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France - Page 4

  • Nagui Zinet : Une Trajectoire Exemplaire. La vie ne vaut rien.

    nagui zinet,une trajectoire exemplaire,joelle losfeld éditions"Les amours ratent, mais de peu, c'est ainsi que naissent les suivantes."


    Nagui Zinet

     

    Le phénomène Nagui Zinet n'a pas encore atteint la quiétude larvée de nos contrées helvétiques et pour découvrir son premier roman, il vous faudra farfouiller dans les rayonnages, voire même le commander auprès de votre libraire préféré. Ce serait pourtant dommage de passer à côté de ce qui apparaît comme la substantifique moelle du récit noir se distinguant au gré d'un style à la fois drôle et vachard qui vous flingue le moral. Ainsi, pour vous inciter à vous procurer, par n'importe quel moyen, Une Trajectoire Exemplaire, il peut être utile de mentionner quelques prescripteurs illustres tels que Nicolas Mathieu, Pierre Lescure ou Benoît Poolvorde qui ont pris le temps de dire tout le bien qu'ils pensaient de ce récit d'une centaine de pages s'attachant au parcours de ce gars en rade, vaguement porté sur la boisson, un peu moins sur le travail lui laissant le temps de lire les livres de Jim Thompson, et dont la relation amoureuse incertaine va forcément virer au drame. Et avant de vous dire que vous avez déjà lu cela mille fois, peut-être vous faudra-t-il prendre le temps de parcourir, en guise d’échantillon, les chroniques quotidiennes de Nagui Zinet que l'on trouve sous son profil Instagram Nestor Maigret. Il y décline, dans un style à l'humour cinglant, un quotidien de bières, de cigarettes et d'anxiolytiques au détour de ses échanges acides avec C. son amoureuse qui le supporte malgré tout, et qui vous balance quelques références littéraires à l'instar de Daniel Woodrell, de Jim Thompson bien sûr et de Georges Simenon pour ne citer quelques uns des auteurs qu'il affectionne et dont on soulignera le bon goût, ce qui n'a rien d’une évidence en ces temps où l’on nous abreuve de productions littéraires ineptes. Et ce n'est pas l’actualité des parutions du polar helvétique qui me contredira.

     

    Il lui reste 1000 euros sur son compte qu'il compte dilapider en bières et en cigarettes tout en lisant quelques romans noirs à la terrasses des rades qu'il fréquente pour dissoudre cette vie terne et sans objet. Le travail, il ne faut pas trop y compter car N. est un looser de 25 ans qui soigne son ambition à coup d'anxiolytiques et de tranquillisants. Il trouvera peut-être le salut avec Irène qu'il rencontre dans un bar au gré d'une attirance diffuse déboulant sur une relation amoureuse qui pourraient bien mettre fin à leurs solitudes respectives. Mais quand on est un paumé comme N. on cultive le mensonge comme un second souffle pour dissimuler son indigence. Et il suffit d'un tout petit grain de sable pour que tout s'écroule laissant place à la violence et à la folie qui en découle. 

     

    Cela a sans doute déjà été dit, mais il faut souligner qu'Une Trajectoire Exemplaire n'est ni plus ni moins que la fusion fracassante entre le style de Jim Thompson et celui de Charles Bukowski où la violence et la folie de l'un se conjugue à la déshérence et déchéance de l'autre, tout en se déclinant sur un registre à l'humour noir vif et percutant au gré du parcours de vie désenchanté d'un homme sans envergure, hormis une certaine roublardise lui permettant de poursuivre son existence végétative. A la suite d'un prologue intense, l'ensemble de l'intrigue prend l'allure d'un fait divers qu'un juge d'instruction est amené à juger en prenant connaissance du journal de N. nous permettant de nous immerger dans cette vie sans relief, se déclinant sur un tu intimiste, qui n'est pas dénuée d'instants poignants très vite balayés par ces considérations au vitriol qui ne l'épargnent guère, comme pour mieux assoir ce profil de perdant magnifique semblant se complaire dans cette trajectoire sans issue. Mais il ne suffit pas de balancer quelques petites punchlines bien senties pour faire un bon texte et il faut bien admettre que Nagui Zinet s’y entend pour maintenir un impressionnant équilibre narratif, dans un jeu d’équilibriste impressionnant d’où émerge ce mal-être permanent qui va nous conduire vers le drame inéluctable sans pour autant s’appesantir sur le registre de la violence qui reste pourtant extrêmement cruelle jusqu’au terme d’un récit maîtrisé. Ainsi, avec cette tonalité singulière dont on redemande déjà quelques pages supplémentaires, tels des toxicos en manque, Une Trajectoire Exemplaire fait figure de roman détonant que l’on recommande à celles et ceux en quête de cette fraîcheur impertinente qui fait trop souvent défaut dans un monde littéraire tout en convenance. 

     

    Nagui Zinet : Une Trajectoire Exemplaire. Joëlle Losfeld Editions 2024.

    A lire en écoutant : La Vie Ne Vaut Rien d'Alain Souchon. Album : Collection. 2001 Parlophone Music.

  • Maylis De Kerangal : Jour De Ressac. La ville d'avant.


    maylis de kerangal,jour de ressac,éditions verticalesOn l'aura compris, il faut quitter "l'ornière" de la littérature noire pour accéder au graal des grands prix de la rentrée comme l'ont fait avec succès Pierre Lemaître et Nicolas Mathieu pour n'en citer que quelques-uns qui ont emprunté ce parcours. Sans doute pour bien d'autres raisons, Sandrine Collette a longtemps figuré dans la collection Sueurs froides chez Denoël en obtenant deux des grandes récompenses célébrant le polar, avant d'intégrer, depuis plusieurs années, la maison d'éditions Jean-Claude Lattès lui permettant de rejoindre avec son dernier livre, la prestigieuse liste des nominés pour le prix Goncourt 2024. Dans un registre similaire, on constate que trois grandes figures du roman noir et du roman policier quittent le mauvais genre en présentant des ouvrages dans la collection "générale" du catalogue de leurs éditeurs respectifs. En effectuant cette démarche qui n’est ni anodine ni désintéressée, l‘un d’entre eux est lui aussi en lice pour le fameux prix Goncourt tout en étant également nommé pour l'obtention du Renaudot et du prix Jean Giono. Paradoxalement, on ne compte plus les ouvrages qui se frottent aux codes de la littérature noire sans être estampillés dans cette catégorie, en abordant les travers de la société par le prisme du crime et plus particulièrement du fait divers en disant d’eux qu’ils sont bien plus que des polars. Et dans cette veine aussi inepte qu’hypocrite, voilà qu’un journaliste affuté qualifie Jour De Ressac, nouveau roman de Maylis De Kerangal, comme un anti-polar pour une intrigue s’articulant autour de l’errance d’une femme devant identifier le corps d’un homme, découvert sur une plage du Havre, qu’elle pourrait avoir connu. Romancière multi primée, figurant également sur la liste du Goncourt, il importait donc de se pencher sur ce texte évocateur, tout en nuance, où Maylis De Kerangal nous permet de parcourir les rues de la ville de son enfance, pour découvrir finalement ce qu’est la définition d'un anti-polar.

     

    Dans le train qui l’emmène vers Le Havre, elle se demande ce qui peut bien la relier à l'homme que l'on a découvert sans vie sur la plage de la ville de son enfance. C'est le lieutenant de police Zambra qui l'a contactée en l'informant qu'il devait l'entendre pour une affaire la concernant où la victime pourrait avoir un lien avec les narcotrafiquants qui ont investi les docks de la localité. Un événement peu commun pour cette femme à la vie rangée, travaillant comme doubleuse voix et qui replonge dans ses souvenirs à mesure qu'elle arpente les rues rectilignes de cette ville portuaire lui offrant l'occasion de revoir quelques visages d'autrefois au gré de pérégrinations hasardeuses. Et si les photos de la victime qu'on lui présente au commissariat de police la plonge dans la perplexité, elle poursuit sa promenade urbaine tout en ayant peu à peu la certitude qu'il lui faudra voir le corps entreposé à la morgue de Rouen pour savoir s'il ne s'agit pas d'un amour lointain, lorsqu'elle était adolescente, et dont elle n'a plus jamais entendu parler.

     

    Finalement, à la lecture de Jour De Ressac, on se désintéressera très rapidement de la définition de ce que peut être un anti-polar tout comme de savoir si cette intrigue prend plus ou moins l'allure d’un roman noir, alors que l'on perçoit quelques vagues allusions aux narcotrafiquants sévissant dans les environs du port du Havre tandis qu'un officier de police s'efforce d'identifier le corps d'un homme que l'on a retrouvé échoué sur la plage. L'air de rien, Jour De Ressac porte bien son nom avec ce parcours d'une journée où l'on suit cette femme de la cinquantaine, dont on ignore le nom, qui se heurte brutalement aux méandres urbains d'une ville l'entrainant dans les circonvolutions de ses souvenirs de jeunesse, similaire à ce mouvement de vague qui va d'ailleurs la frapper lorsqu'elle se promène sur la digue nord du phare, non loin de l'endroit où l'on a retrouvé le corps qu'elle doit identifier. A partir de là, si l’enjeu de définir l’identité de la victime reste essentiel, on s’aperçoit bien vite que l’intrigue se construit autour de la personnalité de cette femme, de ses souvenir et de ses rapports au Havre que Maylis de Kerangal décline au détour d’une narration habile restituant cette atmosphère envoutante et cette lumière si particulière d’une localité dont on découvre l'histoire urbaine peu commune, bâtie sur les ruines d’une ville ravagée par les bombardements des alliés durant la seconde guerre mondiale. Et c’est bien autour des différents lieux de la ville que le récit se construit au gré des déambulations d’une femme qui tente de se prêter au jeu de l’enquêtrice amateure, avec une certaine maladresse, tout en se remémorant, dans un flux subtil entre le passé et le présent, quelques instants de sa jeunesse au Havre mais aussi les affres de sa profession en concurrence avec l’intelligence artificielle lui soufflant quelques contrats ainsi que ses rapports avec son mari imprimeur, passionné par son métier et ses enfants qui grandissent. Il y a également les rencontres comme l’employé communal qui a découvert la victime, la tenancière du café des Sirènes ou ces deux ukrainiennes en attente de leur visa pour l’Angleterre et bien évidemment ce lieutenant de police Zambra à l’origine de ce retour au Havre. Tout cela se décline au gré d’un texte intense aux longues phrases sinueuses et pourtant maîtrisées de bout en bout, dépourvues de la moindre afféterie, nous entrainant dans cette superbe aventure introspective au charme éthéré qui font de Jour De Ressac un roman magnétique nous plongeant dans cette incertitude latente qui nous marquera jusqu’au terme d’un épilogue parfait.

     

     

    Maylis De Kerangal : Jour De Ressac. Editions Verticales 2024.

    A lire en écoutant : Le Havre de UssaR. Album : Etendues. 2021 Quartier Général.

  • Marie Vingtras : Les Ames Féroces. A l'écart.

    marie vingtrass,les âmes féroces,éditions de l'olivierOn sait qu'elle est née à Rennes, qu’elle vit à Paris et qu'elle exerce le métier d'avocate en grappillant quelques instants pour écrire des fragments de fiction qu'elle accumule depuis des années et dont elle publie le premier texte en empruntant le pseudonyme de Marie Vingtras faisant référence à Jacques Vingtras, double de papier de Jules Vallès. On peut également apprendre que la romancière apprécie des auteurs comme Russel Bank, Ron Rash et Ken Kesey ainsi que des musiciens comme Nick Drake ou des réalisateurs tels que les frères Cohen avec cet intérêt marqué pour la culture anglo-saxonne, dont l'agrégat d'influence explique peut-être le fait que ses deux récits se déroulent aux Etat-Unis au gré d'une vision fantasmagorique dans tout ce qu'elle a de singulier et d'assumé. Il faut dire qu'il aurait été difficile de situer Blizzard (Editions de l'Olivier 2021) ailleurs que du côté de l'Alaska dont l'intrigue s'articule autour de la disparition d'un enfant en pleine tempête qui va amener certaines personnes à se dévoiler alors qu'elles cherchaient l'oubli au coeur de l'immensité de ces terres sauvages. Rencontrant un succès certain auprès des critiques, des lecteurs et surtout des libraires, Blizzard fait partie de ces romans que je regrette de ne pas avoir lu tant il suscite l'enthousiasme ainsi qu'une certaine attente pour Les Ames Féroces, second roman de Marie Vingtras qui a choisi de nous entrainer dans les méandres d’une enquête sur le meurtre d’une jeune fille secouant  la communauté d'une petite ville perdue des Etats-Unis (peut-être proche du Kentucky) sans que l'on ne soit vraiment certain de l’endroit où elle se situe.  

     

    Le 26 avril 2017 à Mercy, le soleil du printemps caresse ces iris sauvages masquant à peine le corps de Leo Jenkins que l'adjoint de la shérif Lauren Hodler vient de découvrir au bord de la rivière. En sursis, probablement parce que le maire n'apprécie pas forcément les femmes qui aiment les femmes, la policière va s'employer à découvrir l'auteur du meurtre de cette adolescente que tout monde appréciait au sein de cette communauté sans histoire. Peut-être trouvera-t-elle la réponse auprès de Benjamin Chapman, le professeur de littérature qui entretenait une relation forte avec la jeune victime. Il lui faudra également se tourner vers sa camarade de classe Emmy Ellis, une jeune fille aspirant secrètement à quitter cette ville qui l'étouffe. Et que pourra bien lui dire Seth Jenkins, un père meurtri que la vie n'a pas épargné et qui a dû élever seul sa fille après le départ de sa femme dont ils ne se sont jamais vraiment remis ? Ainsi, derrière l'image que chacun d'eux renvoie, apparaissent les secrets inavouables, les illusions perdues et les regrets qui vous rongent.

     

    Les Ames Féroces débute comme une intrigue policière pour glisser rapidement sur le registre de la radioscopie d'une petite ville américaine qui se dévoile sur l'espace d'une année dont chacune des saisons, débutant avec le printemps, est incarnée par ce qui apparaît comme les archétypes de la communauté que sont la shérif lesbienne, le professeur dévoyé, la jeune fille populaire et le perdant qui a sombré dans l'échelle sociale. Et tout au long du récit, il est d'ailleurs bien question de positionnement au sein d'une société féroce où il semble nécessaire de s'imposer par la force tandis que la moindre faiblesse fera l'objet d'une sanction ou d'une mise à l'écart. A partir de là, Marie Vingtras bâtit une intrigue subtile, toute en introspection où chacun des protagonistes va dévoiler ses failles, ses angoisses ainsi qu'une part plus ou moins ambivalente de son caractère tout en percevant, en filigrane, les soubresauts d'une enquête nous permettant également de saisir la personnalité de la victime et des rapports qu'elle entretenait avec Benjamin Chapman son professeur, Emmy Ellis sa meilleure amie et son père Seth Jenkins tandis que la shérif Lauren Hodler se débat pour conserver son poste et découvrir le coupable tout en essayant de faire en sorte que sa vie sentimentale ne fasse pas naufrage. Sur une alternance du passé et du présent, chacun de ces quatre protagonistes va dévoiler quelques éléments de ce qui apparaît comme un puzzle complexe où les non-dit et les secrets vont faire surface pour révéler les circonstances de la mort dramatique de Leo Jenkins sur un registre à la fois délicat et intimiste à l'atmosphère mélancolique. Le talent de Marie Vingtras réside dans le fait que l'on s'attache à chacun des quatre protagonistes qui laissent pourtant la place au suivant en fonction de l'apparition des saisons et dont on découvre l'évolution qu'au travers du regard des autres ce qui génère une délicieuse frustration agrémentée d'un certain frisson lorsque l'on saisit un rebondissement qui touche l'un d'entre eux. Ainsi, bien éloigné du roman choral, la narration se révèle d'un singularité saisissante tout en évitant l'écueil des clichés propre à ce style de récit, plus particulièrement lorsqu'il se déroule aux Etat-Unis, tout en instillant le doute à chaque instant quant à l'identité du meurtrier qui apparaît finalement comme un élément très secondaire d'un roman tout simplement majestueux. 

     

    Marie Vingtras : Les Ames Féroces. Editions de l'Olivier 2024.

    A lire en écoutant : The Child Is Gone de Fiona Apple. Album : Tidal. 1996 Epic Records.

  • COLIN NIEL : WALLACE. FORET CHIMERIQUE.

    Wallace, Colin Niel, éditions du rouergueC'est en s'aventurant sur le terrain de la forêt amazonienne et plus particulièrement celle de la Guyane française, que cet ancien ingénieur des eaux et forêts s'est fait connaître en lançant une série de romans policiers mettant en scène le capitaine André Anato, un gendarme noir-marron en quête de ses origines guyanaises et dont on suit les enquêtes débutant avec Les Hamacs De Carton (Rouergue/Noir 2012)  où il est justement question d'identité, puis se poursuivant au cœur de la jungle avec Ce Qui Reste En Forêt (Rouergue noir 2013) tandis que Obia (Rouergue noir 2015) prenait une allure un peu plus mystique alors que Sur Le Ciel Effondré (Rouergue noir 2015) nous permettait de nous immerger au sein du peuple Wayana, une communauté autochtone vivant sur les rives du fleuve Maroni.  Si le genre policier convient parfaitement à Colin Niel, il n'est pas en reste lorsqu'il se lance dans le roman noir où l'on découvre l'aspect rural de la région des Grandes Causse avec Seules les Bêtes (Rouergue noir 2017), dont l'adaptation au cinéma par le réalisateur Dominik Moll a connu un succès retentissant. Adoptant une nouvelle fois les codes du roman noir, avec une alternance entre le massif pyrénéen et les contrées sauvages de la Namibie, les thèmes de la faune et de la nature demeurent omniprésents avec Entre Fauves (Rouergue noir 2020) où l'intrigue s'articule également autour du délicat sujet de la chasse. Et puis il y a Darwyne (Rouergue noir 2022) roman aux connotations à la fois sociales et fantastiques avec lequel Colin Niel nous entraîne une nouvelle fois en Guyane au gré du parcours singulier d'un petit garçon partagé entre l'amour de sa mère qui le rejette et sa fascination pour la forêt amazonienne. C'est peu dire que l'on avait été marqué par cette intrigue à la fois sombre et poignante où le rapport à la magie nous offrait une toute autre vision de l'environnement forestier, en allant à la rencontre de créatures issues des contes et légendes de la région. Cet aspect chimérique de la faune et de la flore de la Guyane, on va le retrouver avec Wallace qui prend l'allure d'une suite, sans en être vraiment une, puisque l'on retrouve bon nombre des protagonistes principaux de Darwyne, dix ans après les péripéties de ce précédent récit. A l'occasion de la sortie de ce nouveau roman, il ne faudra pas manquer d'aller à la rencontre de Colin Niel qui sera présent lors du festival Le Livre Sur Les Quais se déroulant sur les bords du lac Léman à Morges.

     

    Au service social de la protection de l'enfance d’une ville de Guyanne, on peut toujours compter sur les compétences de Mathurine qui s'investit corps et âme dans son travail d’assistante sociale tout en élevant seule son fils Wallace, âgé de neuf ans. Passionné de jeux vidéo, le jeune garçon ne comprend pas l'intérêt que sa mère porte à tout ce qui a trait à cette forêt si dense qu'elle fait presque peur, tant et si bien que les relations deviennent de plus en plus tendues, ce d'autant plus que Mathurine est encore bouleversée par la mort d'une jeune fille placée en famille d'accueil et que l'on a retrouvé noyée dans le lit d’une rivière. Et lorsque le père de l'enfant décédée confie à l'assistante sociale avoir vu une étrange apparition à la lisière de cette jungle qu'il connaît bien, il y a les souvenirs qui remontent à la surface. Ceux de ce petit garçon qu'elle a croisé il y a de cela bien des années et dont elle est persuadée qu'il n'a pas pu disparaître au cœur de cette forêt qu'il affectionnait tant et dans laquelle il évoluait comme s'il était chez lui.

     

    On appréciera tout d'abord cette superbe couverture colorée de Wallace illustrant parfaitement le thème de cette nature luxuriante à laquelle se mêlent quelques créatures légendaires de la forêt amazonienne que l'on avait déjà croisées lors de la lecture de Darwyne, tout en notant que ce récit n'intègre plus la collection noire des éditions du Rouergue, ce qui n'enlève rien à ses qualités, bien au contraire puisque l'on retrouve cette construction narrative chargée en tension, caractéristique intrinsèque de l'auteur qui sait également jouer avec les émotions. Avec Wallace, Colin Niel se concentre principalement autour du personnage de Mathurine qui a bien évidemment évolué avec le temps, ce d'autant plus qu'elle a donné naissance à l'enfant qu'elle désirait tant et qu'elle élève seule du mieux qu'elle le peut. On observera les rapports complexes qu'elle entretient avec son fils dont on adopte également le point de vue au rythme de l'alternance des chapitres qui se concentrent également sur le personnage de Tiburce, ce père meurtri par la perte de sa fille et qui veut en faire porter la responsabilité sur quelqu'un d'autre que lui car il ne peut supporter un tel poids sur ses épaules. Ainsi, Colin Niel dépeint habilement la difficulté des rapports entres parents et enfants, du manque qui peut en découler parfois, de l'incompréhension générant colère et frustration et surtout de cet amour qui déborde mais que l'on ne sait pas toujours formuler de manière correcte. Et puis en arrière-plan, à la lisière du parcours chaotique de ces trois protagonistes, il y a la personnalité de Darwyne qui plane sur l'ensemble de l'intrigue où l'enjeu consiste à déterminer si cet enfant d'autrefois a vraiment existé en endossant les aspects du Maskilili, ce petit être issu du folklore guyanais dont les pieds retournés lui permettent d'égarer dans la forêt ceux qui se seraient mis en tête de le suivre. A partir de là, le récit bascule dans une dimension fantastique tout en maîtrise car elle oscille sur un certain réalisme en nous permettant de découvrir d'autres créatures étranges, issues de cette forêt primaire dont on dit qu'une partie de la faune et de la flore n'a pas encore été répertoriée et qui recèle donc quelques secrets dont l'homme n'a pas encore eu accès et qu'il convient sans doute de préserver. Mais au-delà de l'égarement dont il est question, le passage dans la forêt prend l'allure d'un voyage initiatique permettant à Mathurine, Wallace et Tiburce de retrouver un certain sens dans leur vie et peut être de dégager ce qui parait essentiel, à savoir cet amour qu'ils gardaient en eux, par crainte de faiblesse ou de maladresse. Mais plutôt que d'apparaître comme une évidence, Colin Niel joue avec l'incertitude et la peur générant cette fameuse tension émanant d'un texte prenant et tout en émotion, ceci jusqu'au terme d'un récit séduisant qui sort de l'ordinaire tout en appréciant ces petits clins d'oeil, pour les connaisseurs, à Obia, troisième opus des enquêtes du capitaine Anato, dont on découvre le devenir de l'entourage de certains de ses protagonistes. Ainsi, c’est tout l’univers de la Guyane que l’on découvre encore une fois, sans d’ailleurs que la région soit explicitement évoquée, ce qui confère à Wallace un caractère universel, tant dans les domaines sociaux qu’environnementaux tout en s’agrégeant dans le substrat foisonnant des légendes au gré d’une intrigue habile qui ne manquera pas de bouleverser les lecteurs qui vont s’aventurer dans monde à nul autre pareil.

     

    Colin Niel : Wallace. Editions du Rouergue 2024.

    A lire en écoutant : Ti Péyi-a de Saïna Manotte. Album : Poupée Kréyol.2018 Saïna Manotte.

  • Frédéric Paulin : Nul Ennemi Comme Un Frère. La guerre du Liban.

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    Service presse.

     

    Alors bien sûr, on annonce plus de 450 romans pour cette rentrée littéraire 2024, tandis que journalistes, chroniqueurs, blogueurs et autres influenceurs littéraires affutent leurs arguments éclairés pour vous livrer l’ouvrage indispensable qu’il vous faut acquérir en énumérant notamment quelques mastodontes de la littérature trustant cette faste période livresque. Alors bien sûr, il y a les classiques d’autrefois dans lesquels on trouve refuge et les romances d’aujourd’hui qui vous lavent la tête dans une logique toujours plus expansive de divertissement comme en témoigne les rayonnages toujours plus imposants de littérature « young adult » et de récits « feelgood ». Alors bien sûr, on aura l’air malin de dénigrer ces genres littéraires alors que le roman noir et le polar font l'objet d'un dédain, voire d'un mépris qui reste d'actualité. Tout juste nous accorderons-nous sur le fait que la plupart de ces ouvrages s’inscrivent dans une logique d’échappatoire du quotidien tandis que la littérature noire se décline autour d’une démarche totalement opposée dans laquelle figure, parmi tant d’autres, le romancier rennais Frédéric Paulin s’interrogeant en permanence sur le monde qui nous entoure. Diplômé de science politique, ayant exercé les professions de journaliste indépendant et de professeur d’histoire et géographie, il est désormais l’auteur de près d’une trentaine de romans et de nouvelles dont la fameuse trilogie Tedj Benlazar qui fait référence, au gré d’une fiction nous permettant d’appréhender, de manière saisissante, l’histoire du terrorisme djihadistes lors de son émergence en Algérie avec La Guerre Est Une Ruse (Agullo 2018), de son évolution nous entraînant vers les tragédies du 11 septembre 2001 aux USA avec Prémices De La Chute, pour nous conduire finalement, avec La Fabrique De La Terreur (Agullo 2020), jusqu’aux attentats du 15 novembre 2015 qui ont frappé Paris. Toujours animé de cette volonté de mettre en lumière, par le biais de la fiction, la part sombre de l’histoire contemporaine, Frédéric Paulin se penchait, avec La Nuit Tombée Sur Nos Âmes (Agullo 2021), sur les événements du G8 à Gênes et de l’escalade de violences débouchant sur des émeutes et des exactions policières sans précédent ainsi que sur la mort d’un manifestant abattu par un carabinieri. Difficile d’énumérer la liste des prix prestigieux qui ont encensé ces différents ouvrages en récompensant notamment cette surprenante assimilation d’une documentation impressionnante permettant de mettre en scène d’habiles fictions se conjuguant avec les méandres des faits historiques qu’il dépeint avec autant de rigueur que de recul. C’est dans ce même registre, mais en affichant une dimension encore plus ambitieuse, que l’on va découvrir une nouvelle trilogie époustouflante que Frédéric Paulin consacre à la guerre du Liban et dont on appréhende les premières années avec Nul Ennemi Comme Un Frère, titre évocateur d’une lutte aussi sanglante que fratricide. Alors bien sûr, à l’aune de cette période éditoriale surchargée où l’emploi des superlatifs en tout genre devient monnaie courante en suscitant tout juste un vague haussement d’épaule blasé, il conviendra simplement de mentionner que Nul Ennemi Comme Un Frère fait figure de roman incontournable, bien au-delà de cette simple rentrée littéraire, nous donnant l'occasion de mieux saisir notre époque et plus particulièrement certains aspects des événements actuels frappant cruellement le Proche-Orient qui s’embrase.

     

    Cela fait déjà quelques temps que les milices chrétiennes du Liban voient d'un mauvais œil l'implantation de camps de réfugiés palestiniens, source de toutes les tensions prenant soudainement une tournure dramatique le 13 avril 1975 lorsque leur leader Pierre Gemayel, qui inaugurait une église dans la banlieue est de Beyrouth, est blessé lors d'une fusillade où l'un de ses gardes du corps perd la vie. En guise de représailles, les miliciens mitraillent un bus transitant dans leur périmètre en abattant plus d'une vingtaine de militants palestiniens et chiites. Ainsi débute la guerre civile libanaise dont le diplomate Philippe Kellerman, attaché à l'ambassade de France, va être le témoin en observant l'embrasement d'un pays qui s'enfonce dans une violence aveugle et sans limite. Agent des services de renseignement français, attaché également auprès de l'ambassade, le capitaine Dixneuf se demande si le gouvernement de Giscard et celui de Mitterand qui lui succède sont en mesure d'endiguer cette spirale infernale de luttes fratricides où les alliances se font et défont en fonction des circonstances et des intérêts de chacun. C'est pour y répondre, en tentant de sensibiliser la droite française à la cause chrétienne que le jeune avocat Michel Nada s'installe à Paris tandis que ses frères poursuivent le combat dans les quartiers de Beyrouth. Dans un tel contexte délétère, le chiite Abdul Rassol al-Amine se doute bien que la situation va encore dégénérer tout en préparant déjà ses combattants à une lutte à mort où tous les coups sont permis jusqu'au sacrifice ultime.

     

    Pour certains d'entre nous, il y a encore ces faits d'actualités d'autrefois qui résonnent à l'instar de ce décompte quotidien des jours de détentions des otages du Liban dont les portraits s'affichaient sur nos écrans en préambule du journal télévisé de 20 heures d'Antenne 2 ou de ces attentats et massacres qui ont marqué notre mémoire. On revoit encore ces carcasses des immeubles de Beyrouth ravagés par les explosions. Et puis on se souvient vaguement du nom de ces factions qui s'affrontent avec l'émergence du Hezbollah et des phalanges chrétiennes sans que l'on ne comprenne réellement les enjeux de cette guerre civile d'une cruauté sans limite faisant plus de 200'000 morts sur une période de 15 ans. Sans pour autant devenir un expert en géopolitique spécialisé dans les questions du Proche-Orient et dont les prérequis ne s'avèrent d'ailleurs pas nécessaire pour aborder Nul Ennemi Comme Un Frère, vous allez découvrir dans cette première partie d'une trilogie annoncée, l'enchainement des événements tragiques qui ont émaillé ce conflit armé ainsi que ses répercussions en France au gré d'un récit au rythme soutenu, dépourvu du moindre chapitre et que l'on absorbera d'un traite au bout d'une petite journée de 72 heures tant l'intrigue se révèle passionnante du début jusqu'à une fin provisoire qui nous fera trépigner d'impatience dans l'attente d'une suite qui s'annonce d'ores et déjà prodigieuse. Pariant sur l'intelligence du lecteur ainsi que sur sa concentration, aidé en cela par l'absence d'une cartographie inutile et d'un glossaire bien trop souvent abscons, Frédéric Paulin décline un texte d'une redoutable efficacité et d'une solide précision nous permettant de digérer aisément la multitude de personnages fictifs ainsi que l'ampleur d'une intrigue complexe où la fiction s'agrège habilement à l'actualité de l'époque que ce soit en France et au Liban tout en côtoyant les personnalités de l'Histoire qui ont joué un rôle dans le déroulement de ces événements. Outre les belligérants du Liban et des pays avoisinants, les diplomates désabusés et alcooliques, les dirigeants et responsables politiques aux positions ambivalentes, les agents secrets aux allures de barbouze frayant avec des policiers traquant des groupes terroristes comme Action Directe, on appréciera la personnalité trouble de Zia al-Faqîh, épousant la cause chiite au Liban jusqu'aux extrémités les plus abjectes ainsi que la force de caractère de la juge Sandra Gagliago qui s'investi peu à peu dans les affaires judiciaires en lien avec le terrorisme qui frappe la France. C'est donc autour de l'ensemble du parcours de ces protagonistes que l'on observe cet enchainement d'éclats de violence qui en entrainent d'autres en générant tout un flot de conséquences s'inscrivant dans une logique aussi factuelle qu'infernale que n'aurait pas renié un romancier comme Jean-Patrick Manchette, tandis que l'intensité du texte nous rappelle les récits de James Ellroy tout en étant parsemé de quelques instants lyriques que David Peace aurait sans doute écrit. Mais bien plus que ces références, on dira du style de Frédéric Paulin qu'il est à nul autre pareil avec cette volonté d'aller à l'essentiel au détour d'une écriture cinglante, dépourvue de la moindre fioriture nous permettant d'aborder sans difficulté la chronologie des événements qui ont marqué la guerre du Liban tout en découvrant quelques aspects méconnus de ce conflit à l'instar de ce trafic de stupéfiants de grande ampleur permettant de financer les milices chiites et les phalanges chrétiennes au gré d'une alliance de circonstance plus que surprenante ou de ce contentieux financier conséquent entre la France et l'Iran entrainant des répercussions d'une incroyable violence. Dès lors, on comprendra que Nul Ennemi Comme Un Frère apparaît comme un roman d'une envergure peu commune qui va vous foudroyer de la première à la dernière page et dont on attend les deux autres volumes avec une certaine fébrilité.  

     

    Frédéric Paulin : Nul Ennemi Comme Un Frère. Agullo noir 2024.

    À lire en écoutant : The Rythm Of The Heat de Peter Gabriel. Album : Peter Gabriel (4). 1982 Peter Gabriel Ltd.