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LES AUTEURS PAR PAYS

  • GILLES SEBHAN : NIGHT BOY. GLORIA FOR EVER.

    gilles sebhan,night boy,la manufacture de livresIl y a quelque chose de tourmenté qui émane de ses peintures mais également de ses récits dont certains d'entre eux sont consacrés aux trajectoires chaotiques d'individus controversés tels que Tony Duvert ou Jean Genet tandis qu'il émerge du Royaume Des Insensés, un cycle cinq romans oscillant entre le polar et le roman noir, un sentiment diffus de transgression et de solitude. Gilles Sebhan débarquait donc dans l'univers de la littérature noire avec Cirque Mort (Rouergue/Noir 2018) où l'on faisait connaissance avec le lieutenant Dapper à la recherche de son fils Théo mystérieusement disparu tandis que l'on naviguait dans l'univers oppressant d'un hôpital psychiatrique dirigé par le docteur Tristan fasciné par la personnalité d'Ilyas, un jeune adolescent étrange qui semble pouvoir entrer en contact avec l'enfant disparu. Que ce soit avec La Folie Tristan (Rouergue/Noir 2019) ou Feu Le Royaume (Rouergue/Noir 2020) ainsi qu'avec Noir Diadème (Rouergue/Noir 2021) et Tigre Obscur (Rouergue/Noir 2022) qui conclut cette série à la fois singulière et mélancolique, on observe le parcours des différents protagonistes qui évoluent en fonction des événements auxquels ils font face et qui sont souvent en lien avec le thème de l'enfance dans ce qu'il y a de plus obscur et de plus provocant que Gilles Sebhan met en scène sans effet ostentatoire ce qui est une véritable gageure tant le sujet se révèle délicat.  Mais c'est cela que l'on apprécie avec ce romancier qui nous invite à plonger dans des dimensions transgressives avec ce sens de la nuance et d'une certaine de virtuosité nous permettant d'appréhender les œuvres puissantes, détonantes, imprégnées de violence et de fureur de peintres tels que Stéphane Mandelbaum ou Francis Bacon auquel il consacre son avant-dernier ouvrage intitulé Bacon, juillet 1964 (Rouergue/La Brune 2023) qui s'articule autour d'un reportage d'une vingtaine de minutes consacré à l'artiste qui évolue dans son atelier de Londres en se livrant sur son homosexualité, la peur et la violence ainsi que son insatisfaction constante devant son travail et son lien trouble à l'alcool qu'il consomme sans modération. Et après un silence de deux ans, voici que Gilles Sebhan fait son retour en intégrant La Manuf, collection noire de la maison d'éditions La Manufacture de livres, avec Night Boy où il se penche sur les "grooming gangs", composés d'individus abordant intentionnellement des mineurs afin de les manipuler à des fins d'exploitations sexuelles et qui avaient défrayé la chronique des faits divers au Royaume Uni après avoir bénéficié du silence complice ou de la négligence coupable des autorités durant plusieurs décennies.  


    gilles sebhan,night boy,la manufacture de livresDans les travées reliant les immeubles d'une banlieue décatie de Bornemouth, Abab, un jeune garçon exploité par des trafiquants d'êtres humains pakistanais, tente d'échapper à une bande de tueurs albanais qui viennent de liquider tous les occupants de l'appartement sordide où il logeait. Au cours de la fusillade, il a tout juste eu le temps de distinguer le visage de l'un d'entre eux dont il a croisé le regard. Désormais traqué par les assassins ainsi que par la police désireuse d'obtenir son témoignage, il trouve refuge dans l'appartement de Gloria, une femme trans qui ne sait pas trop quoi faire de ce jeune migrant clandestin indien bien trop encombrant pour intégrer son univers de solitude et de douleurs qu'elle intériorise depuis toujours. Chargé de démanteler un réseau mafieux albanais implanté à Londres, l'inspecteur David Burn est provisoirement affecté au commissariat de la ville balnéaire où le chef du gang aurait pris ses quartiers dans la région. De là à penser qu'il pourrait être le commanditaire de cette tuerie, il n'y a qu'un pas qu'il est prêt à franchir envers et contre tous. 


    gilles sebhan,night boy,la manufacture de livresOn notera le fait qu'en abordant le thème des "grooming gangs" sévissant au Royaume-Uni, Gilles Sebhan s'attaque à un sujet délicat qui a suscité la polémique en lien avec le manque d'implication, voire la complicité des autorités, c'est peu de le dire, générant une récupération politique des partis d'extrême-droite par rapport au profil ethnique et religieux de ces individus qui ont mis en place ces réseau de prostitution en enlevant de leur famille ou des foyers auxquels il étaient confiés, des mineurs à la dérive. S'il n'édulcore en rien les aspects gênants de cette affaire notamment pour tout ce qui a trait à la communauté indo-pakistanaise ainsi que les licenciements de travailleurs sociaux ayant tenté d'alerter leur hiérarchie ou les instances policières et judiciaires du phénomène dramatique dont ils étaient témoins, Gilles Sebhan se concentre sur le profil des victimes que ce soit la jeune Amy en rupture avec sa famille et surtout Abad cet enfant pakistanais que sa famille a confié aux bons soins de son "oncle" Daddy qui en a fait un migrant clandestin qu'il exploite sans vergogne tout en assouvissant ses pulsions libidineuses au sein d'un appartement insalubre dans lequel s'entasse près de dizaine de gilles sebhan,night boy,la manufacture de livrescomparses d'infortune. C'est dans ce logement que débute l'intrigue de Night Boy prenant pour cadre la ville côtière de Bornemouth, dont la principale activité économique se décline autour des séjours linguistiques et qui se situe non loin de West Bay dont les falaises ont servi de décor pour la série Broadchurch auquel l'auteur fait d'ailleurs allusion. Autre film auquel Gilles Sebhan rend hommage c'est Gloria de John Cassavetes dont la protagoniste principale, une femme trans dans la cinquantaine, endosse le prénom tout en assurant le même rôle que Gena Rowland en devenant la protectrice du jeune Abad traqué par un gang albanais qui s'en prend à ses rivaux indo-pakistanais. C'est donc sur fond de règlements de compte plutôt brutaux que l'on observe l'amitié maladroite qui se noue entre Gloria et Abad tout en découvrant également la personnalité de David Burn, flic plutôt efficace mais solitaire qui débarque dans cette localité désormais à feu et à sang en tentant de protéger l'unique témoin du massacre commis par les albanais qu'il pourchasse. Avec Gilles Sebhan, on apprécie toujours autant le registre ambivalent de ses personnages dont on découvre les parts d'ombre sans pour autant être dénué d'une certaine humanité qui se conjugue souvent dans la solitude et une certaine détresse. Et aucun des protagonistes de Night Boy n'y échappe, ce qui confère au récit, au-delà de l'aspect sombre et de la violence qui en découle, une certaine émotion se conjuguant dans la justesse de scènes qui s'inscrivent dans un réalisme rêche que Gilles Sebhan décline avec une certaine sobriété, caractéristique d'une écriture équilibrée dépourvue de toute fioriture qui font que l'on s'attache immédiatement à la fragilité de ces personnalités à la fois déroutantes et lumineuses, à l'image d'un récit qui laisse un souvenir impérissable. Tout juste admettra-t-on quelques petites facilités narratives comme cet achat providentiel d'une montre connectée qui va faire basculer l'ensemble de l'intrigue vers une issue dont on découvrira les conclusions au pied d'une falaise sur lequel s'agrège désormais le visage de Gloria, une femme magistrale qui marque les esprits. 


    Gilles Sebhan : Night Boy. Editions La Manufacture de livres/Collection La Manuf 2025.


    A lire en écoutant : Behind The Wheel de Depeche Mode. Album : Music For The Masses. 1987 Venunote Ltd. 

  • Ivy Pochoda : Dios Et Florida. Voix intérieures.

    ivy pochada,dios et florida,editions globeEncore trop méconnue dans nos contrées francophones, c'est l'une des grandes voix des Etat-Unis, et vous noterez bien que je ne fais pas de distinction de genre pour celle qui s'attache au thème des femmes au sein de notre société en faisant ce pas de côté qui caractérise le contenu de l'ensemble de son oeuvre. Ancienne sportive de haut niveau dans le domaine du squash, Ivy Pochoda connaît une certaine notoriété dés la publication de son premier roman De L'autre Côté Des Docks (Liana Levi 2013) se déroulant dans le quartier de Red Hook à Brooklyn tandis que le second, Route 62 (Liana Levi 2018) prend pour cadre la ville de Los Angeles où elle vit en enseignant notamment l'écriture créative au sein d'une université de la région tout en écrivant des reportages pour le compte du New-York Times et du Los Angeles Times, faisant parfois écho au contenu de ses intrigues. On admettra qu'il est difficile d'affilier Ivy Pochoda à un genre littéraire tant ses textes apparaissent comme décalés en abolissant les frontières d'une catégorie de littérature, même si Ces Femmes-Là (Globe 2023) prend une allure de thriller dont l'intrigue s'articule autour d'un tueur en série s'en prenant à des prostitués du quartier délabré de West Adam à L.A. mais en se concentrant essentiellement sur la personnalité des victimes et de leurs proches ainsi que sur la policière en charge de l'enquête. Autant dire que l'on avait été stupéfait par cette narration à contre-courant qui laissait la place à celles que l'on cantonne habituellement dans un registre secondaire pour se focaliser sur le tueur sanguinaire dont on a pris l'habitude de dépeindre les exactions et les tourments avec force de détails sanguinolents plus que superflus qui virent parfois à une certaine complaisance esthétique. Avec Dios Et Florida, il ne sera plus question de la violence faite aux femmes mais de celle qu'elles peuvent engendrer, plus particulièrement au sein de l'univers carcéral d’un pénitencier du Nevada où deux détenues vont s'affronter au gré de leurs obsessions et de leurs certitudes respectives.

     

    ivy pochada,dios et florida,editions globeMémoire collective de cette prison perdue au milieu du désert, Kace se remémore l'histoire de Diana Dios Sandoval et de Florence "Florida" Baum, de leur rencontre et de cette union sacrée et sanglante à l'occasion d'une émeute où les instincts les plus sauvages et les plus meurtriers se révèlent. Pourtant discrète et issue d'une famille nantie, Florida fait valoir son statut de victime en estimant que sa place n'est pas au sein de cet établissement pénitentiaire où elle purge sa peine. Mais Dios sait parfaitement ce qui se cache derrière la personnalité de sa co-détenue et entend bien faire en sorte de révéler la violence qui ne demande qu’à émerger. Et puis survient la pandémie qui permet aux deux femmes d'être libérées sur parole de manière anticipée. Dès lors, Florida n'a pour seule volonté que de récupérer sa Jaguar à Los Angeles et de s'élancer sur les routes avec cette sensation de liberté qui en découle. Pourtant les chose ne se déroulent pas comme prévu, puisque l'obsession de Dios pour Florida vire au carnage avec cette détermination chevillée au corps de faire en sorte que sa comparse s'adonne à ses pulsions les plus sombres. Déterminée à les appréhender, la lieutenante Lobos du LAPD, elle aussi marquée par la violence, se lance à la poursuite de ces deux fugitives en arpentant les rues désertes d'une ville confinée où fleurissent la myriade de tentes qui jalonnent les rues sur des kilomètres en abritant des sdf désemparés qui deviennent les ultimes témoins de la balade sanglante de Dios Et Florida. 

     

    ivy pochada,dios et florida,editions globePlus que Thelma Et Louise, on songera davantage à une série comme Orange Is The New Black où l'on croise des personnalités similaires à celles de Dios Et Florida qui évoluent néanmoins dans un univers plus sombre faisant écho à Ces Femmes-Là, mais en explorant cette fois la part sombre de femmes se déclinant sur le registre d'une brutalité que l'on n'évoque que très rarement, comme si la société leur refuserait cette sauvagerie qui serait le propre des hommes exclusivement. Mais tant sur le plan de l'univers carcéral que dans le décorum chaotique d'une ville de Los Angeles confinée, Ivy Pochoda se distingue de toutes ces comparaisons et de tous ces partis pris pour nous entrainer dans ce qui apparaît comme une légende urbaines s'articulant autour du parcours initiatique de Florida qui s'inscrit dans l'émergence de cette violence qui sourde en elle et que Dios s'emploie à faire rejaillir au gré de confrontations d'une rare cruauté. Subdivisé en deux parties, on adoptera tout ivy pochada,dios et florida,editions globed'abord dans ce roman les points de vue de Florida bien évidemment mais également celui de Kace qui fait office de griot au sein de la prison où elle est détenue en transmettant les histoires de ses comparses mortes dont elle entend encore les voix qui imprègnent son esprit. C'est donc l'atmosphère lourde de la prison qui rejaillit tout d'abord pour laisser place à l'immensité du désert au milieu duquel apparaît cette localité sans nom et ce motel miteux où Florida doit rester confinée alors que tous les commerces des alentours sont fermés suite aux restrictions sanitaires pour lutter contre la pandémie. Un autre enfer en quelque sorte que Florida va fuir pour se rendre à Los Angeles où elle aspire à retrouver quelques reliquats de son ancienne vie de petite fille riche. Mais le voyage en car clandestin, où l'on distingue quelques silhouettes de cette Amérique de la marge, bascule sur un registre meurtrier en faisant de Dios Et Florida deux fugitives qu'il s'agit de traquer. Dans la seconde ivy pochada,dios et florida,editions globepartie, si le point de vue de Dios demeure anecdotique, c'est le personnage de Lobos qui fait en sorte que l'intrigue prend une autre tournure en se penchant sur le parcours de cette officière de police qui craint que son mari violent ne réapparaisse dans sa vie tout en se chargeant d'appréhender les deux fugitives dont elle tente de comprendre les motivations ainsi que la fureur meurtrière. Et c'est au cours de ses échanges avec son coéquipier Easton que l'on perçoit l'essence même du thème de la violence des femmes qui s'inscrit également dans un registre discriminatoire et sexiste, paradoxe ultime de l'inégalité entre les hommes et les femmes dont on ne saurait accepter qu'elles puissent commettre certains crimes. Tout cela, Ivy Pochoda, le décline avec cette acuité et cette intelligence qui la caractérise, au gré d'une intrigue où le chaos reste le maître mot dans ce quartier désolé de Skid Row où l'on côtoie sdf et autres personnalités atypiques qui croisent les chemins de Lobos et de Florida jusqu'à cette confrontation au carrefour de Western avenue et d'Olympic boulevard, qui prend une allure de western urbain gravé à tout jamais dans l'esprit d'un graffeur qui peint déjà la fresque de l'ultime rencontre entre Dios Et Florida. Et si l'on peut regretter que le point de vue de Dios demeure confidentiel avec deux brefs chapitres qui lui sont consacrés et qui en font une entité presque surnaturelle et maléfique, on appréciera encore une fois les caractères à la fois âpres et sensibles mais toujours nuancés de ces femmes qui se distinguent donc de tous les stéréotypes que l'on pourrait aisément leur attribuer et auxquels elles adressent une réponse cinglante pleine de fureur à laquelle on ne s'attend pas, sans pour autant être dénué d'une forme de lyrisme contenu qui saisit le lecteur jusqu'à la dernière ligne d'un récit éclatant. 

     

    Ivy Pochoda : Dios Et Florida (Sing Her Down). Editions Globe 2025. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Adélaïde Pralon.


    A lire en écoutant : Wanted Woman / AC/DC de Larkin Poe. Album : Peach. 2017 Tricki Woo Records. 

  • MICHALIS MAKROPOULOS : L'ARBRE DE JUDAS. TRAHISON.

    l'arbre de judas,michalis makropoulos,éditions agullo

    Service de presse.

     

    Quand on parle de littérature noire du côté de la Grèce, on pense immédiatement à Petros Markaris qui a écrit une quinzaine de romans mettant en scène le commissaire Kostas Charitos officiant du côté d'Athènes et qui avait marqué les esprits notamment avec Le Che S'Est Suicidé (Seuil 2007) et Liquidation à la grecque (Seuil 2012) où il est question de cette crise financière dramatique de 2008 entrainant le pays dans une récession douloureuse de plusieurs années. Avec Makis Malafékas, on reste dans la chaleur de la capitale en accompagnant le romancier Mikhalis Krokos qui évolue dans une atmosphère fiévreuse en côtoyant le monde de la culture mais également du tourisme que ce soit Dans Les Règles De L'Art (Asphalte 2022) pour l'un et Un Autre Eté Grec (Asphalte 2024) pour le second. Partageant sa vie entre la Suisse et La Grèce, Nicolas Verdan se lance également dans l'écriture de deux romans policiers où il est question de migration que ce soit avec Le Mur Grec (Atalante/Fusion 2022) et La Récolte des Enfants (Atalante/Fusion 2023) où l'on part à la rencontre d’Evangelos Moutzouris, un vieil agent des services secrets que l'on côtoie également du côté d'Athènes, mais également dans la région montagneuse et enneigée de l'Epire non loin de la frontière de l'Albanie et théâtre de tous les trafics. On reste dans cet espace accidenté et hivernal avec L'Arbre De Judas, bref roman noir de Michalis Makropoulos, auteur d'une vingtaine d'ouvrages, qui intégrait la collection Court de la maison d'éditions Agullo en 2023 avec Eau Noir, une dystopie mélancolique toute aussi courte se déroulant déjà dans ce cadre rural de l'Epire-Macédoine et où il est question d'un impact environnemental destructeur qui se décline autour d'un amour filial à la fois inconditionnel et rayonnant. On retrouve d'ailleurs dans L'Arbre De Judas, ce contexte mélancolique au gré du parcours d'un homme abimé par une vie qui l'a guère épargné.

     

    l'arbre de judas,michalis makropoulos,éditions agulloSa femme l'ayant trompé avec son associé, Ilias a tout perdu à Athènes que ce soit son affaire mais également sa place au sein du foyer familial. Et lorsque l'on a cinquante-trois ans, il n'est pas facile de refaire sa vie en Grèce, ce qui le contraint à retourner dans son village natal de Delvinaki qui se situe à proximité de la frontière avec l'Albanie. Démuni, il loge donc chez sa mère, une femme âgée qui peine à joindre les deux bouts et qui se soucie de son fils qui peine à rebondir en s'éloignant même de ses deux filles avec qui il n'a plus que des contacts téléphonique et épistolaires. Ilias promène donc son lot de désillusions au gré de ses promenades solitaires en parcourant cette contrée montagneuse de l'Epire où l'on retrouve le corps sans vie d'une jeune femme sauvagement mutilée que l'on a abandonné non loin de la route au bord de laquelle il a aperçu deux hommes du village qu'il connaît bien et dont l'un semblait sous le coup de l'émotion.  Se peut-il qu'il s'agisse des meurtriers ? Ilias va bien tenter de faire la lumière sur cette affaire. Mais il va devoir faire face à l'hostilité de certains villageois et composer avec l'amitié qui se conjugue parfois avec la trahison.  

     

    L'Arbre De Judas, à la branche duquel ce disciple de Jésus Christ se serait pendu après l'avoir trahi, donne également son nom à ce roman qui s'articule autour de cet arbre au pied duquel les comptes se règlent non loin de ce village perdu de l'Epire, théâtre d'une succession d'événements tragiques qui vont bouleverser le cours tranquille d'une communauté qui s'assoupit dans la langueur du froid hivernal.  Et autant vous prévenir que le dernier tiers de l'intrigue ne va pas du tout prendre la direction à laquelle l'on peut s'attendre et se révéler extrêmement singulier sans pour autant s'inscrire dans un de ces rebondissements fracassants qui balaierait tout sur son passage. Et si l'on est bien évidemment surpris par la tournure des choses, il faut admettre que Michalis Makropoulos nous donne à réfléchir quant à la posture d'un homme qui perd pied au sein d'un environnement social dans lequel il ne trouve plus sa place. Avec moins de 130 pages, le texte est court mais n'en demeure pas moins extrêmement dense en se déclinant sur un rythme tout en retenue qui s'agrège à cette ambiance rurale maussade, reflet de la désillusion d'Ilias qui s'y est retiré. Et c'est autour de la personnalité de ce cinquantenaire en bout de course, complètement démuni, que se construit l'intrigue où l'on observe les retrouvailles avec Kostas Mendis son ami d'enfance devenu commandant de police, qui fait preuve d'une solidarité sans faille, tandis que Yannogassis, malgré son âge avancé, incarne cette hostilité sourde du contrebandier cruel qui sévit dans ce périmètre de la frontière avec tous les trafics et la corruption qui en découlent. A partir de là, se met en place une intrigue sombre autour du meurtre d'une jeune femme bouleversant Ilias qui sort de sa torpeur afin de se pencher sur ce crime avec la maladresse d'un homme qui n'a rien d'un enquêteur mais qui n'est pas dépourvu de certitudes. Tout cela se décline dans une ambiance à la fois pesante et poétique que Michalis Makropoulos décline avec une simplicité qui se conjugue avec la virtuosité d'un retournement de situation remettant en cause toutes nos certitudes pour faire de L'Arbre De Judas un roman véritablement marquant, aussi bref soit-il.

     

     

    Michalis Makropoulos : L'Arbre De Judas. Agullo Court 2025. Traduit du grec par Clara Nizzoli.

    A lire en écoutant : To The Moon And Back de Gabriels. Album : Angels & Queens – Part II. 2023 Gabriels LLC.

  • Jacky Schwartzmann : Bastion. Fachosphère lyonnaise.

    bastion,jacky schwartzmann,editions du seuil,cadre noirBon, c'est vrai que l'on apprécie plus que jamais ses répliques hilarantes et décoiffantes qui ponctuent ses récit en faisant en sorte que la noirceur de l'intrigue prend une tournure encore plus acide s'inscrivant toujours dans cette logique de critique sociale qui prévaut dans l'ensemble de ses romans. Mais ce qui fait le succès de Jacky Schwartzmann, c'est cette capacité à mettre en scène cette marginalité du pays qu'il décline au détour d'intrigues singulières qui flinguent la bienséance et la bienveillance à coup de rafales cinglantes jalonnant des textes d'une grande tenue. Bref, autant vous dire que le bonhomme s'entend pour vous raconter une histoire avec l'efficacité qui le caractérise en le démontrant également en tant que scénariste pour Habemus Bastard (Dargaud 2024), titre sans équivoque d'une BD en deux parties, superbement illustrée par Sylvain Vallée, qui s'articule autour du parcours d'un tueur à gage qui endosse une soutane et la fonction qui en découle afin de s'extirper des difficultés en lien avec sa profession en se soustrayant ainsi à ses anciens commanditaires bien décidés à lui faire la peau et qui nous rappelle, à certains égards, la série BD Soda, diminutif de Solomon David, lieutenant au NYPD qui dissimule ses activités à sa mère trop émotive qui est persuadée qu'il est prêtre. S'il a écrit plusieurs romans avant, le style corrosif de Jacky Schwartzmann émerge avec Mauvais Coûts (Seuil/Cadre Noir 2016) se rapportant à son expérience de travail au sein d'une multinationale qu'il retranscrit au gré du parcours de Gaby Aspinall, employé misanthrope et cynique s'inscrivant résolument dans l'amoralité "ordinaire" de son entreprise.  On reste sur un registre similaire avec Demain C'est Loin (Seuil/Cadre Noir 2017) et Pension Complète (Seuil/Cadre Noir 2018) qui nous entraîne dans le milieu du camping, dernier enfer sur terre où Dino Scala y trouve refuge suite à des déconvenues financières le privant du faste luxueux de son environnement luxembourgeois. Et puis c'est du côté de ses terres d'origine de Besançon que l'on s'aventure avec Kasso (Seuil/Cadre Noir 2021) en partant à la rencontre de Jacky Toudic, escroc à la petite semaine, faisant du business en profitant du fait qu'il est le sosie parfait de Mathieu Kassowitz tandis que l'on explore dans Shit ! (Seuil/Cadre Noir 2023) le quartier sensible de Planoise où l'opportunité de la reprise "accidentelle" d'un trafic de drogue devient la planche de salut pour les multiples associations bénévoles au service d'une communauté précarisée. Mais si l'on observe cette radicalité outrancière et ce pragmatisme extrême qui définissent l'ensemble des personnages centraux des romans de Jacky Schwartzmann, il ne faut pas se leurrer et prendre conscience que les thèmes sociaux qu'il aborde avec cette redoutable clairvoyance, toujours imprégnée d'une humanité coupable, nous renvoie à nos propres travers au détour d'un quotidien qui se disloque dans la nébulosité de leurs démarches jusqu'au-boutistes qui frisent l'absurde. C'est tout cela que l'on retrouve dans Bastion, nouveau récit du romancier qui explore le milieu de l'extrême-droite lyonnaise avec autant de gravité que d'humour. Et autant dire que l'auteur n'a rien d'un rigolo de service.

     

    bastion,jacky schwartzmann,editions du seuil,cadre noirLe lundi, il écume les rayons avec cette aisance de l'habitué qui connaît les moindres recoins du supermarché ainsi que le prénom de chacune des caissières. Pas de doute, Jean-Marc Balzan, célibataire sans enfant, est en préretraite et profite de chaque instant de cette période d'oisiveté bien méritée. Une petite vie pépère sans aspérité où l'on savoure les bonnes petites bouffes au resto et les voyages sympas qui vous donnent ce sentiment de liberté. Mais il y a Bernard, son meilleur ami qu'il connaît depuis l'enfance, un véritable frère d'arme qu'il tire régulièrement des guêpiers dans lesquels il a l'habitude de se fourrer. Il faut dire que si Bernard est un gars intelligent, il peut se révéler extrêmement con. Pour preuve, cette idée saugrenue qu'il a de s'engager dans l'équipe de campagne d'Eric Zemmour pour la présidentielle 2027 suscitant l'inquiétude de Jean-Marc craignant le pire et qui décide, à son corps défendant, d'accompagner son pote de toujours afin de le protéger. Et voilà que Jean-Marc se retrouve à côtoyer toute la galaxie de l'extrême-droite lyonnaise, des skinheads bas du plafond aux entrepreneurs ambitieux et plus ou moins véreux et des ultras qui préparent un attentat qu'il va tenter de déjouer en devenant l'indic des gendarmes tout en rencontrant le fameux Eric Z, icône de cette mouvance politique foireuse.

     

    Bastion débute sur cette scène de mœurs et coutumes de retraités évoluant dans un supermarché qu'un sociologue, disciple de Bourdieu et sous protoxyde d'azote, n'aurait pas renié tant le regard y est à la fois drôle et pertinent. C'est de cette manière que nous faisons la connaissance de Jean-Marc Balzan, homme de la classe moyenne qui se complait dans un quotidien d'heureux retraité que rien ne saurait bousculer hormis les frasques de son ami Bernard qui s'est mis en tête de soutenir la campagne présidentielle d'un certain Eric Zemmour dont il décline tous les bienfaits qu'il pourra apporter à une France déliquescente. On perçoit ainsi le mécanisme pernicieux de celles et ceux qui se tournent vers l'extrémisme, ultime voie de recours pour faire face à leurs problèmes dont l'étranger est forcément la cause et que Jacky Schwartzmann décline dans le contexte de l'apéro où les deux amis se confrontent au gré de leurs convictions respectives avec quelques réflexions hilarantes, dignes d'une politique de comptoir où émerge un certain désarroi. A partir de là, infiltré dans cette mouvance d'extrême-droite, Jean-Marc nous donne à voir toutes les nuances de l'univers fasciste dans lequel on retrouve Didier riche entrepreneur qui met en avant un racisme pragmatique d'opportunité pour la conduite de ses affaires, tandis qu'un individu de basse extraction comme Kevin s'inscrit dans un racisme rageur dont il peine à saisir la portée, hormis d'aider son prochain, qu'il soit blanc comme lui, afin de lui offrir refuge au sein de Bastion, centre d'accueil pour SDF situé du côté de Gerland, repaire des ultras, tout en cassant la gueule des antifas qui se présentent à lui. On notera, à l'occasion de son apprentissage de solidarité fasciste, cette déconvenue lorsque Kevin découvre que les sdf tchétchènes, s'ils sont blancs, sont de confession musulmane et n'apprécient donc guère les repas à base de porc. Une scène hilarante parmi tant d'autres au détour de cette atmosphère lyonnaise électrique émanant d'un texte oscillant entre le polar et le thriller aux entournures politiques qui s'achève du côté de Paris. Avec Bastion on perçoit ainsi, dans ce passage en revue sans concession de l'extrême-droite française, une lueur d'humanité émergeant de certains protagonistes se révélant plus con que méchant, tandis que d'autres parmi les plus nantis font preuve d'un cynisme destructeur pour assouvir leur soif de pouvoir dont la finalité est de s'emparer des plus hautes instances gouvernementales et que le romancier décline sur le registre d'un complot tonitruant qui n'est pas dénué de tension. De l'instrumentalisation, des magouilles et des coups foireux se mettent donc en place dans une succession de scène, parfois véritablement cocasses, autour de l’entourage du fameux Z faisant une apparition furtive et pathétique dans le cours d'une intrigue décapante aux allures de comédie noire qui font de Bastion un roman au style unique où l'on se marre sérieusement, ce qui nous fait vraiment du bien.


    Jacky Schwartzmann : Bastion. Editions du Seuil/Collection Cadre noir 2025.

    A lire en écoutant : A Hero's Death de Fontaine D.C. Album : A Hero's Death. 2020 Partisan Records.

  • BRIAN EVENSON : LA CONFRERIE DES MUTILES / MEMBRE FANTOME. AU NOM DE LA FOI.

    la confrérie des mutilés,membre fantôme,brian evenson,éditions rivages imaginaireLorsque le récit paraît en 2003, il se décline sous le format d'une nouvelle que l'auteur développera avec une suite qui formeront le roman culte qu'il est désormais devenu, ce d'autant plus qu'il n'était plus disponible et qu'il était nécessaire de le dénicher chez les bouquinistes, comme si l'on exhumait un texte précieux. Mais voilà que La Confrérie Des Mutilés de Brian Evenson fait l'objet d'une nouvelle parution dans la collection Imaginaire des éditions Rivages en  s'inscrivant dans le sillage de Membre Fantôme, dernier ouvrage du romancier, publié en avant-première mondiale pour les lecteurs francophones qui bénéficieront donc en primeur de la suite des enquêtes du détective privé Kline évoluant une nouvelle fois dans ce milieu de mutilés volontaires afin d'afficher leur foi et qui sont en quête d'un prophète dont il pourrait endosser le rôle, eu égard à la perte d'une de ses mains lors d'un règlement de comptes. C'est donc dans l'univers d'un hard-boiled aux connotations horrifiques que l'on retrouve Brian Evenson romancier, essayiste et traducteur qui enseigne également l'écriture créative au sein d'un institut littéraire en Californie où il vit désormais, du côté de Los Angeles, après avoir été prié de quitter l'Eglise mormone au regard de ses publications jugées inappropriées et dont il posait les bases d'un monde de violence cruelle et absurde avec La Langue D'Altman (Le Cherche Midi 2014) un recueil de 27 nouvelles traduit en français par Claro et qui est malheureusement indisponible, hormis sur le marché du livre d'occasion. De cette œuvre singulière, voire même dérangeante, mais toujours imprégnée d'une impressionnante densité, émerge ce fanatisme destructeur et cette quête de l'identité dont on avait déjà un aperçu avec Immobilité (Rivages/Imaginaire 2023) et L'Antre (Quidam 2023) deux roman d'anticipation nous plongeant dans les aléas de survivants évoluant dans l'atmosphère ravagée et viciée d'une Terre post-apocalyptique. Et dans ce qui apparaît comme une littérature de genre qu'elle soit tournée vers la science-fiction, le polar ou le fantastique aux entournures horrifiques, Brian Evenson se focalise sur ces questions existentialistes qui transparaissent dans l'ensemble de ses romans et autres nouvelles qui s'inscrivent dans un registre troublant à l'extrême qui ne manquera pas d'interpeller les lecteurs qui s'aventureront dans un environnement singulier qui secouera les plus blasés d'entre eux. Vous voilà prévenus. 

     

    la confrérie des mutilés,membre fantôme,brian evenson,éditions rivages imaginaireLa Confrérie Des Mutilés.


    Lors d'un règlement de compte, le détective privé Kline a perdu l'une de ses mains sans frémir en cautérisant lui-même la plaie avec un réchaud à gaz avant d'abattre son agresseur. S'il bénéficie d'une pension confortable lui laissant largement de quoi vivre, voilà qu'un mystérieux commanditaire insiste pour faire appel à ses services afin de savoir qui a tué le Prophète de leur confrérie composée uniquement de mutilés volontaires. Immergé au sein de cette congrégation, Kline prend peu à peu la mesure des enjeux qui se trament dans un environnement où le degré de la foi se mesure au nombre de mutilations volontaire de chaque fidèle en s'inscrivant ainsi dans une hiérarchisation hermétique de membres découpés où le Prophète atteint la somme extravagante de 12 amputations. Mais si les membres de la confrérie semblent unis dans une apparente unité de doctrine assez formelle, le détective va mettre à jour des divergences qui vont conduire certains d'entre eux vers un schisme destructeur, imprégné de mensonges et d'actes odieux qu'il va lui-même commettre afin de s'extirper de cette folie ambiante. 

     

    Avec Brian Evenson, l'horreur n'a rien d'esthétique et s'extirpe du registre complaisant d'une violence gratuite destinée à nourrir l'intrigue afin de se focaliser sur l'absurdité d'une foi où la cruauté et la douleur vous conduisent jusqu'à l'extase en devenant ainsi les thèmes centraux que le romancier aborde sans aucune complaisance dans La Confrérie Des Mutilés s'achevant sur une confrontation assez dantesque en forme d'interrogatoire irrationnel entre Kline, un détective privé quelque peu dépassé par les événements, et Borchert, gourou charismatique aux innombrables mutilations et imprégné de certitudes destructrices. Et c'est bien de certitude qu'il s'agit tout au long d'un récit à la fois étrange et terrifiant où chaque protagoniste s'enferme dans une logique terrible qui ne souffre aucune contradiction et qui sera d'ailleurs balayée dans une série de confrontations sanglantes et explosives qui prennent de plus en plus d'ampleur à mesure que Kline progresse dans des investigations prenant l'allure d'une croisade cauchemardesque dont il ne parvient pas à s'extirper bien au contraire. L'enjeu comme toujours avec Brian Evenson est de définir l'identité du protagoniste principal à l'instar d'un individu comme ce détective privé dont on se demande s'il ne 's'agirait pas de l'Elu qu'attendent les membre de La Confrérie Des Mutilés, ce d'autant plus qu'il suscite l'admiration au sein de ces fous furieux qui n'en reviennent pas qu'il se soit tranché la main sans aucun analgésique et qu'il ait cautérisé lui-même la plaie avec un réchaud à gaz. A partir de là, l'intrigue se décline sur un rythme très dynamique ponctué d'éclats d'une fureur effroyable trouvant pourtant sa logique dans la contradiction d'un fanatisme aveugle qui vire parfois au burlesque à l'instar de cette discussion entre deux fidèles autour de la valeur des mutilations et quant à savoir si celui qui s'est tranché trois doigts pourrait-il être le supérieur de celui qui s'est séparé d'une main. Tout cela se décline sur deux parties que sont La Confrérie Des Mutilés à proprement parler et Derniers Jours que Brian Evenson a écrit 6 ans plus tard et qui fait désormais partie du présent ouvrage en reprenant les mêmes thèmes dans une suite encore plus déjantée où l'on découvre une secte concurrente tout aussi tranchante où l'on règle également ses comptes à coup de hachoir dans univers complètement barré. Sans qu'il n'en soit d'ailleurs jamais fait mention hormis quelques allusions à la crucifixion du Christ et de la douleur qui en découle et qui semble être le postulat de cette congrégation, Brian Evenson, nous interpelle forcément sur notre rapport aux religions qui nous entourent dans ce qui apparait comme une analyse fine et intelligente de la foi et des croyances ainsi que de processus qui en résulte et dont il décortique les mécanismes avec une redoutable acuité qui fait froid dans le dos.


    la confrérie des mutilés,membre fantôme,brian evenson,éditions rivages imaginaireMembre Fantôme
    Kline n'est plus que l'ombre de lui-même, une véritable épave, après sa confrontation avec La Confrérie Des Mutilés dont les adeptes estiment que l'automutilation leur permet d'atteindre une certaine béatitude mystique. S'il ne reste plus que des cendres de la secte qu'il a décimée, Kline doit pourtant remettre le couvert pour le compte du mouvement dissident les "Paul" qui font désormais l'objet d'une élimination en règle de leurs fidèles dont on retrouve la moitié de leur corps littéralement découpés dans le sens de la longueur et accroché dans des congélateurs à l’aide de crochets de boucher. Chancelant, mais tout de même valeureux, Kline va mettre à jour, un schisme bien plus important, émergeant d'une secte féminine persuadée de la résurrection de la chair et qui s'inspire de ce phénomène de membre fantôme propre aux personnes mutilées se révélant pour leurs adeptes bien plus qu'une simple sensation. S'ensuit une confrontation avec la prophétesse Grida toujours flanquée d'Artem, un colosse chargé d'éliminer tous les obstacles d'une foi qui se décline dans le contexte d'une prophétie sanglante dans laquelle Kline doit tenir un rôle majeur.


    Dans La Confrérie Des Mutilés, les femmes faisaient une apparition furtive dans un calendrier affriolant où le nombre de leurs mutilations était en rapport avec le mois de l'année pour atteindre la consécration du mois de décembre où la fille porte en bandoulière une écharpe ornée de l'inscription "Miss Minimum". Dans un registre similaire, on assistait également à ce spectacle aux allures de cabaret plus que dérangeant où une effeuilleuse se dénudait complètement avant de se débarrasser langoureusement de ses prothèses pour le plus grand bonheur des adeptes de la secte. Avec cette suite directe des événements précédents qu'il convient de lire au préalable pour mieux saisir toute les nuances de l'outrance, de l'excès de cette folie furieuse apparaissant donc une nouvelle fois dans Membre Fantôme, on prend toutefois la mesure d'une dimension beaucoup plus féministe au gré d'un récit ne vous laissant aucun instant de répit. On plonge de cette manière, dans une cavalcade d'affrontements sanguinolents s'inscrivant dans une logique tout aussi absurde qu'implacable qui ne manquera pas d'interpeller le lecteur dans ce qui émerge du mécanisme d'une foi délétère qui s'emparera même d'un individu comme Kline plus agnostique que jamais, en dépit de la certitude de ces femmes qui font du phénomène du membre fantôme, que des mutilés ont pu observer avec une sensation de douleur provenant de leur membre disparu, un dogme qui alimente le courant d'une secte aux dérives meurtrières, c'est le moins que l'on puisse dire. Et même si l'intrigue est imprégnée d'une atmosphère inquiétante et singulière, entrecoupée d'éclats d'une fureur monstrueuse, Brian Evenson nous ramène à ces interrogations autour de la croyance au gré de dialogues aux intonations absurdes révélant la personnalité de protagonistes engoncés dans des convictions qui les aveuglent définitivement pour les entrainer sur le registre d'une violence habilement mise en scène qui sert durablement l'intrigue en faisant de Membre Fantôme un roman tout aussi magistral que La Confrérie Des Mutilés qui s'articulent tous les deux dans un registre aussi déconcertant que troublant, à la lisière du fantastique.

     

     

    Brian Evenson : La Confrérie Des Mutilés (The Brotherhood Of Mutilation / Last Day). Editions Rivages/Imaginaire 2025. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Françoise Smith.  


    Brian Evenson : Membre Fantôme (Phantom Limb). Editions Rivages/Imaginaire 2025. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jonathan Baillehache. 


    A lire en écoutant : Tell Me About The Forest (You Once Called Home) de Dead Can Dance. Album : Into The Labyrinth. 2007 4AD Ltd.