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LES AUTEURS - Page 3

  • Attica Locke : Au Paradis Je Demeure / Il Est Long Le Chemin Du Retour. La noblesse dans le combat.

    attica locke,au paradis je demeure,il est long le chemin du retour,éditions liana leviImpliqués dans le Mouvement des droits civiques, ses parents lui ont donné le nom de la tristement célèbre prison de l'Etat de New-York qui fut le théâtre, en 1971, d'une mutinerie meurtrière à la suite de la mort d'un militant du Black Panther Party tué par les gardiens lors d'une tentative d'évasion. On se souvient encore de cette scène célèbre où Al Pacino haranguait la police et scandant ce nom, repris par la foule, dans Un Après-Midi De Chien, film réalisé par Sydney Lumet en 1975, ceci un an après la naissance d'Attica Locke. Originaire du Texas, Attica Locke vit désormais en Californie où elle exerce la profession de productrice et de scénariste pour les grands studios ayant pignon sur rue à Hollywood ainsi que pour des plateformes comme Netflix. On lui doit notamment la production de séries comme Empire en 2015 avec Terrence Howard ou Le Goût De Vivre en 2022 avec Zoé Saldana. Mais Attica Locke est davantage reconnue dans nos contrées francophones pour son travail de romancière avec la publication de trois ouvrages pour la Série Noire dont Marée Noire (Série Noire 2011) obtenant le prestigieux prix Edgard Allan Poe qu'elle reçoit une seconde fois à l'occasion de la parution de Bluebird, Bluebird (Liana Levi 2021), premier récit d'une trilogie mettant en scène le Texas Ranger afro-américain Darren Mathews. Publié peu après la première investiture de Donald Trump, le roman s'articule autour du thème de la discrimination raciale et de l'émergence de plus en plus prégnante des mouvements d'extrême-droite dans cet état du sud qui n'en a pas fini avec un passé peu reluisant en lien avec l'esclavagisme qui rejaillit d'ailleurs davantage dans le second livre de la trilogie Au Paradis Je Demeure, tandis qu'Il Est Long Le Chemin Du Retour revêt des connotations de désespoir social, en clôturant ainsi, sur une note plutôt pessimiste, le périlleux parcours de ce Texas Ranger qui affiche une désenchantement certain. Autant dire que durant sa présence au festival Quais Du Polar à Lyon, Attica Locke a été extrêmement sollicitée sur le thème de la politique américaine qui défraie l'actualité et qu'elle a évoqué avec beaucoup de pertinence, en compagnie de l'auteur sud-africain Déon Meyer, tout en soulignant, avec justesse, que ses romans n'ont pas pour vocation de s'inscrire dans une dimension politique. Il n'en demeure pas moins que l'on peut observer, à la lecture de cette série Darren Mathews, la violence de l'évolution sociale d'un pays en proie à une certaine forme de sidération où il importe davantage de savoir comment payer ses factures plutôt que de réfléchir à la politique qui bouleverse une nation divisée, comme elle le relève brillamment lors son entretien avec le journaliste Christophe Laurent qui a recueilli et retranscrit ses propos sur son blog The Killer Inside Me

     

    Au Paradis Je Demeure.

    A l'est du Texas, sur la frontière avec la Louisiane, s'étale l'immense lac Caddo, bordés de ces forêts de cyprès chauve enguirlandés de mousse espagnole, où l'on peut s'égarer facilement, le soir tombé, en naviguant sur l'entrelacs de ces bayous sinueux alimentés par une eau verdâtre, au risque de "passer une nuit au motel Caddo" comme les anciens le disent. C'est justement pour retrouver un enfant disparu sur le lac que le Texas Ranger Darren Mathews est dépêché à Hopetown, une petite bourgade reculée de la région où vit une communauté disparate d'indiens Caddos côtoyant Leroy Page, un vieux noir descendant d'un groupe d'esclaves affranchis qui a fait l'acquisition des terres environnantes. Mais quand le policier découvre dans le périmètre, la présence de caravanes délabrées et squattées par des blancs aussi pauvres que racistes, Darren Mathew sait que l'affaire sera sensible, ce d'autant plus que le gamin disparu n'est autre que le fils d'un haut membre du mouvement des suprémacistes purgeant une peine de prison pour un meurtre raciste et dont la mère est la plus grosse fortune du comté. Et puis il faut bien dire que tout accuse Leroy Page arpentant la région à cheval avec son fusil en bandoulière et qui semble être la dernière personne à avoir vu cet enfant que tout le monde recherche.

     

    Dans ce second volet, on prend la mesure de l'arche narrative alimentant les trois volumes de la série qu'il conviendra de lire dans l'ordre afin de saisir la teneur des enjeux complexes qui pèsent sur la trajectoire de Darren Mathews englué dans une procédure judiciaire après avoir protégé un de ses proches suite à un meurtre aux connotations raciales et dans lequel sa mère alcoolique joue un rôle prépondérant en détenant l'arme du crime qu'elle menace de remettre aux autorités si elle n'obtient pas un certaine somme d'argent. Autant dire que l'on perçoit l'opposition qui tenaille ce Texas Ranger partagé entre la probité liée à sa fonction et cette volonté de lutter contre ces crimes de haine qui entache cet état du sud meurtri par cette dimension historique rejaillissant en permanence avec les velléités de ces suprémacistes affichant leurs prétentions d'une manière aussi violente que décomplexée. Elevé par deux oncles aux opinions divergentes, on distingue également les nuances imprégnant la personnalité de ce policier afro américain qui a intégré ce corps légendaire de la police en suivant les traces de l'un d'entre eux tout en se questionnant sur le sens de l'équité de la justice dans un univers complexe et dangereux que le second remet en question en tant qu'éminent professeur juriste attaché aux droits de la défense. Tout cela rejaillit habilement dans le cours de cette seconde enquête où Darren Mathews fait un pacte avec un membre repenti de la Fraternité Aryenne du Texas, incarcéré pour meurtre de haine, qui le supplie de retrouver son fils disparu en échange de révélations permettant de mettre à jour des affaires en lien avec cette organisation criminelle. Et c'est dans le cadre somptueux de ces bayous situés à l'est du Texas que l'on découvre Hopetown nichée sur les berges du lac Caddo abritant les indiens natifs de la région cohabitant avec les descendants d'esclaves qui ont fait l'acquisition des terres sur la base du Southern Homestead Act de 1866 destiné à les aider à devenir propriétaire terrien. Au gré d'une intrigue assez habile, Attica Locke met en exergue la convoitise de ces terres par l'entremise de Marnie King, personnalité influente du comté et grand-mère de l'enfant disparu, affichant des convictions sans faille dignes de ces femmes blanches du sud des Etats-Unis qui ne s'encombrent pas du passé esclavagiste qu'elles balaient d'un revers de main et avec une autorité tranchante. Mais du côté de Hopetown, il y a Leroy Page, personnage au caractère farouche, bien décidé à protéger ce petit coin de paradis dont il est le propriétaire mais qui doit composer avec un groupe d'individus racistes qui s'est installé sur ses terres au gré d'un stratagème foncier qu'il ne maîtrise pas. Il émerge ainsi dans cette atmosphère poisseuse propre à cette région du Texas, une ambiance âpre, toute en tension que la romancière distille avec subtilité pour mettre à jour les fantômes du passé qui émergent d'ailleurs dans les couloirs de cet hôtel historique de la ville de Jefferson dans lequel Darren Mathews loge. C'est donc autour de la dichotomie entre ses deux personnalités que tout oppose qu'Attica Locke élabore une intrigue plus nuancée qu'il n'y paraît en s'inscrivant dans un réalisme sans accroc puisque certains aspects de l'enquête demeureront sans réponse, tandis que d'autres révèlent l'ambiguïté de Darren Mathews cherchant à s'extirper du bourbier judiciaire dans lequel il s'est fourré. Ainsi, sur fond de tensions raciales intangibles, Attica Locke met en évidence avec Au Paradis Je Demeure, les dissensions entre deux communautés qui s'inscrivent également dans une dimension sociale et historique alimentant les rancoeurs qui rejaillissent parfois dans un déferlement de violence meurtrière qu'aucune autorité n'est en mesure de contenir. 

     

    Il Est Long Le Chemin De Retour.
    Bell officie comme femme de ménage au sein de la prestigieuse résidence étudiante la plus élitiste de l'université du Texas composée majoritairement d'étudiantes blanches et fortunées à l'exception de Sara Fuller, une jeune femme noire aux origines modestes qui semble avoir disparue, mais dont personne ne se soucie. Mais lorsque Bell découvre les affaires de Sara jetée négligemment dans une poubelle, elle décide d'en faire part à son fils Darren Mathews qui est enquêteur au sein des Texas Rangers. Mais quelque peu désabusé par l'arrivée de Trump au sein de la présidence des Etats-Unis, le policier préfère renoncer à son insigne plutôt que de poursuivre sa lutte contre les mouvances extrémistes qui semblent agir désormais avec le blanc-seing de certains membres du gouvernement. Et puis, cela fait maintenant trois ans qu'il n'a plus parlé à sa mère en qui il n'a aucune confiance, elle qui l'a abandonné alors qu'il était un jeune enfant et qui l'a trahi encore tout récemment en livrant des éléments de preuve à un procureur qui le traque sans relâche. Mais en dépit de ses réticences, Darren Mathews va se lancer sur les traces de cette étudiante disparue avec l'aide de sa mère qu'il va enfin apprendre à connaître quitte à mettre à jour le secret de famille qui les hante depuis toujours. 

     

    A la lecture de cette trilogie d’Attica Locke, on appréciera cette superbe capacité d’évocation des paysages somptueux de cette région de l‘est du Texas qui nous rappelle parfois la prose flamboyante des textes de James Lee Burke ou de Joe R. Lansdale et qui émerge de manière encore plus prégnante dans Il Est Long Le Chemin Du Retour où l'on observe l'attachement de Darren Mathews pour cette ferme où il a grandit sous l'oeil bienveillant de ses oncles qui l'ont éloigné de sa mère alcoolique qui n'était plus en capacité de l'élever. Dans cet opus final, on devine que l'enquête n'est qu'un prétexte pour mettre à jour les secrets de famille qui entachent les relations entre un fils et une mère qui vont se rapprocher peu à peu, en dépit d'une méfiance réciproque, mais qui va s'estomper dans le cours de leur investigations communes afin de retrouver cette jeune femme afro-américaine disparue qui ne semblait pas trouver son bonheur au sein de cette sororité étudiante bien éloignée de son statut social. Et c'est de conditions sociales dont il est question dans ce nouveau récit où l'on découvre les revers de la médaille de cette ville-entreprise de Thornhill qui, sous une apparence bienveillante, exploite ses employés d'une manière effroyable. A partir de là, Attica Locke décortique les mécanismes du désespoir qui animent Joseph Fuller, ce père de famille prêt à tout pour faire en sorte d'assurer un avenir décent pour sa femme et ses enfants et qui semble dissimuler certains éléments en lien avec la disparition de sa fille, afin de satisfaire les exigences de la famille Thornhill à laquelle il est totalement assujetti. C'est donc tout l'intérêt de cette intrigue où l'on perçoit ce qui pousse certains individus délaissés à se tourner vers celles et ceux qui leur manifestent un intérêt calculé qui s'inscrit dans une exploitation outrancière rappelant, à certains égards, l'esclavagisme d'autrefois qui rejaillit dans un contexte libéral débridé qui bascule dans l'illégalité. Dans cet environnement inquiétant, bénéficiant de l'appui des autorités, Darren Mathews aura bien du mal à faire éclater la vérité d'autant plus qu'il doit également lutter contre l'alcoolisme dont il est victime tout en faisant face à un procès du Grand Jury pour entrave à l'action pénale et dans lequel sa mère risque bien de témoigner contre lui. C'est donc toute une succession d'intrigues traversant l'ensemble des deux précédents volumes de la trilogie qui vont prendre fin avec Il Est Long Le Chemin Du Retour se révélant d'une densité impressionnante pour mettre en évidence les affres d'un pays qui ne semble pas être en mesure d'émerger du long cauchemar dans lequel il est embourbé. 

     


    Attica Locke : Au Paradis Je Demeure (Heaven, My Home). Editions Liana Levi 2022. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anne Rabinovitch.


    Attica Locke : Il Est Long Le Chemin Du Retour (Guide Me Home). Editions Liana Levi 2025. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Nicolas Paul.


    A lire en écoutant : Save Your Love For Me  de Bettye Lavette. Album : Blackbirds. A Verve Records release; 2020 UMG Recording, Inc.

  • Horace McCoy : Un Linceul N’a Pas De Poches. A la une.

    Capture d’écran 2025-04-01 à 23.24.15.pngLa relation ne date pas d'hier puisque Gallimard publie en 1946 Un Linceul N'a Pas De Poches dans la Série Noire en faisant d'Horace McCoy, le premier romancier américain à intégrer la mythique collection dirigée par Marcel Duhamel qui traduit l'ouvrage en collaboration avec Sabine Rebitz. C'est d'ailleurs cette même année que paraît dans la catalogue Du Monde Entier, On Achève Bien Les Chevaux, également traduit par Marcel Duhamel et dont la fameuse adaptation au cinéma par Sydney Pollack en 1969 contribuera à une certaine reconnaissance posthume d'Horace McCoy qui est mort en 1955 dans l'indifférence générale. Ayant exercé une multitude de métiers, dont journaliste et scénariste pour Hollywood, vétéran héroïque de la première guerre mondiale, il a publié tout au long de sa vie de nombreuse nouvelles dans les « pulps » avant de se lancer dans l'écriture de romans dans lesquels figurent le cadre de la Grande Dépression des années 30 qui l'ont véritablement marqué, en prenant soin de mettre en exergue les injustices sociales bien éloignées du fameux rêve américain. Et autant dire que dans le contexte de l'époque, alors qu'il achève en 1936 Un Linceul N'a Pas de Poches, le texte ne trouve pas preneur auprès des maisons d'éditions des Etats-Unis pour finalement être publié en 1937 en Angleterre. Portrait sombre d'un pays en proie à la corruption et à une discrimination raciale larvée, Horace McCoy s'emploie ainsi à dresser un panorama social sans concession par le prisme d'un journaliste ne dérogeant jamais à ses responsabilités en dépit des menaces qui pèsent sur lui. Si l'on retrouve le texte dans le recueil des éditions Quarto rassemblant l'ensemble de l'œuvre du romancier américain dont les traductions ont été révisées par Michael Belano, Un Linceul N'a Pas De Poches intègre désormais la collection Classique de la Série Noire avec une préface inédite de Benoît Tadié qui fait en sorte de contextualiser ce récit tragique avec le parcours de vie d'un auteur qui n'a pas rencontré son public avec des romans jugés beaucoup trop sombres pour une contrée aspirant à promouvoir ce fameux "American way of life" qu'il s'est employé à fusiller.

     


    horace mccoy,un linceul n’a pas de poches,série noireNe pouvant plus tolérer l'indulgence dont fait preuve le Times Gazette vis-à-vis des proches des annonceurs et autres financiers du quotidien, le journaliste Mike Dolan annonce sa démission immédiate à son rédacteur en chef venant de lui refuser la parution de son article dénonçant la corruption dans le milieu du base-ball. Pour obtenir davantage de liberté et d'indépendance, il crée le Cosmopolite, un hebdomadaire qui a pour objectif de mettre en lumière les frasques et les malversations des notables de la région en comptant sur l'aide de Myra Barnovsky et d'Eddie Bishop qui vont le seconder dans l'élaboration du magazine. Et après bien des péripéties pour rassembler l'argent nécessaire, Mike Dolan se lance dans la rédaction de reportages mettant à jour des scandales touchant des édiles locaux peu scrupuleux qui tentent par tous les moyens d'étouffer les affaires. Mais malgré les tentatives de collusion ou d'intimidation, le journaliste fait preuve de plus en plus de témérité, quitte à mettre sa vie en danger pour arriver à ses fins, en infiltrant notamment le mouvement des Croisés qui n'ont rien à envier, en matière de violence, au Ku Klux Klan dont ils sont issus. 

     

    Afin de se situer dans le contexte de l'époque durant laquelle se déroule Un Linceul N'a Pas De Poches, il importe vraiment de lire la préface de cette édition Classique de la Série Noire afin de saisir quelques aspects de la vie d'Horace McCoy qui rejaillissent dans le parcours de Mike Dolan, notamment pour tout ce qui a trait à son expérience dans le journalisme durant la période où l'auteur séjourna dans l'état du Texas. Plusieurs protagonistes empruntent d'ailleurs quelques traits de personnalité à l'entourage du romancier alors qu'il fréquentait notamment le Little Theater de Dallas en tant qu'acteur au sein de cette troupe d'amateur. On notera donc qu'Un Linceul N'a Pas De Poches prend une tournure autobiographique, quand bien même l'attitude de Mike Dolan revêt une dimension sacrificielle extrême afin de faire valoir un jusqu'au boutisme tragique dans cette lutte contre la corruption et la montée de l'extrême droite s'inscrivant dans des activités de discriminations raciales criminelles incarnées par ces fameux Croisés, émules du Ku Klux Klan. Puis en arrière plan, Horace McCoy fait également allusion à la montée en puissance du fascisme incarné par Hitler et Mussolini, en préambule d'une guerre apparaissant comme inéluctable. A partir de là, on ne peut s'empêcher à la lecture de ce texte, de faire certains parallèles avec l'actualité mondiale qui nous touche et plus particulièrement avec ce qui se déroule aux Etats-Unis de nos jours. Véritable brûlot sans concession, on comprendra les difficultés qu'a connu Horace McCoy pour faire publier ce roman qui fut rejeté par les maisons d'éditions américaines, ce d'autant plus qu'il fait également allusion au soutien de l'entourage de Mike Dolan appartenant à cette mouvance communiste qui émerge dans le pays, bien avant les débuts de la répression du maccarthysme prenant son essor durant les années 50. Avec ce roman très dense, on suivra donc cette création assez chaotique d'un hebdomadaire qui préfigure le journalisme d'investigation de cette presse écrite héroïque qui connaîtra son apogée au début des années 70 avec la fameuse affaire du Watergate. Criblé de dettes, Mike Dolan apparaît comme un individu un peu fantasque et extrêmement impulsif qui fait parfois preuve d'une certaine maladresse, notamment à l'égard des femmes qui tombent sous son charme alors que seul compte pour lui la montée en puissance de son magazine en faisant fi des menaces pesant sur lui, dans une inconscience totale qui lui coutera cher. A certains égards, le récit prend même des allures de western, alors qu'il faut fourbir les armes afin de protéger la diffusion du périodique dans les kiosques en s'adjoignant quelques gorilles peu commodes. Ainsi, Un Linceul N’a Pas De Poches, se révèle dans sa noirceur au gré d’un portrait social sans concession reflétant l’état d’esprit de l’époque qui s’inscrit dans ce racisme et cette discrimination ordinaires où l’on traite les domestiques de « braves nègres » et où l’on mentionne qu'un théâtre amateur devient "un repère" d’homosexuels et de lesbiennes et qui en font un classique incontournable, bien à l’opposé de ce fameux rêve américain qu’Horace McCoy dissout avec ferveur. 

     

     

    Horace McCoy : Un Linceul N’a Pas De Poches (No Pockets In A Shroud) Série Noire 2024. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sabine Rebitz et Marcel Duhamel, révisée par Michael Belano. 

    À lire en écoutant : Sabrosa de Beastie Boys. Album : Communication. 1994 Capitol Records, LLC, Grand Royal and Beastie Boys.

  • SANDRINE COHEN : ANTOINE, UN FILS AIMANT. PRENDRE TA DOULEUR.

    sandrine cohen,antoine un fils aimant,éditions belfondSi elle a endossé le rôle d'actrice et de scénariste, c'est la réalisation de deux documentaires portant sur des faits divers qui lui ont inspiré l'écriture de son premier roman récompensé en 2021 par le prestigieux Grand Prix de Littérature Policière saluant cette analyse des violences intrafamiliales dont elle décortique les mécanismes impitoyables conduisant au meurtre. Il faut dire qu'avec Rosine, Une Criminelle Ordinaire (Editions du Caïman 2020), Sandrine Cohen marquait les esprits avec ce personnage de Clélia Rivoire, enquêtrice de personnalité, chargée de faire la lumière sur le parcours de vie d'une mère coupable d'un double infanticide. On s'éloigne donc des archétypes du policier, du juge d'instruction, du procureur, de l'avocat ou bien même du journaliste pour aborder le fait divers, d'une manière un peu moins conventionnelle, avec cette femme  de caractère prenant prend à bras le corps les dossiers qui lui sont confiés, avec une certaine tendance à déborder du cadre de sa fonction en nous permettant de nous immerger littéralement dans les interstices de l'intimité d'un cadre familiale qui s'est disloqué peu à peu pour laisser place à une tragédie se révélant inévitable. Avec Sandrine Cohen, il n'est absolument pas question de justifier le crime, mais d'en comprendre les mécanismes qui peuvent conduire une mère de famille ordinaire à commettre l'irréparable en mettant à plat les schémas redoutables d'une violence larvée se déroulant à l'abri des regards où le bourreau et sa victime s'ingénient à préserver les apparences pour des raisons diamétralement opposées car il est souvent question de manipulations et de honte. Mais la particularité de Rosine, Une Criminelle Ordinaire réside dans le fait de nous glisser viscéralement dans les méandres complexes et parfois contradictoires des pensées de Clélia Rivoire pour ressentir chaque parcelle des sentiments qui l'anime durant la constitution de son dossier mais également durant la phase finale du procès qui demeure un moment d'une rare intensité. On retrouve d'ailleurs tout cela, dans Antoine, Un Fils Aimant, second volet de ce qui apparaît comme une nouvelle plongée dans l'intimité d'une famille marquée par un parricide tandis que l'on prend la mesure des failles de Clélia Rivoire prenant davantage d'ampleur en dépit de son entourage qui tente de l'aider à surmonter les traumas du passé alors qu'elle oscille entre colère et détresse, tandis que plane en permanence ce furieux sentiment de révolte qui la ronge de l'intérieur. 

     

    Passionné de droit, Antoine Durand est un lycéen brillant qui vit dans l'agglomération cossue de Meudon au sein d'une famille sans histoire jusqu'à ce dimanche de février où il s'empare du fusil que son père, en revenant de la chasse, venait de déposer dans la cuisine. A la police dépêchée sur place, le jeune garçon explique avoir pointé l'arme sur son père par défi, comme s'il s'agissait d'une plaisanterie. Mais le fusil est chargé, le coup part et Xavier Durand s'effondre sous le regard de sa femme Cybèle et de sa fille Melissa qui ne disent pas autre chose. L'homme meurt sur le coup. En tant qu'enquêtrice de personnalité nantie par le juge d'instruction Isaac Delcourt, Clélia Rivoire se rend à la maison d'arrêt pour mineurs où est détenu Antoine afin de retracer son parcours et dresser le portrait social de son entourage pour en retranscrire tous les éléments nécessaire à la tenue du procès. Mais lors de l'entretien, Clélia est perturbée par l'attitude du jeune prévenu qui semble être de marbre en déclinant un discours maîtrisé de bout en bout avec une assurance peu commune tout en disposant d'excellentes connaissances des procédures judiciaires. Que se dissimule-t-il derrière cette froide arrogance ? Et pourquoi essaie-t-il de se dérober à l'aide que Clélia peut lui apporter ?

     

    Même si Sandrine Cohen prend soin d'apporter quelques précisions en début de récit quant au parcours de Clélia Rivoire, notamment pour ce qui a trait au viol dont elle a été victime, ainsi que sur ses rapports avec son ami le commissaire Samuel Varda et surtout avec le juge d'instruction Isaac Delcourt, faisant office de mentor, voire même de père de substitution, il importe de lire tout d'abord Rosine, Une Criminelle Ordinaire pour intégrer certains aspects de sa personnalité et notamment cette colère qui gronde en elle à chaque instant. Cela importe d'autant plus que la romancière distille des flashs récurrents de ce qui apparaît comme un drame que son héroïne semble avoir vécu durant sa jeunesse mais dont on ignore les contours, ce qui est d'ailleurs regrettable avec cette propension à faire durer le suspense plus que nécessaire. D'un point de vue narratif, Antoine, Un Fils Aimant reprend le même schéma que l'ouvrage précédent avec tout d'abord l'aspect de l'enquête de personnalité menée par Clélia Rivoire qui assiste, dans un second temps, au procès du prévenu dont elle a eu la charge, dans un climat de tension assez oppressant. L'une des particularités du récit réside dans cette écriture parfois frénétique illustrant parfaitement le chaos des pensées de cette enquêtrice de personnalité hors norme, se révélant beaucoup plus impliquée que ses fonctions ne l'exige, en nous permettant ainsi de passer au crible les dysfonctionnements de chaque membre de la famille Durand avec lesquels elle s'entretient afin de comprendre les origines d'une tragédie qui apparaît comme inéluctable au fil des révélations qu'elle met à jour. Dotée d'une sensibilité exacerbée, se conjuguant avec son parcours de vie chaotique, c'est peu dire que Clélia Rivoire est parfaitement à même de saisir les aspérités de ses interlocuteurs et de ressentir certaines failles lors des échanges avec Antoine, ce prévenu mineur apparaissant comme bien trop sûr de lui à l'inverse de sa mère complètement désemparée tout comme sa soeur Melissa, toutes deux véritablement chagrinées par le drame qui les frappe. Avec un texte dépourvu de chapitre, accentuant cette sensation d'urgence qui imprègne l'intrigue, Sandrine Cohen s'emploie ainsi à démonter chacune de pièces qui compose ces mécanismes du fait divers s’inscrivant dans le pur registre du roman noir, sans jamais surjouer avec les révélations fracassantes émergeant des investigations de Clélia Rivoire. C'est encore plus prégnant durant la phase du procès que Sandrine Cohen met en scène avec un réalisme extrême sans que cela  ne nuise au suspense, bien au contraire, puisqu'on y assiste en adoptant toujours le point de vue de son héroïne en proie à un déséquilibre nerveux de plus en plus latent qui nous tient encore plus en haleine. Et puis, il y a cette dualité qui compose la personnalité de Clélia Rivoire qui en font un femme exceptionnelle à l'image d'une Ghjulia Boccanera ou d'une Chastity Riley et qui ont en commun cette fragilité certes, mais également cette force et cette colère qui animent chacune de leurs démarches assumées, parfois empruntes de maladresse et de défiance à l'égard du monde qui les entoure, mais toujours parfaitement actées dans un registre de spontanéité et de sincérité admirable. Ainsi, Antoine, Un Fils Aimant se révèle être un roman noir naturaliste d'une envergure peu commune et dont l'épilogue final époustouflant laisse présager une suite, quand bien même on pourrait en rester là avec ce qui apparaît comme diptyque parfait.

     


    Sandrine Cohen : Antoine, Un Fils Aimant. Editions Belfond/Noir 2025.


    A lire en écoutant : Nocturne No. 13 in C Mino, Op. 48 No. 1 de Chopin. Album : Claudio Arrau - Chopin: The Nocturnes. 1978 Universal International Music B.V.

     

  • Valerio Varesi : L'Autre Loi. La bombe humaine.

    IMG_0834.jpegService de presse.

     

    A raison d'un roman par année, paraissant avec le retour des beaux jours, comme pour saluer cette émergence de la nature se conjuguant avec cette effervescence des idées et des thèmes abordés, voilà que l'on entame déjà la dixième enquête du commissaire Franco Soneri officiant au sein de la ville de Parme et de sa région de l'Emilie Romagne, si chère à son auteur Valerio Varesi, journaliste engagé aux convictions aussi profondes qu'assumées qui rejaillissent dans l'ensemble de son oeuvre. A la parution de chaque ouvrage, on évoque désormais le dernier ou le nouveau Soneri à l'instar de son homologue Andrea Camilleri et de son fameux commissaire Montalbo partageant avec son collègue parmesan le goût de la bonne chère ainsi qu'une certaine notoriété plus que méritée et dont on se réjouit, une fois encore, de partager les investigations toujours imprégnées de connotations sociales et philosophiques extrêmement prégnantes au fil des textes qui se renouvellent constamment, ce qui n'est de loin pas une évidence. En effet, on a vu tant de séries policières s'étioler dans une espèce de routine délétère comblant l'absence d'intrigue vigoureuse pour se réfugier dans la facilité d'une structure narrative récurrente comme on a pu le constater avec l'inspecteur Charlie Resnick de John Harvey ainsi qu’avec le détective Dave Robicheaux de James Lee Burke qui comptent tous deux quelques ouvrages de trop, malgré le fait que l'on ait pu apprécier bon nombre de leurs livres. Il n'en sera rien avec les romans de Valerio Varesi, dont on se demande seulement s'il sera capable de faire aussi bien que l'ouvrage précédent dont chacune des intrigues servent finalement de prétexte pour développer des sujets de société qui ont marqué son auteur s'employant à en disséquer les éléments tant du point de vue social que philosophique sans pour autant alourdir son texte qui demeure toujours aussi fluide et limpide et surtout extrêmement abordable tout en nous enrichissant des réflexions d'un commissaire Soneri apparaissant toujours sur les registres du doute et de l'incertitude caractérisant certains aspects de sa personnalité et dont on ne connaît finalement pas grand chose, hormis le fait qu'il a été marié, qu'il a perdu un enfant en bas âge et qu'il partage sa vie avec l'avocate Angela Cornelio. On apprend également que son père a intégré le mouvement des partisans durant la seconde guerre mondiale et que cet engagement rejaillit dans les convictions d'un policier se révélant peu conventionnel tout comme son ami Nanetti, responsable de la section scientifique de la police, avec qui il partage quelques repas au Milord, où ils ont leurs habitudes. Mais hormis ces quelques éléments récurrents dont il n'abuse jamais, Valerio Varesi a pris soin de ne pas installer d'arche narrative entre les différents volumes, ce qui fait que l'on peut les aborder sans nécessairement devoir respecter l'ordre chronologique des parutions et apprécier chacun d'entre eux s'inscrivant dans la différence des thèmes abordés qui vous éclaireront sur l'évolution de la société italienne notamment pour tout ce qui trait à la montée du populisme apparaissant notamment dans L'Autre Loi, nouveau roman en date, publié dans sa version originale en 2017, bien avant l'émergence du gouvernement de Giorgia Meloni, figure emblématique de l'extrême-droite italienne. 

     

    Alors qu'ils raccompagnent Gilberto Forlai, un vieil aveugle errant sur les voies de chemin de fer de la gare de Parme, les agents découvrent à son domicile le corps sans vie d'un jeune migrant prénommé Hamed qui logeait chez lui en échange d'une aide pour les tâches domestiques. De permanence, l'enquête est confiée au commissaire Soneri qui va investiguer auprès de la communauté musulmane implantée à San Leonardo, une modeste banlieue de Parme où la tension entre immigrés et locaux devient de plus en plus prégnante avec des affrontements violents faisant de nombreux blessés suite à des agressions au couteau. Mais au-delà de l'extrémisme religieux couplé au trafic de stupéfiants ravageant le quartier, le commissaire Soneri comprend bien que l'on atteint un point de non-retour avec une haine viscérale qui imprègne l'ensemble des belligérants aveuglés par leurs propres certitudes. Dans ce contexte bouillonnant, il faudra faire preuve de lucidité et de clairvoyance pour démêler le vrai du faux où le repli sur soi et le rejet de l'autre deviennent la norme au sein d’un environnement que le policier peine à cerner.

     

    Capture.PNGTémoin de son espace et de son environnement, on observera, en découvrant l'œuvre de Valerio Varesi, cette évolution de la société italienne durant les 14 années qui séparent, dans sa version originale, la parution du Fleuve Des Brumes (Agullo noir 2016) de celle de L'Autre Loi (Agullo 2024) et plus particulièrement de ce qui a trait au fascisme apparaissant comme une résurgence lointaine du passé, nourrie de rancœurs,  pour laisser place à cette montée du populisme imprégnée de colère qui émerge au gré de cette nouvelle intrigue policière mettant en scène un commissaire Soneri apparaissant plus que décontenancé par l'ampleur de ce phénomène social. A partir de là, Valerio Varesi s'emploie à décortiquer les mécanismes de cette haine larvée de ressortissants italiens bien décidés à s'en prendre aux migrants qui peuplent les quartiers sensibles de la ville de Parme, en leur imputant la responsabilité de tous leurs maux. Il va de soi que c'est plus particulièrement la communauté musulmane qui en fait les frais avec une impressionnante montée de violence s'articulant autour d'un véritable rejet de part et d'autre que l'auteur met en scène avec une redoutable acuité dépourvue de tout parti pris et qui se décline autour de la personnalité d'individus engoncés dans leur haine et leur certitudes, que ce soit l'imam Brahimi ou le politicien Pellacini qui, au-delà des idéologies qui les opposent, ont en commun cette volonté de s’engager vers un extrémisme radical. Mais si ces leaders apparaissent en second plan, au gré des conversations aux entournures philosophiques que le commissaire Soneri peut avoir avec eux malgré son aversion, l'intrigue s'articule autour de celles et ceux qui en sont les victimes collatérales, et plus particulièrement du meurtre du jeune migrant Hamed Kalimi que l'on a retrouvé au domicile de Gilberto Forlai, un vieil aveugle démuni, au comportement ambivalent dont Valerio Varesi dresse un portrait absolument bouleversant. C'est d'ailleurs dans l'élaboration de ces individus pétris d'humanité, avec toutes les failles que cela comporte, que réside le talent du romancier à dresser une intrigue toute en nuance où l'on découvre, au rythme de l'avancement d'une enquête incertaine, les atermoiements de protagonistes refusant d'intégrer ce processus de violence radicale, en dépit de la peur qui les étreint. Ainsi, le commissaire Soneri parcourt les rues de la ville de Parme en croisant des patrouilles citoyennes prêtent à en découdre pour rendre justice à leur manière vis-à-vis de migrants qu'ils abhorrent, ceci plus particulièrement du côté du quartier de San Leonardo qui n'a rien de touristique. Il n'en demeure pas moins que l'agglomération est toujours mise en valeur avec notamment une incursion dans la célèbre et sublime bibliothèque Palatine de Parme et de ses environs dont le magnifique Palazzo della Pilotta, situé non loin du bâtiment de la questure où le commissaire Soneri travaille avec son équipe, quand il ne s'égare pas du côté des contreforts du massif des Apennins dont on appréciera les paysages hivernaux, parfois brumeux, ainsi que les spécialités culinaires concoctées par l'aubergiste du village que le policier s'empresse de déguster en dépit des problèmes de santé qui le contraignent à suivre un régime que sa compagne Angela s'évertue à lui faire respecter. Sans jamais abuser du procédé, on retrouve une certaine récurrence salutaire dans le déroulement de l'intrigue que ce soit les échanges parfois incisifs avec son collègue et ami Nanetti, les repas gourmands au Milord ainsi que les rapports avec sa compagne Angela prenant davantage de place dans le cours de l'intrigue tandis que Franco Soneri, parfois en plein désarroi, exprime ses sentiments vis-à-vis d'elle, avec plus de ferveur que de coutume. Témoignage et analyse d'une société basculant vers un populisme prégnant se conjuguant avec l'extrémisme radical islamiste qui marquent le pas au sein de la ville de Parme, mais également du pays, L'Autre Loi apparaît comme un roman policier extrêmement brillant qui met à jour les clivages entre les différentes communautés bien décidées à s'imposer coûte que coûte dans une spirale de violence que la police seule, n'est pas en mesure d'endiguer comme en témoigne l'épilogue où le commissaire Soneri fait en sorte de rester à la place qui est la sienne sans jamais outrepasser le cadre de ses fonctions en conférant ainsi davantage de réalisme à une intrigue aussi grandiose que la couverture.


    Valerio Varesi : L'Autre Loi (Il Commissario Soneri E La Legge Del Corano). Editions Agullo/Noir 2025. Traduit de l'italien par Gérard Lecas.

    A lire en écoutant : Blue Rondo A La Turk de Dave Brubeck. Album : Time Out. 1959, Columbia Records. 

  • Simone Buchholz : River Clyde. Le passage.

    simone buchholz,rive clyde,collection fusion,éditions de l'atalanteToutes les bonnes chose ont une fin mais on regrettera bien évidemment le fait que la série des investigations de la procureure Chastity Riley s'achève avec River Clyde ce dernier roman de Simone Buchholz qui semble donc avoir fait le tour de cette héroïne hors-norme dont elle a distillé   les récits en publiant dix ouvrages parmi lesquels cinq sont traduits en français par Claudine Layre pour la collection Fusion des éditions de l'Atalante, dirigée par Caroline de Benedetti et Emeric Cloche, bien connus dans le milieu de la littérature noire avec leur association Fondu Au Noir. Autant dire que l'on a été véritablement séduit par cet emploi vertigineux de l'ellipse, ainsi que ces dialogues  incisifs mettant en scène des individus attachants gravitant autour de la personnalité parfois éthérée de cette femme insaisissable où l'incertitude devient sa force de caractère tout en révélant certaines failles notamment pour ce qui a trait à ses origines. Issue d'un amour entre un soldat américain basé en Allemagne qui se suicidera alors qu'elle est adolescente et d'une mère allemande qui l'a abandonnée sans un mot, Chastity Riley incarne bon nombre de ces enfants  allemands partagés entre deux cultures que Simone Buchholz a côtoyé à l'école qui s'est donc penchée sur cette quête des origines qui rejaillit plus particulièrement dans River Clyde avec cette incursion en Ecosse, du côté de Glascow et de sa région, même si la ville de Hambourg apparaît encore une fois au gré d'une intrigue parallèle. Parce qu'il va de soi que la série de la procureure Chastity Riley met également en évidence cette ville portuaire de Hambourg avec cette ouverture au monde dont on a un échantillon en évoluant dans le secteur de Sankt Pauli, ce quartier populaire où l'on côtoie des communautés étrangères relativement pauvres ainsi que des individus venus faire la fête dans la multitude de bars et de salons où les prostituées travaillent dans une ambiance extrêmement animée. Bien loin des clichés qui pourraient émaner d'un tel environnement, Simone Buchholz a fait en sorte de nous livrer des récits imprégnés d'une certaine poésie tout en abordant des thème sociaux issus de l'actualité du moment que ce soit les problèmes de stupéfiants transitant par le port, la lutte inégale des classes ainsi que les difficultés en lien avec l'intégration des étrangers, ceci avec une pertinence totalement dénuée de naïveté. 

     

    Après l'explosion au dernier étage du bar de l'hôtel où ils célébraient un départ à la retraite, personne ne s'est vraiment remis des événements tragiques et notamment de la disparition de l'un des leurs qui a marqué à tout jamais les membres de l'équipe de la brigade criminelle et bien évidemment la procureure Chastity Riley qui est désormais en disponibilité. Et puis il y cette lettre d'un avocat de Glascow l'informant qu'elle est désormais l'héritière d'une maison au fin fond de l'Ecosse et qui appartenait à sa tante paternelle qu'elle n'a jamais connu. Alors voilà Chastity Riley qui se balade sur les bords de la Clyde River tandis que les fantômes du passé ressurgissent au gré d'une errance jalonnée de rencontres impromptues, parfois surnaturelles. Et du côté de Hambourg, Stepanovic et Calabretta, ainsi que le reste de l'équipe, reprennent du service en investiguant du côté de promoteurs immobiliers sans foi ni loi qui ont incendié un ensemble d'immeubles vétustes du quartier de Sankt Pauli. Mais pas certain que cela ne concerne vraiment Chastity Riley qui s'est lancée dans une enquête intime à la recherche de ses racines dans les méandres du loch recelant quelques secrets qui lui permettront peut-être de se reconstruire.

     

    simone buchholz,rive clyde,collection fusion,éditions de l'atalanteVéritable fil conducteur de la narration, le fleuve donnant son titre au roman River Clyde devient une espèce d'entité magique faisant office de passeur entre le monde invisible et l'univers chamboulé de Chastity Riley qui tente de se remettre des événements que l'on a découvert dans Hôtel Carthagène (Fusion 2024) qu'il est recommandé de lire avant, afin de saisir toutes les nuances des intrigues qui touchent son entourage. Si le thème de l’origine a toujours été présent dans les aspects de la personnalité de la procureure hambourgeoise, il s’inscrit dans une dimension beaucoup plus prégnante au cours de ce dernier opus prenant l’allure d’une véritable introspection, aux connotations parfois oniriques, ponctuée de très belles rencontres au gré de ses pérégrinations que ce soit du côté de Glascow, ville extrêmement bien incarnée, ou du côté de la région de Garelochhead, au milieu des landes et lochs écossais où se situe la maison que sa tante Eliza lui a légué, ce qui va lui permettre de se connecter avec l'histoire de sa famille, du côté paternel dont elle ignore pratiquement tout. Toujours dans la mesure, Simone Buchholz se garde bien de nous entrainer sur le registre des révélations fracassantes ou d'une pseudo enquête policière nous dévoilant les raisons du suicide de son père. Il en va d'ailleurs de même pour ce qui a trait aux investigations des incendies intentionnels des immeubles de Hambourg dont s'occupe les membres de la brigade criminelle qui, tout comme Chastity Riley, tentent de surmonter leur chagrin chacun à leur manière, et que la romancière met en scène au rythme d'une longue filature où les policiers deviennent davantage témoins qu'enquêteurs alors qu'une espèce de justice "naturelle" des choses se met en place, tout en s'attardant également du côté du Nuit Bleue (Fusion 2021) où Chastity Riley a passé tant de temps à écluser quelques verres de bière et de gin en compagnie des tenanciers de l'établissement dont elle est extrêmement proche. Comme à l'accoutumée, c'est la richesse et l'originalité de la mise en scène qui séduit le lecteur avec un texte intense où l'émotion se distille autour de ces échanges à la fois marquants et sobres qui caractérisent chacun des personnages d'une série qui prend fin dans le cadre d'une atmosphère envoûtante dont on s'extrait avec regret. On saluera néanmoins le fait que Simone Buchholz a préféré mettre fin à une série policière singulière plutôt que de prendre le risque de nous livrer l’ouvrage de trop comme c’est souvent trop le cas dans le domaine de la littérature noire. Et puis on notera, avec un certain plaisir, que Nuit Bleue premier roman des enquêtes de Chastity Riley intègre désormais la collection des éditions Rivages/Noir, en espérant qu’il en sera de même pour l’ensemble des ouvrages de Simone Buchholz.

     

     


    Simone Buchholz : River Clyde (River Clyde). Editions de l'Atalante/collection Fusion 2025. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

    A lire en écoutant : Slow Like Honey de Fiona Apple. Album : Tidal. 1996 Epic Records.