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Allemagne

  • SIMONE BUCHHOLZ : HOTEL CARTHAGENE. FEVER.

    simone buchholz,éditions de l’atalante,collection fusion,hôtel carthagèneService de presse.


    Ce sont des phrases affutées comme des scalpels, saisissant en quelques mots l'atmosphère d'un lieu ou les contours de la personnalité d'un personnage qui font de l'écriture de Simone Buchholz une expérience narrative à nulle autre pareille où l'intensité de l'intrigue se conjugue avec le spleen imprégnant l'ensemble des récits mettant en scène la procureure Chastity Riley, ses collègues de la brigade criminelle ainsi que ses amis du quartier rouge de Hambourg. La particularité de l'ensemble de la série réside également autour de l'interaction entre une procureure qui s'efface parfois au profit de son entourage dans une déclinaison de relations d'amitié dont certaines d'entre elles prennent la forme de liaisons à la fois denses et tumultueuses. Afin d'en saisir toute l'évolution subtile, il conviendra d'appréhender le parcours de la procureure Chastity Riley dans l'ordre chronologique, ce d'autant plus que la publication en France a fait l'impasse sur certains romans de la série débutant avec Quartier Rouge publié en 2015 par Piranha Editions qui n'a pas poursuivi l'aventure. Mais c'est en 2021 que l'oeuvre de Simone Buchholz prend son essor dans le paysage de la littérature noire francophone avec l'initiative des éditions de l'Atalante inaugurant sa nouvelle collection de polars avec Nuit Bleue (Atalante/Fusion 2021), sixième opus des enquêtes de Chastity Riley (Chas pour les intimes) se poursuivant avec Béton Rouge (Atalante/Fusion 2022) et Rue Mexico (Atalante/Fusion 2023) qui ne font que confirmer l'engouement pour cette enquêtrice atypique que l'on retrouve donc avec Hôtel Carthagène, un huis-clos s’articulant autour d'une prise d'otage prenant, comme l'on peut s'y attendre, une tournure plus que déroutante.  

     

    De nos jours à Hambourg, rien ne va plus à l'hôtel River Palace où douze hommes hommes armés débarquent dans le bar situé au dernier étage de l'établissement en prenant en otage l'ensemble de la clientèle dont fait partie Chastity Riley célébrant l'anniversaire d'un collègue retraité qui a également invité ses anciens partenaires de la brigade criminelle. Une longue nuit d'attente et de tension en perspective, ce d'autant plus que les revendications des preneurs d'otage sont plutôt floues.
    En 1984, Henning Garbarek débarque en Colombie et prend ses quartiers du côté de Carthagène en quête d'une nouvelle vie alors que plus rien ne l'attend en Allemagne. Assimilant rapidement la langue du pays, le jeune homme va jouer le rôle d'intermédiaire entre des truands de Hambourg et le boss du cartel de la région qui l'a pris sous son aile. Mais peut-on vivre durablement du trafic de drogue ?

     

    Dédié à Alan Rickman, on comprend rapidement que l'intrigue empruntera quelques aspects propre aux films d'action tels que Die Hard permettant à Simone Buchholz de rendre ainsi hommage à l'acteur britannique qui s'est fait connaître avec ce rôle emblématique de terroriste allemand. Et l'on doit bien avouer que la romancière s'y entend pour construire un récit agité et rythmé qui ne s'embarrasse pas de détails ce qui confère au texte cette sensation fulgurante qui convient parfaitement à la tonalité du récit et plus particulièrement pour tout ce qui a trait à la prise d'otage où Chastity Riley joue davantage un rôle d'observatrice que de partie prenante. Il faut dire que, blessée à la main, notre héroïne est atteinte d'une fièvre que la consommation d'alcool, n'arrange sans doute pas ce qui l'entraine dans une démarche introspective délirante où elle passe en revue les rapports qu'elle entretient avec les différents partenaires qui ont partagé sa vie en prenant la forme d'une espèce de manège psychédélique où embarque chacune des personnes présentes dans le bar. On observe également les rapports ambigus qui se nouent entre Chastity Riley et le leader des preneurs d'otage tout en se demandant qu'elles sont les motivations de ce groupe de malfrats qui s'en prennent plus particulièrement à l'un des clients de l'établissement. Pour en avoir une idée, on trouvera la réponse avec Henning Garbarek, dont le parcours s'insère en alternance dans le déroulement de cette prise d'otage. On y découvre ce jeune homme en quête d'une autre vie que celle que l'on pourrait lui offrir à Hambourg, le conduisant à embarquer sur un cargo qui le conduira à Carthagène. A mesure se dessine le destin tragique d'un homme entraîné, presque à son corps défendant, dans les aléas du trafic de drogue et plus particulièrement de l'émergence de la cocaïne, des cartels et de la violence qui découle. Et il faut bien admettre que Simone Buchholz s'y entend pour saisir l'atmosphère de cette ville d'Amérique du Sud dont elle restitue la part de rêve mais également la partie cauchemardesque bouleversant de manière brutale la vie de ceux qui croient avoir échappé à leur destin. Tout cela s'achève sur un final explosif que la romancière décline avec une habilité saisissante pour bousculer, une fois encore, l'existence de Chastity Riley désormais en quête de ses origines du côté de Glascow et dans ce qui va apparaître comme l'ultime récit de la série. Il ne nous reste plus qu'à espérer que les premiers romans mettant en scène notre procureure hambourgeoise préférée soient traduits, ce d'autant plus que Simone Buchholz semble avoir révisé les textes des deux premiers ouvrages et qu'ils mériteraient bien le regard expert de Claudine Layre qui a su restituer en français la quintessence d'une écriture hors norme. 

     

     

    Simone Buchholz : Hôtel Carthagène (Hotel Cartagena). Editions de l'Atalante/collection Fusion 2024. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

    A lire en écoutant : Fever interprété par Peggy Lee. Album : Fever. 1960 - BNF Collection 2014.

  • SIMONE BUCHHOLZ - RUE MEXICO. AMOUR INCANDESCENT.

    Capture d’écran 2023-02-24 à 18.24.12.png

    Service de presse.

     

    Ce n'est pas tant une histoire de parité, ce n'est pas tant une logique de quantité, mais bien une question d'attitude qui font que bon nombre d'héroïnes de la littérature noire occupent désormais une place à part en projetant un regard bien particulier sur le monde qui nous entoure à l'instar de Chastity Riley, cette procureure allemande, officiant à Hambourg et dont l'apparition sous la plume de Simone Buchholz coïncidait avec la création de la collection Fusion nous proposant le fameux Nuit Bleue (Atalante/Fusion 2021), texte d'une audace et d'une originalité narrative peu commune nous entraînant dans le monde interlope des nuits hambourgeoises sur fond de trafic de stupéfiants provenant des cités de l'ancienne Allemagne de L'Est. Avec Béton Rouge (Atalante/Fusion 2022), second roman de la série de celle que l'on surnomme désormais "Chas", Simone Buchholz abordait le thème de la maltraitance d'enfants en nous emmenant notamment du côté de la Bavière tout en évoquant les dérives des grandes entreprises allemandes et plus particulièrement celles des grands groupes médiatiques. C'est peu dire que l'on apprécie de retrouver cette femme au profil peu commun oscillant entre force et détermination dans le cadre de son travail et une certaine fragilité qui transparait notamment dans la contexte de sa vie sentimentale qui va connaître quelques aléas dans Rue Mexico, troisième roman de la série que Claudine Layre traduit toujours aussi brillamment.

     

    Les voitures brûlent dans toutes les villes du monde et Hambourg ne déroge pas à la tradition. Pourtant dans l'une d'entre elles, on extirpe le cadavre d'un jeune homme que l'on identifie rapidement comme étant le fils du clan Saroukhan, une communauté de l'ancien empire ottoman qui trempe désormais dans le trafic de drogue du côté de Brême. Chargée de l'enquête, Chastity Riley va devoir dresser le profil de la victime pour tenter de retrouver l'auteur du meurtre. Peut-être obtiendra-t-elle de l'aide de la mystérieuse jeune femme qu'elle a aperçu sur le toit d'un immeuble et qui a probablement assisté à toute la scène ? Parviendra-t-elle à extirper quelques éléments de cette communauté soudée qui ne souhaite pas frayer avec les autorités ? Et qu'en est-il de cette compagnie d'assurance pour laquelle travaillait la victime en lui offrant de confortables rémunérations ? Et puis comme pour interférer dans une enquête déjà difficile, il y a le retour de Inceman, un ancien amant qui va bousculer la vie sentimentale de Chastity Riley.

     

    On remarque un certain dépouillement qui caractérise l'ensemble des intrigues narratives de la série Chastity Riley permettant à Simone Buchholz d'aborder de manière assez directe les thèmes sociaux qu'elle souhaite mettre en exergue. Pour ce qui est de Rue Mexico, la romancière aborde donc le sujet de la migration et de l'intégration et de toutes les difficultés qui en découlent, ceci pus particulièrement au travers de cette communauté Mahallami issue des tribus ottomanes d'autrefois et qui est désormais apatride. Pour en découvrir certains contours, on adoptera les points de vue de Nouri et d'Aliza défiant leurs familles respectives pour vivre leur histoire d'amour remontant à l'enfance, en refusant de suivre les préceptes et les traditions quitte à subir la violence et le rejet. Comme à l'accoutumée, Simone Buchholz nous offre avec Aliza, le portrait d'une jeune femme au caractère bien affirmé nous évitant ainsi l'écueil de l'émotion facile et larmoyante pour s'intéresser à cette détermination qui anime ce personnage d'un force peu commune qui nous renvoie évidemment vers Chastity Riley confrontée une nouvelle fois aux aléas de sa vie privée. Mais il faut également s'intéresser à la trajectoire de Nouri Saroukhan qui, en quittant une famille aux comportements tribaux, voire mafieux, en intègre une autre, ceci sur le plan professionnel en refusant d'intégrer les codes de conduite d'une compagnie d'assurance et plus particulièrement de ses collègues en quête de performances à tout prix. Avec des comportements similaires tout aussi douteux les uns que les autres, on observe ainsi l'impasse dans laquelle s'engouffre ce jeune homme rejetant les règles familiales et professionnelles le conduisant à finir dans une voiture enflammée. Tout l'enjeu réside donc à déterminer qui a pu attenter à la vie de Nouri au détour d'une enquête aux contours incertains en s'achevant sur une scène abrupte et détonante qui désarçonnera une nouvelle fois le lecteur. 

     

    Encore davantage de poésie et de spleen émergent de Rue Mexico où Simone Buchholz décline au détour de ces voitures s'embrasant dans les villes du monde, d'une phrase brève, voire même d'un unique mot qui sonne toujours juste, la fragilité des pensées incertaines d'une femme étonnante trouvant le réconfort autour d'un verre qu'elle partage avec ses amis et collègues policiers que l'on retrouve avec un même plaisir dans cette atmosphère chaleureuse du Blau Nacht, bar attitré d'une procureure au charme indéniable.

     

    Simone Buchholz : Rue Mexico (Mexikoring). Editions de l'Atalante, collection Fusion 2023. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

    A lire en écoutant : Hotel Bar de Tindersticks. Album : Stars at Noon (Original Soundtrack). 2022 Lucky Dog / City Slang.

  • Simone Buchholz : Béton Rouge. Encagés.

    simone Buchholz, collection fusion, éditions atalante, béton rougeDepuis quelques années, on ne peut que se réjouir de la place de plus en plus prépondérante qu'occupent désormais les romancières dans le domaine de la littérature noire. Bien plus qu'une simple histoire de quota, on observe surtout avec ces romancières l'apparition d'héroïnes qui n'auraient pu, sans nul doute, ne voir le jour que sous la plume d'une femme s'interrogeant sur la place qu'elle occupe au sein de notre société tout en dénonçant certaines dérives qui ont bousculé les devants de l'actualité. Il peut s'agir tout simplement d'une question de look, mais également de rapport avec l'alcool ou de positionnement quant à l'absence de désir de maternité à l'instar de Ghjulia Boccanera, cette détective privée libertaire et haute en couleur émergeant de l'écriture affûtée de Michèle Pédinielli, romancière désormais aguerrie qui bouscule l'air du temps à coup de récits engagés. Dans un registre similaire, on apprécie désormais la singularité du profil de la procureure Chastity Riley, officiant à Hambourg, que l'on a découvert avec Nuit Bleue, première publication de la collection Fusion nous proposant polars et romans noirs aux entournures atypiques pour le compte de la maison d'éditions l'Atalante. Avec une écriture parfois laconique, toujours précise et surtout imprégnée d'une certaine forme de poésie, sa créatrice Simone Buchholz  décline une nouvelle fois tout le charme de sa ville de Hambourg et plus particulièrement de son quartier populaire de Sankt Pauli en nous invitant à retrouver sa magistrate "destroy" dans Béton Rouge, dernier opus d'une série détonante.

     

    A Hambourg, non loin du Bismarckdenkmal, on signale une cage déposée devant l'entrée de l'immeuble abritant les bureaux de Mohn & Wollf, un grand groupe d'éditions propriétaire de nombreux titres de presse. Dans la cage, on découvre le corps dénudé d'un homme portant de nombreux stigmates laissant à penser que l'individu déboussolé a été torturé. Toujours chargée de la protection des victimes, l'enquête échoit à la procureure Chastity Riley qui sera secondée d'Ivo Stepanovic du bureau des Affaires spéciales. Licenciements économiques implacables semblent dicter la logique de cette grande entreprise qui peut compter sur le management impitoyable d'un service RH tout acquis à la cause financière du groupe. Le mobile paraît donc assez clair. Mais une seconde victime découverte dans des conditions similaires va orienter les deux enquêteurs du côté de la Bavière en mettant à jour les carences d'un pensionnat pour enfants où la maltraitance entre jeunes résidents semble être devenu la norme.

     

    Tout est étonnant avec Simone Buchholz s'ingéniant à nous surprendre avec une écriture acérée qui rythme la singulière brièveté de chapitres aux titres évocateurs où chacune des phrases semblent avoir été construite en choisissant soigneusement chaque mot résonnant avec l'efficacité, mais également la poésie d'un haïku. Tout comme Bleu Nuit, on retrouve dans Béton Rouge le groupe d'amis qui accompagne Chastity Riley en lui conférant ainsi un supplément de personnalité dont on découvre les contours au gré de ses échanges prenant parfois la forme de conversations SMS, comme c'est le cas avec Faller, son mentor, et qui ne sont pas moins révélateur de l'état d'esprit d'une procureure qui ne cesse de se remettre en question. Des rapports qui prennent parfois une tournure surprenante comme ceux qu'elle entretient avec Klatsche qui va d'ailleurs remettre en question leur relation au cours d'une discussion intense et bouleversante confirmant le talent d'une romancière qui sait distiller subtilement l'émotion de ses personnages à fleur de peau.

     

    Au rythme d'une intrigue concise, Béton Rouge s'articule autour du thème de la maltraitance d'enfants que Simone Buchholz aborde avec beaucoup de pudeur sans s'étaler sur le côté sordide des faits qui se suffisent à eux-mêmes. Sans édulcorer, la romancière sait parfaitement appuyer là où cela fait mal, tout comme elle le démontre d'ailleurs en évoquant le démantèlement de la presse qui devient de moins en moins rentable, autre sujet que traite Simone Buchholz dans Béton Rouge, ceci de manière assez frontale avec des bourreaux transposant leur "savoir-faire" dans le domaine du management. Nouveau venu dans l'entourage de Chastity Riley, le lecteur appréciera la dynamique qui s'instaure entre Chastity Riley et Ivo Stepanovic lors de leur périple en Bavière qui nous donne l'occasion de découvrir une autre partie de l'Allemagne. Mais il va de soi que c'est la ville de Hambourg qui est célébrée au gré des pérégrinations d'une procureure mélancolique dont le spleen déteint sur la cité, ou inversement, jusqu'à opérer une sorte de fusion qui nous permet de découvrir les multiples facettes de la ville tout comme celles de Chastity Riley, personnage au charme indéniable. 

     


    Simone Buchholz : Béton Rouge (Beton Rouge). Editions L'Atalante, collection Fusion 2022. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

    A lire en écoutant : Holding On de Gregory Porter. Album : Take Me To The Alley. 2016 Gregory Porter.

  • Simone Buchholz : Nuit Bleue. Poudre de cristal.

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    Service de presse.

    Dans nos contrées francophones, je crois que l'on sous-estime beaucoup trop l'importance de la littérature noire en provenance des pays germanophones que l'on désigne sous le nom de Krimi (Krimalroman) et qui reste un genre extrêmement populaire que ce soit bien évidemment en Allemagne et en Autriche mais également en Suisse-allemande où seul Sunil Man, romancier zurichois, a bénéficié d'une traduction en français avec son détective Vijay Kumar qui se débat entre ses origines indiennes et sa nationalité helvétique. En France, on constate le même phénomène où les traductions restent dans le domaine de l'anecdotique. Mais pour en savoir plus sur le sujet du Krimi, il est possible de consulter le site Fondu au noir qui consacre tout un chapitre aux chroniques des polars en provenance de ces contrées germanophones ainsi qu'une exposition dédiée au thème. Si l'on observe d'ailleurs l'affiche consacrée à cette exposition, on découvrira qu'il s'agit du Davidwache, célèbre poste de police se situant à Hambourg. bleu nuit,éditions de l'atalanta,collection fusion,krimi,chastity rileyUne sacrée "coïncidence" lorsque l'on pense que Caroline de Benedetti et Emeric Cloche, composant une partie de l'équipe Fondu Au Noir, dirigent la nouvelle collection Fusion de la maison d'éditions L'Atalante qui est consacrée au polar en nous proposant en guise d'inauguration, Nuit Bleue, un roman de Simone Buchholz mettant en scène la procureure Chastity Riley officiant justement à Hambourg et plus particulièrement dans le quartier populaire de Sankt Pauli. Davantage orientée vers les genres de la SF et de la Fantaisy, la maison d'éditions renouvelle donc l'expérience du roman policier en succédant ainsi à Insomniaque et ferrovière qui était en sommeil depuis 2016.

     

    Trouvant le réconfort dans les bars de son quartier de Sankt Pauli à Hambourg, la procureure Chastity Riley partage ses déboires avec Carla, Rocco, Klatsche, Faller et Calabretta, ses amis de toujours, qui ne seront pas de trop pour l'aider à affronter ce monde du crime extrêmement glauque. Après avoir dénoncé son supérieur hiérarchique corrompu, on aurait pu s'attendre à ce qu'elle obtienne une promotion, mais dans la ville portuaire de Hambourg, les choses se passent autrement. Désormais reléguée dans un placard, la tempétueuse magistrate est affectée à la protection des victimes. Femme de caractère, elle préfère donc arpenter les rues de la ville et fréquenter ses partenaires policiers plutôt que ses collègues juristes, ceci d'autant plus qu'elle doit se rendre à l'hôpital pour traiter l'étrange dossier d'un inconnu laissé pour mort qui refuse de collaborer avec la police. A grand renfort de bières, de cigarettes et de currywurst, Chastity Riley va en apprendre plus sur cet étrange individu qui va l'entrainer sur la piste d'un truand albanais souhaitant inonder la ville avec de nouvelles drogues de synthèse particulièrement nocives. 

     

    En Allemagne, Simone Buchholz fait partie des grands noms de la littérature noire avec sa série de dix polars mettant en scène l'atypique procureure Chastity Riley officiant à Hambourg et vivant au coeur du quartier chaud de la cité où elle croise bon nombre de ses amis dont Faller, un vieux flic bourru et Klatsche, amant occasionnel de la magistrate et ancien délinquant qui s'est reconverti comme patron du Blaue Nacht où elle a ses habitudes en éclusant un nombre conséquent de bières avant de se rendre au stade pour soutenir son équipe favorite, le FC Sankt Pauli. Sixième roman de la série, Nuit Bleue marque le changement de maison d'éditions pour intégrer la prestigieuse Suhrkamp Verlag qui correspond à un éditeur tel que Gallimard, et dont la lecture pourra se révéler quelque peu déstabilisante avec une forme d'écriture à la fois audacieuse et originale à l'instar de ces rétrospectives de 1982 jusqu'à nos jours où l'on découvre par petites touches, par petites notes, les parcours des différents protagonistes du récit et même, sur la fin, le point de vue des truands sur qui Chastity Riley enquête. Loin d'être conventionnelle, l'intrigue s'articule donc autour de cette mystérieuse victime mutique que la magistrate doit apprivoiser afin de découvrir les raison qui l'ont conduite à l'hôpital pour s'orienter ensuite vers un trafic de drogue s'opérant entre la Tchéquie et Hambourg qui nous donne à voir un autre visage de l'Allemagne réunifiée. Ne s'embarrassant pas de détails superflus, ne s'accrochant pas au réalisme d'une enquête débridée, Simone Buchholz va donc à l'essentiel en captant brillamment le caractère de ses personnages mais en déclinant également une superbe ambiance à la fois glauque et attachante de sa ville de Hambourg qu'elle sait dépeindre avec la force de métaphores bien élaborées qui nous éloigne de la carte postale touristique pour nous livrer les recoins méconnus de la ville des autochtones dont le fameux port où se déroule la confrontation finale et le stade du quartier où l'on assiste à l'épilogue d'un récit fulgurant (le mot n'est pas galvaudé, bien au contraire). 

     

    Avec Nuit Bleue on appréciera donc cette nouvelle voix détonante et originale de Simone Buchholz qui est parvenue à créer une héroïne à la fois atypique et complexe qui officie dans la non moins détonante ville de Hambourg que l'on prend plaisir à parcourir en compagnie de la cohorte de personnages attachants qui accompagnent la procureure Chastity Riley. Une belle découverte.

     

     

    Simone Buchholz : Nuit Bleue (Blaue Nacht). Editions L'Atalante, collection Fusion 2021. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

    A lire en écoutant : Loreleï de Nina Hagen. Album : Angstlost. CBS Records 1983.

  • Magdalena Parys : Le Magicien. Tout disparaît.

    magdalena parys, le magicien, éditions agulloService de presse.

    Interroger l’histoire pour en retracer les contours sous la forme d’un roman noir afin de nous permettre d’appréhender, à hauteur d’homme, la perception que l’on peut avoir des événements historiques qui ont marqué un pays tout en aiguisant notre curiosité. Interroger l’histoire, c’est également l’occasion de faire en sorte de se remémorer les scories d’époques révolues qui paraissent si lointaines à un point tel qu’on en oublie les enseignements que l’on a pu en tirer à l’instar de ce mur de Berlin dont l’effondrement survenu il y a de cela presque trente ans, fait cruellement écho à cette velléité d’en ériger un nouveau, dans une autre contrée du monde. Des raisons idéologiques d’autrefois aux préoccupations économiques d’aujourd’hui, rien ne change puisque les victimes tentant de franchir cet obstacle sont sacrifiées au nom de volontés politiques complètement absurdes comme l’a évoqué Magdalena Parys avec 188 Mètres Sous Berlin (Agullo 2017) en mettant en lumière les enjeux stratégiques et les manipulations des différents services secrets des deux blocs séparant le monde et plus particulièrement l’Europe. Mais il n’existe pas de mur sans gardien et Magdalena Parys consacre son second roman, intitulé Le Magicien, aux opérations secrètes misent en place par les membres de la police politique de la Stasi contribuant au bon fonctionnement de la surveillance du rideau de fer avec pour conséquence l‘incarcération ou la disparition pure et simple de plusieurs milliers de citoyens tentant de fuir le régime communiste.

     

    En 2011, du côté Sofia, personne ne connaît les circonstances exactes de l’assassinat de Gerhard Samuel, photoreporter, qui enquêtait sur un ami disparu en 1980 à la frontière bulgare. Peut-être s’agit-il des mêmes personnes qui ne souhaitent pas que l’on fasse la lumière sur l’exécution des frères Seidel essayant de fuir le régime communiste de l’époque. Leur père, Burkhard Seidel en est persuadé, car depuis la mort de ses enfant, il n’a eu cesse de vouloir traduire les commanditaires politiques en justice en récoltant une impressionnante masse de documents et de photographies qui alimentent désormais son musée à la mémoire des victimes disparues en tentant de fuir les pays du bloc de l’est. Plus inquiétant encore, le corps de son principal pourvoyeur, Frank Derbach, est retrouvé sauvagement mutilé dans un immeuble abandonné à Berlin. Arrivé sur place, le commissaire Kowalski est rapidement écarté de cette enquête jugée bien trop sensible. Néanmoins, le policier tenace va poursuivre ses investigations en comptant sur l’aide de la belle fille de Gerhard, une journaliste désireuse de faire toute la lumière sur des événements douloureux de son passé. Ancien haut gradé de la Stasi et désormais politicien bien en vue, Christian Schlangenberger est également inquiet depuis qu’un expéditeur anonyme lui fait parvenir des photos où on le voit exécuter un opposant politique dans le cadre de l’opération secrète « Le Magicien » visant à éliminer les dissidents du régime communiste.

     

    Vengeance et culpabilité, sur fond de chantages et d’intimidations, animent l’ensemble des personnages de cet impressionnant roman où la réalité des opérations secrètes de la Stasi s’entremêle à la fiction d’une intrigue policière plus surprenante qu’il n’y paraît. Car en dépit des apparences, le terrible meurtre de Frank Derbach va révéler en toute fin de récit d’autres éléments permettant d’entrevoir tout un pan de la pâle humanité de personnages finalement bien plus vulnérables qu’on ne le croit. Extrêmement fouillée et extrêmement dense l’étude de caractère des différents protagonistes permet également de distinguer les péripéties des événements historiques qui ont marqué les différentes nations évoquées, que ce soit l’Allemagne bien sûr, et plus particulièrement Berlin, mais également la Pologne avec les révoltes ouvrières de Solidarność et la Bulgarie dans une moindre de mesure, théâtre d’un grand nombre d’exécutions de dissidents. C’est donc sur cette trame habile que Magdalena Parys tisse une intrigue solide imprégnée d’un fond historique passionnant quant à son impact sur la kyrielle de personnages animant ce roman politique au sens littéral du terme, qui ne manquera pas d’interpeller le lecteur. On prendra également plaisir à superposer le parcours de l’auteure sur quelques uns des protagonistes du roman à l’instar de Dragiwa, journaliste polonaise résidant à Berlin tout comme Magdalena Parys ce qui confère au récit une sensation de réalisme encore bien plus bouleversant.

     

    Mais outre l’intrigue et les personnages, on appréciera également l’atmosphère singulière émanant de ce roman complexe nous permettant de découvrir quelques lieux insolites et méconnus d’une ville de Berlin qui va se révéler toute aussi envoûtante que les protagonistes qui traversent le récit. Un immeuble décati du quartier populaire de Neukölln, squatté par la communauté Rom, abrite une scène de crime sordide tandis que l’appartement luxueux de la maîtresse de Christian Schlangenberger donne sur l’élégante Gendarmenplatz. L’opulent quartier de Zehlendorf abrite le somptueux restaurant Hertz situé au bord du lac Wannsee non loin de la villa du peintre Max Lieberman et de la villa Marlier où se déroula la conférence de Wannsee portant sur les modalités de la solution finale. Pourtant, loin d’être une espèce de catalogue touristique, ces lieux chargés d’histoire deviennent les décors pertinents de cette histoire alambiquée et originale à la fois, empruntant quelques tonalités mélancoliques en adoptant un rythme paisible qui pourra déconcerter les lecteurs en quête de récits trépidants.

     

    Diatribe politique imprégnée d’une intrigue policière employant quelques éléments propres aux romans d’espionnage, Le Magicien est un roman détonant qui s’emploie à dénoncer les exactions d’une effrayante institution policière dissoute en 1990 sans que leurs membres éminents ne soient réellement inquiétés puisque bon nombre d’entre eux détiennent, aujourd’hui encore, des responsabilités importantes au sein de l’appareil étatique allemand. Pertinent et édifiant.

     

    Magdalena Parys : Le Magicien (Magik). Editions Agullo 2019. Traduit du polonais par Magot Carlier et Caroline Raszka-Dewez.

    A lire en écoutant : Debussy & Ravel : String Quartets interprétés par le Orlando Quartet. 1983 Universal International Music. B.V.

     

  • Magdalena Parys : 188 Mètres Sous Berlin. Au bout du tunnel.

    Capture d’écran 2017-10-04 à 18.54.07.pngVoici l’histoire d’un autre monde, d’un autre univers où l’Europe se trouvait scindée en deux blocs avec pour emblème cette ville de Berlin enclavée au beau milieu de la République Démocratique Allemande. De cette époque je ne conserve que le souvenir de ce portfolio d’Enki Bilal, Die Mauer - Berlin (Futuropolis 1982) qui restituait en quelques planches à la fois poignantes et sinistres le bouleversement de ces femmes et de ces hommes séparés au nom d’une idéologie. Et puis il y a l’ouvrage de John le Carré, L’Espion Qui Venait Du Froid qui mettait en scène avec talent cette guerre que l’on disait froide. Plus de 25 ans après la chute du rideau de fer, Magdalena Parys nous propose avec 188 Mètres Sous Berlin de revenir, sur l’espace de trois générations, sur les évènements qui ont entouré cette abomination architectonique qui est devenue le quotidien presque ordinaire d’une population berlinoise déchirée et dont quelques citoyens ont tenté de s’affranchir par tous les moyens en construisant notamment des tunnels.

    Klaus picolait pas mal en vivant modestement dans un petit appartement à Berlin et il n’y avait plus grand monde qui se souvenait de son rôle dans la mise en œuvre d’un tunnel de 188 mètres qui passait sous le mur de Berlin. En 2000 lorsqu’il est retrouvé mort devant son domicile, l’enquête ne suscite guère d’intérêt à l’exception de son camarade Peter qui s’est mis en tête de rassembler témoignages et documents afin d’identifier l’assasssin. Dix ans d’investigations lui permettent d’avoir la certitude que la mort de Klaus est en lien avec la construction périlleuse de ce souterrain destiné à faire passer des réfugiés vers l’ouest et qu’il trouvera la réponse dans les confessions et souvenirs des membres qui ont contribué à sa conception. Et si toute cette aventure héroïque à laquelle il a participé avec tant de ferveur se révèlait moins altruiste qu’il n’y paraît ?

    Récit choral où la vérité des protagonistes se heurte à celle des autres, 188 Mètres Sous Berlin évoque ce miroir brisé dont l’ensemble des fragments ne reflètent qu’une réalité distordue à l'image  du jeu trouble de ces personnages aux apparences ordinaires qui se retrouvent projetés, parfois malgré eux, dans les méandres de l’histoire contemporaine allemande. Par le prisme de chacun des témoignages qui composent les six parties du roman, Magdalena Parys nous projette donc, avec beaucoup de finesse, au cœur des évènements marquants qui ont contribué à la création de ce sinistre mur en évoquant, dans un jeu complexe d’analepses, l’avènement et la chute du Troisième Reich ainsi que le quotidien de cette population est-allemande soumise au terrible dictat du gourvernement Honecker. Avec un texte à la fois habile et délicat, Magdalena Parys nous permet d’appréhender la profondeur des sentiments parfois ambivalents qui animent les différents personnages ainsi que leurs motivations parfois peu louables les poussant à s’engager dans une entreprise aussi périlleuse que l’élaboration d’un tunnel dans un environnement hostile où chaque citoyen devient un potentiel informateur de la tristement célèbre Stasi.

    188 Mètres Sous Berlin est un roman subtil, nécessitant une lecture attentive afin de pouvoir recouper les multiples points de vue permettant d’appréhender l’ensemble des enjeux qui tournent autour de Franz, cet étudiant énigmatique qui, une fois passé à l’Ouest, endosse une autre identité en prenant la direction d’un école avec une facilté déconcertante suscitant quelques interrogations. Ainsi, au gré d’une écriture très aiguisée, l’auteure bâtit une trame aussi impitoyable qu’élaborée où souffrances, séparations, déceptions amoureuses et autres trahisons ou manipulations en tout genre deviennent le quotidien d’un entourage qui ne peut percevoir les menaces venant de l’extérieur et notamment des agences gourvernementales qui se livrent une guerre aussi silencieuse qu’impitoyable.

    Troublant, raffiné, 188 Mètres Sous Berlin nous entraîne dans un climat de paranoïa propre aux romans d’espionnage tout en saisissant la dimension humaine d’une tragédie contemporaine caractérisant les grands romans noirs. Absolument saisissant.

     

    Magdalana Parys : 188 Mètres Sous Berlin (Tunel). Editions Agullo Noir. Traduit du polonais par Margot Carlier et Caroline Raszka-Dewez.

    A lire en écoutant : Berlin de Lou Reed. Album : Berlin. RCA 1973.

  • ANDREA MARIA SCHENKEL : LA FERME DU CRIME. CHRONIQUE VILLAGEOISE D’UNE MORT ANNONCEE.

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    C’est avec un fait divers se déroulant dans l’Allemagne rurale des années 50 que j’achèverai cette année 2014. Certes, la Ferme du Crime d’Andréa Maria Schenkel a été publié en 2008, mais ne suivant pas toujours l’actualité littéraire et ne subissant pas les contraintes des services de presse, je peux me permettre de farfouiller dans les rayonnages des librairies pour extraire quelques petites pépites qui sortent un peu de l’ordinaire. A bien des égards, l’ouvrage est emblématique des objectifs de ce blog qui tente, avec un succès relatif, de s’extraire des productions scandinaves ou américaines sur lesquels se concentrent les maisons d’éditions francophones. Pourtant, à l’instar des pays asiatiques ou hispaniques, l’Allemagne nous offre une palette d’auteurs de polars encore bien trop méconnus qui mériteraient d’avantage d’attention.

     

    La ferme isolée des Danner est le théâtre d’une tragédie qui secoue ce petit village d’Allemagne. Sous le choc, ce sont les voix des voisins, du curé, de l’instituteur et du maire qui témoigneront pour tenter de comprendre les raisons de l’horreur qui s’est déroulée au sein de leur communauté pourtant si dévote, marquée par les stigmates d’une guerre qui laisse encore la place à de coupables rancœurs.

     

    La Ferme du Crime est un roman très court qui alterne, au fil des pages, la narration d’un crime odieux et la dissection sociale d’un village allemand encore figé par les certitudes dogmatiques de la religion, de l’instruction et de l’autorité politique. Dans une ambiance oppressante, mais avec beaucoup de retenue Maria Andrea Schenkel nous décrit par bribe, le déroulement du drame en instaurant un certain suspense pour savoir qui seront les membres de la famille victimes de la tragédie. A mesure que l’on avance dans le récit, on décèle un malaise ambiant qui règne autour de ces protagonistes. Les non-dits inquiétants soulèvent des interrogations auprès de cette jeune fille de ferme qui vient de s’installer au cœur de cette famille taciturne. En contrepoint, l’auteur nous présente les différents témoignages des habitants du village qui tentent de dresser les circonstances du drame qui a frappé ce village d’apparence si tranquille. C’est par ce biais que Maria Andréa Schenkel nous brosse le portrait d’une Allemagne renaissante, mais encore fragilisée par les affres d’une guerre dont elle peine à se remettre. Par petites touches on découvrira cette industrialisation balbutiante qui dégarnit la campagne de sa jeunesse ainsi que les stigmates encore très présents laissés par les occupants. Les affects sentimentaux, sont également un des ressorts principaux qui alimente le roman notamment par le biais de la présence de ces travailleurs obligatoires français et des liaisons qui en ont découlées alors que les maris étaient partis au front.

     

    Comparé à De Sang Froid de Truman Capote, la Ferme du Crime ne s’intéresse que très peu à l’auteur du crime pour se focaliser, avec maestria, sur le tissu social qui compose ce village d’Allemagne qui, derrière un aspect communautaire très soudé, recèle son lot d’amertumes que le silence ne fait que renforcer au fil du temps qui passe en distillant ainsi tout une vague de frustration qui se transforme en haine.

     

    La Ferme du Crime est le premier ouvrage, que l’on peut considérer comme un coup de maître, d’Andréa Maria Schenkel qui a écrit trois autres romans, tous parus chez Babel Noir, que je vous ferai découvrir durant l’année 2015.

     

    Andrea Maria Schenkel : La Ferme du Crime. Editions Babel Noir 2008. Traduit de l’allemand par Stéphanie Lux.

    A lire en écoutant : Brahms. Piano Quartet Movement In a Minor. Album : The Villiers Piano Quartet. Etcetera 1989.