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antonin varenne

  • ANTONIN VARENNE : TROIS MILLE CHEVAUX VAPEUR. LA PISTE DE SANG.

    antonin varenne, trois mille chevaux vapeur, albin michelIl existe des ouvrages qui rôdent autour de vous, précédés d’une réputation plutôt flatteuse, que vous tardez pourtant à acquérir, miné que vous êtes, par un temps désespérément trop court pour aborder l’ensemble des publications qui vous tentent et qui déferlent avec une constance excessive mais permanente dans les librairies. D’où ce sentiment de regret qu’il faut parfois surmonter en vous disant que vous trouverez bien l’occasion de vous plonger dans le récit convoité. Vaines illusions ? Pas toujours, comme c’est le cas avec Trois Mille Chevaux Vapeur publié chez Albin Michel en 2014 et qui fut l’un des ouvrages qui forgea la réputation d’Antonin Varenne en tant que narrateur talentueux comme il le démontra avec Battues (La Manufacture de Livres/Territori 2015) et Cat 215 (La Manufacture de Livres/Territori 2016).

     

    En 1852, le sergent Arthur Bowman est un soldat impitoyable qui se bat pour le compte de l’East India Compagny. Durant une campagne sanglante de la seconde guerre anglo-birmane, on lui confie une obscure mission. Il doit remonter le cours d’un fleuve pour s’enfoncer dans la jungle birmane. Mais l’expédition tourne mal et les hommes sont capturés et doivent subir les brimades et tortures de leurs gardiens durant de nombreux mois. Seuls dix d’entre eux parviendront à s’extirper de cet enfer. En 1858, à Londres où il est devenu vigile pour la compagnie, le sergent Bowman étouffe ses cauchemars dans les vapeurs d’alcool et les nuages d’opium. Mais dans un égout de la ville, il découvre un cadavre portant des stigmates similaires à ceux que lui ont infligé ses geôliers birmans. L’auteur de ce crime atroce ne peut-être que l’un de ses anciens compagnon d’infortune et Bowman se lance à sa poursuite d’autant plus que l’assassin semble poursuivre ses sombres activités sur un continent américain en pleine expansion.

     

    Oscillant sur le mode du roman d’aventure, du western et du thriller, Trois Mille Chevaux Vapeur entraînera le lecteur sur ces différentes thématiques que l’auteur aborde avec une aisance peu commune par l’entremise d’un texte dont la fluidité permet d’évoquer sans aucune lourdeur tous les grands changements du XIXème siècle. Ainsi Antonin Varenne aborde les manœuvres navales de la guerre anglo-birmane ; l’effondrement de la Compagnie des Indes ; les bas-fonds de Londres en pleine période de sécheresse, les grèves ouvrières à New-York et bien évidemment la grande conquête de l’Ouest, le tout sur fond d’industrialisation et de progrès notables qui se font sur le dos d’une population exploitée et dont les sursauts de révoltes sont réprimés d’une sanglante manière. Très documenté, sans pour autant en faire un étalage pénible, Trois Mille Chevaux Vapeur évoque également tout le contexte historique et social d’événements intenses dans lesquelles le protagoniste principal se retrouve mêlé au gré de son périple qui fera de lui un autre homme.

     

    On suit donc le parcours d’Arthur Bowman, personnage frustre et cruel qui se révèle plutôt antipathique mais dont l’humanité se révélera au fil des rencontres qu’il fera lors de cette quête rédemptrice. Mais rien n’est simple avec Antonin Varenne, les stéréotypes d’une histoire convenue disparaissent au travers de personnages qui se révèlent bien plus complexes qu’ils n’y paraissent. Ainsi, l’auteur met régulièrement de côté la traque d’un tueur qui devient le fil conducteur d’un récit qui se concentre sur les aspects d’un monde en pleine mutation. D’ailleurs les crimes qui jalonnent le roman sont toujours relégués au second plan en se dispensant par exemple de tout l’aspect sanglant de meurtres qui ne servent qu’à relancer l’intrigue.

     

    Conteur hors pair, Antonin Varenne concilie donc avec maestria tous les ingrédients d’une époque dantesque où les mondes s’écroulent tandis que d’autres prennent naissance pour nourrir une intrigue fourmillant de péripéties et de rebondissements parfois spectaculaires dans lesquelles apparaissent une myriade de protagonistes qui vont influencer la trajectoire et la destinée d’Arthur Bowman. Il rencontrera, entre autre, des soldats déboussolés par une guerre sauvage, une femme de caractère aux convictions utopistes, un indien tiraillé entres ses différentes origines et un prêcheur à la foi chamboulée, autant de personnages façonnés par l’imagination fertile d’un auteur qui parvient à déjouer tous les stéréotypes que l’on pourrait conférer à ce type d’individus que l’on a croisé dans tant d’autres récits.

     

    Mené avec la force tranquille de l’un de ces paquebots traversant l’Atlantique et dont la puissance donne son nom au roman, Trois Mille Chevaux Vapeur est un récit qui conjugue donc, avec un bel équilibre, l’imaginaire foisonnant d’un auteur et le contexte historique d’une période chargée en événement pour nous livrer un roman dantesque qui ne manquera pas de laisser le lecteur avec le souffle coupé. Un ouvrage impressionnant.

     

    Antonin Varenne : Trois Mille Chevaux Vapeur. Editions Albin Michel 2014.

    A lire en écoutant : In God’s Country de U2. Album The Joshua Tree : Island Records 1987.

  • ANTONIN VARENNE : CAT 215. TOUJOURS PLUS LOIN, TOUJOURS PLUS FOU.

    antonin varenne, cat 215, territori, la manufacture de livresLe format change tout comme la région, mais la qualité reste la même avec Cat 215 très court et intense roman d’Antonin Varenne publié au sein de la collection Territori de la Manufacture de Livres en s’éloignant des régions rurales de la métropole afin de s’engouffrer dans le sillon d'une pelleteuse mécanique se frayant un chemin à travers l’épaisse jungle de la Guyane.

     

    Marc, mécano sans le sou, avec une famille à nourrir, n’hésite pas bien longtemps à l’attrait de l'offre d’un ancien associé véreux qui lui propose de retourner en Guyane pour réparer une pelleteuse Caterpillar, modèle Cat 215, tombée en rade en pleine jungle. Moteur à changer pour que l’engin puisse être acheminé, à l’insu des autorités, vers un camp d’orpaillage permettant d’accélérer l’extraction du métal précieux. Au bout d’une piste chaotique, Marc rejoint la machine immobile et l’équipe chargée de la convoyer, composée d’un ancien légionnaire parano et d’un guide brésilien mutique. Dans cette jungle équatoriale, les tensions sont palpables et la violence menace d’éclater à tout instant. Une simple question de temps.

     

    A peine six pages pour poser le contexte et nous faire passer des frimât d’un hiver campagnard à la moiteur étouffante d’une jungle. On mesure ainsi tout le talent d’Antonin Varenne capable de nous faire basculer en quelques mots d’un univers à un autre et de distiller ensuite, tout au long d’un texte captivant, un climat et une ambiance oppressante qui sont finalement les moteurs essentiels de cette intrigue. Un livre de sensation et d’impression dans lequel on perçoit les bruits et les odeurs de cette forêt équatoriale où les hommes s’égarent dans un mélange de folie et de convoitise. Comme absorbés par la jungle, ils retournent peu à peu à l’état sauvage tandis que cette pelleteuse mécanique incarne l’ultime vestige d’une civilisation vouée à disparaître.

     

    Ainsi, dans cette forêt luxuriante, les arbres deviennent des murailles infranchissables et l’immensité de la jungle se transforme en une cage exiguë où gravitent désormais Marc le mécano, Joseph le légionnaire et le guide Alfonso. Dans ce décor aussi mystérieux qu’étouffant, la tension s’installe comme une fièvre sournoise et s’empare de la raison des trois hommes accablés par la chaleur et l’humidité pour nous laisser pantois au seuil d’une folie dont le paroxysme et la conclusion seront à la charge de l’imagination du lecteur permettant de prolonger durablement l’intensité de ce roman percutant.

     

    Cat 215, c’est un roman sec et tranchant comme la lame affûtée d’une machette.

     

    Antonin Varenne : Cat 215. Editions La Manufacture de Livres/Territori 2016.

    A lire en écoutant : Eldorado de Bernard Lavilliers. Album : Nuit d’Amour. Barclay 1981.

  • ANTONIN VARENNE : BATTUES. QUASIMODO ET JULIETTE.

    antonin varenne, battues, La manufacture de livres, éditons écorces, territoriiLa collection Territori, dirigée par Cyril Herry, s’est toujours distinguée en nous livrant de somptueux romans noirs célébrant le monde rural français tout en découvrant des auteurs dont les textes travaillés, ciselés, aux styles si particuliers ont séduit bon nombre de lecteurs à l’instar de Grossir le Ciel, Plateau de Frank Bouysse, Crocs de Patrick K Dewdney ou Clouer l’Ouest de Severine Chevalier. Avec Battues, Antonin Varenne se démarque de ses camarades d’écriture en nous livrant un roman pourvu d’une intrigue complexe et d’une mise en scène ambitieuse sur fond d’affrontement entre deux familles de notables.

     

    Le Plateau des Millevaches, R. une agglomération déclinante sur laquelle les clans des Courbiers et des Massenet règnent comme des despotes. Les exploitations forestières appartiennent aux premiers tandis que les seconds dirigent les domaines agricoles de la région. On travaille pour les Courbier ou pour les Messenet et on se tait, car derrière les rivalités, il existe également les petites accointances indispensables pour se répartir, au mieux, le territoire. Mais vingt ans après l’accident, neuf jours après la découverte du premier cadavre et douze heures après la fusillade, Michèle Massenet raconte son retour dans cette ville honnie. Revenue pour son père malade, elle voulait surtout revoir Rémi le garde-forestier défiguré qui semble être au cœur de ces intrigues. Une histoire d’amour qui résonne comme une malédiction.

     

    Avec Battues, Antonin Varenne fait une démonstration éclatante de son sens de l’intrigue et de son art de la mise en scène pour nous livrer un roman noir dont certains échos résonnent comme un lointain western rural à l’image de Haut-Fer de José Giovanni, se déroulant également dans le contexte des exploitations forestières. Battues est un récit éclaté où la temporalité des principaux événements passés et à venir s’inscrit au gré des titres de chaque chapitre, accroissant ainsi la tension narrative d’une histoire qui n’en manquait pas. L’auteur dévoile également des parties de son intrigue par l’entremise d’interrogatoires menés par le commandant de gendarmerie Vanberten, témoin presque impuissant des règlements de compte qui se trament dans la région. Tout comme les titres des chapitres qui rythment le récit, ces interrogatoires font état de faits dont le lecteur n’a pas encore pris connaissance, renforçant ainsi la puissance de cette théâtralité narrative.

     

    S’il y a une myriade de personnages, l’auteur se focalise sur Michèle, la fille rebelle de la famille Massenet, et sur Rémi le garde-forestier autour duquel tourne toutes les intrigues. Un personnage atypique, dont les stigmates d’un accident agricole ravage toute une partie de son visage en le contraignant à faire un usage immodéré de codéine destinée à soulager les douleurs toujours présentes. L’homme à la recherche de Philippe, un collègue de l’Office National des Forêts mystérieusement disparu, va mettre à jour les arrangements douteux entre les deux grands propriétaires terriens de la région. De rixes brutales en tentatives de meurtre, Rémi est la proie de règlements de compte violents que la compagnie de gendarmerie ne semble pas être en mesure de pouvoir juguler.

     

    Antonin Varenne met ainsi en exergue ces exploitations forestières et cette agriculture intensive qui s’inscrivent dans une logique de profit au détriment du respect des ressources naturelles que dénoncent tant bien que mal des groupuscules écologistes, ceci parfois au péril de leur vie, comme on le découvrira au détour du roman. Autour de ces luttes féroces, l’auteur met également en scène le quotidien des habitants d’une ville qui se désagrège en ponctuant son récit de petites anecdotes mettant en lumière toute la vicissitude de cette communauté.

     

    Le roman est donc intense et extrêmement dense avec cette kyrielle d’intervenants et d’événements ponctuant un récit tout en maîtrise. Cela est peut-être dû à cette écriture simple, sans fioriture, au style rapide et direct qui permet au lecteur de se concentrer sur le corps du récit tout en s’immergeant dans cette terre sauvage que l‘auteur expose avec une passion dénuée d’excès. Les paysages, la flore et surtout la faune servent ainsi ce roman haletant à l’instar de cette battue, donnant le titre à l’ouvrage et devenant surtout l’un des points d’orgue d’un récit où se décline la beauté farouche d’une violence savamment maîtrisée.

     

    Oui, maîtrise est bien le mot idéal permettant de définir ce roman puissant. Battues, un roman à lire sans retenue.

     

    Antonin Varenne : Battues. La Manufacture des Livres/Editions Ecorce Territori 2015.

    A lire en écoutant : Retourne Chez Elle d’Ariane Moffat. Album : Le Cœur Dans la Tête. Les Disques Audiogrammes 2005.