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série noire

  • Marto Pariente : Balanegra. Bonneteau.

    marto pariente,balanegra,série noireOn dit de lui qu'il a officié au sein de la Guardia Civil durant 22 ans et qu'il vit avec sa femme et ses enfants du côté d'Alovera, petite localité tranquille de Guadalajara, une province de l'Espagne qui devient d'ailleurs le cadre de La Sagesse De L'Idiot, son premier roman traduit en français par le romancier Sébastien Rutès. Mais si l'on examine, quelque peu son parcours, on découvrira que Marto Pariente a publié en 2015 son premier roman intitulé Una Bala Para Riley qui n'a encore jamais été traduit en français tout comme Las Horas Crueles qui paraît en 2023 dans sa langue d'origine en prenant également pour cadre la région de Guadalajara et en s'inscrivant davantage dans un registre d'enquête policière que de roman noir. Et quand bien même La Sagesse De L'Idiot a été encensé, à juste titre, par les lecteurs et la critique, tout en étant couronné de quelques prix prestigieux de la littérature noire, on ne trouvera guère d'entretiens du romancier qui reste assez discret. Il faudra s'armer de son traducteur Google et écumer les sites espagnols où l'on apprendra qu'il apprécie Dashiell Hammett ainsi que Jim Thompson dont on retrouve certains éléments de noirceur dans ces textes ainsi que James Ellroy qui d'un certaine façon l'aurait poussé à se lancer dans l'écriture. En tant que lecteur, Marto Pariente semble davantage porté vers cette littérature âpre incarnée par le roman noir plutôt que vers le thriller et met en avant, sur les réseaux sociaux, des textes de Daniel Ray Pollock et de John R. Lansdale possédant ce sens aigu de l’intrigue, tout comme lui. Mais s’il suffisait de lire de bons  livres pour faire de vous un romancier accompli, cela se saurait et il faut bien évidemment saluer ce sens de la narration qui s'inscrit dans une espèce de boucle où évoluent les différents protagonistes avant d'entrer dans une collision pleine de fureur et d'éclats d'une violence burlesque qui vous bousculent et que l'on retrouve plus particulièrement dans Balenegra, nouveau roman de Marto Pariente qui nous plonge encore une fois dans cet univers de truands décalés et cruels.  

     

    marto pariente,balanegra,série noireEn se rendant à l'enterrement de son frère, dans la localité perdue de Balanegra, Coveiro a hérité de sa fonction de fossoyeur qu'il a endossé avec un certain fatalisme pour s'occuper de son neveu Marco, un jeune garçon autiste, désormais orphelin, qui connaît par coeur chacune des inscriptions des pierres tombales du cimetière. Tout pourrait aller pour le mieux pour ce vieil homme usé qui aspire à une certaine tranquillité mais qui voit sa routine bousculée avec l'enlèvement de Marco dont il est témoin, ceci au lendemain de l'enterrement d'un homme politique accusé de pédophilie et dont le décès, lors d'une reconstitution judiciaire, apparaît pour le moins étrange. Pour faire la lumière sur cette succession d'événements surprenants, le vieux fossoyeur n'a pas d'autre choix que de fourbir les armes et de retrouver ses anciens réflexes de tueur à gage afin de secouer les truands et même les flics qui s'en sont pris à son neveu. Et autant dire que ça va saigner méchamment dans les chaumières, car Coveiro ne fait preuve d'aucune indulgence vis-vis des adversaires qui croisent son chemin, ceci pour leur plus grand malheur.

     

     

    Il serait injuste de dire que les romans de Marto Pariente sont de « bons petits polars » comme on a pu le lire ici ou là en parlant de La Sagesse De L’Idiot ou de Balanegra qui confirme pourtant le talent de Marto Pariente qui s’ingénie à mettre en place des mécaniques narratives extrêmement bien façonnées qui s’inscrivent dans un registre de violence sombre au réalisme cinglant. Ainsi émerge dans Balanegra, l’image du tueur vieillissant reprenant du service, bien éloigné pourtant de cette efficacité redoutable qui entoure ce genre d’individus déterrant régulièrement un équipement composé d’armes sophistiquées. Il n’en sera rien avec Coveiro qui n’a pour seule arme qu’un fusil de chasse à double canon qu’il va scier afin qu’il soit moins encombrant en lui permettant de faire face à toute une escouade de truands bien déjantés à l’exemple de Double Mickey, fils instable de Rubí de Miguel, une matriarche qui dirige son entreprise agroalimentaire de viande comme une officine mafieuse tout en s’affichant avec un porcelet tenu en laisse, où figure la mention « I love bacon » tatoué sur le flanc de l’animal. On voit bien que le profil des protagonistes du roman demeurent bien marqués, en saluant le fait que Marto Pariente joue habilement avec les clichés qui se rapportent à chacun d’entre eux pour nous entraîner dans le corps d’une intrigue dynamique imprégnée d’éclat sanglants qui ne manquent pas de saveur. Ainsi, même s’il s’inscrit dans une démarche de rédemption, Coveiro n’apparaît pas comme un homme particulièrement attachant, surtout lorsqu’il emploie des moyens de torture aussi simples qu’efficaces pour faire parler les adversaires détenteurs d’informations lui permettant de localiser son neveu. On appréciera d’ailleurs le fait que Marto Pariente reste dans une dynamique très sobre pour tout ce qui a trait aux rapports qu’entretient le vieux tueur fatigué avec son neveu autiste sans trop basculer dans une dimension émotionnelle larmoyante. C’est peut-être là que réside le talent du romancier qui fait en sorte de coller à son intrigue avec une écriture sèche et percutante, sans la moindre once de fioriture inutile. Et puis il y a cette inventivité  tonitruante qui donne lieu à des scènes savoureuses ou à des analepses improbables nous permettant de découvrir les parcours respectifs de chacun des protagonistes du roman qui resteront gravés dans la mémoire, tout en intégrant des événements réels qui ont secoué l’Espagne à l’instar de l’incendie de la tour Windsor à Madrid. Tout cet ensemble, à l’apparence faussement disparate, va prendre corps autour de l’enterrement de León de Miguel, un politicien sulfureux, dont on va découvrir tous les moyens mis en œuvre afin de ne pas ternir sa réputation en dépit d’actes  pédophiles meurtriers. Ainsi, aussi bref que saisissant, Balanegra se révèle être un roman noir à l’efficacité redoutable qui bouscule tous les clichés propre au tueur à gage vieillissant, dans un florilège de scènes déroutantes, parfois brutales, qui ne manqueront pas de vous secouer avec ce côté burlesque qui prête à sourire jaune dans ce contexte de noirceur sans concession.

     

    Marto Pariente : Balanegra (Hierro Viejo). Editions Série Noire 2025. Traduit de l'espagnol par Sébastien Rutès.

    A lire en écoutant : Touch de Noiseworks. Album : Touch. 1988 Sony Music Productions Pty. Ltd. 

  • Horace McCoy : Un Linceul N’a Pas De Poches. A la une.

    Capture d’écran 2025-04-01 à 23.24.15.pngLa relation ne date pas d'hier puisque Gallimard publie en 1946 Un Linceul N'a Pas De Poches dans la Série Noire en faisant d'Horace McCoy, le premier romancier américain à intégrer la mythique collection dirigée par Marcel Duhamel qui traduit l'ouvrage en collaboration avec Sabine Rebitz. C'est d'ailleurs cette même année que paraît dans la catalogue Du Monde Entier, On Achève Bien Les Chevaux, également traduit par Marcel Duhamel et dont la fameuse adaptation au cinéma par Sydney Pollack en 1969 contribuera à une certaine reconnaissance posthume d'Horace McCoy qui est mort en 1955 dans l'indifférence générale. Ayant exercé une multitude de métiers, dont journaliste et scénariste pour Hollywood, vétéran héroïque de la première guerre mondiale, il a publié tout au long de sa vie de nombreuse nouvelles dans les « pulps » avant de se lancer dans l'écriture de romans dans lesquels figurent le cadre de la Grande Dépression des années 30 qui l'ont véritablement marqué, en prenant soin de mettre en exergue les injustices sociales bien éloignées du fameux rêve américain. Et autant dire que dans le contexte de l'époque, alors qu'il achève en 1936 Un Linceul N'a Pas de Poches, le texte ne trouve pas preneur auprès des maisons d'éditions des Etats-Unis pour finalement être publié en 1937 en Angleterre. Portrait sombre d'un pays en proie à la corruption et à une discrimination raciale larvée, Horace McCoy s'emploie ainsi à dresser un panorama social sans concession par le prisme d'un journaliste ne dérogeant jamais à ses responsabilités en dépit des menaces qui pèsent sur lui. Si l'on retrouve le texte dans le recueil des éditions Quarto rassemblant l'ensemble de l'œuvre du romancier américain dont les traductions ont été révisées par Michael Belano, Un Linceul N'a Pas De Poches intègre désormais la collection Classique de la Série Noire avec une préface inédite de Benoît Tadié qui fait en sorte de contextualiser ce récit tragique avec le parcours de vie d'un auteur qui n'a pas rencontré son public avec des romans jugés beaucoup trop sombres pour une contrée aspirant à promouvoir ce fameux "American way of life" qu'il s'est employé à fusiller.

     


    horace mccoy,un linceul n’a pas de poches,série noireNe pouvant plus tolérer l'indulgence dont fait preuve le Times Gazette vis-à-vis des proches des annonceurs et autres financiers du quotidien, le journaliste Mike Dolan annonce sa démission immédiate à son rédacteur en chef venant de lui refuser la parution de son article dénonçant la corruption dans le milieu du base-ball. Pour obtenir davantage de liberté et d'indépendance, il crée le Cosmopolite, un hebdomadaire qui a pour objectif de mettre en lumière les frasques et les malversations des notables de la région en comptant sur l'aide de Myra Barnovsky et d'Eddie Bishop qui vont le seconder dans l'élaboration du magazine. Et après bien des péripéties pour rassembler l'argent nécessaire, Mike Dolan se lance dans la rédaction de reportages mettant à jour des scandales touchant des édiles locaux peu scrupuleux qui tentent par tous les moyens d'étouffer les affaires. Mais malgré les tentatives de collusion ou d'intimidation, le journaliste fait preuve de plus en plus de témérité, quitte à mettre sa vie en danger pour arriver à ses fins, en infiltrant notamment le mouvement des Croisés qui n'ont rien à envier, en matière de violence, au Ku Klux Klan dont ils sont issus. 

     

    Afin de se situer dans le contexte de l'époque durant laquelle se déroule Un Linceul N'a Pas De Poches, il importe vraiment de lire la préface de cette édition Classique de la Série Noire afin de saisir quelques aspects de la vie d'Horace McCoy qui rejaillissent dans le parcours de Mike Dolan, notamment pour tout ce qui a trait à son expérience dans le journalisme durant la période où l'auteur séjourna dans l'état du Texas. Plusieurs protagonistes empruntent d'ailleurs quelques traits de personnalité à l'entourage du romancier alors qu'il fréquentait notamment le Little Theater de Dallas en tant qu'acteur au sein de cette troupe d'amateur. On notera donc qu'Un Linceul N'a Pas De Poches prend une tournure autobiographique, quand bien même l'attitude de Mike Dolan revêt une dimension sacrificielle extrême afin de faire valoir un jusqu'au boutisme tragique dans cette lutte contre la corruption et la montée de l'extrême droite s'inscrivant dans des activités de discriminations raciales criminelles incarnées par ces fameux Croisés, émules du Ku Klux Klan. Puis en arrière plan, Horace McCoy fait également allusion à la montée en puissance du fascisme incarné par Hitler et Mussolini, en préambule d'une guerre apparaissant comme inéluctable. A partir de là, on ne peut s'empêcher à la lecture de ce texte, de faire certains parallèles avec l'actualité mondiale qui nous touche et plus particulièrement avec ce qui se déroule aux Etats-Unis de nos jours. Véritable brûlot sans concession, on comprendra les difficultés qu'a connu Horace McCoy pour faire publier ce roman qui fut rejeté par les maisons d'éditions américaines, ce d'autant plus qu'il fait également allusion au soutien de l'entourage de Mike Dolan appartenant à cette mouvance communiste qui émerge dans le pays, bien avant les débuts de la répression du maccarthysme prenant son essor durant les années 50. Avec ce roman très dense, on suivra donc cette création assez chaotique d'un hebdomadaire qui préfigure le journalisme d'investigation de cette presse écrite héroïque qui connaîtra son apogée au début des années 70 avec la fameuse affaire du Watergate. Criblé de dettes, Mike Dolan apparaît comme un individu un peu fantasque et extrêmement impulsif qui fait parfois preuve d'une certaine maladresse, notamment à l'égard des femmes qui tombent sous son charme alors que seul compte pour lui la montée en puissance de son magazine en faisant fi des menaces pesant sur lui, dans une inconscience totale qui lui coutera cher. A certains égards, le récit prend même des allures de western, alors qu'il faut fourbir les armes afin de protéger la diffusion du périodique dans les kiosques en s'adjoignant quelques gorilles peu commodes. Ainsi, Un Linceul N’a Pas De Poches, se révèle dans sa noirceur au gré d’un portrait social sans concession reflétant l’état d’esprit de l’époque qui s’inscrit dans ce racisme et cette discrimination ordinaires où l’on traite les domestiques de « braves nègres » et où l’on mentionne qu'un théâtre amateur devient "un repère" d’homosexuels et de lesbiennes et qui en font un classique incontournable, bien à l’opposé de ce fameux rêve américain qu’Horace McCoy dissout avec ferveur. 

     

     

    Horace McCoy : Un Linceul N’a Pas De Poches (No Pockets In A Shroud) Série Noire 2024. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sabine Rebitz et Marcel Duhamel, révisée par Michael Belano. 

    À lire en écoutant : Sabrosa de Beastie Boys. Album : Communication. 1994 Capitol Records, LLC, Grand Royal and Beastie Boys.

  • MARTO PARIENTE : LA SAGESSE DE L'IDIOT. CASSE TOUS RISQUES.

    marto pariente,la sagesse de l’idiot,série noireFranchement, à bien y réfléchir, il faut bien admettre que mes connaissances sont plutôt lacunaires pour tout ce qui concerne la littérature noire hispanique et ses auteurs emblématiques comme Manuel Vázquez Montalbán dont je n'ai lu aucun de ses innombrables romans mettant notamment en scène le fameux détective privé Pepe Carvalho dont il faudra bien que je découvre un jour ses enquêtes entrecoupées de repas pantagruéliques. Ma première incursion dans ces contrées, je la dois à Victor Del Arbol évoquant les réminiscences de la guerre civile d'Espagne avec son premier roman, La Tristesse Du Samouraï (Actes Noirs 2012). Et puis débarque J'ai Été Johnny Thunder de Carlos Zanon que l'on peut considérer comme un roman noir culte publié chez Asphalte Editions grand pourvoyeur d'auteurs issus d'Amérique du Sud et d'Espagne bien sûr, à l'instar d'Andreu Martin et de sa fameuse Société Noire (Asphalte 2016). On peut également se remémorer Monteperdido (Actes Noirs 2017), premier polar marquant d'Augustìn Martìnez nous entrainant dans les entrelacs des rapports complexes entre les habitants d'un village niché au creux du massif des Pyrénées. Si le polar hispanique trouve sa place au sein de nos régions francophones, on constate que son essor n'a pas de comparaison avec la déferlante du polar nordique et anglo-saxon comme l'illustre parfaitement la collection Série Noire recelant une trentaine d'ouvrages d'auteurs espagnols dont La Face Nord Du Cœur (Série Noire 2021) de Dolores Redondo Meira se révélant être un préquel de la fameuse trilogie de la Vallée du Baztan, se déroulant dans la région de la Nouvelle-Orléans avec une enquêtrice espagnole sur la trace d'un tueur en série. Dans un registre totalement différent, en prenant pour cadre la province rurale de Guadalajara où il vit, on saluera l'arrivée de Marto Pariente au sein de la collection avec La Sagesse De L'Idiot, véritable souffle nouveau pour un récit explosif aux tonalités à la fois âpres et désopilantes nous rappelant, pour certains aspects, Pottsville, 1280 Habitants (Rivages/Noir 2016) de Jim Thompson.

     

    On ne sait pas trop comment Toni Trinidad est parvenu à obtenir son diplôme de flic, lui qui s'évanouit à la vue de la moindre goutte de sang. Toujours est-il qu'il est devenu l'unique policier municipal du village d'Asturias et que sa principale activité consiste à surveiller la circulation lorsque les enfants sortent de l'école en fin d'après-midi. Une vie faite de routine, idéale pour cet homme qui passe pour l'imbécile de service et qui ne porte jamais d'arme. Mais Toni doit faire face à bien des difficultés avec la mort un peu étrange de son ami Triste que l'on a retrouvé pendu à un arbre tandis que sa sœur Vega, unique propriétaire d'une casse automobile depuis la disparition de son mari, doit faire face aux velléités de l'Apiculteur, un trafiquant de drogue brutal et sans pitié à qui elle a dérobé une cargaison de came en croyant que c'était du fric. En voulant savoir ce qu'il est vraiment arrivé à son ami et vouloir protéger sa sœur, Toni se retrouve embringué dans des histoires de règlements de compte entre trafiquants déjantés, tueurs à gage impitoyables et promoteurs immobiliers douteux qui vont croiser sa route pour son plus grand regret mais également pour leur plus grand malheur. 

     

    Egalement auteur de romans noirs, dont certains publiés au sein de la collection La Noire des éditions Gallimard, on doit saluer la traduction de Sébastien Rutés ayant parfaitement saisi l'essence d'un texte comme La Sagesse De L'Idiot pour nous en restituer toute la quintessence, propre au genre, dans sa version française. Mais il faut également relever le véritable talent de Marto Pariente à construire une intrigue au rythme explosif pour mettre en scène toute une galaxie des personnages truculents dont les actes vont s'entrechoquer au détour d'une succession de confrontations dont certaines vont virer à la pantalonnade vacharde, ceci pour notre plus grand plaisir sadique. Néanmoins, il convient de souligner, que La Sagesse De L'Idiot va bien au-delà d'une simple bouffonnerie puisque l'auteur prend également la peine de soulever quelques aspérités du contexte sociale dans lequel évolue l'ensemble des protagonistes. Ainsi, de la région de Guadalajara, située au centre de l'Espagne, on découvre les accointances entre les banques et les milieux de l'immobilier pour faire davantage de profit tandis que certains propriétaires terriens touchent des subsides grâce à des plantations qu'ils laisseront pourrir sur pieds en s'épargnant ainsi les frais et les efforts d'une récolte qui ne leur rapporterait rien. Tout cela, on le perçoit par le biais du regard de Toni Trinidad, ce flic municipal que l'on prend volontiers pour un imbécile alors qu'il se révèle un peu plus perspicace qu'il n'y paraît, même s'il fait preuve parfois d'une maladresse crasse qui va avoir un impact sur l'ensemble de son entourage et des individus qu'il croise sur son chemin. C'est bien évidemment cette dynamique que l'on apprécie et que Marto Pariente met en scène de manière habile en nous permettant de saisir l'ensemble des rapports qui régissent les interactions entre cette succession de bûcherons reconvertis en exécutant des basses œuvres, de trafiquants au bord de la faillite, de promoteurs véreux et d'un tueur à la foi immodérée et dont découvre certains aspects au gré d'un épilogue savoureux révélant tout un lot d'éléments surprenants que l'on ne voit pas venir. Et puis pour en revenir à Toni Trinidad, on appréciera toute l'affection qu'il éprouve pour sa sœur Vega, quelque peu portée sur la bouteille, nous entraînant sur un registre un peu plus émouvant, donnant encore plus de relief à l'ensemble du récit, tandis que l'on plonge dans ses souvenirs d'enfance pour mettre à jour les épreuves auxquels ils ont dû faire face, sources de traumatismes indélébiles. Ainsi, au gré d'un texte affuté comme la lame tranchante d'un cran d'arrêt, l'émotion se conjugue avec l'humour et cette férocité parfois cruel dans un mélange parfait qui font de La Sagesse De L'Idiot un récit détonant nous permettant d'affirmer que Marto Pariente devient une des voix originales du roman noir espagnol qu'il convient de découvrir toutes affaires cessantes.  

     

    Marto Pariente : La Sagesse De L'Idiot (La Cordura Del Idiota). Editions Gallimard/Série Noire 2024. Traduit de l'espagnol par Sébastien Rutés.

    A lire en écoutant : Hijo De La Luna de Mecano. Album : Entre el Cielo y el Suelo. 2005 BMG Rights Management and Administration (Spain) S.L.U.

  • MISE AU POINT 2024

    IMG_1291.pngDepuis quelques années, on ne compte plus les rentrées littéraires. Il y a tout d'abord celle de l'automne bien évidemment, débutant désormais à la fin du mois d'août, mais également celle du printemps pour combler les lecteurs estivaux et puis celle du mois de janvier qui n'est pas en reste avec une cohorte assez impressionnante d'ouvrages ornant soudainement les étals des librairies comme pour célébrer la nouvelle année qui s'annonce. Comme pour conjurer cette frénésie, il est de bon aloi de se retourner quelques instants sur les lectures de l’année passée, sans pour autant se livrer à un classement ou à un bilan comptable, sans doute pour dissimuler le fait, que contrairement à certains instagrammeurs, je ne parviens pas à aligner 150 ouvrages par an avec autant de chroniques qui en découlent. La démarche consiste uniquement à se remémorer des romans qui disparaissent bien trop vite du paysage littéraire pour prolonger leur existence de quelques instants.

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.09.40.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.10.29.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.11.11.pngCela devient presque un tradition que de débuter l’année avec les éditions Rivages qui ont inauguré un nouvelle collection Imaginaire avec Immobilité de l'iconique Brian Evenson qui nous entraine sur les routes apocalyptiques d’une terre dévastée tout en nous interrogeant sur des questions existentielles de notre devenir. Puis c’est DOA qui revient sur le devant de la scène avec Retiaire(s) (Série Noire) en nous confirmant tout le bien que l’on pensait  d’un auteur emblématique de la littérature noire. Et pour en savoir plus, il faut lire DOA, Rétablir Le Chaos chez Playlist Society déclinant au court d’un long entretien où cet auteur, cultivant une certaine discrétion, se livre au cours d’un long entretien conduit par Elise Lepine.

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.14.45.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.15.43.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.16.45.pngOn poursuit avec Nettoyage A Sec (Rue de Sèvres) une bande dessinée à la sois sombre et sublime de Joris Mertens et Harlem Shuffle (Albin Michel) de Colson Whitehead qui se lance dans une fresque du quartier emblématique de New-York qui connaîtra une suite que l’on attend impatiemment. Un peu moins convaincu par Le Vol Du Boomerang (Au Diable Vauvert), récit d’aventure se déroulant en Australie sur fond d’incendies dévastateurs et de Covid19.

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.20.34.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.21.33.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.23.24.pngSimone Buchholz revient avec Rue Mexico (Atalante/Fusion) nous entraînant, pour une troisième fois, dans le sillage de la détonante procureure Chastity Riley que l’on retrouve avec tout autant de plaisir. Puis survient une belle découverte avec Notre Dernière Part De Ciel (Rivages/Noir), un roman noir de Nicolàs Ferraro aux allures de western se déroulant dans les contrées reculées de l’Argentine avant de retrouver New-York et le quartier de Gravesend cher à William Boyle avec Eteindre La Lune (Gallmeister) nous entraînant dans une nouvelle histoire sombre sur fond de résilience et de vengeance.

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.25.49.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.26.38.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.27.14.pngOn change de registre avec Jacky Schwartmann toujours aussi grinçant et (im)pertinent avec Shit ! (Seuil/Cadre noir) en arpentant l’environnement chaotique d'une banlieue de Besançon sur fond de trafic de haschich assez détonant. Puis cap sur l'Inde pour retrouver le capitaine Sam Wyndham quI tente de se débarrasser de son addiction à l’opium dans Le Soleil Rouge De L’Assam (Liana Levi) d’Abir Mukherjee. Autour d’un récit dystopique assez impressionnant, Jean-Christophe Tixier nous invite à découvrir les habitants d’un village qui doivent désormais composer avec La Ligne (Albin Michel) qui sépare l’agglomération.

     

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    Grand retour d’Antoine Chainas avec Bois-Aux-Renards (Gallimard/La Noire) demeurant un romancier à part que l’on avait déjà tant apprécié avec L’empire Des Chimères (Série Noire 2018), un ouvrage devenu culte.

     

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.32.30.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.33.22.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.36.02.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.34.22.png

    Les auteurs suisses ne sont pas en reste, tout d’abord avec Luca Brunoni qui débarque aux éditions Finitude en évoquant le placement des enfants orphelins dans des fermes de montagne dont on découvre la tragédie avec Les Silences (Finitude), traduit du suisse italien par Joseph Incardona qui nous propose également une réédition de Lonely Betty (Finitude), un de ses premiers romans, illustré par Thomas Ott. Et si l’on reste en Suisse, toujours dans le récit graphique, on ne manquera pas de mettre en avant Berne, Nid D’Espions (Antipodes) d’Eric Burnand et de Mathias Berthod. Encore un Suisse, Joachim B. Schmidt, mais qui s’est établi en Islande pour nous raconter l’extraordinaire parcours de Kalmann publié dans la collection La Noire chez Gallimard. Même s’ils sont plus difficile d’accès au-delà des frontières de la Suisse romande, il faut lire impérativement La Saison Des Mouches (Bernard Campiche Editeur) de Daniel Abimi ainsi que Sans Raison (BSN Press/OKAMA) de Marie-Christine Horn. Roman brutal et déjanté se déroulant entre Berne et Genève en passant par le Jura, on appréciera également Une Balle Dans Le Bide (Cousu Mouche) de Gérald Brizon. Il y a également Nicolas Verdan qui revient avec un second opus des enquêtes d’Evangelos Moutozouris parcourant la route des Balkans dans La Récolte Des Enfants (Atalante/Fusion). 

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.37.38.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.39.30.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.38.20.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.40.24.png

     

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.49.05.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.49.43.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.51.26.pngFin de la panthèse helvétique pour se rendre au Portugal avec La Grande Pagode (Agullo) de Miguel Szymanski autour d'une seconde enquête financière menée tambour battant par le journaliste Marcelo Silva. Dennis Lehane signe son grand retour avec Le Silence (Gallmeister) qui confirme son immense talent d’auteur, même s’il avait pu nous décevoir avec quelques précédents ouvrages assez médiocres. Un Conte Parisien Violent (Atalante/Fusion) de Clément Milian figure parmi les bonnes surprises de l’année 2023 tout comme Ces Femmes-Là d’Ivy Pochada (Globe) et Pour Mourir, Le Monde (Agullo), extraordinaire récit d’aventure maritime de Yan Lespoux se déroulant au XVIIème siècle, sur fond de naufrages en nous entraînant du côté de Goa, de Bahia pour s’achever sur les plages sauvages du Médoc.

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    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.55.55.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.56.50.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.57.20.pngEt puis il y a les valeurs sûres qui reviennent pour notre plus grand bonheur comme Marin Ledun avec Free Queens (Série Noire), Valério Varesi avec Ce N’Est Qu’Un Début Commissaire Soneri (Agullo) et l’excellent Proies (Rivages/Noir) d’Andrée A. Michaud. Un des événements de l’année c’est également le retour d’Emily St. John Mandel qui nous livre un extraordinaire récit de science-fiction intitulé La Mer De La Tranquillité (Rivages) ainsi que Laurent Petitmangin qui s’empare également du thème de l’anticipation avec Les Terres Animales (La Manufacture de Livres) sur fond de catastrophe nucléaire.

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.58.24.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.59.06.png

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 17.02.01.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.05.49.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.07.35.pngParmi les belles découvertes de l’année, il y a également Au Bon Temps De Dieu (Joëlle Losfeld) de Sebastien Barry abordant avec beaucoup de délicatesse le thème difficile des abus sexuels au sein de l’église catholique à Dublin. Le film de Martin Scorcese Killers Of The Flower Moon a permis de donner une seconde vie à La Note Américaine (Globe) de David Grann et c’est tant mieux. Puis Pierre Pelot revient sur le devant de la scène avec Loin En Amont Du Ciel (Gallimard/La Noire) un western crépusculaire époustouflant.

     

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 17.10.11.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.09.40.png

    Capture d’écran 2024-01-05 à 17.11.18.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.12.09.pngGrand retour également de Blacksad, série BD légendaire de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido qui s’articule autour d’un diptyque flamboyant intitulé Alors, Tout Tombe (Dargaud). Un autre détective revient, c’est Philip Marlowe dont la nouvelle traduction de La Dame Dans Le Lac (Série Noire/Classique) de Nicolas Richard nous permet d’apprécier toute l’envergure de l’écriture  de Raymond Chandler. Belle retrouvaille également de Jurica Pavičić déclinant les affres de la guerre de l’ex-Yougoslavie dans Le Collectionneur De Serpents (Agullo), pour un recueil de nouvelles extrêmement marquantes. Et puis une dernière belle surprise avec Feux Dans La Plaine (Rouergue/Noir) d'Olivier Ciechelski, un primo-romancier très prometteur. 

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    On ne fait jamais assez le bilan des romans que l’on a pas eu le temps de lire et encore moins de chroniquer. Je regrette toujours de n’avoir pas lu les récits d’Alan Parks ainsi que ceux de Tim Dorsey qui nous a quitté cette année. 

    Capture d’écran 2024-01-05 à 17.31.12.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.31.30.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.31.42.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.32.02.png

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    Il en va de même pour Roxanne Bouchard que j’ai eu le plaisir de rencontrer lors du festival Le Quai du Polar. Je les ai lus et je sais donc de quoi je parle, je ne peux que vous recommander de lire l’ensemble des romans de Michèle Pedinielli qui mettent en scène le personnage extraordinaire de Ghjulia Boccanera à l’esprit libertaire. 

     

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    Capture d’écran 2024-01-05 à 17.37.51.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.39.01.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.39.44.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.40.12.png

    Il faudra également que j’évoque les récits de Jake Adelstein, Tokyo Vice et Tokyo Détective ainsi que le magnifique Sambre d’Alice Géraud. Bref, on pourrait continuer comme ça indéfiniment, il y en a tant d’autres. 

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    Pour l’année 2024, je me réjouis de vous retrouver dans une certaine continuité en espérant tout de même rédiger davantage de retour de mes lectures que l’on retrouvera également sur la plateforme Instagram dont je découvre les fonctionnalités que tout récemment. Un univers assez déroutant qui retranscrit assez bien la frénésie du rythme des publications avec cette propension à décliner une quantité assez impressionnante d’ouvrages me laissant assez perplexe quant à mon propre rythme de lecture. A se demander si certains d’entre eux lisent tous les ouvrages qu’ils commentent dans des textes assez courts, puisqu’il va de soi que l’on privilégie l’image au détriment des mots ce qui est assez ironique lorsque l’on parle de livre. Quoiqu’il en soit, il y tout de même de très belles initiatives sur cette plateforme dont il est bon de s’inspirer sans pour autant délaisser ce bon vieux blog qui va encore perdurer quelques décennies en permettant de faire de belles rencontres que j’espère encore très nombreuses. Au plaisir de vous retrouver donc sur ces réseaux, mais également dans le monde réel et notamment au cours du festival des Quais du Polar à Lyon qui célèbre ses vingt ans.

     

    Bonnes lectures.

     

    A lire en écoutant : Des Hauts, Des Bas de Stephan Eicher. Album : Carcassonne. 1993 Barclay.

     

  • Raymond Chandler : La Dame Dans Le Lac. Entre deux eaux.

    Capture.PNG« Je vis une vague de cheveux blonds qui, pendant un bref instant, se déroula dans l'eau, s'allongea avec une lenteur calculée, puis s'enroula de nouveau sur elle-même. La chose roula sur elle-même encore une fois ; un bras vint écorcher la surface de l'eau et ce bras se terminait par une main boursouflée qui était celle d'un fantôme. "

    Traduction de Michèle et Boris Vian en 1948.

     

    "Je vis une vague de cheveux blond foncé se raidir dans l'eau et demeurer immobile un bref instant, avec un effet comme calculé, puis tourbillonner à nouveau en un enchevêtrement. La chose roula une fois de plus et un bras écorcha la surface de l'eau et ce bras se terminait par une main enflée qui était une main de monstre. "

    Traduction de Nicolas Richard en 2023.

     

    Il semble que ce soit François Guérif, alors directeur de la collection Rivages/Noir, qui se préoccupe en tout premier lieu de la qualité des traductions en offrant de nouvelles versions françaises notamment en ce qui concerne des auteurs anglo-saxons tels que Jim Thompson et Donald Westlake. Du côté de chez Gallmeister, Jacques Mailhos nous propose désormais une autre lecture en français des romans de James Crumley tandis que chez Gallimard, le célèbre romancier Dashiel Hammett bénéficie d'une nouvelle traduction intégrale à l'occasion de la parution de son œuvre intégrant la collection Quarto. Dans cette même collection, on trouve également la totalité des romans de Raymond Chandler en notant que les enquêtes de Philippe Marlowe font l'objet d’une traduction révisée par Cyril Laumonier à l'exception des versions de Michèle et Boris Vian, suscitant ainsi une certaine frustration. Car sans remettre en cause l'apport essentiel de ces deux traducteurs qui ont grandement contribué à l’essor de la littérature noire nord-américaine en France, il est difficile de comprendre cette espèce de sacralisation du travail du couple Vian que l'on serait incapable de remettre en question, ceci au détriment de récits emblématiques du roman policier que sont Le Grand Sommeil et La Dame Du Lac qui méritaient un nouvel éclairage en matière de traduction. C’est désormais chose faite avec la Série Noire qui inaugure sa collection Classique en sollicitant deux traducteurs chevronnés afin de retranscrire, d’une manière plus rigoureuse, l’essence des textes d’origine de ces deux polars hard-boiled légendaires. Avec de nombreux ouvrages traduits depuis 1990, dont ceux de Harry Crews, de James Crumley, de Hunter S Thompson et de Richard Powers, pour n’en citer que quelques-uns, le romancier et traducteur Nicolas Richard n’a rien d’un amateur dans le domaine et s’est donc attelé à nous offrir ce que l’on peut désormais considérer comme la voix française de Raymond Chandler en ce qui concerne La Dame Du Lac, titre auquel il a restitué le « in » de la version originale (The Lady In The Lake) en devenant ainsi La Dame Dans Le Lac.

     

    Derace Kingsley, directeur d’une grosse entreprise de parfumerie à Los Angeles, ne se fait plus beaucoup d’illusion au sujet de Crystal, son épouse volage, qui a disparu de la circulation. Tout de même inquiet, il engage le détective privé Philip Marlowe afin de la retrouver. Pour débuter ses recherches, l’enquêteur charismatique se rend à Puma Point, dernier point de chute de la disparue qui séjournait dans sa résidence secondaire du bord du lac. Une fois sur place, Philip Marlowe va à la rencontre de Bill Chess, homme à tout faire et gardien du chalet Kingsley, noyant son chagrin dans la bouteille depuis que sa femme a mis les voiles en laissant un message laconique en guise d’adieu. Après avoir fouillé les lieux en vain, les deux hommes se promènent au bord du lac lorsqu'ils distinguent une forme étrange flottant entre deux eaux, à proximité de ce qui apparaît comme la structure d'un ponton immergé. Se pourrait-il qu’il s’agisse d'un cadavre ?

     

    La Dame Dans Le Lac. Si l'on ne peut reprocher l'exactitude de la traduction, il est pourtant difficile d'assimiler ce nouveau titre, sans doute lié à l'affect de l'ancienne version française à laquelle on a pu s'attacher et qui résonnait d'une manière particulière avec la découverte de ce corps décomposé aux allures surnaturelles partiellement immergé dans le lac. On remarquera d'ailleurs, en comparant les deux traductions figurant en préambule de cette chronique, que l'on passe d'une main ressemblant à un fantôme pour passer à celle d'un monstre, en rendant justice au mot "freak" que mentionnait Chandler dans son texte. C'est d'ailleurs cette rigueur, cette précision ainsi qu'un grand travail de réflexion pour restituer l'essence du texte original que l'on va retrouver tout au long de cette nouvelle version française. Quatrième roman mettant en scène Philip Marlowe et publié en 1943, quelques mois après l'attaque de Pearl Arbor dont on devine les stigmates avec la présence de soldats aux abords d'un barrage ainsi que la réquisition du caoutchouc ornant les trottoirs de la ville, La Dame Dans Le Lac a la particularité de se dérouler, en grande partie, à l'extérieur de Los Angeles en entraînant le détective privé du côté de Bay City (ville fictive correspondant à l'agglomération de Santa Monica) ainsi qu'à Puma Point, petite localité de montagne que Raymond Chandler situe dans les hauteurs de San Bernardino. On y croise d'ailleurs le fameux shérif Patton qui se révèle beaucoup moins lourdaud qu'il n'y paraît en balayant ainsi cette image de péquenot propre à l'archétype de tels personnages ainsi que la journaliste locale Birdie Keppel travaillant également comme esthéticienne et dont on apprécie la vivacité d'esprit. Et puis, dans une succession de faux-semblants, on distingue les personnalités évanescentes de Muriel Chess et de Crystal Kingsley bouleversant avec une redoutable efficacité les codes de la femme fatale tout en se confrontant à la brutalité du lieutenant-détective Degarmo dont le rôle ambigu ne fait qu'accentuer le caractère inquiétant du personnage. Tout comme certains de ses romans précédents, La Dame Dans Le Lac est un assemblage de plusieurs nouvelles, parues notamment dans le fameux magazine Black Mask, dont l'enchevêtrement d'intrigues se révèle tout de même beaucoup moins complexe que Le Grand Sommeil et dont on appréciera le rythme ainsi que la pluralité des lieux que l'on parcourt au gré du récit demeurant, sur beaucoup d'aspects, d'une surprenante modernité. Tout cela, Nicolas Richard nous le restitue en français avec une remarquable perfection pour mettre en exergue la classe et l'humour caractérisant le mythique détective privé, cette vivacité dans les dialogues, désormais dépourvus de ce jargon démodé et de cette gouaille antédiluvienne, ainsi que ce soin apporté aux descriptions et phases de réflexions très fréquemment détaillées et parfois imprégnées de nuances poétiques, véritables cartes maitresses de l'élégance du style inimitable de Raymond Chandler qui demeure l'une des plus grandes figures de la littérature noire et à qui l'on rend tout son éclat avec cette magistrale traduction.

     

     

    Raymond Chandler : La Dame Dans Le Lac (The Lady In The Lake). Editions Gallimard/Collection Série Noire Classique 2023. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard.

    A lire en écoutant : Blues de Franz Waxman. Album : Crime In The Streets. 1956 UMG Recording, Inc.