Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

attica locke

  • Attica Locke : Au Paradis Je Demeure / Il Est Long Le Chemin Du Retour. La noblesse dans le combat.

    attica locke,au paradis je demeure,il est long le chemin du retour,éditions liana leviImpliqués dans le Mouvement des droits civiques, ses parents lui ont donné le nom de la tristement célèbre prison de l'Etat de New-York qui fut le théâtre, en 1971, d'une mutinerie meurtrière à la suite de la mort d'un militant du Black Panther Party tué par les gardiens lors d'une tentative d'évasion. On se souvient encore de cette scène célèbre où Al Pacino haranguait la police et scandant ce nom, repris par la foule, dans Un Après-Midi De Chien, film réalisé par Sydney Lumet en 1975, ceci un an après la naissance d'Attica Locke. Originaire du Texas, Attica Locke vit désormais en Californie où elle exerce la profession de productrice et de scénariste pour les grands studios ayant pignon sur rue à Hollywood ainsi que pour des plateformes comme Netflix. On lui doit notamment la production de séries comme Empire en 2015 avec Terrence Howard ou Le Goût De Vivre en 2022 avec Zoé Saldana. Mais Attica Locke est davantage reconnue dans nos contrées francophones pour son travail de romancière avec la publication de trois ouvrages pour la Série Noire dont Marée Noire (Série Noire 2011) obtenant le prestigieux prix Edgard Allan Poe qu'elle reçoit une seconde fois à l'occasion de la parution de Bluebird, Bluebird (Liana Levi 2021), premier récit d'une trilogie mettant en scène le Texas Ranger afro-américain Darren Mathews. Publié peu après la première investiture de Donald Trump, le roman s'articule autour du thème de la discrimination raciale et de l'émergence de plus en plus prégnante des mouvements d'extrême-droite dans cet état du sud qui n'en a pas fini avec un passé peu reluisant en lien avec l'esclavagisme qui rejaillit d'ailleurs davantage dans le second livre de la trilogie Au Paradis Je Demeure, tandis qu'Il Est Long Le Chemin Du Retour revêt des connotations de désespoir social, en clôturant ainsi, sur une note plutôt pessimiste, le périlleux parcours de ce Texas Ranger qui affiche une désenchantement certain. Autant dire que durant sa présence au festival Quais Du Polar à Lyon, Attica Locke a été extrêmement sollicitée sur le thème de la politique américaine qui défraie l'actualité et qu'elle a évoqué avec beaucoup de pertinence, en compagnie de l'auteur sud-africain Déon Meyer, tout en soulignant, avec justesse, que ses romans n'ont pas pour vocation de s'inscrire dans une dimension politique. Il n'en demeure pas moins que l'on peut observer, à la lecture de cette série Darren Mathews, la violence de l'évolution sociale d'un pays en proie à une certaine forme de sidération où il importe davantage de savoir comment payer ses factures plutôt que de réfléchir à la politique qui bouleverse une nation divisée, comme elle le relève brillamment lors son entretien avec le journaliste Christophe Laurent qui a recueilli et retranscrit ses propos sur son blog The Killer Inside Me

     

    Au Paradis Je Demeure.

    A l'est du Texas, sur la frontière avec la Louisiane, s'étale l'immense lac Caddo, bordés de ces forêts de cyprès chauve enguirlandés de mousse espagnole, où l'on peut s'égarer facilement, le soir tombé, en naviguant sur l'entrelacs de ces bayous sinueux alimentés par une eau verdâtre, au risque de "passer une nuit au motel Caddo" comme les anciens le disent. C'est justement pour retrouver un enfant disparu sur le lac que le Texas Ranger Darren Mathews est dépêché à Hopetown, une petite bourgade reculée de la région où vit une communauté disparate d'indiens Caddos côtoyant Leroy Page, un vieux noir descendant d'un groupe d'esclaves affranchis qui a fait l'acquisition des terres environnantes. Mais quand le policier découvre dans le périmètre, la présence de caravanes délabrées et squattées par des blancs aussi pauvres que racistes, Darren Mathew sait que l'affaire sera sensible, ce d'autant plus que le gamin disparu n'est autre que le fils d'un haut membre du mouvement des suprémacistes purgeant une peine de prison pour un meurtre raciste et dont la mère est la plus grosse fortune du comté. Et puis il faut bien dire que tout accuse Leroy Page arpentant la région à cheval avec son fusil en bandoulière et qui semble être la dernière personne à avoir vu cet enfant que tout le monde recherche.

     

    Dans ce second volet, on prend la mesure de l'arche narrative alimentant les trois volumes de la série qu'il conviendra de lire dans l'ordre afin de saisir la teneur des enjeux complexes qui pèsent sur la trajectoire de Darren Mathews englué dans une procédure judiciaire après avoir protégé un de ses proches suite à un meurtre aux connotations raciales et dans lequel sa mère alcoolique joue un rôle prépondérant en détenant l'arme du crime qu'elle menace de remettre aux autorités si elle n'obtient pas un certaine somme d'argent. Autant dire que l'on perçoit l'opposition qui tenaille ce Texas Ranger partagé entre la probité liée à sa fonction et cette volonté de lutter contre ces crimes de haine qui entache cet état du sud meurtri par cette dimension historique rejaillissant en permanence avec les velléités de ces suprémacistes affichant leurs prétentions d'une manière aussi violente que décomplexée. Elevé par deux oncles aux opinions divergentes, on distingue également les nuances imprégnant la personnalité de ce policier afro américain qui a intégré ce corps légendaire de la police en suivant les traces de l'un d'entre eux tout en se questionnant sur le sens de l'équité de la justice dans un univers complexe et dangereux que le second remet en question en tant qu'éminent professeur juriste attaché aux droits de la défense. Tout cela rejaillit habilement dans le cours de cette seconde enquête où Darren Mathews fait un pacte avec un membre repenti de la Fraternité Aryenne du Texas, incarcéré pour meurtre de haine, qui le supplie de retrouver son fils disparu en échange de révélations permettant de mettre à jour des affaires en lien avec cette organisation criminelle. Et c'est dans le cadre somptueux de ces bayous situés à l'est du Texas que l'on découvre Hopetown nichée sur les berges du lac Caddo abritant les indiens natifs de la région cohabitant avec les descendants d'esclaves qui ont fait l'acquisition des terres sur la base du Southern Homestead Act de 1866 destiné à les aider à devenir propriétaire terrien. Au gré d'une intrigue assez habile, Attica Locke met en exergue la convoitise de ces terres par l'entremise de Marnie King, personnalité influente du comté et grand-mère de l'enfant disparu, affichant des convictions sans faille dignes de ces femmes blanches du sud des Etats-Unis qui ne s'encombrent pas du passé esclavagiste qu'elles balaient d'un revers de main et avec une autorité tranchante. Mais du côté de Hopetown, il y a Leroy Page, personnage au caractère farouche, bien décidé à protéger ce petit coin de paradis dont il est le propriétaire mais qui doit composer avec un groupe d'individus racistes qui s'est installé sur ses terres au gré d'un stratagème foncier qu'il ne maîtrise pas. Il émerge ainsi dans cette atmosphère poisseuse propre à cette région du Texas, une ambiance âpre, toute en tension que la romancière distille avec subtilité pour mettre à jour les fantômes du passé qui émergent d'ailleurs dans les couloirs de cet hôtel historique de la ville de Jefferson dans lequel Darren Mathews loge. C'est donc autour de la dichotomie entre ses deux personnalités que tout oppose qu'Attica Locke élabore une intrigue plus nuancée qu'il n'y paraît en s'inscrivant dans un réalisme sans accroc puisque certains aspects de l'enquête demeureront sans réponse, tandis que d'autres révèlent l'ambiguïté de Darren Mathews cherchant à s'extirper du bourbier judiciaire dans lequel il s'est fourré. Ainsi, sur fond de tensions raciales intangibles, Attica Locke met en évidence avec Au Paradis Je Demeure, les dissensions entre deux communautés qui s'inscrivent également dans une dimension sociale et historique alimentant les rancoeurs qui rejaillissent parfois dans un déferlement de violence meurtrière qu'aucune autorité n'est en mesure de contenir. 

     

    Il Est Long Le Chemin De Retour.
    Bell officie comme femme de ménage au sein de la prestigieuse résidence étudiante la plus élitiste de l'université du Texas composée majoritairement d'étudiantes blanches et fortunées à l'exception de Sara Fuller, une jeune femme noire aux origines modestes qui semble avoir disparue, mais dont personne ne se soucie. Mais lorsque Bell découvre les affaires de Sara jetée négligemment dans une poubelle, elle décide d'en faire part à son fils Darren Mathews qui est enquêteur au sein des Texas Rangers. Mais quelque peu désabusé par l'arrivée de Trump au sein de la présidence des Etats-Unis, le policier préfère renoncer à son insigne plutôt que de poursuivre sa lutte contre les mouvances extrémistes qui semblent agir désormais avec le blanc-seing de certains membres du gouvernement. Et puis, cela fait maintenant trois ans qu'il n'a plus parlé à sa mère en qui il n'a aucune confiance, elle qui l'a abandonné alors qu'il était un jeune enfant et qui l'a trahi encore tout récemment en livrant des éléments de preuve à un procureur qui le traque sans relâche. Mais en dépit de ses réticences, Darren Mathews va se lancer sur les traces de cette étudiante disparue avec l'aide de sa mère qu'il va enfin apprendre à connaître quitte à mettre à jour le secret de famille qui les hante depuis toujours. 

     

    A la lecture de cette trilogie d’Attica Locke, on appréciera cette superbe capacité d’évocation des paysages somptueux de cette région de l‘est du Texas qui nous rappelle parfois la prose flamboyante des textes de James Lee Burke ou de Joe R. Lansdale et qui émerge de manière encore plus prégnante dans Il Est Long Le Chemin Du Retour où l'on observe l'attachement de Darren Mathews pour cette ferme où il a grandit sous l'oeil bienveillant de ses oncles qui l'ont éloigné de sa mère alcoolique qui n'était plus en capacité de l'élever. Dans cet opus final, on devine que l'enquête n'est qu'un prétexte pour mettre à jour les secrets de famille qui entachent les relations entre un fils et une mère qui vont se rapprocher peu à peu, en dépit d'une méfiance réciproque, mais qui va s'estomper dans le cours de leur investigations communes afin de retrouver cette jeune femme afro-américaine disparue qui ne semblait pas trouver son bonheur au sein de cette sororité étudiante bien éloignée de son statut social. Et c'est de conditions sociales dont il est question dans ce nouveau récit où l'on découvre les revers de la médaille de cette ville-entreprise de Thornhill qui, sous une apparence bienveillante, exploite ses employés d'une manière effroyable. A partir de là, Attica Locke décortique les mécanismes du désespoir qui animent Joseph Fuller, ce père de famille prêt à tout pour faire en sorte d'assurer un avenir décent pour sa femme et ses enfants et qui semble dissimuler certains éléments en lien avec la disparition de sa fille, afin de satisfaire les exigences de la famille Thornhill à laquelle il est totalement assujetti. C'est donc tout l'intérêt de cette intrigue où l'on perçoit ce qui pousse certains individus délaissés à se tourner vers celles et ceux qui leur manifestent un intérêt calculé qui s'inscrit dans une exploitation outrancière rappelant, à certains égards, l'esclavagisme d'autrefois qui rejaillit dans un contexte libéral débridé qui bascule dans l'illégalité. Dans cet environnement inquiétant, bénéficiant de l'appui des autorités, Darren Mathews aura bien du mal à faire éclater la vérité d'autant plus qu'il doit également lutter contre l'alcoolisme dont il est victime tout en faisant face à un procès du Grand Jury pour entrave à l'action pénale et dans lequel sa mère risque bien de témoigner contre lui. C'est donc toute une succession d'intrigues traversant l'ensemble des deux précédents volumes de la trilogie qui vont prendre fin avec Il Est Long Le Chemin Du Retour se révélant d'une densité impressionnante pour mettre en évidence les affres d'un pays qui ne semble pas être en mesure d'émerger du long cauchemar dans lequel il est embourbé. 

     


    Attica Locke : Au Paradis Je Demeure (Heaven, My Home). Editions Liana Levi 2022. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anne Rabinovitch.


    Attica Locke : Il Est Long Le Chemin Du Retour (Guide Me Home). Editions Liana Levi 2025. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Nicolas Paul.


    A lire en écoutant : Save Your Love For Me  de Bettye Lavette. Album : Blackbirds. A Verve Records release; 2020 UMG Recording, Inc.

  • ATTICA LOCKE : BLUEBIRD, BLUEBIRD. BLUES DU SUD.

    attica locke,bluebird,éditions liana leviAvec des mouvements sociaux tels que Black Lives Matter, jamais la question sur le sujet des discriminations raciales n'avait pris autant d'ampleur depuis bien des années aux Etats-unis, où l'actualité des violences policières ne fait que raviver les tensions d'un pays qui n'a jamais réglé les problèmes de racisme systémique envers la communauté afro-américaine et qui semble désormais en payer l'addition. Il va de soi que le sujet de cette discrimination latente a été abondamment traité dans le domaine de la littérature noire où les crimes de haine, comme on les définit aujourd'hui dans le pays, deviennent un thème important que de nombreux auteurs ont abordé à l'instar de Kris Nelscott évoquant l'histoire du mouvement afro-américain des droits civiques des années 60, de Colson Whitehead, récipiendaire de deux prix Pulitzer en 2017 et 2020, de Chester Himes et de son emblématique roman, La Reine Des Pommes ou de Joe R. Lansdale qui traitait le sujet de la ségrégation au Texas avec des romans comme Les Marécages ou Sur La Ligne Noire. Du Texas il est encore question avec Attica Locke qui nous présente avec Bluebird, Bluebird, un portrait inquiétant du "Lone Star" où elle vit, avec des relents de ségrégations qui semblent toujours présents dans certaines régions reculées de cet état du sud.

     

    Le Texas Ranger noir Darren Mathews est en sale posture depuis qu'il est sous le coup d'une enquête du grand jury pour une affaire de meurtre commis par un des employés de sa famille. Accusé d'avoir couvert les agissements de l'accusé agissant en état de légitime défense, le policier risque d'être renvoyé de l'institution policière pour parjure. Mais une autre affaire le préoccupe avec la découverte du corps d'un homme noir au bord du bayou Attoyac. La victime a été molestée avant d'être noyée et pour la police locale il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un vol en dépit du fait que l'on a retrouvé son portefeuille sur lui. Pour le Ranger Darren Mathews il s'agit plutôt d'un crime de haine, ceci d'autant plus que sévit un groupuscule de suprémacistes blancs dans la région. L'affaire se corse lorsque l'on retrouve également le cadavre d'une jeune femme blanche ravivant les tensions sous-jacentes qui règnent dans une bourgade où blancs et noirs ne fréquentent pas les mêmes bars. En lutte avec les autorités locales, Darren Mathews va enquêter envers et contre tous pour déterrer les secrets que bon nombre d'habitants ne souhaitent pas voir resurgir.

     

    Avec trois romans policiers à son actif, tous publié dans la collection Série Noire, Attica Locke n'a rien d'un romancière débutante lorsqu'elle intègre les éditions Liana Levi, avec Bluebird, Bluebird qui a été couronné du prix Edgard-Allan-Poe lors de sa parution originale en 2018. On comprendra dès lors l'aisance de cette romancière nous proposant, avec ce roman complexe, de découvrir les enchevêtrements d'intrigues multiples mettant en scène le Texas Ranger noir Darren Mathews qui doit faire face à une enquête du grand jury tout en menant des investigations sur des meurtres à caractères raciaux dans un comté reculé de l'est du Texas, à la frontière avec la Louisiane. On découvre un personnage nuancé, se révélant bien plus ambivalent qu'il n'y paraît, notamment dans ses rapports avec une mère alcoolique qu'il supporte difficilement préférant se tourner vers ses oncles qui ont pris en charge son éducation. L'autre aspect de Darren Mathews réside dans le fait qu'il a longtemps enquêter dans le cadre des agissements de la Fraternité Aryenne du Texas qui vont influencer son comportement et ses réflexions dans le contexte de meurtres sur lesquels il doit désormais mener ses investigations. C'est l'occasion pour Attica Locke de dépeindre l'atmosphère poisseuse de cette bourgade nichée au bord du bayou Attoyac avec une galerie de portraits où s'opposent membres de la communauté afro-américaine et membre de la communauté blanche qui cohabitent dans un climat de tension flirtant avec le contexte d'une ségrégation qui semble toujours d'actualité à l'instar du Geneva Sweet's Sweets, café réservé aux noirs tandis que les blancs fréquentent le Jeff's Juice House. Représentatifs de ces tensions raciales, les deux établissements publics nous permettent d'appréhender la complexité des rapports entre les deux communautés qui recèlent quelques secrets qu'Attica Locke prend soin de révéler avec une belle virtuosité en nous éclairant sur l'ensemble d'une bourgade qui rechigne à dévoiler les rapports qui peuvent s'instaurer entre les différents membres de la localité. Outre Darren Mathews, on appréciera les portraits de femmes de caractère telles que Geneva, la tenancière du café portant son nom ou de Randie Winston, une jeune veuve, citadine, bien décidée à faire la lumière sur les circonstances du meurtre de son mari et sur les raisons qui l'on conduit à se rendre dans le comté de Shelby. 

     

    Ainsi, au gré d'un bande sonore agrémentée des grands standards du blues, Attica Locke distille avec Bluebird, Bluebird un récit policier âpre et passionnant, sur fond de tensions raciales qui vont révéler les accointances entre les différents membres d'une communauté d'un Texas méconnu que l'on découvre avec une grande délectation.

     

    Attica Locke : Bluebird, Bluebird (Bluebird, Bluebird). Editions Liana Levi 2021. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anne Rabinovitch.

    A lire en écoutant : Bluebird de John Lee Hokker. Album : The best of John Lee Hooker. 1994 Geffen Records.