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MON ROMAN ? NOIR ET BIEN SERRE ! - Page 4

  • Valerio Varesi : La Stratégie du Lézard. Le sens du contexte.

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    Service de presse.

     

    Comme les hirondelles, le commissaire Soneri débarque chaque début de printemps, ceci depuis maintenant 9 ans, au détour d'enquêtes se déroulant à Parme ou dans les environs de la région de l'Emilie-Romagne avec une prédilection pour les berges brumeuses du Pô ou le massif des Apennins comme en témoigne des romans tels que Le Fleuve Des Brumes (Agullo 2016), La Maison Du Commandant (Agullo 2021) ainsi que Les Ombres De Montelupo (Agullo 2018) ou La Main De Dieu (Agullo 2022). Outre la diversité géographique, le succès de la série réside dans le fait que son auteur, Valerio Varesi, également journaliste à La Repubblica s'emploie à aborder une multitude de thèmes sociaux par le biais des crimes sur lesquelles le commissaire Soneri se penche avec une attention plus particulière sur les formes de fascisme tant du passé que du présent qui gangrènent une Italie qui est loin d'avoir soldé ses comptes avec ces mouvances extrêmes. Mais il va de soi que l'immigration et les discriminations qui en découlent, les trafics de stupéfiants et d'êtres humains ainsi que les accointances avec la mafia ne sont pas en reste avec une remise en question permanente de cet enquêteur obstiné s'interrogeant sur le sens de sa mission au gré d'échanges et de débats prenant parfois une dimension philosophique s'intercalant à la périphérie du crime qu'il doit résoudre sans qu'il ne constate le moindre changement au sein de la société dans laquelle il évolue, ceci à son grand désarroi. Ainsi, d'un policier contemplatif qu'il était au début de sa carrière, on décèle chez le commissaire Soneri, une colère sourde devenant de plus en plus prégnante, en traduisant son impuissance face à la tournure d'un monde qui s'inscrit dans une logique implacable de profit au détriment des individus les plus faibles restant sur le carreau et d'institutions sclérosées et démunies. Dernier roman en date, La Stratégie Du Lézard ne déroge pas à ce constat au rythme d'une enquête impliquant les édiles de la ville de Parme sous le coup de scandales en lien avec une corruption qui semble endémique.

     

    Quelques centimètres de neige et c'est le chaos dans les rues de la ville de Parme tandis que le maire prend des vacances pour aller skier alors que l'ensemble de son entourage est impliqué dans des affaires de corruption. Est-ce pour cette raison que l'on est sans nouvelle de lui, comme s’il s’était soudainement volatilisé ? Indigné par un tel comportement, le commissaire Soneri enquête également sur la disparition étrange d'un vieillard qui semble avoir déjoué la surveillance du personnel de l'hospice dans lequel  il a été admis. Et puis il y a cette sonnerie mystérieuse qui résonne sur les berges du fleuve conduisant le policier à la découverte d'un téléphone portable dépourvu de carte mémoire. Trois événements distincts qui vont pourtant converger dans un contexte politique fragilisé par les affaires douteuses qui émergent peu à peu tandis que la colère gronde au sein de la population. Mais pour rester dans l'ombre et étouffer le scandale, le commissaire Soneri va s'apercevoir que certaines personnes impliquées adoptent la stratégie du lézard consistant à sacrifier les membres les plus exposés.

     

    On notera le comportement peu habituel du commissaire Soneri habité d'une colère sourde face à la corruption institutionnelle dont il est témoin au sein de sa chère ville de Parme. Mais connait-on vraiment ce qui anime ce personnage que l'on côtoie depuis 9 ans comme s'il s'agissait d'un vieil ami ? A vrai dire, on ne sait pas grand-chose hormis le fait qu'il se prénomme Franco et qu'il partage sa vie avec Angela, une avocate aussi habile que séduisante qui sait prononcer les bonnes paroles pour réconforter son compagnon lorsque cela s'avère nécessaire, même si l'on devine quelques troubles dont elle ne semble pas être tout à fait remise. Il en va d'ailleurs de même pour le commissaire Soneri toujours marqué par le décès de son enfant mort-né qui lui a coûté son mariage. De ses amis, il n'en est que rarement question à l'exception de Nanetti, responsable de la police technique et scientifique, avec qui il partage sa passion pour la gastronomie locale en dégustant quelques repas savoureux au Milord, établissement tenu par Alceste, où ils ont leurs habitudes. De sa jeunesse, on apprend qu'il a vécu dans le massif des Apennins du côté de Montelupo, à l'ombre de son père amateur de cueillette de champignons tout comme lui. C'est donc à l'occasion des enquêtes dont il a la charge, que l'on découvre la personnalité de ce policier abhorrant la hiérarchie et plus particulièrement le questeur Capuezzo dont l'opportunisme l'insupporte au plus haut point. On côtoie ainsi un policier aussi idéaliste que réaliste possédant une grande capacité d'écoute lui permettant de progresser avec une certaine aisance dans les entrelacs parfois complexes de ses investigations. Mais pour en revenir à cette colère qui anime le commissaire Soneri dans La Stratégie Du Lézard, sans doute traduit-elle celle de son auteur, Valerio Varesi confronté, comme tous les citoyens de Parme, à l'ampleur des affaires de fraudes qui ont entaché la législature d'un maire contraint à démissionner en 2011 suite à des arrestations de certains membres de son équipe pour corruption. Publié en Italie deux ans après les événements, La Stratégie Du Lézard, s'inspire donc de ces faits en mettant en exergue un maire qui joue l'arlésienne au sein d'une intrigue fustigeant les instances politiques et plus particulièrement leurs accointances avec des entrepreneurs véreux dont certains paraissent frayer avec la mafia à l'exemple de cette entreprise de pompes funèbres au comportement plus que douteux. Avec cette atmosphère caractéristique d'un paysage urbain hivernal au charme indéniable que Valerio Varesi sait si bien dépeindre, on arpente donc les rues de la ville de Parme et des localités avoisinantes au détour d'un trafic de stupéfiants dont le transport s'avère aussi ingénieux qu'odieux qui s'inscrit également dans le dévoiement d'autorités politiques corrompues. Et comme toujours, il y a ces personnalités fortes qui émergent de l'intrigue à l'instar de l'entrepreneur Ugolini, totalement dénué du moindre scrupule et dont les discussions avec le commissaire Soneri révèlent des sommets d'ignominie trouvant leurs justifications dans la bonne marche entrepreneuriale qui ne souffrirait d'aucune contrariété et d'aucune règle. C'est dans ce registre que Valerio Varesi excelle en s'employant à dénoncer ainsi, par le prisme de ces enquêtes, les disfonctionnements sociaux qui frappent le pays. On apprécie également ces individus au caractère plus nuancé comme le peintre faussaire Valmarini effectuant des reproductions pour une clientèle aussi aisée qu'ignorante, désireuse d'exhiber quelques œuvres emblématiques de peintres dont ils ne savent rien, juste pour le plaisir de s'afficher auprès de leur entourage. Avec cette rencontre nocturne au bord du fleuve, se poursuivant au domicile du peintre, le commissaire Soneri, comme à son habitude, entame quelques conversations aux entournures philosophiques sur les thèmes de la vérité et de la réalité qui vont bien évidemment prendre corps avec le cours d'une intrigue s'articulant autour de trois axes aux apparences disparates mais qui vont converger sur la mise à jour d'un contexte aussi complexe qu'impitoyable permettant d'élucider les circonstances de la disparition mystérieuse d'un maire déchu. De tout cela émerge une analyse sociale d'une extrême sagacité nous permettant de saisir les rouages complexes qui animent le landernau politique et le monde des entreprises, sous la tutelle obscure du financement des mafias s'infiltrant ainsi dans un système économique dévoyé. C'est ce qui fait la force des romans policiers de Valerio Varesi dont on ne se lasse jamais.

     

     

    Valerio Varesi : La Stratégie du Lézard (La Strategia Della Lucertola). Editions Agullo/Noir 2024. Traduit de l'italien par Florence Rigollet.

    A lire en écoutant : Rigoletto: Preludio de Giuseppe Verdi. Album Rigoletto– Piero Cappuccilli, Philarmonique de Vienne, Carlo Maria Giulini. 1980 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin.

  • KENT WASCOM. LE SANG DES CIEUX. EMPIRE DE POUSSIERE.

    ken wascom,le sang des cieux,éditions gallmeisterDepuis quelques années on observe une résurgence du western, genre littéraire populaire par excellence, dont les premiers récits de conquête et de bravoure ont contribué à l’essor du rêve américain avant que ne débarquent dans les années 70, des auteurs s’ingéniant à démystifier cette épopée sanglante en révélant un contexte historique beaucoup moins glorieux. Ainsi par le biais d’une ligne éditoriale davantage orientée sur le réalisme de cette époque, on découvre avec les éditions Gallmeister des auteurs comme Glendon Swarthout (Homesman ; Le Tireur), Bruce Holbert (Animaux Solitaires) et Lance Weller (Wilderness ; Les Marches De l’Amérique) qui participent à ce que l’on désigne désormais comme étant des western crépusculaires dépeignant avec force, la douleur d’un nouveau monde qui se bâtit dans un flot de sang et fureur. Dans ce même registre, à la fois sombre, sauvage et emprunt d’une terrible brutalité, Kent Wascom  nous livre avec Le Sang Des Cieux un texte puissant, mais passé totalement inaperçu, narrant la période trouble de la cession de la Louisiane au début du XIXème siècle, un territoire qui englobait un quart des Etats-Unis actuelle en s’étendant de la Nouvelle-Orléans jusqu’au confins des états du Montana et du Dakota du nord, sur fond de spéculation foncière et de conflits féroces avec le gouvernement espagnol.

     

    En 1861 Angel Woolsack se tient sur le balcon de sa demeure de la Nouvelle-Orléans en observant l’effervescence d’un peuple prêt à en découdre en faisant sécession avec les états confédérés. Mais l’homme vieillissant n’a cure de ces velléités guerrières car il sait bien que cet enthousiasme ne durera pas et se désagrégera dans la fureur des combats à venir. Au crépuscule de sa vie il ne lui reste que l’écho furieux de ses souvenirs, d’une jeunesse tumultueuse où le jeune prédicateur endossera le rôle de bandit pour devenir fermier tout en menant des campagnes belliqueuses contre les espagnols. Une existence jalonnée de drames et de coups d’éclat sanglants où les fantômes de ceux qu’il a aimé et de ceux qu’il a honnis, hantent encore sa mémoire. Car dans le fracas de cette sarabande belliciste, Angel Woolsack, le vieil esclavagiste dévoyé, se souvient de chaque instant de cette vie dissolue.

     

    Les dés sont jetés et les jeux sont faits au détour de ce prologue somptueux où chacune des phrases savamment travaillées scellent les destins de celles et ceux qui ont composé l’entourage d’Angel Woolsack tout en enveloppant le lecteur dans l’étouffante épaisseur d’un linceul poisseux et sanguinolent au travers duquel on perçoit cette rage guerrière et cette ferveur religieuse qui a animé la destinée d’un personnage hors du commun. Ponctué de chapitres aux consonances bibliques, Kent Wascom nous entraîne, au terme de ce prologue crépusculaire, dans une longue analepse où la fiction côtoie les faits historiques pour mettre en scène l’effervescence d’un monde qui reste à conquérir. Car dans le fracas des armes, l’incertitude des combats à mener on observe la rude vie de ces pionniers évoluant dans un contexte à la fois sauvage et mystique. Dans un tel univers, c’est avec une certitude sans faille qu’il puise dans une foi inébranlable qu’Angel Woolsack va donc façonner son destin au gré de d’amitiés fraternelles et de trahisons parfois meurtrières en maniant aussi bien le Verbe que le sabre pour parvenir à ses fins en s’associant aux frères Kemper dont il empruntera le nom. Du Missouri où il officie comme prêcheur aux rives du Mississippi où il travaille comme batelier, du côté de Natchez où il devient bandit c’est finalement dans les aléas de la conquête de la Floride occidentale convoitée tour à tour par les espagnols et les colons américains qu’Angel Woolsack et les deux frères Kemper vont tenter de s’arroger quelques territoires au gré de négociations hasardeuses et de campagnes féroces permettant d’entrevoir la complexité des rapports régissant les différentes nations se disputant l’immensité des terres composant la Louisiane de l’époque.

     

    Mais au-delà de la férocité des enjeux et des conquêtes d’un pays en devenir, de cet impressionnant tableau d’une contrée sauvage qui se bâtit dans la douleur des sacrifices et la cruauté des exactions, Kent Wascom parvient à mettre en scène un récit épique emprunt de fureur mais également d’une terrible humanité que l’on distingue notamment au travers de cette relation amoureuse qu’entretiennent Angel Woolsack et Red Kate, jeune prostituée farouche qui devient épouse et mère d’un enfant mentalement déficient tout en assistant son mari dans sa soif de conquête.

     

    Il émerge du texte de Kent Wascom une force bouleversante, presque organique, où la cruauté et la violence côtoient la douleur des désillusions en accompagnant le lecteur au fil des pérégrinations de ce prêcheur mystique devenu marchand d’esclaves sans illusion, de cette jeune proie fragile basculant dans la défiance d’un redoutable prédateur vieillissant qui n’aura cesse de vouloir asservir le monde à sa portée. Le Sang Des Cieux devient ainsi la terrible parabole d’un monde en mutation qui broie les âmes vertueuses pour mettre en avant celles et ceux qui vont façonner l’Amérique de demain. Un premier livre, un tour de force, une véritable démonstration.

     

     

    Kent Wascom : Le Sang Des Cieux (The Blood Of Heaven). Christian Bourgeois éditeur 2014. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Eric Chedaille.

    A lire en écoutant : Hurt interprété par Johnny Cash. Album : American IV: The Man Comes Around. American Recording Compagny 2002.

  • Nouvelles du front : Jean-Jacques Busino - Emmanuelle Robert - Olivier Beetschen - Stéphanie Glassey/Chrysotome Gourio - Séverine Chevalier - Jérémy Bouquin - Sébastien Gendron - Michèle Pedinielli.


    séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persilAvec Léman Noir, recueil rassemblant des nouvelles d'auteurs romands confirmés, Marius Daniel Popescu est sans doute l'un des acteurs qui a contribué à l'essor de la littérature noire en Suisse Romande. Ecrivain et poète, il est également le fondateur en 2004 du journal littéraire Le Persil, lui permettant de diffuser ses textes, mais qui devient rapidement la tribune libre des auteur novices et confirmés de la Suisse romande. 

     

    Pour l'édition de février 2024, c'est Jean-Jacques Busino qui figure en première page avec Ego Te Absolvo, sublime texte sensible abordant le thème de la fin de vie et de l'euthanasie avec un narrateur passant en revue sa vie de couple, tandis que sa compagne agonise. Comme séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persiltoujours pour l'auteur de Un Café, Une Cigarette (Rivages/Noir 2017) et de Le Ciel Se Couvre (BSN Press 2022), on décèle dans cette nouvelle la
    quintessence de l'humanité de ses personnages extravagants entre ombre et lumière, autour de l'élaboration d'un monde enchanteur qui scelle la complicité d'un couple avec un vieux charpentier quelque peu bourru. 

     

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    séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persilNouvelle venue au sein du journal Le Persil, on découvre également Le Chien, un récit d'Emmanuelle Robert, l'une des révélation de la littérature noire helvétique avec Malatraix (Editions Slatkine 2021) et Dormez En Peilz (Editions Slatkine 2023). La nouvelle s'articule autour d'une jeune fille composant avec la garde partagée de ses parents divorcés et qui intègre un nouveau quartier tout en soupçonnant ses voisins de maltraitance animale. A noter qu'Emmanuelle Robert sera l'une des invitées du 27ème Festival International du Roman Noir à Frontignan plus communément désigné sous l'appellation emblématique de FIRN désignant l'un des grands événements du polar en France.

     

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    Jean-Jacques Busino : Ego Te Absolvo. Journal Le Persil. Février 2024.

    Olivier Beetschen : Le Cortège. Journal Le Persil. Février 2024.

    Emmanuelle Robert : Le Chien. Journal Le Persil. Février 2024.

    Stéphanie Glassey/Chrysotome Gourio : Les Fatals En Concert. Ours Éditions. Collection Tête/Bêche 2024.

    Séverine Chevalier : Une Campagne. Ours Editions. Cousu-Main 2024.

    Jérémy Bouquin : Tu M'As Bien Vu ! Ours Editions. Cousu-Main 2023.

    Sébastien Gendron : 1976. Ours Editions. Cousu-Main 2023.

    Michèle Pedinielli : A L'Envers. Ours Editions. Cousu-Main 2023.

    A lire en écoutant : Pendant Que Les Champs Brûlent de Niagara. Album : Religion. 2010 Polydor

  • YVAN ROBIN : HERVE LE CORRE, MELANCOLIE REVOLUTIONNAIRE. LE CHAOS DU REEL.

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    Service de presse.

     

    Si les ouvrages dans le domaine n'ont jamais vraiment manqué, les dictionnaires, essais et entretiens en lien avec la littérature noire semblent prendre plus d'essor ces derniers mois, notamment avec la parution chez Playlist Society de DOA, Rétablir Le Chaos où l'on découvre l'œuvre de ce romancier énigmatique au gré d'un entretien tout en maîtrise conduit par la journaliste Elise Lepine qui passe au crible l'ensemble des ouvrages de l'auteur qui se dévoile quelque peu en évoquant notamment certains mécanismes de son écriture si particulière. Et puis tout récemment est paru aux éditions Presse Universitaire de France, Le Roman Noir : Une Histoire Française de Natacha Vallet qui se penche, avec un essai d'une incroyable richesse, sur l'histoire et le devenir de ce genre emblématique de la littérature qui reste encore méconnu. Essais et entretiens, les formats peuvent paraître arides pour certains, néanmoins il faut prendre en considération les propos de Benjamin Fogel, directeur passionné et passionnant de Playlist Society qui tient « à ne jamais prendre le lecteur de haut", ce qui transparaissait d'ailleurs en découvrant DOA, Rétablir Le Chaos, avec cette sensation de saisir aisément l'ensemble du contenu, ceci même pour les lecteurs qui ne se seraient jamais intéressés aux ouvrages du romancier, en ayant ainsi la possibilité de se faire une opinion de chaque livre, plutôt que de piocher au hasard. Au sein de cette collection essentiellement tournée vers la culture pop, vous trouverez des ouvrages consacrés aux séries comme The Leftovers ou Mad Men, aux musiciens comme Tricky et Kanye West, ainsi qu'aux réalisateurs à l'instar de Christopher Nolan, Lucas Belvaux et David Cronenberg quand ce sont pas des films emblématiques que l'on dissèque tels qu'Apocalypse Now ou Mad Max ou en s'intéressant également au travail d'Hideo Kojima, concepteur du fameux jeu vidéo Métal Gear Solid ou aux fondateurs du studio Ghibli. On s'arrêtera là avec cet inventaire à la Prévert qui n’a rien d’exhaustif puisque les éditions Playlist Society ont publié plus d’une quarantaine de livres. Mais pour revenir à la littérature noire, et plus particulièrement au roman noir, il convenait de s'intéresser à l'œuvre d'Hervé Le Corre l'une des figures marquantes du genre, ce d'autant plus qu'il se montre discret, même si l'on a pu découvrir certains aspects de son travail et de son parcours dans un documentaire datant de 2020, intitulé Hervé Le Corre, dans l'encre noire, de Laurent Tournebise et qui est entièrement consacré à ce romancier primé à maintes reprises, notamment pour Après La Guerre (Rivages/Noir 2014) récipiendaire de six récompenses majeures du monde du polar français. Pour en savoir davantage, les éditions Playlist Society ont donc réitéré l'exercice de l'entretien avec des propos recueillis par Yvan Robin, autre romancier bordelais, auteur d'Après Nous Le Déluge (in8 2021) et de La Fauve (Editions Lajoinie 2022) et qui nous offre avec Hervé Le Corre, Mélancolie Révolutionnaire un regard d'une impressionnante acuité en examinant notamment, dans une chronologie parfaite, l'intégralité des romans d'Hervé Le Corre. 

     

    On devine que cela ne va pas être simple de se livrer pour un homme de nature pudique, qui d'entrée de jeu, annonce qu'il n'aime pas trop parler de lui dès qu'il s'agit d'aborder son enfance dans laquelle on trouve pourtant quelques éléments qui vont émerger dans ses récits comme cette Cité Lumineuse du quartier de Bacalan au nord de Bordeaux qui devient le décor de l'un de ses premiers romans Les Effarés (Le Point 2020). Pourtant, peu à peu, Hervé Le Corre se confie au cours d'un entretien qui n'a rien d'un long fleuve tranquille se révélant parfois vif lorsque l'on aborde par exemple la violence faites aux femmes qu'il dépeint d'une manière réaliste et qui pourrait passer pour de la complaisance, ce qu'il réfute en mettant en exergue la dureté et l'injustice sociale du monde qui nous entoure dans une veine naturaliste exacerbée s'inscrivant dans le prolongement des romans de Jean-Patrick Manchette, de Didier Daeninckx, de Jean-Bernard Pouy et de Thierry Jonquet. On apprécie d'ailleurs cette vivacité d'autant plus qu'elle se conjugue avec le regard affuté d'Yvan Robin connaissant parfaitement l'ensemble de l'œuvre de son interlocuteur dont il est capable de citer certains extraits pour alimenter la discussion et plus particulièrement l'immense travail d'écriture qu'Hervé Le Corre remet toujours en question avec un regard dépourvu de complaisance. Hervé Le Corre, Mélancolie Révolutionnaire nous permet donc de passer en revue une impressionnante carrière d'écrivain se conjuguant avec une carrière de professeur de lettres au collège à laquelle il n'a d'ailleurs jamais renoncé tout en abordant ses engagements et convictions politiques, au sens large du terme, qu'il s'est bien gardé d'insérer dans ses récits. Tout cela se décline au gré de débuts fragiles où Hervé Le Corre raconte ses rapports parfois difficiles avec certains éditeurs et attachés de presse négligents ainsi que quelques belles rencontres décisives tandis qu'il publie, entre autres, l'étonnant et très politique Du Sable Dans La Bouche (Rivages/Noir 2016) ou Les Effarés avant de passer à un période de consécration avec L'Homme Aux Lèvres De Saphir (Rivages/Noir 2004) ainsi que Les Coeurs Déchiquetés (Rivages/Noir 2009) et Derniers Retranchements (Rivages/Noir 2011), un recueil de nouvelles où se cristallise tout le talent de l'auteur. Et puis il y a la notoriété survenant avec la publication de Après La Guerre (Rivages/Noir 2014) abordant, sur une trame historique, le climat de rancoeur et de suspicion régnant sur Bordeaux après la Libération et aux prémisses de la guerre d’Algérie. Ainsi, au gré de ses questions pertinentes, Yvan Robin parvient, de manière magistrale, à mettre en exergue l’inspiration d’Hervé Le Corre qui l’ont conduit à écrire des romans tels que Prendre Les Loups Pour Des Chiens (Rivages/Noir 2017) et Dans L’Ombre du Brasier (Rivages/Noir 2019) où l’on replonge dans l’époque de La Commune si chère au romancier avant de conclure avec la noirceur âpre de Traverser La Nuit (Rivages/Noir 2021) et l’impressionnante dystopie Qui Après Nous Vivrez (Rivages/Noir 2024) nous projetant dans l’obscurité d’un monde déchu. Au terme de cet entretien exceptionnel, on comprendra qu'Hervé Le Corre, Mélancolie Révolutionnaire s’adresse autant aux aficionados de l’auteur découvrant sans nul doute certains aspects méconnus de son parcours dans la multitude d’anecdotes passionnantes tandis que les néophytes pourront appréhender son oeuvre et sa démarche d’écriture en toute connaissance de cause pour puiser parmi les ouvrages d'un auteur remarquable qu'Yvan Robin a su parfaitement mettre en valeur.

     

    Yvan Robin : Hervé Le Corre, Mélancolie Révolutionnaire. Editions Playlist Society 2024.

    A lire en écoutant : A Toi de Léo Ferré. Album : Amour Anarchie (vol. 1). Barclay 1970.

  • Manu Larcenet / Cormac McCarthy : La Route. De cendre et d'os.

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    "Il n'y a pas de Dieu et nous sommes ses prophètes."

     

    Lors de l'un des rares entretiens télévisés qu'il accorde pour le Oprah Winfrey Show, au gré d'un échange extrêmement convenu et quelque peu décevant, Cormac McCarthy révélait la difficulté d'être père à l'âge de 73 ans en observant son fils endormi, ce qui aurait été pour lui la source de son inspiration dans l'écriture de La Route (l’Olivier 2008), son roman post-apocalyptique d'une noirceur absolue, récompensé par le prix Pulitzer en 2007. Mais à la lecture du long monologue final du shérif Ed Tom Bell dans No Country For The Old Man (l’Olivier 2007) où il évoque son rêve dans lequel il est à cheval en traversant un défilé enneigé, en pleine nuit, dans une atmosphère sombre et glaciale, alors que son père le dépasse en éclairant le chemin à l'aide d'une flamme se consumant dans une corne, ne trouve-t-on pas déjà quelques esquisses de ce périple crépusculaire qui va marquer les esprits ? Monument de la littérature nord-américaine, La Route est salué de par le monde comme l'œuvre emblématique de l'auteur, même si certains détracteurs lui reprochent son côté "commercial", ce d'autant plus qu'il s'est vendu à plusieurs millions d'exemplaires, ce qui serait manifestement un gage d'une qualité moindre ou d'une attitude suspecte d'un écrivain en a route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivierquête de reconnaissance. On mettra de côté ces assertions puériles, ce d'autant plus que la puissance de ce texte saisissant et épuré ne semble nullement être remis en cause par celles et ceux que le succès rebute. Il faut parler ici de saisissement, parce que, si la fureur ainsi que la sauvagerie ont toujours imprégné les récits intenses de Cormac McCarthy, La Route se distingue par la prégnance de son désespoir profond, au sein d'une humanité qui se dissout dans une violence aveugle, teintée d'une forme de mysticisme féroce. Pour celles et ceux qui l'ont lu, on connait tous le symbolisme de La Route, cette ligne de vie fragile sur laquelle chemine un père et son fils qui détiendrait un reliquat d'humanité que la figure paternelle s'emploie à entretenir tout en lui inculquant les règles impitoyables de la survie dans ce milieu hostile où les hommes s'entredévorent. Projeté brutalement dans cet univers de mort et de destruction dans lequel évolue quelques cohortes de sectes s'adonnant au cannibalisme, on suit pas à pas le parcours de ces deux individus dans leur quotidien dépourvu de perspective si ce n'est que de se rendre vers le sud en quête d'un surcroît de chaleur, promesse bien incertaine. L'une des forces du récit, réside dans le fait que l'on ignore complètement les raisons qui ont conduit le monde dans un tel précipice de cendre et de mort, ce que ne respecte pas l'adaptation cinématographique de John Hillcoat, avec Viggo a route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivierMortensen dans le rôle principal, qui se révèle quelque peu décevante pour un film trop bavard laissant planer quelques lueurs d'espoir dont le roman est totalement dépourvu mais qui répond aux canons hollywoodiens de la famille idéale américaine. A partir de là, on pouvait réellement avoir quelques craintes avec l'annonce d'une adaptation sous la forme d'une BD par Manu Larcenet, même si le dessinateur nous a régulièrement ébloui avec des œuvres originales telles que Blast (Dargaud 2009 – 2013) et Le Combat Ordinaire (Dargaud 2003 – 2008), ou une adaptation somptueuse comme Le Rapport de Brodeck de Philippe Claudel (Dargaud 2015 – 2016) ou les illustrations incroyables que l'on trouve dans Le Journal D'Un Corps de Daniel Pennac (Futuropolis 2013).

     

    Plus personne ne se souvient du monde d'autrefois et de ce qu'il s'est produit pour qu'il plonge dans le chaos. Désormais, il ne reste plus que des terres arides et des ruines calcinées qu'arpentent quelques sectes et hordes barbares suivies d'une troupe d'esclaves constituant leur garde-manger. Dans ce décor apocalyptique où le soleil disparait derrière un rideau de cendre, un père chemine sur la route, accompagné de son enfant en poussant un caddie contenant leurs maigres affaires. En quête de nourriture, ils fouillent dans les décombres avec à la clé quelques découvertes parfois macabres. Et puis il y a ce froid perpétuel qu'il faut affronter ce d'autant plus qu'il n'est pas toujours possible de faire un feu afin de ne pas attirer l'attention. Ils se rendent donc vers le sud avec cette hypothétique espoir d'y trouver une vie meilleure. Mais pour cela, il faut éviter ces maraudeurs cherchant à s'emparer de leurs modestes possessions et qu'ils repoussent avec cet antique revolver qui ne contient que deux balles qu'il ne faut pas gaspiller car nécessaire pour mettre fin à leurs jours si le besoin s'en fait sentir.

     


    a route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivierOn peut le dire, l'annonce de Manu Larcenet se lançant dans cette adaptation graphique de La Route a fait grand bruit sur les réseaux sociaux et constitue l'un des grands événements littéraires de cette année 2024 que l'on attendait avec une certaine fébrilité. D'ailleurs, à l'occasion de cette parution, les éditions Points ont réédité le roman dans une version collector reliée avec l'ajout d'un cordon marque-page noir tandis que le texte est agrémenté d'une vingtaine d'illustrations de Manu Larcenet. On aurait bien évidemment souhaité qu'il s'agisse d'illustrations originales plutôt qu'extraites de la bande dessinée et quitte à se montrer pénible jusqu'au bout, la couverture aurait mérité d'être toilée avec un aspect rugueux qui aurait mieux convenu. Mais quoiqu'il en soit, il faut lire ou relire le roman dans cette version pour s'approprier ainsi l'univers respectif de ces deux génies qui se rencontrent autour de ce texte imprégné de la noirceur du romancier se diluant dans celle de l'illustrateur avec cette impressionnante sensation de symbiose. Et puis il faut bien appréhender l'album en tant que tel qui se décline également sous la forme d'une édition limitée qu'il faut absolument acquérir si vousa route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivier êtes en fond. En noir et blanc, cette version contient un cahier où figure des croquis ainsi que quelques planches qui n'ont pas été retenues dans l'édition définitive. Toujours dans ce tirage limité, on appréciera les gros plans du profil du père et du fils figurant sur la couverture et sur le dos de cet ouvrage somptueux et dont la minutie dans chaque trait nous rappellent les gravures de Gustave Doré ou d'Albrecht Dürer auxquels Manu Larcenet fait d'ailleurs référence, même si l'on pense également, dans une certaine mesure, aux illustrations de Bernie Wrightson. On fera donc l'acquisition des deux albums, mais s'ił faut choisir, on adoptera la version en couleur avec cette spectaculaire nuance de gris absorbant les quelques lueurs rougeâtres ou jaunâtre parfois bleuâtres éclairant certaines planches en offrant ainsi plus de profondeur à l'ensemble du récit et plus d'intensité dramatique sur quelques scènes clés de l'intrigue comme cet instant où le père et son fils observent cette colonne de barbares défilant sur La Route. Comme une espèce de lever et de tomber de rideau ponctuant le début et la fin d'un spectacle aux accents dramatiques, il y a cette espèce d'abstraction fascinante dans la contemplation de ces nuages de cendre qui vont d'ailleurs nous accompagner tout au long de 156 planches composant l'album restituant avec une rigueur incroyable l'ensemble de la trame narrative du roman de Cormac McCarthy qui font que le monde de l'écrivain se confond avec l'univers de Manu Larcenet. Sans être expert dans le graphisme, à la contemplation de chacune des planches, de chacune des cases de La Route, on mesure la progression du dessinateur, dans sa veine réaliste depuis Blast, qui a abandonné l'encre et le papier en adoptant la palette graphique depuis quelques années, en voulant explorer a route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivierl'infinie richesse de cette technologie numérique, pour un rendu plus précis dans le trait tout en devinant le travail considérable et cette créativité sous jacente qui émane de son oeuvre. Ce qui ne change pas, c'est le désespoir, la douleur et les tourments dont le dessinateur ne fait pas mystère et qui imprègnent son travail au gré de cette adaptation où rien ne nous est épargné comme cette scène où le père apprend à son fils comment mettre fin à ses jours avec le revolver qu'ils détiennent ou ce festin macabre qu'ils découvrent dans un campement abandonné. On appréciera également le soin apporté aux dialogues qui se déclinent dans une proportion congrue, comme dans le roman d'ailleurs, en nous laissant de longues plages de silence où l'on contemple l'immensité terrible de la désolation des lieux qui absorbent les personnages. Et puis au milieu de cette noirceur, il y a quelques instants lumineux comme cette baignade au pied de la cascade où la maigreur des corps nous renvoie à une autre époque de barbarie des camps de concentration tandis que le festin que le fils et le père dégustent dans un bunker inutilisé, nous rappelle cet instant de grâce dans le film Soleil Vert où Charlton Eston et Edward G. Robinson se délectent de quelques aliments frais devenus introuvables. Tout cela s'inscrit dans cette volonté exigeante de transcender le récit de Cormac Mccarthy dans ce qu'il y a de plus désespérant pour nous plonger dans un nihilisme absolu en nous laissant sur le bord de La Route au terme d'une scène finale encore plus incertaine que celle du romancier et qui font de l'adaptation de Manu Larcenet une oeuvre aussi magistrale qu'éprouvante. C'est peut-être l'une des définitions du terme chef-d’oeuvre.

     

     

    Bd : Manu Larcenet / Cormac McCarthy : La Route. Editions Dargaud 2024.

    Bd édition limitée (4000 exemplaires). Manu Larcenet / Cormac McCarthy : La Route. Editions Dargaud 2024.

    Cormac McCarthy : La Route (The Road). Editions Points 2024. Traduction de l'anglais (Etats-Unis) par François Hirsch. Illusrations de Manu Larcenet.

    A lire en écoutant : Chant of the Paladin de Dead Can Dance. Album : The Serpent's Egg. 2007 4AD Lt

  • DOMINIC NOLAN : VINE STREET. LE QUARTIER DES RADEUSES.

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    Service de presse.

     

    On ne sait pas grand-chose au sujet du parcours de Dominic Nolan, si ce n'est qu'en se référant à sa biographie établie par l'association du festival Quais du Polar, auquel il était présent d'ailleurs, on comprend, qu'au-delà de l'humour imprégnant le texte, l'auteur semble s'être concentré sur une carrière de romancier pour échapper aux contraintes d'une vie professionnelle peu reluisante. Né à Londres où il vit toujours, on entend parler de Dominic Nolan en 2019 avec la parution de son premier roman Past Life mettant en scène la détective Abigail Boone que l'on retrouve dans After Dark, second opus de la série qui est paru en 2020. Si les deux ouvrages aux allures de thriller paraissent avoir bénéficié de bonnes critiques dans les régions anglo-saxonnes, ceux-ci n'ont jamais été traduits en français ce qui n'est pas le cas de Vine Street, troisième roman de Dominic Nolan encensé notamment par la rédaction du Sunday Times qui l'a élu parmi les meilleurs romans policiers de l'année 2022. Publié chez Rivages/Noir, on pense immédiatement à David Peace ou James Ellroy, auteurs emblématiques de la collection, pour ce polar historique, extrêmement sombre, au souffle puissant et à l'envergure peu commune se déroulant dans le quartier populaire de Soho, ceci sur plusieurs décennies dont les années trente et la période du Blitz pour trouver une conclusion durant les sixties avant de s'achever sur un ultime retournement de situation au tout début du deuxième millénaire. 

     

    En 1935, dans le quartier de Westminster à Londres, c'est à Vine Street que se situe le plus grand poste de la City, non loin de Soho où jazzmen et truands côtoient prostituées et danseuses évoluant dans les clubs plus ou moins clandestins de ce secteur que Leon Geats connaît très bien. Travaillant au sein de la brigade des Mœurs & Night-clubs, ce flic solitaire et ombrageux a remisé le code de déontologie au fond d'un tiroir en instaurant ainsi sa propre vision de la loi et de l'ordre pour régir toute cette population hétérogène parcourant les rues tantôt glauques, tantôt animées de ce quartier populaire. Mais si sa morale peut être sujette à caution, Leon Geats n'en demeure pas moins proche de ces femmes et des ces hommes de la rue et s'intéresse plus particulièrement aux circonstances de la mort de l'une d'entre elle que l'on a retrouvée dans un appartement situé au-dessus d'un club d'Archer Street. S'agissant d'une asphalteuse, les inspecteurs de la Criminelle s'empressent de classer l'affaire. Mais à la découverte d'une seconde victime, Leon Geats entame une longue traque incertaine en collaborant avec Marc Cassar, un collègue de la Brigade Volante et de Billie, une des rares officières de police parvenant à se fondre dans le décor de ce quartier chaud, afin de confondre un tueur aussi sadique qu'insaisissable que l'on surnomme "Le Brigadier".

     

    On connaît la triste réalité quant à la durée d'un livre au regard de ces publications pléthoriques encombrant le paysage littéraire, ce qui explique peut-être le fait que le roman de Dominic Nolan semble passer sous le radar des médias à l'exception d'un article dans l'hebdomadaire Le Point à l'occasion de sa sélection finale pour le prix "Le Point" du polar européen qui a finalement couronné un autre ouvrage. Véritable biopsie d'un quartier emblématique de Londres, Vine Street nous éloigne pourtant des clichés navrants entourant les caractéristiques du tueur en série sadique, pour se pencher, avec une redoutable intelligence, sur le climat d'une époque révolue, au rythme d'une enquête de longue haleine nous dispensant ainsi de cette grotesque et irréaliste résolution en quelques jours par le sempiternelle enquêteur aguerri ou l'habituelle profileuse éclairée, toujours en proie à des démons intérieurs, que l'on retrouve dans la myriade de thrillers aussi ineptes que redondants. Ainsi, en souhaitant sortir de ces schémas narratifs éculés, il faut s'emparer de Vine Street pour se plonger dans la richesse de cette atmosphère électrique de Soho où évolue ce petit peuple de la rue dont on découvre les multiples facettes au gré des rencontres d'un flic de quartier au profil aussi détonnant qu'attachant.  L'intrigue s'articule donc autour de ce policier frayant avec la pègre et plus particulièrement dans le milieu de la prostitution au sein d'un poste de police où la corruption semble être la norme. On apprécie le caractère ambivalent de cet individu connaissant parfaitement les rouages du milieu ainsi que toute les strates de la population qui le compose. Paradoxalement, c'est son attachement à ces filles de la rue ainsi qu'à un sans-abri, vétéran de la Première guerre mondiale, qui vont le pousser à traquer durant plusieurs décennie un tueur dont les premiers actes trouvent leurs origines dans un contexte d'espionnage propre à cette période trouble de la fin des années trente où le renseignement devient l'enjeu majeur des gouvernements s'apprêtant à entrer en guerre. Sur des registres à la fois sociaux et criminels, Dominic Nolan nous entraine donc dans une configuration complexe, nécessitant une attention soutenue qui sera récompensée au gré d'une intrigue aux révélations fracassantes et surprenantes dont certaines d'entres elles se jouent sur cette narration habile entre les différentes périodes dont on découvre les méandres au fil de longues analepses aux allures de fresques historiques et plus particulièrement avec le regard de Billie et de Marc, deux personnages secondaires mais essentiels du roman nous permettant de prendre la mesure de la place faite aux femmes dans l'univers masculiniste de la police, mais également du poids du regard que l'on porte sur ces policiers se livrant à des actes homosexuels alors prohibés à l'époque. L'ensemble se décline ainsi dans une atmosphère extrêmement glauque rappelant les romans de Robin Cook, au détour de l'ambiance délétère du Soho des années trente prenant une allure beaucoup plus tragique durant Le Blitz pour se transporter dans un environnement encore plus sordide lorsque l'on arpente les garnis de Birmingham en 1963. Tout cela se met en place patiemment sur près de 700 pages, dans un bel équilibre où l'intrigue prenante en permanence ne cède pourtant jamais à une quelconque névrose propre au genre, adepte de ces détestables narrations rythmées jusqu'à l'excès, pour faire de Vine Street un roman d'une redoutable intensité qui foudroiera et comblera les lecteurs les plus exigeants.

     

    Dominic Nolan : Vine Street. Editions Rivages/Noir 2024. Traduit de l'anglais par Bernard Turle.

    A lire en écoutant : Bei Mir Bist Du Schoen de The Andrews Sisters. Album : The Andrews Sisters – World Broadcast Recordings. 2023 Circle Records.

  • BERNARD YSLAIRE/JEAN-LUC FROMENTAL/GEORGES SIMENON : LA NEIGE ÉTAIT SALE. ROMAN DUR.

    bernard yslaire,jean-luc fromental,georges simenon,la neige était sale,éditions dargaudEtonnement, les adaptations BD de l'œuvre de Georges Simenon sont plutôt rares si l'on fait exception de Loustal, étroitement associé au célèbre auteur belge, qui a illustré plusieurs de ses romans et notamment l'ensemble des dix couvertures composant l'intégrale des enquêtes du commissaire Maigret publié aux éditions Omnibus pour nous proposer, en collaboration avec les scénaristes Jean-Luc Fromental et José-Louis Bocquet, Simenon, L'Ostrogoth (Dargaud 2023), un roman graphique se penchant sur la période où ce romancier déjà prolifique s'apprête à se lancer dans l'écriture des premiers ouvrages mettant en scène le célébrissime policier. Mais à l'occasion des 120 ans de la naissance de Georges Simenon, les éditions Dargaud publient deux adaptations de ses fameux romans "durs" désignant les 117 récits dans lesquels le commissaire Maigret n'apparaît pas. Ainsi, on retrouve une nouvelle fois le scénariste José-Louis Bocquet s'associant au dessinateur Christian Cailleaux pour mettre en image Le Passager Du Polarlys qui n'est pas le plus connu des romans de l'auteur belge et dont l'intrigue prend l'allure d'un thriller maritime tout en tension nous entrainant le long des côtes norvégiennes jusqu'au cercle arctique. De son côté, Jean-Luc Fromental s'est tourné vers Bernard Yslaire pour adapter La Neige Était Sale, le fameux roman existentialiste de Simenon qui fait partie des ouvrages emblématiques de son œuvre pour ce qui donne lieu à une rencontre au sommet entre deux grandes figures de la BD et l'un des maîtres de la littérature noire. Pour ceux qui ne sont guère familier avec l'univers du 9ème art, on présentera Jean-Luc Fromental, outre son travail de scénariste collaborant avec des dessinateurs renommés à l'instar de Floc'h, comme un éditeur dirigeant notamment la collection Denoël Graphic recelant quelques œuvres singulières telles que celles de Posy Simmonds et de Joann Sfar. A une époque où les lecteurs du journal Spirou sont plus coutumier de séries dynamiques comme Jess Long, Yoko Tsuno, Tif et Tondu ou les Tuniques Bleues, il faut bien admettre que Bidouille et Violette a de quoi surprendre avec cette histoire d'amour entre deux adolescents inaugurant pourtant l'incontestable talent de Bernard Yslaire qui va se lancer dans la fameuse série Sambre dont la dimension intergénérationnelle s'étalant entre 1768 et 1847 va également se décliner autour de la série La Guerre Des Sambres. Avec un style extrêmement affirmé au caractère à la fois sombre et intense, le choix de Bernard Yslaire apparaît comme une évidence pour cette somptueuse adaptation graphique de La Neige Était Sale qui fait figure d'événement autour de cette conjonction de talents à l'état pur.

     

    Au temps d'une guerre indéterminée, à une époque sans date, dans une ville occupée sans nom, Frank Friedmaier, à peine âgé de 18 ans, profite de l'oisiveté que lui procure son statut d'enfant gâté par sa mère Lotte, tenancière d'une maison close locale et fort rentable lui permettant également d'assouvir ses désirs en côtoyant les pensionnaires du bordel. De plus, il se rend bien compte que Sissy Holst, sa charmante petite voisine, est follement amoureuse de lui. Franck a également ses habitudes au bar-restaurant de Timo où il fraie avec quelques personnages louches comme Fred Kromer, crapule de bas étage se vantant régulièrement de ses crimes odieux. Par défi comme par jeu, au détour d'une ruelle sombre, Frank va égorger un officier de l'armée d'occupation et lui voler son revolver. Un acte gratuit qui sera suivi d'autres forfaits tout aussi abjects qu'immoraux. Frank se lance donc volontairement dans une longue descente aux enfers qu'il assume avec un redoutable cynisme. Dans une telle optique peut-on trouver la rédemption ?

     

    C'est cette simplicité narrative qui caractérise les récits de Georges Simenon où rejaillit ainsi la quintessence des thèmes qu'il aborde avec une acuité redoutable se déclinant autour de la personnalité complexe de ses personnages. Rédigé en 1948 alors que l'auteur séjourne à Tucson en Arizona, La Neige Était Sale prend une forme singulière avec ces lieux et cette époque complètement désincarnés comme pour mieux saisir l'universalité de cette atmosphère à la fois poisseuse et lourde nous rappelant paradoxalement la période trouble de l'Occupation durant la seconde guerre mondiale. Tout cela, Jean-Luc Fromental le restitue parfaitement dans une mise en scène soignée où les dialogues résonnent avec justesse tandis que les scènes cruciales du récit se déclinent au gré des réflexions de Frank Friedmaier en adoptant une narration à la deuxième personne avec cette sensation de malaise tandis que l'on observe ce personnage sombrer dans l'abjection la plus totale avec ce côté impavide saisissant, ceci tout en prenant soin de respecter la structure du roman se déclinant en trois parties comme autant de phases ponctuant sa destinée en passant de l'acte primaire odieux qu'il commet pour l'entraîner dans une escalade de crimes ignominieux s'achevant sur une ultime résurgence prenant la forme d'une rédemption le laissant en paix avec lui-même. Et puis il y a la richesse de la mise en image de Bernard Yslaire, ses cadrages élaborés ainsi que la nuance des couleurs restituant cette ambiance à la fois pesante et malsaine qui émane de l'intrigue tout en rendant hommage à Georges Simenon que l'on croise d'ailleurs au début du récit parmi la clientèle du bar-restaurant de Timo. On apprécie notamment ce soin que le dessinateur apporte à chaque détail que ce soit par exemple le papier peint des intérieurs, les éclairages des rues enneigées de cette ville sans nom ainsi que les costumes de cette galerie de personnages tourmentés aux traits si savamment travaillés. On en prend la pleine mesure en observant plus particulièrement les contours angéliques du visage de Frank Friedmaier nous permettant de saisir le contraste encore plus marqué de son avilissement lors de son parcours meurtrier avant qu'il n'aborde les stigmates des coups des passages à tabac successifs, incarnations de ce long chemin douloureux vers la rédemption au gré d'une espèce d'amour ultime que la neige recouvrira de son linceul immaculé. Une belle convergence de talents pour un album aux allures de roman noir aussi remarquable que saisissant.

     

    Bernard Yslaire/Jean-Luc Fromental/Georges Simenon : La Neige Était Sale. Editions Dargaud 2024.

    A lire en écoutant : La Neige de Claude Nougaro. Album : Sœur Âme. 1971 Mercury Music Group.

  • Laurent Guillaume : Les Dames De Guerre/Saïgon. L'opium du peuple.

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    Service de presse.

     

    Il fait partie des 137 autrices et auteurs que vous allez pouvoir côtoyer si vous vous rendez au festival Quais Du Polar à Lyon qui célèbre ses 20 ans d'existence. Il faut dire que Laurent Guillaume est l'une des belles figures de la littérature noire que l'on prend plaisir à écouter lorsqu'il nous livre ses anecdotes sur les années qu'il a passées au sein de la Police nationale en tant qu'officier pour diriger des unités spécialisées que ce soit en lien avec l'anti criminalité ou la lutte contre les stupéfiants. Il émane d'ailleurs du personnage un certain charisme se conjuguant avec une soif d'aventure qui le conduit à se rendre notamment au Mali dans le cadre d'une coopération policière qu'il poursuit après avoir quitté l'institution en exerçant désormais une activité de consultant international en lutte contre le crime organisé et en s'intéressant plus particulièrement aux région de l'Afrique de l'ouest. On retrouve un peu de tout cela dans l'ensemble de son œuvre que ce soit avec la trilogie Mako du nom de cet officier travaillant à la BAC dans la région parisienne, ou avec Là Où Vivent Les Loups (Denoël 2018)nous permettant de croiser Priam Monet, ce flic de l'IGPN en mission dans les confins des Alpes française tandis qu'avec Un Coin De Ciel Brûlait (Michel Lafon 2021) on se retrouvait en Sierra Leone durant la tragique guerre civile qui a dévasté le pays. Il ne s'agit là que d'un échantillon de la dizaine de romans qu'il a écrit tout en travaillant également comme scénariste en collaborant notamment avec Olivier Marchal que l'on ne présente plus. A la conjonction de ces deux activités de scénariste et de romancier, on retrouve donc Laurent Guillaume à l'occasion de la sortie de son dernier roman Les Dames De Guerre/Saïgon s'inscrivant dans une trilogie à venir qui devrait être prochainement adaptée par Alex Berger, producteur de la fameuse série Le Bureau Des Légendes.

     

    En septembre 1953, à la frontière du Laos et de la Birmanie, le reporter Robert Kovacs trouve la mort alors qu'il accompagnait un commando dans le cadre d'un reportage sur la guerre d'Indochine. A New-York, l'ensemble de la rédaction du magazine LIFE est consternée à l'annonce de ce décès tragique. Mais en récupérant dans les affaires personnelles de Kovacs un rouleau de pellicule qu'il a dissimulé dans la doublure de sa veste, Elizabeth Cole, photographe mondaine de la page culturelle du magazine, prend conscience que sa mort n'a rien d'accidentelle. C'est l'occasion pour cette jeune femme intrépide de réaliser son grand rêve en devenant correspondante de guerre pour couvrir les événements de cette guerre oubliée tout en cherchant à comprendre ce qu'il est vraiment arrivé à son collègue. Mais en débarquant à Saïgon, Elizabeth se retrouve au cœur d'un enchevêtrement d'intérêts complexes où s'affrontent espions de tout bord, tueurs à gages déterminés, aventuriers et trafiquants d'armes sans scrupule et militaires désabusés qui savent déjà que cette guerre est perdue. Cela ne l'empêchera pas de se rendre à Hanoï et de parcourir les hauts plateaux du Laos tout en faisant face à ceux qui ne souhaitent pas que la lumière soit faite sur les circonstances de la mort de Robert Kovacs.

     

    Pour situer le contexte historique de la première partie de cette saga, il faut mentionner quelques références comme La 317e Section du réalisateur français Pierre  Schoendoerffer ou Un Américain Bien Tranquille du romancier britannique Graham Greene auquel Laurent Guillaume rend d’ailleurs un hommage appuyé qu’il évoque dans la postface de son roman. C’est donc à la lisière de ces deux œuvres emblématiques abordant le thème de la guerre plutôt méconnue d’Indochine que se situe Les Dames De Guerre/Saïgon en se concentrant plus particulièrement sur l’aspect historique de l’Opération X désignant un trafic d’opium mis en place par l’armée française afin de financer ses opérations spéciales visant à lutter contre les combattants Việt Minh. Sur cette trame historique, à la lisière du roman policier et d’espionnage tout en empruntant quelques caractéristiques propre au récit d’aventure, Laurent Guillaume met en place une redoutable intrigue s’articulant autour de la perception d’Elizabeth Cole, cette jeune reporter de guerre audacieuse au caractère bien affirmé qui va donc nous entraîner dans la nébuleuse diaspora d’espions sévissant notamment dans ce Saïgon d’autrefois au charme suranné que l’auteur restitue avec une impressionnante précision au gré d’une atmosphère exotique et envoûtante. On ne manquera pas d’être impressionné par cette habilité consistant à mélanger toute une  galerie de personnages tant fictifs qu’historiques que l’on croise bien évidemment à Saïgon maïs également sur les hauts plateaux du Laos, dans la région du fameux Triangle d’Or où Elizabeth Cole évolue en compagnie de membres d’un commando français et des combattants Meos qu’ils encadrent en nous donnant l’occasion d’assister à quelques scènes de combat épiques et percutantes. Alors que la reporter côtoie le capitaine Bremond, officier aussi désabusé que chevaleresque, on devine l’inévitable glissement vers un registre romanesque qui reste, fort heureusement, extrêmement sobre pour se concentrer sur les rapports de force idéologiques qui prennent tous leurs sens dans une série de rebondissements contenant quelques longueurs explicatives qui demeurent néanmoins nécessaires pour la bonne compréhension de l’ensemble du texte. Ainsi, en arrière-plan brièvement évoqué, se dessine la défaite de Diên Biên Phu ainsi que les prémisses de l’emprise américaine et de la guerre du Vietnam qui va bientôt débuter. Au final, Les Dames De Guerre/Saïgon se révèle être un superbe roman ponctué d’hommages à cette époque extraordinaire de la décolonisation de l’Indochine particulièrement bien restituée que l’on découvre au travers du regard de cette reporter de guerre que l’on se réjouit de retrouver très prochainement ainsi que son entourage à l’instar du personnage de Graham Fowler dont la personnalité est particulièrement réussie.

     

    Laurent Guillaume : Les Dames De Guerre/Saïgon. Editions Robert Laffont/Collection La Bête Noire 2023.

    A lire en écoutant : Heaven and Earth de Kitaro. Album : Heaven & Earth (Motion Picture Soudtrack). 1993 Universal Music Classical.

  • MARYLA SZYMICZKOWA : LE RIDEAU DECHIRE. DERRIERE LE VOILE DES APPARENCES.

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    A l’origine, il y a le fameux whodunit incarné notamment par la romancière britannique Agatha Christie avec cette prédominance de l'énigme policière s'inscrivant autour d'une succession d'indices permettant à une enquêtrice amateure de découvrir le coupable dont l'identité sera révélée à la toute fin du récit. Issu de ce genre littéraire, le cosy mystery ou cosy crime connaît un essor considérable depuis quelques années avec des intrigues qui se définissent par leur caractère édulcoré, donnant du sens à cet oxymore anglophone, ainsi que par leur légèreté, pour ne pas employer le terme vacuité, que les couvertures au style infantile ne démentiront pas. Dans ce registre, on ne manquera pas de s'intéresser à l'oeuvre de Maryla Szymiczkowa, nom de plume du duo d'auteurs mariés que forme Jacek Dehnel et Piotr Tarczynski ayant désormais élus domicile à Berlin mais qui représenteront tout de même la Pologne lors de leur venue à Lyon à l'occasion du festival international Quais du Polar. C'est avec Madame Mohr A Disparu (Agullo 2023) que l'on fait la connaissance de Zofia Turbotyńska, cette bourgeoise de Cracovie au caractère quelque peu acariâtre, mariée à un professeur d'université, comblant l'ennui d'une vie domestique en se mêlant aux affaires criminelles qui émaillent le ville, ceci au gré d'une série d'énigmes policières prenant pour cadre la société polonaise de la fin du XIXème siècle jusqu'au tournant de la Seconde guerre mondiale. Si à bien des égards, les ouvrages de ces romanciers polonais répondent aux critères du cosy crime, on ne manquera pas de souligner l'aspect historique qui émerge de ces intrigues policières ainsi que l'étude de moeurs au caractère social affirmé comme en témoigne Le Rideau Déchiré, second opus de la série qui en compte désormais trois puisque Séance A La Maison Egyptienne va paraître très prochainement.

     

    A Cracovie en 1895, Zofia Turbotyńska doit faire face aux impondérables de la vie domestique avec les préparatifs des fêtes pascales qu'elle doit assumer avec l'unique appui de sa cuisinière Franciszka alors que sa femme de chambre Karolina a disparu du jour au lendemain après avoir remis sa démission. Un véritable scandale. Mais lorsque l'on retrouve le corps sans vie de la  jeune domestique au bord de la Vistule, la nouvelle à de quoi bouleverser les membres de la maison Turbotyńska ce d'autant plus qu'au vu des violences commises, il s'agit indéniablement d'un crime. Dotée d'un grand sens de l'observation conjugué à un esprit de déduction sans faille, Zofia va mener l'enquête en s'intéressant davantage à la personnalité de cette jeune femme qu'elle ne connaissait pas si bien que cela. Elle parcourra ainsi le bas-fond de la ville en croisant sur son chemin des malfaiteurs en tout genre, tout en découvrant le monde interlope de la prostitution que les édiles de la cité fréquentent assidument. C'est l'occasion pour elle de lever le voile sur cette province pauvre de la Galicie qui conduit femmes et hommes miséreux vers la ville en quête d'un espoir tout relatif.

     

    L'originalité de la série mettant en scène la détective amateure Zofia Turbotyńska réside dans son caractère érudit, sans être trop ostentatoire, tout en pariant sur l'intelligence du lecteur ce qui n'apparaît pas comme un critère essentiel dans la déclinaison de récits que l'on propose dans le cadre d'un genre littéraire comme le cosy crime. C'est également autour du contexte historique et de la multitude de détails qui en découlent que l'on prend la mesure de la densité de ces intrigues imprégnées de l'atmosphère sophistiquées de l'empire austro-hongrois et de sa complexité politique. Indéniablement, Le Rideau Déchiré présente un registre historique un peu moins prégnant pour se concentrer sur le volet social qui régit les différentes castes de la communauté de la ville de Cracovie et plus particulièrement le milieu bourgeois côtoyant la domesticité et plus spécifiquement les femmes de condition modeste devenant la proie d'individus inquiétants naviguant dans les réseaux de la prostitution. Cela permet aux auteurs d'aborder des sujets sensibles comme la conditions des femmes de l'époque et d'observer les mouvements progressistes qui s’amorcent au sein de la société polonaise, notamment avec l’émergence du socialisme qui prend davantage d’essor autour de personnalités historiques telles qu'Ignacy Daszyński que Zofia Turbotyńska va côtoyer à son corps défendant. Ainsi, sans mettre à bas les certitudes conservatrices de cette femme au caractère affirmé, qui cache d'ailleurs ses activités d'enquêtrice à son mari, on observe, sur un registre très nuancé, l'effritement de certaines de ses certitudes notamment en lien avec l'hypocrisie qui régit son entourage et plus particulièrement le milieu policier et judiciaire qu'elle côtoie dans le cadre de ses investigations. Mais en dépit de la gravité des thèmes abordés, Le Rideau Déchiré n'est pas dépourvu d'humour avec quelques scènes cocasses à l'instar de cette rencontre avec une prostituée que Zofia Turbotyńska rejoint dans un parc public, accoutrée d'un déguisement vaudevillesque ou de son effarement lorsqu’un médecin évoque son intérêt pour l’instauration d’une éducation sexuelle qu’il définit au sein de ce qu’il dénomme la “sexuologie“. Et puis, il y a cette multitude d’hommages à l’exemple du titre Le Rideau Déchiré faisant allusion à l’une des oeuvres du maître du suspense Alfred Hitchcock dont on trouve le nom dans l’énoncé du premier chapitre du récit également ponctué de citations de L'Étrange Cas Du Docteur Jekyll Et De Mr Hyde de Robert Louis Stevenson. Avec une intrigue se déroulant, sur plus d’une année, Le Rideau Déchiré est aux antipodes des romans trépidents propres à notre époque, pour se décliner sur un rythme prenant tout son temps au gré d’une construction narrative à la fois foisonnante et passionnante. 

     

    Maryla Szymiczkowa : Le Rideau Déchiré (Rozdarta Zaslona). Editions Agullo 2024. Traduit du polonais  par Cécile Bocianowski.

    A lire en écoutant : Polonaise No. 5 in F-Sharp Minor, Op 44. Album : Chopin: Polonaise - Rafal Blechacz. 2013 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin.

  • Olivier Truc : Les Sentiers Obscurs De Karachi. Contre-plongée.

    IMG_8539.jpegA l'occasion des 20 ans du Festival international Quais Du Polar à Lyon, ce ne sont pas moins de 138 auteurs et autrices plus ou moins proches de la littérature noire qui seront présents pour célébrer cette édition anniversaire. Parmi tous ces invités, on ne manquera pas de croiser Olivier Truc, récipiendaire en 2013 d'une quinzaine de récompenses littéraires, dont le prix des lecteurs des Quais Du Polar, pour Le Dernier Lapon (Métailié 2012), inaugurant la fameuse série de la Police des Rennes constituée de quatre ouvrages mettant en scène les enquêtes de Nina Nansen et Klemet Nango se déroulant en Laponie, cette région méconnue du Grand Nord que ce journaliste, notamment correspondant auprès des grands médias français pour les pays nordiques et baltes, a mis en avant en nous permettant de nous familiariser avec la culture des Samis. Dans un registre très différent, Olivier Truc a également coécrit avec Sylvain Runberg On Est Chez Nous (Robinson 2019/2020), une BD en deux tomes, dessinée par Nicolas Otéro où l'on découvre l'enquête d'un journaliste parisien s'intéressant à une petite localité provençale gérée par un parti d'extrême-droite alors qu'un immigré clandestin est retrouvé lynché à un arbre avec un pancarte provocatrice autour du cou. Ainsi, au-delà de l'esprit d'aventure qui l'anime et de l'aspect pittoresque des lieux qu'il dépeint, Olivier Truc s'emploie à soulever les faits de société méconnus et à en dénoncer les éléments les moins reluisants à l'instar d'un roman comme Les Sentiers Obscurs De Karachi où il se penche sur l'affaire d'état française des submersibles vendus au Pakistan en se focalisant sur l'attentat de 2002 à Karachi qui coûta la vie à quatorze personnes dont onze ingénieurs français travaillant sur ces sous-marins militaires. 

     

    Avril 2022, à Cherbourg, on se prépare à commémorer les 20 ans de l'attentat de Karachi qui a touché les employés de la base nautique de la ville, dans une atmosphère tendue, imprégnée d'amertume pour les survivants et les familles des victimes alors que les investigations pour désigner les coupables sont désormais au point mort. Proche d'un des rescapés de l'attentat, Jef Kerral, journaliste local auprès du quotidien La Presse de la Manche, décide de faire la lumière, bien au-delà des probables pots de vin destinés à financer la campagne de Balladur, sur les aspects troubles qui entoure les commanditaires et les auteurs de cet acte terroriste. Mais en se rendant à Karachi, Jef Kerral s'oppose à des forces obscures telles que les services secrets pakistanais cherchant à enterrer à tout jamais cette affaire d'état embarrassante. Pourtant, il pourra compter sur l'aide de Sara Zafar une jeune lieutenant de la marine pakistanaise qui le mettra en contact avec Shaheen Ghazali, officier et ingénieur de haut rang, droit et loyal, qui a toujours eu à coeur de connaître l'identité des individus qui s'en était pris à ses amis français. De discussions sur la plage déserte d'un modeste village de pêcheur, en conversations dans un rickshaw tout en parcourant les grandes avenues de la capitale, jusqu'aux confidences au détour des allées étroites et encombrées de livres de l'Urdu Bazar, Jef Kerral découvrira probablement la vérité glissée entre les lignes des poèmes que déclament les poètes vagabonds qui savent se faire entendre. 

     

    Avec "l'affaire Karachi", les médias avaient principalement évoqué les aspects autour des rétro-commissions et du financement occulte de la campagnes présidentielle de Baladur, ce qui fait qu'Olivier Truc s'est davantage concentré sur le volet pakistanais de l'attentat de 2002 et de ses méandres obscurs sur lesquels il s'emploie à projeter un éclairage romancé, richement documenté, qui ne paraît pas du tout absurde, bien au contraire. Le récit s'articule autour de la commémoration des vingt ans de l'attentat en mettant en exergue les dissensions animant les collaborateurs de la base nautique de Cherbourg, avec ceux qui souhaiteraient que toute la lumière soit faite sur cette affaire tentaculaire s'enlisant peu à peu dans des procédures sans issues, tandis que d'autres aspirent à protéger l'un des fleurons de l'industrie française dont certains dirigeants semblent pourtant compromis dans un vaste réseau de corruption. Tiraillé entre les antagonismes de ses proches et probablement par défiance vis-à-vis de son père, Jef Karral, journaliste local de Cherbourg, va endosser le rôle de grand reporter en se rendant à Karachi afin de rencontrer l'homme pouvant lui révéler les circonstances entourant cet attentat qui devient une affaire d'état avec des implications au niveau des services gouvernementaux. Sur une alternance entre le passé et le présent, Les Sentiers Obscurs De Karachi, nous donne l'occasion de découvrir une ville tentaculaire et chaotique, régulièrement secouée par des vagues d'actes terroristes plus meurtriers les uns que les autres qui frappent le quotidien des habitants comme en témoigne Sara Zafar, cette officière de l'armée, qui va servir de guide et de personne de contact pour le journaliste français. C'est l'occasion pour Olivier Truc de décliner les rapports sociaux qui régissent les différentes castes de la communauté pakistanaise et des implications complexes qui en découlent tout en parcourant les rues d'une ville au charme indéfinissable, malgré la violence et la tension qui semblent omniprésentes. Et puis, en filigrane, bien plus qu'un simple prétexte, il y a cette poésie ourdou imprégnant l'ensemble du texte et dont les vers recèlent des révélations que clament les poètes de la rue arpentant les travées sinueuses de l'Urdu Bazar, lieu emblématique de la capital pakistanaise, pour devenir le cadre exceptionnel où évoluent les protagonistes du récit dans un chassé-croisé habile et dynamique. Ainsi, au gré d’une intrigue intense et d’une densité peu commune qu’il parvient à maîtriser de bout en bout en dépit de sa brièveté relative, Olivier Truc décline, l’air de rien, les reflets géopolitiques de cette affaire complexe régissant les rapports entre la France et le Pakistan qu’il met en scène à la hauteur de ces hommes et de ces femmes qui vont se retrouver impliqués dans les méandres d’une histoire qui les dépasse tous autant qu’il sont, en saluant plus particulièrement le profil inquiétant de ce responsable des services secrets pakistanais particulièrement réussi. Tout au plus regrettera-t-on cette idylle naissante entre Jef Kerral et Sara Zafar qui, en plus d’être téléphonée, se révèle plutôt dispensable, sans que cela ne dénature pour autant l’ensemble d’un roman d’une originalité saisissante.

    Cette originalité, on la retrouvera également dans L'Inconnue Du Port, bref récit policier résultant d'un partenariat littéraire avec la romancière espagnole Rosa Montero initié par le festival Quais du Polar pour mettre en scène une enquête portant sur le trafic d'êtres humains se déroulant entre Lyon et Barcelone avec la découverte d'un femme frappée d'amnésie que l'on retrouve ligotée dans un container vide. Une intrigue dynamique se déclinant autour du point de vue d'Anna Ripoli, inspectrice de la PJ à Barcelone et d'Erik Zapori, flic en disgrâce de la police de moeurs lyonnaise.

     

    Olivier Truc : Les Sentiers Obscurs De Karachi. Editions Métailié/Noir 2022.

    Olivier Truc & Rosa Montero : L'Inconnue Du Port. Editions Points 2024. Traduit de l'espagnol par Myriam Chirousse.

    A lire en écoutant : Pasoori de Ali Sethi, Shae Gill, Noah Georgeson. Single : Pasoori (Acoustic). 2022 Ali Sethi.