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LES AUTEURS - Page 14

  • Valerio Varesi : La Stratégie du Lézard. Le sens du contexte.

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    Service de presse.

     

    Comme les hirondelles, le commissaire Soneri débarque chaque début de printemps, ceci depuis maintenant 9 ans, au détour d'enquêtes se déroulant à Parme ou dans les environs de la région de l'Emilie-Romagne avec une prédilection pour les berges brumeuses du Pô ou le massif des Apennins comme en témoigne des romans tels que Le Fleuve Des Brumes (Agullo 2016), La Maison Du Commandant (Agullo 2021) ainsi que Les Ombres De Montelupo (Agullo 2018) ou La Main De Dieu (Agullo 2022). Outre la diversité géographique, le succès de la série réside dans le fait que son auteur, Valerio Varesi, également journaliste à La Repubblica s'emploie à aborder une multitude de thèmes sociaux par le biais des crimes sur lesquelles le commissaire Soneri se penche avec une attention plus particulière sur les formes de fascisme tant du passé que du présent qui gangrènent une Italie qui est loin d'avoir soldé ses comptes avec ces mouvances extrêmes. Mais il va de soi que l'immigration et les discriminations qui en découlent, les trafics de stupéfiants et d'êtres humains ainsi que les accointances avec la mafia ne sont pas en reste avec une remise en question permanente de cet enquêteur obstiné s'interrogeant sur le sens de sa mission au gré d'échanges et de débats prenant parfois une dimension philosophique s'intercalant à la périphérie du crime qu'il doit résoudre sans qu'il ne constate le moindre changement au sein de la société dans laquelle il évolue, ceci à son grand désarroi. Ainsi, d'un policier contemplatif qu'il était au début de sa carrière, on décèle chez le commissaire Soneri, une colère sourde devenant de plus en plus prégnante, en traduisant son impuissance face à la tournure d'un monde qui s'inscrit dans une logique implacable de profit au détriment des individus les plus faibles restant sur le carreau et d'institutions sclérosées et démunies. Dernier roman en date, La Stratégie Du Lézard ne déroge pas à ce constat au rythme d'une enquête impliquant les édiles de la ville de Parme sous le coup de scandales en lien avec une corruption qui semble endémique.

     

    Quelques centimètres de neige et c'est le chaos dans les rues de la ville de Parme tandis que le maire prend des vacances pour aller skier alors que l'ensemble de son entourage est impliqué dans des affaires de corruption. Est-ce pour cette raison que l'on est sans nouvelle de lui, comme s’il s’était soudainement volatilisé ? Indigné par un tel comportement, le commissaire Soneri enquête également sur la disparition étrange d'un vieillard qui semble avoir déjoué la surveillance du personnel de l'hospice dans lequel  il a été admis. Et puis il y a cette sonnerie mystérieuse qui résonne sur les berges du fleuve conduisant le policier à la découverte d'un téléphone portable dépourvu de carte mémoire. Trois événements distincts qui vont pourtant converger dans un contexte politique fragilisé par les affaires douteuses qui émergent peu à peu tandis que la colère gronde au sein de la population. Mais pour rester dans l'ombre et étouffer le scandale, le commissaire Soneri va s'apercevoir que certaines personnes impliquées adoptent la stratégie du lézard consistant à sacrifier les membres les plus exposés.

     

    On notera le comportement peu habituel du commissaire Soneri habité d'une colère sourde face à la corruption institutionnelle dont il est témoin au sein de sa chère ville de Parme. Mais connait-on vraiment ce qui anime ce personnage que l'on côtoie depuis 9 ans comme s'il s'agissait d'un vieil ami ? A vrai dire, on ne sait pas grand-chose hormis le fait qu'il se prénomme Franco et qu'il partage sa vie avec Angela, une avocate aussi habile que séduisante qui sait prononcer les bonnes paroles pour réconforter son compagnon lorsque cela s'avère nécessaire, même si l'on devine quelques troubles dont elle ne semble pas être tout à fait remise. Il en va d'ailleurs de même pour le commissaire Soneri toujours marqué par le décès de son enfant mort-né qui lui a coûté son mariage. De ses amis, il n'en est que rarement question à l'exception de Nanetti, responsable de la police technique et scientifique, avec qui il partage sa passion pour la gastronomie locale en dégustant quelques repas savoureux au Milord, établissement tenu par Alceste, où ils ont leurs habitudes. De sa jeunesse, on apprend qu'il a vécu dans le massif des Apennins du côté de Montelupo, à l'ombre de son père amateur de cueillette de champignons tout comme lui. C'est donc à l'occasion des enquêtes dont il a la charge, que l'on découvre la personnalité de ce policier abhorrant la hiérarchie et plus particulièrement le questeur Capuezzo dont l'opportunisme l'insupporte au plus haut point. On côtoie ainsi un policier aussi idéaliste que réaliste possédant une grande capacité d'écoute lui permettant de progresser avec une certaine aisance dans les entrelacs parfois complexes de ses investigations. Mais pour en revenir à cette colère qui anime le commissaire Soneri dans La Stratégie Du Lézard, sans doute traduit-elle celle de son auteur, Valerio Varesi confronté, comme tous les citoyens de Parme, à l'ampleur des affaires de fraudes qui ont entaché la législature d'un maire contraint à démissionner en 2011 suite à des arrestations de certains membres de son équipe pour corruption. Publié en Italie deux ans après les événements, La Stratégie Du Lézard, s'inspire donc de ces faits en mettant en exergue un maire qui joue l'arlésienne au sein d'une intrigue fustigeant les instances politiques et plus particulièrement leurs accointances avec des entrepreneurs véreux dont certains paraissent frayer avec la mafia à l'exemple de cette entreprise de pompes funèbres au comportement plus que douteux. Avec cette atmosphère caractéristique d'un paysage urbain hivernal au charme indéniable que Valerio Varesi sait si bien dépeindre, on arpente donc les rues de la ville de Parme et des localités avoisinantes au détour d'un trafic de stupéfiants dont le transport s'avère aussi ingénieux qu'odieux qui s'inscrit également dans le dévoiement d'autorités politiques corrompues. Et comme toujours, il y a ces personnalités fortes qui émergent de l'intrigue à l'instar de l'entrepreneur Ugolini, totalement dénué du moindre scrupule et dont les discussions avec le commissaire Soneri révèlent des sommets d'ignominie trouvant leurs justifications dans la bonne marche entrepreneuriale qui ne souffrirait d'aucune contrariété et d'aucune règle. C'est dans ce registre que Valerio Varesi excelle en s'employant à dénoncer ainsi, par le prisme de ces enquêtes, les disfonctionnements sociaux qui frappent le pays. On apprécie également ces individus au caractère plus nuancé comme le peintre faussaire Valmarini effectuant des reproductions pour une clientèle aussi aisée qu'ignorante, désireuse d'exhiber quelques œuvres emblématiques de peintres dont ils ne savent rien, juste pour le plaisir de s'afficher auprès de leur entourage. Avec cette rencontre nocturne au bord du fleuve, se poursuivant au domicile du peintre, le commissaire Soneri, comme à son habitude, entame quelques conversations aux entournures philosophiques sur les thèmes de la vérité et de la réalité qui vont bien évidemment prendre corps avec le cours d'une intrigue s'articulant autour de trois axes aux apparences disparates mais qui vont converger sur la mise à jour d'un contexte aussi complexe qu'impitoyable permettant d'élucider les circonstances de la disparition mystérieuse d'un maire déchu. De tout cela émerge une analyse sociale d'une extrême sagacité nous permettant de saisir les rouages complexes qui animent le landernau politique et le monde des entreprises, sous la tutelle obscure du financement des mafias s'infiltrant ainsi dans un système économique dévoyé. C'est ce qui fait la force des romans policiers de Valerio Varesi dont on ne se lasse jamais.

     

     

    Valerio Varesi : La Stratégie du Lézard (La Strategia Della Lucertola). Editions Agullo/Noir 2024. Traduit de l'italien par Florence Rigollet.

    A lire en écoutant : Rigoletto: Preludio de Giuseppe Verdi. Album Rigoletto– Piero Cappuccilli, Philarmonique de Vienne, Carlo Maria Giulini. 1980 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin.

  • KENT WASCOM. LE SANG DES CIEUX. EMPIRE DE POUSSIERE.

    ken wascom,le sang des cieux,éditions gallmeisterDepuis quelques années on observe une résurgence du western, genre littéraire populaire par excellence, dont les premiers récits de conquête et de bravoure ont contribué à l’essor du rêve américain avant que ne débarquent dans les années 70, des auteurs s’ingéniant à démystifier cette épopée sanglante en révélant un contexte historique beaucoup moins glorieux. Ainsi par le biais d’une ligne éditoriale davantage orientée sur le réalisme de cette époque, on découvre avec les éditions Gallmeister des auteurs comme Glendon Swarthout (Homesman ; Le Tireur), Bruce Holbert (Animaux Solitaires) et Lance Weller (Wilderness ; Les Marches De l’Amérique) qui participent à ce que l’on désigne désormais comme étant des western crépusculaires dépeignant avec force, la douleur d’un nouveau monde qui se bâtit dans un flot de sang et fureur. Dans ce même registre, à la fois sombre, sauvage et emprunt d’une terrible brutalité, Kent Wascom  nous livre avec Le Sang Des Cieux un texte puissant, mais passé totalement inaperçu, narrant la période trouble de la cession de la Louisiane au début du XIXème siècle, un territoire qui englobait un quart des Etats-Unis actuelle en s’étendant de la Nouvelle-Orléans jusqu’au confins des états du Montana et du Dakota du nord, sur fond de spéculation foncière et de conflits féroces avec le gouvernement espagnol.

     

    En 1861 Angel Woolsack se tient sur le balcon de sa demeure de la Nouvelle-Orléans en observant l’effervescence d’un peuple prêt à en découdre en faisant sécession avec les états confédérés. Mais l’homme vieillissant n’a cure de ces velléités guerrières car il sait bien que cet enthousiasme ne durera pas et se désagrégera dans la fureur des combats à venir. Au crépuscule de sa vie il ne lui reste que l’écho furieux de ses souvenirs, d’une jeunesse tumultueuse où le jeune prédicateur endossera le rôle de bandit pour devenir fermier tout en menant des campagnes belliqueuses contre les espagnols. Une existence jalonnée de drames et de coups d’éclat sanglants où les fantômes de ceux qu’il a aimé et de ceux qu’il a honnis, hantent encore sa mémoire. Car dans le fracas de cette sarabande belliciste, Angel Woolsack, le vieil esclavagiste dévoyé, se souvient de chaque instant de cette vie dissolue.

     

    Les dés sont jetés et les jeux sont faits au détour de ce prologue somptueux où chacune des phrases savamment travaillées scellent les destins de celles et ceux qui ont composé l’entourage d’Angel Woolsack tout en enveloppant le lecteur dans l’étouffante épaisseur d’un linceul poisseux et sanguinolent au travers duquel on perçoit cette rage guerrière et cette ferveur religieuse qui a animé la destinée d’un personnage hors du commun. Ponctué de chapitres aux consonances bibliques, Kent Wascom nous entraîne, au terme de ce prologue crépusculaire, dans une longue analepse où la fiction côtoie les faits historiques pour mettre en scène l’effervescence d’un monde qui reste à conquérir. Car dans le fracas des armes, l’incertitude des combats à mener on observe la rude vie de ces pionniers évoluant dans un contexte à la fois sauvage et mystique. Dans un tel univers, c’est avec une certitude sans faille qu’il puise dans une foi inébranlable qu’Angel Woolsack va donc façonner son destin au gré de d’amitiés fraternelles et de trahisons parfois meurtrières en maniant aussi bien le Verbe que le sabre pour parvenir à ses fins en s’associant aux frères Kemper dont il empruntera le nom. Du Missouri où il officie comme prêcheur aux rives du Mississippi où il travaille comme batelier, du côté de Natchez où il devient bandit c’est finalement dans les aléas de la conquête de la Floride occidentale convoitée tour à tour par les espagnols et les colons américains qu’Angel Woolsack et les deux frères Kemper vont tenter de s’arroger quelques territoires au gré de négociations hasardeuses et de campagnes féroces permettant d’entrevoir la complexité des rapports régissant les différentes nations se disputant l’immensité des terres composant la Louisiane de l’époque.

     

    Mais au-delà de la férocité des enjeux et des conquêtes d’un pays en devenir, de cet impressionnant tableau d’une contrée sauvage qui se bâtit dans la douleur des sacrifices et la cruauté des exactions, Kent Wascom parvient à mettre en scène un récit épique emprunt de fureur mais également d’une terrible humanité que l’on distingue notamment au travers de cette relation amoureuse qu’entretiennent Angel Woolsack et Red Kate, jeune prostituée farouche qui devient épouse et mère d’un enfant mentalement déficient tout en assistant son mari dans sa soif de conquête.

     

    Il émerge du texte de Kent Wascom une force bouleversante, presque organique, où la cruauté et la violence côtoient la douleur des désillusions en accompagnant le lecteur au fil des pérégrinations de ce prêcheur mystique devenu marchand d’esclaves sans illusion, de cette jeune proie fragile basculant dans la défiance d’un redoutable prédateur vieillissant qui n’aura cesse de vouloir asservir le monde à sa portée. Le Sang Des Cieux devient ainsi la terrible parabole d’un monde en mutation qui broie les âmes vertueuses pour mettre en avant celles et ceux qui vont façonner l’Amérique de demain. Un premier livre, un tour de force, une véritable démonstration.

     

     

    Kent Wascom : Le Sang Des Cieux (The Blood Of Heaven). Christian Bourgeois éditeur 2014. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Eric Chedaille.

    A lire en écoutant : Hurt interprété par Johnny Cash. Album : American IV: The Man Comes Around. American Recording Compagny 2002.

  • Nouvelles du front : Jean-Jacques Busino - Emmanuelle Robert - Olivier Beetschen - Stéphanie Glassey/Chrysotome Gourio - Séverine Chevalier - Jérémy Bouquin - Sébastien Gendron - Michèle Pedinielli.


    séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persilAvec Léman Noir, recueil rassemblant des nouvelles d'auteurs romands confirmés, Marius Daniel Popescu est sans doute l'un des acteurs qui a contribué à l'essor de la littérature noire en Suisse Romande. Ecrivain et poète, il est également le fondateur en 2004 du journal littéraire Le Persil, lui permettant de diffuser ses textes, mais qui devient rapidement la tribune libre des auteur novices et confirmés de la Suisse romande. 

     

    Pour l'édition de février 2024, c'est Jean-Jacques Busino qui figure en première page avec Ego Te Absolvo, sublime texte sensible abordant le thème de la fin de vie et de l'euthanasie avec un narrateur passant en revue sa vie de couple, tandis que sa compagne agonise. Comme séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persiltoujours pour l'auteur de Un Café, Une Cigarette (Rivages/Noir 2017) et de Le Ciel Se Couvre (BSN Press 2022), on décèle dans cette nouvelle la
    quintessence de l'humanité de ses personnages extravagants entre ombre et lumière, autour de l'élaboration d'un monde enchanteur qui scelle la complicité d'un couple avec un vieux charpentier quelque peu bourru. 

     

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    séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persilNouvelle venue au sein du journal Le Persil, on découvre également Le Chien, un récit d'Emmanuelle Robert, l'une des révélation de la littérature noire helvétique avec Malatraix (Editions Slatkine 2021) et Dormez En Peilz (Editions Slatkine 2023). La nouvelle s'articule autour d'une jeune fille composant avec la garde partagée de ses parents divorcés et qui intègre un nouveau quartier tout en soupçonnant ses voisins de maltraitance animale. A noter qu'Emmanuelle Robert sera l'une des invitées du 27ème Festival International du Roman Noir à Frontignan plus communément désigné sous l'appellation emblématique de FIRN désignant l'un des grands événements du polar en France.

     

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    Jean-Jacques Busino : Ego Te Absolvo. Journal Le Persil. Février 2024.

    Olivier Beetschen : Le Cortège. Journal Le Persil. Février 2024.

    Emmanuelle Robert : Le Chien. Journal Le Persil. Février 2024.

    Stéphanie Glassey/Chrysotome Gourio : Les Fatals En Concert. Ours Éditions. Collection Tête/Bêche 2024.

    Séverine Chevalier : Une Campagne. Ours Editions. Cousu-Main 2024.

    Jérémy Bouquin : Tu M'As Bien Vu ! Ours Editions. Cousu-Main 2023.

    Sébastien Gendron : 1976. Ours Editions. Cousu-Main 2023.

    Michèle Pedinielli : A L'Envers. Ours Editions. Cousu-Main 2023.

    A lire en écoutant : Pendant Que Les Champs Brûlent de Niagara. Album : Religion. 2010 Polydor

  • YVAN ROBIN : HERVE LE CORRE, MELANCOLIE REVOLUTIONNAIRE. LE CHAOS DU REEL.

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    Service de presse.

     

    Si les ouvrages dans le domaine n'ont jamais vraiment manqué, les dictionnaires, essais et entretiens en lien avec la littérature noire semblent prendre plus d'essor ces derniers mois, notamment avec la parution chez Playlist Society de DOA, Rétablir Le Chaos où l'on découvre l'œuvre de ce romancier énigmatique au gré d'un entretien tout en maîtrise conduit par la journaliste Elise Lepine qui passe au crible l'ensemble des ouvrages de l'auteur qui se dévoile quelque peu en évoquant notamment certains mécanismes de son écriture si particulière. Et puis tout récemment est paru aux éditions Presse Universitaire de France, Le Roman Noir : Une Histoire Française de Natacha Vallet qui se penche, avec un essai d'une incroyable richesse, sur l'histoire et le devenir de ce genre emblématique de la littérature qui reste encore méconnu. Essais et entretiens, les formats peuvent paraître arides pour certains, néanmoins il faut prendre en considération les propos de Benjamin Fogel, directeur passionné et passionnant de Playlist Society qui tient « à ne jamais prendre le lecteur de haut", ce qui transparaissait d'ailleurs en découvrant DOA, Rétablir Le Chaos, avec cette sensation de saisir aisément l'ensemble du contenu, ceci même pour les lecteurs qui ne se seraient jamais intéressés aux ouvrages du romancier, en ayant ainsi la possibilité de se faire une opinion de chaque livre, plutôt que de piocher au hasard. Au sein de cette collection essentiellement tournée vers la culture pop, vous trouverez des ouvrages consacrés aux séries comme The Leftovers ou Mad Men, aux musiciens comme Tricky et Kanye West, ainsi qu'aux réalisateurs à l'instar de Christopher Nolan, Lucas Belvaux et David Cronenberg quand ce sont pas des films emblématiques que l'on dissèque tels qu'Apocalypse Now ou Mad Max ou en s'intéressant également au travail d'Hideo Kojima, concepteur du fameux jeu vidéo Métal Gear Solid ou aux fondateurs du studio Ghibli. On s'arrêtera là avec cet inventaire à la Prévert qui n’a rien d’exhaustif puisque les éditions Playlist Society ont publié plus d’une quarantaine de livres. Mais pour revenir à la littérature noire, et plus particulièrement au roman noir, il convenait de s'intéresser à l'œuvre d'Hervé Le Corre l'une des figures marquantes du genre, ce d'autant plus qu'il se montre discret, même si l'on a pu découvrir certains aspects de son travail et de son parcours dans un documentaire datant de 2020, intitulé Hervé Le Corre, dans l'encre noire, de Laurent Tournebise et qui est entièrement consacré à ce romancier primé à maintes reprises, notamment pour Après La Guerre (Rivages/Noir 2014) récipiendaire de six récompenses majeures du monde du polar français. Pour en savoir davantage, les éditions Playlist Society ont donc réitéré l'exercice de l'entretien avec des propos recueillis par Yvan Robin, autre romancier bordelais, auteur d'Après Nous Le Déluge (in8 2021) et de La Fauve (Editions Lajoinie 2022) et qui nous offre avec Hervé Le Corre, Mélancolie Révolutionnaire un regard d'une impressionnante acuité en examinant notamment, dans une chronologie parfaite, l'intégralité des romans d'Hervé Le Corre. 

     

    On devine que cela ne va pas être simple de se livrer pour un homme de nature pudique, qui d'entrée de jeu, annonce qu'il n'aime pas trop parler de lui dès qu'il s'agit d'aborder son enfance dans laquelle on trouve pourtant quelques éléments qui vont émerger dans ses récits comme cette Cité Lumineuse du quartier de Bacalan au nord de Bordeaux qui devient le décor de l'un de ses premiers romans Les Effarés (Le Point 2020). Pourtant, peu à peu, Hervé Le Corre se confie au cours d'un entretien qui n'a rien d'un long fleuve tranquille se révélant parfois vif lorsque l'on aborde par exemple la violence faites aux femmes qu'il dépeint d'une manière réaliste et qui pourrait passer pour de la complaisance, ce qu'il réfute en mettant en exergue la dureté et l'injustice sociale du monde qui nous entoure dans une veine naturaliste exacerbée s'inscrivant dans le prolongement des romans de Jean-Patrick Manchette, de Didier Daeninckx, de Jean-Bernard Pouy et de Thierry Jonquet. On apprécie d'ailleurs cette vivacité d'autant plus qu'elle se conjugue avec le regard affuté d'Yvan Robin connaissant parfaitement l'ensemble de l'œuvre de son interlocuteur dont il est capable de citer certains extraits pour alimenter la discussion et plus particulièrement l'immense travail d'écriture qu'Hervé Le Corre remet toujours en question avec un regard dépourvu de complaisance. Hervé Le Corre, Mélancolie Révolutionnaire nous permet donc de passer en revue une impressionnante carrière d'écrivain se conjuguant avec une carrière de professeur de lettres au collège à laquelle il n'a d'ailleurs jamais renoncé tout en abordant ses engagements et convictions politiques, au sens large du terme, qu'il s'est bien gardé d'insérer dans ses récits. Tout cela se décline au gré de débuts fragiles où Hervé Le Corre raconte ses rapports parfois difficiles avec certains éditeurs et attachés de presse négligents ainsi que quelques belles rencontres décisives tandis qu'il publie, entre autres, l'étonnant et très politique Du Sable Dans La Bouche (Rivages/Noir 2016) ou Les Effarés avant de passer à un période de consécration avec L'Homme Aux Lèvres De Saphir (Rivages/Noir 2004) ainsi que Les Coeurs Déchiquetés (Rivages/Noir 2009) et Derniers Retranchements (Rivages/Noir 2011), un recueil de nouvelles où se cristallise tout le talent de l'auteur. Et puis il y a la notoriété survenant avec la publication de Après La Guerre (Rivages/Noir 2014) abordant, sur une trame historique, le climat de rancoeur et de suspicion régnant sur Bordeaux après la Libération et aux prémisses de la guerre d’Algérie. Ainsi, au gré de ses questions pertinentes, Yvan Robin parvient, de manière magistrale, à mettre en exergue l’inspiration d’Hervé Le Corre qui l’ont conduit à écrire des romans tels que Prendre Les Loups Pour Des Chiens (Rivages/Noir 2017) et Dans L’Ombre du Brasier (Rivages/Noir 2019) où l’on replonge dans l’époque de La Commune si chère au romancier avant de conclure avec la noirceur âpre de Traverser La Nuit (Rivages/Noir 2021) et l’impressionnante dystopie Qui Après Nous Vivrez (Rivages/Noir 2024) nous projetant dans l’obscurité d’un monde déchu. Au terme de cet entretien exceptionnel, on comprendra qu'Hervé Le Corre, Mélancolie Révolutionnaire s’adresse autant aux aficionados de l’auteur découvrant sans nul doute certains aspects méconnus de son parcours dans la multitude d’anecdotes passionnantes tandis que les néophytes pourront appréhender son oeuvre et sa démarche d’écriture en toute connaissance de cause pour puiser parmi les ouvrages d'un auteur remarquable qu'Yvan Robin a su parfaitement mettre en valeur.

     

    Yvan Robin : Hervé Le Corre, Mélancolie Révolutionnaire. Editions Playlist Society 2024.

    A lire en écoutant : A Toi de Léo Ferré. Album : Amour Anarchie (vol. 1). Barclay 1970.

  • Manu Larcenet / Cormac McCarthy : La Route. De cendre et d'os.

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    "Il n'y a pas de Dieu et nous sommes ses prophètes."

     

    Lors de l'un des rares entretiens télévisés qu'il accorde pour le Oprah Winfrey Show, au gré d'un échange extrêmement convenu et quelque peu décevant, Cormac McCarthy révélait la difficulté d'être père à l'âge de 73 ans en observant son fils endormi, ce qui aurait été pour lui la source de son inspiration dans l'écriture de La Route (l’Olivier 2008), son roman post-apocalyptique d'une noirceur absolue, récompensé par le prix Pulitzer en 2007. Mais à la lecture du long monologue final du shérif Ed Tom Bell dans No Country For The Old Man (l’Olivier 2007) où il évoque son rêve dans lequel il est à cheval en traversant un défilé enneigé, en pleine nuit, dans une atmosphère sombre et glaciale, alors que son père le dépasse en éclairant le chemin à l'aide d'une flamme se consumant dans une corne, ne trouve-t-on pas déjà quelques esquisses de ce périple crépusculaire qui va marquer les esprits ? Monument de la littérature nord-américaine, La Route est salué de par le monde comme l'œuvre emblématique de l'auteur, même si certains détracteurs lui reprochent son côté "commercial", ce d'autant plus qu'il s'est vendu à plusieurs millions d'exemplaires, ce qui serait manifestement un gage d'une qualité moindre ou d'une attitude suspecte d'un écrivain en a route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivierquête de reconnaissance. On mettra de côté ces assertions puériles, ce d'autant plus que la puissance de ce texte saisissant et épuré ne semble nullement être remis en cause par celles et ceux que le succès rebute. Il faut parler ici de saisissement, parce que, si la fureur ainsi que la sauvagerie ont toujours imprégné les récits intenses de Cormac McCarthy, La Route se distingue par la prégnance de son désespoir profond, au sein d'une humanité qui se dissout dans une violence aveugle, teintée d'une forme de mysticisme féroce. Pour celles et ceux qui l'ont lu, on connait tous le symbolisme de La Route, cette ligne de vie fragile sur laquelle chemine un père et son fils qui détiendrait un reliquat d'humanité que la figure paternelle s'emploie à entretenir tout en lui inculquant les règles impitoyables de la survie dans ce milieu hostile où les hommes s'entredévorent. Projeté brutalement dans cet univers de mort et de destruction dans lequel évolue quelques cohortes de sectes s'adonnant au cannibalisme, on suit pas à pas le parcours de ces deux individus dans leur quotidien dépourvu de perspective si ce n'est que de se rendre vers le sud en quête d'un surcroît de chaleur, promesse bien incertaine. L'une des forces du récit, réside dans le fait que l'on ignore complètement les raisons qui ont conduit le monde dans un tel précipice de cendre et de mort, ce que ne respecte pas l'adaptation cinématographique de John Hillcoat, avec Viggo a route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivierMortensen dans le rôle principal, qui se révèle quelque peu décevante pour un film trop bavard laissant planer quelques lueurs d'espoir dont le roman est totalement dépourvu mais qui répond aux canons hollywoodiens de la famille idéale américaine. A partir de là, on pouvait réellement avoir quelques craintes avec l'annonce d'une adaptation sous la forme d'une BD par Manu Larcenet, même si le dessinateur nous a régulièrement ébloui avec des œuvres originales telles que Blast (Dargaud 2009 – 2013) et Le Combat Ordinaire (Dargaud 2003 – 2008), ou une adaptation somptueuse comme Le Rapport de Brodeck de Philippe Claudel (Dargaud 2015 – 2016) ou les illustrations incroyables que l'on trouve dans Le Journal D'Un Corps de Daniel Pennac (Futuropolis 2013).

     

    Plus personne ne se souvient du monde d'autrefois et de ce qu'il s'est produit pour qu'il plonge dans le chaos. Désormais, il ne reste plus que des terres arides et des ruines calcinées qu'arpentent quelques sectes et hordes barbares suivies d'une troupe d'esclaves constituant leur garde-manger. Dans ce décor apocalyptique où le soleil disparait derrière un rideau de cendre, un père chemine sur la route, accompagné de son enfant en poussant un caddie contenant leurs maigres affaires. En quête de nourriture, ils fouillent dans les décombres avec à la clé quelques découvertes parfois macabres. Et puis il y a ce froid perpétuel qu'il faut affronter ce d'autant plus qu'il n'est pas toujours possible de faire un feu afin de ne pas attirer l'attention. Ils se rendent donc vers le sud avec cette hypothétique espoir d'y trouver une vie meilleure. Mais pour cela, il faut éviter ces maraudeurs cherchant à s'emparer de leurs modestes possessions et qu'ils repoussent avec cet antique revolver qui ne contient que deux balles qu'il ne faut pas gaspiller car nécessaire pour mettre fin à leurs jours si le besoin s'en fait sentir.

     


    a route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivierOn peut le dire, l'annonce de Manu Larcenet se lançant dans cette adaptation graphique de La Route a fait grand bruit sur les réseaux sociaux et constitue l'un des grands événements littéraires de cette année 2024 que l'on attendait avec une certaine fébrilité. D'ailleurs, à l'occasion de cette parution, les éditions Points ont réédité le roman dans une version collector reliée avec l'ajout d'un cordon marque-page noir tandis que le texte est agrémenté d'une vingtaine d'illustrations de Manu Larcenet. On aurait bien évidemment souhaité qu'il s'agisse d'illustrations originales plutôt qu'extraites de la bande dessinée et quitte à se montrer pénible jusqu'au bout, la couverture aurait mérité d'être toilée avec un aspect rugueux qui aurait mieux convenu. Mais quoiqu'il en soit, il faut lire ou relire le roman dans cette version pour s'approprier ainsi l'univers respectif de ces deux génies qui se rencontrent autour de ce texte imprégné de la noirceur du romancier se diluant dans celle de l'illustrateur avec cette impressionnante sensation de symbiose. Et puis il faut bien appréhender l'album en tant que tel qui se décline également sous la forme d'une édition limitée qu'il faut absolument acquérir si vousa route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivier êtes en fond. En noir et blanc, cette version contient un cahier où figure des croquis ainsi que quelques planches qui n'ont pas été retenues dans l'édition définitive. Toujours dans ce tirage limité, on appréciera les gros plans du profil du père et du fils figurant sur la couverture et sur le dos de cet ouvrage somptueux et dont la minutie dans chaque trait nous rappellent les gravures de Gustave Doré ou d'Albrecht Dürer auxquels Manu Larcenet fait d'ailleurs référence, même si l'on pense également, dans une certaine mesure, aux illustrations de Bernie Wrightson. On fera donc l'acquisition des deux albums, mais s'ił faut choisir, on adoptera la version en couleur avec cette spectaculaire nuance de gris absorbant les quelques lueurs rougeâtres ou jaunâtre parfois bleuâtres éclairant certaines planches en offrant ainsi plus de profondeur à l'ensemble du récit et plus d'intensité dramatique sur quelques scènes clés de l'intrigue comme cet instant où le père et son fils observent cette colonne de barbares défilant sur La Route. Comme une espèce de lever et de tomber de rideau ponctuant le début et la fin d'un spectacle aux accents dramatiques, il y a cette espèce d'abstraction fascinante dans la contemplation de ces nuages de cendre qui vont d'ailleurs nous accompagner tout au long de 156 planches composant l'album restituant avec une rigueur incroyable l'ensemble de la trame narrative du roman de Cormac McCarthy qui font que le monde de l'écrivain se confond avec l'univers de Manu Larcenet. Sans être expert dans le graphisme, à la contemplation de chacune des planches, de chacune des cases de La Route, on mesure la progression du dessinateur, dans sa veine réaliste depuis Blast, qui a abandonné l'encre et le papier en adoptant la palette graphique depuis quelques années, en voulant explorer a route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivierl'infinie richesse de cette technologie numérique, pour un rendu plus précis dans le trait tout en devinant le travail considérable et cette créativité sous jacente qui émane de son oeuvre. Ce qui ne change pas, c'est le désespoir, la douleur et les tourments dont le dessinateur ne fait pas mystère et qui imprègnent son travail au gré de cette adaptation où rien ne nous est épargné comme cette scène où le père apprend à son fils comment mettre fin à ses jours avec le revolver qu'ils détiennent ou ce festin macabre qu'ils découvrent dans un campement abandonné. On appréciera également le soin apporté aux dialogues qui se déclinent dans une proportion congrue, comme dans le roman d'ailleurs, en nous laissant de longues plages de silence où l'on contemple l'immensité terrible de la désolation des lieux qui absorbent les personnages. Et puis au milieu de cette noirceur, il y a quelques instants lumineux comme cette baignade au pied de la cascade où la maigreur des corps nous renvoie à une autre époque de barbarie des camps de concentration tandis que le festin que le fils et le père dégustent dans un bunker inutilisé, nous rappelle cet instant de grâce dans le film Soleil Vert où Charlton Eston et Edward G. Robinson se délectent de quelques aliments frais devenus introuvables. Tout cela s'inscrit dans cette volonté exigeante de transcender le récit de Cormac Mccarthy dans ce qu'il y a de plus désespérant pour nous plonger dans un nihilisme absolu en nous laissant sur le bord de La Route au terme d'une scène finale encore plus incertaine que celle du romancier et qui font de l'adaptation de Manu Larcenet une oeuvre aussi magistrale qu'éprouvante. C'est peut-être l'une des définitions du terme chef-d’oeuvre.

     

     

    Bd : Manu Larcenet / Cormac McCarthy : La Route. Editions Dargaud 2024.

    Bd édition limitée (4000 exemplaires). Manu Larcenet / Cormac McCarthy : La Route. Editions Dargaud 2024.

    Cormac McCarthy : La Route (The Road). Editions Points 2024. Traduction de l'anglais (Etats-Unis) par François Hirsch. Illusrations de Manu Larcenet.

    A lire en écoutant : Chant of the Paladin de Dead Can Dance. Album : The Serpent's Egg. 2007 4AD Lt