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éditions de l'atalante

  • Simone Buchholz : River Clyde. Le passage.

    simone buchholz,rive clyde,collection fusion,éditions de l'atalanteToutes les bonnes chose ont une fin mais on regrettera bien évidemment le fait que la série des investigations de la procureure Chastity Riley s'achève avec River Clyde ce dernier roman de Simone Buchholz qui semble donc avoir fait le tour de cette héroïne hors-norme dont elle a distillé   les récits en publiant dix ouvrages parmi lesquels cinq sont traduits en français par Claudine Layre pour la collection Fusion des éditions de l'Atalante, dirigée par Caroline de Benedetti et Emeric Cloche, bien connus dans le milieu de la littérature noire avec leur association Fondu Au Noir. Autant dire que l'on a été véritablement séduit par cet emploi vertigineux de l'ellipse, ainsi que ces dialogues  incisifs mettant en scène des individus attachants gravitant autour de la personnalité parfois éthérée de cette femme insaisissable où l'incertitude devient sa force de caractère tout en révélant certaines failles notamment pour ce qui a trait à ses origines. Issue d'un amour entre un soldat américain basé en Allemagne qui se suicidera alors qu'elle est adolescente et d'une mère allemande qui l'a abandonnée sans un mot, Chastity Riley incarne bon nombre de ces enfants  allemands partagés entre deux cultures que Simone Buchholz a côtoyé à l'école qui s'est donc penchée sur cette quête des origines qui rejaillit plus particulièrement dans River Clyde avec cette incursion en Ecosse, du côté de Glascow et de sa région, même si la ville de Hambourg apparaît encore une fois au gré d'une intrigue parallèle. Parce qu'il va de soi que la série de la procureure Chastity Riley met également en évidence cette ville portuaire de Hambourg avec cette ouverture au monde dont on a un échantillon en évoluant dans le secteur de Sankt Pauli, ce quartier populaire où l'on côtoie des communautés étrangères relativement pauvres ainsi que des individus venus faire la fête dans la multitude de bars et de salons où les prostituées travaillent dans une ambiance extrêmement animée. Bien loin des clichés qui pourraient émaner d'un tel environnement, Simone Buchholz a fait en sorte de nous livrer des récits imprégnés d'une certaine poésie tout en abordant des thème sociaux issus de l'actualité du moment que ce soit les problèmes de stupéfiants transitant par le port, la lutte inégale des classes ainsi que les difficultés en lien avec l'intégration des étrangers, ceci avec une pertinence totalement dénuée de naïveté. 

     

    Après l'explosion au dernier étage du bar de l'hôtel où ils célébraient un départ à la retraite, personne ne s'est vraiment remis des événements tragiques et notamment de la disparition de l'un des leurs qui a marqué à tout jamais les membres de l'équipe de la brigade criminelle et bien évidemment la procureure Chastity Riley qui est désormais en disponibilité. Et puis il y cette lettre d'un avocat de Glascow l'informant qu'elle est désormais l'héritière d'une maison au fin fond de l'Ecosse et qui appartenait à sa tante paternelle qu'elle n'a jamais connu. Alors voilà Chastity Riley qui se balade sur les bords de la Clyde River tandis que les fantômes du passé ressurgissent au gré d'une errance jalonnée de rencontres impromptues, parfois surnaturelles. Et du côté de Hambourg, Stepanovic et Calabretta, ainsi que le reste de l'équipe, reprennent du service en investiguant du côté de promoteurs immobiliers sans foi ni loi qui ont incendié un ensemble d'immeubles vétustes du quartier de Sankt Pauli. Mais pas certain que cela ne concerne vraiment Chastity Riley qui s'est lancée dans une enquête intime à la recherche de ses racines dans les méandres du loch recelant quelques secrets qui lui permettront peut-être de se reconstruire.

     

    simone buchholz,rive clyde,collection fusion,éditions de l'atalanteVéritable fil conducteur de la narration, le fleuve donnant son titre au roman River Clyde devient une espèce d'entité magique faisant office de passeur entre le monde invisible et l'univers chamboulé de Chastity Riley qui tente de se remettre des événements que l'on a découvert dans Hôtel Carthagène (Fusion 2024) qu'il est recommandé de lire avant, afin de saisir toutes les nuances des intrigues qui touchent son entourage. Si le thème de l’origine a toujours été présent dans les aspects de la personnalité de la procureure hambourgeoise, il s’inscrit dans une dimension beaucoup plus prégnante au cours de ce dernier opus prenant l’allure d’une véritable introspection, aux connotations parfois oniriques, ponctuée de très belles rencontres au gré de ses pérégrinations que ce soit du côté de Glascow, ville extrêmement bien incarnée, ou du côté de la région de Garelochhead, au milieu des landes et lochs écossais où se situe la maison que sa tante Eliza lui a légué, ce qui va lui permettre de se connecter avec l'histoire de sa famille, du côté paternel dont elle ignore pratiquement tout. Toujours dans la mesure, Simone Buchholz se garde bien de nous entrainer sur le registre des révélations fracassantes ou d'une pseudo enquête policière nous dévoilant les raisons du suicide de son père. Il en va d'ailleurs de même pour ce qui a trait aux investigations des incendies intentionnels des immeubles de Hambourg dont s'occupe les membres de la brigade criminelle qui, tout comme Chastity Riley, tentent de surmonter leur chagrin chacun à leur manière, et que la romancière met en scène au rythme d'une longue filature où les policiers deviennent davantage témoins qu'enquêteurs alors qu'une espèce de justice "naturelle" des choses se met en place, tout en s'attardant également du côté du Nuit Bleue (Fusion 2021) où Chastity Riley a passé tant de temps à écluser quelques verres de bière et de gin en compagnie des tenanciers de l'établissement dont elle est extrêmement proche. Comme à l'accoutumée, c'est la richesse et l'originalité de la mise en scène qui séduit le lecteur avec un texte intense où l'émotion se distille autour de ces échanges à la fois marquants et sobres qui caractérisent chacun des personnages d'une série qui prend fin dans le cadre d'une atmosphère envoûtante dont on s'extrait avec regret. On saluera néanmoins le fait que Simone Buchholz a préféré mettre fin à une série policière singulière plutôt que de prendre le risque de nous livrer l’ouvrage de trop comme c’est souvent trop le cas dans le domaine de la littérature noire. Et puis on notera, avec un certain plaisir, que Nuit Bleue premier roman des enquêtes de Chastity Riley intègre désormais la collection des éditions Rivages/Noir, en espérant qu’il en sera de même pour l’ensemble des ouvrages de Simone Buchholz.

     

     


    Simone Buchholz : River Clyde (River Clyde). Editions de l'Atalante/collection Fusion 2025. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

    A lire en écoutant : Slow Like Honey de Fiona Apple. Album : Tidal. 1996 Epic Records.

  • Clément Milian : Un Conte Parisien Violent. Crevards.

    Capture d’écran 2023-06-23 à 14.40.14.pngService de presse.


    Exit les châteaux et les forêts, le conte prend possession du milieu urbain ou le bitume est roi. Exit les robes de princesse et autres pantoufles de vair, les jeunes filles portent des Converse, des shorts en jeans et font du skate en slalomant entre les passants. Les ogres consomment du crack et déambulent dans les méandres des passages souterrains de cette place Stalingrad cerclée par la redoutable infrastructure métallique du métro aérien. Nouvelle voix de la collection Fusion aux éditions de l'Atalante, Clément Milian évoque avec Un Conte Parisien Violent cette éternelle histoire de transition entre l'adolescence et le monde des adultes en suivant le parcours de Salomé, figure farouche de la place Stalingrad dont elle a pris possession en évoluant au milieu des sdf et des toxicos. Au sein de cette cour des miracles ponctuée d'éclats d'une violence soudaine, d'amitiés fragiles et incertaines et de cette tension palpable animant les occupants des lieux, on perçoit la solitude et le désarroi d'une gamine livrée à elle-même, cherchant à s'extraire de sa posture d'adolescente avec une quête du sens qu'elle pense trouver en côtoyant ces cabossés de la vie.

     

    A Paris, la canicule estivale n'épargne pas le parvis de la place Stalingrad, refuge des clochards, dealers et autres crackeurs qui ont notamment investi les passages souterrains, spots préférés de Salomé qui slalome avec son skate entre les épaves. A quatorze ans, la jeune fille, que tout le monde surnomme chewing-gum à force de chuter sans jamais se faire mal, préfère trimbaler sa carcasse sur la place plutôt que de rester seul dans l'appartement familial désert. Il faut dire que son père flic fait quelques passages éclairs, entre deux affaires, afin de déposer de l'argent pour les courses, tandis que sa grande sœur vit une intense histoire d'amour. Hôtesse de l'air, la mère de Salomé est aux abonnés absents depuis qu'elle a embarqué pour New-York où sévit un serial-killer qui s'en prend aux femmes. Adolescente au caractère farouche, Salomé se moque bien de cette famille bancale. Ce qui lui importe, c'est qu'elle s'est imposée parmi cette faune locale qu'elle côtoie en se forgeant quelques amitiés improbables avec certains zonards des lieux comme Mamadou, un sdf au caractère versatile. Mais au sein de cet environnement instable, il faut tout de même se méfier de ces monstres mutiques qui zonent dans le secteur. Salomé va l'apprendre à ses dépens.

     

    Bien qu'il ait vécu durant de nombreuses années dans le quartier de Stalingrad, en côtoyant ainsi les toxicomanes et dealers fréquentant les lieux, Clément Milian s'est bien éloigné du récit naturaliste pour s'orienter sur le registre du conte, comme le titre du roman le mentionne d'ailleurs, en s'interdisant ainsi tout type de jugement pour se focaliser sur cette atmosphère fantasmagorique qui imprègne l'ensemble du roman avec des personnages secondaires comme Mama ou le Bouledogue dont les surnoms nous indiquent le rôle qu'ils endossent au sein de la communauté disparate stagnant sur cette place Stalingrad. Un Conte Parisien Violent se concentre donc autour du parcours de Salomé et du désarroi que ressent cette jeune adolescente avec une mère absente et la découverte de la sexualité dont elle perçoit quelques contours avec la relation qu'entretient sa sœur aînée fréquentant un jeune garçon vivant dans un squat voisin. Loin de s'apitoyer sur son sort, Salomé virevolte sur son skate en faisant preuve d'une certaine défiance vis-à-vis des dealers qui souhaiteraient l'employer plus activement afin d'effectuer quelques livraisons à leur clientèle. Si elle n'a rien contre quelques livraisons occasionnelles, Salomé n'entend pas se mettre à la disposition de ces dealers qu'elle n'hésite d'ailleurs pas à invectiver du haut de ses quatorze ans. Et puis il y a cette relation houleuse avec Mama ce sdf qui n'a pas toute sa raison en oubliant parfois les rapports qu'il entretient avec Salomé qui s'inquiète du comportement parfois agressif de celui qu'elle considère comme son unique ami. Afin d'accumuler davantage de tension, le récit se décline autour de brefs chapitres d'une ou deux pages, quand ce ne sont pas une poignée de mots qui servent de liant pour les pages suivantes en se demandant quelle tournure va prendre le drame à venir dont on devine certains aspects que ce soit avec les silhouettes inquiétantes qui squattent les souterrains de la place, la mère de Salomé peut-être promise à un avenir funeste avec ce serial-killer hantant les rues de New-York où elle séjourne sans donner de nouvelle ou bien avec le comportement inquiétant de Mama qui bascule peu à peu dans la folie. On apprécie donc cet univers inquiétant au sein duquel la jeune Salomé évolue ainsi que l'inquiétude qui nous étreint peu à peu dans l'éclat d'un récit brutal et percutant nous coupant le souffle au terme d'une scène finale tourmentée.

     

    Clément Milian : Un Conte Parisien Violent. Editions de l'Atalante/Collection Fusion 2023.

    A lire en écoutant : De L'Autre Côté de L'uzine. Album : La Goutte d'Encre. 2017 L'uzine.

  • Simone Buchholz : Nuit Bleue. Poudre de cristal.

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    Service de presse.

    Dans nos contrées francophones, je crois que l'on sous-estime beaucoup trop l'importance de la littérature noire en provenance des pays germanophones que l'on désigne sous le nom de Krimi (Krimalroman) et qui reste un genre extrêmement populaire que ce soit bien évidemment en Allemagne et en Autriche mais également en Suisse-allemande où seul Sunil Man, romancier zurichois, a bénéficié d'une traduction en français avec son détective Vijay Kumar qui se débat entre ses origines indiennes et sa nationalité helvétique. En France, on constate le même phénomène où les traductions restent dans le domaine de l'anecdotique. Mais pour en savoir plus sur le sujet du Krimi, il est possible de consulter le site Fondu au noir qui consacre tout un chapitre aux chroniques des polars en provenance de ces contrées germanophones ainsi qu'une exposition dédiée au thème. Si l'on observe d'ailleurs l'affiche consacrée à cette exposition, on découvrira qu'il s'agit du Davidwache, célèbre poste de police se situant à Hambourg. bleu nuit,éditions de l'atalanta,collection fusion,krimi,chastity rileyUne sacrée "coïncidence" lorsque l'on pense que Caroline de Benedetti et Emeric Cloche, composant une partie de l'équipe Fondu Au Noir, dirigent la nouvelle collection Fusion de la maison d'éditions L'Atalante qui est consacrée au polar en nous proposant en guise d'inauguration, Nuit Bleue, un roman de Simone Buchholz mettant en scène la procureure Chastity Riley officiant justement à Hambourg et plus particulièrement dans le quartier populaire de Sankt Pauli. Davantage orientée vers les genres de la SF et de la Fantaisy, la maison d'éditions renouvelle donc l'expérience du roman policier en succédant ainsi à Insomniaque et ferrovière qui était en sommeil depuis 2016.

     

    Trouvant le réconfort dans les bars de son quartier de Sankt Pauli à Hambourg, la procureure Chastity Riley partage ses déboires avec Carla, Rocco, Klatsche, Faller et Calabretta, ses amis de toujours, qui ne seront pas de trop pour l'aider à affronter ce monde du crime extrêmement glauque. Après avoir dénoncé son supérieur hiérarchique corrompu, on aurait pu s'attendre à ce qu'elle obtienne une promotion, mais dans la ville portuaire de Hambourg, les choses se passent autrement. Désormais reléguée dans un placard, la tempétueuse magistrate est affectée à la protection des victimes. Femme de caractère, elle préfère donc arpenter les rues de la ville et fréquenter ses partenaires policiers plutôt que ses collègues juristes, ceci d'autant plus qu'elle doit se rendre à l'hôpital pour traiter l'étrange dossier d'un inconnu laissé pour mort qui refuse de collaborer avec la police. A grand renfort de bières, de cigarettes et de currywurst, Chastity Riley va en apprendre plus sur cet étrange individu qui va l'entrainer sur la piste d'un truand albanais souhaitant inonder la ville avec de nouvelles drogues de synthèse particulièrement nocives. 

     

    En Allemagne, Simone Buchholz fait partie des grands noms de la littérature noire avec sa série de dix polars mettant en scène l'atypique procureure Chastity Riley officiant à Hambourg et vivant au coeur du quartier chaud de la cité où elle croise bon nombre de ses amis dont Faller, un vieux flic bourru et Klatsche, amant occasionnel de la magistrate et ancien délinquant qui s'est reconverti comme patron du Blaue Nacht où elle a ses habitudes en éclusant un nombre conséquent de bières avant de se rendre au stade pour soutenir son équipe favorite, le FC Sankt Pauli. Sixième roman de la série, Nuit Bleue marque le changement de maison d'éditions pour intégrer la prestigieuse Suhrkamp Verlag qui correspond à un éditeur tel que Gallimard, et dont la lecture pourra se révéler quelque peu déstabilisante avec une forme d'écriture à la fois audacieuse et originale à l'instar de ces rétrospectives de 1982 jusqu'à nos jours où l'on découvre par petites touches, par petites notes, les parcours des différents protagonistes du récit et même, sur la fin, le point de vue des truands sur qui Chastity Riley enquête. Loin d'être conventionnelle, l'intrigue s'articule donc autour de cette mystérieuse victime mutique que la magistrate doit apprivoiser afin de découvrir les raison qui l'ont conduite à l'hôpital pour s'orienter ensuite vers un trafic de drogue s'opérant entre la Tchéquie et Hambourg qui nous donne à voir un autre visage de l'Allemagne réunifiée. Ne s'embarrassant pas de détails superflus, ne s'accrochant pas au réalisme d'une enquête débridée, Simone Buchholz va donc à l'essentiel en captant brillamment le caractère de ses personnages mais en déclinant également une superbe ambiance à la fois glauque et attachante de sa ville de Hambourg qu'elle sait dépeindre avec la force de métaphores bien élaborées qui nous éloigne de la carte postale touristique pour nous livrer les recoins méconnus de la ville des autochtones dont le fameux port où se déroule la confrontation finale et le stade du quartier où l'on assiste à l'épilogue d'un récit fulgurant (le mot n'est pas galvaudé, bien au contraire). 

     

    Avec Nuit Bleue on appréciera donc cette nouvelle voix détonante et originale de Simone Buchholz qui est parvenue à créer une héroïne à la fois atypique et complexe qui officie dans la non moins détonante ville de Hambourg que l'on prend plaisir à parcourir en compagnie de la cohorte de personnages attachants qui accompagnent la procureure Chastity Riley. Une belle découverte.

     

     

    Simone Buchholz : Nuit Bleue (Blaue Nacht). Editions L'Atalante, collection Fusion 2021. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

    A lire en écoutant : Loreleï de Nina Hagen. Album : Angstlost. CBS Records 1983.