer l'intrigue policière de haute volée s'inscrivant dans un registre social qu'Ivy Pochada met en place avec une rare intelligence et une sensibilité exceptionnelle en nous permettant d'arpenter ce quartier atypique de Los Angeles dont il faut souligner l'atmosphère tout en tension se dégageant d'un environnement urbain en plein déclin. En ajoutant que le récit se révèle bien plus surprenant qu'il n'y paraît, Ces Femmes-Là peut être considéré, sans l’ombre d’un doute, comme l'une des plus belles découvertes de l'année 2023 avec un roman noir passionnant et d'une force peu commune que l'on n'oubliera pas de sitôt.

     

    Ivy Pochada : Ces Femmes-Là (These Women). Editions Globe 2023. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Adélaïde Prodon.

    A lire en écoutant : 6 Underground de Reverie. Album : Quicksand (Remastered 2023). 2023 Satori Mob Record.