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MON ROMAN ? NOIR ET BIEN SERRE ! - Page 3

  • SIMONE BUCHHOLZ - RUE MEXICO. AMOUR INCANDESCENT.

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    Service de presse.

     

    Ce n'est pas tant une histoire de parité, ce n'est pas tant une logique de quantité, mais bien une question d'attitude qui font que bon nombre d'héroïnes de la littérature noire occupent désormais une place à part en projetant un regard bien particulier sur le monde qui nous entoure à l'instar de Chastity Riley, cette procureure allemande, officiant à Hambourg et dont l'apparition sous la plume de Simone Buchholz coïncidait avec la création de la collection Fusion nous proposant le fameux Nuit Bleue (Atalante/Fusion 2021), texte d'une audace et d'une originalité narrative peu commune nous entraînant dans le monde interlope des nuits hambourgeoises sur fond de trafic de stupéfiants provenant des cités de l'ancienne Allemagne de L'Est. Avec Béton Rouge (Atalante/Fusion 2022), second roman de la série de celle que l'on surnomme désormais "Chas", Simone Buchholz abordait le thème de la maltraitance d'enfants en nous emmenant notamment du côté de la Bavière tout en évoquant les dérives des grandes entreprises allemandes et plus particulièrement celles des grands groupes médiatiques. C'est peu dire que l'on apprécie de retrouver cette femme au profil peu commun oscillant entre force et détermination dans le cadre de son travail et une certaine fragilité qui transparait notamment dans la contexte de sa vie sentimentale qui va connaître quelques aléas dans Rue Mexico, troisième roman de la série que Claudine Layre traduit toujours aussi brillamment.

     

    Les voitures brûlent dans toutes les villes du monde et Hambourg ne déroge pas à la tradition. Pourtant dans l'une d'entre elles, on extirpe le cadavre d'un jeune homme que l'on identifie rapidement comme étant le fils du clan Saroukhan, une communauté de l'ancien empire ottoman qui trempe désormais dans le trafic de drogue du côté de Brême. Chargée de l'enquête, Chastity Riley va devoir dresser le profil de la victime pour tenter de retrouver l'auteur du meurtre. Peut-être obtiendra-t-elle de l'aide de la mystérieuse jeune femme qu'elle a aperçu sur le toit d'un immeuble et qui a probablement assisté à toute la scène ? Parviendra-t-elle à extirper quelques éléments de cette communauté soudée qui ne souhaite pas frayer avec les autorités ? Et qu'en est-il de cette compagnie d'assurance pour laquelle travaillait la victime en lui offrant de confortables rémunérations ? Et puis comme pour interférer dans une enquête déjà difficile, il y a le retour de Inceman, un ancien amant qui va bousculer la vie sentimentale de Chastity Riley.

     

    On remarque un certain dépouillement qui caractérise l'ensemble des intrigues narratives de la série Chastity Riley permettant à Simone Buchholz d'aborder de manière assez directe les thèmes sociaux qu'elle souhaite mettre en exergue. Pour ce qui est de Rue Mexico, la romancière aborde donc le sujet de la migration et de l'intégration et de toutes les difficultés qui en découlent, ceci pus particulièrement au travers de cette communauté Mahallami issue des tribus ottomanes d'autrefois et qui est désormais apatride. Pour en découvrir certains contours, on adoptera les points de vue de Nouri et d'Aliza défiant leurs familles respectives pour vivre leur histoire d'amour remontant à l'enfance, en refusant de suivre les préceptes et les traditions quitte à subir la violence et le rejet. Comme à l'accoutumée, Simone Buchholz nous offre avec Aliza, le portrait d'une jeune femme au caractère bien affirmé nous évitant ainsi l'écueil de l'émotion facile et larmoyante pour s'intéresser à cette détermination qui anime ce personnage d'un force peu commune qui nous renvoie évidemment vers Chastity Riley confrontée une nouvelle fois aux aléas de sa vie privée. Mais il faut également s'intéresser à la trajectoire de Nouri Saroukhan qui, en quittant une famille aux comportements tribaux, voire mafieux, en intègre une autre, ceci sur le plan professionnel en refusant d'intégrer les codes de conduite d'une compagnie d'assurance et plus particulièrement de ses collègues en quête de performances à tout prix. Avec des comportements similaires tout aussi douteux les uns que les autres, on observe ainsi l'impasse dans laquelle s'engouffre ce jeune homme rejetant les règles familiales et professionnelles le conduisant à finir dans une voiture enflammée. Tout l'enjeu réside donc à déterminer qui a pu attenter à la vie de Nouri au détour d'une enquête aux contours incertains en s'achevant sur une scène abrupte et détonante qui désarçonnera une nouvelle fois le lecteur. 

     

    Encore davantage de poésie et de spleen émergent de Rue Mexico où Simone Buchholz décline au détour de ces voitures s'embrasant dans les villes du monde, d'une phrase brève, voire même d'un unique mot qui sonne toujours juste, la fragilité des pensées incertaines d'une femme étonnante trouvant le réconfort autour d'un verre qu'elle partage avec ses amis et collègues policiers que l'on retrouve avec un même plaisir dans cette atmosphère chaleureuse du Blau Nacht, bar attitré d'une procureure au charme indéniable.

     

    Simone Buchholz : Rue Mexico (Mexikoring). Editions de l'Atalante, collection Fusion 2023. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

    A lire en écoutant : Hotel Bar de Tindersticks. Album : Stars at Noon (Original Soundtrack). 2022 Lucky Dog / City Slang.

  • Laurent Whale : Le Vol Du Boomerang. Retour de flammes.

    laurent whale, le vol du boomerang, éditions au diable vauverService de presse.

     

    Depuis bien des années, Laurent Whale auteur franco-britannique écrit et traduit des romans avec une prédilection pour le fantastique et la science-fiction même s'il a fait quelques incursions dans le genre thriller avec des récits mêlant faits historiques et intrigues policières dont les enquêteurs archivistes se surnomment "les rats de poussière" en déclinant ainsi ce titre autour d'une série composée de trois volumes. Mais c'est avec Skeleton Coast (Au Diable Vauvert 2021) que le romancier se fait remarquer du grand public en abordant les thèmes de l'écologie et de la corruption au cœur d'un roman prenant pour cadre la face atlantique Namibienne. Avec Le Vol Du Boomerang, son dernier roman, c'est davantage sur le registre de l'aventure se déroulant en Australie que Laurent Whale reprend le thème de l'écologie autour de la Bridgestone World Solar Challenge, une course de voitures propulsées à l'énergie solaire de 3000 kilomètres dont le départ se situe à Darwin pour s'achever l'autre bout du pays, à Adelaide. 

     

    Après avoir obtenu son doctorat en physique des particules, Jimmy Stonefire est retourné auprès de sa communauté aborigène dans les Territoires du Nord de l'Australie. C'est dans un atelier sommaire perdu dans le désert qu'il a mis au point une voiture à propulsion solaire afin de remporter la fameuse Bridgestone World Solar Challenge, une compétition mettant en concurrence ce type de véhicule en provenance du monde entier. Plus que des rêves de gloire, le jeune aborigène souhaite surtout sensibiliser la population à la cause de son peuple martyrisé et ostracisé. De son côté Tony Mulatier, un routier français qui a émigré en Australie, conduit désormais ces fameux "Road Train" à travers tout le pays en rêvant de réunir suffisamment de fond pour acquérir un de ces géants des routes afin de devenir indépendant. Avec les gigantesques incendies qui ravagent la région, Andy Sweeger a fermé son restaurant et tout abandonné pour emmener sa femme et ses deux enfants sur les routes embouteillées de réfugiés climatiques comme lui qui se retrouvent dans des camps de fortune où règne la loi du plus fort. Trois destins qui vont croiser leurs routes respectives autour d'un périple des plus périlleux.

     

    Le Vol Du Boomerang se concentre essentiellement autour de cette fameuse course à laquelle participe Jimmy Stonefire permettant à Laurent Whale de nous sensibiliser à la cause des aborigènes tout en évoquant les dysfonctionnements écologiques qui frappent la plupart des territoires de ces communautés, notamment victimes de l'exploitation outrancière des sous-sol. On ne peut donc que se féliciter de la démarche de l'auteur qui a sans nul doute fournit un gros effort pour se documenter afin de nous restituer les péripéties de cette compétition qui ne manque pas d'allure. Choisissant de situer l'action entre 2019 et 2020, Laurent Whale dresse un tableau plutôt cataclysmique d'une Australie touchée de plein fouet par les gigantesques incendies qui ravagent le pays avant de se retrouver confrontée aux aléas de l'épidémie de COVID19. Mais à force d'aborder une multitude de sujets, Laurent Whale s'égare à plusieurs reprises dans le cours de son récit qui manque singulièrement de tenue, ce d'autant plus que l'on abordera également le point de vue d'un routier français parcourant les routes de cette île–continent ainsi que celui d'une famille australienne fuyant les incendies et trouvant notamment refuge dans des camps dénués de toute forme d'autorité en laissant des milliers d'individus livrés à eux-mêmes. Il résulte un sentiment de frustration, ce d'autant plus que l'on aurait aimé en savoir plus en ce qui concerne la destinée de ces réfugiés climatiques qui disparaissent soudainement du paysage, ceci même durant l'épilogue où ils croisent de manière très fortuite la route de Jimmy Stonefire avec cette impression que l'auteur a supprimé quelques éléments de leur parcours. Pour ce qui a trait au chauffeur routier on ignore également ce que sera son devenir et s'il a pu réaliser son rêve en devenant un chauffeur indépendant. Tout cela nous donne l'impression d'un récit foutraque qui perd de vue l'essentiel d'une aventure s'achevant sur un concert déconcertant des Midnight Oil en pleine crise sanitaire dont Laurent Whale ne semble plus tenir compte. Des belles intentions pour un roman qui ne tient pas toutes ses promesses. Dommage.

     

    Laurent Whale : Le Vol Du Boomerang. Editions Au Diable Vauvert 2023.

    A lire en écoutant : Arctic World de Midnight Oil. Album : Diesel and Dust. Sprint/Columbia Records 1987.

  • COLSON WHITEHEAD : HARLEM SHUFFLE. POUR UNE POIGNEE DE CAILLOUX.

    Capture.PNGPeu lui importe les genres, peu lui importe la posture du romancier reconnu, Colson Whitehead, après avoir obtenu coup sur coup deux Pulitzer pour Underground Railboard (Albin Michel 2017) et Nickel Boys (Albin Michel 2020), se lance dans le polar et plus précisément dans un récit assumé de roman noir au titre évocateur, Harlem Shuffle, prenant pour cadre la période trouble des années soixante de ce quartier mythique de Manhattan en rendant hommage aux intrigues de Chester Himes et de Donald Westlake. On appréciera ce rapport décomplexé aves les genres quels qu'ils soient, pour cet auteur qui nous avait déjà surpris avec Zone 1 (Gallimard 2014) en empruntant les codes du fantastique et de l'anticipation afin de nous entrainer dans une ville de New-York post-apocalyptique, infestée de zombies.  Mais bien au-delà des genres, Colson Whitehead ne cesse de nous interpeller avec ce thème lancinant consistant à savoir ce que l'on fait de notre vie et qui revient dans chacun de ses romans, ceci plus particulièrement dans Harlem Shuffle

     

    Ray Carney tient un magasin de meuble sur la 125ème rue, en plein cœur du quartier de Harlem. Marié et père de deux enfants, ce commerçant aspire à offrir tout le confort à sa famille en lorgnant notamment des appartements d'un plus haut standing que celui qu'il loue actuellement. Mais pour cela, il faut de l'argent et son cousin Freddie lui propose justement de braquer la salle des coffres du fameux hôtel Theresa, nec plus ultra des établissements du quartier. N'aspirant pas à devenir truand, Ray Carney se contentera d'écouler les bijoux de l'éventuel butin à venir. Il croisera ainsi sur son chemin, Pepper le vétéran de la Seconde Guerre Mondiale et Miami Joe gangster notoire tout de violet vêtu ainsi que toute une panoplie de flic véreux qui hantent le quartier de Harlem en réclamant leur enveloppe. Avec ces combines douteuses et l'essor de son négoce, Ray Carney va louvoyer entre les notables et la pègre du quartier en espérant ne pas faire de faux pas. Mais du côté de Harlem, rien n'est jamais simple.

     

    Harlem Shuffle s'inscrit dans une trilogie se déroulant au cœur de ce fameux quartier de New-York rassemblant une grande partie de la communauté afro-américaine et dont le second ouvrage, intitulé Crook Manifesto, va paraitre prochainement en anglais avec un récit reprenant l'ensemble des personnages du premier volume qui évoluent désormais durant la décennie des seventies. Mais pour en revenir à Harlem Shuffle, on se réjouit de cette intrigue tonitruante se divisant en trois parties pour nous entrainer successivement autour d'une histoire de braquage, d'un chantage et d'un vol au détriment d'une famille aisée, en nous permettant ainsi de survoler l'ensemble de la décennie des sixties. En restituant avec précision l'atmosphère électrique régnant dans ce quartier, Colson Whithead se focalise sur le quotidien de Ray Carney et de sa famille dont il est nécessaire de souligner l'importance avec une épouse officiant au sein d'une agence de voyage se substituant au fameux guide Green Book afin de permettre aux afro-américains d'éviter quelques déconvenues raciales lors de leurs périples dans les différents Etats d'un pays pratiquant la ségrégation. Une illustration parfaite du contexte de l'époque. Ray Carney incarne ainsi cette ambivalence et cette débrouillardise nécessaire pour un commerçant en quête de respectabilité qui doit pourtant marcher dans quelques combines de recel afin de pouvoir acquérir l'appartement de ses rêves, en mettant ainsi en exergue tout l'aspect social de la lutte des classes et ceci plus particulièrement lorsqu'il souhaite accéder à un club de notables dont son beau-père fait partie et qui lui en empêche l'accès au vu de sa condition, voire même de sa couleur de peau trop foncée, que l'on juge toutes deux inadéquates pour intégrer une telle association. En toile de fond de Harlem Shuffle, se dessine également le thème de la discrimination qui est omniprésente en évoquant notamment les six jours d'émeutes qui ont secoué le quartier en 1964 avec la mort d'un adolescent afro-américain abattu par un officier de police blanc en service. Triste constat d'une situation qui n'a guère évolué comme nous le rapporte les actualités qui rattrapent le passé. Mais en dépit de la gravité des thèmes évoqués, Colson Whitehead n'a rien d'un romancier moralisateur. Il nous livre ainsi un roman chargé d'énergies et de vibrations positives, parfois piqueté d'un humour acide, émanant d'un quartier en ébullition où évolue toute une galerie de personnages hauts en couleur à l'image de ces truands outranciers, de ces flics véreux et de toute cette population bigarrée qui composent cette agglomération à nulle autre pareil et que l'auteur dépeint avec ce texte étincelant aux dialogues savoureux qui ne peuvent que nous faire chavirer.

     

    Colson Whitehead : Harlem Shuffle. Editions Albin Michel/Terres d'Amérique 2023. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé.

    A lire en écoutant : Harlem Shuffle de Bob & Earl. Single : Harlem Shuffle. 1963 Marc Records 104.

  • Joris Mertens : Nettoyage A Sec. Gros lot pour un perdant.

    Capture d’écran 2023-01-30 à 19.13.09.pngIl étudie la BD à l'école supérieure des arts de Saint Luc en Belgique avant de se lancer dans une longue carrière de plusieurs décennies dans l'audiovisuel en occupant notamment les fonctions de photographe, d'accessoiriste et de storyboarder. Mais c'est à l'aube de la cinquantaine que Joris Mertens entame une carrière dans le 9ème art avec Béatrice (Rue de Sèvres 2020), un album sans parole laissant la place aux éclats somptueux d'une ville dégoulinante de pluie en empruntant l'architecture de Paris, d'Anvers et de Bruxelles et dans laquelle évolue une héroïne vêtue d'un manteau rouge comme pour s'extraire de ces nuances de gris, d'ocre et de noir qui enrobent le mouvement sophistiqué de cette longue perspective d'images envoutantes nous entrainant dans un récit faustien aux contours oniriques. Un exercice particulier que cette absence de texte qui nous laisse tout de même un peu sur notre faim. Il en va tout autrement pour Nettoyage A Sec, son nouvel album, où Joris Mertens nous invite dans la même atmosphère brouillée d'une cité pluvieuse des seventies avec un récit qui s'articule autour des codes du roman noir en nous rappelant le climat oppressant des grands films de Jean-Pierre Melville. 

     

    nettoyage à sec,rue de sèvres,joris mertensFrançois est un vieux garçon à la vie bien rangée qui travaille comme chauffeur-livreur pour la teinturerie Bianca et qui écluse quelques bières au Monico où il a ses habitudes. Une vie de solitude avec quelques séances au cinéma et des rêves plein la tête en contemplant les voitures exposées dans les vitrines. Toutes les semaines, il joue les mêmes numéros pour tenter de gagner le gros lot au Lotto ce qui lui permet de converser avec Maryvonne qui tient le kiosque à journaux . C'est sûr qu'il a plus de chance de gagner au jeu plutôt que de compter sur une éventuelle augmentation de son employeur. Et puis il en ferait des choses s'il empochait le jackpot. Il pourrait payer une belle maison à Maryvonne et à sa fille Romy qui est asthmatique. Mais le destin va bousculer sa petite vie bien tranquille avec une opportunité à laquelle il ne peut résister en le projetant dans une cavalcade foireuse qui risque de mal tourner.

     

    nettoyage à sec,rue de sèvres,joris mertensOn évoquera tout d'abord de la reliure cousue qui confère à l'ouvrage une certaine élégance avec son liseré en toile rouge ornant le dos de l'album. Outre l'aspect esthétique, ce type de reliure permet de déployer de manière plus adaptée les sublimes doubles pages qui ponctuent le récit en nous offrant la beauté des perspectives ahurissantes de cette ville fantasmée qui devient un personnage à part entière. Avec Joris Mertens, on parlera davantage de lumières que de couleurs qui s'affichent déjà sur la couverture avec cette conjugaison de pluie, d'éclairage public et de gigantesques panneaux publicitaire lumineux parcourant les élégantes façades tarabiscotées des immeubles de la ville pour nous offrir cette atmosphère trépidante d'un centre congestionné par la circulation au travers de laquelle le flux de piétons se faufilent avant d'arpenter les trottoirs humides. C'est dans cet environnement tumultueux qu'évolue François dont on découvre, dans une première partie, son parcours quotidien au coeur de ce lacis de rues et de boulevards qu'il parcourt d'un pas pressé, puis à la place passager de sa fourgonnette de livraison qu'Alain, le nouveau chauffeur qu'il doit former, conduit maladroitement. On devine la solitude du personnage qui aspire à une autre vie en misant les mêmes numéros à la loterie depuis plusieurs années ; on perçoit l'affection maladroite qu'il éprouve pour Maryvonne et sa fille Romy et puis cette succession de scènes urbaines qui soulignent son isolement au milieu du fracas de la ville. La seconde partie prend une tournure beaucoup plus sombre avec la découverte d'une scène de crime et d'un sac abandonné dont François s'empare pour l'entraîner dans une succession d'ennuis au coeur d'un environnement boisé plutôt sinistre. Oscillant entre la chronique sociale et le fait divers, ponctué d'un humour parfois grinçant, Joris Mertens nous offre au final une superbe fresque urbaine dans laquelle se débat cet homme solitaire tandis que le destin livre son dessein cruel dont on découvre l'ultime coups du sort dans la dernière case d'un album éblouissant.

     

    Joris Mertens : Nettoyage A Sec. Editions Rue de Sèvres 2022. Traduit du flamand par Maurice Lomré.


    A lire en écoutant : Album Ascenseur pour l'échafaud de Miles Davis. 1958 Decca Records France.

  • DOA : RETIAIRE(S). LE CRIME PAIE.

    DOA, Rétiaire(s), série noireFinalement on ne sait que bien peu de chose sur DOA dissimulant son identité derrière l'acronyme charmant de Dead On Arrival tout en se gardant bien de se faire photographier pour s'afficher avec la pose étudiée du romancier inspiré que l'on peut découvrir parfois sur les quatrièmes de couverture. DOA cultive donc la discrétion en étant toutefois un peu plus disert lors d'entretiens passionnants et pertinents pour évoquer son oeuvre ou la discrimination qui entache la littérature noire, ceci plus particulièrement dans le domaine des grands prix littéraires systématiquement attribués à une tout autre catégorie de romans ne portant pas l'infâme appellation de collection noire ou polar. Mais pour en revenir aux récits de l'auteur, celui-ci a immédiatement marqué les esprits avec Citoyens Clandestins (Série Noire 2007) en intégrant ainsi la fameuse Série Noire qu'il n'a plus quittée pour publier également Le Serpent Aux Milles Coupures (Série Noire 2009) ainsi que les deux volumes Pukhtu I et II (Série Noire 2015 et 2016) et dont l'ensemble constitue le Cycle clandestin qui donne le vertige. Tout aussi vertigineux, on a pu lire des romans tels que L'Honorable Société (Série Noire 2011) aux connotations politiques et écrit en collaboration avec Dominique Manotti ou le très sombre Lykaia (Gallimard 2018) se déroulant dans le milieu BDSM. Mais outre son activité de romancier, DOA écrit également des scénarios, tâche des plus ingrates et des plus laborieuses, comme il l’évoque d’ailleurs dans la postface de son nouvel ouvrage. Et c'est l'un d'entre eux, n'ayant pas eu l'heur de plaire aux grands diffuseurs du paysage audiovisuel français, qui a fait l'objet de tout un travail de réécriture pour nous proposer ainsi ce dernier roman intitulé Rétiaire(s) se déroulant dans le milieu du grand banditisme, de l'univers carcéral et des grands offices de la police luttant contre le trafic de drogues.

     

    Que l'on soit flic ou truand, dans le domaine des stupéfiants on a parfois l'impression de se retrouver sur la piste sanglante d'un cirque antique où les alliances se font et se défont au gré des opportunités de chacun. C'est ainsi que Théo Lasbleiz, commandant au sein d'une brigade des stups à Paris, exécute froidement, devant ses camarades policiers, un trafiquant transféré chez le juge. La nouvelle fait l'effet d'une bombe et bouleverse les équilibres. Du côté du clan Cerda, il faut se réorganiser pour faire entrer dans le pays une grosse quantité de cocaïne qui se chiffre en tonne alors que la famille est fragilisée avec le clivage entre Momo et Manu, deux demi-frères qui se disputent la direction des affaires tandis qu'émerge Lola, la soeur cadette qui souhaite également à semparer des commandes. Du côté de la police, on est pas en reste avec Amélie Vasseur, jeune capitaine de gendarmerie qui a tout à prouver. Déjouer les plans de la famille Cerda lui permettrait peut-être d'accéder au commandement d'un groupe, ce à quoi elle aspire depuis toujours. Entre la défiance et les trahisons rythmant le cheminement de la drogue, les jeux de pouvoir peuvent commencer. Personne ne sera épargné.

     

    Rétiaire(s) est assurément un roman que tous policiers ou truands, reconvertis comme écrivain, aimeraient avoir écrit tant l'on se trouve plongé au coeur d'une intrigue policière à la tonalité résolument réaliste ce qui caractérise d’ailleurs son auteur habitué à digérer une somme considérable de documentation qu'il restitue  avec une redoutable précision sans pour autant alourdir un texte d'une efficacité impressionnante. Comme tout grand roman, il convient de souligner que le récit se mérite en fournissant notamment un bel effort de concentration afin d'assimiler l'abondance de patronymes, surnoms et abréviations d'offices étatiques qui jalonnent cette intrigue tournant autour d’un chargement de cocaïne dont DOA dépeint avec une belle justesse toute la trajectoire internationale ainsi que l’aspect géopolitique que génère un tel trafic et dont on peut découvrir la teneur dans les interludes ponctuant chacune des parties de l’ouvrage. Au milieu de toute cette quantité impressionnante de personnages, émerge bien évidemment Théo Lasbleiz, ce flic destitué et brisé qui traverse ainsi les trois mondes de la police, des truands et des détenus et dont les interconnections ne manqueront pas de déstabiliser le lecteur au rythme de rebondissements à la fois intenses et surprenants. Dans sa trajectoire tragique, Théo Lasbleiz incarne ainsi cette troublante ambivalence qui habite d'ailleurs l'ensemble des protagonistes de Rétiaire(s). Avec de tels traits de caractères corsés, DOA nous entraine habilement dans la complexité des rapports qui régissent ces trois univers distincts, ceci au gré des chocs qui s'ensuivent lorsque les accords plus ou moins tacites volent en éclat. A l'image des gladiateurs et auquel le titre Rétiaire{s) fait donc allusion, DOA décline ainsi les enjeux cruels d'une espèce de joute mortelle qui se joue sur le théâtre dramatique du trafic de stupéfiants avec toutes les circonvolutions alambiquées que cela implique. Et c'est tout le talent de l'auteur de nous permettre d'assimiler, avec une limpidité exceptionnelle, la complication de ces enjeux variés qui vont faire basculer la destinée de l'ensemble des personnages dont il est permis d'espérer, au terme de l'intrigue qui le laisse penser, en retrouver un certain nombre dans un nouveau roman à venir. Scénario voulant s'approcher de la série The Wire, comme l'évoque son créateur dans l'intéressante postface de l'ouvrage, Rétiaire(s) devient donc ainsi un roman d'envergure pouvant faire partie, à n'en pas douter, des grandes références de la littérature noire.

     


    DOA : Rétiaire(s). Editions Gallimard/Série Noire 2023.

    A lire en écoutant : Marché Noir de SCH. Album JVLIVS II. Label Rec. 118.

  • Brian Evenson : Immobilité. La raison d'être.

    Capture d’écran 2023-01-20 à 18.17.20.pngCela devient presque une tradition de débuter l'année avec un ouvrage issu de la maison d'éditions Rivages et plus particulièrement de sa collection noire en évoquant des grands romanciers tels que Hugues Pagan en 2022 avec Le Carré Des Indigents ou Hervé Le Corre en 2021 avec le bouleversant Traverser La Nuit. Pour 2023, on s'éloignera de la littérature noire pour se pencher sur la nouvelle collection Imaginaire dirigée par Valentin Baillehache en se focalisant sur Immobilité, un roman d'anticipation de Brian Evenson dont la parution dans sa langue d'origine date de 2012. Drôle de parcours pour cet écrivain, ancien prêtre mormon qui, après la publication de son premier recueil de nouvelles, doit choisir entre l'écriture ou la carrière ecclésiastique en se lançant pour notre plus grand plaisir dans la rédaction de récits étranges et dérangeants, à la lisière du fantastique, de l’horreur et de la science fiction, en collaborant entre autre avec des artistes tels que Rob Zombie ou James DeMonaco et dont certains ouvrages ont été traduits par Claro. Dans nos contrées brian evenson,immobilité,rivages imaginairefrancophones, Brian Evenson est principalement connu des amateurs du genre noire par le biais de La Confrérie Des Mutilés, un roman culte, qui semble désormais indisponible, nous plongeant dans l'étrange milieu d'une congrégation des mutilés volontaires. Hasard du calendrier ou démarche concertée qu’importe, il faut signaler que Immobilité paraît en français en même temps que LAntre, autre roman de Brian Evenson traduit et publié chez Quidam Editeur avec pour cadre commun entre les deux ouvrages, l’ambiance oppressantes d'un univers post-apocalyptique.

     

    Un réveil brutal après une gestation de plusieurs dizaines d'années, il ignore qui il est et d'où il vient. Il évolue dans un environnement ravagé par une catastrophe qui a détruit le monde d'autrefois. Paraplégique, il lui faut accomplir une mission : rechercher un boitier au contenu mystérieux. Le voici donc projeté dans un univers en ruine où l'air vicié annihile tous les organismes, en progressant sur le dos de deux hommes en combinaison qui semblent avoir été destinés à cette unique fonction. Il lui faut comprendre la raison de cette démarche étrange et plus particulièrement sa résistance à cette pollution mortelle alors que ses deux compagnons de voyage dépérissent peu à peu, en dépit de leurs protections, à mesure qu'ils progressent vers cette montagne abritant un bunker renfermant cet objet tant convoité qui semble être en mesure de faire basculer le destin de ce qu'il reste de l'humanité. Mais peut-il y avoir un avenir dans ce monde dévasté ? Il ne s'agit pas de la seule interrogation de Josef Horkaï. Obtiendra-t-il les réponses ?

     

    Qui sommes-nous ? Vers quel destin aspirons-nous ? Les questions existentialistes traversent ainsi ce récit d'anticipation apocalyptique où Brian Evenson posent ces interrogations par le prisme des aspects triviaux de l'amnésie de Josef Horkaï, personnage central du récit, et de sa quête mystérieuse le conduisant à traverser cette région de Salt Lake City dévastée par un cataclysme, tout comme le reste de la terre, et dont on ignore l'origine. C'est l'occasion pour Brian Evenson, prêtre mormon défroqué, de fustiger son ancienne congrégation en mettant par exemple en perspective les ruines du temple de Salt Lake City puis en déclinant le côté mystique de ces communautés survivalistes, que l'on désigne sous l'appellation de ruches, s'entredéchirant pour évoluer dans le déclin de cet univers dévasté. Autant dire que Brian Evenson ne se fait guère d'illusion quant au devenir de l'humanité qui s'ingénie à s'entretuer autour des reliquats d'un monde déclinant en projetant Josef Horkaï sur une route qui rappelle celle de Cormac McCarthy ou celles que parcourt Mad Max. Mais avec Brian Evenson tout est plus dérangeant et plus étrange, à l'instar de ce titre Immobilité qui fait référence au handicap de Josef Horkaï ce qui le contraint à évoluer sur le dos de deux compères qui ont été programmés, et le mot n'est pas galvaudé, pour cette unique fonction. Ainsi pour l'auteur, le monde n'a donc pas fondamentalement changé, malgré le cataclysme et l'on découvre qu'iI existe plusieurs castes d'humains plus ou moins taillés pour résister à cette pollution suffocante et meurtrière qui enveloppe l'atmosphère en détruisant toutes formes de vie à l'exception de Josef Horkaï semblant bien plus solide qu'il n'y paraît. Allégorie ou conte cruel, on appréciera la sobriété d'une écriture au service de scènes effroyables et douloureuses qui font d'Immobilité un texte puissant et perturbant ne nous laissant guère d'espoir quant à l'avenir de l'homme.

     

    Brian Evenson : Immobilité (Immobility). Rivages/Imaginaire 2023. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) parJonathan Baillehache.

    A lire en écoutant : Blackstar de David Bowie. Album : Blackstar. 2016 ISO Records.

  • MISE AU POINT 2023 : TOUJOURS PLUS LOIN.

    Capture d’écran 2023-01-06 à 22.17.08.pngComme je l'ai mentionné dans la dernière chronique de l'année 2022, le site a migré vers une autre plateforme puisque la Tribune de Genève a décidé de fermer son forum consacré aux blogs. Le blog "Mon Roman ? Noir et bien serré !" est donc désormais consultable à l'adresse suivante :


    www.monromannoiretbienserre.com

    Pour le dire franchement cette migration n'a pas été aussi aisée que cela et je regrette que les liens du blog précédent ne puissent pas rediriger le lecteur vers le blog actuel. Ce sont là les aléas de l'informatique que je maîtrise difficilement. Néanmoins, toutes les chroniques précédentes ont été rapatriées et vous retrouverez dans la colonne de droite, divers liens vous redirigeant vers ces chroniques en fonction des différents classements que ce soit par ordre alphabétique d'auteurs, par pays ou par thèmes. A quelques détails près, le blog en lui-même n'a pas changé et reste dépourvu de publicité, ce qui demeure d'ailleurs un critère essentiel pour moi. 

     


    Capture d’écran 2023-01-06 à 19.45.30.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 19.45.10.pngPuisque j'ai évoqué les thèmes, l'année 2022 a vu l'apparition des récits avec deux ouvrages importants que sont la vie extraordinaire du Lieutenant Versiga et la corruption au sein de la police de Baltimore évoquée par Justin Fenton dans La Ville Nous Appartient qui a fait l'objet d'une adaptation pour HBO. Nul doute que je prendrai le temps d'étoffer ce thème avec d'autres récits hallucinants qui dépassent parfois la fiction. 

     

    Capture d’écran 2023-01-06 à 21.08.17.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.07.33.pngMais pour en revenir aux romans noirs et aux polars, l'année 2022 a débuté sur les chapeaux de roue avec Le Carré des Indigents de Hugue Pagan qui a fait son grand retour sur la scène de la littérature noire. En Suisse, on saluera également le retour de Jean-Jacques Busino qui signe un grand roman noir avec Le Ciel Se Couvre.

     

     

     

    Capture d’écran 2023-01-06 à 21.11.44.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.15.46.pngDans le registre des excellents ouvrages qu'il faut avoir lu, il faut citer Le Blues Des Phalènes de Valentine Ihmof ainsi que Le Dernier Jour Des Fauves de Jérôme Leroy et bien évidemment le roman extraordinaire de Séverine Chevalier qui nous a ébloui, une fois encore, avec Jeannette Et Le Crocodile.Capture d’écran 2023-01-06 à 21.14.02.png 

     

     

     

     

     

     

     

    Capture d’écran 2023-01-06 à 21.22.21.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.24.10.pngAux Etat-Unis, il faut saluer David Joy avec Nos Vies En Flammes ainsi que l'extraordinaire roman de Richard Krawiec, Les Paralysés. Dans le registre des séries, il faut signaler des valeurs sûres comme les enquêtes du commissaire Soneri qui revient avec La Main De Dieu, tout comme les investigations de la procureure Chastity Riley officiant toujours à Hambourg dans Béton Rouge. Autre série importante que celle d'Abir Mukherjee et de son capitaine Sam Wyndham que l'on retrouve dans Avec La Permission De Gandhi.

    Capture d’écran 2023-01-06 à 21.29.58.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.27.14.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.30.57.png

     

     

    Capture d’écran 2023-01-06 à 21.35.42.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.37.26.pngL'un des grand événements de l'année fut la clôture de la trilogie japonaise de David Peace qui nous a ébloui avec Tokyo Revisitée. Dans un registre similaire on aura également apprécié La Cour Des Mirages de Benjamin Dierstein qui achève de manière magistrale sa trilogie hallucinante sur la police parisienne.

     

     

     

    Capture d’écran 2023-01-06 à 21.41.10.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.42.56.png
    Capture d’écran 2023-01-06 à 21.46.00.pngColin Niel a fait son retour avec Darwyne, un roman au lisière du fantastique se déroulant en Guyane. On a également apprécié Le Tableau Du Peintre Juif de Benoît Severac ainsi que Les Corps Solides de Joseph Incardona. De nouvelles séries prometteuses semblent avoir vu le jour avec cette année 2022 à l'instar de
    Madame Mohr A Disparu de Maryla Szymiczkowa, Le Château De Carte de Miguel Szymanski ainsi que Les Gens Des Collines de Chris Offutt.

     

    Capture d’écran 2023-01-06 à 21.47.59.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.50.07.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.51.15.png

     

    Capture d’écran 2023-01-06 à 21.57.25.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.59.02.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 22.23.02.pngIl faut également citer quelques pépites comme Traquenoir de Ed Lacy, Eugenia de Riku Onda, Duchess de Chris Whitaker ainsi que Et Nous, Au Bord Du Monde de Nathalie Sauvagnac. Pour conclure cette rétrospective, on signalera quelques auteurs helvétiques prometteurs comme Lucien Vuille avec son premier roman La Grande Maison ainsi que l'apparition de Nicolas Verdan au sein d'une maison d'éditions française qui a eu la bonne idée de rééditer Le Mur Grec que l'ensemble des pays francophones pourra ainsi découvrir.

    Capture d’écran 2023-01-06 à 22.01.58.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 22.02.54.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 23.03.44.png

     

    En guise de perspective 2023, il me faut évoquer les salons dédiés à la littérature noire comme Quai du Polar pour lequel je serai présent, tout comme Toulouse Polar du Sud. Il semble qu'en Suisse on puisse voir pour cette année le retour de Lausan'noir, même si la nouvelle n'est pas confirmée. Il me faut également découvrir le FIRN (Festival Internationale du Roman Noir à Frontignan) ainsi que le fameux Aller et Retour dans le Noir qui se déroule à Pau. Dans un domaine plus généraliste j'espère pouvoir également me rendre à Libri Mondi en Corse pour un festival somptueux qui sort résolument de l'ordinaire. J'espère vous y croiser pour entamer de belles discussions notamment sur le thème de la littérature noire

     

    Il ne me reste qu'à vous remercier pour votre fidélité et à vous souhaiter une très bonne année 2023, riche en belles découvertes littéraires.

     

    A lire en écoutant : There’d Better Be A Mirrorball de Arctic Monkeys. Album : The Car. 2022 Domino Recording Co Ltd.

  • Sandrine Collette : On Etait Des Loups. Amour vorace.

    Sandrine Collette, on était des loups, Jean-Claude lattès

    Il y a la nature et la tragédie qui animent depuis toujours les romans de Sandrine Collette pour en faire une des grandes figures de la littérature noire, ceci même si elle a toujours débordé des cases avec une écriture épurée nous entraînant dans les méandres de l'âme humaine avec son cortège de contradictions où la monstruosité des sentiments côtoie la beauté des émotions dans une lutte âpre et sombre, souvent sublimée par l'immensité d'espaces sauvages plutôt hostiles. Intégrant la collection Sueurs froides chez Denoël, la romancière a rapidement fait l'unanimité auprès des lecteurs du genre en obtenant des prix prestigieux comme le Grand Prix de la Littérature Policière pour son premier roman Des Noeuds d'Acier (Denoël/Sueurs froides 2008) ou le Prix Landerneau du polar pour Il Reste La Poussière (Denoël/Sueurs froides 2016). En étant désormais publiée dans la collection blanche des éditions Jean-Claude Lattès depuis trois ans, Sandrine Collette n'a rien changé de ses thèmes de prédilection mais atteint désormais un lectorat plus large comme l'atteste d'ailleurs l'attribution de récompenses littéraires qui ne souffriraient pas de célébrer un ouvrage estampillé dans une collection noire. Et même si elle a de quoi agacer, on connaît le résultat de la démarche, puisque son nouveau roman On Etait Des Loups est désormais auréolé de distinctions issues d'une tout autre catégorie littéraire telles que le Renaudot des lycéens ou le Prix Jean Giono qui font l'éloge d'un roman à la fois sobre et puissant. 

     

    En revenant de sa traque d'un loup qui s'était approché trop près du domaine, Liam se doute bien qu'il s'est passé quelque chose, lorsqu'il se rend compte que son fils Aru ne court pas à sa rencontre comme à l'accoutumée. A proximité de la maison, il découvre les empreintes d'un ours puis le corps lacéré de sa femme sans vie qui est parvenue à protéger son petit garçon de cinq ans encore vivant. Tout un univers qui s'écroule avec la certitude pour Liam qu'un enfant ne peut vivre seul avec son père dans cet environnement sauvage. Bien décidé à confier son fils à son oncle qui habite le bourg lointain, Liam entame un périlleux voyage à dos de cheval en tentant de contenir la détresse qui le submerge. Mais sur un chemin parsemé d'embûches, nul ne peut dire ce qu'il va advenir d'un père désemparé et d'un fils mutique qui semble de plus en plus terrifié par la tournure des événements dont il ne peut saisir le sens. 


    Le rythme lent et régulier du pas des chevaux qui résonnent dans l'immensité d'un paysage sauvage, les allusions au climat qui se détraque avec ces orages d'une tout autre nature ou ce tapis de neige qui se fait moins épais, il n'y a rien d'anodin dans On Etait Des Loups où Sandrine Collette prend soin de nous livrer un texte dépourvu de fioritures pour se concentrer sur l'essentiel d'une relation entre un père et une fils qui se construit dans la douleur d'une femme/d'une mère absente. On adopte ainsi le point de vue de Liam et de son désarroi quant au devenir de son fils qui lui pose un véritable dilemme comme la romancière sait le mettre en scène d'une manière à la fois habile et prenante afin de nous entrainer dans le sillage d'un parcours chaotique et oppressant à l'image de la nature qui entoure les personnages. Il ne s'agit d'ailleurs pas que d'un simple décor, mais du refuge de Liam qui a choisi de fuir la compagnie des hommes afin de se recentrer sur l'essentiel mais en acceptant tout de même la présence de sa femme qui devenait le centre de son univers. Alors que tout s'écroule autour de lui, l'enjeu réside à savoir comment ce misanthrope vivant en autarcie va-t-il tolérer la présence de son fils qu'il juge trop vulnérable pour vivre dans un tel environnement. Mais ne s'agit-il pas d'un prétexte pour se débarrasser d'un poids trop encombrant où l'on décèle malgré tout des liens forts qui le lient à cet enfant dont il ne sait que faire. Tout cela se construit au gré d'un cheminement lent et incertain rythmé par la force de la colère et du désespoir qui se traduit soudainement par une scène dramatique au bord d'un lac désert où le père se heurte une nouvelle fois à la présence trop pesante de son fils. Puis le récit prend une autre allure avec la rencontre d'un vieillard singulier et inquiétant qui tourne à la confrontation en révélant toute la vulnérabilité de Liam. C'est sans doute dans ce registre du suspense et de la tension que Sandrine Collette révèle tout son savoir-faire tandis que la tournure des événements met en lumière la force des liens qui unissent un père à son fils au-delà de toutes considérations pratiques qui sont brutalement balayées par la détresse d'une perte imminente. D'un bout à l'autre du récit, on reste ainsi submergé par le poids des émotions que Sandrine Collette décline avec une belle sobriété pour nous entrainer dans ce périple sauvage et confondant de beauté où les liens du sang se révèlent bien plus forts que tout autre sentiment. Une alliance à la fois sombre et lumineuse pour ce récit d'une force incandescente.

     


    Sandrine Collette : On Etait Des Loups. Editions Jean-Claude Lattès 2022.

    A lire en écoutant : Lost de Coldplay. Album : Viva La Vida. 2008 Parlophone Music Ltd.

     

  • Il est temps de partir vers d’autres horizons.

    Capture d’écran 2022-12-30 à 23.58.27.pngUn mail laconique, une sentence irrévocable, la plateforme des blogs de la Tribune de Genève ferme ses portes au 31 décembre 2022.

    Il ne m'appartient pas de commenter cette décision de la rédaction d'un journal qui semble connaitre de grandes difficultés, tout comme l'ensemble de la presse écrite romande. Une stratégie ou un choix éditorial qui contribuera peut-être à relancer ce journal emblématique du canton de Genève qui voit sa presse réduite à une peau de chagrin.  

    Il y a de cela un peu plus de onze ans, le blog "Mon Roman ? Noir et Bien Serré !" voyait le jour sur cette plateforme dirigée par Jean-François Mabut qui a animé avec brio cette communauté de blogueurs et que je remercie pour son soutien. Onze ans de chroniques consacrées exclusivement à la littérature noire avec une somme de rencontres et d'échanges incroyables que ce soit avec les lecteurs, mais également les éditeurs, les libraires, les journalistes, les romanciers et les blogueurs passionnés du "mauvais genre". 

    Il me faut donc vous remercier chers lectrices et chers lecteurs qui m'avez suivi pendant toutes ces années et que j'ai parfois croisés au détour d'un festival du polar ou d'un rayon d'une librairie. Ce blog n'a jamais eu d'autre vocation que de vous faire partager ma passion pour cette littérature noire tant décriée. Et rien n'a été plus gratifiant que de savoir que vous aviez découvert un ouvrage par l'entremise de ce blog.

    Il va de soi que l'aventure continue. Le blog a migré sur une autre plateforme et vous pouvez me retrouver à l'adresse suivante : http://www.monromannoiretbienserre.com

    J'aurai donc grand plaisir de vous y retrouver pour partager avec vous les chroniques de mes lectures à venir.

     

    A très bientôt.

  • RIKU ONDA : EUGENIA. MORTEL POEME.

    riku onda, eugenia, atelier akatomboFranchement, il aurait été dommage de passer l'année sans lire un roman policier en provenance d'Asie et plus particulièrement du Japon, ce d'autant plus qu'une nouvelle fois, la maison d'éditions Atelier Akatombo nous propose de découvrir une première traduction en français d'un ouvrage de Riku Onda, un pseudonyme qu'emprunte la romancière Nanae Kumagai qui s'est lancée dans l'écriture depuis 1991 tout en travaillant comme scénariste pour le cinéma et la télévision. Avec une oeuvre auréolée de multiples distinctions et faisant également l'objet de nombreuses adaptations, Riku Onda se distingue notamment dans la littérature noire avec Eugenia qui obtint en 2006 le 59ème Mystère Writers of Japan Award qui célèbre le genre depuis 1948. Débutant sur un poème aux connotations mystérieuses, Eugnia rassemble ce qui fait la particularité de la littérature noire japonaise imprégnée de nuances subtiles et d'étrangetés déconcertantes.

     

    La chaleur est accablante et tout laisse présager l'arrivée d'un typhon sur cette ville côtière du Japon où malgré tout, la fête bat son plein dans le magnifique domaine de la famille Aosawa, ces notables propriétaires d'une clinique réputée qui célèbrent plusieurs anniversaires. Mais ce qui devait être une réception joyeuse, vire à la tragédie lorsque l'on découvre un nombre invraisemblable de personnes agonisantes qui semblent avoir été empoisonnées au cyanure. Malgré les soins apportés, dix-sept participants succomberont dans d'atroces souffrances. Rescapée, la jeune Hisako a assisté à la mort de ses proches sans pour autant donner d'indications à la police puisqu'elle est aveugle. Le meurtrier ne semble avoir laissé pour unique indice que ce poème étrange abandonné sur les lieux du crime. Bien des années plus tard, l'affaire reste encore marquante, nimbée d'un certain mystère comme en témoignent les proches, les enquêteurs et les voisins qui reviennent sur leurs perceptions des événements au gré de leurs souvenirs qui s'étiolent. On entame ainsi une narration aux voix discordantes semant le trouble autour d'une vérité émergente qui projette davantage d'interrogations que de réponses.

     

    Difficile de distinguer l'identité du témoin ainsi que celle de l'interlocuteur auquel il s'adresse dans cette succession de déclarations qui s'enchaînent pour former une narration aussi nébuleuse que fragile qui traduit de manière très habile toute la délicatesse du témoignage au travers de l'interprétation forcément orientée, donc subjective, ceci en fonction de la personnalité de celui qui l'incarne. Il en résulte un récit génial aux contours chaotiques que Riku Onda ramène subtilement dans son cadre imprégné de doutes et d'incertitudes et qu'elle traduit dans un texte nimbé d'une certaine poésie morbide qui achève de décontenancer le lecteur. S'il s'agit d'identifier le meurtrier dans la première partie du roman, l'intrigue bascule soudainement vers d'autres enjeux comme celui de connaître les mobiles qui l'on poussé à commettre un tel forfait avec la certitude d'obtenir des réponses incertaines ou partiellement biaisées. II émane ainsi de cet ensemble bancal une atmosphère trouble et dérangeante ce d'autant plus lorsque l'on se plonge dans le récit d'un des enquêteurs qui identifie l'auteur du crime sans en apporter les éléments de preuve en faisant d'ailleurs référence, sans le nommer, aux enquêtes du lieutenant Colombo ce qui est d'ailleurs amusant de retrouver dans un roman policier asiatique. Dans le domaine des références, Riku Onda fait également allusion l'affaire de l'empoisonnement de l'affaire Teigin que David Peace avait évoqué dans Tokyo, Ville Occupée (Rivages/Noir 2012). La comparaison n'est pas anodine puisque Eugenia ne nous fournit pas une intrigue avec des réponses clé en main pour nous laisser dériver dans une incertitude à la fois salutaire et déconcertante tout comme l'ensemble de ses personnages subtilement incarnés qui donnent davantage de réalisme à ce fait divers sordide que la romancière décline avec une intelligence redoutable. 

     

     

    Riku Onda : Eugenia (Yujinia ユージニア). Editions Atelier Akatombo 2022. Traduit du japonais par Mai Beck et Dominique Sylvain.

     

    A lire en écoutant : 初恋 de Hikaru Utada. Single. 2018 Sony Music Entertainment (Japan) Inc.