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DOA : Pukhtu - Primo. La sécurité est un business.

Capture d’écran 2016-01-31 à 20.10.19.pngConvoyages de détenus, gardes des prisonniers à l’hôpital, patrouilles nocturnes dans les communes, les entreprises de sécurité privée grignotent peu à peu les tâches régaliennes de l’Etat, sans que cela ne choque plus grand monde. On s’en accommode et tant pis pour les dérives que l’on découvrait au sein même des services étatiques. Le fait de confier ces tâches au privé n’est donc guère rassurant. Aux USA, ce sont désormais des conglomérats privés qui gèrent les établissements pénitentiaires. On franchit un pas supplémentaire avec la sous-traitance du renseignement confié à des entreprises de mercenariat qui évoluent au cœur des conflits armés comme on le constate avec Pukhtu du romancier DOA décrivant avec une précision quasi chirurgicale les péripéties sanglantes de la guerre en Afghanistan en 2008.

 

Après la perte de sa fille adorée et de son unique fils tous deux exécutés à distance par l’intermédiaire d’un de ces drones qui survolent le pays, Sher Ali délaisse désormais la contrebande dans les contrés tribales des pachtounes, pour prendre part à la résistance contre l’envahisseur américain et assouvir ainsi sa soif de vengeance en se prenant aux intérêts du mystérieux groupuscule 6N responsable la mort de ses enfants. Il y va de son honneur, le pukhtu, et de celui de tous les membres de son clan qui le suivent dans une succession d’attentats et d’embuscades sanglantes. Mais les hommes du 6N, anciens soldats devenus mercenaires, ne sont pas des enfants de cœur comme le constate Fox, guerrier clandestin en quête de rédemption, qui met à jour un trafic d’héroïne mis en place par ses camarades. D’une guerre ouverte en conflits clandestins sur fond de compromissions et de trafics en tout genre, les échos des belligérances afghanes résonnent dans tous les coins du globe.

 

Un pavé dans la mare, tel pourrait être la définition de Pukhtu Primo, roman foisonnant qui met à jour avec force de documentation et de réalisme, le marasme du conflit en Afghanistan. Avec Fox et quelques autres personnages, DOA prolonge ainsi son fameux roman Citoyens Clandestins où l’on assistait avec le point de vue bien ancré de ses personnages à la lutte entre les différents services de renseignement français traquant un groupuscule islamiste. Pukhtu reprend la même dynamique avec d’avantage de protagonistes qui incarnent les multiples conséquences d’un conflit dont les enjeux deviennent de plus en plus globalisés. On y découvre avec effarement que les forces armées américaines ne sont pas si nombreuses et que ce déficit est suppléé par des entreprises privées qui prennent le pas sur les agences officielles. Plus que les trafics, plus que la corruption, ce business de mercenariat s’inscrit dans une logique de compromission sur fond d’exemplarité démocratique que l’on souhaite importer dans un pays qui possède son propre code de l’honneur. Quel sens donner à tout cela, c’est ce que Fox cherche à comprendre au delà des considérations cyniques de ses camarades. Pour son adversaire Sher Ali, tout semble plus simple avec cette logique de vengeance. Mais il y a les trahisons, les pertes humaines et le doute qui s’installe en pensant à la douceur de sa fille défunte qui n’approuverait certainement pas toute cette haine.

 

Un texte dense, parfois trop documenté, Pukhtu est un roman saisissant où l’on appréciera la série de portraits de personnages parfois ambivalents que dresse l’auteur dans un récit qui ressemblerait à une série dont la première saison sert à mettre en place les principales intrigues narratives qui trouveront leurs issues dans un second opus qui sortira au printemps 2016. Le glossaire dressant l’inventaire des protagonistes du roman ne sera pas de trop. Si les portraits de la plupart d’entre eux sont extrêmement bien élaborés, on regrettera toutefois l’aspect trop stéréotypé, voir caricatural des personnages féminins qui évoluent à Paris.

 

Même s’il est passionnant, Pukhtu n’est pas exempt de quelques longueurs où DOA semble vouloir démontrer toute la somme de connaissances qu’il a acquise lors de la phase de recherche. L’aspect balistique de l’armement des belligérants est particulièrement inutile, voir assommant, tout comme les rapports de situations abscons qui ne servent pas le récit, hormis le froid décompte des pertes humaines. C’est d’autant plus dommageable que cela prétérite une belle dynamique d’actions percutantes que l’auteur rédige avec un talent hors norme en mixant des styles empruntés aux thrillers et aux romans noirs. On appréciera d’ailleurs la scène d’ouverture, un modèle du genre qui n’est pas sans rappeler quelques grands auteurs comme James Ellroy ou David Peace avec une singularité propre à l’auteur. Tout comme ces grands auteurs, DOA met en relief la série des événements qu’il relate avec des articles de presse qui donnent la pleine mesure des scènes dans lesquelles évoluent ses personnages.

 

Plus qu’une guerre, plus qu’une vengeance, DOA met en lumière avec Pukhtu le business juteux et obscur de ces entreprises de renseignements qui prennent le pas sur les agences officielles d’un pays qui perd peu à peu le sens de l’état. Une déresponsabilisation inquiétante que DOA dénonce avec une belle maîtrise.

 

DOA : Pukhtu - Primo. Editions Gallimard – Série Noire 2015.

A lire en écoutant : Do Me A Favor de Arctic Monkeys. Album : Favourit Worst Nightmare. Domino Recording Co Ltd 2007.

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