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LES AUTEURS - Page 68

  • Andreu Martin : Société Noire. Nuit de Chine.

    andreu martin, société noire, asphalte éditions, triades, maras, BarceloneSi vous souhaitez vous orienter vers l’urbain et vers le style propre aux pulps, il faudra vous intéresser aux publications de la maison d’éditions Asphalte que je ne cesse de vous recommandez avec ses ouvrages tirés de la veine hispanique des polars. Vous transiterez du Brésil avec Psiica d’Edyr Augusto (Asphalte 2016) au Chili avec Tant de Chiens (Asphalte 2015) et Les Rues de Santiago (Asphalte 2014) de Boris Quercia en passant par l’Espagne avec J’ai été Johnny Thunders (Asphalte 2016) de Carlos Zanon, un des grands romans noirs de la collection où l’on arpentait les rues désenchantées de Barcelone. Des récits secs et nerveux, dégageant les relents acres de ce bitume qui donne son nom à cette maison d’éditions atypique. Loin d’être un novice dans le genre, puisqu’il compte, parmi la kyrielle d’ouvrages à son actif, deux titres traduits en français dans la Série Noire, Andreu Martin intègre donc l’écurie Asphalte avec Société Noire, un polar qui se déroule dans le monde interlope d’une ville de Barcelone bien éloignée des représentations touristiques.

     

    « Des têtes vont tomber ». A Barcelone, l’expression n’est pas galvaudée puisque l’on découvre la tête d’une femme posée sur le capot d’une voiture. La police met également à jour les corps d’une famille ayant subit des sévices similaires. Les autorités penchent pour un coup des mareros, ces gangs d’Amérique centrale qui inspirent désormais la jeunesse désœuvrée de la cité catalane. Mais pour l’inspecteur Diego Cañas, il se peut que ce soit l’une des très discrètes triades chinoises, bien implantées dans les rouages économiques de la ville qui soit responsable de ce massacre. Il voudrait en savoir davantage, mais il se trouve que Liang Huan, son indic chargé d’infiltrer l’une de ces société secrètes, ne donne plus de nouvelle, au moment même où un étrange braquage a eu lieu dans un entrepôt d’un « honorable » homme d’affaire chinois. Liang aurait-il décidé d’agir pour son propre compte ?

     

    Avec Société Noire, Andreu Martin dresse le portrait au vitriol d’une ville de Barcelone enlisée dans les déboires économiques qui laissent la poste ouverte aux membres de diverses factions mafieuses qui s’implémentent dans un contexte social délabré où une jeunesse sans espoir se tourne vers les modèles de ces gans issus d’Amérique centrale ultra-violents tandis que les pouvoirs politiques ferment les yeux sur une partie des capitaux suspects que certaines sociétés chinoises injectent afin de remettre à flot les structures de ce qui constitue le plus grand port de la Méditerranée. Une fois le contexte, posé, l’auteur décline une atmosphère âpre et haletante dont la temporalité est rythmée au gré de chapitres qui se déclinent tout autour d’un mystérieux braquage. Un texte prenant, ponctué de phrases courtes qui permettent de digérer très aisément les références servant à appréhender tous les ressorts sociaux et économiques qui jalonnent ce roman bourré d’humour et de testostérone.

     

    On découvre ainsi les différents rouages de cette intrigue échevelée, mais qui, au final, se révèle extrêmement bien structurée, par le biais des points de vue de Diego Cañas, inspecteur de la police et de son indic, Liang Huan. Le flic en proie à des soucis familiaux bien plus importants que l’enquête qu’il est en train de mener doit faire face à son adolescente de fille rebelle tandis que l’indic sino-espagnol tombe amoureux de la fille du chef de la triade qu’il doit infiltrer. Malgré la fureur d’un roman jalonné de péripéties captivantes, Andreu Martin prend le temps de s’attarder sur l’entourage de ces deux protagonistes qui donnent ainsi une dimension très humaine au récit. Une somme de chassé-croisé, de poursuites infernales et de règlements de compte sanglants feront que le lecteur se retrouvera plongé dans une spirale infernale où la violence devient l’inexorable recours de cette fuite en avant qui semble perdue d’avance.

     

    Société Noire nous entraîne donc dans l’atmosphère délétère de ces gangs et de ces entreprises mafieuses que l’auteur s’emploie à dynamiter au gré d’un texte où le fantasme côtoie une réalité bien plus trash qu’il n’y paraît. Âpre et rugueux, teinté d’un climat bien sombre, Société Noire comblera les attentes des aficionados des récits de pulp magazines.

     

    Andreu Martin : Société Noire (Societat Negra). Asphalte éditions 2016. Traduit du catalan par Marianne Millon.

    A lire en écoutant : Love Will Tear Us Apart de Joy Division. Album : Les Bains Douches 18 December 1979. NMC Music 2001.

  • ANTONIN VARENNE : TROIS MILLE CHEVAUX VAPEUR. LA PISTE DE SANG.

    antonin varenne, trois mille chevaux vapeur, albin michelIl existe des ouvrages qui rôdent autour de vous, précédés d’une réputation plutôt flatteuse, que vous tardez pourtant à acquérir, miné que vous êtes, par un temps désespérément trop court pour aborder l’ensemble des publications qui vous tentent et qui déferlent avec une constance excessive mais permanente dans les librairies. D’où ce sentiment de regret qu’il faut parfois surmonter en vous disant que vous trouverez bien l’occasion de vous plonger dans le récit convoité. Vaines illusions ? Pas toujours, comme c’est le cas avec Trois Mille Chevaux Vapeur publié chez Albin Michel en 2014 et qui fut l’un des ouvrages qui forgea la réputation d’Antonin Varenne en tant que narrateur talentueux comme il le démontra avec Battues (La Manufacture de Livres/Territori 2015) et Cat 215 (La Manufacture de Livres/Territori 2016).

     

    En 1852, le sergent Arthur Bowman est un soldat impitoyable qui se bat pour le compte de l’East India Compagny. Durant une campagne sanglante de la seconde guerre anglo-birmane, on lui confie une obscure mission. Il doit remonter le cours d’un fleuve pour s’enfoncer dans la jungle birmane. Mais l’expédition tourne mal et les hommes sont capturés et doivent subir les brimades et tortures de leurs gardiens durant de nombreux mois. Seuls dix d’entre eux parviendront à s’extirper de cet enfer. En 1858, à Londres où il est devenu vigile pour la compagnie, le sergent Bowman étouffe ses cauchemars dans les vapeurs d’alcool et les nuages d’opium. Mais dans un égout de la ville, il découvre un cadavre portant des stigmates similaires à ceux que lui ont infligé ses geôliers birmans. L’auteur de ce crime atroce ne peut-être que l’un de ses anciens compagnon d’infortune et Bowman se lance à sa poursuite d’autant plus que l’assassin semble poursuivre ses sombres activités sur un continent américain en pleine expansion.

     

    Oscillant sur le mode du roman d’aventure, du western et du thriller, Trois Mille Chevaux Vapeur entraînera le lecteur sur ces différentes thématiques que l’auteur aborde avec une aisance peu commune par l’entremise d’un texte dont la fluidité permet d’évoquer sans aucune lourdeur tous les grands changements du XIXème siècle. Ainsi Antonin Varenne aborde les manœuvres navales de la guerre anglo-birmane ; l’effondrement de la Compagnie des Indes ; les bas-fonds de Londres en pleine période de sécheresse, les grèves ouvrières à New-York et bien évidemment la grande conquête de l’Ouest, le tout sur fond d’industrialisation et de progrès notables qui se font sur le dos d’une population exploitée et dont les sursauts de révoltes sont réprimés d’une sanglante manière. Très documenté, sans pour autant en faire un étalage pénible, Trois Mille Chevaux Vapeur évoque également tout le contexte historique et social d’événements intenses dans lesquelles le protagoniste principal se retrouve mêlé au gré de son périple qui fera de lui un autre homme.

     

    On suit donc le parcours d’Arthur Bowman, personnage frustre et cruel qui se révèle plutôt antipathique mais dont l’humanité se révélera au fil des rencontres qu’il fera lors de cette quête rédemptrice. Mais rien n’est simple avec Antonin Varenne, les stéréotypes d’une histoire convenue disparaissent au travers de personnages qui se révèlent bien plus complexes qu’ils n’y paraissent. Ainsi, l’auteur met régulièrement de côté la traque d’un tueur qui devient le fil conducteur d’un récit qui se concentre sur les aspects d’un monde en pleine mutation. D’ailleurs les crimes qui jalonnent le roman sont toujours relégués au second plan en se dispensant par exemple de tout l’aspect sanglant de meurtres qui ne servent qu’à relancer l’intrigue.

     

    Conteur hors pair, Antonin Varenne concilie donc avec maestria tous les ingrédients d’une époque dantesque où les mondes s’écroulent tandis que d’autres prennent naissance pour nourrir une intrigue fourmillant de péripéties et de rebondissements parfois spectaculaires dans lesquelles apparaissent une myriade de protagonistes qui vont influencer la trajectoire et la destinée d’Arthur Bowman. Il rencontrera, entre autre, des soldats déboussolés par une guerre sauvage, une femme de caractère aux convictions utopistes, un indien tiraillé entres ses différentes origines et un prêcheur à la foi chamboulée, autant de personnages façonnés par l’imagination fertile d’un auteur qui parvient à déjouer tous les stéréotypes que l’on pourrait conférer à ce type d’individus que l’on a croisé dans tant d’autres récits.

     

    Mené avec la force tranquille de l’un de ces paquebots traversant l’Atlantique et dont la puissance donne son nom au roman, Trois Mille Chevaux Vapeur est un récit qui conjugue donc, avec un bel équilibre, l’imaginaire foisonnant d’un auteur et le contexte historique d’une période chargée en événement pour nous livrer un roman dantesque qui ne manquera pas de laisser le lecteur avec le souffle coupé. Un ouvrage impressionnant.

     

    Antonin Varenne : Trois Mille Chevaux Vapeur. Editions Albin Michel 2014.

    A lire en écoutant : In God’s Country de U2. Album The Joshua Tree : Island Records 1987.

  • Akimitsu Takagi : Irezumi. A fleur de peau.

    Capture d’écran 2017-07-23 à 19.31.35.pngQu’elles soient littéraires, culinaires, cinématographiques ou télévisuelles, les incursions au Japon demeurent des démarches à la fois fascinantes et déroutantes permettant de lever un coin de voile d’une culture à la fois dense et mystérieuse. D’une complexité et d’une étrangeté sans égale pour le regard de l’occidental néophyte que je suis, la société nippone suscite toujours un profond intérêt qui débuta il y a bien des années de cela avec la découverte du film Yakuza de Sidney Pollack qui nous entraînait dans les arcanes de ces gangsters japonais régis par un code d’honneur rigoureux et dont la peau de certains membres étaient ornée de tatouages traditionnels que l’on désigne sous la dénomination de Irezumi qui donne justement son titre à la version française d’un curieux roman de Akimitsu Takagi, parut en 1948 à une période où le Japon était encore occupé par l’armée américaine.

     

    Aussi belle et fascinante soit-elle, Kinué Nomura est destinée à un fin tragique, puisque cette fille d’un illustre tatoueur déplore déjà la disparition de sa sœur jumelle. Il faut dire que les jumelles ainsi que leur frère possèdent la particularité d’être porteur d’Irezumi fabuleux esquissés par leur géniteur et dont l’ensemble évoque une légende aux entournures maudites. De fait, le corps démembré de Kinué est retrouvé dans une salle de bains dont la porte est verrouillée de l’intérieur. Et l’on constate rapidement que le buste est manquant. Les autorités se perdent en conjecture. S’agirait-il de l’œuvre d’un admirateur sadique désireux de posséder le précieux tatouage ? Mais la tournure des événements laisse peu de place à la réflexion, puisque c’est le frère de la victime qui est retrouvé mort dans des circonstances similaires. La police dépassée va devoir accepter l’aide de Kyôsuge Kamisu, jeune surdoué qui parviendra peut-être à déjouer les sombres desseins de ce psychopathe sanguinaire.

     

    Basé sur l'archétype narratif du crime commis dans une pièce close de l'intérieur et résolu par un enquêteur surdoué, Irezumi, à plus d'un titre, sort résolument de l'ordinaire, tant par le cadre historique dans lequel se déroule l'intrigue que par le milieu méconnu du tatouage dans lequel évolue l'ensemble des personnages. Bien évidemment, l'un des enjeux majeurs du roman consistera à découvrir le modus opérandi d’un assassin particulièrement habile et il faut bien admettre que l'auteur fait preuve d'une brillante ingéniosité qu'il restitue par l'entremise de la logique implacable de Kyôsuke Kamisu, sorte de jeune et malicieux Rouletabille qui manque peut-être un peu d'envergure. Il s'agit là de la seule faiblesse du roman par rapport à ce protagoniste captivant qui, paradoxalement, arrive bien trop tardivement dans le fil d’une intrigue tout en maîtrise. Néanmoins Irezumi n’est que le premier roman d’une série qui compte dix-sept volumes, mettant en scène ce détective amateur atypique, qui n’ont pas encore fait l’objet d’une traduction en français.

     

    Si l’on ressent clairement l’influence occidentale du point de vue de l’intrigue policière, Irezumi oscille rapidement vers un univers à la fois dissolu et sensuel propre au Japon en suivant la destinée de cette femme, Kinué, dont l’épiderme recouvert d’une fresque éblouissante, suscite toutes les convoitises. On découvre un entourage étrange dans lequel la jeune femme évolue en dégageant une espèce de sensualité trouble, presque malsaine. Ainsi de l’amoureux transi au collectionneur avide, il gravite autour de la belle naïade toute une panoplie de personnages torturés dont la concupiscence génère un climat de tensions et de perversions. L’auteur bâtit donc son intrigue en intégrant tous les aspects liés à l’art du tatouage traditionnel que ce soit la douloureuse phase de conception qui peut durer plusieurs années, la marginalisation de ces artisans contraint d’effectuer leurs activités dans une semi clandestinité ainsi que le regard réprobateur que porte la société nippone sur les individus affublés de ces estampes indélébiles. Bien plus qu’une série de clichés d’un univers exotique et méconnu, tous ces éléments deviennent les ressorts nécessaires aux motivations et mobiles des différents crimes qui sont perpétrés en générant un climat licencieux et sulfureux.

     

    L’ouvrage publié en 1948 permet également d’appréhender, avec un texte aux tonalités étrangement contemporaines, tout le contexte historique de cette ville de Tokyo occupée qui se remet peu à peu des affres de la guerre tandis que la population évolue dans les décombres d’une cité laminée par les bombardements. C’est au travers du quotidien des différents intervenants que l’on perçoit les aléas d’une vie laborieuse faite de marché noir, de transports chaotiques, de suicides en pleine représentation théâtrale et de filatures dans des quartiers en ruine.

     

    Portant un regard éclairé sur la société nippone de l’après-guerre, Irezumi devient ainsi bien plus qu’un whodunhit classique et aiguisé pour nous entraîner dans le sillage d’un univers délicieusement déliquescent que l’on discerne au détour d’une intrigue fort bien construite.

     

    Akimitsu Takagi : Irezumi (Shisei Satsujin Jiken). Editions Denoël/Collection Sueurs Froides 2016. Traduit du japonais par Mathilde Tamae-Bouhon.

     

    A lire en écoutant : The City Is Crying de The Dave Brubeck Quartet. Album : Jazz Impression Of Japan. Sony Music Entertainment 1964.

     

     

  • ALEX TAYLOR : LE VERGER DE MARBRE. J’IRAI CREVER SUR TA TOMBE.

    le verger de marbre, alex taylor, éditions gallmeister,Néo Noir chez Gallmeister c’est un peu le rendez-vous des mauvais garçons de l’Amérique qui vous balancent des textes avec cet air nonchalant propre à ceux qui vous jetteraient un mégot à la figure. Ca brûle et ça surprend à l’image des romans qui hantent la collection. Pas vraiment des enfants de cœur, mais bourrés de talents vous ne rencontrerez pas ces écrivains dans les salons littéraires, mais plutôt au détour de bars enfumés, occupés qu’ils sont à écluser quelques verres pour se remettre des cours qu’ils dispensent dans des petites facultés de seconde zone. Et c’est dans ce vivier d’hommes et de femmes atypiques que l’on déniche des textes d’une cinglante beauté à l’instar du premier roman d’Alex Taylor intitulé Le Verger de Marbre.

     

    Au Kentucky du côté de la Gasping River ce sont les Sheetmire, père et fils qui conduisent le ferry pour franchir la rivière. Un boulot plutôt peinard qui ne rapporte pas grand-chose si ce n’est quelques ennuis avec des passagers irascibles. Mais quand l’un d’entre eux tente de le détrousser, le jeune Beam Sheetmire parvient à s’en sortir en le trucidant. Un acte qui ne va pas rester sans conséquence puisque la victime n’est autre que le fils de Loat Duncan, un puissant caïd extrêmement dangereux. S’ensuit une traque sans pitié où le chasseur, détenteur d’un lourd secret concernant sa proie, va tout mettre en œuvre pour capturer Beam. Pour Loat Duncan qui se fout de l’honneur, il s’agit tout simplement d’une question de vie ou de mort.

     

    Pour ceux qui éprouveraient une certaine lassitude vis à vis des aventures se déroulant dans l’Amérique rurale, il leur est recommandé de surmonter leurs appréhensions pour se plonger dans un récit qui figure parmi les plus aboutis dans le genre. Et puisqu’il s’agit d’une affaire de traque dont les codes ont été définitivement entérinés avec des films tels que La Nuit du Chasseur de Charles Laughton ou des ouvrages comme Non Ce Pays N’est Pas Pour le Vieil Homme de Cormac McCarthy, Alex Taylor s’est employé à détourner les règles du genre en nous soumettant un texte aux entournures lyriques plutôt surprenant où l’on décèle quelques influences gothiques, diffusant ainsi une atmosphère crépusculaire pas forcément glauque. Il y a un véritable souffle poétique qui se dégage de ce récit inquiétant truffé de métaphores et de périphrases à l’image du titre de l’ouvrage désignant sous une forme plus lyrique, le cimetière où débute et se conclut l’intrigue.

     

    Le Verger de Marbre se distingue également au niveau des protagonistes qui habitent le roman. Ainsi Beam Sheetmire, jeune homme plutôt maladroit et irréfléchi, n‘inspire aucun sentiment d’empathie tant il sème le chaos et la désolation auprès des proches qui tentent de lui venir en aide. De ses maladresses ne résultent qu’une succession de tragédies à la fois déroutantes et violentes qui ne cessent de heurter le lecteur. Quant à son adversaire, Loat Duncan, une espèce de Némésis démoniaque, flanqué de ses chiens féroces, il apparaît bien plus vulnérable qu’il n’y paraît, particulièrement lorsqu’il côtoie cet étrange routier vêtu d’un costume noir. Avec ce personnage au symbolisme exacerbé, on perçoit une aura étrange, presque fantastique qui plane au-dessus de cette histoire intrigante. Au-delà d’une thématique basée sur la vengeance, Alex Taylor pimente l’intrigue en intégrant d’autres enjeux qui se révèlent plutôt originaux pour un roman riche en péripétie. Abruptes, singulière et très souvent cruelles, les confrontations permettent de révéler les caractères de protagonistes dont le côté manichéen est atténué par les veuleries des uns et le courage des autres que l’on ne retrouve pas forcément là où l’on pourrait les déceler.

     

    Les rivières écumantes charrient leurs lots de déchets et autres objets hétéroclites, tandis que les terrains instables s’affaissent alors que l’eau prend une étrange couleur orangée dans ce comté du Kentucky parsemé de maisons abandonnées. Alex Taylor dépeint ainsi d’une manière plus subtile, notamment par le biais de brillantes plages descriptives, les affres d’une région rongée par les maux insidieux de la pollution. Allégorie sur le mal qui se décline sur tous les plans, Le Verger de Marbre exhale les relents malsains d’individus qui n’ont plus grand-chose à perdre dans cette lente agonie silencieuse et inquiétante émanant d’un obscur territoire dépourvu d’avenir.

     

    Alex Taylor : Le Verger de Marbre (The Marble Orchard). Editions Gallmeister 2016. Traduit de l’anglais par Anatole Pons.

    A lire en écoutant : Love de G. Love & Special Sauce. Album : Philadelphonic. Sony Music Entertainement Inc. 1999.

  • Fred Vargas : Quand Sort La Recluse. Le venin du succès.

    fred vargas, éditions flammarion, adamsberg, quand sort la recluseQuand Sort La Recluse, dernier roman de Fred Vargas, reine du polar ou plus précisément du  « rompol » comme elle désigne l’ensemble de son oeuvre, débarque dans nos librairies, pour ceux qui ne l’aurait pas remarqué ou qui aurait loupé la vague de service de presse qui a déferlé sur les multiples supports médiatiques. Après la déception de Temps Glaciaires qui marque l’essouflement de la série Adamsberg, je mesure tout de même l’attachement (l’addiction ?) pour l’ensemble de ces personnages puisque me voici plongé, malgré tout, dans une nouvelle enquête de ce commissaire emblématique de la littérature policière française. Signes d’un succès qui ne se dément pas, on évoque désormais Fred Vargas par le truchement de son classement dans les meilleures ventes de livres ainsi que par le biais du tirage initial et du nombre d’exemplaires vendus alors que les recensions sur l’ouvrage ne font état que d’éléments qui ont déjà été évoqués à de multiples reprises lors de la parution de ces précédents romans.

     

    Dans la région de Nîmes, la Recluse, une araignée plutôt discrète, est sortie de son trou pour faire trois victimes qui ont succombé à sa morsure qui n’était pourtant, jusqu’à présent, pas signalée comme étant potentiellement mortelle. On évoque bien une mutation liée à l’usage des pesticides, mais le commissaire Adamsberg n’y croit guère. Revenu des brumes islandaises, il percoit, dans le nuage éthéré de ses pensées, un obscur assassin qui officierait afin d’accomplir une sourde et terrible vengeance. Il faut dire que l’image de la Recluse le renvoie vers des terreurs d’enfance enfouies qui ne sont pas forcément en lien avec une banale arachnaphobie mais évoque plutôt une terrible tradition issue de rites obscurs du Moyen Age. Il ne reste plus qu’a convaincre tout le commissariat de se lancer à la poursuite de ce meurtrier. Une tâche qui va se révéler bien plus ardue qu’il n’y paraît, provoquant des scissions au sein d’une équipe qui doute du bien-fondé des certitudes d’Adamsberg. Que fait le capitaine, a-t-il perdu la raison ?

     

    On reprend les mêmes et on recommence. Pour ceux qui souhaitent retrouver l’univers de Fred Vargas sans être troublé par un quelconque changement, Quand Sort La Recluse entame un retour aux sources de la série Adamsberg en reprenant les fondamentaux qui en ont fait son succès. Une tradition médiévale en lien avec des meurtres, un lot de personnages atypiques, des dialogues décalés et une enquête alambiquée qui s’appuie sur le passé du commissaire Adamsberg, on se retrouve ainsi avec un récit correct qui ne brille pas par son originalité. Avec des recettes éprouvées, Fred Vargas signe un nouveau succès en devenir pour des lecteurs en quête de retrouvailles et d’habitudes au gré d’une intrigues aux entournures quelque peu éculées. Ainsi pour les plus avisés et les plus addicts d’entre eux, il faudra bien admettre que l’assassin est aisément identifiable tant il s’inscrit dans une espèce de tradition propre aux récits de l’auteur que je me garderai bien de dévoiler.

     

    Bien que Fred Vargas s’en défende, il y a désormais, derrière la série Adamsberg, une histoire de gros sous qui s’assortit inévitablement avec un manque de créativité et d’originalité. Il s’agit là d’un des revers de la médaille du succès que l’on ne saurait attribuer uniquement à Fred Vargas, puisque toute la chaîne du livre, jusqu’aux lecteurs que nous sommes, doit être mise en cause. Ainsi dans un univers où les publications n’ont jamais été aussi nombreuses, je m’étonne toujours de cette concentration et de mise en lumière sur quelques auteurs « bankables » qui rapportent certainement un revenu conséquent mais qui se fait au détriment de tous ces ouvrages méconnus qui peinent à trouver leur place dans cette course au succès. Un logique qui obéit forcément à un lot de contraintes afin de répondre aux attentes des lecteurs permettant ainsi d’écouler ces fameux tirages de plusieurs milliers d’exemplaires. Fred Vargas ne se dérobe malheureusement pas à la règle, même si elle tente de pimenter le récit en implémentant un conflit au sein de l’équipe du commissaire Adamsberg, comme elle l’avait d’ailleurs fait dans Temps Glaciaire. Au gré de dialogues, certes savoureux, mais désormais terriblement convenus, l’auteur égrène son lot de personnages qui ne sortent pas de leurs rôles. Adamsberg demeure ce personnage toujours aussi flou qui enquête et dirige ses collaborateurs au gré de ses sensations ; Veyrenc débite encore quelques rares alexandrins qui ne font que souligner l’essouflement de cette série ; Danglard dispense son savoir au gré des investigations en cours et Retancourt s’affirme toujours comme étant la femme-vestale, pilier indestructible de la brigade. Tout est donc bien rangé dans ce récit agréablement convenu qui présente l’avantage de se lire rapidement sans pour autant en retirer l’indéfinissable frisson que nous procurait des romans tels que L’Homme A L’Envers, Pars Vite Et Reviens Tard ou L’Armée Furieuse.

     

    Sur les eaux bien tranquilles de la notoriété, Fred Vargas nous livre donc, avec Quand Sort la Recluse, un ouvrage qui comblera les attentes des aficionados du commissaire Adamsberg sans pour autant vouloir remettre en question les rouages d’une série qui tourne désormais dans le vide en dispensant tout de même quelques éléments d’intrigues agréables à découvrir. Néamoins La Recluse mord cruellement en distillant son poison létargique qui font que, l’air de rien, l’auteur s’endort tout doucement sur son succès.

     

    Fred Vargas : Quand Sort La Recluse. Editions Flammarion 2017.

    A lire en écoutant : Le Capitaine de William Sheller. Album : William Sheller & le quatuor Stevens (Live). Mercury 2007.