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  • MARYLA SZYMICZKOWA : LE RIDEAU DECHIRE. DERRIERE LE VOILE DES APPARENCES.

    maryla szymiczkowa,le rideau déchiré,éditions agulloService de presse.

    A l’origine, il y a le fameux whodunit incarné notamment par la romancière britannique Agatha Christie avec cette prédominance de l'énigme policière s'inscrivant autour d'une succession d'indices permettant à une enquêtrice amateure de découvrir le coupable dont l'identité sera révélée à la toute fin du récit. Issu de ce genre littéraire, le cosy mystery ou cosy crime connaît un essor considérable depuis quelques années avec des intrigues qui se définissent par leur caractère édulcoré, donnant du sens à cet oxymore anglophone, ainsi que par leur légèreté, pour ne pas employer le terme vacuité, que les couvertures au style infantile ne démentiront pas. Dans ce registre, on ne manquera pas de s'intéresser à l'oeuvre de Maryla Szymiczkowa, nom de plume du duo d'auteurs mariés que forme Jacek Dehnel et Piotr Tarczynski ayant désormais élus domicile à Berlin mais qui représenteront tout de même la Pologne lors de leur venue à Lyon à l'occasion du festival international Quais du Polar. C'est avec Madame Mohr A Disparu (Agullo 2023) que l'on fait la connaissance de Zofia Turbotyńska, cette bourgeoise de Cracovie au caractère quelque peu acariâtre, mariée à un professeur d'université, comblant l'ennui d'une vie domestique en se mêlant aux affaires criminelles qui émaillent le ville, ceci au gré d'une série d'énigmes policières prenant pour cadre la société polonaise de la fin du XIXème siècle jusqu'au tournant de la Seconde guerre mondiale. Si à bien des égards, les ouvrages de ces romanciers polonais répondent aux critères du cosy crime, on ne manquera pas de souligner l'aspect historique qui émerge de ces intrigues policières ainsi que l'étude de moeurs au caractère social affirmé comme en témoigne Le Rideau Déchiré, second opus de la série qui en compte désormais trois puisque Séance A La Maison Egyptienne va paraître très prochainement.

     

    A Cracovie en 1895, Zofia Turbotyńska doit faire face aux impondérables de la vie domestique avec les préparatifs des fêtes pascales qu'elle doit assumer avec l'unique appui de sa cuisinière Franciszka alors que sa femme de chambre Karolina a disparu du jour au lendemain après avoir remis sa démission. Un véritable scandale. Mais lorsque l'on retrouve le corps sans vie de la  jeune domestique au bord de la Vistule, la nouvelle à de quoi bouleverser les membres de la maison Turbotyńska ce d'autant plus qu'au vu des violences commises, il s'agit indéniablement d'un crime. Dotée d'un grand sens de l'observation conjugué à un esprit de déduction sans faille, Zofia va mener l'enquête en s'intéressant davantage à la personnalité de cette jeune femme qu'elle ne connaissait pas si bien que cela. Elle parcourra ainsi le bas-fond de la ville en croisant sur son chemin des malfaiteurs en tout genre, tout en découvrant le monde interlope de la prostitution que les édiles de la cité fréquentent assidument. C'est l'occasion pour elle de lever le voile sur cette province pauvre de la Galicie qui conduit femmes et hommes miséreux vers la ville en quête d'un espoir tout relatif.

     

    L'originalité de la série mettant en scène la détective amateure Zofia Turbotyńska réside dans son caractère érudit, sans être trop ostentatoire, tout en pariant sur l'intelligence du lecteur ce qui n'apparaît pas comme un critère essentiel dans la déclinaison de récits que l'on propose dans le cadre d'un genre littéraire comme le cosy crime. C'est également autour du contexte historique et de la multitude de détails qui en découlent que l'on prend la mesure de la densité de ces intrigues imprégnées de l'atmosphère sophistiquées de l'empire austro-hongrois et de sa complexité politique. Indéniablement, Le Rideau Déchiré présente un registre historique un peu moins prégnant pour se concentrer sur le volet social qui régit les différentes castes de la communauté de la ville de Cracovie et plus particulièrement le milieu bourgeois côtoyant la domesticité et plus spécifiquement les femmes de condition modeste devenant la proie d'individus inquiétants naviguant dans les réseaux de la prostitution. Cela permet aux auteurs d'aborder des sujets sensibles comme la conditions des femmes de l'époque et d'observer les mouvements progressistes qui s’amorcent au sein de la société polonaise, notamment avec l’émergence du socialisme qui prend davantage d’essor autour de personnalités historiques telles qu'Ignacy Daszyński que Zofia Turbotyńska va côtoyer à son corps défendant. Ainsi, sans mettre à bas les certitudes conservatrices de cette femme au caractère affirmé, qui cache d'ailleurs ses activités d'enquêtrice à son mari, on observe, sur un registre très nuancé, l'effritement de certaines de ses certitudes notamment en lien avec l'hypocrisie qui régit son entourage et plus particulièrement le milieu policier et judiciaire qu'elle côtoie dans le cadre de ses investigations. Mais en dépit de la gravité des thèmes abordés, Le Rideau Déchiré n'est pas dépourvu d'humour avec quelques scènes cocasses à l'instar de cette rencontre avec une prostituée que Zofia Turbotyńska rejoint dans un parc public, accoutrée d'un déguisement vaudevillesque ou de son effarement lorsqu’un médecin évoque son intérêt pour l’instauration d’une éducation sexuelle qu’il définit au sein de ce qu’il dénomme la “sexuologie“. Et puis, il y a cette multitude d’hommages à l’exemple du titre Le Rideau Déchiré faisant allusion à l’une des oeuvres du maître du suspense Alfred Hitchcock dont on trouve le nom dans l’énoncé du premier chapitre du récit également ponctué de citations de L'Étrange Cas Du Docteur Jekyll Et De Mr Hyde de Robert Louis Stevenson. Avec une intrigue se déroulant, sur plus d’une année, Le Rideau Déchiré est aux antipodes des romans trépidents propres à notre époque, pour se décliner sur un rythme prenant tout son temps au gré d’une construction narrative à la fois foisonnante et passionnante. 

     

    Maryla Szymiczkowa : Le Rideau Déchiré (Rozdarta Zaslona). Editions Agullo 2024. Traduit du polonais  par Cécile Bocianowski.

    A lire en écoutant : Polonaise No. 5 in F-Sharp Minor, Op 44. Album : Chopin: Polonaise - Rafal Blechacz. 2013 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin.

  • DOA : RETIAIRE(S). LE CRIME PAIE.

    DOA, Rétiaire(s), série noireFinalement on ne sait que bien peu de chose sur DOA dissimulant son identité derrière l'acronyme charmant de Dead On Arrival tout en se gardant bien de se faire photographier pour s'afficher avec la pose étudiée du romancier inspiré que l'on peut découvrir parfois sur les quatrièmes de couverture. DOA cultive donc la discrétion en étant toutefois un peu plus disert lors d'entretiens passionnants et pertinents pour évoquer son oeuvre ou la discrimination qui entache la littérature noire, ceci plus particulièrement dans le domaine des grands prix littéraires systématiquement attribués à une tout autre catégorie de romans ne portant pas l'infâme appellation de collection noire ou polar. Mais pour en revenir aux récits de l'auteur, celui-ci a immédiatement marqué les esprits avec Citoyens Clandestins (Série Noire 2007) en intégrant ainsi la fameuse Série Noire qu'il n'a plus quittée pour publier également Le Serpent Aux Milles Coupures (Série Noire 2009) ainsi que les deux volumes Pukhtu I et II (Série Noire 2015 et 2016) et dont l'ensemble constitue le Cycle clandestin qui donne le vertige. Tout aussi vertigineux, on a pu lire des romans tels que L'Honorable Société (Série Noire 2011) aux connotations politiques et écrit en collaboration avec Dominique Manotti ou le très sombre Lykaia (Gallimard 2018) se déroulant dans le milieu BDSM. Mais outre son activité de romancier, DOA écrit également des scénarios, tâche des plus ingrates et des plus laborieuses, comme il l’évoque d’ailleurs dans la postface de son nouvel ouvrage. Et c'est l'un d'entre eux, n'ayant pas eu l'heur de plaire aux grands diffuseurs du paysage audiovisuel français, qui a fait l'objet de tout un travail de réécriture pour nous proposer ainsi ce dernier roman intitulé Rétiaire(s) se déroulant dans le milieu du grand banditisme, de l'univers carcéral et des grands offices de la police luttant contre le trafic de drogues.

     

    Que l'on soit flic ou truand, dans le domaine des stupéfiants on a parfois l'impression de se retrouver sur la piste sanglante d'un cirque antique où les alliances se font et se défont au gré des opportunités de chacun. C'est ainsi que Théo Lasbleiz, commandant au sein d'une brigade des stups à Paris, exécute froidement, devant ses camarades policiers, un trafiquant transféré chez le juge. La nouvelle fait l'effet d'une bombe et bouleverse les équilibres. Du côté du clan Cerda, il faut se réorganiser pour faire entrer dans le pays une grosse quantité de cocaïne qui se chiffre en tonne alors que la famille est fragilisée avec le clivage entre Momo et Manu, deux demi-frères qui se disputent la direction des affaires tandis qu'émerge Lola, la soeur cadette qui souhaite également à semparer des commandes. Du côté de la police, on est pas en reste avec Amélie Vasseur, jeune capitaine de gendarmerie qui a tout à prouver. Déjouer les plans de la famille Cerda lui permettrait peut-être d'accéder au commandement d'un groupe, ce à quoi elle aspire depuis toujours. Entre la défiance et les trahisons rythmant le cheminement de la drogue, les jeux de pouvoir peuvent commencer. Personne ne sera épargné.

     

    Rétiaire(s) est assurément un roman que tous policiers ou truands, reconvertis comme écrivain, aimeraient avoir écrit tant l'on se trouve plongé au coeur d'une intrigue policière à la tonalité résolument réaliste ce qui caractérise d’ailleurs son auteur habitué à digérer une somme considérable de documentation qu'il restitue  avec une redoutable précision sans pour autant alourdir un texte d'une efficacité impressionnante. Comme tout grand roman, il convient de souligner que le récit se mérite en fournissant notamment un bel effort de concentration afin d'assimiler l'abondance de patronymes, surnoms et abréviations d'offices étatiques qui jalonnent cette intrigue tournant autour d’un chargement de cocaïne dont DOA dépeint avec une belle justesse toute la trajectoire internationale ainsi que l’aspect géopolitique que génère un tel trafic et dont on peut découvrir la teneur dans les interludes ponctuant chacune des parties de l’ouvrage. Au milieu de toute cette quantité impressionnante de personnages, émerge bien évidemment Théo Lasbleiz, ce flic destitué et brisé qui traverse ainsi les trois mondes de la police, des truands et des détenus et dont les interconnections ne manqueront pas de déstabiliser le lecteur au rythme de rebondissements à la fois intenses et surprenants. Dans sa trajectoire tragique, Théo Lasbleiz incarne ainsi cette troublante ambivalence qui habite d'ailleurs l'ensemble des protagonistes de Rétiaire(s). Avec de tels traits de caractères corsés, DOA nous entraine habilement dans la complexité des rapports qui régissent ces trois univers distincts, ceci au gré des chocs qui s'ensuivent lorsque les accords plus ou moins tacites volent en éclat. A l'image des gladiateurs et auquel le titre Rétiaire{s) fait donc allusion, DOA décline ainsi les enjeux cruels d'une espèce de joute mortelle qui se joue sur le théâtre dramatique du trafic de stupéfiants avec toutes les circonvolutions alambiquées que cela implique. Et c'est tout le talent de l'auteur de nous permettre d'assimiler, avec une limpidité exceptionnelle, la complication de ces enjeux variés qui vont faire basculer la destinée de l'ensemble des personnages dont il est permis d'espérer, au terme de l'intrigue qui le laisse penser, en retrouver un certain nombre dans un nouveau roman à venir. Scénario voulant s'approcher de la série The Wire, comme l'évoque son créateur dans l'intéressante postface de l'ouvrage, Rétiaire(s) devient donc ainsi un roman d'envergure pouvant faire partie, à n'en pas douter, des grandes références de la littérature noire.

     


    DOA : Rétiaire(s). Editions Gallimard/Série Noire 2023.

    A lire en écoutant : Marché Noir de SCH. Album JVLIVS II. Label Rec. 118.

  • BENJAMIN DIERSTEIN : LA COUR DES MIRAGES. L'IDOLE DES JEUNES.

    Capture d’écran 2022-08-04 à 14.34.02.pngDébutant en mars 2011 avec La Sirène Qui Fume, la trilogie de la PJ Parisienne de Benjamin Dierstein s'inscrit donc dans un contexte historique où l'on observe la lutte acharnée pour le pouvoir entre une droite fragilisée par les affaires et une gauche en quête du graal présidentiel, avant de se poursuivre en octobre 2011 avec La Défaite Des Idoles pour s'achever en avril 2013 avec La Cour Des Mirages qui clôture cette série dantesque. Entre une violence exacerbée s'implémentant parfaitement dans la reconstitution minutieuse d'une actualité au service du récit, on découvrira au travers de cette institution policière, une série aux accents politiques chargée d'énergie qui prend l'allure d'un hard-boiled historique mettant en scène trois policiers explosifs et jusqu'au-boutistes que sont le capitaine Gabriel Prigent miné par la disparition de sa fille, le lieutenant Christian Kertesz amoureux fou d'une call-girl déjantée et la capitaine Laurence Verhaegen rongée par l'ambition. Outre l'aspect politique, on observait avec La Sirène Qui Fume, les aspects peu reluisants de la prostitution "haut de gamme" employant des jeunes filles mineures au travers de la dualité entre Prigent et Kertesz, tandis que l'on abordait avec La Défaites Des Idoles la thématique des financements de partis politiques alimentés notamment par le truchement du pouvoir libyen en pleine déliquescence, ceci par le prisme de l'affrontement entre Kertesz et Verhagen. Pour clôturer cette trilogie, La Cour Des Mirages nous donne l'occasion de nous plonger dans l'univers sordide des réseaux pédophiles par l'entremise d'une enquête conjointe entre Verhaegen et Prigent qui n'a toujours pas renoncé à savoir ce qu'il est advenu de sa fille disparue.

     

    Juin 2012, François Hollande est au pouvoir et la droite déchante, tandis que les purges s'enchainent au sein du ministère de l'Intérieur, à commencer par la commandante Laurence Verhaegen qui doit quitter la DCRI. Mutée à la brigade criminelle du 36, elle retrouve le capitaine Gabriel Prigent qui a réintégré le service après un internement d'une année en HP. Deux flics déchus et brisés qui vont hériter d'une enquête sensible où un ancien haut cadre politique a assassiné sa femme et son fils avant de se suicider. Mais bien vite les investigations vont les conduire dans les méandres de réseaux puissants évoluant dans le milieu de la pédophilie et de la prostitution de luxe tout en combinant des montages financiers occultes afin de favoriser l'évasion fiscale. Taraudés par leurs obsessions respectives, Verhaegen et Prigent vont s'enfoncer dans les arcanes d'une organisation criminelle sordide bien implantée dans les hautes sphères du monde politique qui a tout intérêt à ce que leur enquête n'aboutisse pas. Un plongée en enfer, sans retour, dans un univers impitoyable de barbarie.

     

    La Cour Des Mirages désigne ces bacchanales infernales des années 70 où adultes, hommes et femmes, se côtoient en abusant d'enfants enlevés pour l'occasion, ceci sous l'égide d'un inquiétant maître des lieux déclamant quelques textes philosophiques, d'où son surnom Le Philosophe. L'un des enjeux du livre consiste donc à découvrir l'identité de cet individu captieux et des complices qui l'accompagnent pour alimenter les geôles de son domaine avec de très jeunes enfants. L'autre enjeu de l'ouvrage se focalise sur la fille de Gabriel Prigent dont on suit les détails de son enlèvement en guise d'introduction tout en se demandant si son père va enfin découvrir, six ans plus tard, ce qu'il lui est advenu. Marqué par l'affaire de La Sirène Qui Fume on retrouve donc un flic obèse, plus ou moins brisé qui carbure aux antidépresseurs mais qui retrouve un regain de vigueur avec une enquête qui le conduit sur les traces d'un réseau pédophile pouvant avoir un lien avec l'enlèvement de son enfant. Pour cadrer ce flic borderline, la capitaine Laurence Verhaegen va l'accompagner dans cette quête dantesque tout en rendant compte aux nouvelles officines en place de l'avancée des investigations. Mais déchue de son grade de commandante, isolée de par ses accointances avec les anciens hauts fonctionnaires sarkozystes, cette policière va s'impliquer dans les méandres d'une enquête éprouvante qui va remettre en question toutes ses certitudes. Dans cet ouvrage à la fois brillant et explosif, Benjamin Dierstein passe donc en revue tous les aspects de la pédophilie en mettant en scène victimes et prédateurs qui se côtoient dans ces rapports biaisés, abjects qui deviennent parfois insoutenables au gré d'une écriture sèche, dépourvue d'effets de style qui ne font que renforcer la sauvagerie de scènes éprouvantes. Pour autant, il n'y a pas d'excès dans cette intrigue maîtrisée qui se rapporte toujours à la rigueur de l'actualité de l'époque en évoquant notamment les aléas de l'affaire Matzneff ou la mise en lumière des écrits de Daniel Cohn-Bendit afin de mettre en perspective les contours de cette enquête terrifiante de réalisme qui s'achèvera d'une manière abrupte afin de clouer le lecteur sur place en ne lui laissant aucune bride d'espoir quant au devenir des protagonistes et à l'avenir de ces réseaux pédophiles qui semblent toujours renaître de leurs cendres. Un roman époustouflant qui clôture magistralement cette trilogie dantesque.

     

    Benjamin Dierstein : La Cour Des Mirages. Editions Equinox/Les Arènes 2022.

    A lire en écoutant : No White Clouds de Strange Fruit. Album : BOF de Strange Days. Epic Soundtrax 1995.

  • BENJAMIN DIERSTEIN : LA DEFAITE DES IDOLES. DESTITUTION SANGLANTE.

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    Trash et déjanté sont les deux qualificatifs pouvant désigner l'ensemble de l'œuvre de Benjamin Dierstein et plus particulièrement sa trilogie policière débutant notamment avec La Sirène Qui Fume qui nous plongeait dans les méandres du milieu de la prostitution et plus particulièrement d'un réseau d'escort-girls mineures, victimes d'un tueur sadique laissant toute une série de cadavres démembrés derrière lui. Il faut bien avouer que l'on était secoué par la violence qui émergeait d'un texte imprégné d'une énergie brute alimentant le périple halluciné d'un duo d'enquêteurs dévoyés dont les péripéties se succédaient au rythme infernal de leurs investigations se heurtant parfois de plein fouet en faisant émerger leurs dissensions respectives. Second volet de cette trilogie, on retrouve avec La Défaite Des Idoles le lieutenant Christian Kertesz tandis que la capitaine Laurence Verhaeghen, personnage secondaire du roman précédent, occupe désormais le devant de la scène en donnant une dimension plus politique au récit se situant durant la période électorale de 2012 où François Hollande, chef de file du Parti Socialiste, défiait le président en place Nicolas Sarkozy alors qu'émergeait les affaires de financement occulte de la campagne électorale alimentée par des fonds en provenance du pouvoir lybien.

     

    France, octobre 2011. Même s'il a été acquitté des charges de corruptions qui pesaient sur lui, le lieutenant Christian Kertesz a préféré démissionner en évitant ainsi le risque de nouvelles enquêtes diligentées à son encontre par l'Inspection Général des Services de police. Déchu de ses prérogatives, il travaille désormais à plein temps pour le compte du Milieu corse avec lequel il s'était lié durant ses années au sein de la police judiciaire. Outre la remise à flot d'un trafic de cocaïne, Kertesz doit espionner, pour le compte d'une entreprise de sécurité privée, les dessous d'une multinationale qui souhaite s'implanter en Lybie alors que le pays est en pleine ébullition depuis la chute de son leader Mouammar Kadhafi. C'est dans ce contexte explosif que se déroulent la campagne présidentielle qui oppose François Hollande au président sortant Nicolas Sarkozy et que la capitaine Laurence Verhaegen, proche des hauts dirigeants Sarkozystes implantés au sein des états-majors de la police, enquête sur un meurtre qui va la mettre sur la piste de son ancien collègue Christian Kertesz en lui permettant de se confronter à d'autres policiers dont elle s'est jurée d'avoir la peau. Sur fond de rivalités entre deux courants politiques qui se livrent une lutte à mort pour accéder au pouvoir et aux hautes instances policières, Kertesz et Verhaegen vont s'affronter tout en soulevant des affaires peu reluisantes de corruption qui laminent les institutions du pays.

     

    La Défaite Des Idoles fait référence à la chute de Mouammar Khadafi dont on découvre les péripéties de son exécution qui fait office de prologue à une intrigue sur laquelle plane l'ombre omniprésente de Nicolas Sarkozy, l'autre personnalité adulée, parfois idolâtrée, par un grand nombre de membres des forces de police française avec une hiérarchie noyautée par ses fervents partisans placés durant son mandat comme ministre de l'Intérieur qui lui servit de tremplin pour la conquête du pouvoir. C'est ce vacillement du pouvoir en place que l'on va observer durant la période électorale de 2012 où l'on découvre les mécanismes de corruption avec la Lybie afin d'alimenter les comptes de la campagne présidentielle de l'UMP. On distingue ainsi le télescopage de ces deux destinées au gré d'une intrigue construite sur la dualité entre les deux personnages centraux que sont l'ex lieutenant Christian Kertesz et la capitaine Laurence Verhaegen avec une alternance des investigations qui vont les conduire, parfois à leur corps défendant, à côtoyer toute une série de personnalités inquiétantes que sont les mercenaires, hommes d'affaire et politiciens de haut rang qui ont trempé dans le cloaque de ces connexions  libyennes plus que douteuses. L'intérêt de ce roman énergique réside bien évidemment dans l'aspect réaliste des événements que Benjamin Dierstein égrène notamment par l'entremise des dépêches qui jalonnent l'ensemble d'un récit extrêmement complexe au cours duquel l'on pourrait aisément se perdre s'il n'y avait pas cette rigueur omniprésente qui nous ramène dans le fil de l'intrigue. On appréciera également la folie et le jusqu'au-boutisme de Kertesz, fou amoureux de Clotilde Le Maréchal, "sirène" survivante de l'opus précédent, et dont le parcours semble s'acheminer vers un destin funeste tandis que l'on découvre l'extrême violence mais également la compromission et l'ambition de Verhaegen côtoyant les huiles de la direction de la police à l'instar de Guéant, de Squarcini et de Péchenard qui évoluent désormais dans un climat de fin de règne où tout le monde s'affole face à la montée en puissance du parti adverse que l'on tente de discréditer à tout prix. Tout cela nous donne un roman dantesque s’imprégnant du réalisme de l’histoire qui se décline au gré d’une intrigue policière et politique d’une puissance peu commune qui dévaste tout sur son passage.

     

    Benjamin Dierstein : La Défaite Des Idoles. Editions Nouveau Monde 2020. Editions Points 2021.

    A lire en écoutant : Make It Happen de The Record Compagny. Album : All Of This Life. 2018 Concord Records.

     

  • La Sirène Qui Fume. Impair et manque.

    Capture.PNGJe dois bien avouer que n'appréciant que très modérément le contenu de la revue Sang-froid, je suis passé complètement à côté de l'œuvre de Benjamin Dierstein, dont les débuts coïncident avec la survenue en 2018 du prix Sang-froid, récompensant un romancier jamais encore publié, avec un jury qui porta son choix sur La Sirène Qui Fume, premier récit de l'auteur. Il faut donc rendre un hommage appuyé à la rédaction ainsi qu'à l'ensemble du jury qui ont mis ainsi en lumière l'une des grandes voix dissonantes de la littérature noire francophone avec un roman policier qui s'inscrit désormais dans une trilogie comprenant La Défaite Des Idoles (Points policier 2019) et La Cour Des Mirages (Les Arènes/Equinox 2022), dernier opus qui fait l'actualité et que j'aurais tout d'abord pu évoquer pour être en phase avec cette sacro-sainte temporalité, ce d'autant plus que les éditeurs et chroniqueurs vous expliqueront qu'il est tout à fait possible de lire ces trois ouvrages de manière individuelle, voire même de les aborder dans un ordre aléatoire. Effectuer une telle démarche, serait une grave erreur qui vous priverait d'une certaine dimension dramatique habitant les personnages qui traversent les trois récits. En entamant La Sirène Qui Fume, le lecteur doit tout d'abord se préparer au choc d'une écriture énergique et déjantée qui rappelle celles de James Ellroy ou de David Peace, même si Benjamin Dierstein s'affranchit avec succès de ces modèles qu'il évoque d'ailleurs lorsqu'il fait référence à ses sources d'inspiration.

     

    Le capitaine Gabriel Prigent est un flic qui traine une sacrée réputation après avoir dénoncé à Rennes un de ses partenaires corrompus. Fraichement muté au 36 quai des Orfèvres, il intègre un groupe de la Brigade criminelle avec des collègues qui l'observent avec une certaine méfiance. Mais pour le lieutenant Christian Kertesz de la BRP, c'est avec défiance qu'il considère ce nouveau venu lui qui est compromis dans un business juteux avec la mafia corse. Entre les tourments de l'un et les obsessions de l'autre, les deux hommes vont pourtant se retrouver à la croisée des chemins autour d'une enquêtes se focalisant sur une série de meurtres de prostituées mineures dont les corps sauvagement mutilés ont la particularité de porter un tatouage représentant une sirène qui fume. Mais mettre à jour un réseau de prostitution pédocriminel comporte certains risques, ceci d'autant plus lorsqu'il implique des fonctionnaires et des politiciens de haut rang. 

     

    La Sirène Qui Fume s'articule autour de l'alternance de deux enquêtes que mènent en parallèle le capitaine Gabriel Prigent dont l'intrigue se décline à la première personne tandis que celle du lieutenant Christian Kerstesz emprunte la voix narrative de la deuxième personne ce qui apporte un certain dynamisme à l'ensemble d'un récit tonitruant ponctué de coups d'éclat spectaculaires qui vous empêchent de reprendre votre souffle. Benjamin Dierstein ne ménage pas le lecteur, bien au contraire, on assiste ainsi aux excès de deux flics que tout oppose, hormis cette folie sous-jacente, émanant de leur passé respectif, qui va les submerger. Mais au-delà le l'outrance qui anime les deux personnages centraux du récit, Benjamin Dierstein corsète son roman dans une rigueur à toute épreuve que l'on retrouve tout d'abord dans le réalisme de l'appareil policier prenant parfois quelques tournures politiques notamment lors de la confrontation entre Gabriel Prigent, représentant syndical de gauche et sa collègue Laurence Verhaegen qui se situe sur la droite de l'échiquier. Cette rigueur, on la retrouve également dans le contexte social de cette année 2011 que Benjamin Dierstein décline par le biais de ces courtes dépêches qui ponctuent l'ensemble du roman en nous permettant de nous remémorer l'ascension et la chute de DSK, l'affaire du Carlton de Lille, la chute du président Gbagbo en Côte d'Ivoire ou l'achat du PSG par une filiale du fond souverain du Qatar pour n'en citer que quelques unes. Loin d'être anodines, ces dépêches, outre le fait de contextualiser l'époque, donnent une tout autre dimension à l'enquête que mêne les deux policiers autour d'un réseau criminel de prostitution de filles mineures, ainsi que tout ce qui a trait à la pègre corse et à son implantation au coeur la capitale et plus particulièrement au célèbre cercle de jeu Wagram faisant l'objet d'une descente des forces de police qui va entrainer sa fermeture définitive en bousculant tous les protagonistes d'une intrigue brutale. 

     

    Avec La Sirène Qui Fume, on oscille donc entre une réalité trouble et une fiction tourmentée que Benjamin Dierstein assemble avec une habilité et une intensité peu communes au cours d'un roman dense dont le final, imprégné d'une violence dantesque, vous achèvera aussi sèchement que l'impact d'une cartouche de 44 magnum.

     

    Benjamin Dierstein : La Sirène Qui Fume. Editions Nouveau Monde 2018. Editions Points Policier 2019.

    A lire en écoutant : Faze Wave de The Cave Singers. Album : No Witch. 2011 Jagjaguwar.

     

  • Patrick Delperdange : L’Eternité N’est Pas Pour Nous. Quelques instants sur Terre.

    Capture d’écran 2019-06-10 à 22.17.23.pngA bien y réfléchir, bien peu d'auteurs belges se sont lancés dans la littérature de genre, notamment le roman noir, même si l'on trouve tout de même quelques romanciers emblématiques comme Simenon et Jean Ray dont on peut apprécier l'œuvre prolifique avec des personnages marquants comme Jules Maigret et Harry Dickson. Ne bénéficiant pas d'une telle notoriété, Patrick Delperdange n'en est pas moins un scénariste de bande dessinée et un romancier qui compte à son actif de nombreux ouvrages publiés, notamment dans le domaine du roman noir, où il s'est fait remarquer récemment en publiant Si Tous Les Dieux Nous Abandonnent (Série Noire 2016) dont l'intrigue se déroulait dans un contexte rural. En suivant Aurélien Masson qui crée la collection Equinox aux éditions les Arènes et avec un titre aux consonances tout aussi mystiques, Patrick Delperdange revient avec L'Eternité N'est Pas Pour Nous, un nouveau récit prenant également pour cadre un environnement campagnard théâtre d'un enchaînement de faits divers qui vont impacter toute une galerie de personnages complètement paumés, quand ils ne sont pas tout simplement déjantés.

     

    A Valmont,  sur la route menant à la carrière, il n’y a guère que les ouvriers qui s’offrent les services de Lila qui officie dans son combi aménagé. Aussi lorsqu’elle aperçoit le jeune Julien Saint-André accompagné de sa bande, elle se doute bien que cela finira mal avec ces petits crétins embourgeoisés dont elle parviendra tout de même à se débarrasser. Mais les jeunes gens avinés ne comptent par en rester là et décident se venger en enlevant Cassandre, la fille de Lila. Au même moment, Sam et Danny traversent la région en quête d’un abri de fortune. Les deux vagabonds en fuite tentent de se faire discrets, mais semblent pousuivis par le mauvais sort et quelques individus bien décidés à rendre justice eux-mêmes en se débarrassant des traîne-savates dans leur genre. Que ce soit les bêtes ou les bas instincts, tous deux sortent des bois pour bousculer les destinées de ces âmes frêles et tourmentées que l’on appelle les hommes.

     

    Il n’y a rien de flamboyant dans l’univers de Patrick Delperdange. On y croise une somme de petites gens aux destins étriqués évoluant dans un environnement rural complètement paumé où quelques éclats d’une violence presque anodine bousculent soudainement un quotidien sordide qui devient le déclencheur d’une spirale d’égarements et de fureur incontrôlable. Et pourtant au détour d’événements parfois brutaux, au gré d’une cavalcade de destinées qui s’entrechoquent on perçoit quelques petites lueurs d’humanité perçant l’épaisse noirceur d’une intrigue poisseuse entraînant, bien malgré eux, l’ensemble de personnages ambivalents dans une succession d’événements qu’ils ne sont plus en mesure de maîtriser. Rancœur, impuissance frustration et colère c’est cet ensemble de sentiments qui animent ces protagonistes ballottés par les incidents se succédant à un rythme effréné en mettant en exergue tous les reliquats d’une inconscience trouble et malsaine qui va jaillir au grand jour à mesure que les événements s’enchaînent dans un désordre emprunt de désarrois et de chaos. Ainsi on ne  saura pas trop bien ce qu’il va advenir de Lila, cette prostituée désemparée à la recherche de sa fille Cassandre ou de Danny, un jeune homme simple d’esprit, soudainement imprégné d’un délire mystique, et de son compagnon d’infortune, Sam, un vieux manchot complètement dépassé. Une galerie de perdants qui deviennent parfois victimes ou bourreaux en fonction des péripéties et des coups du sort auxquels ils sont confrontés.

     

    Avec une écriture âpre et directe, assaisonnée de quelques touches lyriques qui ne donnent que plus de noirceur à un texte saisissant et expéditif, Patrick Delperdange nous entraîne donc dans l’incertitude d’un récit chaotique où les destinées s’entrechoquent violemment afin de mieux secouer le lecteur dérouté par cette masse de désarrois et de douleurs parfois sordides que revêtent chacun des personnages.

     

    Roman sombre et sans concession, L’Eternité N’Est Pas Pour Nous décline, sur l’espace de quelques jours, toute une série de rouages à la fois absurdes et violents constituant l’ensemble d’un engrenage infernal prêt à broyer toute une galerie d’individus désemparés se débattant dans les méandre d’un piège inextricable qui ne semble jamais vouloir s’arrêter.

     

    Patrick Delperdange : L’Eternité N’est Pas Pour Nous. Editions Les Arènes/Equinox 2019.

    A lire en écoutant : River Of Pain de Thunder. Album : Please Remain Seated ; The Others. 2019 Thunder

     

  • Joël Dicker : La Disparition De Stéphanie Mailer. J’suis snob.

    joël dicker,la disparition de stéphanie mailer, éditions de falloisDepuis l’immense succès de son second livre, La Vérité Sur L’Affaire Harry Québert que j’avais bien apprécié, Joël Dicker a toujours eu un rapport conflictuel avec le polar pour lequel il réfute toute appartenance, ce qui se révèle, avec un roman comme Le Livre Des Baltimore, plutôt salutaire pour la réputation d’un genre déjà bien malmené par une cohorte d’ouvrages ineptes. Et aujourd’hui encore, à l’occasion de la parution de son nouvel opus, intitulé La Disparition De Stéphanie Mailer, l’auteur affirme, dans une longue interview de trois pages dans le Matin Dimanche, qu’il ne s’agit pas d’un polar qui en aurait les apparences et les habits, mais qui ne répondrait pas particulièrement à ses codes. Et de rajouter, certainement avec le sourire charmeur qui fait vaciller tous ses interlocuteurs, qu’il n’aime pas particulièrement le genre qu’il ne lit d’ailleurs pas. Il faut dire que Joël Dicker peut débiter, sans ciller, n’importe quelles fadaises face à une journaliste conquise par l’œuvre de ce jeune écrivain absolument adorable qui a eu l’élégance de lui préfacer son recueil des cent meilleures chroniques. Alors bien évidemment, dans de telles circonstances, il ne viendrait à l’esprit de personne de demander comment l’on peut aimer ou ne pas aimer un genre qu’on ne lit pas et plus encore, d’affirmer que son texte ne respecterait pas les codes dont on ignore, semblerait-il, absolument tout ? Mais tout cela importe peu puisque l’auteur n’en est pas à une contradiction ou à une élucubration près, lui permettant de décréter, dans la même interview, avoir construit avec La Disparition De Stéphanie Mailer « une sorte de roman russe » tout en se gardant bien de citer une quelconque référence en lien avec ce vaste pan de la littérature. Tolstoï, Dotoïevski, Soljenitsyne ou même l’œuvre fantastique de Sergueï Loukianenko, à la lecture du roman il sera bien plus facile d’identifier le responsable de La Disparition De Stéphanie Mailer que de percevoir cette fameuse influence russe imprégnant le texte. Parce qu’il est comme ça Joël Dicker à balancer tout azimut ses effets d’annonce évoquant les prestigieux romanciers qui planeraient sur l’ensemble de ses romans. Philip Roth pour Le Livre Des Baltimore et bien évidemment Norman Mailer pour son dernier opus, la manœuvre se révèle pourtant à double tranchant puisqu’au souvenir de romans tels que Pastorale Américaine ou La Nuit Des Bourreaux, on peut mesurer toute la faiblesse de l’œuvre insipide que produit laborieusement un Joël Dicker peinant à se positionner dans le milieu littéraire. Mais quitte à citer des auteurs américains, autant mentionner ceux qui ont obtenu le prix Pulitzer, afin d’éblouir journalistes, chroniqueurs et lecteurs conquis d’avance par le charisme d’un jeune écrivain au sourire ravageur qui devrait sérieusement songer à tourner une publicité pour une marque de dentifrice après avoir vanté les mérites d’une compagnie aérienne et d’un modèle de voiture.

     

    En 1994, Orphéa, charmante petite ville côtière des Hamptons, a défrayé la chronique avec les meurtres du maire, de son épouse, de leur fils et d’une passante probablement témoin encombrant de cette terrifiante tragédie.

    Jesse Rosenberg et Derek Scott, deux jeunes flics ambitieux de la police d’Etat, sont chargés de l’enquête qu’il vont mener jusqu'à son terme en constituant un dossier solide permettant l’appréhension du meurtrier. Auréolés de gloire, encensés par leur hiérarchie, les deux enquêteurs sont désormais respectés par leurs pairs.

    Mais l’affaire comporte quelques zones d’ombre et vingt ans plus tard, Stéphanie Mailer, une brillante journaliste locale, prétend que la police s’est trompée de coupable et qu’il faut reprendre toute l’enquête. Des propos d’autant plus troublants que la jeune femme disparaît peu après avoir contacté Jesse Rosenberg qui n’a plus d’autre choix que de se replonger dans des investigations se révélant bien plus complexes qu’il n’y paraît.

    Parviendra-t-il à retrouver Stéphanie Mailer ?

    Et surtout pourra-t-il faire toute la lumière sur cette tragédie vieille de 20 ans qui n’a pas fini de secouer toute la petite communauté d’Orphéa ?

     

    Ceci n’est pas un livre mais un produit destiné à conquérir le marché avec une maquette familière permettant aux consommateurs d’avoir la certitude de s’y retrouver en restant dans le même registre que l’ouvrage qui avait assuré la notoriété de l’auteur. Après Edward Hooper, Joël Dicker himself nous propose, en guise de couverture, une photo d’un amateur où l’on découvre une rue typique des USA investie par les forces de l’ordre. Pâle resucée de l’œuvre du photographe Gregory Crewdson, grand admirateur du peintre américain, l’image, reprend, avec beaucoup de lourdeur, tout le climat, parfois anxiogène, de ce décor de rêve américain qui émerge, presque insidieusement, de l’œuvre des deux artistes. Une illustration à l’image du contenu où l’absence de subtilité des personnages se conjugue avec la lourdeur d’une intrigue se déclinant sur le modèle fastidieux d’un calendrier que l’auteur égrène jusqu'à la nausée. « 33 jours avant la première du 21ème festival de théâtre d’Orphéa » ; « Mi-septembre 1994. Un mois et demi après le quadruple meurtre et un mois avant le drame qui allait nous frapper Jesse et moi. » Joël Dicker abuse de cette mécanique éculée du décompte, propre aux « page-turner », pour inciter le lecteur à poursuivre sa lecture jusqu’à la survenue des drames ou des coups d’éclat à venir, ce qui n’apparaît pas comme une évidence tant cette intrigue poussive, truffée d’invraisemblances, d’incohérences et ponctuée de dialogues mièvres, confine à la niaiserie voire même à la bêtise.

    "- Merci mon amour, d’être un mari et un père aussi génial.

    - Merci à toi d’être une femme extraordinaire.

    - Je n’aurai jamais pu imaginer être aussi heureuse, lui dit Cynthia les yeux brillants d’amour.

    - Moi non plus. Nous avons tellement de chance, repartit Jerry."

    Avec une syntaxe approximative et cette pauvreté de la langue où des qualificatifs tels que extraordinaire, merveilleux et magnifique reviennent à tout bout de champ, on comprend, dès lors, le fait que Joël Dicker renonce à s’attarder sur la description des lieux et des personnages, préférant ainsi tabler sur l’imagination du lecteur, ce qui explique peut-être cette absence d’atmosphère qui émane d’un texte aseptisé où l’ensemble des personnages, caricaturaux à l’extrême, apparaissent complètement dénués de caractère. Les flics détenteurs de lourds secrets, l’amant benêt martyrisé par son odieuse maîtresse, l’adolescente dépressive haïssant ses parents, le metteur en scène déjanté et le critique odieux détestant tous les auteurs à succès, l’auteur prend soin de décliner tous les poncifs du genre. Mais au fait de quel genre s’agit-il ? Assurément pas un polar comme nous l’affirme l’auteur lui-même en tablant sur l’absence de scènes sanguinolentes ou sur le fait que son tueur exécute les gens par nécessité et non pas par plaisir comme un vulgaire serial killer. Il serait vain d’énumérer les romans policiers ou les romans noirs qui contrediraient les assertions de Joël Dicker pour s’attarder sur l’avis de quelques chroniqueurs avisés, reprenant ses propos afin de l’exonérer des invraisemblances et des situations absurdes qui jalonnent ce texte bancal car justement il ne s’agit pas d’un polar et que l’auteur tend vers autre chose. Satyre, vaudeville, conte absurde, allégorie d’une farce sociale tragique, célébration de la culture et plus particulièrement du théâtre, ou même hommage à ce fameux roman russe, La Disparition De Stéphanie Mailer ne s’orientera vers aucune de ces éventualités parce qu’il ne suffit pas de citer le titre d’une pièce de théâtre ou d’employer quelques didascalies pour rendre hommage à Tchekhov. Parce qu’il ne suffit pas d’une enseigne d’un bar portant le nom de Beluga, d’un restaurant baptisé La Petite Russie, d’une petite amie prénommée Natasha, de grands-parents grotesques natifs du pays ou de l’imbrication d’une pléthore de personnages pour en faire un roman russe. Parce qu’il ne suffit pas d’inscrire l’intrigue au cœur d’un festival de théâtre pour prétendre avoir abordé les thèmes de la dramaturgie et de la mise en scène. Et l’on pourra bien citer une multitude d’auteurs et de dramaturges comme Don Delillo, Philip Roth, John Irving, Patricia Highsmith (quand je repense au Journal d’Edith), Anton Tchekhov et bien d’autres qui entrent dans une vaine litanie suffisante. Mais rien n’y fera, car derrière l’emballage rutilant nous ne trouverons qu’une coquille vide dans laquelle résonnent les prétentions de l’auteur.

     

    Prisonnier des enjeux de ventes phénoménales, de ses schémas éculés, de son écriture simpliste et de ses propos mièvres et convenus, Joël Dicker nous livre avec La Disparition De Stéphanie Mailer une triste et longue sentence du succès qui se fera au détriment des lecteurs de moins en moins crédules quant à la qualité du produit prétentieux qu’on leur propose.

     

    Joël Dicker : La Disparition De Stéphanie Mailer. Editions De Fallois 2018.

    A lire en écoutant : J’suis snob de Boris Vian. Album : Le Déserteur. 1997 Mecury Music Group.

  • Timothée Demeillers : Jusqu’à La Bête. L’équation du vide.

    timothée demeillers, jusqu'à la bête, éditions asphalteDavantage orientée vers les auteurs hispanophones nous proposant des récits urbains, plutôt nerveux, les éditions Asphalte ont accueilli dans leur catalogue un écrivain français plutôt surprenant, Timothée Demeillers, dont le premier roman, Prague, Faubourg Est, publié en 2014, était passé plutôt inaperçu. Il en va tout autrement avec Jusqu’à La Bête qui s’intègre dans l’actualité liée au spécisme en dépeignant l’univers âpre et aseptisé des frigos de ressuage d’un abattoir se situant à la périphérie de la ville d’Angers. Le récit entraîne le lecteur dans la lente et impitoyable déshumanisation de l’ouvrier abruti par le rythme infernal des cadences, ceci bien au-delà de l’atmosphère pesante de mise à mort de l’animal régnant sur les lieux, tandis que les carcasses sanguinolentes se succèdent afin d’être dépecées dans une succession de terribles gestes quotidiens.

     

    La prison. Le claquement des portes d’acier qui se referment résonne dans la tête d’Erwan comme un souvenir accablant dont il ne peut se défaire. Un claquement qui lui en rappelle un autre. Un claquement signalant l’apparition de la prochaine carcasse que l’on achemine sur le rail. Un claquement infernal rythmant toute son existence d’ouvrier au sein de l’abattoir qui l’employait autrefois. Un claquement terrible qui s’est imprimé au plus profond de son âme tout en l’entraînant vers cette folie insidieuse qu’il n’a pas vu venir. Un claquement qui l’a poussé à commettre cet acte terrible et irréparable. Il n’y avait rien à faire pour l’en empêcher. Erwan en est désormais certain car il se souvient de tout. Il faut dire que ce maudit claquement résonne toujours dans sa tête.

     

    Près d’un siècle sépare Les Temps Modernes de Chaplin et Jusqu’à la Bête de Timothée Demeillers et pourtant, ce sont toujours les mêmes rouages qui broient l’humain que ce soit au sein de l’usine qui engage Charlot ou de l’abattoir qui emploie Erwan. L’abrutissement à la tâche reste identique et Timothée Demeillers dépeint cette logique infernale avec une écriture obsédante permettant d’appréhender la lente déshumanisation de son personnage dont on perçoit le parcours au gré des souvenirs qu’il ressasse dans la cage dans laquelle on l’a désormais enfermé comme un animal que l’on conduirait à l’abattoir. Loin d’être un plaidoyer pour la cause végane, il faut admettre qu’au-delà de la pénibilité des taches répétitives, c’est bien évidemment le reflet avec la terrible destinée de l’animal que l’on dépèce, jusqu’à devenir la pièce de viande qui va atterrir sur les étals des supermarchés ou sur les grills des fast-foods, qu’il faut distinguer cette dimension imagée, presque organique, de la transformation d’Erwan pour incarner cette bête désemparée, acculée à commettre l’irréparable pour survivre. Outre le contexte terrifiant de l’abattoir, la lente aliénation d’Erwan se construit également sur une logique de déscolarisation pour s’instiller tous les soirs, après le travail, dans les formats télévisuels ineptes dont l’auteur nous livre quelques extraits pertinents, nous permettant d’en saisir toute la portée à la fois ironique et dramatique. Loin des discours pontifiants et moralistes, Jusqu’à La Bête est un roman noir emprunt de quelques espoirs qui s’écroulent pourtant les uns après les autres, à l’exemple de cette brève histoires d’amour avec Laëtitia, une intérimaire estivale et dont la rupture par SMS nous renvoie à nouveau vers cette déshumanisation que l’on distingue dans toutes les strates de l’environnement social d’Erwan.

     

    Avec Jusqu’à La Bête, Timothée Demeillers s’emploie également à dresser un tableau sans fard de l‘entourage des ouvriers. Cela va des instances politiques qui ont démissionnées et dont ils n’attendent plus rien, au clivage entre salariés et cadres qui s’isolent dans un système de caste d’un autre âge, en passant par les rêves perdus des collègues qui n’attendent plus grand-chose de l’avenir. Car perçu comme un privilège, l’obtention d’un emploi, aussi pénible soit-il, dans un environnement miné par le chômage, devient un piège pour l’ouvrier qui se trouve contraint d’accepter toutes formes d’avilissement et d’humiliation qui le conduiront à la perte de tous repères. Ultime soubresaut de celui qui ne peut accepter l’inéluctable, la tragédie se met en place avec une sobriété à la fois cohérente et implacable, car le crime ne devient plus qu’une conséquence au sein d’un univers brutal, complètement désincarné. Terriblement noir et cruel.

     

    Timothée Demeillers : Jusqu’à La Bête. Editions Asphalte 2017.

    A lire en écoutant : Out Getting Ribs de King Krule. Album : 6 Feat Benath The Moon. 2013 XL Recording.

  • PATRICK K. DEWDNEY : ECUME. LES FORCATS DE L’OCEAN.

    Capture d’écran 2017-12-30 à 23.03.37.pngLa collection Territori prend le large au propre comme au figuré puisqu’après avoir arpenté quelques zones rurales reculées du pays, son directeur Cyril Herry nous propose Ecume, un nouveau texte de Patrick K. Dewdney dont l’intrigue se déroule dans un contexte maritime, plus précisément au large des côtes de l’océan Atlantique en partageant les affres de deux marins pêcheurs naviguant au bord de l’abîme. Côtoyant des auteurs comme Frank Bouysse, Séverine Chevalier, Antonin Varenne, Eric Maneval et Laurence Bieberfled, entre autres, on avait découvert Patrick K. Dewdney avec Crocs, un texte d’une éblouissante noirceur où le verbe forme une terrible alliance avec une intrigue propre aux romans noirs magnifiés par une prose racée pleine de colère et de révolte.

     

    La Princesse est devenue Gueuse car le fier navire d’autrefois n’est plus qu’un vieux rafiot qui sillonne les flots en quête de pêches incertaines que l’océan épuisé ne livre plus qu’au compte-gouttes et au terme de terribles efforts. A son bord, le père et le fils s’échinent à la tâche et entre silence et colère, ces deux âmes essorées par les vicissitudes d’un monde qui s’écroule, nourrissent la démence de l’un et la rancœur de l’autre au gré de campagnes de pêche toujours plus éprouvantes. Et si le poisson ne suffit plus à subvenir aux maigres besoins de cet équipage bancal, il restera toujours la possibilité de faire passer quelques réfugiés dont la contribution perçue permettra de remplir les cuves et de pallier un ordinaire misérable. Mais bien au delà de l’écume se désagrégeant dans les flots tourmentés, ce sont les certitudes des hommes qui disparaissent au large des côtes.

     

    Ecume se situe sur la fracture d’un univers en déclin oscillant entre la révolte du désespoir et la résignation du point de non retour dont l’incarnation tragique prend forme avec la dualité de ce père et de ce fils entretenant leur animosité dans un mutisme hostile qui ne fait que raviver les tensions au large de ces côtes qui n’ont plus de nom. Dans ce monde désincarné, il ne reste plus que cette étendue d’eau impitoyable et la colère sourde de ces deux hommes dont l’auteur dissèque la personnalité à la lumière de leurs introspections respectives. Ainsi la lente agonie de l’océan s’assortit à l’amertume de la dissolution des rapports humains dont la conjonction s’achève sous la forme d’un inéluctable naufrage. Un mélange malsain qui s’incarne dans cette écume dont on suit le sillage implacable jusqu’au drame irrémédiable.

     

    La précision du mot, l’élégance de la phrase sont au service d’une langue à la fois éclatante et imagée permettant au lecteur de s’immerger au cœur de cette ambiance chaotique où la fureur des tempêtes se conjugue à la difficulté d’un métier dont chacune des erreurs commises se paie au prix fort. La dureté de la tâche, l’odeur des embruns, l’atmosphère perdue de ces contrée maritimes, tout cela, Patrick K. Dewdney parvient à le restituer par l’entremise d’un texte dense aux entournures à la fois lyriques et poétiques dont le fragile équilibre révèle toute la maîtrise d’un auteur inspiré.

     

    Implacable observateur d’un monde qui s’étiole, Patrick K. Dewdney construit une intrigue solide dont la dramatique logique met en exergue les désastres écologiques d’un océan mourant sur lequel marins désespérés et migrants désemparés se côtoient au rythme des marées immuables. Emulsion de fureur et d’abattement, Ecume est un terrible roman noir où l’espoir se niche pourtant sur un frêle esquif ballotté au gré du vent et des courants. Tumultueux et éclatant.

     

    Patrick K. Dewdney : Ecume. La Manufacture de livres/collection Territori 2017.

    A lire en écoutant : La Mémoire Et La Mer de Léo Ferré. Album : Amour Anarchie. Barclay Records 1970

  • LUCA D’ANDREA : L’ESSENCE DU MAL. L’ANTRE DE LA BETE.

    Luca d'Andrea, l'essence du mal, éditions denoël, sueurs froides, tyrol, bletterbachService de presse 

    Le thriller se propose de divertir le lecteur en donnant souvent l’impression, sous l’égide de ce corollaire, de se dispenser d’une certaine qualité d’écriture tout en se distançant d’une mise en scène homogène avec cette sensation que, d’un haussement d’épaule, l’auteur, tout comme l’éditeur d’ailleurs, se moqueraient du lectorat auquel il s’adresse en l’estimant peu exigeant, toujours en quête du même livre dont on ne changerait que la forme et le contexte. Une démarche plutôt cynique, expliquant, qu’au gré de déceptions successives, j’en ai dit beaucoup de mal. Entertainment versus littérature. C’est sur ce credo ahurissant que l’on voudrait désormais porter le débat en estimant que l’on aurait à faire à deux éléments antinomiques. Pourtant, à n’en pas douter, le genre thriller peut concilier les deux principes et receler de belles trouvailles à l’instar de L’Essence Du Mal, premier roman de Luca D’Andrea, se démarquant des sempiternelles traques de serial killer avec un récit se déroulant au sud du Tyrol, dans le massif des Dolomites, plus précisément du côté de la gorge du Bletterbach, une faille insolite révélant un concentré important d’ammonites et autres fossiles et dont le cadre géologique particulier va servir de toile de fond à une intrigue palpitante et atypique.

     

    Jeremiah Salinger, scénariste de documentaires à succès, s’est installé à Siebenhoch, petit village niché dans une vallée reculée du Tyrol d’où sa femme est originaire. Mais suite à un accident d’hélicoptère, lors du tournage d’un reportage sur les secouristes opérant dans le massif des Dolomites, Jeremiah a distingué le cri de la Bête dans le fracas de l’avalanche qui a tout emporté. Un hurlement glaçant, résonnant sur les parois de la faille dans laquelle il s’est retrouvé bloqué avant que les secours ne parviennent à le dégager. Unique survivant de la tragédie, ce cri l’obsède. Catharsis du traumatisme qui l’étouffe, Jeremiah se plonge alors dans l’investigation d’un drame qui a secoué le village il y a de cela plus de trente ans où trois jeunes gens ont été découverts morts, littéralement massacrés, dans la forêt du Bletterbach. La police n’a jamais appréhendé le coupable et n’a même pas pu déterminer s’il s’agissait de l’œuvre d’un être humain ou d’un animal. De traditions en légendes terrifiantes, quelques chose d’inquiétant semble niché au cœur de la région. Et en dépit de l’hostilité des habitants, Jeremiah Salinger est bien décidé à mettre jour cette force abominable dissimulée dans les entrailles de la terre.

     

    On décèle immédiatement dans l’écriture de Luca D’Andrea une précision et une subtilité dont la conjugaison met en exergue un texte efficace au service d’une intrigue solide qui ne manquera pas de séduire le lecteur. Car avec un style dépouillé de tout excès lyrique trop ostentatoire l’auteur capte la magnificence et la force de cette impressionnante région montagneuse reculée du Tyrol afin de diffuser une atmosphère anxiogène voire même oppressante dans laquelle évolue des personnages aux caractères forts et dont les interactions ne cesseront de relancer un récit d’une richesse et d’une intensité peu commune. Communauté soudée, presque repliée sur elle-même avec quelques aspects claniques écrasants qu’il s’emploie à mettre en évidence, Luca D’Andrea dresse le portrait aiguisé et sans concession de cette province bilingue du sud du Tyrol dont il est natif. Légendes et contes ancestraux transmis de générations en générations, fêtes folkloriques intimidantes et autres particularismes locaux sont au service de ce thriller aux entournures sociales, prenant parfois une dimension quasiment ethnographique qui va nourrir le cœur de l’intrigue et donner du sens aux aspects les plus fantastiques d’un roman parfaitement équilibré. Loin d’être superflus, chacun des éléments évoqués s’inscrit dans une logique implacable et imparable qui n’aura cesse de surprendre les lecteurs les plus avertis.

     

    L’Essence Du Mal, c’est l’histoire d’une obsession, celle de Jeremiah Salinger, personnage central du roman, dont on suit le point de vue tout au long d’un récit habilement construit. Dans sa quête folle consistant à découvrir les origines du drame qui s’est produit trente ans plus tôt sur le plateau du Bletterbach on prend la pleine mesure de cette obstination mûrissant lentement, comme un cancer insidieux, dont il ne peut se débarrasser. Un fardeau qu’il devra partager avec sa femme et sa fille qui se révéleront être bien plus que des faire-valoir. Cette quête d’un personnage tourmenté permet également de découvrir toute une communauté villageoise repliée sur elle-même dont les us et coutumes recèlent quelques sombres secrets que les édiles s’emploient à dissimuler. Car l’autre point fort du récit réside dans la puissance de protagonistes attachants aux caractères parfois acrimonieux et quelques fois inquiétants, pimentant ainsi une intrigue où les fausses pistes et les rebondissements se succèdent à un rythme trépident, mais sans excès.

     

    Extrêmement visuel, L’Essence Du Mal adopte donc tous les canons du thriller avec un suspense et une tension narrative à vous couper le souffle tout en distillant, sous formes d’introspections et d’allusions historiques, un portrait social brillant permettant de restituer l’atmosphère pesante d’un petit village montagnard niché au pied d’un fabuleux parc géologique. Pour un premier roman, il s’agit ni plus ni moins d’un coup de maître qu'il m'aura été donné de découvrir grâce à l'enthousiasme de Stéphanie Berg, une libraire passionnée de littérature noire.

     

    Luca D’Andrea : L’Essence Du Mal (La Sostanza Del Male). Editions Denoël/Sueurs froides 2017. Traduit de l’italien par Anaïs Bouteille-Bokobza.

    A lire en écoutant : Day I Die de The Blackchords. Album : A Thin Line. ABC Music 2016.