VALERIO VARESI : LA MAISON DU COMMANDANT. REVOLUTION PERDUE.
L'air de rien on s'achemine déjà vers le sixième volume des enquêtes du commissaire Soneri débutant avec Le Fleuve Des Brumes, un roman à l'atmosphère envoûtante se déroulant sur les bords du Pô. Ce roman signait, il y a de cela cinq ans, les débuts de la maison d'éditions Agullo en devenant ainsi le fer de lance de cette collection noire avec une série policière emblématique rivalisant avec Andrea Camilleri et son commissaire Montalbano appréciant tout comme Soneri la bonne chère ou Maurizio De Giovanni et son commissaire Ricciardi partageant la même aversion pour le fascisme ordinaire qui sévit aussi bien à Naples que du côté de Parme, ceci en dépit des années qui séparent les deux séries. Mais du point de vue social et philosophique, c'est du côté de Giorgio Scerbanenco que l'on s'achemine en repensant à sa formidable série de quatre titres mettant en scène Duca Lamberti, médecin déchu qui se reconvertit en détective privé en ne cessant pas de s'interroger sur les motivations qui poussent certains individus à commettre l'irréparable. Mais pour en revenir au commissaire Soneri, on retrouvera avec La Maison Du Commandant cette ambiance embrumée de la région de la bassa, la basse plaine d'un Pô en crue qui va révéler quelques secrets remontant à la Seconde Guerre Mondiale pour nous rappeler, par certains aspects, les paysages qui nous charmaient dans Le Fleuve Des Brumes.
Le commissaire Soneri est l'un des rares policiers à connaitre la bassa, cette plaine gorgée de brume et d'eau en subissant régulièrement les débordements du Pô en crue. Outre des braquages de banque qui deviennent de plus en plus fréquents dans la région, le commissaire Soneri à fort à faire ceci d'autant plus que l'on découvre, partiellement immergé au bord du fleuve, le corps sans vie d'un pêcheur d'origine hongrois, tué d'une balle dans la tête. Et puis non loin de là c'est également le cadavre décomposé d'un ancien partisan que l'on retrouve dans sa maison où il vivait reclus. Des affaires en apparence sans lien qui trouveront peut-être leur origine autour d'une sombre histoire de trésor de guerre ou dans l'affrontement entre les autochtones et les pêcheurs venus de l'est. Sur fond de surexploitation des richesses que peut offrir le fleuve qui subit les rejets d'industriels sans scrupule, Soneri mesure le désarroi d'une population qui a perdu toutes ses illusions.
Ancien journaliste, mais également professeur en philosophie, on perçoit tout au long de l'oeuvre de Valerio Varesi ces échanges philosophiques qui émaillent les rencontres du commissaire Soneri avec les protagonistes qui croisent son chemin. On le distingue tout particulièrement avec La Maison Du Commandant qui permet au policier de débattre sur la légitimité d'actions délictueuses dans un environnement étatique particulièrement corrompu. Ainsi au gré de ses discussion avec Nocio figure locale de cette région de la bassa ou de Carega, professeur à la retraite, le policier perçoit la détresse des habitants face à une situation environnementale dégradée qui va de pair avec un tissu économique sur le déclin. C'est donc autour de ce constat social désastreux que va s'articuler une enquête aux entournures troubles et marécageuses à l'image de cette région embrumée où le Pô s'épanche au gré des crues et décrues qui livrent quelques indices venant à point nommé pour Soneri qui dirige la grande partie de ses investigations par le biais de conversations téléphoniques avec ses adjoints qu'il dirige ainsi à distance tout en se déambulant sur les digues du fleuve en compagnie de la belle Angela avec qui il partage quelques repas savoureux au Stendhal, suivis d'étreintes à la fois passionnées et furtives. L'autre thème du roman aborde cette montée du fascisme incarné par de jeunes individus qui ont perdu leurs illusions en se tournant vers le repli sur soi et l'exclusion pour s'en prendre, entre autre, à ces pêcheurs venus de l'est qui ne respectent pas les normes imposées. Une injustice qui suscite incompréhension et fureur quand ce n'est pas le désarroi qui prend le pas sur ces sentiments contrastés. C'est également l'occasion pour Valerio Varesi d'évoquer une certaine désillusion dans les rangs des partisans, à l'image du commandant Manotti que l'on retrouve mort depuis plusieurs jours alors qu'il vivait reclus, abandonné de tous, dans une vieille demeure qui va livrer quelques secrets.
Nouvelle enquête mélancolique du commissaire Soneri, La Maison Du Commandant ne fait que confirmer le talent d'un auteur qui nous fascine à grand coup d'atmosphère embrumée et d'enquêtes tortueuses, révélant le malaise social qui mine cette attachante région de l'Emilie-Romagne tandis que le Pô draine le désespoir d'habitants désemparés.
Valerio Varesi : La Maison Du Commandant (La Casa Del Commandante). Editions Agullo/Noir 2021. Traduit de l'italien par Florence Rigollet.
A lire en écoutant : The Man Who Owns The Place de Balthazar. Album : Rats. 2012 Play it Again Sam PIARS.