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LES AUTEURS - Page 69

  • LANCE WELLER : LES MARCHES DE L’AMERIQUE. PERDUS DANS LES PLAINES.

    Capture d’écran 2017-06-20 à 00.56.10.pngChester Himes obtint une certaine notoriété avec la rencontre de Marcel Duhamel, fondateur de la Série Noire tout comme James Ellroy qui entretient, aujourd’hui encore, une relation privilégiée avec François Guérif, créateur des éditions Rivages. Des auteurs qui rencontrent davantage de succès à l’étranger que dans leur pays d’origine comme c’est le cas pour Lance Weller qui nous avait ébloui avec un premier roman exceptionnel intitulé Wilderness (Gallmeister 2014) où il évoquait une des batailles méconnues de la guerre de Sécession. En faisant l’acquisition du manuscrit de son second roman, Les Marches de l’Amérique, et en le traduisant directement en français alors qu’il n’est pas encore sorti aux USA, Olivier Gallmeister prend le pari de mettre en avant un auteur qui figurera, à n’en pas douter, parmi les grands nom de la littérature nord-américaine.

     

    Au delà de la Frontière, il y a ces vastes étendues sans nom où les convois s’aventurent en quête de nouvelles terres. Sur ces territoires que les mexicains et américains se disputent on peut croiser quelques chariots qui paraissent égarés. En y regardant de plus près on peut reconnaître Tom Hawkins et Pigsmeat Spence deux amis d’enfance qui traînent derrière eux une terrifiante réputation d’hommes coriaces. Mais point d’errance ou de coups foireux pour ces deux gaillards qui ont désormais un but. Ils escortent la belle Flora, une jeune esclave mulâtre qui s’est affranchie et qui tient à retrouver son maître à qui elle doit présenter son fils. Ce dernier se tient dans le chariot, coincé dans un cercueil sans couvercle, rempli de sel pour conserver le corps. Dans un monde violent en plein devenir, ces trois cabossés de la vie poursuivent leur chemin en trimballant leur sinistre cargaison.

     

    Une fois encore, Lance Weller s’empare d’un pan de l’histoire de son pays pour démystifier cette conquête de l’Ouest avec une puissance destructrice en ramenant le contexte historique à hauteur d’homme. Les Marches de l’Amérique aborde la colonisation de ces terres sans nom que se disputent les milices et armées de deux pays en plein développement tandis que colons et autres aventuriers errent dans ce no man's land en quête de quelques fortunes plus qu’aléatoires. En toile de fond on distingue toute la barbarie de cette conquête avec des milices cruelles qui traquent les indiens pour les massacrer afin de percevoir une solde qui se calcule au nombre de scalps récoltés. On y perçoit la misère d’une vie précaire, incertaine qui bascule soudainement dans une violence exacerbée par la peur et le doute. On y croise quelques personnages historiques comme le sinistre James Kirker, mercenaire, traqueur d’indiens et grand chasseur de scalps qui décima avec sa milice des populations entières de villages mexicains. Dans les méandres de ce contexte chaotique, où la cruauté et la sauvagerie semblent presque quotidiennes, le lecteur est rapidement subjugué par ce texte qui conjugue forces et émotions en nous distillant une fresque épique à couper le souffle.

     

    Mais au-delà de la férocité d’une époque cruelle, Lance Weller lance quelques bouées d’humanité que l’on décèle notamment au travers du parcours de Tom Hawkins, de Pigsmeat Spence et de la jeune Flora dont les destinées vont se percuter à Independance, une ville-champignon de toile et de bois qui se dessine dans la boue. En quête d’une vie pleine de sens, les trois compères s’accrochent les uns aux autres pour surmonter les stigmates d’un passé bien trop lourd à porter tout seul. La rédemption, la quiétude et autres objectifs parfois insensés vont porter cette femme et ces deux hommes d’un bout à l’autre d’un pays étrange où les frontières se font et se défont au gré de victoires et de défaites d'une guerre qui les indiffèrent complètement mais qui va pourtant les rattraper.

     

    Du sang, de la boue et un peu de poussière après la bataille, au terme d’un roman aussi intense que flamboyant, Les Marches de l’Amérique laissera le lecteur en bord de piste tout pantelant tout en confirmant l’immense talent d’un auteur qui subjugue. Car l’air de rien, Lance Weller est un écrivain d’une rare puissance qui nous envoûte sans ménagement.

     

    Dans le cadre d’une tournée en Europe, vous pourrez rencontrer Lance Weller à Genève où il dédicacera son livre à la Librairie du Boulevard, le mercredi 21 juin 2017 à 18h00.

     

     

    Lance Weller : Les Marches de l’Amérique (American Marchlands). Editions Gallmeister 2017. Traduit de l’anglais (USA) par François Happe.

    A lire en écoutant : Undiscovered First de Feist. Album : Metals. Cherrytree Records 2011.

  • Sunil Mann : Poker En Famille. Enfants perdus.

    sunil mann, poker en famille, éditions des furieux sauvages, Zürich, oberland bernois, madridRésolument ancré dans une dimension locale, le polar suisse, à quelques rares exceptions, peine à s’exporter au-delà de nos frontières et à franchir cette fameuse barrière du « Röstigraben » expliquant, du moins en partie, le succès très relatif en Suisse Romande, de la série des aventures du détective privé Vijay Kumar, résidant et officiant dans le quartier populaire du Kreis 4 de la ville de Zürich. Pratiquement passée inaperçue, il s’agit une nouvelle fois de signaler, pour les amateurs du genre, cette superbe série qui aborde, avec un humour décalé, les problèmes sociaux du pays sur fond d’enquêtes policières à la fois sensibles et émouvantes. On découvrait l’œuvre de Sunil Mann avec La Fête des Lumières (Furieux Sauvages 2013) où l’on faisait la connaissance de ce jeune détective aux origines indiennes qui déjouait de sinistres magouilles immobilières en lien avec des mouvement d’extrême-droite au sein d’une ville cosmopolite. Le second roman, L’Autre Rive (Furieux Sauvages 2015) nous plongeait au cœur de la communauté gay tout en évoquant la situation des migrants clandestins. Pour ce troisième opus, intitulé Poker en Famille, Vijay Kumar, qui semble vouloir remettre en cause les perspectives de son avenir professionnel, va nous entraîner dans les dérives de l’adoption abusive.

     

    Malgré quelques succès, le détective privé Vijay Kumar peine à joindre les deux bouts. Il faut dire que les petites missions de surveillance et autres filatures quelconques ne suffisent pas à régler les factures qui s’accumulent. Tout en cherchant un emploi plus stable pour faire face aux dépenses, il rend quelques menus services à sa petite amie Manju qui développe un service de traiteur de cuisine indienne. Mais lorsque Noemi, une jeune adolescente perturbée débarque dans son bureau pour lui confier la recherche de ses parents biologiques, Vijay se laisse convaincre et reprend du service. Une enquête bien plus dangereuse qu’il n’y paraît qui entraîne notre détective de Madrid jusqu’aux contrées de l’Oberland bernois, sur les traces d’un inquiétant médecin.

     

    Une nouvelle fois, Sunil Mann évoque un sujet sensible avec cette pointe d’ironie qui caractérise l’ensemble de ses romans en se démarquant ainsi des productions parfois tristounettes de ses confrères helvétiques qui se prennent bien trop au sérieux. Ce mordant qui caractérise le personnage principal nous rappelle des détectives tels que Philip Marlowe que Sunil Mann cite d’ailleurs parmi toutes ses influences littéraires qui l’ont poussé vers l’écriture de romans policiers. Mais à l’inverse du héros solitaire, Vijay Kumar est bien entouré avec sa famille est quelques compères atypiques qui prennent une place prépondérante dans l’ensemble des récits. Tous dotés de quelques traits de caractères saillants, l’ensemble des personnages permet d’aborder les intrigues avec des points de vues plutôt divergents et parfois rafraîchissants à l’instar de Miranda, cette prostituée transsexuelle qui apporte une dimension décalée en oscillant sur les registres du burlesque et de l’émotion. C’est probablement l’une des grandes qualités de la série où chaque acteur occupe une place bien précise dans l’ensemble des intrigues en reléguant parfois Vijay Kumar dans un rôle d’observateur qui lui convient d’ailleurs parfaitement. Doté d’une certaine acuité, le détective privé nous entraîne dans le champ de ses introspections en nous livrant ses réflexions sur des thèmes variés tels que l’immigration et les enjeux liées à l’intégration en relevant les similitudes et les dissonances de deux cultures diamétralement opposées dans lesquels les natifs sur sol helvétiques doivent trouver leur place à l’image d’un Vijay Kumar tiraillé entre le poids des traditions incarné par une mère aussi aimante que possessive et l’attrait d’un certain goût d’indépendance le dispensant de tout compte à rendre auprès des siens.

     

    Poker en Famille évoque, comme son nom l’indique, les apparences trompeuses de la famille idéale qui se révèle bien plus bancale qu’il n’y paraît et dans laquelle une jeune fille refuse désormais de poursuivre ce jeu de dupe. Lubie d’une adolescente perturbée ou intuition avérée, Noémi ressent depuis toujours une certaine distance avec les membres de sa famille à un point tel qu’elle éprouve la certitude d’avoir été adoptée. Dubitatif, Vijay Kumar entame tout de même quelques investigations qui vont confirmer les doutes de la jeune fille. Pour mener à bien cette enquête délicate, Vijay Kumar va devoir se rendre à Madrid en compagnie de son ami José, journaliste d’investigation. Les deux compères vont rapidement mettre à jour un odieux trafic d’enfants mis en place par des nones bénéficiant de la complicité d’obstétriciens douteux s’arrogeant le droit de décider qui mérite un enfant. Une sélection qui s’avère d’autant plus abjecte qu’elle se base essentiellement sur des notions pécuniaires. Toujours très bien documenté, Sunil Mann nous permet d’appréhender tous les ressorts de cette traite de bébés en mettant en exergue toute l’émotion de ces familles brisées qui n’ont jamais renoncé à la garde de leur progéniture. Mais au-delà de cette détermination, l’auteur développe toute une intrigue basée sur le ressentiment et l’esprit de vengeance dont l’épilogue déroutant se déroule dans un coin reculé de l’Oberland bernois, terre d’origine de l’écrivain.

     

    Madrid, l’Oberland bernois, avec Poker en Famille, Sunil Mann délaisse quelque peu la ville de Zürich pour entraîner son personnage fétiche vers d’autres horizons tout en abordant les thèmes liés à la famille qui deviennent l’un des grands enjeux des nombreux personnages qui peuplent cette série helvétique que l’on doit découvrir impérativement. Une belle réussite pour cet ensemble de polars plus que convaincants.

     

    Sunil Mann : Poker En Famille (Familienpoker). Editions des Furieux Sauvages 2016. Traduit de l’allemand par Ann Dürr.

    A lire en écoutant : Lorelei de Nina Hagen. Album : Angstlos. CBS International 1983.

     

  • Saad Z. Hossain : Bagdad, La Grande Evasion. ! A feu et à sang.

    Capture d’écran 2017-05-29 à 00.16.26.pngAu cœur d’une actualité littéraire en constant déséquilibre où l’on évoque sans grande surprise et avec une belle constance les romans destinés à cartonner comme c’est le cas actuellement avec la reine du polar français, il serait pourtant dommage de passer à côté d’un indéfinissable et brillant roman tel que Bagdad, La Grande Evasion, de Saad Z. Hossain. Un récit qui se déroule à Bagdad durant la guerre du Golfe, un auteur originaire du Bangladesh, une fois encore, c’est la maison d’édition Agullo qui nous propose une texte qui sort résolument de l’ordinaire en poursuivant ainsi sa démarche visant à nous faire entendre la voix d’auteurs provenant d’autres horizons afin de nous faire partager leurs cultures et leurs perceptions du monde qui nous entoure.

     

    En 2004, on survit comme on peut à Bagdad. La ville, occupée par les forces de la Coalition, est également aux mains des différentes factions qui se partagent les quartiers dans un équilibre précaire. Tirs de missiles, ripostes à l’arme automatique, engins explosifs, la cité devient un véritable piège pour Dagr et Kinza qui sont désormais en quête d’un trésor enterré dans le désert comme le prétend Hamid. Mais peut-on faire confiance à cet ancien tortionnaire du régime qui veut sauver sa peau? Peu importe, les trois compères doivent prendre la route en comptant sur l’aide d’un GI un peu barré. Mais rien n’est simple à Bagdad, d’autant plus qu’il faut se soustraire à la vengeance d’une imam sanguinaire tout en s’extirpant d’un conflit millénaire ayant pour origine une antique légende druze dont les secrets sont peut-être dissimulés dans les rouages de cette montre étrange qui ne donne pas l’heure. Pourtant le temps est compté.

     

    Pamphlet visant à dénoncer une guerre aussi vaine qu’absurde avec ces forces US en quête d’armes de destruction massive qui paraissent inexistantes, Saad Z. Hossain emploie un ton emprunt d’un humour corrosif qui permet d’appréhender toute l’aberration d’un système qui s’effondre dans une succession de combats meurtriers qu’il dépeint dans des scènes d’un réalisme extrêmement violent. Précis, documenté, l’auteur parvient également à vulgariser la complexité des différentes milices et factions qui composent la diaspora occupant la capitale irakienne en mettant en exergue ce gigantesque entrelacs de rues et de ruelles qui deviennent une véritable toile d’araignée où sont piégés les différents personnages d’un roman qui oscille entre le récit de guerre et d’aventure. Qu’ils soient irakiens ou américains les protagonistes se croisent dans une succession d’événements trépidants, parfois burlesques qui donnent à l’histoire un rythme effréné qui ne manque jamais de souffle.

     

    Mais Saad Z. Hossain, ne se contente pas de dépeindre une ville ravagée par les multiples affrontements pour souligner, au travers d’une vieille légende issue de la communauté druze, tous les aspects culturels que dissimulent les stigmates de cette cité de la Mésopotamie qui porte en elle plusieurs siècles d’histoires. Le récit devient ainsi un magnifique conte érudit où les légendes côtoient des quêtes éternelles qui trouveront quelques épilogues burlesques dans une série de confrontations explosives où les comptes se règlent sur une somme d’actions époustouflantes et originales.

     

    Opérant ainsi sur des registres variés, Bagdad, La Grande Evasion emporte le lecteur dans une atmosphère surchauffée et survoltée pour croiser les destins d’une galerie de personnages hauts en couleur qui portent en eux tous les antagonismes d’une ville livrée à elle-même qui s’est débarrassée des carcans d’une dictature oppressante pour décompenser dans la fureur de conflits quotidiens où les alliances les plus surréalistes prennent le pas sur la raison. D’ailleurs il n’y a rien de raisonnable dans ce récit riche en excès où l’émotion côtoie l’humour grinçant et les considérations philosophiques s’enchaînant sur des scènes d’actions déjantées. Bagdad, La Grande Evasion est roman que l’on peut considérer comme un ovni littéraire tout simplement extraordinaire. Une grande réussite. Indispensable.

     

    Saad Z. Hossain : Bagdad, La Grande Evasion (Escape From Baghdad). Editions Agullo 2017. Traduit de l’anglais (Bangladesh) par Jean-François Le Ruyet.

    A lire en écoutant : Good Thing de Fine Young Cannibals. Album : The Raw & The Cooked. 1989 London/Sire Records.

  • LAURENCE BIBERFELD : SOUS LA NEIGE, NOS PAS. A TEMPS PERDU.

    Capture d’écran 2017-05-14 à 22.55.25.pngOn imagine volontiers l’homme arpentant les forêts de la région d’Aubusson en quête de l’emplacement idéal pour bâtir une solide cabane. Une fois construite, autour d’un feu qui crépite, Cyril Herry peut y convier ses amis ou prendre simplement le temps de parcourir un manuscrit qui vient de lui parvenir et dont il publiera peut-être la teneur au sein de sa collection Territori qu’il a patiemment constituée depuis plusieurs années. La maison d’édition prend le nom de ces territoires méconnus ou oubliés qu’il nous fait découvrir par l’entremise d’auteurs partageant cette même passion pour un contexte rural, voire sauvage évoqué sous l’angle d’une thématique noire. Nouvelle venue chez Territori, Laurence Biberfeld n’est pas une néophyte en matière d’écriture puisqu’elle a déjà publié de nombreux polars se déroulant dans un cadre champêtre tout comme son dernier ouvrage Sous La Neige, Nos Pas où l’auteur nous convie sur les rudes terres d’un plateau perdu au nord de la Lozère.

     

    Esther a quitté Paris avec sa fille Juliette pour occuper un poste d’institutrice sur le plateau de la Margeride en Lozère. Le climat y est aussi rude que la terre et ses quelques habitants qui peuplent la région. Pourtant autour des nouveaux venus, les villageois deviennent comme une seconde famille afin de favoriser l’intégration de cette institutrice dynamique. Mais quelques reliquats de la vie citadine d’Esther refont surface à l’instar de Vanessa, une ancienne colocataire qui débarque avec une valise bourrée d’héroïne et deux dealers à ses trousses. Face à la menace, les habitants vont se révéler de farouches protecteurs et dans un paysage figé par l’hiver, la neige efface les pas et étouffe les cris.

     

    Quitter une vie citadine pour occuper une fonction d’institutrice dans un petit village isolé, c’est une similitude parmi d’autres que l’on décèle si l’on superpose les parcours de vie de l’auteur et de son héroïne et qui confèrent à l’ensemble du récit un sentiment de vécu notamment en ce qui concerne les interactions avec les habitants de la Margeride. Ce vécu on le retrouve notamment dans un vocabulaire précis qui permet d’immerger rapidement le lecteur dans le décor intimidant de ce plateau isolé. Il y a une sorte d’éclat sauvage qui émane d’un texte très maîtrisé, même si l’on s’égare parfois aux détours de quelques phrases un peu trop alambiquées. Il n’empêche, il s’agit d’un roman à la beauté rude, parfois sauvage et emprunt d’une certaine forme de nostalgie puisque le récit s’installe sur deux époques qui se font échos à mesure des rebondissements qui émaillent une histoire se révélant bien plus surprenante qu’il n’y paraît. Mais au-delà de la splendeur des paysages qu’elle dépeint, Laure Biberfeld se sert du décor et surtout du climat, pour mettre en place des scènes de confrontations extrêmement originales dont les conséquences projetteront l’ensemble des personnages vers une inéluctable logique de violence immédiatement teintée de regrets et de remords. C’est d’ailleurs sur ces deux aspects que l’auteur s’attarde en compartimentant les secrets et les non-dits des uns et des autres tout en distillant au fil du récit des révélations singulières dont seul le lecteur aura une vue d’ensemble.

     

    Deux citadines au pays des bouseux, avec Sous La Neige, Nos Pas, nous sommes bien loin de ce cliché éculé, car l’auteur installe une dynamique particulière avec une institutrice bien moins ingénue qu’il n’y paraît et des villageois bien plus malins et surtout bien plus déterminés qu’ils ne veulent le montrer. On appréciera ainsi le portrait de Lucien, ce vieux paysan farouche qui va devenir le protecteur d’Esther et surtout de sa fille Juliette en déclenchant les hostilités afin de dissuader les trafiquants qui voudraient s’en prendre à elles. Prisonniers de leurs secrets respectifs, les protagonistes n’en demeurent pas moins liés par une amitié indéfectible qui s’avère être un des facteurs touchants de ce roman surprenant. Et ainsi, c’est sur la somme de ces secrets que l’on découvrira les trahisons des uns et des autres et tous les chagrins qu’ils auront causés avec l’espoir peut-être un peu vain pour Esther de trouver une forme de pardon et de rédemption au-delà des rêves et des souvenirs qui la taraudent.

     

    Comme un long poème noir et rugueux Sous La Neige, Nos Pas dépeint également le rude quotidien de cette communauté qui s’obstine à faire face aux difficultés d’une terre difficile et dont les aléas se répercutent sur la condition de femmes maltraitées qui souffrent en silence. Emprunt d’une âpre vérité, Sous la Neige, Nos Pas est un roman douloureux et poignant.

     

    Laurence Biberfeld : Sous La Neige, Nos Pas. Editions La Manufacture de Livres/Territori 2017.

    A lire en écoutant : Lorelei Sebasto Cha de Hubert-Félix Thiéfaine. Album : Soleil Cherche Futur. Sony BMG Music Entertainment 1982.

  • Hugues Pagan : Profil Perdu. Au bout de la route.

    hugues pagan, profil perdu, rivagesC’était à la fin des années 90 que Hugues Pagan nous livrait son neuvième et dernier polar intitulé Dernière Station Avant l’Autoroute (Rivages 1997) avant de se tourner vers des activitiés plus lucratives telles que l’écriture de scénarios pour des séries comme Mafiosa, Un Flic et Police District. Après 20 ans d’absence, le retour de Hugues Pagan sur la scène littéraire constitue donc une belle surprise nous permettant de retrouver cette langue et cet état d’esprit si particuliers, propre aux flics, que cet ancien fonctionnaire de police était parvenu à restituer tout au long de son oeuvre et qui inspira par la suite bon nombre d’auteurs également issus des rangs de la grande maison ainsi que des réalisateurs comme Olivier Marchal avec qui il collabora régulièrement. Mais outre le language si atypique, on retrouve avec Profil Perdu, cette atmosphère de noirceur et de froideur conjuguée à l’ambiance amère d’un commissariat abritant les aléas de flics à la dérive et les intrigues de brigades rivales.

     

    En 1979, on célèbre la fin de l’année comme on peut à l’Usine, surnom donné au commissariat de cette ville de l’est de la France. Bugsy, un dealer du coin se fait cuisiner par Meunier, un inspecteur des stups, au sujet d’une photo où figure une mystérieuse jeune femme. Schneider le responsable du Groupe criminelle contemple le parking qui se vide peu à peu avant d’entamer sa tournée nocturne avec son adjoint. Un début de nuit calme avant d’affronter les hostilités des fins de réveillons trop arrosés. Mais durant la nuit tout bascule. Pour Schneider c’est une rencontre en forme de coup de foudre avec la belle Cheroquee. Pour Meunier la nouvelle année s’achève rapidement. Il est abattu froidement par un motard alors qu’il faisait le plein dans une station service. Schneider et son équipe sont sous pression. Un tueur de flic c’est loin d’être une affaire ordinaire.

     

    Parmi tous les policiers qui se sont lancés dans la littérature noire, Hugues Pagan se distingue par la qualité d’une écriture immersive teintée de résonnances poétiques permettant ainsi de découvrir les arcanes policières où évoluent des flics en bout de course qui travaillent à la marge et dont les destinées se révèlent bien trop souvent dépourvues de la moindre lueur d’espoir. Les enquêtes aux entornures incertaines servent de prétextes pour mettre en place les dérives de personnages aux lours passifs pour espérer une quelconque rédemption. Inexorablement, la balance penche vers une noire tragédie et malgré une trame policière, les récits de Hugues Pagan oscillent invariablement sur le registre du roman noir afin de mettre en scène toutes les vicissitudes de l’univers policier en révélant les antagonismes entre les différentes brigades ainsi que les excès de ces flics qui franchissent la ligne.

     

    A bien des égards, on trouve dans l’œuvre de Hugues Pagan l’ambiance lourde des films de Melville ou le climat oppressant des romans de Robin Cook avec cet aspect glacial qui habillent des personnages solitaires et mutiques évoluant dans un une dimension invariablement tragique. Avec Profil Perdu, on ne déroge pas à la règle et Hugues Pagan s’emploie à dresser un tableau réaliste et sans complaisance d’une équipe d’inspecteurs conduits par Schneider, un chef de groupe taciturne et sans illusion que l’on avait déjà croisé dans La Mort Dans Une Voiture Solitaire (Fleuve Noir 1982) et Vaines Recherches (Fleuve Noir 1984). En terme de temporalité, Profil Perdu se situe à une période antérieure aux deux opus précités et permet à l’auteur de s’attarder sur le portrait d’un flic saturé de désespoir en évoquant son passé et ses antécédants comme officier parachutiste engagé durant la guerre d’Algérie. L’auteur qui y est natif, en profite pour mettre en exergue les aspects troubles de ce conflit liés notamamnet à la pratique de la torture en expliquant ainsi l’aversion de Schneider pour les interrogatoires musclés que pratiquent certains de ses collègues. Dès lors, la traque d’un tueur de flic prend une tournure inatttendue lorsque ce policier désabusé entend dénoncer des inspecteurs tabassant un suspect peu coopérant sous l’œil complaisant d’une hiérarchie inspirant méfiance et défiance. On le voit, Schneider devient l'archétype du flic rebelle qui ne croit à plus grand-chose hormis peut-être cette relation naissante avec Cheroquee, une belle jeune femme rencontrée lors de la soirée de nouvel an. C'est probablement la seule lueur d'espoir que l'on entrevoit tout au long de ce roman avec cette liaison quelque peu surannée qui convient parfaitement à l'état d'esprit de l'époque. Car Hugues Pagan parvient à diffuser par petites touches subtiles cette atmosphère propre aux débuts des années 80 que l'on décèle notamment au gré de dialogues solides et maitrisés permettant d’appréhender ce climat si particulier de la police. 

     

    Loin de céder au misérabilisme ou à la compassion et encore moins au sensationnalisme que l'on ressent parfois à la lecture de certains ouvrages rédigés par des policiers, Profil Perdu est un roman qui dégage un parfum agréablement rétro pour un récit au rythme paisible, presque hypnotique, ponctué de quelques coups d’éclat, comme autant de sursauts pour tenter de s’extirper de toute cette logique fatalement tragique. Entre une vision romancée et une représentation naturaliste de l’univers de la police, Hugue Pagan a choisi la voie médiane en revenant aux fondamentaux pour nous livrer un de ces grands polars qui rend hommage à tout ce que l’on apprécie dans la littérature noire française.

     

    Hugues Pagan : Profil Perdu. Editions Rivages/Roman noir 2016.

    A lire en écoutant : La roue du temps de Paul Personne. Album : A l’Ouest – Face B. XIII Bis Records 2011.