Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

LES AUTEURS

  • JEAN GIONO : UN ROI SANS DIVERTISSEMENT. LES ETENDUES DESERTES ET GLACEES.

    Capture d’écran 2025-11-30 à 14.06.08.pngUn roi sans divertissement est un homme plein de misère.

                                                                                                                    Pascal

     

    On examinera probablement à plusieurs reprises la date du copyright de ce roman tant il apparaît d'une impressionnante modernité avec cette sensation d'être paru tout récemment alors qu'il a été publié en 1948, après deux ans de mise à l'index par le comité national des écrivains sanctionnant son attitude jugée controversée durant l'Occupation. Un Roi Sans Divertissement fait figure de premier ouvrage de ce que Jean Giono appellera ses Chroniques comprenant notamment Noé (La Table ronde 1947), Les Ames Fortes (Gallimard 1949), Les Grands Chemins (Gallimard 1951) et Le Moulin de Pologne (Gallimard 1952) et qui s'inscrivent dans une vaste démarche de romans expérimentaux où la créativité de la langue et de la narration atteignent des sommets tout en étant destinés initialement au lectorat américain afin de contourner la censure dont il fait l'objet en France. Une période plutôt sombre qui rejaillit immanquablement dans Un Roi Sans Divertissement prenant l'allure, osons le jean giono,un roi sans divertissement,éditions gallimard,éditions folio,édition de la pléiade,chronique littéraire,avis de lecture,blog littéraire,roman noir,classique littéraire,mon roman noir et bien serré,littérature françaisedire, d'un véritable roman noir, genre pour lequel Giono affichait un attachement assidu, plus particulièrement pour la collection Série Noire et qui affirmait dans une lettre adressée à Marcel Duhamel que "c'est le refuge du vrai roman". On notera également le recueil de textes du romancier au sujet de la littérature De Monluc A La Série Noire (Les cahiers de la nrf 1998) manifestant, encore une fois, un intérêt évident pour la littérature policière figurant à l'époque comme le nouvel avatar de l'art de la narration occidentale. Mais pour en revenir à Un Roi Sans Divertissement, on dit que son auteur l'aurait été rédigé avec une rapidité vertigineuse en parlant d'une période d'un mois, voire même 27 jours, selon certains rapporteurs, pour ce qui apparaît comme l'un des grands classiques de la littérature qui n'a rien de poussiéreux tant son audace continue à subjuguer les lecteurs s'aventurant dans cette émulsion de créativité nécessitant sans aucun doute, plusieurs lectures afin de saisir toute l'incandescence d'un récit qui confine au sublime tout simplement. 

     

    jean giono,un roi sans divertissement,éditions gallimard,éditions folio,édition de la pléiade,chronique littéraire,avis de lecture,blog littéraire,roman noir,classique littéraire,mon roman noir et bien serré,littérature françaiseEn 1843, dans le Trièves, région reculée du Vercors, il y a ce petit village non loin de Chichilianne où l'on signale la disparition de Marie Chazottes puis l'agression de Ravanel Georges qui échappe de peu à ce qui apparaît comme une tentative d'enlèvement. Et puis c'est dans le courant de l'hiver l'année 1844 que l'on s'aperçoit d'une nouvelle disparition, celle de Bergues, un braconnier célibataire qui arpente la région parfois durant quelques jours mais dont on est désormais sans nouvelle depuis plusieurs semaines en constatant, en se rendant à son domicile, qu'il n'a pas même pas pris le temps de finir son repas resté figé dans l'assiette. Définitivement terrorisée, la communauté se décide à quérir la gendarmerie royale de Clelles qui dépêche une petite compagnie de six gendarmes conduits par le capitaine Langlois. S'ensuit la traque d'un individu dont on ne saisit pas les motivations puisqu'il ne détrousse pas ses victimes qu'il emporte avec lui, chose peu commune ce d'autant plus qu'il s'en prend tant aux femmes qu'aux hommes du village. Mais malgré les patrouilles et toutes les précautions prises, c'est Callas Delphin-Jules dont on est sans nouvelle avant que tout ne s'apaise au début du printemps sans que l'on ait pu identifier l’agresseur. Ainsi, les gendarmes dépités quittent les lieux sans avoir pu l'appréhender. Néanmoins, au début de l'hiver 1845, le capitaine Langlois revient seul au village et s'installe au Café de la route, bien décidé à démasquer celui qu'il ne considère pas comme un monstre et dont il semble connaître certains aspects de sa personnalité.

     

    Décortiqué à maintes reprises à l'occasion de thèses ou d'essais, bien difficile d'être en mesure de saisir toute la richesse enfouie dans Un Roi Sans Divertissement qui se distingue dans la luxuriance de cette langue que Jean Giono manie avec une virtuosité que ce soit dans l'art de la narration bien sûr, mais également dans l'art de l'ellipse, des non-dits et bien évidemment dans ces somptueuses descriptions qui vous étourdissent à l'instar de cet hêtre aux connotations quasi fantastiques qui devient l'une des pièces centrales de l'intrigue. 

    "Et à l'automne, avec ses longs poils cramoisis, ses mille bras entrelacés de serpents verts, ses cent mille mains de feuillage d'or jouant avec des pompons à plume, des lanières d'oiseaux, des poussières de cristal, il n'était pas vraiment un arbre. Les forêts, assises sur les gradins des montagnes, finissaient par le regarder en silence."

    Débutant avec ces successions de disparitions et d'agressions étranges, l’intrigue prend des tonalités extrêmement sombre qui se déclinent dans l’âpreté de cette atmosphère hivernale du Trièves que jean Giono connaît bien puisqu'il y séjournait régulièrement. On est immédiatement saisi par la langue du narrateur qui s'inscrit dans le registre d'une transmission orale dans laquelle s'enchâsse les différents témoignages des protagonistes de l'intrigue s'inscrivant dans différentes temporalités que ce soit en 1946 avec ce narrateur dont on ne sait rien et qui pourrait être Giono lui-même, en 1916 avec ce groupe de vieillards transmettant les histoires racontées par leurs aïeux et en 1868 avec Saucisse, cette tenancière de l'auberge du village qui témoigne vingt ans après les événements qui ont marqué la localité dont on ignore le nom. C'est donc déjà là que l'on décèle toute la complexité de la narration talentueuse de Jean Giono qui parvient à mettre en scène avec une aisance déconcertante toutes ces strates de l'histoire de Langlois et de ce tueur sévissant dans la région ainsi que la diversité et l'inventivité du langage en fonction de la personne qui intervient dans le cours de ce roman captivant qui vous ensorcelle littéralement. Si dans une première partie, il est question de tension que ce soit autour de la traque de ce mystérieux tueur et de la chasse dantesque de ce loup solitaire, la seconde partie s'attache au devenir de Langlois et du spleen qui l'assaille et dont le romancier parvient à saisir toute la quintessence du mal qui le ronge à l'exemple de ce rare moment où l'on semble percevoir son point de vue à l'occasion d'une fête estivale où il est présent en apparence alors qu'il vit "dans les étendues désertes et glacées" et qui devient le point de bascule d'un récit aux connotations quasi métaphysiques, dont on peut même se demander s'il ne s'agit pas d'un rêve ou plutôt d'un cauchemar au regard notamment de cet anachronisme final de la dynamite qui n’existait pas à l’époque du déroulement des faits et dont on en saurait dire s’il est accidentel ou intentionnel. Emerge donc dans Un Roi Sans Divertissement, cette fascination de la violence et du mal qui deviennent les seules ressources d'un homme sombrant dans l'ennui et que Jean Giono dépeint avec une perfection sans commune mesure, accompagnés que nous sommes par toute une galerie de personnages attachants aux profils extraordinaires, devenant les témoins de la chute tragique de Langlois. Un chef-d'œuvre qui vous foudroie littéralement.

     


    Jean Giono : Un Roi Sans Divertissement. Editions Folio 2024.

    Jean Giono : Oeuvres Romanesques complètes. Volume III. Bibliothèque de la Pléiade 1974.

    A lire en écoutant : Symphonie N° 7 en La majeur, Allegretto de Beethoven. Album : Chicago Symphony Orchestra - Carlo Maria Giulini. 1987 EMI Records Ltd.

  • Andrée A. Michaud : Baignades. Réunion de famille.

    andrée a. michaud,baignades,éditions rivages,thriller,roman noir,chronique littéraire,blog mon roman noir et bien serré,roman contemporain,lu en 2025,littérature noireMême si l'on n'apprécie pas forcément les Beach Boys, il n'en demeure pas moins que l'on n'écoutera plus jamais Wouldn't It Be Nice de la même manière, au terme de ce roman intense. Et plus que le cadre magique de ces plages californiennes, nos pensées dériveront désormais, à l'écoute de cette chanson iconique, davantage vers le ponton de ce bord du lac perdu au milieu d'une forêt canadienne, environnement tragique que la romancière s'est approprié avec le talent qu'on lui connaît. Et c'est sans doute dans ce registre de force évocatrice qu'Andrée A. Michaud excelle en faisant en sorte de s'approprier le moindre détail qui nourrit son intrigue pour en extraire une espèce de quintessence de l'inquiétude, parfois même de l'angoisse qui imprègne ses récits. On parle ici d'une chanson des Beach Boys, dans ce nouveau roman Baignades, mais il va de soi que l'on ne peut manquer d'évoquer la forêt qui devient le fil rouge d'une majeure partie de son oeuvre. Et là également, on appréciera que ce cadre forestier prenne, à chaque reprise, une toute autre allure que ce soit avec Bondrée (Rivages/Noir 2016) où l'on ressent cette espèce d'aura maléfique tandis que l'angoisse est plus prégnante dans Riviere Tremblante (Rivages/Noir 2018) et bien plus âpre lorsque l'on découvre Proies (Rivages/Noir 2023) tandis qu'avec Tempête (Rivages/Noir 2019) on se retrouve à la lisière du fantastique. Native du Québec, il est impossible de ne pas évoquer la richesse de la langue d'Andrée A. Michaud et plus particulièrement ses expressions locales qu'elle insère dans le fil des dialogues sans jamais abuser du procédé, ce qui fait que l'on se retrouve dans une justesse de ton qui accentue la profondeur d'âme de ses personnages qu'elle esquisse en y agrégeant cette touche d'humanité qui rejaillit de manière omniprésente et plus particulièrement dans le contour des individus les plus inquiétants, ce qui leur confère davantage de substance tout en s'accrochant à une veine naturaliste à laquelle elle ne déroge jamais. 

     

    andrée a. michaud,baignades,éditions rivages,thriller,roman noir,chronique littéraire,blog mon roman noir et bien serré,roman contemporain,lu en 2025,littérature noireLe grand moment de l’année pour Laurence et Max, c’est de partir en vacances en camping car avec leur petite fille Charlie qui, une fois arrivée sur le berges du Lac aux sables, se précipite dans les flots afin de profiter de la fraîcheur de l’eau tout en s’en donnant à coeur joie. Mais les festivités vont s’interrompre brutalement avec le propriétaire du camping qui prend les parents à partie parce qu’ils ont ont osé laisser la fillette se baigner toute nue. Et c’est une enchaînement de mauvaises décisions qui vont entraîner Laurence et Max sur cette route forestière étroite tandis que les nuages s’amoncellent annonciateur d’un violent orage et d’une succession de dérapages qui vont foudroyer leur existence à tout jamais. 

     

    En dramaturge accomplie, Andrée A. Michaud nous entraîne sur le registre peu commun de deux parties, se déroulant à quelques années d’intervalle et paraissant, de prime abord, totalement dissemblables jusqu'à ce que les liens émergent peu à peu au fil d'une seconde intrigue stupéfiante s'articulant autour de l'intimité de ses personnages et d'où émane la certitude que tout cela va mal finir sans pouvoir être en mesure de définir les contours de la tragédie à venir s'achevant, comme elle avait commencé dans la première partie, par une baignade ce qui explique la forme pluriel du titre Baignades qui a donc toute son importance. Ce qui émane de cette première partie du récit, c'est cet engrenage infernal que la romancière met en scène avec une efficacité redoutable se conjuguant avec une simplicité salutaire qui s'inscrivent une nouvelle fois dans ce réalisme qui fait froid dans le dos tout en générant cette tension permanente, véritable fil conducteur de l'ensemble de l'intrigue à l'atmosphère à la fois pesante et envoûtante. Tout cela se met en place avec une impressionnante justesse de ton que ce soit dans les dialogues, dans l'enchaînement dramatique des situations mais surtout dans l'attitude de chaque protagoniste dont les caractéristiques communes se définissent sur le registre du désarroi, du doute et de la colère aveugle qui en découlent en devenant les thèmes centraux de Baignades où, après le drame prenant l'allure d'un fait divers terrible, on observe, dans ce qui apparaît comme un long épilogue, le devenir des victimes et des bourreaux qui se révèlent dans leur terrible humanité faite d’incertitude et que la romancière transcende avec une effroyable acuité qui va vous glacer le sang jusqu'à la dernière ligne d'un roman maîtrisé de bout en bout. C'est ça le style Andrée A. Michaud nous emportant une nouvelle fois vers les méandres complexes et la beauté singulière de ces forêts luxuriantes, vectrices des drames les plus terrifiants et les plus intimes.

     

    Andrée A. Michaud : Baignades. Editions Rivages/Noir 2025.

    A lire en écoutant : Exchange de Massive Attack. Album : Mezzanine. 2019 Virgin Records Limited.

  • THIERRY JONQUET : MYGALE. ENGLUÉS DANS LA TOILE.

    Capture d’écran 2025-11-17 à 19.35.06.pngComme Pascal Garnier, il nous a quitté beaucoup trop tôt, à l'âge de 55 ans, en laissant derrière lui une oeuvre composée de 16 romans noirs dont certains demeurent emblématiques en faisant de lui l'une des grandes figures de la littérature noire engagée, plus particulièrement de ce fameux courant du néo-polar français, tout en cultivant une grande discrétion afin de mettre davantage en avant les thèmes sociaux qu'il évoquait dans ses livres s'articulant autour d'individus aux vies brisées et de faits divers âpres et angoissants. Né à Paris en 1954, Thierry Jonquet de par sa multitude de métiers qu'il va exercer dans des domaines tels que les unités de gériatries, les foyers ou les sections d'éducation spécialisée, est amené côtoyer une population marginalisée composée de laissés pour compte et même de délinquants qui vont devenir la source d'inspiration de l'ensemble de ses intrigues que ce soit en tant que romancier, mais également en tant que scénariste. Il mènera ainsi ces deux carrières de front avec un certain succès puisqu'on lui doit quelques romans noirs notables à l'instar des Orpailleurs (Série Noire 1993) et de Moloch (Série Noire 1998) mettant en scène le commandant Rovère  et la juge Lintz qui deviendront les personnages principaux de la série Boulevard du Palais pour laquelle Thierry Jonquet est crédité au scénario de deux épisodes, poste qu'occuperont également Pierre Lemaître et Cary Ferey. C'est avec Mygale, son troisième roman, qu'il intègre la Série Noire en contribuant à asseoir sa notoriété avec cette relation entre un chirurgien réputé et une femme qui semble vivre sous son emprise dans le jeu trouble de rapports destructeurs et dont on ignore qui est la victime et qui est le bourreau. Un roman chargé d'ambiguïté qui séduira le réalisateur espagnol Pedro Almodovar qui l'adaptera librement au cinéma en marquant ses retrouvailles avec Antonio Banderas endossant le rôle principal de La Piel que habito (La Peau que j'habite).

     

    thierry jonquet,mygale,folio policier,roman noir,chronique littéraire,blog mon roman noir et bien serré,littérature noire française,polar contemporain,néo polar français,avis de lecture,blog littéraireDans la région parisienne, Richard Lafargue est un chirurgien dont la réputation n'est plus à faire, et qui gravite dans les milieux les plus aisés en fréquentant les soirée mondaines au bras d'Ève, une jeune femme mutique d'une éblouissante beauté qui se retrouve chaque soir enfermée dans une vaste chambre d'un domaine magnifique niché au coeur d'un superbe parc. Quelles sont ces étranges rapports qu'ils entretiennent et dont on distingue la complexité dans le sourire énigmatique de cette femme contrebalançant avec cette colère permanente qui semble animer le praticien ? 
    Dans le sud de la France, Alex Barny a trouvé refuge dans une maison nichée dans la garrigue après avoir braqué une banque, abattu un policier et pris une balle dans la jambe. Détenteur d'un butin conséquent, il tente de se rétablir peu à peu en se sachant rechercher par toutes les forces de police. Pour quitter le pays, il lui faut donc changer de visage et surtout retrouver son ancien complice Vincent Moreau dont il est sans nouvelle.
    Et puis dans cette cave obscure, il y a cet homme enchaîné qui se demande ce que peut bien vouloir son geôlier avec qui il commence à entretenir une relation troublante d'amour-haine débouchant sur des rapports chargés d'ambiguïté. 

     

    Publié en 1984, à une époque où le genre du thriller français était encore inexistant, Mygale fait office de roman précurseur avec une trame narrative déroutante qui joue sur la temporalité afin de mettre en place un retournement de situation destiné surprendre le lecteur tout en distillant cette tension et ces interrogations qui imprègnent le récit. Mais que l'on ne s'y trompe pas, le récit s'articule autour des rapports troubles entre Richard Lafargue et cette mystérieuse Ève dont on se demande ce qui la pousse à rester auprès de cet individu qui la malmène de manière ignoble tout en faisant preuve d'égard et de prévenance. C'est d'ailleurs une interaction similaire qui s'instaure entre ce geôlier au comportement sadique et son prisonnier qui va développer une sorte de syndrome de Stockholm à mesure que les conditions de détentions semblent s'améliorer mais qui s'interroge toujours sur les raison de sa détention dans cette cave où il est reclus. Avec une peu moins de 160 pages, Thierry Jonquet distille sur un registre extrêmement sobre cette relation toxique entre bourreau et victime qui s'inscrit dans une économie de moyen afin de préserver le réalisme d'un récit cohérent et fascinant dont le schéma tout en tension va être repris par une multitude d'auteurs, dans le domaine du thriller psychologique notamment. Mais si le retournement de situation est bien au rendez-vous, Thierry Jonquet n'abuse jamais du procédé et fait en sorte de ne jamais céder à la grandiloquence des coups d'éclats ou du sadisme qui anime ses personnages pour se concentrer davantage sur le désarroi qui en découle tout en nous invitant à une réflexion quant à la douleur de la perte d'un être cher mais aussi de la quête d'identité que ce soit pour Vincent Moreau ou plus particulièrement pour Alex Barny dont on apprécie la simplicité avec laquelle l'auteur dépeint son parcours vers la délinquance qui en fait un modèle du genre dont bon nombre de romancier devrait s'inspirer. A partir de tous ces éléments de simplicité, de sobriété et d'efficacité, on parlera d'un style redoutable qui fait de Thierry Jonquet un auteur incontournable dont les textes demeurent d'actualité à l'instar de Mygale, roman mythique et machiavélique qui n'a pas vieilli d'un iota et qu'il convient de découvrir, même pour les amateurs éprouvés de thriller qui trouveront les fondements essentiels de ces intrigues parallèles et de leur convergence au terme d'une scène final aussi abrupte que saisissante. 

     

    Thierry Jonquet : Mygale. Folio Policier 1995.

    A lire en écoutant : The Man I Love d’Ella Fitzgerald. Album : Ella Fitzgerald Sings the George and Ira Gershwin Song Book. 2017 Verve Label Group.

  • Mathilde Beaussault : Les Saules. Dans la coulée.

    Capture d’écran 2025-11-14 à 21.48.36.pngPrimo romancière récipiendaire du Grand Prix de la Littérature policière 2025, on est surpris par le fait que cette professeur de français ne se prédestinait pas, de prime abord, à écrire un roman policier ou même un roman noir, littérature de genre qu'elle ne lit qu'occasionnellement. Est-ce à dire que Les Saules de Mathilde Beaussault est un polar par accident et que l'autrice se prédestinait davantage à évoquer cette enfance passée sur les terres de la Côte d'Armor où les branches  tombantes des saules caressent la surface froide de cette rivière de l'Arguenon qui jouxte la ferme familiale qui l'a vue grandir ? La réponse se trouve sans doute au sein des pages de ce texte entamé dans la quarantaine où la romancière distille les fragments de cette jeunesse bretonne dans ce qui apparaît comme un roman policier aux connotations rurales débutant avec la mise à mort de ce cochon que l'on dépèce devant le hangar avant que l'on ne se penche sur une autre tuerie bien plus sordide. Mais outre l'inspiration qu'elle puise dans l'environnement rural de son enfance, il y a sans doute quelques éléments de son cursus dans la filière des lettres à la faculté de Rennes ainsi que son parcours en lettre moderne pour devenir professeur du second degré que l'on retrouve dans la maîtrise d'un premier texte saisissant qui a séduit bon nombre d'amateurs de littérature noire ainsi que le jury exigeant de ce Grand Prix de la Littérature policière qui n'est pas usurpé. On dira même, sans être présomptueux, qu'il s'agit là d'une des belles découvertes de l'année 2025 et que l'on se réjouit d'ores et déjà de retrouver Mathilde Beaussault très prochainement puisqu'elle annonce la parution, chez Seuil/Cadre Noir, d'un second roman noir se déroulant une nouvelle fois en Bretagne. 

     

    mathilde beaussault,les saules,éditions du seuil,cadre noir,roman noir,roman policier,chronique littéraire,littérature noire,blog mon roman noir et bien serré. grand prix de la littératureC’est l’émoi du côté de la Basse Motte, ce lieu-dit de la Bretagne où l’on a découvert le corps sans vie de Marie flottant dans la coulée, ce bras mort de la rivière bordée de saules. Qui pouvait bien vouloir à cette jeune fille de dix-sept ans dont le meurtre par strangulation ne fait aucun doute. Belle à couper le souffle suscitant autant de convoitise que de jalousie, le décès de Marie sème le trouble au sein de la communauté tandis que la gendarmerie s’emploie à identifier l’auteur de ce crime sordide en interrogeant l’entourage de la victime dont la personnalité se dévoile peu â peu en révélant un certain mal-être. Témoin de toute cette agitation, il y a Marguerite cette petite fille mutique que tout le monde pense simple d’esprit en subissant les quolibets de ses camarades. Délaissée par ses parents qui travaillent sans relâche pour maintenir, tant bien que mal, la ferme à flot. La fillette trimbale donc sa solitude du côté de la rivière où elle a bien vu quelque chose la nuit où Marie, qu’elle adorait, a été assassinée. Mais qui ferait attention à une petite fille débraillée, aux cheveux sales, qui ne s’exprime jamais et que l’in regarde de haut. Alors Marguerite observe ces femmes et ces hommes qui s’entredéchirent sur fond de rivalités, de rancoeurs et de rumeurs malsaines qui brouillent les cartes de cette quête de vérité. 


    Avec Les Saules, il est bien question de la terre mais dans tout ce qu’elle a de plus âpre et d’universelle, ce qui fait que l’on s’éloigne d’entrée de jeu d’une Bretagne caricaturale pour intégrer un environnement rural que Mathilde Beaussault magnifie sans effet ostentatoire au gré d’une langue subtile faite d’évocations aux entournures poétiques qui ne sont pas dépourvues de ce regard acéré d’une confondante justesse quant aux dynamiques sociales qui animent cette communauté villageoise. Et c’est d’entrée de jeu que l’on saisit cette puissance évocatrice dans tout ce qu’elle a de plus tragique alors que l’on observe ce corps immergé dans ce cours d’eau dans lequel se reflète la silhouette tombante des saules pleureurs, nous rappelant immanquablement Le dormeur du val de Rimbaud. Impossible donc de ne pas céder au charme de cette écriture d’une délicatesse d’orfèvre mettant en exergue ce bout de terre meurtrie par ce drame qui va bouleverser les castes de ce qui apparaît comme une lutte sociale sur fond d’enjeux écologiques que la romancière intègre subtilement dans le cours de l’intrigue. Et s’il s’agit bien d’une intrigue policière, on notera que Mathilde Beaussault s’est employée à disloquer les code du genre non par défi, mais dans une espèce de grâce naturelle qui se décline principalement dans le regard de Marguerite, cette petite fille au comportement décalé que personne ne comprend et que l’on rejette, Ainsi, les enquêteurs sont relégués aux second plan que ce soit André le capitaine de gendarmerie quelque peu dépassé par les événements ou Arlette officière de police judiciaire davantage aguerrie à ce type d’investigations sensibles. Là également, la dynamique de la narration prend une toute autre allure bien plus réaliste avec cette succession de convocations au poste de gendarmerie où les proches de Marie, plus ou moins suspects, vont se confier auprès des enquêteurs avec une bonne volonté toute relative dont on appréciera la retranscription fluide et originale nous permettant d’entrer dans la confidence de ces hommes et de ces femmes marqués par la disparition de l'adolescente. De cette manière, on distingue les contours de la personnalité de la victime ainsi que quelques traits de caractères des proches dévastés mais également de entourage au comportement ambivalent d'où émerge quelques opinions discutables tout en donnant une certaine profondeur à leur personnalité. Et c'est à la lecture de ses interrogatoires que certaines révélations affleurent tandis que, paradoxalement, l'enquête s'enlise avec ce sentiment d'incertitude qui devient de plus en plus prégnant quant à l'identité du meurtrier. A partir de là, Mathilde Beaussault s'écarte définitivement du schéma classique du roman policier pour nous entraîner sur un registre beaucoup plus sombre où les comptes se règlent en dehors du cadre régit par les autorités et en fonction des intérêts troubles de chacun des protagonistes révélant leur part d'ombre tout comme celle de l'assassin de Marie. Et que ce soit pour Marie ou Marguerite, c'est de la terrible perte d'innocence dont il est finalement question dans Les Saules au gré d'un roman d'une superbe ampleur et d'une originalité sans commune mesure qu'il convient de lire toute affaire cessante pour découvrir la richesse d'une écriture maîtrisée de bout en bout, tout comme l'intrigue surprenante à plus d'un titre. Sans nul doute, l’une des belles révélations de l’année.

     

    Mathilde Beaussault : Les Saules. Editions Seuil/Cadre Noir 2025.

    A lire en écoutant : Pendant que les Champs brûlent de Niagara. Album : Religion. 2010 Polydor.

  • OLIVIER ROLLER : BATACLAN MEMOIRES. PHOTOGRAPHIES, RECITS, TATOUAGES.

    la manufacture de livres,bataclan mémoires,olivier coller,récit,témoignages,attentats 13 novembre,chronique littéraire"Ça fait partie de nous. C’est en nous. Pour ceux qui ont été blessé, c’est dans leur chair. Pour nous, les images sont toujours dans notre cerveau. Et on ne peut pas les oublier. C’est impossible de les oublier."

     

    C'est assez délicat de parler d'un livre pareil, parce qu'après l'avoir refermé, on reste forcément sans voix au terme de la lecture marquante des vingt-et-un témoignages de ces rescapés du Bataclan au soir des attentats du 13 novembre 2015 qui ont ravagé les rues de Paris.

    Publié en 2022, l'ouvrage en grand format se définit tout d'abord dans la dignité d'une couverture sobre où l'on trouve sur le dos le nom de ces hommes et de ces femmes qui se sont confiés auprès du photographe Olivier Roller qui a pris soin de faire leurs portraits en mettant l'accent sur leurs tatouages respectifs, souvenirs de ces instants où tout a basculé au cours de cette tragédie dont ils dépeignent les événements, mais qui évoquent également ce difficile chemin de l'après.

    la manufacture de livres,bataclan mémoires,olivier coller,récit,témoignages,attentats 13 novembre,chronique littéraireDu fait d'une certaine méfiance vis à vis de tous les médias en quête de sensation avec les abus qui en découlent, la démarche n'a rien eu d'une évidence pour le photographe qui s'est employé à instaurer auprès de ces membres de Life of Paris, un climat de confiance que l'on ressent tout au long de la lecture de ces textes sensibles.

    Comme un mémorial, on soulignera le soin apporté à ce livre pour mettre en valeur cette sensibilité des témoignages où émerge l'émotion mais également la  délicatesse de ces entretiens qui vont nous plonger dans l'enfer de cette soirée du Bataclan.

    La beauté d'un livre pour contenir l'horreur du déroulement de cette tragédie se conjuguant avec cette étincelle d'humanité que l'on décèle dans chacune des personnalités de ces témoins et qui rejaillit sur l'ensemble d'une horreur indescriptible dont ils parviennent pourtant à nous en restituer l'ampleur.

    Et il faut bien admettre que lorsque l'on a parcouru les récits de Jean-Claude, Helen, Stéphanie, Marilyn, Alix, Nicolas, Sylvie, Natasha, Frank, Stéphane, Camille, Alix N., Coralie, Gabin, Christophe, Marie-Pierre, Clotilde, Julien, Benoît, Florence et Guillaume, tout le reste des oeuvres consacrées aux attentats du 13 novembre 2025, que ce soit des romans comme Terrasses de Laurent Gaudé, ou des films comme Novembre de Cédric Jimenez apparaissent comme dénué de substance tant la force de chacun de ses récits dilue toutes les autres démarches, aussi louables soient-elles, pour retranscrire le déroulement de cette soirée d'automne qui a foudroyé la destinée d'une multitude de personnes, dont certaines livrent leurs témoignages.

    Le moins que l'on puisse faire, c'est de les écouter ou de les lire.

    Alors à l'occasion des dix ans de cette série d'attentats, les éditions de La Manufacture de livres nous proposent Mémoires Du Bataclan où vous retrouverez l'ensemble de ces récits uniques, dénués de l'image, qu'il importe de découvrir pour prendre la mesure de ces événements qui continuent de nous hanter. 

     

    Olivier Roller : Bataclan Mémoires. Photographie Récits Tatouages. Editions La Manufacture de livres 2022.

    Olivier Roller : Mémoires du Bataclan. Editions La Manufacture de livres 2025.

    A lire en écoutant : Mille Vagues de Feu! Chatterton. Album : Labyrinthe. 2025 Univers Em Fogo.