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MON ROMAN ? NOIR ET BIEN SERRE ! - Page 73

  • HERVE LE CORRE : PRENDRE LES LOUPS POUR DES CHIENS. LES HOMMES VIVENT AINSI.

    hervé le corre, rivages noir, prendre les loups pour des chiensLorsque l’on me demande de citer quelques auteurs de polar français que j’apprécie, il me vient spontanément à l’esprit le nom d’Hervé Le Corre dont l’écriture exceptionnelle se conjugue à la qualité d’intrigues originales qui se jouent toujours dans un contexte social déliquessent que cet écrivain s’emploie à dénoncer au travers d’un texte extrêmement abouti. Parce qu’il se fait plutôt rare, la sortie de son nouvel ouvrage, intitulé Prendre Les Loups Pour Des Chiens, constitue donc un événement d’autant plus important que l’auteur était très attendu après la sortie de Après La Guerre, un grand roman d’envergure évoquant les contours obscurs de la guerre d’Algérie.

    Frank n’a pas parlé et son frère Fabien est parvenu à s’enfuir avec le butin du braquage qu’ils ont commis ensemble. Frank n’a pas parlé et a purgé une peine de cinq ans. Pourtant Fabien n’est pas là pour l’accueillir à sa sortie et c’est sa compagne, Jessica qui le prend en charge pour le conduire chez ses parents. Le père bricole des voitures volées pour le compte d’un gitan tandis que la mère effectue quelques ménages dans une maison de retraite ainsi que d’autres jobs temporaires. Frank fait ainsi la connaissance d’une charmante petite famille de cas sociaux. Dans ce climat délétère, Jessica distille son charme sulfureux et son mal de vivre tout en s’en prenant régulièrement à sa fille Rachel, une jeune enfant mutique qui ne mange pratiquement rien. Entre la séduction de Jessica, les magouilles du père, les rancoeurs de la mère et un gitan hostile, Frank se retrouve rapidement comme un animal acculé, pris au piège. Et Fabien qui ne revient pas.

    Surfant régulièrement sur la variété des thèmes propre aux romans noirs, Hervé Le Corre a opté, cette fois-ci, pour la mise en scène d’un drame contemporain se déroulant dans l’intimité d’un cadre familiale où le piège s’installe impitoyablement pour broyer les différents protagonistes. Des hommes et des femmes prisonniers des liens qui les unissent et dont ils ne peuvent se défaire à l’instar de Frank passant d’une prison à une autre forme d’enfermement pour s’empêtrer dans une inextricable logique de confrontations de plus en plus violentes qui semblent le dépasser. Même s’il en a l’apparence, Prendre Les Loups Pour des Chiens s’éloigne résolument de ce fameux courant rural noir pour n’exploiter que l’atmosphère étouffante de ce coin de campagne brûlé par la chaleur estivale. Un climat malsain, permettant à l’auteur de mettre en place les rouages d’une folie ordinaire qui se mue peu à peu en un véritable cauchemar sordide. Hervé Le Corre n’a pas son pareil pour désagréger ainsi le quotidien de ses personnages afin de les bousculer avant de les mener vers la tragédie impitoyable du fait divers. Et dans le registre de la femme fatale, c’est Jessica qui est le mieux à même d’incarner le titre du roman, extrait d’un poème d’Aragon, car au-delà du charme toxique dont elle abuse pour séduire Frank, la jeune femme draine un indéfinissable trouble que l’on décèle notamment dans les rapports tourmentés qu’elle entretient avec ses parents et sa fille Rachel. Ainsi la trame de l’intrigue se noue autour cette relation houleuse qui s’instaure entre Frank et Jessica en les emportant vers une succession de confrontations toujours plus conflictuelles.

    Ainsi Prendre Les Loups Pour Des Chiens se concentre essentiellement sur les interactions entre les différents personnages qui évoluent au gré d’une dramaturgie somme toute assez classique. Néanmoins on aurait tort de sous-estimer cette capacité de l’auteur à se démarquer des stéréotypes propre à ce genre de récit car avec cette écriture redoutable, Hervé Le Corre nous entraîne dans les vicissitudes de personnages qui se révèlent bien plus suprenants qu’il n’y paraissent. C’est d’autant plus frappant que dans la banalité des scènes, l’auteur instille des éléments de tensions qui prennent de plus en plus d’ampleur pour nous emporter, sans qu’il n’y paraisse, vers un dénouement final qui se révèle extrêmement abrupt . Et puis on se laisse rapidement séduire par un texte tout en maîtrise qui se dispense d’esbrouffe et d’aritifice pour permettre au lecteur de se plonger dans ce fragile équilibre du verbe toujours bien calibré, précis et inspirant.

    Résolument ancré dans l’incarnation du roman noir social Prendre Les Loups Pour des Chiens dépeint cette frange des laissés-pour-compte qui se déchirent pour maintenir un semblant d’illusion se dissolvant dans la cruauté des ressentiments. Ainsi, les chiens deviennent des loups féroces prêts à s’entretuer.

     

    Hervé Le Corre : Prendre Les Loups Pour Des Chiens. Editions Rivages/Noir 2017.

    A lire en écoutant : Est-ce Ainsi Que Les Hommes Vivent interprété par Bernard Lavilliers. Album : O’Gringo. Barclay 1980.

  • Joe Meno : Le Blues De La Harpie. Solder sa dette.

    Capture d’écran 2017-03-07 à 17.20.25.pngLorsque deux anciens taulards, en quête de rédemption, entrent en scène, on peut être quasiment certain qu’une référence à Johnny Cash ne sera jamais bien loin à l’instar de Joe Meno qui lui rend hommage dans Le Blues De La Harpie une des dernières découvertes de la maison d’édition Agullo. Et puisqu’il s’agit d’une sombre histoire d’amour où la tragédie s’immisce au détour de chacune des rues de cette petite bourgade du Midwest il conviendra d’écouter I Walk On The Line, une des plus belles déclarations d’amour correspondant parfaitement à l’état d’esprit de ce récit poignant dans lequel on décèle quelques tonalités rappelant les romans de John Steinbeck.

     

    Au volant de sa voiture, Luce Lemay prend la fuite après le minable braquage d’un magasin de spiritueux. Dans le crépuscule, il fonce sur la Harpie Road et ne voit pas cette femme qui traverse la route avec son landau qu’il renverse. Le bébé qui s’y trouvait décède sur le coup. Après trois ans de prison, Luce est de retour à La Harpie où l’attend Junior Breen qui vient de purger une peine de 25 ans. Même si leurs nuits sont peuplées de cauchemars, nos deux compères tentent de jouer profil bas en travaillant dans une station service afin de rester dans le droit chemin. Mais quand Luce tombe éperdument amoureux de la belle Charlène, les passions se déchaînent avec une cohorte de ressentiments exacerbés par la découverte du passé criminel de Junior. Au-delà de l’atrocité du crime, a-t-on droit à une seconde chance ?

     

    C’est au travers d’un texte sobre, aux phrases courtes dépouillées de toutes fioritures que Joe Mendo aborde avec efficacité les thèmes de la réinsertion et de la rédemption en accompagnant le destin de Luce Lemay et de Junior Breen, ce duo d’anciens prisonniers aspirant à une vie normale qui rappelle forcément la paire de trimardeurs que formait Lenny et Georges dans Des Souris et des Hommes. Paradoxalement, Luce fait preuve de davatange de naïveté que Junior, ce colosse ravagé par la culpabilité d’une crime odieux, en estimant avoir payé sa dette à la société et pouvoir ainsi refaire sa vie dans sa ville natale, lieu de la tragédie qui l’a envoyé en prison. Il s’enferme ainsi dans cette certitude du bon droit retrouvé, même si le remord le cueille régulièrement au cœur de la nuit où il distille ses cauchemards dans cette sinistre pension de famille tenue par une vieille folle qui n’a pas supporté la perte de son mari qui s’est suicidé après avoir assassiné l’amant de cette épouse volage. Junior Breen, lui ne souhaite que se plonger dans l’anonymat de cette petite petite ville provinciale en espérant pouvoir surmonter la douleur d’une faute qu’il ne pourra sans doute jamais oublier. Tout comme Luce, c’est également durant la nuit que le poids de la faute s’instille dans l’inconscience de ses pensées qui l’empêchent de trouver le sommeil. Le quotidien de ces deux personnage est fait d’instants joyeux et de phases plus sombres alors qu’ils travaillent dans une station service tenue par un ancien prisonnier qui les a pris sous son aile.

     

    Outre le remord et la rédemption, il est beacoup question d’amour dans Le Blues de La Harpie avec cette relation passionnelle entre Luce Lemay et la belle Charlène, la jeune serveuse du diners de la ville mais également avec ces petits poèmes sybillins que Junior affiche sur le panneau de promotion de la station service et qui sont peut-être adressé à la mystérieuse jeune femme sur la photographie qu’il conserve précieusement :

     

    « Méga promo sur tous les pneus d’occasion

    clairs et ronds comme des yeux envoutés

    où coule l’amour telle la sève. »

     

    On le voit, Joe Meno distille tout au long de ce roman une atmosphère étrange et décalée qui prend parfois des tournures poétiques, quelquefois comiques, mais qui tendent résolument vers un climat inquiétant et sinistre à l’image de cet enterrement de la tante de Charlène dont le corps exposé sur son lit de mort abrite toute une cohorte de petits animaux qui y ont trouvé refuge. C’est sur cette configuration originale que l’auteur nous entraîne dans une spirale où la violence devient de plus en plus pregnante pour trouver son paroxysme dans une confrontation presque surréaliste avec les citoyens hostiles d’une ville qui paraît de plus en plus insolite. Dissimulés derrière les phares des véhicules qui pourchassent Luce et Junior, les silhouettes deviennent presque surnaturelles pour former une entité désincarnée qui semble vouée à leur perte.

     

    Avec des personnage baroques et émouvants Le Blues de La Harpie est peuplé d’individus dont la fuite en avant éperdue devient presque onirique pour saisir le lecteur à la lisière du désespoir et de la folie. L’étrangeté poétique d’un roman qui résonne furieusement dans les confins de la noirceur. A lire sans détour.

     

    Joe Meno : Le Blues De La Harpie (How The Hula Girl Sings). Editions Agullo 2016. Traduit de l’anglais (USA) par Morgane Saysana.

    A lire en écoutant : I Walk The Line de Johnny Cash. Album : At Saint Quentin (Live). Columbia 1968.

  • URS SCHAUB : LA SALAMANDRE. UN VILLAGE SI TRANQUILLE.

    Capture d’écran 2017-02-26 à 22.44.11.pngAprès avoir découvert les territoires urbains de la ville de Zürich en compagnie du détective privé Vijay Kumar créé par Sunil Man (La Fête des Lumières, 2013 et L’Autre Rive, 2015) la maison d’éditions Furieux Sauvages nous propose une autre escapade alémanique du côté du pays des Trois Lacs (Neuchâtel, Bienne et Morat) avec La Salamandre du dramaturge bâlois Urs Schaub. Au cœur de cette région bilingue, aux caractéristiques plutôt rurales, l’auteur nous entraîne à la suite du commissaire Simon Tanner, personnage récurrent d’une série de cinq romans policiers.

     

    Au terme d’un séjour d’une année dans un pays nordique, le commissaire Simon Tanner est de retour au pays avec les reliquats d’une histoire d’amour chaotique. Lorsqu’il débarque au petit matin sur le quai de la gare de son village, le commissaire croise un mystérieux jeune homme qui descend du même train et qui semble encore plus désemparé que lui. Rapidement, le policier apprend que le jeune homme vient d’Espagne où il prétend avoir été incarcéré à tort durant cinq ans, pour avoir transporté une quantité non négligeable de stupéfiants. Malgré ce tableau peu reluisant l’individu, bien qu’un peu perturbé, inspire plutôt confiance. C’est pour cette raison que Simon Tanner va accepter de garder la valise qu’il lui confie. Un crime vieux de plusieurs décennies, d’anciens missionnaires suisses ayant officiés en Afrique, une étrange communauté religieuse isolée, il s’en passe des choses sur les bords de ce lac embrumé. Et si le lien entre ces différents événements se trouvait dans le contenu de la valise, ceci d’autant plus que son propriétaire a mystérieusement disparu.

     

    Avec La Salamandre on s’achemine vers un roman policier d’atmosphère distillant une lente intrigue peu ordinaire qui se décline au rythme de la torpeur hivernale émaillant cette région lacustre embrumée. Au cœur de ces décors mélancoliques on pense immédiatement aux ambiances des récits de Friedrich Dürrenmatt ou de Friedrich Glauser où les frimât de l’hiver sont contrebalancés par l’ambiance chaleureuse des auberges dans lesquelles les protagonistes échangent confidences et confessions autour des plats locaux de la région. Urs Schaub parvient ainsi à capter cette ambiance villageoise où les non-dits et les secrets des habitants alimentent une succession de rebondissements plutôt surprenants pour un récit qui prend son temps mais où l’on ne s’ennuie jamais.

     

    Quatrième roman de la série, mais premier opus traduit en français, La Salamandre met en scène le commissaire Simon Tanner et quelques autres personnages secondaires qui semblent récurrents. A la fois discret et épicurien le policier est doté d’une grande sensibilité et d’un solide sens de l’écoute lui permettant de recueillir les confidences des protagonistes et de progresser dans ses enquêtes en officiant principalement dans les établissements culinaires de la région qu’il fréquente avec une assiduité qui frise la dévotion. Outre l’aspect gastronomique, on découvre la région des Trois Lacs par l’entremise des longues promenades de ce commissaire intuitif qui n’aime rien tant que de s’abandonner dans ces errances pour mettre de l’ordre dans ses nombreuses réflexions tout en observant son environnement et son entourage. Au gré du récit on décèle quelques éléments dont une histoire d’amour nordique qui a probablement fait l’objet de développements dans les romans précédents. Mais loin de prétériter la compréhension de l’histoire ces éléments donnent, au contraire, un supplément d’épaisseur d’âme pour un personnage qui n’en était d’ailleurs pas dépourvu.

     

    En abordant la thématique des sectes, Urs Schaub a choisi de s’attaquer à un sujet délicat qu’il aborde avec beaucoup de finesse et de subtilité en s’attardant sur les connexions entre les édiles des villages voisins et les membres de cette communauté religieuse qui est parvenue à s’intégrer dans la région et à cohabiter avec le voisinage dans une relative ouverture au monde extérieure qui s’opère par le biais d’actions charitables et du commerce d’objets artisanaux de qualité. Mais au-delà d’apparences spirituelles plutôt pacifiques, l’auteur parvient à mettre en scène toute une tension dramatique dépourvue d’effets sensationnels permettant de s’immerger dans un contexte réaliste qui va se révéler bien plus inquiétant qu’il n’y paraît.

     

    Habitué, avec les Furieux Sauvages, à une haute exigence éditoriale, on déplorera le trop grand nombre de coquilles qui ponctuent cette impression mais qui, fort heureusement, n’interfèrent pas dans la qualité d’un roman qui capte avec une belle justesse l’essence de ce climat helvétique en restituant cette ambiance si particulière aux krimis alémaniques. Une belle écriture teintée d’une certaine poésie au service d’une intrigue extrêmement dense, La Salamandre est un roman captivant et envoûtant. Une belle découverte.  

     

    Urs Schaub : La Salamandre. Editions Furieux Sauvages 2016. Traduit de l’allemand par Anne Dürr.

    A lire en écoutant : Emmige interprété par Stephan Eicher. Album : Hôtel S – Stephan Eicher’s Favorites. Interowners 2001.

  • James Crumley : Fausse Piste. Sur les traces de la voie lactée.

    Capture d’écran 2017-02-18 à 00.51.39.pngUne nouvelle traduction de Jacques Mailhos agrémentée d’illustrations en noir et blanc de Chabouté, toutes les occasions sont bonnes pour revisiter l’œuvre de James Crumley comme nous le propose les éditions Gallmeister avec Fausse Piste, premier roman de la série consacrée au détective Milo Milodragovitch. Au-delà d’une traduction plus contemporaine, il s’agit de découvrir ou redécouvrir l’une des voix marquantes du roman noir américain qui fut paradoxalement l’un des écrivains les plus méconnu de ce fameux courant « nature writing » issu de la ville de Missoula dans laquelle James Crumley a toujours séjourné en côtoyant James Lee Burke et Jim Harrison.

     

    A Meriwether dans le Colorado c’en est fini des flagrants délits d’adultère pour le détective privé Milo Milodragovitch qui se morfond désormais dans son bureau depuis que l’on a réformé la loi sur les divorces en le privant ainsi de sa principale source de revenu. Alors que ses finances sont au plus mal, il passe en revue les ruines de sa vie sentimentale entre deux cuites avec ses camarades de beuverie. Une existence bancale sans grandes interférences jusqu’à ce que débarque la belle Helen Duffy à la recherche de son petit frère disparu. Pour les beaux yeux de cette femme séduisante, Milo se lance maladroitement sur les traces du jeune étudiant amateur de tir au revolver au dégainé rapide. Mais l’enquête va se révéler plus chaotique qu’il n’y paraît.

     

    Une écriture généreuse, sincère, dotée d’un humour vachard, c’est la marque de fabrique de James Crumley qui reprend tous les canons du roman noir et du polar en les assaisonnant d’une tension confuse parfois décousue mais qui se révèle au final d’une étonnante maîtrise en embarquant le lecteur dans les tréfonds de l’âme tourmentée de ce détective qui sort vraiment de l’ordinaire. A bien des égards, Milo Milodragovitch présente de nombreuses similitudes avec son auteur dans sa propension à s’imbiber généreusement d’alcool en alternant des périodes de morosité et de gouaille festive tout en s’investissant corps et âmes dans des enquêtes qui s’avèrent bien plus originales qu’on ne pourrait l'imaginer. Publié en 1975, Fausse Piste capte également le climat de révolution culturelle qui régnait à l’époque aux USA. Une période confuse où l’on croise des personnages atypiques comme ce travesti féru d’arts martiaux ou cet ancien avocat qui a renoncé au droit pour s’imbiber quotidiennement et méthodiquement d’alcool. Libéralisation des mœurs qui va de pair avec la consommation de drogues devenant une plaie sournoise et endémique renvoyant aux propres addictions de Milo Milodragovich et de son entourage proche et indirectement à l’auteur qui ne porte jamais de jugement de valeur mais qui témoigne magistralement de son temps.

     

    Parce qu’il ne faut pas s’y tromper, Fausse Piste, comme d’ailleurs la plupart des ouvrages de James Crumley, fait partie de la quintessence du polar en dépassant allégrement tous les codes du genre. On entre dans une autre dimension d’une incroyable facture tant sur le plan narratif que sur l’objet de l’intrigue et il serait vraiment regrettable de passer à côté de cette remise au goût du jour que nous propose les éditions Gallmeister qui a eu la bonne idée de l’agrémenter des illustrations percutantes de Chabouté parvenant à saisir l’atmosphère du roman avec une belle justesse.

     

    James Crumley nous présente donc des récits emprunts à la fois d’une violence crue et d’une grâce parfois émouvante, servis par la force de dialogues truculents et incisifs permettant de mettre en scène toute une galerie de personnages d’une singulière sensibilité, toujours délicieusement humains dans toutes leurs imperfections qu’ils dissimulent sous une somme d’excès et brutalités quelques fois extrêmement saisissante. Ainsi Milo Milodragovitch, ex shérif deputy corrompu et détective alcoolique se distancie des clichés usuels propre à ce type de personnage pour incarner ce qui se fait de mieux en matière de personnage à la fois torturé par ses démons tout en tentant de faire le bien du mieux qu’il peut autour de lui. Homme frustre, parfois très maladroit mais toujours sensible et obligeant, Milo résoudra une enquête pénible et compliquée car parsemée d’une myriade de fausses pistes et dont la conclusion se réalisera à ses propres dépens.

     

    Indéniablement Fausse Piste, comme tous les romans de James Crumley, constitue l’une des très grandes références dans le domaine du polar et du roman noir et s’inscrit dans deux séries emblématiques mettant en scène Milo Milodragovitch pour l’une et C.W. Sughrue pour l’autre, détective également mythique que l’on retrouve dans Le Dernier Baiser qui vient de paraître également au éditions Gallmeister. Et pour achever de vous convaincre de lire James Crumley, il faut bien prendre conscience que Fausse Piste n’est que le début d’une œuvre magistrale qui a révolutionné le genre. Indispensable et fondamental.

     

    James Crumley : Fausse Piste (The Wrong Case). Editions Gallmeister 2016. Traduit de l’anglais (USA) par Jacques Mailhos.

    A lire en écoutant : The Ghosts of Saturday Night de Tom Waits. Album : Asylum Years. Asylum 1986.

  • DOA : PUKTHU – SECUNDO. LA GUERRE EST UN BUSINESS.

    DOA, pukhtu secundo, pukhtu, série noire, éditions gallimardAvec Pukhtu – Primo, DOA nous avait entraîné au cœur des méandres du conflit afghan en mettant en scène l’implacable vengeance d’un chef de clan décidé à exterminer les membres d’un groupuscule de mercenaires américains responsables de la mort de plusieurs membres de sa famille. Au terme de cette première partie, l’auteur nous laissait sur le seuil d’une confrontation sanglante entre les paramilitaires et le chef de guerre pachtoune. Tout aussi dense, tout aussi fouillé, c’est peut dire que l’on attendait le second volume, Pukhtu – Secundo, avec une certaine impatience, couplée à une légère appréhension en se demandant comment l’on allait pouvoir se replonger dans les circonvolutions d’une histoire complexe, peuplée d’une myriade de personnages qui s’entrecroisent dans un chassé-croisé géopolitique subtil.

     

    Rien ne va plus à Kaboul et dans ses environs. Loin d’être maîtrisé le conflit afghan s’enlise dans une succession d’échauffourées et d’attentats de plus en plus meurtriers, tandis que les trafics en tout genre prennent une ampleur de plus en plus conséquente à mesure que la guerre dégénère. Dans cette poudrière, chacun tente de tirer profit du conflit et les mercenaires de l’agence américaine 6N sont davantage préoccupés par le trafic d’héroïne qu’ils ont mis en place avec l’aide de Montana, un haut responsable d’une officine des services secrets français. Pourtant les problèmes surviennent. Tout d’abord il faut faire face à la froide vengeance de Sher Ali décidé à exterminer tous les membres de la compagnie qui ont tué sa fille chérie Badraï, victime collatérale d’un raid meurtrier. Il y a également ces deux journalistes fouineurs désireux de mettre à jour l’économie souterraine du commerce de l’héroïne. Et pour couronner le tout, il y a cet ancien agent clandestin que l’on a tenté d’éliminer en Afrique et qui va bouleverser toute la donne lors d’un périple sanglant le menant des côtes africaines, en passant par Paris, jusqu’au cœur des montagnes afghanes. Cet homme solitaire et déterminé, également ivre de vengeance, va demander des comptes à l’ensemble des responsables de la mort de sa compagne enceinte.

     

    En guise de préambule, une brève synthèse de l’opus précédent permet au lecteur de s’immerger très rapidement dans ce récit vertigineux qui s’ouvre sur de nouvelles perspectives. En effet, avec Pukhtu – Secundo, DOA se concentre principalement sur le périple d’un nouveau personnage qui entre en scène pour bouleverser toutes les dynamiques misent en place dans le premier roman. Ainsi la démarche vengeresse de Sher Ali Kahn trouve un écho avec celle de Servier, alias Lynx qui, du Mozambique à Paris, va également mettre à mal toute l’organisation criminelle servant à couvrir ce trafic de drogue international décrit avec minutie dans le premier ouvrage. C’est sur l’échiquier parisien que se déroule une grande partie du récit avec des dynamiques de surveillances et de contre-surveillances qui ressemblent furieusement à celles que l’on rencontrait dans Citoyens Clandestins, ceci d’autant plus que l’on retrouve un très grand nombre des personnages de ce roman. Néanmoins, Pukhtu – Secundo recèle quelques surprises, notamment dans le fait que les vindictes de Sher Ali Kahn et de Servier, trouvent rapidement leurs épilogues respectifs dans des confrontations sanglantes et violentes permettant de s’intéresser davantage aux conséquences de ces représailles qui trouveront une conclusion commune dans les vallées montagneuses de l’Afghanistan.

     

    Avec cette écriture dynamique et précise, DOA met en scène des opérations clandestines pertinentes et réalistes qui alimentent un indéniable climat de tension et de suspense trouvant bien souvent leurs dénouements dans des confrontations aussi vives que sanglantes. Néanmoins pour bon nombre d’entre elles on ne peut s’empêcher d’éprouver un certain sentiment de répétition, ceci d’autant plus que l’auteur semble avoir mis de côté tout l’aspect géopolitique que l’on découvrait dans le premier roman et qui constituait l’une des grandes originalités du récit. Ainsi l’interventionnisme américain en Afghanistan ne rencontre plus qu’un faible écho tout comme l’aspect organisationnel du trafic de drogue qui est complètement abandonné. On le perçoit également par le biais de ces personnages secondaires dont l’auteur ne sait plus trop quoi faire et dont les destins s’achèvent dans des conclusions un peu trop abruptes à l’instar de cette jeune Chloé dont le portrait bien trop stéréotypé restera l’une des grandes faiblesses du récit.

     

    Alors que Pukhtu – Primo était davantage axé sur l’aspect géopolitique du conflit afghan, Pukhtu – Secundo s’inscrit dans une dimension résolument orientée sur l’esprit d’action et d’aventure qui comblera ou décevra les lecteurs en fonction de leurs attentes. On reste tout de même subjugué par le périple de Servier dans les vallées afghanes qui constitue l’un des points forts du roman. Pour dissiper une éventuelle déception qui peut émaner de ce second volume, il conviendra peut-être d’appréhender le cycle Pukthu dans son ensemble, ceci d’une seule traite, pour apprécier les indéniables qualités narratives d’un récit incroyablement documenté qui sort résolument de l’ordinaire.

     

    DOA : Pukhtu - Secundo. Editions Gallimard – Série Noire 2016.

    A lire en écoutant : Head in the Dirt de Hanni El Khatib. Album : Head in the Dirt. Innovative Leisure 2013.