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LES AUTEURS - Page 14

  • Laurent Guillaume : Les Dames De Guerre/Saïgon. L'opium du peuple.

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    Service de presse.

     

    Il fait partie des 137 autrices et auteurs que vous allez pouvoir côtoyer si vous vous rendez au festival Quais Du Polar à Lyon qui célèbre ses 20 ans d'existence. Il faut dire que Laurent Guillaume est l'une des belles figures de la littérature noire que l'on prend plaisir à écouter lorsqu'il nous livre ses anecdotes sur les années qu'il a passées au sein de la Police nationale en tant qu'officier pour diriger des unités spécialisées que ce soit en lien avec l'anti criminalité ou la lutte contre les stupéfiants. Il émane d'ailleurs du personnage un certain charisme se conjuguant avec une soif d'aventure qui le conduit à se rendre notamment au Mali dans le cadre d'une coopération policière qu'il poursuit après avoir quitté l'institution en exerçant désormais une activité de consultant international en lutte contre le crime organisé et en s'intéressant plus particulièrement aux région de l'Afrique de l'ouest. On retrouve un peu de tout cela dans l'ensemble de son œuvre que ce soit avec la trilogie Mako du nom de cet officier travaillant à la BAC dans la région parisienne, ou avec Là Où Vivent Les Loups (Denoël 2018)nous permettant de croiser Priam Monet, ce flic de l'IGPN en mission dans les confins des Alpes française tandis qu'avec Un Coin De Ciel Brûlait (Michel Lafon 2021) on se retrouvait en Sierra Leone durant la tragique guerre civile qui a dévasté le pays. Il ne s'agit là que d'un échantillon de la dizaine de romans qu'il a écrit tout en travaillant également comme scénariste en collaborant notamment avec Olivier Marchal que l'on ne présente plus. A la conjonction de ces deux activités de scénariste et de romancier, on retrouve donc Laurent Guillaume à l'occasion de la sortie de son dernier roman Les Dames De Guerre/Saïgon s'inscrivant dans une trilogie à venir qui devrait être prochainement adaptée par Alex Berger, producteur de la fameuse série Le Bureau Des Légendes.

     

    En septembre 1953, à la frontière du Laos et de la Birmanie, le reporter Robert Kovacs trouve la mort alors qu'il accompagnait un commando dans le cadre d'un reportage sur la guerre d'Indochine. A New-York, l'ensemble de la rédaction du magazine LIFE est consternée à l'annonce de ce décès tragique. Mais en récupérant dans les affaires personnelles de Kovacs un rouleau de pellicule qu'il a dissimulé dans la doublure de sa veste, Elizabeth Cole, photographe mondaine de la page culturelle du magazine, prend conscience que sa mort n'a rien d'accidentelle. C'est l'occasion pour cette jeune femme intrépide de réaliser son grand rêve en devenant correspondante de guerre pour couvrir les événements de cette guerre oubliée tout en cherchant à comprendre ce qu'il est vraiment arrivé à son collègue. Mais en débarquant à Saïgon, Elizabeth se retrouve au cœur d'un enchevêtrement d'intérêts complexes où s'affrontent espions de tout bord, tueurs à gages déterminés, aventuriers et trafiquants d'armes sans scrupule et militaires désabusés qui savent déjà que cette guerre est perdue. Cela ne l'empêchera pas de se rendre à Hanoï et de parcourir les hauts plateaux du Laos tout en faisant face à ceux qui ne souhaitent pas que la lumière soit faite sur les circonstances de la mort de Robert Kovacs.

     

    Pour situer le contexte historique de la première partie de cette saga, il faut mentionner quelques références comme La 317e Section du réalisateur français Pierre  Schoendoerffer ou Un Américain Bien Tranquille du romancier britannique Graham Greene auquel Laurent Guillaume rend d’ailleurs un hommage appuyé qu’il évoque dans la postface de son roman. C’est donc à la lisière de ces deux œuvres emblématiques abordant le thème de la guerre plutôt méconnue d’Indochine que se situe Les Dames De Guerre/Saïgon en se concentrant plus particulièrement sur l’aspect historique de l’Opération X désignant un trafic d’opium mis en place par l’armée française afin de financer ses opérations spéciales visant à lutter contre les combattants Việt Minh. Sur cette trame historique, à la lisière du roman policier et d’espionnage tout en empruntant quelques caractéristiques propre au récit d’aventure, Laurent Guillaume met en place une redoutable intrigue s’articulant autour de la perception d’Elizabeth Cole, cette jeune reporter de guerre audacieuse au caractère bien affirmé qui va donc nous entraîner dans la nébuleuse diaspora d’espions sévissant notamment dans ce Saïgon d’autrefois au charme suranné que l’auteur restitue avec une impressionnante précision au gré d’une atmosphère exotique et envoûtante. On ne manquera pas d’être impressionné par cette habilité consistant à mélanger toute une  galerie de personnages tant fictifs qu’historiques que l’on croise bien évidemment à Saïgon maïs également sur les hauts plateaux du Laos, dans la région du fameux Triangle d’Or où Elizabeth Cole évolue en compagnie de membres d’un commando français et des combattants Meos qu’ils encadrent en nous donnant l’occasion d’assister à quelques scènes de combat épiques et percutantes. Alors que la reporter côtoie le capitaine Bremond, officier aussi désabusé que chevaleresque, on devine l’inévitable glissement vers un registre romanesque qui reste, fort heureusement, extrêmement sobre pour se concentrer sur les rapports de force idéologiques qui prennent tous leurs sens dans une série de rebondissements contenant quelques longueurs explicatives qui demeurent néanmoins nécessaires pour la bonne compréhension de l’ensemble du texte. Ainsi, en arrière-plan brièvement évoqué, se dessine la défaite de Diên Biên Phu ainsi que les prémisses de l’emprise américaine et de la guerre du Vietnam qui va bientôt débuter. Au final, Les Dames De Guerre/Saïgon se révèle être un superbe roman ponctué d’hommages à cette époque extraordinaire de la décolonisation de l’Indochine particulièrement bien restituée que l’on découvre au travers du regard de cette reporter de guerre que l’on se réjouit de retrouver très prochainement ainsi que son entourage à l’instar du personnage de Graham Fowler dont la personnalité est particulièrement réussie.

     

    Laurent Guillaume : Les Dames De Guerre/Saïgon. Editions Robert Laffont/Collection La Bête Noire 2023.

    A lire en écoutant : Heaven and Earth de Kitaro. Album : Heaven & Earth (Motion Picture Soudtrack). 1993 Universal Music Classical.

  • MARYLA SZYMICZKOWA : LE RIDEAU DECHIRE. DERRIERE LE VOILE DES APPARENCES.

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    A l’origine, il y a le fameux whodunit incarné notamment par la romancière britannique Agatha Christie avec cette prédominance de l'énigme policière s'inscrivant autour d'une succession d'indices permettant à une enquêtrice amateure de découvrir le coupable dont l'identité sera révélée à la toute fin du récit. Issu de ce genre littéraire, le cosy mystery ou cosy crime connaît un essor considérable depuis quelques années avec des intrigues qui se définissent par leur caractère édulcoré, donnant du sens à cet oxymore anglophone, ainsi que par leur légèreté, pour ne pas employer le terme vacuité, que les couvertures au style infantile ne démentiront pas. Dans ce registre, on ne manquera pas de s'intéresser à l'oeuvre de Maryla Szymiczkowa, nom de plume du duo d'auteurs mariés que forme Jacek Dehnel et Piotr Tarczynski ayant désormais élus domicile à Berlin mais qui représenteront tout de même la Pologne lors de leur venue à Lyon à l'occasion du festival international Quais du Polar. C'est avec Madame Mohr A Disparu (Agullo 2023) que l'on fait la connaissance de Zofia Turbotyńska, cette bourgeoise de Cracovie au caractère quelque peu acariâtre, mariée à un professeur d'université, comblant l'ennui d'une vie domestique en se mêlant aux affaires criminelles qui émaillent le ville, ceci au gré d'une série d'énigmes policières prenant pour cadre la société polonaise de la fin du XIXème siècle jusqu'au tournant de la Seconde guerre mondiale. Si à bien des égards, les ouvrages de ces romanciers polonais répondent aux critères du cosy crime, on ne manquera pas de souligner l'aspect historique qui émerge de ces intrigues policières ainsi que l'étude de moeurs au caractère social affirmé comme en témoigne Le Rideau Déchiré, second opus de la série qui en compte désormais trois puisque Séance A La Maison Egyptienne va paraître très prochainement.

     

    A Cracovie en 1895, Zofia Turbotyńska doit faire face aux impondérables de la vie domestique avec les préparatifs des fêtes pascales qu'elle doit assumer avec l'unique appui de sa cuisinière Franciszka alors que sa femme de chambre Karolina a disparu du jour au lendemain après avoir remis sa démission. Un véritable scandale. Mais lorsque l'on retrouve le corps sans vie de la  jeune domestique au bord de la Vistule, la nouvelle à de quoi bouleverser les membres de la maison Turbotyńska ce d'autant plus qu'au vu des violences commises, il s'agit indéniablement d'un crime. Dotée d'un grand sens de l'observation conjugué à un esprit de déduction sans faille, Zofia va mener l'enquête en s'intéressant davantage à la personnalité de cette jeune femme qu'elle ne connaissait pas si bien que cela. Elle parcourra ainsi le bas-fond de la ville en croisant sur son chemin des malfaiteurs en tout genre, tout en découvrant le monde interlope de la prostitution que les édiles de la cité fréquentent assidument. C'est l'occasion pour elle de lever le voile sur cette province pauvre de la Galicie qui conduit femmes et hommes miséreux vers la ville en quête d'un espoir tout relatif.

     

    L'originalité de la série mettant en scène la détective amateure Zofia Turbotyńska réside dans son caractère érudit, sans être trop ostentatoire, tout en pariant sur l'intelligence du lecteur ce qui n'apparaît pas comme un critère essentiel dans la déclinaison de récits que l'on propose dans le cadre d'un genre littéraire comme le cosy crime. C'est également autour du contexte historique et de la multitude de détails qui en découlent que l'on prend la mesure de la densité de ces intrigues imprégnées de l'atmosphère sophistiquées de l'empire austro-hongrois et de sa complexité politique. Indéniablement, Le Rideau Déchiré présente un registre historique un peu moins prégnant pour se concentrer sur le volet social qui régit les différentes castes de la communauté de la ville de Cracovie et plus particulièrement le milieu bourgeois côtoyant la domesticité et plus spécifiquement les femmes de condition modeste devenant la proie d'individus inquiétants naviguant dans les réseaux de la prostitution. Cela permet aux auteurs d'aborder des sujets sensibles comme la conditions des femmes de l'époque et d'observer les mouvements progressistes qui s’amorcent au sein de la société polonaise, notamment avec l’émergence du socialisme qui prend davantage d’essor autour de personnalités historiques telles qu'Ignacy Daszyński que Zofia Turbotyńska va côtoyer à son corps défendant. Ainsi, sans mettre à bas les certitudes conservatrices de cette femme au caractère affirmé, qui cache d'ailleurs ses activités d'enquêtrice à son mari, on observe, sur un registre très nuancé, l'effritement de certaines de ses certitudes notamment en lien avec l'hypocrisie qui régit son entourage et plus particulièrement le milieu policier et judiciaire qu'elle côtoie dans le cadre de ses investigations. Mais en dépit de la gravité des thèmes abordés, Le Rideau Déchiré n'est pas dépourvu d'humour avec quelques scènes cocasses à l'instar de cette rencontre avec une prostituée que Zofia Turbotyńska rejoint dans un parc public, accoutrée d'un déguisement vaudevillesque ou de son effarement lorsqu’un médecin évoque son intérêt pour l’instauration d’une éducation sexuelle qu’il définit au sein de ce qu’il dénomme la “sexuologie“. Et puis, il y a cette multitude d’hommages à l’exemple du titre Le Rideau Déchiré faisant allusion à l’une des oeuvres du maître du suspense Alfred Hitchcock dont on trouve le nom dans l’énoncé du premier chapitre du récit également ponctué de citations de L'Étrange Cas Du Docteur Jekyll Et De Mr Hyde de Robert Louis Stevenson. Avec une intrigue se déroulant, sur plus d’une année, Le Rideau Déchiré est aux antipodes des romans trépidents propres à notre époque, pour se décliner sur un rythme prenant tout son temps au gré d’une construction narrative à la fois foisonnante et passionnante. 

     

    Maryla Szymiczkowa : Le Rideau Déchiré (Rozdarta Zaslona). Editions Agullo 2024. Traduit du polonais  par Cécile Bocianowski.

    A lire en écoutant : Polonaise No. 5 in F-Sharp Minor, Op 44. Album : Chopin: Polonaise - Rafal Blechacz. 2013 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin.

  • Olivier Truc : Les Sentiers Obscurs De Karachi. Contre-plongée.

    IMG_8539.jpegA l'occasion des 20 ans du Festival international Quais Du Polar à Lyon, ce ne sont pas moins de 138 auteurs et autrices plus ou moins proches de la littérature noire qui seront présents pour célébrer cette édition anniversaire. Parmi tous ces invités, on ne manquera pas de croiser Olivier Truc, récipiendaire en 2013 d'une quinzaine de récompenses littéraires, dont le prix des lecteurs des Quais Du Polar, pour Le Dernier Lapon (Métailié 2012), inaugurant la fameuse série de la Police des Rennes constituée de quatre ouvrages mettant en scène les enquêtes de Nina Nansen et Klemet Nango se déroulant en Laponie, cette région méconnue du Grand Nord que ce journaliste, notamment correspondant auprès des grands médias français pour les pays nordiques et baltes, a mis en avant en nous permettant de nous familiariser avec la culture des Samis. Dans un registre très différent, Olivier Truc a également coécrit avec Sylvain Runberg On Est Chez Nous (Robinson 2019/2020), une BD en deux tomes, dessinée par Nicolas Otéro où l'on découvre l'enquête d'un journaliste parisien s'intéressant à une petite localité provençale gérée par un parti d'extrême-droite alors qu'un immigré clandestin est retrouvé lynché à un arbre avec un pancarte provocatrice autour du cou. Ainsi, au-delà de l'esprit d'aventure qui l'anime et de l'aspect pittoresque des lieux qu'il dépeint, Olivier Truc s'emploie à soulever les faits de société méconnus et à en dénoncer les éléments les moins reluisants à l'instar d'un roman comme Les Sentiers Obscurs De Karachi où il se penche sur l'affaire d'état française des submersibles vendus au Pakistan en se focalisant sur l'attentat de 2002 à Karachi qui coûta la vie à quatorze personnes dont onze ingénieurs français travaillant sur ces sous-marins militaires. 

     

    Avril 2022, à Cherbourg, on se prépare à commémorer les 20 ans de l'attentat de Karachi qui a touché les employés de la base nautique de la ville, dans une atmosphère tendue, imprégnée d'amertume pour les survivants et les familles des victimes alors que les investigations pour désigner les coupables sont désormais au point mort. Proche d'un des rescapés de l'attentat, Jef Kerral, journaliste local auprès du quotidien La Presse de la Manche, décide de faire la lumière, bien au-delà des probables pots de vin destinés à financer la campagne de Balladur, sur les aspects troubles qui entoure les commanditaires et les auteurs de cet acte terroriste. Mais en se rendant à Karachi, Jef Kerral s'oppose à des forces obscures telles que les services secrets pakistanais cherchant à enterrer à tout jamais cette affaire d'état embarrassante. Pourtant, il pourra compter sur l'aide de Sara Zafar une jeune lieutenant de la marine pakistanaise qui le mettra en contact avec Shaheen Ghazali, officier et ingénieur de haut rang, droit et loyal, qui a toujours eu à coeur de connaître l'identité des individus qui s'en était pris à ses amis français. De discussions sur la plage déserte d'un modeste village de pêcheur, en conversations dans un rickshaw tout en parcourant les grandes avenues de la capitale, jusqu'aux confidences au détour des allées étroites et encombrées de livres de l'Urdu Bazar, Jef Kerral découvrira probablement la vérité glissée entre les lignes des poèmes que déclament les poètes vagabonds qui savent se faire entendre. 

     

    Avec "l'affaire Karachi", les médias avaient principalement évoqué les aspects autour des rétro-commissions et du financement occulte de la campagnes présidentielle de Baladur, ce qui fait qu'Olivier Truc s'est davantage concentré sur le volet pakistanais de l'attentat de 2002 et de ses méandres obscurs sur lesquels il s'emploie à projeter un éclairage romancé, richement documenté, qui ne paraît pas du tout absurde, bien au contraire. Le récit s'articule autour de la commémoration des vingt ans de l'attentat en mettant en exergue les dissensions animant les collaborateurs de la base nautique de Cherbourg, avec ceux qui souhaiteraient que toute la lumière soit faite sur cette affaire tentaculaire s'enlisant peu à peu dans des procédures sans issues, tandis que d'autres aspirent à protéger l'un des fleurons de l'industrie française dont certains dirigeants semblent pourtant compromis dans un vaste réseau de corruption. Tiraillé entre les antagonismes de ses proches et probablement par défiance vis-à-vis de son père, Jef Karral, journaliste local de Cherbourg, va endosser le rôle de grand reporter en se rendant à Karachi afin de rencontrer l'homme pouvant lui révéler les circonstances entourant cet attentat qui devient une affaire d'état avec des implications au niveau des services gouvernementaux. Sur une alternance entre le passé et le présent, Les Sentiers Obscurs De Karachi, nous donne l'occasion de découvrir une ville tentaculaire et chaotique, régulièrement secouée par des vagues d'actes terroristes plus meurtriers les uns que les autres qui frappent le quotidien des habitants comme en témoigne Sara Zafar, cette officière de l'armée, qui va servir de guide et de personne de contact pour le journaliste français. C'est l'occasion pour Olivier Truc de décliner les rapports sociaux qui régissent les différentes castes de la communauté pakistanaise et des implications complexes qui en découlent tout en parcourant les rues d'une ville au charme indéfinissable, malgré la violence et la tension qui semblent omniprésentes. Et puis, en filigrane, bien plus qu'un simple prétexte, il y a cette poésie ourdou imprégnant l'ensemble du texte et dont les vers recèlent des révélations que clament les poètes de la rue arpentant les travées sinueuses de l'Urdu Bazar, lieu emblématique de la capital pakistanaise, pour devenir le cadre exceptionnel où évoluent les protagonistes du récit dans un chassé-croisé habile et dynamique. Ainsi, au gré d’une intrigue intense et d’une densité peu commune qu’il parvient à maîtriser de bout en bout en dépit de sa brièveté relative, Olivier Truc décline, l’air de rien, les reflets géopolitiques de cette affaire complexe régissant les rapports entre la France et le Pakistan qu’il met en scène à la hauteur de ces hommes et de ces femmes qui vont se retrouver impliqués dans les méandres d’une histoire qui les dépasse tous autant qu’il sont, en saluant plus particulièrement le profil inquiétant de ce responsable des services secrets pakistanais particulièrement réussi. Tout au plus regrettera-t-on cette idylle naissante entre Jef Kerral et Sara Zafar qui, en plus d’être téléphonée, se révèle plutôt dispensable, sans que cela ne dénature pour autant l’ensemble d’un roman d’une originalité saisissante.

    Cette originalité, on la retrouvera également dans L'Inconnue Du Port, bref récit policier résultant d'un partenariat littéraire avec la romancière espagnole Rosa Montero initié par le festival Quais du Polar pour mettre en scène une enquête portant sur le trafic d'êtres humains se déroulant entre Lyon et Barcelone avec la découverte d'un femme frappée d'amnésie que l'on retrouve ligotée dans un container vide. Une intrigue dynamique se déclinant autour du point de vue d'Anna Ripoli, inspectrice de la PJ à Barcelone et d'Erik Zapori, flic en disgrâce de la police de moeurs lyonnaise.

     

    Olivier Truc : Les Sentiers Obscurs De Karachi. Editions Métailié/Noir 2022.

    Olivier Truc & Rosa Montero : L'Inconnue Du Port. Editions Points 2024. Traduit de l'espagnol par Myriam Chirousse.

    A lire en écoutant : Pasoori de Ali Sethi, Shae Gill, Noah Georgeson. Single : Pasoori (Acoustic). 2022 Ali Sethi.

  • MARTO PARIENTE : LA SAGESSE DE L'IDIOT. CASSE TOUS RISQUES.

    marto pariente,la sagesse de l’idiot,série noireFranchement, à bien y réfléchir, il faut bien admettre que mes connaissances sont plutôt lacunaires pour tout ce qui concerne la littérature noire hispanique et ses auteurs emblématiques comme Manuel Vázquez Montalbán dont je n'ai lu aucun de ses innombrables romans mettant notamment en scène le fameux détective privé Pepe Carvalho dont il faudra bien que je découvre un jour ses enquêtes entrecoupées de repas pantagruéliques. Ma première incursion dans ces contrées, je la dois à Victor Del Arbol évoquant les réminiscences de la guerre civile d'Espagne avec son premier roman, La Tristesse Du Samouraï (Actes Noirs 2012). Et puis débarque J'ai Été Johnny Thunder de Carlos Zanon que l'on peut considérer comme un roman noir culte publié chez Asphalte Editions grand pourvoyeur d'auteurs issus d'Amérique du Sud et d'Espagne bien sûr, à l'instar d'Andreu Martin et de sa fameuse Société Noire (Asphalte 2016). On peut également se remémorer Monteperdido (Actes Noirs 2017), premier polar marquant d'Augustìn Martìnez nous entrainant dans les entrelacs des rapports complexes entre les habitants d'un village niché au creux du massif des Pyrénées. Si le polar hispanique trouve sa place au sein de nos régions francophones, on constate que son essor n'a pas de comparaison avec la déferlante du polar nordique et anglo-saxon comme l'illustre parfaitement la collection Série Noire recelant une trentaine d'ouvrages d'auteurs espagnols dont La Face Nord Du Cœur (Série Noire 2021) de Dolores Redondo Meira se révélant être un préquel de la fameuse trilogie de la Vallée du Baztan, se déroulant dans la région de la Nouvelle-Orléans avec une enquêtrice espagnole sur la trace d'un tueur en série. Dans un registre totalement différent, en prenant pour cadre la province rurale de Guadalajara où il vit, on saluera l'arrivée de Marto Pariente au sein de la collection avec La Sagesse De L'Idiot, véritable souffle nouveau pour un récit explosif aux tonalités à la fois âpres et désopilantes nous rappelant, pour certains aspects, Pottsville, 1280 Habitants (Rivages/Noir 2016) de Jim Thompson.

     

    On ne sait pas trop comment Toni Trinidad est parvenu à obtenir son diplôme de flic, lui qui s'évanouit à la vue de la moindre goutte de sang. Toujours est-il qu'il est devenu l'unique policier municipal du village d'Asturias et que sa principale activité consiste à surveiller la circulation lorsque les enfants sortent de l'école en fin d'après-midi. Une vie faite de routine, idéale pour cet homme qui passe pour l'imbécile de service et qui ne porte jamais d'arme. Mais Toni doit faire face à bien des difficultés avec la mort un peu étrange de son ami Triste que l'on a retrouvé pendu à un arbre tandis que sa sœur Vega, unique propriétaire d'une casse automobile depuis la disparition de son mari, doit faire face aux velléités de l'Apiculteur, un trafiquant de drogue brutal et sans pitié à qui elle a dérobé une cargaison de came en croyant que c'était du fric. En voulant savoir ce qu'il est vraiment arrivé à son ami et vouloir protéger sa sœur, Toni se retrouve embringué dans des histoires de règlements de compte entre trafiquants déjantés, tueurs à gage impitoyables et promoteurs immobiliers douteux qui vont croiser sa route pour son plus grand regret mais également pour leur plus grand malheur. 

     

    Egalement auteur de romans noirs, dont certains publiés au sein de la collection La Noire des éditions Gallimard, on doit saluer la traduction de Sébastien Rutés ayant parfaitement saisi l'essence d'un texte comme La Sagesse De L'Idiot pour nous en restituer toute la quintessence, propre au genre, dans sa version française. Mais il faut également relever le véritable talent de Marto Pariente à construire une intrigue au rythme explosif pour mettre en scène toute une galaxie des personnages truculents dont les actes vont s'entrechoquer au détour d'une succession de confrontations dont certaines vont virer à la pantalonnade vacharde, ceci pour notre plus grand plaisir sadique. Néanmoins, il convient de souligner, que La Sagesse De L'Idiot va bien au-delà d'une simple bouffonnerie puisque l'auteur prend également la peine de soulever quelques aspérités du contexte sociale dans lequel évolue l'ensemble des protagonistes. Ainsi, de la région de Guadalajara, située au centre de l'Espagne, on découvre les accointances entre les banques et les milieux de l'immobilier pour faire davantage de profit tandis que certains propriétaires terriens touchent des subsides grâce à des plantations qu'ils laisseront pourrir sur pieds en s'épargnant ainsi les frais et les efforts d'une récolte qui ne leur rapporterait rien. Tout cela, on le perçoit par le biais du regard de Toni Trinidad, ce flic municipal que l'on prend volontiers pour un imbécile alors qu'il se révèle un peu plus perspicace qu'il n'y paraît, même s'il fait preuve parfois d'une maladresse crasse qui va avoir un impact sur l'ensemble de son entourage et des individus qu'il croise sur son chemin. C'est bien évidemment cette dynamique que l'on apprécie et que Marto Pariente met en scène de manière habile en nous permettant de saisir l'ensemble des rapports qui régissent les interactions entre cette succession de bûcherons reconvertis en exécutant des basses œuvres, de trafiquants au bord de la faillite, de promoteurs véreux et d'un tueur à la foi immodérée et dont découvre certains aspects au gré d'un épilogue savoureux révélant tout un lot d'éléments surprenants que l'on ne voit pas venir. Et puis pour en revenir à Toni Trinidad, on appréciera toute l'affection qu'il éprouve pour sa sœur Vega, quelque peu portée sur la bouteille, nous entraînant sur un registre un peu plus émouvant, donnant encore plus de relief à l'ensemble du récit, tandis que l'on plonge dans ses souvenirs d'enfance pour mettre à jour les épreuves auxquels ils ont dû faire face, sources de traumatismes indélébiles. Ainsi, au gré d'un texte affuté comme la lame tranchante d'un cran d'arrêt, l'émotion se conjugue avec l'humour et cette férocité parfois cruel dans un mélange parfait qui font de La Sagesse De L'Idiot un récit détonant nous permettant d'affirmer que Marto Pariente devient une des voix originales du roman noir espagnol qu'il convient de découvrir toutes affaires cessantes.  

     

    Marto Pariente : La Sagesse De L'Idiot (La Cordura Del Idiota). Editions Gallimard/Série Noire 2024. Traduit de l'espagnol par Sébastien Rutés.

    A lire en écoutant : Hijo De La Luna de Mecano. Album : Entre el Cielo y el Suelo. 2005 BMG Rights Management and Administration (Spain) S.L.U.

  • Sébastien Gendron : Chevreuil. Tableau de chasse.

    sébastien gendron,éditions gallimard,collections la noire,chevreuilA force de nous faire rire, on les prendrait presque pour les comiques de service que l'on invite d'ailleurs régulièrement aux festivals de littérature noire afin de participer aux sempiternelles tables rondes sur le thème de la place de l'humour dans le contexte du polar. Lors de ces rencontres, vous pourrez croiser des romanciers qui se distinguent dans le genre avec des récits corrosifs rencontrant de plus en plus de succès à l'instar de Shit ! (Seuil/Cadre Noir 2023) de Jacky Schwartzmann obtenant le prix Le Point du polar européen ou de Mamie Luger (Les Arènes/Equinox 2022) de Benoît Philippon qui sera présent au festival Quais du Polar à Lyon et que l'on pourra écouter notamment à l'occasion d'une discussion en compagnie de Sébastien Gendron, autre grande figure de la littérature noire, pour évoquer "L'art du polar poilant". Si à n'en pas douter, les rencontres de ce calibre peuvent se révéler plaisantes et amusantes, on espère que ces auteurs seront conviés pour aborder d'autres thèmes que le simple ressort humoristique auquel on les associe. Avec Sébastien Gendron, si l'on peut rire au détour de certaines scènes plutôt détonantes, on évoquera davantage l'aspect déjanté et grinçants de ses récits que l'on peut difficilement classer dans une catégorie comme c'est le cas pour Fin De Siècle où l'on découvre un monde dont les océans sont infestés de Mégalodons, ces requins d'un autre âge, qui ne se révéleront peut-être pas aussi féroces que ces investisseurs milliardaires sacrifiant la sécurité sur l'autel du profit tandis qu'avec Chez Paradis l'intrigue se décline autour d'un braquage, d'une vengeance et d'un règlement de compte aux allures de western sur fond d'une atmosphère rurale qu'il décape à l'acide de batterie. Ainsi, au détour d'une vingtaine d'ouvrages, Sébastien Gendron a développé un style qui lui est propre en déclinant l'absurdité d'un monde dévoyé qu'il dépeint sur un registre outrancier où l'absurde côtoie la bêtise, et qui font qu'après avoir été publié dans la fameuse Série Noire, il intègre la collection La Noire chez Gallimard avec Chevreuil où les animaux prennent une nouvelle fois toute leur place afin de mettre en exergue les dérives de l'homme tout en abordant les thèmes du racisme et de l'exclusion au sein d'un petit village de France qui en prend pour son grade.

     

    Connor Digby est un citoyen britannique qui a élu domicile à Saint-Piéjac, petit village de France où l'on vote majoritairement pour l'extrême-droite. Auteur rencontrant le succès avec des romans destinés à la jeunesse, il fait également l'intermédiaire dans le cadre de la vente de voitures américaines de collection en encaissant une marge substantielle quand son commanditaire veut bien s'acquitter des frais de transport. Et puis c'est Marceline qui débarque dans sa vie, au détour d'une crevaison et de parties de jambe en l'air endiablées que Connor apprécie à sa juste valeur. Mais au détour d'une promenade en voiture, le couple mets délibérément à mal le dispositif d'une bande de chasseurs ce qui suscite l'ire de quelques citoyens émérites du village qui vont le faire savoir à leur manière. S'ensuit une succession d'incidents qui vont prendre une ampleur peu commune au point que Connor et Marceline vont entamer une guerre s'apparentant à celle qui a duré Cent Ans en se révélant bien plus saignante que le cuissot de ce chevreuil insaisissable arpentant effrontément les forêts de la région.

     

    En guise de préambule, il y a tout d'abord cette inauguration d'un zoo improbable virant à la catastrophe en nous donnant ainsi une idée de l'envergure du talent de Sébastien Gendron pour mettre en scène des situations dantesques qui tournent au carnage en règle dans une sorte d'exutoire soulageant la colère qui sourde tout au long de l’intrigue. Parce que c’est de cela qu’il s’agit avec Chevreuil où l’auteur décline ces instants de la vie nous mettant en colère à l’instar de ces affiche Zemmour qui fleurissent dans les rues d’un village, de ces scènes cruelles de chasse, de ces verrues architecturales que l'on bâtit sans permis de construire, de ces réflexions de racisme ordinaire qui deviennent la norme ou de celles d'un sensitive reader donnant son appréciation au sujet du contenu d'un livre pour enfants. Tout cela, Sébastien Gendron le décline au détour de la personnalité de Connor Digby autour duquel gravite toute une constellation de personnages plus antipathiques les uns que les autres à l'exception de la pulpeuse Marceline dont on apprécie le caractère affirmé et désinhibé, véritable bombe à retardement au sein de cette communauté d'individus empêtrés dans leurs considérations patriarcales. On se doute bien que tout cela va mal finir, mais l'enjeu du récit réside dans l'inventivité d'une succession d'événements burlesques qui vont se télescoper dans un finale explosif aussi surprenant, pour ne pas dire complètement dingue, que réjouissant tout en ayant le bon goût de ne pas virer au pamphlet, bien au contraire. Et puis au-delà de la gravité des thèmes abordés, de l'énergie d'un texte imprégné d'un humour féroce, Chevreuil recèle une foultitude réjouissante de références qu'elles soient musicales, cinématographiques et littéraires à l'instar de cet hommage appuyé à Louis Sanders, auteur de polars bien connu qui mettait déjà en scène un romancier britannique aux prises avec des villageois irascibles d'une localité française. Roman délirant, comme toujours avec Sébastien Gendron, Chevreuil se décline comme un véritable jeu de massacre jubilatoire qui ravira le lecteur jusqu'à la dernière page concluant ce récit avec une maestria saisissante.

     

    Sébastien Gendron : Chevreuil. Editions Gallimard/Collection La Noire 2024.

    A lire en écoutant : Tableau de chasse de Claire Diterzi. Album : Tableau de chasse. 2007 JE GARDE LE CHIEN.