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MON ROMAN ? NOIR ET BIEN SERRE ! - Page 3

  • TIM DORSEY : FLORIDA ROADKILL. TORTUES ET PELICANS.

    tim dorsey,florida roadkill,éditions rivagesS'il est né dans l'Indiana, sa terre d'adoption a toujours été la Floride où il a tout d'abord travaillé comme journaliste du côté de Tampa, puis de Tallahassee avant de se lancer dans l'écriture en publiant 26 romans noirs mettant en scène Serge A. Storms, le plus barré des tueurs psychopathes qui s'inscrit dans la lignée de ces personnages floridiens décalés qui peuplent les récits de John D. MacDonald ou de Carl Hiassen qui surgit d'ailleurs dans l'un de ses ouvrages déjantés. Tim Dorsey apparaît donc comme un auteur singulier et détonant que l'on découvre en 2000 avec la publication en français de Florida Roadkill qui figure dans l'emblématique collection Rivages/Noir en compagnie de six autres opus de la série qui n'ont malheureusement pas rencontré leur public en dépit de la véhémente insistance d'un blogueur afficionados de l'auteur qui ne s'est toujours pas remis de cette immersion dans un univers aussi hilarant que tonitruant. Et si l'on veut avoir une idée de la personnalité du romancier, on s'attardera sur la photo de son profil Facebook cet aspect cocasse qui émerge de ses textes. Mais au-delà de l'aspect désopilant de ses textes qui vous feront rire aux éclats, à moins d'avoir subi une lobotomie, on ne manquera pas d'apprécier la redoutable et énergique capacité de narration de Tim Dorsey qui vire parfois vers un surréalisme hilarant ainsi que le véritable cri d'amour à l'égard de la Floride dont il distille certains pans de son histoire et de sa culture sur un registre tout aussi survolté, tout en nous sensibilisant sur la préservation tant du patrimoine que de la nature, faisant notamment l'objet d'une convoitise immodérée des promoteurs immobiliers de la région et de leurs partenaires qu'il fustige allègrement, c'est le moins que l'on puisse dire, au gré d'un humour au vitriol.

     

    tim dorsey,florida roadkill,éditions rivagesOn dit de lui qu'il est un obsessionnel-compulsif, maniaco-dépressif, rétenteur anal, paranoïaque et schizophrène qui se révèle également extrêmement érudit notamment pour tout ce qui a trait à la Floride où il a toujours vécu. Pourtant durant son incarcération Serge A. Storms s'est merveilleusement bien entendu avec Coleman un junkie complètement abruti qu'il a pris sous son aile à sa sortie de prison. Ne s'embarrassant pas trop de la morale, les deux compères acceptent de prendre part à cette formidable escroquerie à l'assurance que la sculpturale Sharon leur propose afin d'assouvir leur train de vie plus que dissolu avec notamment une consommation immodérée de substances illicites. Mais le projet tourne court et voilà que le trio se lance à la poursuite d'une mallette contenant cinq millions de dollars en sillonnant les routes pour se rendre jusqu'aux Keys en croisant de près ou de loin le séducteur le plus maudit de la région, l'assureur le plus véreux de l'état, le cartel le plus minable du pays, le groupe de motards le plus nul du monde et le propriétaire de camping le plus odieux de l'univers. Mais quoi qu'il advienne, rien n'empêchera Serge le psychopathe de regarder les matchs baseballs des World Séries quitte éliminer, avec une inventivité sans égale, tous les obstacles qui se présentent à lui. Et autant dire qu'ils sont bien nombreux.  

    tim dorsey,florida roadkill,éditions rivagesSi les récits de Tim Dorsey prennent une forme outrancière, on notera que la seule faute de goût de l’auteur réside dans le fait de nous avoir quitté prématurément en 2023 à l’âge de 62 ans en laissant désormais orphelin Serge A. Storm et la kyrielle d’individus fantasques qui l’ont accompagné durant toute la série d’aventures déjantées et burlesques dont les ressorts comiques frisent le génie. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Florida Roadkill n’a rien d’un roman foutraque qui partirait dans tous les sens, sans aucune maîtrise. Bien au contraire, on relèvera le sens aigu de la mise en scène de l’auteur qui réussit à contrôler l’ensemble des intrigues éparses du roman afin de faire en sorte d’arriver à une formidable conjonction des événements qui s’emboîtent à la perfection au gré d’une course poursuite finale décapante. S’il présente tous les aspects du serial killer, on apprécie chez Serge A. Storm le choix de ses victimes ainsi que son inventivité dans la manière de les éliminer qui ne manquera pas de réjouir les lecteurs avec ce sentiment d’exutoire qui émerge en permanence. Il faut dire qu’elles sont gratinées les crapules odieuses qui côtoient ce tueur redoutable qui n’est pas dénué d’un certaine sensibilité notamment à l’égard de l’environnement qui l’entoure et qu’il entend bien préserver à sa manière, tout en tenant compte de ses intérêts et de ceux de Coleman, son abruti d’acolyte qui l’accompagne durant toutes ses aventures de Tampa, jusqu’au bout des Keys. Mais Florida Roadkill, c’est aussi l’occasion de présenter les différents aspects méconnus et décalés du Sunshine State que ce soit les bars les plus originaux qui existent vraiment et que ses protagonistes fréquentent au gré de circonstances parfois complètement farfelues, ou que la librairie de Haslam que Jack Kerouac fréquentait assidûment et qui a malheureusement mis la clé sous la porte en 2020. Et puis on apprécie véritablement ces portraits d’individus hors-normes ainsi que leurs parcours chaotiques tout en mettant en exergue, sur un registre extrêmement féroce, les dysfonctionnements sociaux d’une région magnifique suscitant certaines convoitises redoutables que Tim Dorsey dépeint avec cette ironie mordante qui le caractérise. Ainsi, Florida Roadkill  se révèle être un roman noir faisant également office de guide touristique aussi déjanté qu’hilarant qui s’inscrit dans la dimension d’une originalité résolument hors-norme.

    Tim Dorsey : Florida Roadkill (Florida Roadkill). Traduit de l'anglais (Etat-Unis) par Laetitia Devaux. Editions Rivages/Noir 2017. 

    A lire en écoutant : Hot Stuff de The Rolling Stone. Album : Black and Blue. 2012 Promotone B.V.

  • Frédéric Paulin : Rares Ceux Qui Echappèrent A La Guerre. Prise d'otage.

    frédéric paulin,rares ceux qui échappèrent à la guerre,éditions agulloService de presse.
     
    Outre l'énormité du travail d’écriture de l'auteur, c'est également autour du processus de la publication qu'il faut saluer l'activité de la maisons d'éditions Agullo qui nous a permis d'absorber en l'espace d'une année et demi, la trilogie Tedj Benlazar, du nom de cet agent actif (et fictif) de la DGSE que l'on suit, sur l'espace de plus de deux décennies, dans sa lutte contre le terrorisme dont Frédéric Paulin a dressé le panorama entre les années 90 marquées par la guerre civile en Algérie, dont le conflit s'exporte sur le territoire français, pour se poursuivre avec les attentats du 11 septembre 2001 avant de s'achever sur les événements qui ont frappé Paris le 15 novembre 2015. Dès lors, le défi consistait  à effectuer le découpage à la fois cohérent et équilibré d’un texte d’une intensité considérable où la fiction s’agrège à la réalité des faits historiques qui ont jalonné cette époque tout en permettant aux lecteurs d’assimiler l’ensemble du champ narratif extrêmement complexe dont il faut se remémorer les différents aspects sur l’espace de périodes plus ou moins longues ponctuant les différentes publications. Après avoir abordé le terrorisme islamiste avec une telle pertinence qui a marqué tous les esprits, il faut bien avouer qu'il y avait de quoi s'enthousiasmer lorsque l'on a appris que Frédéric Paulin allait se concentrer sur cette période sombre de la guerre civile au Liban dont on a tous quelques souvenirs épars et parfois marquants sans pour autant avoir saisi toute la nature des enjeux qui ont entouré ce conflit chaotique où des termes étranges émergeaient parfois des dépêches. On pense aux milices du Hezbollah, aux phalanges chrétiennes, à Tsahal, au poste Drakkar, tout en se remémorant certains lieux comme Beyrouth bien sûr et plus particulièrement certains quartiers ou camps de réfugiés comme Sabra et Chatila, sans parler des attentats sur le sol libanais mais également en France ainsi que ces otages dont les portraits apparaissaient quotidiennement en préambule du journal télévisé. On retrouve bien évidemment tout cela, et bien plus encore, dans le premier opus intitulé Nul Autre Ennemi Que Mon Frère (Agullo 2024) en faisant figure d'événement littéraire lors cette rentrée de l'automne 2024 tant la réputation de Frédéric Paulin n'est pas usurpée quant à sa capacité à faire coïncider, de manière parfaite, ses personnages de fiction dans la réalité des événements qui ont jalonné l'époque qu’il dépeint et que l'on assimile avec une aisance désarmante tant l'écriture est précise et rigoureuse. A partir de là, c’est peu dire que l’on attendait, avec une certaine fébrilité, le second volume de cette trilogie annoncée, intitulé Rares Ceux Qui Echappèrent A La Guerre, titre évocateur s’il en est, de la dégradation d’un conflit prenant de plus en plus d’ampleur en dépassant les frontières du Liban et dont le romancier va mettre en évidence les contours complexes ainsi que les enjeux sous-jacents et sinueux qui vont avoir un impact jusqu’au plus haut niveau des instances du gouvernement français.
    Emporté par l’intensité de cette fresque sombre, on notera avec satisfaction que la maison d’éditions Agullo a opté pour un rythme de parution encore plus soutenu, avec un intervalle de six mois entre les volumes formant la trilogie que Frédéric Paulin a rédigé d’une traite, en nous permettant ainsi de soulager quelque peu la fébrilité de l’attente et de garder en mémoire les différents éléments de l’intrigue, tout en sachant que le roman final, intitulé  Que S’Obscurcissent Le Ciel Et La Terre, paraîtra à l’occasion de la rentrée littéraire de l’automne 2025.

     

    23 octobre 1983. Le moins que l'on puisse dire c'est que le commandant Dixneuf, rattaché à l'ambassade française de Beyrouth, est sur la sellette en tant qu'agent de la DGSE qui doit rendre des comptes quant aux manquements des services du renseignement qui n'ont pas été en mesure d'éviter l'attentat du poste Drakkar faisant près de soixante victimes au sein du contingent de soldats français déployés dans la ville. Ainsi, la France devient partie prenante de la guerre civile qui ravage le Liban et ce n'est pas Phillipe Kellermann, officiant comme conseiller après du président Mitterand sur les sujets du Moyen-Orient, qui dira le contraire en apprenant que son fils fait partie des disparus. Mais du côté du Hezbollah, on change déjà de tactique en confiant à Abdul Rassal al-Amine la mission de  prendre en otage tout d'abord un ressortissant américain avant de cibler des citoyens français qui vont alimenter l'espace médiatique durant plusieurs années ainsi qu'un certain clivage politique quant à la façon de mener à bien cette résolution d'un conflit qui s'enlise dans la violence. Mais l'enjeu de la libération des otages, c'est également une opportunité pour l'opposition de s'emparer du pouvoir que Michel Nada désormais candidat aux législatives et proche de Charles Pasqua, va saisir en s'éloignant ainsi définitivement des membres de sa famille restés à Beyrouth pour défendre la cause chrétienne. Et tandis que l'on s'entredéchire sur le sujet, c'est désormais une vague d'attentats et d'exécutions, portant la signature d'Action Directe et du Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient, qui frappe Paris et la province. 

     

    Autant dire que l'on est dans la continuité de ce qui s'avère être l'une des lectures les plus passionnantes de ces dernières années, sans pour autant vouloir surenchérir, parce qu'il est évident que les qualificatifs visant à définir les textes de Frédéric Paulin perdent finalement de leur substance dans un amalgame de louanges trop outrancières qui n'ont plus beaucoup de sens. Plus parfait que la perfection ? Plus exceptionnel que le récit d'exception ? C'est à voir et à débattre, mais peut-être faudra-t-il s'arrêter sur la notion de chef-d'œuvre quitte à être audacieux pour qualifier avec un enthousiasme bien légitime les deux premiers opus de cette trilogie consacrée à la guerre civile du Liban durant les années 80 et dont on saisit avec une facilité assez déconcertante tout le panorama de l'époque. Portant sur la période de 1983 à 1986, Rares Ceux Qui Echappèrent A La Guerre se focalise sur l'aspect sombre des otages détenus au Liban et bien évidemment sur les enjeux qui en découlent, que ce soit les négociations entre le Liban et la France, mais également la lutte de pouvoir trouble entre le gouvernement socialiste de Mitterand à l'opposition conduite par Chirac et Pasqua en saisissant ainsi certains aspects peu reluisants des officines politiques, quel que soit leur bord. Dans ce contexte, on notera une présence plus marquée en France, puisque Frédéric Paulin évoque également toute la série d'attentats à l'explosif perpétrés dans les différents quartiers de Paris en faisant une multitude de blessés et de morts. A partir de là, il est évident que la tension narrative est permanente, ce d'autant plus que le romancier prend soin de décliner son récit sur un registre aussi sobre qu'efficace sans qu'il n'y ait d'ailleurs aucune notion de jugement, même si l'on peut ressentir parfois le désarroi de certains des personnages et plus particulièrement de la juge Sandra Caillaux et de son mari le commissaire Nicolas Caillaux qui tentent d'endiguer cette vague d'attentats tout en composant avec les instances politiques ainsi qu'avec les services de renseignement qui ne leur facilitent pas forcément la tâche. Et comme à l'accoutumée, on retrouve cette homogénéité de la fiction et de la réalité des événements en nous permettant de les percevoir au gré d'une dimension beaucoup plus humaine qui n'est pas dénuée d'émotions tout en nous donnant l'occasion de distinguer parfois certains revers des épisodes tragiques qui ont jalonné cette période extrêmement sombre et trouble. Mais ce qu'il émerge peut-être davantage dans le cours de cette nouvelle trilogie, c'est la densité des personnages fictifs dont on apprécie les failles et parfois même les doutes qui transparaissent parfois dans leurs rapports avec leurs proches que ce soit le commandant Dixneuf avec son père, Philippe Kellerman marqué par le deuil de son fils, mais surtout d'Abdul Rassal al-Amine chef d'un groupe de miliciens du Hezbollah au Liban qui n'est pas complètement dupe et qui entretien une relation trouble avec Zia, devenue à sa manière une combattante active au sein du mouvement. Ainsi, l'ensemble de cette galerie de personnages fictifs devient le fil conducteur des multiples intrigues qui s'entrecroisent sur un registre certes complexe, mais qui demeure pourtant extrêmement limpide tant Frédéric Paulin maîtrise l'ensemble de son sujet dont on saisit au final tous les éléments avec certaines révélations aussi édifiantes que saisissantes qui vont marquer les lecteurs. De cette manière, Rares Ceux Qui Echappèrent A La Guerre s'inscrit, comme le volume précédent, parmi les romans essentiels qu'il faut lire afin d'intégrer certains aspects du monde qui nous entoure tout en s'immergeant dans le coeur d'une intrigue absolument fascinante.

     

     

     


    Frédéric Paulin : Rares Ceux Qui Echappèrent A La Guerre. Agullo 2025.

    A lire en écoutant : Once In A Lifetime de Talking Head. Album : Stop Making Sense. 1984 Emi Records Ltd. 

  • MICHELE PEDINIELLI : UN SEUL OEIL. SOCCA SAIGNANTE.

    michèle pedinielli,un seul oeil,éditions de l'aubeService de presse.

     

    Le personnage de détective privé dans les polars est incarné la plupart du temps par un homme comme en témoigne les plus emblématiques d'entre eux tels que Sherlock Holmes, Hercule Poirot, Philip Marlowe ou Sam Spade. Il en va de même pour l'enquêteur libertaire qu'incarne Nestor Burma, Eugène Tarpon ou Gabriel Lecouvreur, ceci même si l'on peut citer quelques exceptions à l'instar d'Angie Gennaro qui travaille avec Patrick Kenzie dans la série des six romans policiers de Dennis Lehane. Mais de manière générale, pour ce qui est des femmes, celles-ci sont cantonnées irrémédiablement au rang d'amatrice comme en atteste Miss Marple ou Imogène McCarthery pour celles et ceux qui se souviennent encore des romans de Charles Exbrayat. Sans doute que le phénomène #MeToo n'y est pas étranger, mais il faut attendre l'année 2018 pour voir débarquer la détective privée niçoise Ghjulia Boccanera qui va prendre une place prépondérante parmi les personnages de fiction occupant cette fonction jusque-là dévolue aux hommes et qui va bousculer tous les codes, puisque cette cinquantenaire insomniaque qui carbure exclusivement à l’eau et au café, n'emploie pas d'arme, se fringue avec ce qu'elle trouve dans son armoire à savoir pantalons, t-shirts et pulls noirs de préférence, pour chausser exclusivement des Doc Martens lui permettant d'arpenter les rues sinueuses de la vieille ville de Nice où elle a ses habitudes. Et puis il y a ce caractère entier et ces convictions fortes l'entraînant dans des investigations prenant pour cadre les injustices sociales de son environnement dont elle tente, tant bien que mal, de faire tomber les barrières avec un regard qui n'est pas dénué d'un certain humour mordant. Une femme de notre époque qui se débat pour surmonter les aléas d'une vie qui ne l'épargne pas mais qui fait toujours preuve d'une générosité et d'une humanité sans faille à l'égard des siens, en dépit des doutes qui l'assaille comme on peut le voir au détour des cinq romans qui composent désormais la série qu'il faut aborder dans l'ordre chronologique afin de saisir l'ensemble de la trajectoire de cette détective privée peu commune qui a inspiré des émules comme la fille du Poulpe, nouvelle série où l'on découvre Gabriella digne héritière de Gabriel Lecouvreur qui commence à prendre de l'âge.


    Sale temps pour Ghjulia Boccanera qui doit faire face à une succession d'événements tragiques qui touchent les membres de son entourage. Tout d'abord, il y a Dan, son coloc, son ami de toujours, que l'on retrouve inconscient dans sa galerie de photos et dont on soupçonne qu'il ne s'agit pas d'un accident ce d'autant plus qu'ils avaient tous deux reçus un message de menaces anonymes. Mais la police n'a que peu de temps à consacrer à cette affaire depuis que la compagne du commandant Jo Santucci a fait l'objet d'une violente agression. Alors pour savoir qui s'en est pris à son ami, la détective privée va se lancer dans une enquête chaotique en s'appuyant sur un agent des renseignements désireux de découvrir celui qui a plongé son compagnon dans le coma, une tenancière d'une boutique de seconde main recelant des trésors en matière vestimentaire et une vieille chienne qui a subi les pires sévices de son ancien maître. Et puis, Ghjulia doit consoler Jo, son ancien amant, qui sombre dans le désespoir, tandis que dans le silence de la chambre d'hôpital où il repose, émerge les pensées de Dan se remémorant cette histoire d'amour bancal qui va chavirer. 

     

    Si le premier ouvrage de Michèle Pedinielli, intitulé sobrement Boccanera (Aube Noire 2018), prenait pour cadre la ville de Nice, on s'éloignait de l'agglomération pour s'aventurer dans la région montagneuse des Alpes Maritimes avec Après Les Chiens (Aube Noire 2019). Et puis c'est la découverte de la Corse avec La Patience De L'Immortelle (Aube Noire 2021) où notre détective privée retrouvait la terre de ses origines alors qu'à l'occasion de la résurgence de certains aspects de la jeunesse d'un sdf, on s'immergeait dans l'atmosphère de l'Italie des années 70, durant la période chaotique des années de plomb et de ses militants antifascistes que l'on surnommait Sans Collier (Aube Noire 2023) et qu'il convient de lire avant d'entamer Un Seul Œil, nouvel ouvrage de la série qui reprend, quelques heures après, les éléments du retournement de situation terrible figurant dans le dernier chapitre du roman précédent. Ce que l'on apprécie avec la série Ghjulia Boccanera c'est le fait que la ville de Nice joue un rôle prépondérant dans l'articulation des récits  sans jamais céder le pas aux clichés des cartes postales propre à cette Côte d'Azur qui recèle sa part d'ombre avec laquelle Michèle Pedinielli joue habilement en distillant cette atmosphère des lieux si particulière qu'elle restitue avec autant d'attachement que d'acuité. Plus que jamais, on parcourt les lieux chères à notre détective privée que ce soit le café des Travailleurs où elle a ses habitudes et bien évidemment, les ruelles du Vieux Nice où elle réside, ainsi que l'ensemble des proches qui partagent son existence que ce soit le commandant Jo Santucci ou son colocataire Daniel Lehman, surnommé Dan, dont on va découvrir les circonstances qui les ont amenés à nouer cette amitié si solide qui les unit. L'intrigue d'Un Seul Oeil va prendre l'allure d'un thriller assez mesuré en terme de rebondissements mais qui tient le lecteur en haleine autour de l'enjeux de la survie de Dan désormais hospitalisé à la suite de l'agression dont il a été victime et qui l'a plongé dans le coma. A partir de là, on observe une alternance de la narration entre les investigations de Ghjulia Boccanera et les souvenirs de Dan et plus particulièrement d'une liaison toxique avec un amant fantasque laissant paraître, peu à peu, son côté sombre et destructeur en se doutant bien que la jonction va se faire au terme d'une intrigue qui joue davantage sur l'émotion et les profils subtils des personnalités que sur un suspense trépident. Il découle de cet ensemble plutôt complexe, une intrigue policière solide, parfois drôle, parfois émouvante et toujours imprégnée d'humanité, marque de fabrique de la romancière qui nous gratifie de l'apparition surprise d'un commissaire officiant du côté de la ville de Parme. Mettant un terme à une intrigue qui prenait forme dans Sans Collier, le lecteur va continuer à explorer, avec Un Seul Oeil, les multiples facettes de la trajectoire des proches gravitant autour de Ghjulia Boccanera en révélant ainsi toute sa nature fragile, bien au-delà du sentiment de force émanant de cette femme aux convictions inébranlables, à laquelle on ne peut manquer de s'attacher et qui devient incontournable dans cet univers du polar encore un peu trop viril.

     

    Michèle Pedinielli : Un Seul Oeil. Editions de l'Aube/Noire 2024.

    A lire en écoutant : A Rainy Night In Soho de The Pogues. Album : Rum Sodomy & The Lash. 2006 Warner Music UK Ltd.

  • Benjamin Dierstein : Bleus, Blancs, Rouges. Ennemis publics.

    benjamin dietstein,blues blanc rouges,éditions flammarionService de presse.


    Il y a tout d'abord cette trilogie fracassante et percutante comme l'impact d'un .357 magnum qui s'articulait autour des années Hollande et Sarkozy et des fameuses affaires de ce dernier qui sont d'ailleurs en cours de jugement pour certaines d'entre elles, en adoptant les codes du polar survolté, voire sauvage, dans un registre d'une ampleur démoniaque où la fiction s'agrège à l'actualité de l'époque, au gré d'une mosaïque complexe dont on saisit pourtant, avec assez d'aisance, tous ses aspects saisissants sans aucun temps mort. On découvrait ainsi avec Benjamin Dierstein, une fresque gigantesque débutant avec La Sirène Qui Fume (Nouveau Monde 2018) pour se poursuivre avec La Défaite Des Idoles (Nouveau Monde 2020) avant de s'achever de manière dantesque avec La Cour Des Mirages (Les Arènes/Equinox 2022) en changeant de maison d'éditions pour intégrer la collection EquinoX dirigée par Aurélien Masson qui éditait également Un Dernier Ballon Pour La Route (Les Arènes/EquinoX 2021), polar rural trash prenant parfois des intonations de western spaghetti savoureuses et explosives. Au terme de La Cour Des Mirages, on se demandait sur quel projet allait travailler Benjamin Dierstein qui répondait de manière assez évasive qu'il se penchait sur l'époque de la fin des années 70 et du début des années 80 en empruntant une nouvelle fois les codes du roman policier pour disséquer les événements d'une période explosive, c'est peu de le dire. Et voilà que débarque Bleus, Blancs, Rouges, un pavé dantesque de plus de 700 pages qui débute dans le chaos des manifestations de mai 68 pour se concentrer ensuite sur le tumulte des années Giscard et les affaires qui ont éclaboussé la République en s'inscrivant d'ores et déjà dans une nouvelle trilogie à venir dont on connaît déjà les titres puisqu'elle se poursuivra durant la période de la présidence de Mitterand avec L'Etendard Sanglant Est Levé et 14 Juillet qui seront publiés chez Flammarion où Aurélien Masson travaille désormais puisque la collection EquinoX a désormais cessé ses activités, ce qui est bien regrettable. 

     

    Au printemps de l'année 1978, autant dire qu'il faut arriver en tête de classement pour intégrer la prestigieuse BRI dirigée par le commissaire Broussard et que c'est sur un registre de concurrence impitoyable que s'affronte Marco Paolini et Jacquie Lienard fraichement émoulus de l'Ecole supérieure des inspecteurs de la police nationale et que tout oppose hormis cette volonté farouche de mettre la main sur un mystérieux trafiquant d'armes frayant avec tous les groupuscules terroristes sévissant notamment en France et que l'on surnomme Géronimo. Profondément marqué par la mort d'un collègue durant les échauffourées de mai 68, le brigadier Jean-Louis Gourvennec végète dans les services de la police jusqu'à ce qu'on lui propose d'infiltrer une cellule gauchiste bien décidée à prendre les armes en se rapprochant du groupe Action Direct. Après avoir offert ses "bons services" aux plus hautes instances du gouvernement, notamment en Afrique, Robert Vauthier débarque à Paris en étant bien décidé à régner sur les nuits parisiennes en pouvant compter sur l'appui des personnalités du grand banditisme français. Et tandis qu'il continue à côtoyer les membres des arcanes gouvernementales lui aussi va croiser le chemin de Géronimo. Autant de destins disparates qui vont se rassembler sous la bannière des coups bas et des affaires de la Françafrique, des attentats qui secouent le pays et d'une guerre des polices où les dirigeants sont élevés au rang de stars.

     

    Biberonné à James Ellroy que Benjamin Dierstein cite volontiers dans le cercle de ses influences littéraires, on dira de Bleus, Blancs, Rouges qu'il s'inspire du style narratif d'un roman tel que Lune Sanglante où, en guise d'introduction, les émeutes de mai 68 se substituent à celles de Watts et d'un livre comme American Tabloïd où l'on retrouve ces encarts des notes et des retranscriptions des écoutes des services secrets ainsi que ces titres à la une des journaux de l’époque, ponctuant les différents chapitres du roman. Mais sur le plan de la structure et du rythme beaucoup plus intense que les récits du Dog, on s'orientera davantage vers un auteur comme Don Winslow que Benjamin Dierstein évoque également en mentionnant La Griffe Du Chien. Et puis si l'on veut rester en France, on pensera immanquablement à Frédéric Paulin, autre romancier résidant, tout comme Benjamin Dierstein, dans les environs de Rennes et qui se faufile, de manière similaire, dans les interstices de l'histoire de la France contemporaine pour mettre en scène des fictions d'une envergure peu commune, en relevant le fait que leurs ouvrages respectifs, récemment parus, se situent peu ou prou à la même période, même s'ils abordent des thèmes complètement différents. Ce que l’on soulignera avec Benjamin Dierstein, c’est cette capacité à assimiler une impressionnante documentation dont il restitue toute la quintessence pour mettre en scène des récits d’une énergie peu commune et sans le moindre temps mort, au gré d’une narration toute en maîtrise en dépit de la multitude de personnages réels et fictifs qui se côtoient d’une parfaite manière. Outre la documentation figurant au terme de Bleus, Blancs, Rouges, vous trouverez également un index de chacun des protagonistes qui traversent le récit avec la référence de toutes les pages où ils apparaissent, ce qui nous facilite grandement la tâche lorsqu’il s’agit de se remémorer la présence de chacun d’entre eux dans le cours de l’intrigue. A partir de là, on constatera, avec un certain plaisir, que l’on retrouve bon nombre des individus de la trilogie précédente à l’instar de Jacquie Lienard, Jean-Claude Verhaeghen, Philippe Nantier, Domino Battesti, Toussaint Mattei, Didier Cheron et Michel Morroni en saisissant encore mieux certains aspects de leurs parcours respectifs sans que cela ne trouble le moins du monde la compréhension du roman qui s’articule autour de la traque de ce mystérieux individu surnommé Géronimo dont on ignore la véritable identité mais qui a ses entrées auprès des organisations terroristes les plus inquiétantes qui sévissent de par ce monde de la fin de ces années 70 et plus particulièrement dans une France particulièrement visée par toute une série d’attentats plus meurtriers les uns que les autres. Tout cela prend une envergure incroyable avec le contexte explosif de cette fin de règne giscardienne et l’émergence des affaires troubles se déroulant notamment en Centrafrique mais également en France où le SAC tente d'étouffer les scandales pouvant offrir une voie royale aux hommes politiques de gauche et dont Benjamin Dierstein dépeint les plus improbables turpitudes avec une précision redoutable. Dans un registre similaire l'auteur nous entraîne dans le cour de cette infiltration des groupuscules terroristes d'extrême gauche comme Action Directe dont on suit toutes les exactions ainsi que celles de Jacques Mesrine traqué par toutes les polices de France qui s'affrontent au gré d'une rivalité exacerbée par la notoriété de ces flics adulés par les médias de l'époque et que Benjamin Dierstein retranscrit dans ce qui apparaît comme une véritable guerre des polices qu'incarnent Marco Paolini, Jacquie Lienard et Jean-Louis Gourvennec, trois flics aux profils radicalement divergents et qui vont s'affronter sur un registre de compromissions et de tourments sans équivoque. Et puis en compagnie de Robert Vauthier, on prendra la mesure de l'effervescence des nuits parisiennes et plus particulièrement des clubs sélects où les stars côtoient les figures du grand banditisme adoubés par une police mondaine dévoyée imposant ses règles alambiquées sur cet empire nocturne qui prend de plus en plus d’ampleur. On pourrait citer bien d'autres intrigues sous-jacentes prenant leurs essors dans ce roman aussi robuste que fascinant dont il faut souligner la rigueur sans faille tout en saluant la prise de recul d'un romancier qui a su s'approprier l'atmosphère de l'époque sans qu'il ne fasse état d'un quelconque jugement ou d'une inclination coupable pour l'un de ces protagonistes emblématiques d'une période tourmentée qu'il restitue avec une incroyable justesse et dont on attend, avec une certaine impatience fébrile, la suite toujours aussi survoltée, soyons en certain.

     

    Benjamin Dierstein : Bleus, Blancs, Rouges. Editions Flammarion 2024.

    A lire en écoutant : Crache Ton Venin de Téléphone. Album : Crache Ton Venin. 1979 / 2015 Parlophone. 

  • MICHELE PEDINIELLI : LA PATIENCE DE L'IMMORTELLE / SANS COLLIER. BOUCHE NOIRE.

    michèle pedicelli,editions de l’aube,sans collier,la patience de l'immortellePlus qu'aucune autre série de romans policiers, il conviendra de lire l'ensemble des enquêtes de Ghjulia “Diou" Boccanera, qui plus est dans l'ordre, afin d'apprécier l'arche narrative qui relie l'ensemble des ouvrages, ceci quand bien même, selon la formule consacrée propre au markéting de l'édition, chaque livre peut se lire séparément. Mais si l'on parcourt les premiers chapitres d'Un Seul Oeil, dernier opus des investigations de la détective privée niçoise, on remarquera les nombreuses notes en bas de page faisant référence à l'ensemble des romans précédents que ce soit Boccanera (Aube Noire 2018), Après Les Chiens (Aube Noire 2019), La Patience De L'Immortelle (Aube Noire 2021) et Sans Collier (Aube Noire 2023), ce qui ne fait que confirmer cette assertion consistant à s'imprégner de l'ensemble des polars de Michèle Pedinielli pour en percevoir toute l'envergure. Il faut dire, qu'outre le fait qu'il s'agit de l'un des rares personnages féminins officiant comme détective privée, la singularité de la série réside dans l'importance que prend l'entourage de Diou, que ce soit le commandant de police Joseph "Jo" Santucci, son ex compagnon, ou Daniel "Dan" Lehmann, son colocataire gay qui tient une galerie de photos ou Ferdi, un sdf muet qui a pris ses quartiers dans le Vieux-Nice où réside notre enquêtrice au caractère affirmé, tout comme sa créatrice. Michèle Pedinielli partage d’ailleurs de nombreux autres points communs avec sa protagoniste principale à l'instar de ses origines corses dont prend la mesure dans La Patience De L'Immortelle avec une enquête se déroulant, dans son intégralité, sur l'Île de Beauté tandis que Sans Collier se penche sur le passé de Ferdi en lien avec son engagement dans la lutte contre le fascisme durant la période de la fin des années de plomb en Italie. L'extrémisme et ses dérives sont l'un des thèmes que la romancière engagée aborde frontalement dans la série, tout comme les conditions des ouvriers sur les nombreux chantiers qui défigurent la cité niçoise, ainsi que l'immigration clandestine à la frontière franco-italienne et les violences domestiques comme autant de sujets sociaux s'inscrivant dans une actualité qu'elle saisit avec une redoutable acuité, agrémentée d'une pointe d'humour acide et d'une certaine tendresse qui émerge de l'attachante personnalité de cette dure-à-cuire qu'incarne Diou se révèlant aussi généreuse que courageuse. Après avoir donc évoqué les deux premiers volumes de la série, il importait d'examiner les deux suivants que sont La Patience De L'Immortelle et Sans Collier qui s'inscrit d'ailleurs dans l'actualité littéraire du moment puisqu'il vient d'être publié en format poche. 

     

    La Patience De L’Immortelle.
    Cela faisait bien des années que Ghjulia Boccanera n'était pas retournée en Corse, et c'est le coeur lourd qu'elle s'y rend puisqu'elle doit accompagner son ex compagnon Joseph Santucci dont la nièce a été assassinée sauvagement. En effet, après avoir été abattue d'un coup de fusil dans la nuque, on a placé le corps de la jeune journaliste dans le coffre de sa voiture que l'on a incendiée. Si le commandant Santucci a promis de ne pas interférer dans le déroulement de l'enquête de ses collègues corses, il demande à Diou, dont il connaît la détermination, d'examiner les circonstances de cette atroce affaire. Mais dans cette région montagneuse de l'Alta Rocca, la détective privée se rend bien compte qu'elle ne possède plus les codes lui permettant de percer le mutisme d'une communauté méfiante. Et puis, au-delà des investigations l'entrainant dans les rapports complexes de la spéculation foncière et des incendies qui en découlent, il y a les souvenirs qui rejaillissent de manière éparse tandis qu'un milan tournoie inlassablement au-dessus de sa tête comme pour la guider dans ses démarches. Il y a donc de quoi perdre pied au sein de cette famille en deuil qui ne fait qu'amplifier ce sentiment de désarroi qui l'étreint. Livrée à elle-même, c'est auprès de ce vieil homme à la main tordue par les rhumatismes que Diou trouvera les ressources nécessaires pour surmonter les épreuves qui l'attendent au sein de cet environnement insulaire où les secrets émergent peu à peu dans la douleur.

     

    Si les romans précédents n'étaient pas avare en émotion, il faut bien admettre que La Patience De L'Immortelle est probablement le meilleur récit de la série parce qu'il s'inscrit dans une définition plus complexe et plus nuancée de la personnalité de cette détective privée cinquantenaire à laquelle on ne peut manquer de s'attacher fortement tandis qu'elle évolue dans un autre environnement que les ruelles de la vieille ville de Nice pour nous entrainer sur cette terre insulaire de ses origines d'où émerge quelques réminiscences du passé comme l'apparition de ce tirailleur  sénégalais faisant allusion à son sous-officier, grand père de la détective, qui est sans nul doute inspiré de l'aïeul de Michèle Pedinielli qui a servi au sein d'un tel bataillon. Dès lors, on ne peut donc manquer de ressentir cette résurgence des origines corses de la romancière s'agrégeant à une intrigue policière aux tonalités rurales pleines de saveurs méditerranéennes dont elle prend soin de ne pas trop abuser en évitant ainsi l'écueil des clichés propre à un tel environnement. C'est d'ailleurs de l'environnement dont il est question avec La Patience De L'Immortelle qui met en lumière les combines peu reluisantes de la spéculation des terres agricoles et plus particulièrement du trafic des oliviers centenaires, sujet à bien des convoitises. A partir de là découle toute une intrigue s'articulant autour des activités de la journaliste assassinée qui entendait dénoncer ces agissements illégaux. Mais c'est également dans le giron familiale de la victime que se dessine certains aspects de cette enquête où l'on croise notamment quelques fortes personnalités que sont Antoinette, mère désarçonnée par la douleur de la perte de sa fille, et sa belle-soeur Diane, au caractère âpre et revêche mais qui fait preuve d'un soutien sans faille. On appréciera également les rapports quasiment filiaux que Diou entretient avec le dénommé Barto, une espèce de vieux sage au réflexions aussi malicieuses que pleines d'esprit qui vont lui permettre d'obtenir certains éclairages quant aux comportements des habitants de la région. Tout cela se met en place au gré d’un récit dynamique, chargé en émotion, et dont la finalité va se révéler bien plus surprenante qu’elle ne le laissait à penser en bouleversant à tout jamais, les rapports que Diou va entretenir avec son ex compagnon, alors qu’elle en proie à un terrible dilemme.

     

    Sans Collier.
    Ils ne sont assujettis à aucune obédience et se démarquent de tous les groupuscules politiques de cette Italie des années 70 alors qu'ils entendent renverser le monde avec cette énergie et cette naïveté propre à leur jeunesse. "Cane sciolti", chiens sans collier, c'est ainsi qu'on les surnomme tandis qu'il s'opposent vaillamment à cette montée du fascisme gangrénant à nouveau le pays, et dont les activités vont prendre fin dans un terrible bain de sang. Et c’est ce pan de la tragique histoire de l’Italie qui va rejaillir brutalement dans l’existence de Ghjulia Boccanera tandis qu’elle enquête sur l'étrange disparition d’un ouvrier moldave qui travaillait sur l’un des plus gros chantier de la ville Nice et qui semblait avoir quelques dettes de jeu conséquentes. Entre les réminiscences du passé qui refont surface peu à peu et les menaces anonymes qui deviennent de plus en plus prégnantes, Diou va avoir bien du mal à démêler les écheveaux de cette intrigue complexe où tout le monde s’emploie à dissimuler des secrets enfouis dans une mémoire parfois défaillante.

     

    C'est dans un jeu habile et subtil des temporalités que se dessine la trame narrative de Sans Collier où l'on retrouve Nice et son cortège de travaux pharaoniques qui plongent la ville dans le chaos tandis que l'on surexploite les ouvriers que l'on emploie sans autorisation au sein de sociétés de sous-traitance plus que douteuses. A certains égards, on retrouve donc l'univers du premier roman de la série en croisant à nouveau Shérif, cet inspecteur du travail obèse qui sollicite régulièrement les services de Ghjulia Boccanera afin d'enquêter, à titre gracieux bien évidemment, dans ce milieu où la corruption et les malversations en tout genre font office de règles incontournables pour exploiter ces travailleurs en situation précaire. Mais en parallèle, c'est le parcours de la jeunesse de Ferdi, autre personnage récurrent de la série, que Michèle Pedinielli a décidé de mettre en scène en nous entraînant ainsi sur un registre historique pour se pencher sur cette époque douloureuse des années de plomb et de la stratégie de la tension qui prévalait en Italie en nous apportant un certain éclairage quant à la personnalité de ce sdf muet qui s'est improvisé comme protecteur de notre intrépide détective privée qu'il a tiré de mauvais pas, à plusieurs reprises. Et puis comme point d'orgue, il y a cette missive aussi menaçante qu'anonyme à l'adresse de Diou mais également de Dan son colocataire et ami qui tient une galerie de photos qui va être vandalisée. Comme à l'accoutumée, il y a ces thématiques sociales qui émergent d'une intrigue bien ficelée, mais dont on devine peut-être un peu trop à l'avance certains aspects, même si le roman s'achève soudainement sur une scène finale aussi imprévisible que brutale qui va bien évidemment rejaillir dans Un Seul Oeil dont les événements se déroulent deux heures plus tard. Mais pour en revenir à Sans Collier, on appréciera toujours autant les contours de la personnalité de cette cinquantenaire libertaire, forte en gueule, toujours très drôle, qui doit désormais faire face à des bouffées de chaleur dont elle ne saisit pas immédiatement l'origine et qui en font une héroïne malheureusement atypique au sein de cet univers de la littérature noire où il n'est que trop rarement question des sujets du quotidien ayant trait aux femmes qui nous entourent. Et si l’on fait allusion à Fabio Montale ou à Sergio Corbucci pour définir le caractère de Ghjulia Boccanera, vivement le jour elle fera office de référence pour d’autres personnalités féminines de son calibre.

     


    Michèle Pedinielli : La Patience De L'Immortelle. Editions de l'Aube/Noire 2021.

    Michèle Pedinielli : Sans Collier. Editions de l'Aube/Noire 2023.

    A lire en écoutant : La Ficelle d'Alain Bashung. Album : L'Imprudence. Barclay 2002.