JEAN GIONO : UN ROI SANS DIVERTISSEMENT. LES ETENDUES DESERTES ET GLACEES.
Un roi sans divertissement est un homme plein de misère. Pascal
On examinera probablement à plusieurs reprises la date du copyright de ce roman tant il apparaît d'une impressionnante modernité avec cette sensation d'être paru tout récemment alors qu'il a été publié en 1948, après deux ans de mise à l'index par le comité national des écrivains sanctionnant son attitude jugée controversée durant l'Occupation. Un Roi Sans Divertissement fait figure de premier ouvrage de ce que Jean Giono appellera ses Chroniques comprenant notamment Noé (La Table ronde 1947), Les Ames Fortes (Gallimard 1949), Les Grands Chemins (Gallimard 1951) et Le Moulin de Pologne (Gallimard 1952) et qui s'inscrivent dans une vaste démarche de romans expérimentaux où la créativité de la langue et de la narration atteignent des sommets tout en étant destinés initialement au lectorat américain afin de contourner la censure dont il fait l'objet en France. Une période plutôt sombre qui rejaillit immanquablement dans Un Roi Sans Divertissement prenant l'allure, osons le
dire, d'un véritable roman noir, genre pour lequel Giono affichait un attachement assidu, plus particulièrement pour la collection Série Noire et qui affirmait dans une lettre adressée à Marcel Duhamel que "c'est le refuge du vrai roman". On notera également le recueil de textes du romancier au sujet de la littérature De Monluc A La Série Noire (Les cahiers de la nrf 1998) manifestant, encore une fois, un intérêt évident pour la littérature policière figurant à l'époque comme le nouvel avatar de l'art de la narration occidentale. Mais pour en revenir à Un Roi Sans Divertissement, on dit que son auteur l'aurait été rédigé avec une rapidité vertigineuse en parlant d'une période d'un mois, voire même 27 jours, selon certains rapporteurs, pour ce qui apparaît comme l'un des grands classiques de la littérature qui n'a rien de poussiéreux tant son audace continue à subjuguer les lecteurs s'aventurant dans cette émulsion de créativité nécessitant sans aucun doute, plusieurs lectures afin de saisir toute l'incandescence d'un récit qui confine au sublime tout simplement.
En 1843, dans le Trièves, région reculée du Vercors, il y a ce petit village non loin de Chichilianne où l'on signale la disparition de Marie Chazottes puis l'agression de Ravanel Georges qui échappe de peu à ce qui apparaît comme une tentative d'enlèvement. Et puis c'est dans le courant de l'hiver l'année 1844 que l'on s'aperçoit d'une nouvelle disparition, celle de Bergues, un braconnier célibataire qui arpente la région parfois durant quelques jours mais dont on est désormais sans nouvelle depuis plusieurs semaines en constatant, en se rendant à son domicile, qu'il n'a pas même pas pris le temps de finir son repas resté figé dans l'assiette. Définitivement terrorisée, la communauté se décide à quérir la gendarmerie royale de Clelles qui dépêche une petite compagnie de six gendarmes conduits par le capitaine Langlois. S'ensuit la traque d'un individu dont on ne saisit pas les motivations puisqu'il ne détrousse pas ses victimes qu'il emporte avec lui, chose peu commune ce d'autant plus qu'il s'en prend tant aux femmes qu'aux hommes du village. Mais malgré les patrouilles et toutes les précautions prises, c'est Callas Delphin-Jules dont on est sans nouvelle avant que tout ne s'apaise au début du printemps sans que l'on ait pu identifier l’agresseur. Ainsi, les gendarmes dépités quittent les lieux sans avoir pu l'appréhender. Néanmoins, au début de l'hiver 1845, le capitaine Langlois revient seul au village et s'installe au Café de la route, bien décidé à démasquer celui qu'il ne considère pas comme un monstre et dont il semble connaître certains aspects de sa personnalité.
Décortiqué à maintes reprises à l'occasion de thèses ou d'essais, bien difficile d'être en mesure de saisir toute la richesse enfouie dans Un Roi Sans Divertissement qui se distingue dans la luxuriance de cette langue que Jean Giono manie avec une virtuosité que ce soit dans l'art de la narration bien sûr, mais également dans l'art de l'ellipse, des non-dits et bien évidemment dans ces somptueuses descriptions qui vous étourdissent à l'instar de cet hêtre aux connotations quasi fantastiques qui devient l'une des pièces centrales de l'intrigue.
"Et à l'automne, avec ses longs poils cramoisis, ses mille bras entrelacés de serpents verts, ses cent mille mains de feuillage d'or jouant avec des pompons à plume, des lanières d'oiseaux, des poussières de cristal, il n'était pas vraiment un arbre. Les forêts, assises sur les gradins des montagnes, finissaient par le regarder en silence."
Débutant avec ces successions de disparitions et d'agressions étranges, l’intrigue prend des tonalités extrêmement sombre qui se déclinent dans l’âpreté de cette atmosphère hivernale du Trièves que jean Giono connaît bien puisqu'il y séjournait régulièrement. On est immédiatement saisi par la langue du narrateur qui s'inscrit dans le registre d'une transmission orale dans laquelle s'enchâsse les différents témoignages des protagonistes de l'intrigue s'inscrivant dans différentes temporalités que ce soit en 1946 avec ce narrateur dont on ne sait rien et qui pourrait être Giono lui-même, en 1916 avec ce groupe de vieillards transmettant les histoires racontées par leurs aïeux et en 1868 avec Saucisse, cette tenancière de l'auberge du village qui témoigne vingt ans après les événements qui ont marqué la localité dont on ignore le nom. C'est donc déjà là que l'on décèle toute la complexité de la narration talentueuse de Jean Giono qui parvient à mettre en scène avec une aisance déconcertante toutes ces strates de l'histoire de Langlois et de ce tueur sévissant dans la région ainsi que la diversité et l'inventivité du langage en fonction de la personne qui intervient dans le cours de ce roman captivant qui vous ensorcelle littéralement. Si dans une première partie, il est question de tension que ce soit autour de la traque de ce mystérieux tueur et de la chasse dantesque de ce loup solitaire, la seconde partie s'attache au devenir de Langlois et du spleen qui l'assaille et dont le romancier parvient à saisir toute la quintessence du mal qui le ronge à l'exemple de ce rare moment où l'on semble percevoir son point de vue à l'occasion d'une fête estivale où il est présent en apparence alors qu'il vit "dans les étendues désertes et glacées" et qui devient le point de bascule d'un récit aux connotations quasi métaphysiques, dont on peut même se demander s'il ne s'agit pas d'un rêve ou plutôt d'un cauchemar au regard notamment de cet anachronisme final de la dynamite qui n’existait pas à l’époque du déroulement des faits et dont on en saurait dire s’il est accidentel ou intentionnel. Emerge donc dans Un Roi Sans Divertissement, cette fascination de la violence et du mal qui deviennent les seules ressources d'un homme sombrant dans l'ennui et que Jean Giono dépeint avec une perfection sans commune mesure, accompagnés que nous sommes par toute une galerie de personnages attachants aux profils extraordinaires, devenant les témoins de la chute tragique de Langlois. Un chef-d'œuvre qui vous foudroie littéralement.
Jean Giono : Un Roi Sans Divertissement. Editions Folio 2024.
Jean Giono : Oeuvres Romanesques complètes. Volume III. Bibliothèque de la Pléiade 1974.
A lire en écoutant : Symphonie N° 7 en La majeur, Allegretto de Beethoven. Album : Chicago Symphony Orchestra - Carlo Maria Giulini. 1987 EMI Records Ltd.
Il est l'auteur de près d'une vingtaine de romans noirs publiés initialement dans des collections dédiées au mauvais genre telle que Fleuve Noir avant d'intégrer la maison d'éditions Zulma qui a eu la bonne idée de rééditer très récemment certains de ses écrits afin que l'on n'oublie pas l'humour acide qui imprègne les textes de ce romancier qui est décédé en 2010 alors qu'il avait à peine 60 ans. Après avoir quitté l'école à l'âge de 15 ans débouchant sur une carrière professionnelle faite d'errance et de petits boulots ainsi qu'une tentative très brève dans le domaine du rock français en tant que parolier, il rédige quelques nouvelles avant de se consacrer définitivement à l'écriture de romans noirs. On lui doit également toute une multitude d'ouvrages dédiés à la jeunesse ainsi que plusieurs recueils de nouvelles ce qui ne m'a pas empêché de découvrir cet écrivain que très tardivement à l'occasion de ce #bookclub du #prixbookstagram consacré à la littérature noire, sous l'appellation #leromannoir. Et c'est en consultant la multitude de romans noirs proposés au sein de ce club de lecture qu'émerge La Place Du Mort l'un des livres représentatifs du talent de Pascal Garnier que l'on considérera sans hésitation comme l'une des belles découvertes de l'année et dont on se réjouit déjà à l'avance de savourer l'intégralité d'une oeuvre qui semble s'inscrire dans un style à la fois tendre et cinglant s'articulant autour de faits divers révélant toute la misère humaine d'individus dont les comportements décalés nous entrainent dans le sillage d'intrigues flirtant avec l'absurde.
Après avoir séjourné quelques jours chez son père, Fabien prend son train pour rentrer à Paris. Il n'a pas manqué de ramener une lilas pour son épouse Sylvie qui a sans doute accompagné son amie Laure au cinéma, comme elle le fait parfois lorsqu'il est absent, ce qui fait qu'il retrouve l'appartement vide. Mais c'est en consultant le répondeur du téléphone que Fabien apprend, par l'entremise de l'hôpital de Dijon, que Sylvie a eu un accident de voiture et qu'il est désormais veuf. En se demandant ce que faisait sa femme du côté de Dijon, il apprend incidemment que celle-ci avait un amant qui conduisait le véhicule et qui est également décédé lors de cette embardée mortelle. La nouvelle a de quoi vous bouleverser à plus d'un titre, mais Fabien, en apprenant que l'amant était également marié, décide d'épier cette femme et de la séduire afin de pouvoir se targuer de lui rendre la pareille. Un quête virant à l'obsession, ce qui fait que Fabien ne perçoit pas le guêpier dans lequel il s'est fourré. Il va bien rapidement l'apprendre à ses dépens.
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Dans la Louisiane des années quarante, Jefferson, un jeune noir indigent et quasiment illettré se retrouve au mauvais endroit, au mauvais moment en compagnie des mauvaises personnes ce qui fait qu’il est le seul survivant du braquage d’une épicerie, dont une des victimes n’est autre que le propriétaire blanc du négoce. Accusé à tord d’être l’un des responsables de cette tragédie, le jeune homme est condamné à mort au terme d’un procès expéditif où son avocat commis d’office fait valoir sa condition de « porc » lors d’une plaidoirie soulignant toute son incompétence. Témoin de la scène, il est hors de question pour sa marraine que l’on considère son filleul comme un animal et supplie Grant Wiggins, l’instituteur du village, de faire en sorte que Jefferson recouvre sa dignité en prenant en charge son éducation au sein de la prison où il attend l’exécution de sa sentence. Dérouté par une telle demande, s’ensuit une confrontation entre deux hommes aux opinions et aux certitudes divergentes tandis que l'échéance fatidique approche.
Même si elle s'est diversifiée depuis, la maison indépendante Chandeigne s'est spécialisée dans tout ce qui a trait aux récits de voyage et au monde lusophone en publiant toute une diversité d'ouvrages allant des essais aux recueils de poésie, en passant par de beaux-livres grands formats, aux romans bien sûr et aux récits historiques souvent agrémentés d'illustrations et de cartes de l'époque qui font le bonheur tant du grand public que des spécialistes. L'autre particularité de l'entreprise, c'est la qualité apportée à chacune des publications que ce soit dans le choix du papier et le soin de la typographie ainsi que dans la beauté sobre des couvertures au toucher légèrement rugueux que l'on apprécie tant et qui se fait de plus en plus rare. Les quelques romans policiers du catalogue ne font pas exception comme on peut le constater avec Le Club De Macao du romancier et journaliste portugais Pedro Garcia Rosedo qui s'inspire des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire de son pays dont il a décliné une dizaine de fictions en adoptant le registre du roman noir lui permettant de se livrer à une critique sociale cinglante de la bonne société lisboète. Ainsi pour ce qui concerne Le Club De Macao, l'auteur fait allusion au retentissant procès de la "Casa Pia", du nom de cette institution étatique pour enfants défavorisés qui ont été abusés durant des décennies dans ce qui apparaît comme le plus grand scandale pédophile du Portugal impliquant les plus hautes instances de la politique et du show-business.
En 1986, désireux de pimenter leur vie et de tromper la routine au sein de cette colonie portugaise de Macao, le juge Carlos de Sousa Ribeiro s'associe avec trois fonctionnaires de police, un présentateur de télévision et un médecin afin de mettre sur pied le Club de Macao qui n'est rien d'autre qu'une maison de passe où ils peuvent assouvir leurs bas instincts avec de jeunes adolescentes chinoises qui sont prêtes à tout pour s'extraire de leur misérable condition. Mais lorsque l'une d'entre elles est retrouvée éventrée dans l'appartement de son souteneur, le club est dissous et chacun des membres quitte précipitamment la ville pour retourner au Portugal.
Il y a une certaine force de caractère qui émane des textes de la maison d’éditions Asphalte nous embarquant principalement vers des contrée méconnues comme les pays d’Amérique du Sud où l’on a rencontré l’auteur chilien