JEAN-BAPTISTE DEL AMO : LA NUIT RAVAGEE. UN AUTRE MONDE.
Lorsque l'on me demande si je me plonge dans d'autres lectures que celle propre à la littérature noire, je cite les livres emblématiques de la collection blanche chez Gallimard que sont L'Etranger d'Albert Camus et Chanson Douce de Leila Slimani, deux purs romans noirs qui démontrent que les genres ont largement dépassé, ceci depuis bien longtemps, les collections dans lesquelles on veut le cantonner. On pourrait évidemment en mentionner bien d'autres, mais il me plaira désormais de mentionner La Nuit Ravagée de Jean-Baptiste Del Amo qui fait figure de premier roman d'horreur à intégrer le fameux catalogue Gallimard. S'il y a une part de noirceur qui émerge de son œuvre, il y est souvent question du thème de la transmission pour cet ancien animateur socio-culturelle, originaire de Toulouse dont l'écriture se définit notamment à travers son homosexualité qu'il n'agite aucunement comme un étendard mais qui fait partie des fondements de son parcours de romancier en le poussant à se lancer dans l'aventure pour y exprimer ce qui a façonné sa vie que ce soit la peur du rejet et de la différence ou le fait de vivre dans le secret et le mensonge et que l'on retrouve dans La Nuit Ravagée, même s'il ne s'agit aucunement du sujet principal. De cette trajectoire émerge également un sentiment de pessimisme et de mélancolie qui transparait dans la plupart de ses textes où l'on ressent cette sensation de fin des temps ou de l'époque telle que nous la vivons, ceci plus particulièrement dans ce roman horrifique s'articulant autour du thème de la maison hantée, située dans un lotissement de la périphérie de la ville de Toulouse, qui va perturber l'existence de cinq adolescents qui vont découvrir l'existence d'univers parallèles.
Au début des années 1990, dans le lotissement des Acacias de la localité Saint-Auch, située non loin de Toulouse, il y a cette maison abandonnée au fond de l'impasse des Ormes exerçant une certaine fascination sur un groupe d'adolescents qui redoutent d'y pénétrer. Pourtant à la mort d'un de leur camarade, Alexandre Fauré, Thomas Hernandez, Mehdi Belkacem et Maximilien Sentenac vont braver l'interdit en compagnie de Magdalena Mancini, nouvelle venue au sein de la communauté marquée par ce deuil terrible qui les bouleverse tous. Mais lorsqu'ils pénètrent dans les pièces abandonnées de la demeure comme figée par le temps, ils ne se doutent pas qu'ils vont réveiller quelques entités d'un univers organique étrange qui s'imprègnent de leurs désirs, de leurs espoirs mais également de leurs peurs animant des rêves qui deviennent de véritables cauchemars. Mais s'agit-il vraiment de songes ou d'une réalité qu'ils n'osent affronter ?
Situé à la périphérie du centre urbain de Toulouse et à la lisière de la campagne occitane, on dira de La Nuit Ravagée qu'il s'agit d'un récit s'inscrivant dans ce fameux courant de la "France périphérique" que l'on découvrait notamment par l'entremise de fictions comme Leurs Enfants Après Eux (Actes Sud 2018) de Nicolas Mathieu, même si l'on peut également citer Marion Brunet et plus particulièrement son roman L'Eté Circulaire (Albin Michel 2018) se déroulant dans un environnement similaire. Et puisqu'il est question d'un groupe d'adolescents confronté à une entité maléfique, on pensera immanquablement à Ça (Albin Michel 1988) de Stephen King auquel Jean-Baptiste Del Amo rend hommage avec une citation en guise d'épigraphe nous donnant la tonalité de l'intrigue. Mais au-delà de ces références, il faut bien admettre que le romancier se démarque de ces modèles en faisant en sorte de s'approprier les codes du roman horrifique pour les transposer à sa manière en s'intéressant davantage au profil de ses personnages qu'il prend le temps de mettre en place dans le contexte d'une adolescence chahutée qu'il retranscrit au gré d'une écriture sensible où l'on ressent, sur bien des aspects, un certain vécu. Et c'est peut-être en cela que la première partie de La Nuit Ravagée revêt un caractère particulier avec cette restitution assez saisissante de cette période des années 1990 que Jean-Baptiste Del Amo intègre dans le cours de son intrigue en faisant en sorte de s'extirper de la simple figure de style consistant à balancer quelques références culturelles ou en lien avec l'actualité pour définir le cadre de l'époque. Que ce soit la musique, le cinéma ou même la crainte d'une transmission du VIH, toutes les notions de cette décennie s'agrègent à l'ensemble de l'intrigue qui va basculer sur le registre du fantastique et de l'horreur dans la seconde ainsi que dans la dernière partie du récit où les peurs de ces adolescents prennent corps dans une dimension oscillant entre le songe cauchemardesque et la réalité tout aussi inquiétante et dont Jean-Baptiste De Amo n'occulte aucun aspect, notamment pour tout ce qui a trait à la discrimination, au rejet et bien évidemment aux premiers émois de la sexualité qu'il met en scène sans aucune pudibonderie. Il en va de même pour ce qui concerne le rapport à la mort ainsi que la découverte d'une certaine impuissance des parents qui font que chacun de ces jeunes va basculer vers l'âge adulte avec toute les incertitudes qui en découlent. C'est en cela que la maison abandonnée de l'impasse des Ormes, hommage à Nightmare On Elm Street de Wes Craven, autre grande référence du film d'horreur imprégnant le récit, devient le pivot de cette dimension fantastique en prenant une allure tout d'abord assez ordinaire pour révéler par la suite l'immensité d'un univers cauchemardesque d'où émane quelques entités malfaisantes, incarnations des frayeurs de ce groupe d'adolescents et qui vont donner lieu à quelques confrontations mémorables à l'instar de ce scolopendre géant ou de ce beau-père inquiétant qui vont terroriser certains d'entre eux. Tout cela se décline avec une belle virtuosité au niveau d'une écriture maîtrisée et sans esbroufe qui font de La Nuit Ravagée un roman de référence renouvelant, sur bien des aspects, les codes du roman d'épouvante et dont on reste marqué au terme d'une conclusion aussi vertigineuse que saisissante.
Jean-Baptiste Del Amo : La Nuit Ravagée. Editions Gallimard 2025.
A lire en écoutant : Suspiria de Goblin (Claudio Simonetti). Album : Suspiria (45th Anniversary Prog Rock Editions). 2022, Rustblade.
Dans les travées reliant les immeubles d'une banlieue décatie de Bornemouth, Abab, un jeune garçon exploité par des trafiquants d'êtres humains pakistanais, tente d'échapper à une bande de tueurs albanais qui viennent de liquider tous les occupants de l'appartement sordide où il logeait. Au cours de la fusillade, il a tout juste eu le temps de distinguer le visage de l'un d'entre eux dont il a croisé le regard. Désormais traqué par les assassins ainsi que par la police désireuse d'obtenir son témoignage, il trouve refuge dans l'appartement de Gloria, une femme trans qui ne sait pas trop quoi faire de ce jeune migrant clandestin indien bien trop encombrant pour intégrer son univers de solitude et de douleurs qu'elle intériorise depuis toujours. Chargé de démanteler un réseau mafieux albanais implanté à Londres, l'inspecteur David Burn est provisoirement affecté au commissariat de la ville balnéaire où le chef du gang aurait pris ses quartiers dans la région. De là à penser qu'il pourrait être le commanditaire de cette tuerie, il n'y a qu'un pas qu'il est prêt à franchir envers et contre tous.
On notera le fait qu'en abordant le thème des "grooming gangs" sévissant au Royaume-Uni, Gilles Sebhan s'attaque à un sujet délicat qui a suscité la polémique en lien avec le manque d'implication, voire la complicité des autorités, c'est peu de le dire, générant une récupération politique des partis d'extrême-droite par rapport au profil ethnique et religieux de ces individus qui ont mis en place ces réseau de prostitution en enlevant de leur famille ou des foyers auxquels il étaient confiés, des mineurs à la dérive. S'il n'édulcore en rien les aspects gênants de cette affaire notamment pour tout ce qui a trait à la communauté indo-pakistanaise ainsi que les licenciements de travailleurs sociaux ayant tenté d'alerter leur hiérarchie ou les instances policières et judiciaires du phénomène dramatique dont ils étaient témoins, Gilles Sebhan se concentre sur le profil des victimes que ce soit la jeune Amy en rupture avec sa famille et surtout Abad cet enfant pakistanais que sa famille a confié aux bons soins de son "oncle" Daddy qui en a fait un migrant clandestin qu'il exploite sans vergogne tout en assouvissant ses pulsions libidineuses au sein d'un appartement insalubre dans lequel s'entasse près de dizaine de
comparses d'infortune. C'est dans ce logement que débute l'intrigue de Night Boy prenant pour cadre la ville côtière de Bornemouth, dont la principale activité économique se décline autour des séjours linguistiques et qui se situe non loin de West Bay dont les falaises ont servi de décor pour la série Broadchurch auquel l'auteur fait d'ailleurs allusion.
Bon, c'est vrai que l'on apprécie plus que jamais ses répliques hilarantes et décoiffantes qui ponctuent ses récit en faisant en sorte que la noirceur de l'intrigue prend une tournure encore plus acide s'inscrivant toujours dans cette logique de critique sociale qui prévaut dans l'ensemble de ses romans. Mais ce qui fait le succès de Jacky Schwartzmann, c'est cette capacité à mettre en scène cette marginalité du pays qu'il décline au détour d'intrigues singulières qui flinguent la bienséance et la bienveillance à coup de rafales cinglantes jalonnant des textes d'une grande tenue. Bref, autant vous dire que le bonhomme s'entend pour vous raconter une histoire avec l'efficacité qui le caractérise en le démontrant également en tant que scénariste pour Habemus Bastard (Dargaud 2024), titre sans équivoque d'une BD en deux parties, superbement illustrée par Sylvain Vallée, qui s'articule autour du parcours d'un tueur à gage qui endosse une soutane et la fonction qui en découle afin de s'extirper des difficultés en lien avec sa profession en se soustrayant ainsi à ses anciens commanditaires bien décidés à lui faire la peau et qui nous rappelle, à certains égards, la série BD Soda, diminutif de Solomon David, lieutenant au NYPD qui dissimule ses activités à sa mère trop émotive qui est persuadée qu'il est prêtre. S'il a écrit plusieurs romans avant, le style corrosif de Jacky Schwartzmann émerge avec Mauvais Coûts (Seuil/Cadre Noir 2016) se rapportant à son expérience de travail au sein d'une multinationale qu'il retranscrit au gré du parcours de Gaby Aspinall, employé misanthrope et cynique s'inscrivant résolument dans l'amoralité "ordinaire" de son entreprise. On reste sur un registre similaire avec Demain C'est Loin (Seuil/Cadre Noir 2017) et
Le lundi, il écume les rayons avec cette aisance de l'habitué qui connaît les moindres recoins du supermarché ainsi que le prénom de chacune des caissières. Pas de doute, Jean-Marc Balzan, célibataire sans enfant, est en préretraite et profite de chaque instant de cette période d'oisiveté bien méritée. Une petite vie pépère sans aspérité où l'on savoure les bonnes petites bouffes au resto et les voyages sympas qui vous donnent ce sentiment de liberté. Mais il y a Bernard, son meilleur ami qu'il connaît depuis l'enfance, un véritable frère d'arme qu'il tire régulièrement des guêpiers dans lesquels il a l'habitude de se fourrer. Il faut dire que si Bernard est un gars intelligent, il peut se révéler extrêmement con. Pour preuve, cette idée saugrenue qu'il a de s'engager dans l'équipe de campagne d'Eric Zemmour pour la présidentielle 2027 suscitant l'inquiétude de Jean-Marc craignant le pire et qui décide, à son corps défendant, d'accompagner son pote de toujours afin de le protéger. Et voilà que Jean-Marc se retrouve à côtoyer toute la galaxie de l'extrême-droite lyonnaise, des skinheads bas du plafond aux entrepreneurs ambitieux et plus ou moins véreux et des ultras qui préparent un attentat qu'il va tenter de déjouer en devenant l'indic des gendarmes tout en rencontrant le fameux Eric Z, icône de cette mouvance politique foireuse.
Lors de la tenue de festivals tels que celui des Quais Du Polar à Lyon, il y a ces moments magiques où l'on se livre à quelques considérations autour de la littérature noire avec tout ce petit monde du livre, en partageant le verre de l'amitié et en dégustant les spécialités de la région quand les restaurateurs daignent bien vouloir nous servir ce qui n'a rien d'une évidence dans la Capital des Gaules où l'accueil se révèle parfois légèrement bancal dans ce domaine. Quoiqu'il en soit, c'est l'occasion de belles rencontres comme celle avec Lionel Destremau qui a officié dans le monde de l'édition parisienne durant une vingtaine d'années avant de retourner à Bordeaux, ville de ses origines, où il dirige notamment le fameux festival Lire en Poche de Gradignan qui est le premier événement littéraire français exclusivement dédié à ce format et qui célèbre ses vingt ans d'existence. Mais outre ses activités dans les univers de l'édition et des manifestations littéraires, Lionel Destremau a publié trois recueils de poésie chez Tarabuste éditions, entreprise indépendante officiant depuis quarante ans dans la région du Centre-Val de Loire. On notera également la part active qu'il prendra à l'élaboration, durant cinq ans, de la revue de critique littéraire Prétexte qu’il a animé en collaboration avec Jean-Christophe Millois, et dans laquelle on trouve notamment quelques dossiers dédiés au mauvais genre comme Les marges du polar, littérature blanche ou noire ? C'est d'ailleurs probablement dans cette marge que s'installe Lionel Destremau publiant son premier roman noir, Gueules D'Ombre (La Manufacture de livres 2022) prenant pour cadre un pays fictif dans lequel évolue, au milieu des décombres d'une guerre sans nom, un enquêteur chargé de découvrir l'identité d'un soldat plongé dans le coma. Un récit décalé à l'image de la superbe couverture de l'ouvrage tout comme celle ornant Jusqu'à La Corde (La manufacture de livres 2023), second livre de l'auteur qui s'inscrit dans le même registre insolite de la ville fictive de Caréna. Mais c'est dans l'agglomération bien réelle de Lyon, durant les années trente, que se déroule Un Crime Dans La Peau, son troisième ouvrage que l'on peut définir comme le récit d'un fait divers au procédé narratif déconcertant puisque Lionel Destremau navigue une nouvelle fois à la marge des genres entre fiction et réalité de l'époque qu'il restitue avec une impressionnante habilité.
A l'occasion de la visite du musée des Techniques policières d'Edmond Locard à Lyon, le jeune officier de police en devenir Eric Mailly, passionné de tatouage, découvre deux ouvrages qui ont été retirés de la vente aux enchères d'une collection privée. Il s'agit notamment d'une étrange pochette ayant appartenu au médecin légiste et criminologue Jean Lacassagne qui présente la particularité d'avoir intégré dans sa reliure la peau tatoué d'un homme, ce qui en interdit toute commercialisation. En se penchant sur les origines de l'ouvrage, Eric Mailly découvre que le tatouage ornait le corps de Louis Rambert, coupable de l'effroyable double meurtre de deux personnes âgées, crime qui avait défrayé la chronique judicaire lyonnaise des années trente. Et en poursuivant ses recherches, le jeune élève de l'école de police constate avec stupeur que le complice prénommé Gustave porte le même nom que lui. Se pourrait-il qu'il s'agisse d'un de ses aïeuls ? ainsi, en se plongeant dans les archives, dont celles de la presse qui a relaté le procès, Eric Mailly va découvrir certains pans de la vie tumultueuse de Louis Rambert et de Gustave Mailly, deux vauriens qui ont fini par commettre l'irréparable. S'agit-il d'un parcours prédestiné ? Et que sont-ils devenus après avoir été condamnés ?
Maison d'éditions indépendante fondée et dirigée par Pierre Fourniaud, La Manufacture de livres s'enorgueillit désormais d'une collection un peu à part, intitulée
La Petite Gauloise.
La Petite Fasciste.