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MON ROMAN ? NOIR ET BIEN SERRE ! - Page 3

  • Bénédicte Dupré La Tour : Terres Promises. Retour au pays.

    IMG_0260.jpegDans le monde littéraire, chaque année fait l’objet d'une espèce de bruissement, d'une rumeur prenant de plus en plus d'ampleur autour de découvertes surprenantes et enthousiasmantes, ce d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un premier roman émanant, qui plus est, d’une maison d’éditions indépendante méconnue suscitant un engouement exacerbé à la lecture d’un catalogue misant davantage sur la qualité que la quantité. C’est dans ce registre que s’inscrivent les éditions du Panseur célébrant leur cinquième année d’existence avec une collection comprenant 21 ouvrages et se définissant comme « jeune maison d’éditions indépendante publiant des histoires pour rendre conte du réel » tout en comptant sur le réseau des librairies pour mieux se détourner des plateformes de vente en ligne. Et c’est dans ce contexte où le texte demeure le moteur essentiel de l’entreprise, qu’émerge Terres Promises, premier roman de Bénédicte Dupré la Tour qui a déjà écrit des scénarios pour sa sœur jumelle Florence, dessinatrice et autrice de nombreuses bandes dessinées. Que ce soit dans les médias, sur les réseaux ou tout simplement auprès de nombreux libraires et de critiques quels que soient leur statut, c’est peu dire que Terres Promises suscite un enthousiasme prégnant autour de ce qui apparaît peut-être comme une forme de western crépusculaire où la parole des femmes prend une place prépondérante ce qui n’a rien d’usuel pour un genre généralement bien trop tourné vers des figures masculines à l’image des romanciers et des réalisateurs qui se se sont majoritairement appropriés ce thème, même si quelques femmes comme Céline Minard ou Marion Brunet ont fait entendre leurs voix dans ce domaine avec un certain retentissement.

     

    Sur ces terres à prendre, sur ces terres promises, on y croise des autochtones et notamment Kinta, cette amérindienne défiant les hommes de son clan au grand dam de son fils qui va le lui faire payer. On y croise aussi Eleanor Dwight dans les bordels crasseux et enfumés de ces villes éphémères poussant soudainement dans cette fièvre de la ruée vers l'or où les hommes s'enchaînent à une cadence infernale pour assouvir leurs besoins les plus vils. Sur ces terres boueuses, on y croise Morgan Bell en quête du métal précieux qui le plonge dans la folie, cette folie qui s'empare également de Mary Framinger cherchant son fils soldat qui a disparu sur les champs de bataille alors qu’elle traine un lourd passif lors de son périple où le convoi de colons dont elle faisait partie s'est retrouvé bloqué, bientôt sans vivre, dans les montagnes enneigées. Sur ces terre promises, on y croise également Bloody Horse dont la jalousie vis à vis de son frère le pousse à trahir son clan. Non loin de là, dans les forêts, on y croise Rebecca Strattman partageant sa vie avec un homme des bois tout en se remémorant le destin de sa tante refusant de se marier et qui va en subir les conséquences. Arpentant ces terres promises, on y croise Nathaniel Mulligan, ce bonimenteur qui vous apportera peut-être un certain soulagement avec ses potions douteuses. Et puis à la veille de sa pendaison pour désertion, on y croise Elliot Burns écrivant quelques lettres destinées à ses proches.

     

    Au travers de ce titre aux consonances bibliques, se dessine la déconstruction d'un mythe s'inscrivant autour d'une promesse justifiant les massacres propre à cette conquête de territoires qui a généré toute la mythologie du western dont Bénédicte Dupré La Tour a pris soin d'expurger tout le vocabulaire qui lui est lié afin de mieux s'approprier l'accent crépusculaire dont elle fait état tout au long d'une intrigue s'articulant autour de huit personnages, comme autant d'archétypes propre au genre, qu'elle décline dans ce qui prend l'apparence d'une successions de nouvelles révélant pourtant, avec une redoutable habilité, les liens qui unissent ces individus au gré leurs parcours respectifs. Et puis avec un tel titre, Terres Promises ne fait pas l’impasse sur la foi et plus particulièrement sur la perte de celle-ci qui frappe d’ailleurs le père Nathaniel Mulligan sur lequel le récit s’achève, et dont devine qu’il apparaît sans doute très proche, sur cet aspect, de la trajectoire spirituelle de la romancière. Outre l'absence de vocabulaire lié au western, on ne trouvera aucune référence géographique en lien avec les lieux mythiques qui ont émaillé le genre, pas plus qu'une quelconque référence historique, même si l'on devine, en toile de fond, le rugissement de la guerre de Sécession sans qu'il n'en soit jamais fait mention, ainsi que cet échange de femmes blanches intégrant des tribus amérindiennes contre des chevaux et que Jim Fergus avait abordé dans son roman  Mille Femmes Blanches (Pocket 2004), ainsi que ce convoi de colons devenus cannibales par la force des choses en étant bloqués dans une contrée montagneuse et enneigée et dont Stephen King évoquait les mésaventures dans Shining (JC Lattès 2024). Mais à l'aune de ce dépouillement de tels artefacts propre au genre du western, que reste-t-il donc de cette épopée imprégnée de mensonges qui ont perduré dans le temps ? On dira de Terres Promises qu'il reste l'essentiel se déclinant autour de ces huit portraits où la violence et le désarroi imprègnent chacun d'entre eux tandis qu'ils évoluent dans cette atmosphère âpre de l'époque que Bénédicte Dupré La Tour restitue au gré d'un texte d'une force lyrique terrifiante qui donne à l'ensemble cet immense souffle de liberté permettant de s'affranchir définitivement de tous les stéréotypes qui ont enveloppé chacun des personnages de cette conquête de l'Ouest, ponctuée de nombreuses désillusions. Alors plus usuellement cantonnées dans les seconds rôles, c'est ainsi que les femmes s'emparent du devant de la scène à l'instar d'Eleanor Dwight, cette prostituée de saloon au parcours effrayant tout comme Kinta cette indienne remettant en cause certaines traditions de son clan. Il en va de même pour Mary Framinger, cette femme au coeur vorace, à la recherche de son fils ainsi que pour Rebecca Strattman compagne de trappeur et à qui son corps n'appartient plus vraiment. Il émerge ainsi de ces différents portraits, un désespoir immense qui nous désarçonne tant dans la fureur que dans la détresses parfois issues de ce sentiment d'exil qui ronge certains des personnages à la conquête de ces Terres Promises imprégnées de colère et de sang. Dans ce contexte, il faut également relever le désarroi des hommes qui ne sont pas en reste dans tout ce qui a trait à la violence paraissant les consumer de l'intérieur, parfois jusqu'à la folie, parfois jusqu'à la mort, tandis qu'ils arpentent ces territoires que Bénédicte Dupré La Tour dépeint avec une redoutable sobriété afin de restituer la force de cette beauté sauvage. Tout cela se met en place au détour d'une trame narrative saisissante aux ellipses subtiles tandis que la temporalité joue un rôle important dans cet impressionnant chassé-croisé de personnages qui font de Terres Promises un roman d'une noirceur implacable à nul autre pareil.  

     

    Bénédicte Dupré La Tour : Terres Promises. Éditions du Panseur 2024.

    A lire en écoutant :  You Will Be My Ain True Love de Alison Krauss. Album : A Hundred Miles or More: A Collection. 2007 Rounder Records.

  • STEPHEN MARKLEY : LE DELUGE. L'EXODE CLIMATIQUE.

    stephen markley,le déluge,éditions albin michel,terres d'amériqueIl y a les rapports du GIEC, les travaux scientifiques, les reportages et bien évidemment l'actualité mettant en relief les implications du dérèglement climatique sans que l'on ne réalise véritablement les conséquences qui vont marquer durablement l'ensemble des nations, bien au-delà de cette notion triviale des frontières. La littérature n'est pas en reste avec bon nombre de romans s'inscrivant dans un registre apocalyptique faisant froid dans le dos illustrant ces catastrophes climatiques qui frappent déjà la plupart des pays avec une intensité de plus en plus accrue. On dit de ces ouvrages qu'ils prennent la forme d'une dystopie puisqu'ils se projettent sur une notion d'avenir où l'on s'immerge dans la chaos d'un monde désormais ravagé par les affres d'une succession de désastres aussi impitoyables qu'immuables. Le Déluge, dernier roman de Stephen Markley que l'on avait découvert avec Ohio (Albin Michel 2020), portrait saisissant d'une Amérique désenchantée et marquée par le 11 Septembre et la succession de guerre qui s'ensuit, se démarque de cet aspect dystopique car il s'inscrit fermement dans notre présent pour ensuite nous offrir une déclinaison de ces enchaînements de combats afin de lutter tant contre les ravages de ces catastrophes "naturelles" frappant notamment les Etats-Unis que contre les lobbys et autre forces politiques et industrielles persistant à rester dans un statu quo aussi aveugle que meurtrier. Autant dire qu'il s'agit là non plus d'un portrait, mais d'une gigantesque fresque romancée de plus d'un millier de pages, issue d'un travail de plus d'une dizaine d'années pour compiler les données que l'auteur, mais également le journaliste qu'il est, a recueilli auprès des différents experts, quels que soient leurs statuts, qui se penchent sur cette question essentielle de l'avenir de notre planète asphyxiée par les émissions excessives de dioxyde de carbone qui saturent notre atmosphère.

     

    En 2013, le scientifique Tony Prietus a la mauvaise surprise de recevoir des lettres de menace suite à la publication de son ouvrage choc sur le dérèglement climatique en prophétisant le chaos à venir et qui rencontre pourtant un profond scepticisme imprégné d'un certain déni auprès de ceux persistant à s'arroger le droit de poursuivre l'exploitation outrancière des ressources planétaires. Impuissant, il observe les super typhons, les inondations et les mégafeux ravageant le pays tandis que se succèdent les thèses complotistes antiécologiques ainsi que des lois de surveillance contraignantes pour canaliser la colère de citoyens démunis par la violence de plus en plus exacerbées face au chaos précipitant l'humanité au bord du gouffre. Tony Prietus va ainsi croiser sur sa route Asher, expert génial de l'analyse prédictive ainsi que Kate militante écologiste devenue l'égérie de toute une génération. Il va aussi devoir se confronter à Jacquelyn, publicitaire efficace du greenwashing auprès des industriels et entrepreneurs qu'elle représente tandis que le Pasteur, ancien acteur épousant désormais la cause de l'ultra droite, devient la figure de proue d'un mouvement intégriste prenant de plus en plus d'ampleur. Keeper lui se fout pas mal de toutes ces considérations et s'intéresse davantage à la manière dont il va financer sa dose alors que Shane prend des mesures plus radicales en organisant des actions pour le compte d'une mystérieuse organisation écoterroriste bien décidée à lutter coûte que coûte contre tous ceux qui contribuent au dérèglement climatique en cours.

     

    Avec Ohio, on avait été assez surpris de la minutie et de la densité d'un texte où la trame narrative subtile se dessine au gré des rencontres et des personnalités des différents individus dessinant le paysage d'un pays désenchanté dont on retrouve certains aspects avec Le Déluge qui prend l'allure d'une fresque ambitieuse virant parfois au manifeste qui n'a rien d'ennuyeux, bien au contraire, mais qui perturbe le rythme d'un récit demeurant pourtant captivant, même si Stephen Markley cède parfois aux trémolos hollywoodiens à l'instar des sentiments entre Kate Morris, cette militante écologiste emblématique et son petit ami Matt qui l'accompagne tout au long de l'élaboration de son ONG Fierce Blue Fire et dont on adopte le point du vue pour observer l'émergence de cette femme de caractère aux avis bien tranchés. Il n’en demeure pas moins que l’ouvrage, s’étalant sur près de quatre décennies entre 2013 et 2040, prend une dimension vertigineuse au détour de ce qui apparaît comme un scénario crédible, issu des innombrables entretiens que Stephen Markley a pu avoir avec les différents acteurs qui se sont penchés sur les conséquences du dérèglement climatique et qu’il a donc mis en scène avec une remarquable précision et un admirable équilibre où il décline avec autant d’aisance les enjeux politiques et scientifiques dont s’emparent les multiples factions en présence bien déterminées à s’affronter en employant tous les moyens à leur disposition. On observe ainsi l’évolution des différents protagonistes ainsi que les confrontations qui en découlent résultant de leurs convictions respectives qui varient parfois en fonction des catastrophes dantesques auxquelles ils doivent faire face et que Stephen Markley présente avec une certaine sobriété qui n’en demeure pas moins saisissante à l’exemple de ce feu dantesque qui ravage la ville de Los Angeles ou de cette tempête démesurées touchant l’ensemble de la côte est des Etats-Unis. Ce sont ces déchainement des éléments qui deviennent les moteurs d’une intrigue extrêmement prenante où l’on distingue l’enchaînement des conséquences économiques et politiques qui frappent le pays mais également le reste de la planète et dont on prend connaissance au gré des dépêches et des encarts médiatiques qui entrecoupent les différentes périodes du récit. On perçoit ainsi les perspective de ce chaos annoncé comme cet effondrement de l'immobilier au bord des côtes amenées à disparaitre avec la montée des eaux et qui est étroitement lié aux banques et aux assurances désormais menacées par des faillites en cascade. Chacun trouvera donc son compte dans cette effroyable perspective climatique qui devient donc, par la force des choses, l'enjeu de toutes les luttes prenant parfois une tournure extrême et clandestine comme on le constate en suivant le parcours de Shane, membre fondateur de la cellule terroriste 6Degrees, en percevant notamment cette parano et cette solitude imprégnant la vie de chacun d'entre eux alors que les actions visant à détruire des infrastructures prennent une tournure meurtrière en s'en prenant aux acteurs responsables du dérèglement climatique. Ce sont probablement les chapitres les plus intenses du roman, ce d'autant plus que Stephen Markley a inséré des encarts au sein du texte où l'on perçoit la pensée de ces individus au gré de leurs échanges avec les autres membres du groupuscule terroriste qui nous rappelle celui des Weathermen qui avaient défrayé la chronique dans les années 70. On le voit, Le Déluge est donc un roman d'une impressionnante richesse tant dans sa diversité que dans le développement d'intrigues multiples nous permettant d'avoir une vision exhaustive et tragiquement réaliste des conséquences de plus en plus brutales d'un changement climatique qui n'épargne plus personne. Un roman tout simplement vital qu'il faut lire impérativement.

     

     

    Stephen Markley : Le Déluge (The Deluge). Editions Albin Michel/Collection Terres D'Amérique. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé.

    A lire en écoutant : Révélations de Nicolas Britell. Album : The Underground Railbord: Volume 3 (Original Séries Score). 2021 Lakeshore Records.

  • Richard Krawiec : Croire En Quoi ? Travailler encore.

    IMG_0131.jpegDurant les dernière années de sa vie, le romancier Robert-Louis Stevenson s'installe à Vailima sur les îles Samoa où les habitants l'appellent Tusitala, terme désignant le conteur d'histoire emblématique qu'il est devenu et qui est également le nom que porte une espèce d'araignées, raison pour laquelle figure un logo stylisé de l'arachnide sur les couvertures des ouvrages de la maison d'éditions indépendante Tusitala installée entre Paris et Bruxelles et qui a pour vocation de transmettre avec beaucoup de conviction la trentaine d'ouvrages que compte le catalogue depuis sa création en 2013. Outre l'importance apportée au texte et qui plus est à la traduction afin de transmettre des récits de qualité, fortement ancrés dans l'aspect social et politique au sens global du terme, on appréciera le soin apporté à la charte graphique extrêmement élaborée accompagnant l’ensemble des ouvrages de cette belle entreprise qui se préoccupe de chaque maillon de la chaîne du livre dans une logique de transmission où le savoir-faire de chacun demeure la valeur primordiale pour donner vie à cet objet précieux qu'est le livre. Si vous vous penchez sur les romans de la collection, vous y trouverez Jacqui du plus que légendaire Peter Loughran qui est également l'auteur du roman-culte Londres Express (Série Noire 1967). On peut également découvrir trois romans de Larry Fondation, auteur à la fibre sociale exacerbée qui fut journaliste avant de travailler comme médiateur social à Los Angeles dans les quartiers sud ainsi que du côté de Compton et d’en restituer certains aspects au gré d’une oeuvre engagée. C'est d’ailleurs le romancier californien qui présente son camarade Richard Krawiec qui va entamer ainsi une longue et belle collaboration avec la maison Tusitala publiant tout d’abord Dandy (Tusitala 2013) qui rencontre un certain succès en France suivi de Vulnérables (Tusitala 2017) et de Paria (Tusitala 2020) inédits aux Etats-Unis, son pays d’origine, ainsi que Les Paralysés (Tusitala 2022) s'inscrivant tous dans une dimension sociale implacable qu'il connait bien puisqu'il en est issu et qu'il s'attache à dépeindre avec cette justesse sobre rappelant les romans de Jack London ou de John Steinbeck. La collaboration entre Tusitala et Richard Krawiec est d'autant plus forte, qu’il faut savoir qu’après Paria, le romancier américain songeait à abandonner l’écriture avant de découvrir l’engouement des lecteurs des régions francophones où il est davantage reconnu à l’instar d’auteurs comme Benjamin Whitmer ou James Ellroy. Et alors que son précédent roman Les Paralysés se déroulait durant les années 70, son dernier ouvrage Croire En Quoi ? prend pour cadre la ville de Pittsburgh des années 80 de l'ère Reagan en suivant les affres d’une famille de cette classe laborieuse se débattant pour survivre après la fermeture d’une usine laissant tous les ouvriers sur le carreau.

     

    A Pittsburgh, les usines ferment à la fin des années 80 en renvoyant ainsi des centaines d’ouvriers contraints de rentrer chez eux avant de pointer au chômage. Mais même s’il se rend bien compte que la ville prend un virage économique dont il ne fait pas partie, Timmy s’accroche à la moindre bride d’espoir et s’emploie par tous les moyens à nourrir sa famille tout en tentant de rester digne. Dans ce marasme, Pat, son épouse, se débat sur tous les fronts pour faire en sorte de prodiguer des soins à sa fille Katie qui est handicapée depuis qu’elle a subi une lésion cérébrale aux conséquences irréversibles. Mais comment peut-on faire lorsque l’on constate qu’il n’y a aucun échappatoire pour se soustraire à cette dèche qui s’accroche à vous comme une marque indélébile au fer rouge de la misère ? Et vers qui s’adresser lorsque les syndicats, les associations, les collectivités et les politiques vous tournent le dos avec cette sensation tenace de ne plus croire en rien et de ne compter pour personne, même au sein de sa propre famille qui se disloque sans que l’on ne puisse rien faire ? Mais peut-être que la maire de la ville pourra faire quelques chose ? En tout cas Jimmy, accompagné de son pote Gerry, va tout faire pour la convaincre de leur trouver du boulot.

     

    Que ce soit avec la multitude de jobs qu’il a effectué et les innombrables activités pour lesquelles il s’est engagé à l’exemple des ateliers d’écriture pour les prisonniers ou du bénévolat pour l’accueil de réfugiés, Richard Krawiec est un romancier, poète et éditeur résolument tourné vers les autres ce qui explique sans doute la richesse de son écriture engagée. Et parmi ses expériences de vie, figurent les séances de patterning auxquelles il a participé pour des enfants handicapés suite à des lésions cérébrales et dont il dépeint le déroulement en quelques lignes en guise d’introduction avant le début du roman Croire En Quoi ? lui permettant de faire un clin d'oeil à quelques personnes de son entourage qui lui sont chères. Et si l'on prend également en considération le fait que le romancier a vécu une partie de sa vie à Pittsburgh, on comprendra que le récit s'inscrit dans une trame ultra réaliste qui s'articule autour du quotidien ordinaire de cette famille qui se désagrège dans les difficultés auxquelles ils doivent faire face au sein d'une ville qui devient hermétique à leur détresse et dont Richard Krawiec dépeint les délitements sociaux avec une sobriété crue qui n'est pourtant pas dépourvue d'une certaine forme de lyrisme sans afféterie. A partir de là, la forme narrative se décline sur une alternance du "je" incarné par Pat et du "il" que Timmy endosse avec cette nuance des perceptions et du désarroi entre deux parents tentant de faire face aux difficultés et plus particulièrement à cette violence sociale qui les frappe de plein fouet en touchant également leurs enfants que ce soit Katie avec son handicap mais également Ellen, la fille cadette souffrant d'un manque d'attention. On observera ainsi les milles et une petites mesquineries dont font l'objet Pat et Timmy à l'instar de l'attitude des employés de l'office du chômage ou de la défiance du voisinage n'appréciant guère que ces parents inconscients, selon eux, persistent à prendre en charge leur fille dont on ignore l'origine de la maladie en craignant une éventuelle infection du SIDA. Sur ce registre d'une violence sociale impitoyable, Richard Krawiec bâtit son intrigue en empruntant quelques codes du roman noir avec cette confrontation entre Timmy et la maire de Pittsburgh prenant une allure burlesque qui demeure pourtant très réaliste en soulignant la maladresse de cet homme quelle que soit la démarche qu'il entreprend. Mais la noirceur se conjugue avec la lumière que Richard Krawiec projette parfois à l'exemple des réminiscences de la rencontre entre Pat et Timmy ou des déambulation de ce dernier dans les rues de la ville prenant parfois une tournure poétique, tout comme ces instants d'une complicité et d'un espoir diffus que l'on perçoit chez une mère refusant de baisser les bras face à la maladie qui touche sa fille, ou comme ces moments d’amitié entre deux femmes surmontant leurs rancoeurs respectives qui les ont divisées. Ainsi Croire En Quoi ? décline la réponse du titre dans l'indicible luminosité d'un espoir vain permettant pourtant à ce couple de surmonter les affres d'un vie sans fard que Richard Krawiec dépeint avec une humanité émergeant de chacune des pages d'un texte qui vous pulvérise sur place.

     

     

    Richard Krawiec : Croire En Quoi ? (Faith In What ?) Editions Tusitala 2024. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anatole Pons-Reumaux.

    A lire en écoutant : Les Mains D'Or de Bernard Lavilliers ((avec Balbino Medellin) . Album : Enregistrement au Grand Rex. Barclay 2005.