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Italie

  • Valerio Varesi : Ce N'Est Qu'Un Début Commissaire Soneri. Ramasser les morceaux.

    ce n’est qu’un début commissaire soneri,valerio varesi,éditions agulloCela fait maintenant huit ans que l’on parcourt chaque printemps les enquêtes du commissaire Soneri avec un décalage de treize ans entre les publications originales en italien et les traductions brillantes de Florence Rigollet permettant au monde francophone de découvrir ainsi l’œuvre de Valerio Varesi profondément attaché à la ville de Parme  dans laquelle officie cet enquêteur atypique que l’on rencontrait pour la première fois sur les berges du Pô dans un roman intitulé Le Fleuve Des Brumes (Agullo 2016) résumant à lui seul cette atmosphère particulière de la région d’Emilie-Romagne. Si on le compare souvent à son homologue français, le commissaire Maigret, Soneri possède davantage de similitudes avec Duca Lamberti, personnage emblématique de l’œuvre de Georgio Scerbanenco pour lequel Valerio Varesi voue une grande estime, avec deux enquêteurs dotés d’un grand sens de la réflexion, voire même de l’introspection, jouant d’ailleurs un très grand rôle dans l’avancée de leurs investigations respectives. C’est souvent en parcourant les rues embrumées de Parme, que le commissaire Soneri distille ses pensées qu’il confie à sa compagne Angela ou à son collègue Nanetti en partageant quelques repas savoureux au Milord’s tenu par son ami Alceste. On le voit, la série comporte quelques éléments récurrents dont l’auteur se garde bien d’abuser, afin d’éviter tout cliché en faisant en sorte de se renouveler constamment au gré de récits tout en nuance qui abordent fréquemment, sur un registre nostalgique, les événements qui ont marqué l’Italie contemporaine que ce soit la lutte des partisans contre le régime fasciste de l’époque avec Le Fleuve Des Brumes (Agullo 2016), Les Ombres De Montelupo (Agullo 2018) et La Maison Du Commandant (Agullo 2021) ou l’emprise de la mafia dont on découvre certains rouages économiques dans Les Mains Vides (Agullo 2019) ainsi que cette corruption endémique des instances dirigeantes que l’on perçoit dans La Pension De La Via Saffi (Agullo 2017). Mais quels que soient les thèmes abordés, ceux-ci s’inscrivent toujours dans un registre imprégné d’humanité avec toutes les failles que cela comporte en menant parfois aux crimes que le commissaire Soneri doit résoudre avec cette approche philosophique nous rappelant que son auteur, avant d’entamer son activité de journaliste à la Repubblica et de romancier, a également étudié la philosophie à l’université de Bologne dont on retrouve d’ailleurs quelques éléments savoureux aux connotations parfois mystiques que ce soit dans La Main De Dieu (Agullo 2022) ou Or, Encens Et Poussière (Agullo 2020). Si la série comporte actuellement 16 volumes avec un dernier ouvrage publié en Italie en 2021, Ce N’Est Qu’un Début, Commissaire Soneri fait figure de neuvième opus en prenant en compte le fait que les trois premières enquêtes du policier parmesan n’ont pas été traduites en français. Avec la photo du village de Manarola ornant la couverture de ce nouveau roman, on ne laisse planer aucun doute quant au fait qu’une partie de l’intrigue se déroulera du côté de la fameuse région de Cinque Terre.


    Par une triste journée hivernale, le commissaire Soneri contemple la pluie qui s’abat sur la ville de Parme. Mais bien vite les affaires reprennent avec la découverte d’un homme qui s’est pendu dans un vieil hôtel abandonné. Dépourvu de pièce d’identité et d’argent, sa tenue élégante et la valise luxueuse que l’on retrouve non loin de lui ont de quoi interpeller le commissaire Soneri qui n’est pas bien certain qu’il s’agisse d’un suicide en dépit des constatations effectuées sur place. Mais ses réflexions tournent court avec l’annonce d’un meurtre à l’arme blanche. On identifie rapidement la victime qui était l’un des dirigeants du mouvement estudiantin qui avait agité Parme à la fin des années soixante. Démarre une enquête imprégnée de nostalgie qui va conduire le commissaire Soneri dans les environs des Apennins émiliens puis du côté de la mer, sur les berges de la Ligurie, non loin des célèbres villages des Cinque Terre.

     

    Même si elle est anecdotique, l'apparition d'une Vespa Primera 125, découverte dans un camp de Roms, nous donne une idée de l'atmosphère de cette intrigue imprégnée d'une certaine mélancolie, ceci plus particulièrement avec les souvenirs de jeunesse d'un commissaire Soneri se remémorant ses virées en scooter du côté de la région de Cinque Terre. Une réminiscence prenant davantage d'essor avec cette enquête qui va le conduire sur les côtes de la Ligurie, durant la période hivernale, en s'éloignant du fameux circuit touristique des cinq villages que l'auteur se garde d'ailleurs bien de citer. Néanmoins, sans jouer sur ce registre touristique, on appréciera les pérégrinations du commissaire Soneri nous permettant d'avoir un autre regard sur cette contrée au charme chargé de spleen. Mais c'est bien évidement autour de la victime, Elmo Boseli, leader charismatique du mouvement étudiant et du 68 parmesan ainsi que de son entourage que l'on prend la pleine mesure d'une Italie qui n'a jamais soldé ses comptes. Il y a bien évidemment les récriminations de ses anciens camarades se désolant de la tournure politique d'un gouvernement Berlusconi faisant alliance avec les partis d'extrême-droite tout en regrettant une jeunesse qui a tourné le dos aux convictions de leurs parents tandis que les jeunes immigrés trouvent davantage de réconfort en intégrant les mouvances fascistes des supporters ultras. Au fil de ses investigations, le commissaire Soneri met donc en évidence cette amertume qui ronge les protagonistes et qui semble même rejaillir sur lui en prenant conscience que le drame se joue dans ce passage de témoin manqué entre deux générations qui ne se comprennent plus. Comme à l'accoutumée, on apprécie ce sens de la nuance qui caractérise l'écriture de Valerio Varesi qui, autour de ces thèmes sensibles, parvient à saisir parfaitement le climat politique, dans le sens large du terme, d'une Italie divisée ne parvenant pas à trouver le chemin de la réconciliation, bien au contraire, ce qui contraint le commissaire Soneri à "ramasser les morceaux" comme il l'évoque au terme d'une enquête pleine de désillusions.

     


    Valerio Varesi : Ce N'Est Qu'Un Début Commissaire Soneri (E Solo L'Inizio, Commissario Soneri) Editions Agullo 2023. Traduit de l'italien par Florence Rigollet.

    A lire en écoutant : Una Gionrnata Al Mare de Paolo Conte. Album : Concerti (Live). Under exclusive license to Warner Italy. 1985 NAR International Srl.

  • Valerio Varesi : La Main De Dieu. Miséricorde.

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    L'une des grandes particularités du roman policier, ce sont bien évidemment les séries mettant en scène un enquêteur récurrent que l'on prend plaisir à retrouver régulièrement au gré d'investigations plus ou moins variées. Ses habitudes et petites manies, son entourage et bien évidemment l'environnement dans lequel il évolue font partie des plaisirs que l'on éprouve à la lecture de chaque opus. Certains esprits chagrins prétendront qu'il s'agit d'une mécanique narrative répétitive et simpliste portant préjudice à la qualité d'une intrigue qui s'essouffle dans la durée. Contredisant cette assertion les exemples sont pourtant nombreux à l'instar du commissaire Soneri, personnage central des enquêtes mises en scène par Valério Varesi, et que l'on découvrait en 2016 avec Le Fleuve Des Brumes (Agullo/Noir 2016)et dont on partage désormais six enquêtes se déroulant, pour la plupart d'entre elles, dans la région de Parme où les résurgences du passé, et plus particulièrement du fascisme, s'entremêlent aux aléas du présent et des meurtres que cet enquêteur au charme indéfinissable doit résoudre. La singularité du personnage de Soneri réside dans la densité de sa personnalité complexe où l'homme, bien au-delà de son statut de commissaire, s'interroge en permanence sur le monde qui l'entoure en s'attardant sur les périphéries du crime sur lequel il doit enquêter avec une dimension philosophique omniprésente, instillant parfois le doute dans le cours de ses investigations tout en l'interpellant sur le sens de sa carrière de policier. Malgré le vague à l'âme qui semble l'habiter en permanence, le commissaire Soneri est un personnage terrien, très attaché à sa région en partageant avec son entourage proche quelques repas mémorables au Milord, pour célébrer tous les bienfaits d'un terroir qu'il affectionne. Au gré des six enquêtes du commissaire Soneri, le lecteur s'est également attaché à toute une galerie de personnages récurrents tels que Juvara, adjoint fidèle et besogneux, le médecin légiste Nanetti et bien évidement Angela, compagne sensuelle du policier exerçant comme avocate et qui prend une place de plus en plus prépondérante dans le cours des intrigues comme c'est le cas pour La Main De Dieu, nouveau roman de la série qui nous entraîne dans les contreforts des massifs de l'Apennin septentrional.

     

    On découvre sous le plus vieux pont de Parme, le corps d'un homme partiellement immergé dans un cloaque de boue. Appelé sur les lieux, le commissaire Soneri constate très rapidement qu'il s'agit d'un meurtre et que le corps a probablement été jeté en amont du fleuve où l'on retrouve d'ailleurs une camionnette criblée de balles. Se fiant à son instinct et aux premiers éléments de l'enquête, le policier remonte le cours de l'eau qui l'amène au village de Monteripa, niché au cœur des Apennins, non loin d'un col venteux. C'est dans cet endroit reculé que son enquête prend racine alors qu'il se retrouve bloqué par les intempéries. Se heurtant à l'hostilité des habitants, le commissaire Soneri met à jour un conflit d'intérêt qui divise la localité sur l'avenir de ces montagnes majestueuses. Traquant la vérité envers et contre tout, le policier va tout de même parvenir à nouer quelques contacts étroits avec un garde-forestier engagé, un membre d'une étrange communauté vivant recluse dans les hauteurs et un prêtre que l'on a relégué dans ce lieu perdu en guise de punition. Dans cet environnement de brume et de forêts enneigées, émerge quelques éléments d'une enquête qui conduit Soneri dans le sillage de ces cols autrefois utilisés par les contrebandiers et qui servent désormais de lieu de passage pour les trafiquants de drogue. Mais est-ce bien dans ce milieu qu'il découvrira l'identité de l'assassin ?

     

    Avec La Main De Dieu, c'est dans un environnement grandiose que l’on évolue en compagnie du commissaire Soneri au gré d'une atmosphère de huis-clos pesante, contrebalancée par la magnificence des lieux qui nous offre un cadre d'investigation assez particulier. Dès lors, on assiste à une superbe dynamique de l'enquête avec cette remontée dans les hauteurs du massif des Apennins suivie d'une période d'isolement où le policier va devoir composer avec des habitants taciturnes qui se montrent, pour la plupart d'entre eux, réfractaire à une enquête pouvant mettre à jour quelques comportements inavouables. Malgré le silence, Soneri perçoit rapidement la discorde qui oppose les villageois, entre ceux qui souhaitent l'installation d'un domaine skiable et ceux qui veulent préserver l'étendue forestière dans son intégralité. C'est l'occasion pour Valerio Varesi d'aborder ainsi le thème de l'écologie qui devient l'un des vecteurs de l'enquête puisque la victime, homme fort de la région, mettait tout en oeuvre pour imposer le projet de construction de ce domaine skiable controversé. Ainsi, par l'entremise de Cavazzini, le garde forestier surnommé Afro, le lecteur prend la pleine mesure des enjeux animant le village sur le délicat sujet de l'environnement avec un personnage engagé qui permet à Soneri de découvrir la région et cette communauté particulière des Faunes qui lutte pour la préservation des lieux. L'autre personnage incontournable du village, c'est Don Pino, ce prêtre dont la foi subversive a suscité l'ire de sa hiérarchie ecclésiastique qui l’a relégué dans les contreforts de ce massif alpin oublié de tous. Une rencontre entre l'homme de loi et l'homme de foi permettant à Valerio Varesi de mettre une nouvelle fois en perspective les doutes qui animent le commissaire Soneri au gré de ces échanges intenses avec ce personnage trouble et isolé qui semble avoir tout perdu. C'est donc autour d'une succession de mobiles envisageables que l'auteur nous égare à dessein au gré d'une intrigue solide comme le roc qui compose le décor de ces montagnes majestueuses nous renvoyant à la petitesse de notre existence qui bascule parfois au détour d'un crime. Un roman âpre et saisissant comme Valerio Varesi sait les écrire. 

     


    Valerio Varesi : La Main De Dieu (La Mano Di Dio). Editions Agullo Noir 2022. Traduit de l'italien par Florence Rigolet.

    A lire en écoutant : St. Matthews Passion, BMW. 244: N° 1 Chorus I/II de Bach. Album : St. Matthew Passion (Highlights) Karl Richter & Munchener Bach-Orchester. 1994 Deutsche Grammophon GmbH.

  • PIERGIORGIO PULIXI : L'ILE DES AMES. SACRIFICES HUMAINS.

    Capture d’écran 2021-09-30 à 00.33.53.pngExclusivement consacrée aux publications en provenance d'Amérique du Nord et plus particulièrement des Etat-Unis, la maison d'éditions Gallmeister s'est lancées en 2021 à l'assaut du monde en modifiant sa stratégie éditoriale pour nous offrir des textes en provenance d'Australie, d'Amérique du Sud, des fjords norvégiens, des contrées allemandes et italiennes. Connaissant le degré d'exigence d'un éditeur qui nous a permis de découvrir des auteurs désormais emblématiques tels que David Vann, Benjamin Whitmer et Lance Weller, pour n'en citer que quelques uns, on ne peut que se réjouir d'une telle nouvelle nous permettant d'aborder de nouveaux horizons littéraires. Sélections de qualité conjuguées à la perfection des traductions, on retrouve dans L'Ile Des Ames de Piergiorgio Pulixi, ce qui a fait la réputation Gallmeister avec cette notion de nature writing nous entrainant au coeur des paysages luxuriants d'une Sardaigne ensorcelante. S'il s'agit du premier roman traduit en français, Piergiorgio Pulixi n'a rien d'un novice dans le domaine de la littérature noire, puisque cet ancien libraire, originaire de Cagliari, chef-lieu de la Sardaigne, compte à son actif plus d'une dizaine d'ouvrages aux accents de polars ou romans noirs. Outre les paysages fascinants, L'Ile Des Ames, couronné du prix Scerbanenco, prestigieuse récompense de la littérature noire italienne, nous invite à découvrir les aspects de la culture nuralgique par le prisme d'une série de meurtres rituels prenant l'allure de sacrifices humains.

     

    Rien ne va plus en Sardaigne, et plus particulièrement sur le site nuralgique de Sirimagus où l'on découvre le corps sans vie d'une jeune femme qui semble avoir fait l'objet de rites sacrificiels. Sur les lieux, l'inspecteur chef Barrali craint qu'il ne s'agisse d'une nouvelle victime d'un criminel sévissant en toute impunité, ceci depuis plusieurs décennies. Proche de la retraite, gravement atteint dans sa santé et désespéré de constater que toutes ses investigations n'ont abouties à rien, il confie ses vieux dossiers à sa collègue Mara Rais qui a été mutée à l'unité des crimes non élucidés. Loin d'être une promotion, il s'agit plutôt de la mise au placard d'une policière forte en gueule qui a fait preuve d'insubordination vis-à-vis d'un supérieur au comportement déplacé. Reléguée dans la salle des archives de la questure de Cagliari, l'inspectrice en chef Mara Rais se voit adjoindre l'appui de l'inspectrice Eva Croce, une collègue transférée de Milan pour d'obscures raisons paraissant avoir affecté son état psychique. Méfiantes, les deux policières vont apprendre à se connaître au fil d'une enquête révélant de terribles atrocités qui vont ébranler leurs convictions. Elles vont ainsi mettre à jour les horribles traditions ancestrales qui semblent toujours d'actualité au sein d'une grande famille de paysans régnant en maître au cœur des montagnes de Barbagia.

     

    L'Ile Des Ames prend la forme d'un thriller aux accents ethnologiques nous permettant d'appréhender les contours d'une terre chargée de traditions séculaires que Piergiorgio Pulixi dépeint avec une précision d'orfèvre au travers d'une écriture ciselée et minutieuse. Avec le souci du détail permettant de capter le climat d'une Sardaigne somptueuse, le lecteur va suivre deux histoires parallèles que sont l'enquête de deux policières que tout oppose et le parcours d'un chef de clan d'une grande famille de paysans régnant sans partage sur une région de l'arrière-pays sarde. Décliné ainsi, on pourrait avoir l'impression d'aborder une structure narrative dont de nombreux auteurs ont abusé, si ce n'est que Piergiorgio Pulixi s'emploie à leurrer le lecteur en déjouant systématiquement les codes du genre pour nous entraîner dans le sillage d'une intrigue bien plus surprenante qu'il n'y paraît. Calme et posé, c'est ainsi que l'on pourrait qualifier ce thriller soigné qui nous permet de parcourir l'intégralité d'une île aux charmes variés, à l'instar de cette ville de Cagliari dont on parcours l'entrelacs de ruelles séduisantes ou de cette arrière-pays mystérieux que l'on découvre par l'entremise de Sebastianu Ladu, un paysan au caractère fort, dirigeant son clan d'une main de fer en les soumettant aux rites de traditions séculaires inquiétantes. Piergiorgio Pulixi nous entraîne également sur les grands sites archéologiques de l'île pour nous faire découvrir la culture nuralgique autour d'une série de crimes qui prendraient la forme de sacrifices humains. C'est par l'entremise de ces meurtres que l'on va découvrir les portraits remarquables de Mara Rais, autochtone au caractère bien trempé, secondée de Mara Croce, une citadine venue tout droit de Milan pour fuir un passé devenu trop pesant. Bien éloigné des clichés on ne manquera pas d'apprécier l'étude de caractère bien fouillée de ces deux policières atypiques tout comme l'on sera saisi par le portrait touchant de Moreno Barrali, cet inspecteur vieillissant, luttant contre la maladie, tout en essayant d'apporter son expertise pour l'élucidation de meurtres qui n'ont cesse de l'obséder. 

     

    Récit vertigineux célébrant une Sardaigne à la fois envoûtante et inquiétante, L'Ile Des Ames nous entraîne dans le sillage d'une enquête terrifiante qui s'inscrit dans les méandres de coutumes aux aspects fascinants et mystérieux à l'image de cette île magnifiée par un auteur prometteur.

     

    Piergiorgio Pulixi : L'Ile Des Ames (L'Isola Delle Anime). Editions Gallmeister 2021. Traduit de l'italien par Anatole Pons-Reumaux.

    A lire en écoutant : Jala de Andhira. Album : Nakitirando. 2011 Ala Bianca Group.

  • VALERIO VARESI : LA MAISON DU COMMANDANT. REVOLUTION PERDUE.

    Capture.PNGL'air de rien on s'achemine déjà vers le sixième volume des enquêtes du commissaire Soneri débutant avec Le Fleuve Des Brumes, un roman à l'atmosphère envoûtante se déroulant sur les bords du Pô. Ce roman signait, il y a de cela cinq ans, les débuts de la maison d'éditions Agullo en devenant ainsi le fer de lance de cette collection noire avec une série policière emblématique rivalisant avec Andrea Camilleri et son commissaire Montalbano appréciant tout comme Soneri la bonne chère ou Maurizio De Giovanni et son commissaire Ricciardi partageant la même aversion pour le fascisme ordinaire qui sévit aussi bien à Naples que du côté de Parme, ceci en dépit des années qui séparent les deux séries. Mais du point de vue social et philosophique, c'est du côté de Giorgio Scerbanenco que l'on s'achemine en repensant à sa formidable série de quatre titres mettant en scène Duca Lamberti, médecin déchu qui se reconvertit en détective privé en ne cessant pas de s'interroger sur les motivations qui poussent certains individus à commettre l'irréparable. Mais pour en revenir au commissaire Soneri, on retrouvera avec La Maison Du Commandant cette ambiance embrumée de la région de la bassa, la basse plaine d'un Pô en crue qui va révéler quelques secrets remontant à la Seconde Guerre Mondiale pour nous rappeler, par certains aspects, les paysages qui nous charmaient dans Le Fleuve Des Brumes.

     

    Le commissaire Soneri est l'un des rares policiers à connaitre la bassa, cette plaine gorgée de brume et d'eau en subissant régulièrement les débordements du Pô en crue. Outre des braquages de banque qui deviennent de plus en plus fréquents dans la région, le commissaire Soneri à fort à faire ceci d'autant plus que l'on découvre, partiellement immergé au bord du fleuve, le corps sans vie d'un pêcheur d'origine hongrois, tué d'une balle dans la tête. Et puis non loin de là c'est également le cadavre décomposé d'un ancien partisan que l'on retrouve dans sa maison où il vivait reclus. Des affaires en apparence sans lien qui trouveront peut-être leur origine autour d'une sombre histoire de trésor de guerre ou dans l'affrontement entre les autochtones et les pêcheurs venus de l'est. Sur fond de surexploitation des richesses que peut offrir le fleuve qui subit les rejets d'industriels sans scrupule, Soneri mesure le désarroi d'une population qui a perdu toutes ses illusions.

     

    Ancien journaliste, mais également professeur en philosophie, on perçoit tout au long de l'oeuvre de Valerio Varesi ces échanges philosophiques qui émaillent les rencontres du commissaire Soneri avec les protagonistes qui croisent son chemin. On le distingue tout particulièrement avec La Maison Du Commandant qui permet au policier de débattre sur la légitimité d'actions délictueuses dans un environnement étatique particulièrement corrompu. Ainsi au gré de ses discussion avec Nocio figure locale de cette région de la bassa ou de Carega, professeur à la retraite, le policier perçoit la détresse des habitants face à une situation environnementale dégradée qui va de pair avec un tissu économique sur le déclin. C'est donc autour de ce constat social désastreux que va s'articuler une enquête aux entournures troubles et marécageuses à l'image de cette région embrumée où le Pô s'épanche au gré des crues et décrues qui livrent quelques indices venant à point nommé pour Soneri qui dirige la grande partie de ses investigations par le biais de conversations téléphoniques avec ses adjoints qu'il dirige ainsi à distance tout en se déambulant sur les digues du fleuve en compagnie de la belle Angela avec qui il partage quelques repas savoureux au Stendhal, suivis d'étreintes à la fois passionnées et furtives. L'autre thème du roman aborde cette montée du fascisme incarné par de jeunes individus qui ont perdu leurs illusions en se tournant vers le repli sur soi et l'exclusion pour s'en prendre, entre autre, à ces pêcheurs venus de l'est qui ne respectent pas les normes imposées. Une injustice qui suscite incompréhension et fureur quand ce n'est pas le désarroi qui prend le pas sur ces sentiments contrastés. C'est également l'occasion pour Valerio Varesi d'évoquer une certaine désillusion dans les rangs des partisans, à l'image du commandant Manotti que l'on retrouve mort depuis plusieurs jours alors qu'il vivait reclus, abandonné de tous, dans une vieille demeure qui va livrer quelques secrets. 

     

    Nouvelle enquête mélancolique du commissaire Soneri, La Maison Du Commandant ne fait que confirmer le talent d'un auteur qui nous fascine à grand coup d'atmosphère embrumée et d'enquêtes tortueuses, révélant le malaise social qui mine cette attachante région de l'Emilie-Romagne tandis que le Pô draine le désespoir d'habitants désemparés.

     

     

    Valerio Varesi : La Maison Du Commandant (La Casa Del Commandante). Editions Agullo/Noir 2021. Traduit de l'italien par Florence Rigollet.

    A lire en écoutant : The Man Who Owns The Place de Balthazar. Album : Rats. 2012 Play it Again Sam PIARS.

  • Valerio Varesi : Or, Encens Et Poussière. Providence ou déterminisme.

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    Ainsi on peut opposer roman noir et roman policier comme on l’observe ces derniers temps à la lecture de certains articles où la critique sociale au travers du fait divers définirait le roman noir tandis que la remise à l’ordre sociale au terme d’une enquête caractériserait le roman policier. Derrière cette définition un peu simpliste des genres composant la littérature noire on remarque une certaine propension à vouloir anoblir le roman noir qui deviendrait ainsi l’unique moyen d’expression permettant de dénoncer les dérives de notre monde. On ne saurait énumérer l’ensemble des romans policiers contredisant cette assertion et en ces temps troublés, où un besoin impérieux de fondamentaux et de repères nous permettant de conserver un certain équilibre, on appréciera de retrouver au détour d’une série de romans policiers un personnage tel que le commissaire Soneri dont les enquêtes dans la région de Parme permettent à son auteur Valerio Varesi de mettre en exergue les carences d’un pays dont les troubles fascistes ne sont pas encore complètement relégués dans un lointain passé. Pour ce romancier, également journaliste à La Repubblica, le roman policier est bel et bien politique puisqu’il émerge en filigrane de chaque roman mettant en scène son commissaire fétiche des relents de « peste brune » qui émergent à la surface d’une agglomération engoncée dans une voile de brume semblant ne jamais vouloir disparaître. Le thème est bien présent dans Le Fleuve Des Brumes (Agullo 2016), premier roman de la série, traduit en français, ainsi que dans La Pension De La Via Saffi (Agullo 2017)et bien évidemment dans Montelupo (Agullo 2018) qui met en lumière la figure tutélaire du père de Soneri, ancien partisan luttant contre les factions fascistes. Mais on ne saurait réduire les enquêtes du commissaire Soneri à une lutte simpliste des courant politiques qui secouent l’Italie pour prendre en considération d’autres problèmes sociaux laminant le pays à l’instar de la mafia dont on découvre les implications dans les régions du Nord avec Les Mains Vides  (Agullo 2019), récit désespérant où les investigations du policier ne font que renforcer cette sensation de mal endémique que l’on ne pourrait résoudre au terme d’une simple enquête de police. C’est cette incertitude et ce désespoir qui habite cet enquêteur attachant dont les pérégrinations au détour des ruelles et avenues de la ville de Parme ne cessent de nous charmer et que l’on retrouve dans Or, Encens Et Poussière, nouveau roman d’une série qui n'a pas fini de nous surprendre.

     

    Le brouillard recouvre une nouvelle fois la région de Parme provoquant un immense carambolage sur l’autoroute. Incapables de se repérer dans la brume, les patrouilles de police doivent compter sur l’aide du commissaire Soneri pour se repérer dans cette région qu’il connaît bien. Alors qu’apparaissent, tels des ombres fantomatiques, des taureaux échappés de l’un des camions accidentés et tandis que l’on devine au loin les lueurs des phares des voitures encastrées, c’est un corps calciné découvert au pied d’un talus qui va retenir l’attention du commissaire, ceci d’autant plus que le cadavre n’a rien à voir avec le carambolage qui vient de se produire. La victime, une jeune femme séduisante d’origine roumaine, avait charmé toute une série d’amants issus des hautes sphères de la ville parmesane. Séductrice damnée ou jeune femme naïve, le commissaire Sonerie va devoir composer avec les multiples facettes de cette femme fascinante qui gravitait dans la communauté des roms dont elle était issue en tentant de s’extirper à tout prix de sa condition. Un prix bien trop élevé pour Soneri qui compte bien retrouver l’auteur de ce meurtre quitte à bousculer la bourgeoisie de cette bonne ville de Parme se croyant à l’abri d’une justice bien trop aveugle.

     

    La ville de Parme telle que décrite par Valerio Varesi n’est pas un personnage à part entière, mais une entité organique où l’on erre dans un dédale de ruelles, avenues et places qui sont autant de raccourcis, détours et voies sans issues, reflet des réflexions sinueuses d’un commissaire tourmenté, toujours en proie aux doutes et à l’incertitude quant à l’orientation de ses enquêtes et qui ne trouve l’apaisement que dans ces longues pérégrinations au coeur d’une cité embrumée ou dans les saveurs d’un bon repas chez Alceste, son ami aubergiste qui le gratifie de spécialités de la région. Or, Encens Et Poussière débute avec cette scène d’anthologie dans la campagne parmesane où l’on croise taureaux et vaches égarées dans la brume avant de découvrir un cadavre calciné à proximité d’un carambolage dantesque, non loin d’un campement de gitans. Il n’en faut pas plus pour le commissaire Soneri pour entamer une enquête chaotique où la victime opère encore de son charme sur ce policier rêveur en quête de vérité. Comme à l’accoutumée avec Valerio Varesi tout n’est que suggestion et rumeur avec cette thématique des gens du voyage qui apparaissent dans un trafic d’or commandité par quelques notables de la ville. Il n’y aura donc pas de propos pontifiants sur ces communautés avec un auteur qui préfère s’attarder sur les apparences d’une bourgeoisie dévoyée qui reste en quête de respectabilité. Dans ce registre on appréciera donc l’apparition de Sbarazza, ce noble déchu, un brin clochard qui devise avec le commissaire sur le déterminisme ou la providence nous rappelant ainsi que l’auteur a été étudiant en philosophie et que le hasard devient forcément l’un des moteurs essentiels des enquêtes de son personnage central.

     

    Avec cette belle humanité et cette sensibilité imprégnant l’ensemble de ses personnages, Valerio Varesi s’emploie une nouvelle fois à mettre en exergue les frasques des notables d’une ville au charme indéfinissable que l’on prend plaisir à retrouver en compagnie d’un commissaire emblématique qui devient l’icône du roman policier italien. Or, Encens et Poussière, un beau titre pour un bel ouvrage qui nous enchante.

     

     

    Valerio Varesi : Or, Encens Et Poussière (Oro, Incense E Polvere). Traduit de l’italien par Florence Rigolet. Agullo noir 2020.

     

    A lire en écoutant : Ultimo Amore de Vinicio Capossela. Album : L’Indispensabile. 2003 CDG East West Divisione Warner Music Italia S.R.L.

  • VALERIO VARESI : LES MAINS VIDES. RAZZIA SUR LA VILLE.

    valerio varesi, les mains vides, agullo éditionsEt l’on s’achemine ainsi vers le quatrième volume des enquêtes du commissaire Soneri dont les intrigues nous ont entraînés sur les rives du Pô avec Le Fleuve Des Brumes, dans le dédales des rues embrumées de Parme, du côté de La Pension De La Via Saffi puis sur les pentes abruptes des Apennins dans Les Ombres De Montelupo pour mettre en exergue quelques réminiscences du passé familial de cet enquêteur mélancolique. Souvent comparé à son homologue Jules Maigret, le commissaire Soneri présente davantage de similitude avec un individu tel que le dottore Duca Lamberti puisque les deux personnages sont étroitement associés à la ville dans laquelle ils évoluent, Parme pour le premier et Milan pour le second. Des cités qui n’ont rien de folkloriques puisque Valerio Varesi, tout comme Giorgio Scerbanenco d’ailleurs, intègre toujours, au gré de ses intrigues, une dimension politique, au sens étymologique du terme, afin de mieux dénoncer les changements sociétaux et les dysfonctionnements sociaux qui les accompagnent. Avec Les Mains Vides, Valerio Varesi ne déroge pas à ce principe, même s’il s’éloigne de la thématique du fascisme pour s’interroger sur la mutation d’une ville qui devient l’enjeu d’un antagonisme économique féroce derrière lequel plane l’ombre de la mafia dont la représentation symbolique de la pieuvre orne la couverture de l’ouvrage.

     

    Rixes, braquages et même un vol d’accordéon se succèdent dans une ville de Parme en ébullition qui étouffe dans la moiteur d’un mois d’août caniculaire. Pour couronner le tout, on découvre le cadavre d’un commerçant du centre-ville qui semble avoir été battu à mort. Chargé de l’enquête, le commissaire Soneri, écarte bien rapidement la possibilité d’un cambriolage ayant mal tourné pour s’intéresser à Gerlanda, un usurier sans pitié qui règne sur un petit empire financier constitué d’une part immobilière conséquente. Mais à force de s’immiscer dans les affaires de ce bailleur peu scrupuleux, le commissaire Soneri met à jour une guerre économique souterraine où les forces en jeu, dissimulées derrière un écran de respectabilité, tentent de s’emparer de cette économie criminelle locale afin de  blanchir leurs actifs issus d’activités mafieuses. Une pieuvre impitoyable qui broie les fondements d’une ville de Parme que nul ne saurait protéger, pas même les institutions policières plutôt désemparées face à un tel phénomène qui paraît inexorable.

     

    C’est toujours avec plaisir que l’on retrouve le commissaire Soneri, ceci d’autant plus que Valerio Varesi se dispense des schémas narratifs répétitifs et du confort des habitudes que l’on observe bien souvent dans le contenu des séries policières. Bien sûr Soneri se rend toujours Chez Alceste pour déguster quelques plats typiques de la région mais ces épisodes restent anecdotiques tandis que sa relation avec Angela évolue de manière conséquente puisque, de l’amante affriolante que l’on croisait dans Le Fleuve Des Brumes, nous découvrons une avocate d’affaire lucide qui va pouvoir intervenir de manière beaucoup plus active dans le déroulement d’une enquête nécessitant ses connaissances par rapport au monde complexe des affaires et des intrigues économiques.

     

    Les Mains Vides donne l’occasion à l’auteur d’aborder les thématiques en lien avec les mafias et autre organisations criminelles en s’intéressant plus particulièrement aux phénomènes de blanchiment d’argent et à ses impacts dans le tissu économique d’une ville du nord de l’Italie et des mutations qui s’opèrent en dévastant l’âme de la cité. Outre le meurtre d’un commerçant ne se souciant guère de la rentabilité de sa boutique de prêt-à-porter, les manifestations de ces ouvriers licenciés criant leur vaine révolte dans les rues de Parme ou ces assurances-vie bidons que l’on endosse pour le compte de quelques escrocs, on observe tout un pan d’une activité économique occulte gangrenant la totalité des quartiers de la ville au grand dam d’un commissaire Soneri désemparé ne sachant comment lutter contre un tel phénomène qui le dépasse. Entre colère et frustration le policier se rend compte qu’il ne se bat pas à armes égales contre de telles organisations mafieuses investissant en masse dans des projets immobiliers qui se mettent en place sur les décombres d’industries locales déclinantes. Licenciements, expropriations, malgré quelques sursauts de révolte, les changements paraissent immuables comme cette chaleur qui étouffe les habitants.

     

    Bien loin des images de criminels en col blanc ou de truand mafieux inquiétants, l’enquête du commissaire Soneri s’attarde sur le microcosme de personnages troubles, témoins dérisoires de ces montages financiers qui les dépassent à l’instar de Tudor, le migrant moldave, de Marieangela, la pulpeuse confectionneuse de pull et de Gerlanda, l’usurier arrogant qui devient la cible de toutes les convoitises en faisant face à des associés plus avides que lui, prêts à tout pour le court-circuiter afin de s’emparer de ses affaires. Mais comme toujours, Valerio Varesi s’emploie à intégrer un personnage hors du commun, figure emblématique du thème abordé, en imprégnant le récit d’une touche nostalgique emprunte de poésie. Ainsi, à plus d’un titre, Gondo, le musicien de rue dépouillé de son accordéon se retrouvant incapable de jouer de la musique avec le nouvel instrument que les habitants lui ont offert, devient l’incarnation du désarroi de ces individus incapable de faire face ou de s’adapter aux changements qui leur sont imposés. Et c’est un désarroi similaire que l’on décèle dans les démarches vaines qu’entreprend le commissaire Soneri pour mettre à mal les projets criminels qui impactent une ville de Parme qu’il ne reconnaît plus au terme d’une enquête qui va le laisser les mains vides. 

     

    Roman désenchanté nous entraînant au coeur d’un univers terrible auquel on ne peut adhérer, Les Mains Vides dépeint donc le triste constat de la déliquescence des règles d’un monde économique sans pitié qui écrase comme toujours les individus les plus démunis. Clairvoyant et pertinent c'est la marque de fabrique des récits de Valério Varesi mettant en scène son ineffable commissaire Soneri.

     

    Valerio Varesi : Les Mains Vides (A Mani Vuote). Editions Agullo/Noir 2019. Traduit de l’italien par Florence Rigollet.

    A lire en écoutant : Per Ricordarmi Di Te interprété par Fabrizio Bosso. Album : You’ve Changed. 2007 EMI Music Italy s.r.l.

  • VALERIO VARESI : LES OMBRES DE MONTELUPO. REVES DECHUS.

    valerio varesi, les ombres de montelupo, agullo éditionsAprès avoir arpenté les rives du Pô dans Le Fleuve Des Brumes, s’être égaré dans les rues de Parme au détour de La Pension De La Via Saffi, nous retrouvons le commissaire Soneri pour la troisième fois dans une intrigue plus intimiste puisqu’elle prend pour cadre le village natal de cet enquêteur emblématique du roman policier italien. Avec Les Ombres De Montelupo ce sont les réminiscences d’un père trop tôt disparu qui planent sur cette vallée perdue des Apennins où la brume s’invite une nouvelle fois pour diffuser cette atmosphère mélancolique enveloppant l’œuvre remarquable de Valerio Varesi.

     

    Désireux de s’éloigner des tumultes de la ville de Parme, le commissaire Soneri s’octroie quelques jours de vacances bien méritées pour se ressourcer dans son village natal au gré de longues promenades sur les sentiers escarpés de Montelupo, en quête de quelques champignons qui accommoderont les petits plats mitonnés que lui préparent l’aubergiste de la pension où il séjourne. Mais la quiétude sera de courte durée. Les rumeurs bruissent dans le village. On évoque une éventuelle faillite de l’usine de charcuterie Rodolfi, unique source de revenu des habitants. Rumeurs d’autant plus inquiétantes que les Rodolfi père et fils disparaissent dans d’étranges circonstances qui suscitent l’émoi de toute une communauté. On parle d’emprunts frauduleux, d’escroqueries et d’économies de toute une vie parties en fumée. Et les détonations résonnant dans les châtaigneraies des environs ne font qu’amplifier la tension qui règne dans la bourgade, car à Montelupo les comptes se règlent parfois à coup de fusil de chasse.

     

    Élément récurrent de la série mettant en scène les enquêtes du commissaire Soneri, l’évocation des partisans luttant contre les factions fascistes devient l’enjeu sous-jacent de cette nouvelle enquête où les souvenirs résonnent comme un écho sur les flancs de cette région montagneuse nimbée de brumes et de troubles compromissions. Bien plus que le devenir de Palmiro et de son fils Paride, deux entrepreneurs peu scrupuleux, il importe pour le commissaire Soneri de découvrir si son père s’est compromis avec le patriarche qui a fait prospérer la région avant que l’entreprise ne périclite en entraînant tout le village dans le chaos des désillusions desquelles émergeront tout un cortège de représailles. Une enquête qu’il mène presque contre son gré, sur les chemins sinueux de ces contrées boisées où les rencontres et les événements se succèdent dans les contreforts abrupts de cet environnement sauvage que parcourent braconniers et contrebandiers en tout genre.

     

    Gestions déloyales, investissements hasardeux, même dans cette région reculée de l’Italie, les désillusions financières toucheront l’ensemble d’une communauté secouée par la brutalité des conséquences d’une entreprise en faillite. On décèle, notamment au travers de Sante, l’aubergiste grugé, tout le désarroi mais également toute la concupiscence de villageois appâtés par les gains faciles découvrant la tragique réalité de prêts téméraires qu’ils ont octroyé sans aucune garantie. Emprunt d’une certaine forme de mélancolie, il émane du récit tout un climat de suspicion qui pèse sur l’ensemble des villageois au gré d’une enquête qui trouvera son aboutissement dans une traque absurde ne faisant qu’exacerber ce sentiment d’injustice et de désillusion planant sur un monde qui semble désormais révolu et qu’incarne Le Maquisard, personnage emblématique du roman, qui va à la rencontre de son destin en fuyant les carabiniers qui le pourchassent. Sauvage, encore épris de liberté, le vieil homme parcourant les bois au crépuscule de sa vie, incarne le souvenir de cette figure paternelle dont Soneri tente de faire rejaillir quelques bribes au détour de ces paysages embrumés dans lesquels il puise une certaine forme de vérité. Mais bien plus que la brume, c’est cette neige ultime qui va recouvrir, tel un linceul, l’ensemble d’un passé amer dont il va pouvoir se détacher pour toujours.

     

    Avec Les Ombres De Montelupo, Valerio Varesi décline dans l’équilibre d’un texte somptueux, où la nostalgie d’une époque révolue côtoie ce présent âpre et inquiétant, tout le savoir-faire d’un auteur accompli, capable de conjuguer émotions et tensions narratives émergeant des contreforts boisés de ces montagnes embrumées qui distillent un puissant parfum, mélange de liberté et d’humanité.

     

    Valerio Varesi : Les Ombres De Montelupo (Le Ombre Di Montelupo) Editions Agullo/Noir 2018. Traduit de l’italien par Sarah Amrani.

    A lire en écoutant : Après un rêve de Gabriel Fauré. Album : Fauré Requiem. Jules Esckin, Boston Symphony Orchestra & Seiji Ozawa. 2003 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin.

  • NARDELLA/BIZZARRI : LA CITE DES TROIS SAINTS. PROCESSIONS MORTELLES.

    la cité des trois saints, éditions sarbacane, vincenzo bizzarri, stefano nardella, mafiaPeut-être que les éditions Sarbacane, qui ont fêté leurs dix ans d’existence, incarnent cette nouvelle désignation de la bande dessinée en nous offrant ce que l’on appelle désormais des romans graphiques à l’instar du fabuleux album A Love Supreme de Paolo Parisi retraçant la vie de Coltrane ou de la splendide version de Moby Dick illustrée par Anton Lomaev. Des auteurs aux lignes graphiques fortes et originales tout comme les thèmes abordés et les scénarios d’ailleurs, vous découvrirez un catalogue d’une impressionnante richesse avec une belle diversité d’ouvrages de qualités dont certains sont reliés comme La Cité Des Trois Saints, de Stefano Nardella pour le scénario et de Vincenzo Bizzarri pour le dessin. Une première œuvre de toute beauté se déroulant dans une banlieue italienne en empruntant tous les codes du roman noir sur fond de mafia locale et de processions religieuses célébrants les trois saints de la cité.

     

    Durant trois jours les habitants célèbrent avec ferveur l’archange Saint Michel, Saint Nicandre et Saint Marcien qui veillent depuis toujours sur la cité. Mais la mafia locale a également une certaine emprise sur la population et il est difficile d’y échapper. Ainsi, sur fond de processions religieuses, les destinées de Nicandro, petit dealer de la cité, de Michele, boxeur déchu désormais junkie et homme de main féroce et de Marciano, mafieux repenti tenant un stand de paninis, vont l’apprendre à leurs dépends. Nicandro amoureux de la belle Titti pourra-t-il échapper aux deux tarés de frangins qui la surveillent en permanence ? Michele va-t-il accepter de truquer le prochain combat de boxe opposant deux espoirs prometteurs ? Et Marciano pourra-t-il résister à la pression de ceux qui sont venus lui réclamer le pizzo ? De tensions latentes en éclats tragiques, les événements se succèdent dans l’effervescence des festivités où tout peut arriver. Car le drame inéluctable se met en place sous l’œil impavide des trois saints.

     

    D’entrée de jeu, on ressent l’influence du cinéma dans le travail de découpage du scénariste Stefano Nardella qui laisse une grande place au visuel avec des planches exemptes de la moindre ligne de dialogue à l’exemple de cet épilogue extraordinaire intégrant un pointe de surréalisme pouvant rappeler l’œuvre cinématographique de Fellini. En ce qui concerne l’aspect graphique, on décèle une certaine naïveté dans le trait de Vincenzo Bizzari amplifiant la violence des personnages qui évoluent dans une mise en scène à la fois brutale et poétique. Parce qu’il émane tout au long de ce récit noir une sensation de lyrisme que l’on devine dans la confrontation de personnages aux caractères affirmés qui peuvent receler toute une part d’humanité, notamment dans leur relations avec leurs proches que les deux auteurs prennent soin de mettre en valeur dans de belles scènes empruntes d’émotions et de tensions.

     

    La Cité Des Trois Saints c’est avant tout le destin croisé de trois protagonistes qui vont tenter de s’extraire d’une logique implacable de violence régissant leur quotidien sur fond de mafia locale qui imprime sa volonté farouche de contrôler l’ensemble du tissu social de la cité. Nous faisons la connaissance de personnages ambivalents, portant le nom des trois saints qui protègent la ville, comme Nicandro, un jeune homme déscolarisé qui s’adonne au deal tout en plaçant ses espoirs dans l’amour qu’il porte pour la belle Titti, ceci en dépit des menaces des deux frères reprouvant cette liaison. Dans le même registre, il y a Marciano, le vendeur de paninis qui a renoncé à son ancienne vie de truand pour l’amour de sa femme et de son fils mais qui doit affronter ses comparses d’autrefois bien décidés à lui extorquer le fameux pizzo, une forme de racket des gangs mafieux offrant leur « protection » aux commerçants. Comme une ombre malsaine rôdant dans les alentours de la cité, Michele promène sa carcasse de junkie en ressassant les souvenirs d’une gloire déchue du boxeur qu’il a été autrefois avant de se compromettre dans des combats truqués. Brutal, dénué de tout scrupule il ne lui reste plus que cette terreur qu’il impose à tous en devenant son unique raison de vivre et son ultime gagne-pain en tant qu’homme de main, même si l’on entrevoit un petite lueur d’humanité lorsqu’il rend visite à sa mère. Sur des schémas assez convenus, les deux auteurs mettent en place une intrigue qui va rapidement sortir des sentiers battus avec un dénouement tout en nuance n’offrant que peu d’espoir quant au devenir de ces protagonistes broyés par la cruauté d’un environnement régit par la violence.

     

    Une ambiance crépusculaire, mise en valeur avec un jeu de couleurs somptueuses, La Cité Des Trois Saints devient un conte obscur avec cette légende des trois saints qui plane sur la ville et à laquelle les habitants se raccrochent avec cette lueur d’espoir qui brillent dans leurs yeux à l’image de cette bougie que le prêtre allume au début du récit et dont il pince la mèche au terme d’une intrigue s’achevant sur une case noire, ultime écho d’un univers accablant.

     

    Stefano Nardella (Scénario) / Vincezo Bizzarri  (Dessin) : La Cité Des Trois Saints (Il Paese Dei Tre Santi). Traduit de l’italien par Didier Zanon. Editions Sarbacane 2017.

    A lire en écoutant : Perché (STO Freestyle) de NTÒ. Album : single (feat. Samouraï Jay). 2017 Stirpe Nova/NoMusic.

     

  • Valério Varesi : Le Fleuve Des Brumes. La chronique de Stéphanie Berg - Lausanne.

    Capture d’écran 2018-01-17 à 18.44.59.pngQuand une libraire enthousiaste et passionnée de littérature noire comme Stéphanie Berg vous présente Le Fleuve Des Brumes de Valério Varési cela donne une chronique enflammée relayant ainsi l'irrésistible envie de découvrir ce roman policier envoûtant.

     

    "Quel regret de ne pas parler italien quand nous lisons Valerio Varesi. Malgré l’excellent travail de traduction de Sarah Amrani pour le Fleuve des Brumes, la mélodie des phrases est si délicate que nous rêverions de le lire dans la langue de Dante. Le Pô donne le tempo. Au gré de ses crues et décrues, les chapitres prennent leur temps, les phrases s’étirent dans les vapeurs d’eau, la brume invite à la mélancolie, la pluie martèle les mots avec une violence sourde. Toute l’atmosphère du roman est contenue dans son titre.

     

    Dans un paysage littéraire qui veut trop souvent nous faire croire que nous cherchons des sensations, des claques et des images choc, Valerio Varesi nous pousse à contre-courant vers une littérature soignée, particulièrement attentive à ses personnages et à ses images. La promesse pour le lecteur de nourrir son imaginaire et de le plonger au coeur de son univers. Un univers fait d’hommes et de mémoires, de racines et d’histoires. Nulle attente de retournement de situation à chaque fin de chapitre, donc, nous nous soumettons au rythme que nous imposent les mots et les savourons comme une respiration.

     

    L’Italie se prête parfaitement aux décors de romans noirs comme elle a sût se prêter aux décors de cinéma. Photogénique, sensuelle, dangereuse, raffinée. Nous sommes loin des étés écrasant de chaleur dont la littérature policière italienne regorge mais dans une ambiance tout aussi authentique. Les dialogues sont habités et les lieux s’animent sous nos yeux. Varesi nous fait respirer des embruns chargés d’odeurs de cuisine de bistro. Il nous incite à pousser la porte de l’Auberge du Sourd, repaire des vieux du coin où étrangers et indigènes se regardent en chien de faïence. L’auteur pousse l’évocation jusqu’à nous glisser discrètement, avec la complicité de son éditeur, la carte de l’Auberge en bordereau, satisfaisant notre appétence de détails en invoquant notre amour de la table et du bon vin. Le Fleuve des Brumes pourrait se trouver en quelque sorte au croisement du Bar Lume de Marco Malvaldi où les retraités tapent les cartes en refaisant le monde et réinventant la justice, et les rues pavées que foule le Commissaire Ricciardi de Maurizio De Giovanni durant de longues errances invitant à la réflexion, la méditation et parfois à la résolution de l’enquête.

     

    L’intrigue est trouble le long du Pô. Le Commissaire Soneri, dont nous découvrons ici le premier opus en français bien qu’il ait existé dans trois précédents romans non traduits (nous laissant supposer que Sébastien Wespiser, son éditeur français, a estimé que Le Fleuve des Brumes saurait introduire au mieux cet attachant personnage de série policière), ne s’encombre pas de détours ni de masque. Pourtant derrière chaque mystère se cachent des vérités tues, des rancunes enfouies sous des façades de non-dits. Ce sont ces apparences qu’il va chercher à abattre avec la même application qu’utilise l’auteur pour ne pas brusquer ni braquer les acteurs du drame qui se joue. Tandis que la pluie ne cesse de s’abattre sur la plaine du fleuve, la péniche du vieux Tonna s’éloigne vers le large avant d’être retrouvée vide de son occupant. Tonna est-il véritablement monté à bord ? Et lorsque le corps de son frère est découvert sans vie, laissant croire qu’il a choisi de se défenestrer, pouvons-nous vraiment y voir une coïncidence ? La conviction qu’une autre histoire se joue derrière l’improbable hasard pousse le Commissaire Soneri à refuser les discours qui lui sont servis et nous autres lecteurs à nous jeter en toute confiance dans les remous boueux des secrets de ses personnages.

     

    La montée des eaux ensevelit les indices, recouvrant d’une chape de silence les motivations et les blessures individuelles, ne laissant à la vue de tous qu’un cadavre et une disparition. Mais la décrue vient saluer la patience du lecteur et conforter son intuition. Lorsque les bourrasques s’apaisent et que l’eau se retire, les perceptions floutées par le brouillard prennent une dimension plus nette, plus évidente et surtout bien plus universelle que ne le laissaient penser les premiers chapitres du roman. Nous observons ici tout le talent de Valerio Varesi, celui que nous sommes nombreux à chercher dans les romans noirs bien au-delà des enquêtes haletantes et des frissons de suspense, l’art d’utiliser la fiction et le sens de l’intrigue pour nous servir un tableau de l’humanité. Une humanité indissociable de l’Histoire dont l’auteur dévoile les stigmates que porte son pays, qu’il porte certainement lui-même comme tout citoyen qui s’interroge sur la responsabilité des générations passées, pères ou grand-pères, acteurs d’une guerre qu’il peine à comprendre mais dont il observe la portée actuelle.

     

    Si l’Italie est propice aux fantasmes de volupté et de chaleur, elle est aussi un terreau fertile pour les récits traumatiques. Honorant une mémoire collective et dénonçant un fascisme absurde et détestable, Varesi nous rappelle que nous sommes condamnés à porter notre passé si nous ne choisissons pas de le regarder en face. En utilisant l’attendrissement que peuvent nous inspirer les personnes âgées semblant n’aspirer qu’à la paix et la tranquillité, l’auteur nous rudoie, il nous renvoie le reflet d’une humanité divisée malgré l’apparent aplanissement des drames, les années écoulées n’ont pas plus de poids qu’un bois flotté charrié par le Pô, la haine est universelle et intemporelle, nous pouvons choisir de la comprendre ou l’ignorer en restant en surface, mais si nous laissons Varesi nous emmener dans les tourbillons de ses tourments, nous gardons l’assurance que la beauté de sa plume nous gardera toujours hors de l’eau."

     

    Stéphanie Berg, libraire, responsable de la littérature noire à Payot Lausanne.

     

    Valerio Varesi : Le Fleuve des Brumes (Il Fiume Delle Nebbie). Editions Agullo Noir 2016. Traduit de l’italien par Sarah Amrani.

    A lire en écoutant : Une Notte Dispareta interprété par Musica Nuda. Album : Complici. 2011 Bonsaï Music.

  • LUCA D’ANDREA : L’ESSENCE DU MAL. L’ANTRE DE LA BETE.

    Luca d'Andrea, l'essence du mal, éditions denoël, sueurs froides, tyrol, bletterbachService de presse 

    Le thriller se propose de divertir le lecteur en donnant souvent l’impression, sous l’égide de ce corollaire, de se dispenser d’une certaine qualité d’écriture tout en se distançant d’une mise en scène homogène avec cette sensation que, d’un haussement d’épaule, l’auteur, tout comme l’éditeur d’ailleurs, se moqueraient du lectorat auquel il s’adresse en l’estimant peu exigeant, toujours en quête du même livre dont on ne changerait que la forme et le contexte. Une démarche plutôt cynique, expliquant, qu’au gré de déceptions successives, j’en ai dit beaucoup de mal. Entertainment versus littérature. C’est sur ce credo ahurissant que l’on voudrait désormais porter le débat en estimant que l’on aurait à faire à deux éléments antinomiques. Pourtant, à n’en pas douter, le genre thriller peut concilier les deux principes et receler de belles trouvailles à l’instar de L’Essence Du Mal, premier roman de Luca D’Andrea, se démarquant des sempiternelles traques de serial killer avec un récit se déroulant au sud du Tyrol, dans le massif des Dolomites, plus précisément du côté de la gorge du Bletterbach, une faille insolite révélant un concentré important d’ammonites et autres fossiles et dont le cadre géologique particulier va servir de toile de fond à une intrigue palpitante et atypique.

     

    Jeremiah Salinger, scénariste de documentaires à succès, s’est installé à Siebenhoch, petit village niché dans une vallée reculée du Tyrol d’où sa femme est originaire. Mais suite à un accident d’hélicoptère, lors du tournage d’un reportage sur les secouristes opérant dans le massif des Dolomites, Jeremiah a distingué le cri de la Bête dans le fracas de l’avalanche qui a tout emporté. Un hurlement glaçant, résonnant sur les parois de la faille dans laquelle il s’est retrouvé bloqué avant que les secours ne parviennent à le dégager. Unique survivant de la tragédie, ce cri l’obsède. Catharsis du traumatisme qui l’étouffe, Jeremiah se plonge alors dans l’investigation d’un drame qui a secoué le village il y a de cela plus de trente ans où trois jeunes gens ont été découverts morts, littéralement massacrés, dans la forêt du Bletterbach. La police n’a jamais appréhendé le coupable et n’a même pas pu déterminer s’il s’agissait de l’œuvre d’un être humain ou d’un animal. De traditions en légendes terrifiantes, quelques chose d’inquiétant semble niché au cœur de la région. Et en dépit de l’hostilité des habitants, Jeremiah Salinger est bien décidé à mettre jour cette force abominable dissimulée dans les entrailles de la terre.

     

    On décèle immédiatement dans l’écriture de Luca D’Andrea une précision et une subtilité dont la conjugaison met en exergue un texte efficace au service d’une intrigue solide qui ne manquera pas de séduire le lecteur. Car avec un style dépouillé de tout excès lyrique trop ostentatoire l’auteur capte la magnificence et la force de cette impressionnante région montagneuse reculée du Tyrol afin de diffuser une atmosphère anxiogène voire même oppressante dans laquelle évolue des personnages aux caractères forts et dont les interactions ne cesseront de relancer un récit d’une richesse et d’une intensité peu commune. Communauté soudée, presque repliée sur elle-même avec quelques aspects claniques écrasants qu’il s’emploie à mettre en évidence, Luca D’Andrea dresse le portrait aiguisé et sans concession de cette province bilingue du sud du Tyrol dont il est natif. Légendes et contes ancestraux transmis de générations en générations, fêtes folkloriques intimidantes et autres particularismes locaux sont au service de ce thriller aux entournures sociales, prenant parfois une dimension quasiment ethnographique qui va nourrir le cœur de l’intrigue et donner du sens aux aspects les plus fantastiques d’un roman parfaitement équilibré. Loin d’être superflus, chacun des éléments évoqués s’inscrit dans une logique implacable et imparable qui n’aura cesse de surprendre les lecteurs les plus avertis.

     

    L’Essence Du Mal, c’est l’histoire d’une obsession, celle de Jeremiah Salinger, personnage central du roman, dont on suit le point de vue tout au long d’un récit habilement construit. Dans sa quête folle consistant à découvrir les origines du drame qui s’est produit trente ans plus tôt sur le plateau du Bletterbach on prend la pleine mesure de cette obstination mûrissant lentement, comme un cancer insidieux, dont il ne peut se débarrasser. Un fardeau qu’il devra partager avec sa femme et sa fille qui se révéleront être bien plus que des faire-valoir. Cette quête d’un personnage tourmenté permet également de découvrir toute une communauté villageoise repliée sur elle-même dont les us et coutumes recèlent quelques sombres secrets que les édiles s’emploient à dissimuler. Car l’autre point fort du récit réside dans la puissance de protagonistes attachants aux caractères parfois acrimonieux et quelques fois inquiétants, pimentant ainsi une intrigue où les fausses pistes et les rebondissements se succèdent à un rythme trépident, mais sans excès.

     

    Extrêmement visuel, L’Essence Du Mal adopte donc tous les canons du thriller avec un suspense et une tension narrative à vous couper le souffle tout en distillant, sous formes d’introspections et d’allusions historiques, un portrait social brillant permettant de restituer l’atmosphère pesante d’un petit village montagnard niché au pied d’un fabuleux parc géologique. Pour un premier roman, il s’agit ni plus ni moins d’un coup de maître qu'il m'aura été donné de découvrir grâce à l'enthousiasme de Stéphanie Berg, une libraire passionnée de littérature noire.

     

    Luca D’Andrea : L’Essence Du Mal (La Sostanza Del Male). Editions Denoël/Sueurs froides 2017. Traduit de l’italien par Anaïs Bouteille-Bokobza.

    A lire en écoutant : Day I Die de The Blackchords. Album : A Thin Line. ABC Music 2016.