MICHELE PEDINIELLI / VALERIO VARESI : CONTREBANDIERS. POUR UNE POIGNEE DE CIGARETTES.
Il est paru au début de l'année, à l'occasion du festival des Quais du Polar à Lyon où les organisateurs, en collaboration avec les éditions Points, mettent en place, depuis plusieurs années, des projets d'écriture à quatre mains entre deux auteurs de deux pays différents afin de mettre en exergue les différences culturelles dont on découvre certains aspects dans une alternance de chapitres qui s'inscrivent dans un genre policier bien évidemment. Pour les éditions précédentes on s'aventurait entre Lyon et Manchester avec Le Steve McQuenn (Points 2024) de Tim Willocks et Cary Ferey, entre la France et l'Allemagne avec Terminus Leipzig (Points 2022) de Jérôme Leroy et Max Annas, entre la Roumanie et la France avec Le Coffre (Points 2019) de Jacky Schwartmann et Luician-Dragos Bogdan et pour finir entre Barcelone et Lyon avec L'Inconnue Du Port (Points 2023) d'Olivier Truc et Rosa Montero. Pour cette année, ce sont deux grandes figures de la littérature noire, à savoir Michèle Pedinielli et Valério Varesi qui nous ont concocté avec Contrebandiers, une intrigue prenant pour cadre cette région frontalière des Alpes entre la France et l’Italie. La nouvelle est d’autant plus réjouissante qu’à la lecture de leurs œuvres respectives que ce soit la série Boccanera Pour Michèle Pedinielli ou la série Soneri pour Valério Varesi, on perçoit une affinité évidente entre ces deux écrivains engagés, rejaillissant dans cette admiration réciproque qui était manifeste durant le festival Toulouse Polar du Sud où ils étaient tous deux présents en tant que marraine et le parrain de cette édition 2025.
C'est un peu l'effervescence sur le versant italien des Alpes, avec la découverte du corps sans vie d'un individu que la police identifie rapidement comme étant le nommé Léonardo Morandi, malgré le fait qu'il a été sauvagement défiguré. On signale également dans plusieurs bergeries des environs, des stocks importants de cigarettes de contrebande. Au même moment, du côté français, Suzanne Valadon, une accompagnatrice de montagne chevronnée, retrouve un jeune ressortissant du Burkina Faso complètement frigorifié qui tentait étrangement de retourner en Italie. Tant bien que mal, elle parvient à porter sur son dos le jeune réfugié, à moitié inconscient, pour se rendre au refuge tenu par Fabien. Le garçon aurait-il quelque chose à voir avec le meurtre qui vient de se produire ? De part et d'autre de la frontière, chacun s'évertue à faire la lumière sur ces événements le plus rapidement possible car les premières neiges s'abattent sur la montagne ce qui rend les investigations bien plus périlleuses dans un environnement où les contrebandiers croisent la route des réfugiés ce qui suscite bien des tensions.
Que ce soit dans La Main De Dieu (Agullo 2022) de Valério Varesi ou Après Les Chiens (Aube noire 2021) de Michèle Pedinielli, il était déjà question de cet environnement montagnard que l'on retrouve donc dans Contrebandiers où apparaissent les thèmes sociaux de la migration ainsi que les aspects peu reluisant de la contrebande, bien éloignée de l'image folklorique que l'on a pu s'en faire avec un personnage comme Farinet que Ramuz a mis en scène dans son roman éponyme. Ce qu'il émane donc d'un récit comme Contrebandiers c'est cette avidité du gain illicite permettant d'améliorer l'ordinaire de certains montagnards d'une région où l'on perçoit quelques aspects du désarroi économique, plus particulièrement en ce qui les exploitations agricoles qui deviennent le paravent d'un trafic international, mondialisation oblige. Et puis il est également question de ces migrants contraints, avec le verrouillage des postes de la frontière, de franchir les cols escarpés de ces montagnes hostiles en affrontant les intempéries pour y laisser parfois la vie tant ils ne sont pas équipés pour y faire face. Là également, on distingue le comportement odieux des passeurs qui n'hésitent pas à exploiter cette détresse humaine pour optimiser le passage périlleux de la marchandise illicite qu'ils font également transiter dans le même temps. Tout cela se décline donc sur cette alternance de chapitres entre deux auteurs que l'on sent véritablement inspirés au gré de cette brève intrigue ponctuée de nombreux personnages qui gravitent dans cette contrée alpestre et d'où émerge des personnalités attachantes comme Suzanne Valadon, une femme de caractère nous rappelant des traits de caractère de Ghjulia Boccanera avec cette humour mordant qui imprègne le texte tandis qu'avec l’adjudant Rapetti et le tenancier du refuge Remo Brusotti on retrouve cette mélancolie propre au commissaire Soneri. Ainsi, si l’enjeu de l’identification du meurtrier demeure primordial avec une enquête compacte et riche en rebondissements, Contrebandiers nous laisse à voir ce caractère engagé de deux romanciers qui s’emploient à mettre en lumière l’âpreté de cet environnement alpin d’où émerge pourtant quelques notes d’espoir et de solidarité au gré d’un texte cohérent et d’excellente facture.
Michèle Pedinielli/Valério Varesi : Contrebandiers. Editions Points 2025. Traduit pour la partie italienne par Serge Quadrupanni.
A lire en écoutant : Torn Inside de Gary Moore. Album : The Power of the Blues. 2004 Orionstar Ltd.
Service de presse.
Avec Léman Noir, recueil rassemblant des nouvelles d'auteurs romands confirmés, Marius Daniel Popescu est sans doute l'un des acteurs qui a contribué à l'essor de la littérature noire en Suisse Romande. Ecrivain et poète, il est également le fondateur en 2004 du journal littéraire Le Persil, lui permettant de diffuser ses textes, mais qui devient rapidement la tribune libre des auteur novices et confirmés de la Suisse romande.
toujours pour l'auteur de
Dans ce même numéro, on appréciera Le Cortège d'Olivier Beetschen, fulgurante nouvelle évoquant l'enterrement du Général Guisan où l'événement rassemblant tout un peuple oscille subtilement entre faits historiques, souvenirs d'enfance et critique sociale d'un pays où l'on est amené, l'air de rien, à courber l'échine. Auteur d'une trilogie policière aux accents surnaturels se déclinant avec La Dame Rousse (L'âge d'Homme 2017),
Nouvelle venue au sein du journal Le Persil, on découvre également Le Chien, un récit d'Emmanuelle Robert, l'une des révélation de la littérature noire helvétique avec Malatraix (Editions Slatkine 2021) et Dormez En Peilz (Editions Slatkine 2023). La nouvelle s'articule autour d'une jeune fille composant avec la garde partagée de ses parents divorcés et qui intègre un nouveau quartier tout en soupçonnant ses voisins de maltraitance animale. A noter qu'Emmanuelle Robert sera l'une des invitées du 27ème Festival International du Roman Noir à Frontignan plus communément désigné sous l'appellation emblématique de FIRN désignant l'un des grands événements du polar en France.
Et puisque l'on parle du FIRN, vous y croiserez peut-être la silhouette massive d'Yves Ours Koskas en quête d'auteurs et de romancières à ramener dans le giron de sa maisonnette d'éditions Ours Editions qui publie des textes courts sous forme de livres fait maison, cousu-main, avec une impression en reprographie et dont les cahiers sont pliés et repliés soigneusement à la main. L'autre particularité d'Ours Editions est de privilégier les écrivains qui conservent la propriété de leur texte dès la publication, tout en obtenant la moitié du montant de la vente de leur ouvrage. Dernier point important, et non des moindres, les récits qu'Ours publie sont tous formidables et vous pouvez les découvrir sur son site
Au sein de la maison d'éditions vous trouverez Les Fatals En Concert, le récit Tête-Bêche de Stéphanie Glassey, romancière du remarquable
Avec En Campagne, sublime récit surréaliste de Séverine Chevalier, la romancière nous donne la sensation de survoler cette fameuse "ruralité" que l'on semble affectionner mais qui disparaît peu à peu, par vague, tandis que dans les rayons d'un supermarché Marie-Line et ses amies remplacent les produits des rayons par des pierres incarnant peut-être le poids de cette absurdité qui régit le monde, notre monde qui s'efface. Il y a toujours cette musique harmonieuse chez Séverine Chevalier ponctuée de ces grincements perturbant des intrigues d'une rare intensité telles que
Il baigne dans le polar depuis toujours avec des récits âpres se déroulant, pour la plupart, dans un environnement rural et qu'il publie auprès de petites maison d'éditions indépendantes comme in8, Caïrn et Caïmans pour son dernier roman Bad Run. A la lecture, de Tu M'As Bien Vu ! texte court, aussi rude que cinglant qui vous percute dès la première ligne et vous achève sur une dernière phrase à l'impact mortel, il y a cette interrogation qui flotte dans l'air : Qu'est-ce que j'attends pour lire les autres romans noirs de Jérémy Bouquin ?
Il vaut mieux en rire qu'en pleurer, ou peut-être faire les deux lorsque l'on lit les romans de Sébastien Gendron où le côté déjanté de ses intrigues ne fait que mettre en exergue l'absurdité de notre société à l'instar de Fin De Siècle (Série Noire 2022) dystopie sanglante et cruelle, de Camping Paradis (Série Noire 2022) aux allures de western rural ou de son dernier roman
Si cela ne suffit pas, vous trouverez également chez Ours Editions un texte de Michèle Pedinielli revisitant brillamment Kafka d'une manière singulière avec A L'Envers où un cafard se rend compte de bon matin, à son grand désarroi, qu'il a intégré le corps de Gregor Samsa, propriétaire de la chambre. Critique sociale par excellence, le récit vire au fait divers sanguinolent avec un ultime clin d'oeil à un autre ouvrage du romancier austro-hongrois. Comme toujours, il y a cette tonalité mordante que l'on retrouve dans l'ensemble des romans de Michèle Pedinielli, se déclinant autour des enquêtes de l'emblématique détective privée niçoise, Ghjulia Boccanera avec laquelle on fait connaissance dans 