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MON ROMAN ? NOIR ET BIEN SERRE ! - Page 72

  • Hugues Pagan : Profil Perdu. Au bout de la route.

    hugues pagan, profil perdu, rivagesC’était à la fin des années 90 que Hugues Pagan nous livrait son neuvième et dernier polar intitulé Dernière Station Avant l’Autoroute (Rivages 1997) avant de se tourner vers des activitiés plus lucratives telles que l’écriture de scénarios pour des séries comme Mafiosa, Un Flic et Police District. Après 20 ans d’absence, le retour de Hugues Pagan sur la scène littéraire constitue donc une belle surprise nous permettant de retrouver cette langue et cet état d’esprit si particuliers, propre aux flics, que cet ancien fonctionnaire de police était parvenu à restituer tout au long de son oeuvre et qui inspira par la suite bon nombre d’auteurs également issus des rangs de la grande maison ainsi que des réalisateurs comme Olivier Marchal avec qui il collabora régulièrement. Mais outre le language si atypique, on retrouve avec Profil Perdu, cette atmosphère de noirceur et de froideur conjuguée à l’ambiance amère d’un commissariat abritant les aléas de flics à la dérive et les intrigues de brigades rivales.

     

    En 1979, on célèbre la fin de l’année comme on peut à l’Usine, surnom donné au commissariat de cette ville de l’est de la France. Bugsy, un dealer du coin se fait cuisiner par Meunier, un inspecteur des stups, au sujet d’une photo où figure une mystérieuse jeune femme. Schneider le responsable du Groupe criminelle contemple le parking qui se vide peu à peu avant d’entamer sa tournée nocturne avec son adjoint. Un début de nuit calme avant d’affronter les hostilités des fins de réveillons trop arrosés. Mais durant la nuit tout bascule. Pour Schneider c’est une rencontre en forme de coup de foudre avec la belle Cheroquee. Pour Meunier la nouvelle année s’achève rapidement. Il est abattu froidement par un motard alors qu’il faisait le plein dans une station service. Schneider et son équipe sont sous pression. Un tueur de flic c’est loin d’être une affaire ordinaire.

     

    Parmi tous les policiers qui se sont lancés dans la littérature noire, Hugues Pagan se distingue par la qualité d’une écriture immersive teintée de résonnances poétiques permettant ainsi de découvrir les arcanes policières où évoluent des flics en bout de course qui travaillent à la marge et dont les destinées se révèlent bien trop souvent dépourvues de la moindre lueur d’espoir. Les enquêtes aux entornures incertaines servent de prétextes pour mettre en place les dérives de personnages aux lours passifs pour espérer une quelconque rédemption. Inexorablement, la balance penche vers une noire tragédie et malgré une trame policière, les récits de Hugues Pagan oscillent invariablement sur le registre du roman noir afin de mettre en scène toutes les vicissitudes de l’univers policier en révélant les antagonismes entre les différentes brigades ainsi que les excès de ces flics qui franchissent la ligne.

     

    A bien des égards, on trouve dans l’œuvre de Hugues Pagan l’ambiance lourde des films de Melville ou le climat oppressant des romans de Robin Cook avec cet aspect glacial qui habillent des personnages solitaires et mutiques évoluant dans un une dimension invariablement tragique. Avec Profil Perdu, on ne déroge pas à la règle et Hugues Pagan s’emploie à dresser un tableau réaliste et sans complaisance d’une équipe d’inspecteurs conduits par Schneider, un chef de groupe taciturne et sans illusion que l’on avait déjà croisé dans La Mort Dans Une Voiture Solitaire (Fleuve Noir 1982) et Vaines Recherches (Fleuve Noir 1984). En terme de temporalité, Profil Perdu se situe à une période antérieure aux deux opus précités et permet à l’auteur de s’attarder sur le portrait d’un flic saturé de désespoir en évoquant son passé et ses antécédants comme officier parachutiste engagé durant la guerre d’Algérie. L’auteur qui y est natif, en profite pour mettre en exergue les aspects troubles de ce conflit liés notamamnet à la pratique de la torture en expliquant ainsi l’aversion de Schneider pour les interrogatoires musclés que pratiquent certains de ses collègues. Dès lors, la traque d’un tueur de flic prend une tournure inatttendue lorsque ce policier désabusé entend dénoncer des inspecteurs tabassant un suspect peu coopérant sous l’œil complaisant d’une hiérarchie inspirant méfiance et défiance. On le voit, Schneider devient l'archétype du flic rebelle qui ne croit à plus grand-chose hormis peut-être cette relation naissante avec Cheroquee, une belle jeune femme rencontrée lors de la soirée de nouvel an. C'est probablement la seule lueur d'espoir que l'on entrevoit tout au long de ce roman avec cette liaison quelque peu surannée qui convient parfaitement à l'état d'esprit de l'époque. Car Hugues Pagan parvient à diffuser par petites touches subtiles cette atmosphère propre aux débuts des années 80 que l'on décèle notamment au gré de dialogues solides et maitrisés permettant d’appréhender ce climat si particulier de la police. 

     

    Loin de céder au misérabilisme ou à la compassion et encore moins au sensationnalisme que l'on ressent parfois à la lecture de certains ouvrages rédigés par des policiers, Profil Perdu est un roman qui dégage un parfum agréablement rétro pour un récit au rythme paisible, presque hypnotique, ponctué de quelques coups d’éclat, comme autant de sursauts pour tenter de s’extirper de toute cette logique fatalement tragique. Entre une vision romancée et une représentation naturaliste de l’univers de la police, Hugue Pagan a choisi la voie médiane en revenant aux fondamentaux pour nous livrer un de ces grands polars qui rend hommage à tout ce que l’on apprécie dans la littérature noire française.

     

    Hugues Pagan : Profil Perdu. Editions Rivages/Roman noir 2016.

    A lire en écoutant : La roue du temps de Paul Personne. Album : A l’Ouest – Face B. XIII Bis Records 2011.

  • MIGUELANXO PRADO : PROIES FACILES. RIEN A PERDRE.

    miguelanxo prado, proies faciles, éditions rue de sèvres, Espagne, crise économiqueA l’heure où l’on évoque la réforme des retraites, les politiques, économistes et autres spécialistes en tout genre se penchent sur les aspects techniques de ces enjeux en se focalisant sur les taux de conversion, l’augmentation de la durée d’activité, la primauté des prestations ou la primauté des cotisations. Tous les prétextes sont bons pour justifier la baisse des rentes en évoquant un marasme économique et des intérêts négatifs. On oublie bien trop souvent la part de l’humain derrière toutes ces réformes qui se font, bien trop souvent, au détriment des seniors qui deviennent de plus en plus vulnérables. Des aînés qui souffrent en silence et dont la misère quotidienne ne suscite qu’une parfaite indifférence comme l’évoque Miguelanxo Prado avec Proies Faciles, une bande dessinée mettant en scène un polar social dénonçant le cynisme ambiant qui prévaut autour de cette population de plus en plus précarisée.

     

    En Espagne, dans une ville de la Galice où elle est affectée, l’inspectrice Tabares et son adjoint Sottilo enquêtent sur la mort suspecte d’un directeur commercial de la banque Ovejro. L’autopsie révèle rapidement une mort par empoisonnement et relève donc de leurs compétences. Mais l’affaire prend une tournure inquiétante, lorsque qu’un vague de crimes similaires secoue toute la communauté qui redoute ce mystérieux tueur en série qui semble se focaliser sur les cadres des établissements bancaires de la région. La crise financière qui ravage le pays n’a pas fini de faire des victimes qui ne sont pas celles que l’on croit.

     

    Proies Faciles est avant tout un réquisitoire très engagé visant à dénoncer toutes les dérives d’une économie complètement débridée qui a mis à genoux toute une population, parfois dépouillée des épargnes de toute une vie. Au fil d’une enquête aussi surprenante que trépidante, on découvre un système cynique qui broie les plus faibles tout en les rendant responsables de leur situation. Richement documenté tant sur le plan des procédures policières que sur les mécanismes économiques qui ont mis à mal la nation, Miguelanxo Prado met en place une machination savamment orchestrée où les faiblesses des anciens deviennent des atouts maîtres pour engager tout un processus de représailles machiavéliques révélant ainsi un profond sentiment de désarroi.

     

    Un graphisme soigné, en noir et blanc, réalisé au pinceau et à la peinture acrylique, permet de diffuser toute une palette de tons grisâtres afin de mettre en exergue les contours sombres de cette fable sociale résolument ancrée dans un réalisme sans fard. En guise de préambule, quelques cases distillant une atmosphère lourde pour afficher la tragédie silencieuse qui initiera tout le récit et cette froide logique de vengeance où les victimes deviennent bourreaux. Malgré la pesanteur de la thématique, Miguelanxo Prado parvient à installer une dynamique assez désopilante entre les deux policiers tout en instaurant une certaine gravité que l’on décèle notamment lors des briefings avec l’équipe en charge de l’enquête, des échanges avec la hiérarchie policière et des réunions avec le juge, garant de la procédure judiciaire. C’est par l’entremise de ces échanges que l’auteur décortique tous les processus d’emprunts et de placements hasardeux que les milieux financier ont mis en place durant les années fastes. Mais c’est également en dressant les portraits poignants de ces retraités floués qui témoignent de leur détresse, que l’auteur rend compte de toute l’abjection d’un système financier inique qui spolie les plus faibles et le plus naïfs. Si la trame narrative reste assez classique, le lecteur sera constamment déstabilisé par les rebondissement d’une enquête qui se révèle moins convenue qu’il n’y paraît.

     

    Engagé dans le cadre d’une enquête surprenante, contestataire dans les thématiques qu’il aborde, Miguelanxo Prado s’emploie à dénoncer, avec Proies Faciles, les dérives d’un univers économique sans foi ni loi qui lamine le cœur des hommes tout en broyant leur conscience. Dès lors, dans ce monde sans pitié, les proies dociles se rebellent pour devenir de féroces prédateurs. Tristement et tragiquement édifiant.

     

    Miguelanxo Prado : Proies Faciles (Presas Fáciles). Traduit de l’espagnol par Sophie Hofnung. Editions Rue de Sèvres 2016.

    A lire en écoutant : Suite Espagnole, Op. 47: N° 5: Asturias interprété par Andrés Segovia. Album : The Art of Segovia. 2002 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin.

  • Edyr Augusto : Pssica. Les maudites.

    edyr augusto, pssica, éditions asphalte, Bélem, Guyanne, CayenneRésolument orientées vers les auteurs hispaniques, la maison d’édition Asphalte nous a permis de découvrir des auteurs détonants comme l’espagnol Carlos Zanón (J’ai été Johnny Thunder), le chilien Boris Quercia (Les Rues De Santiago - Tant De Chiens) et le brésilien Edyr Augusto qui a pris l’habitude de situer ses romans dans l’état du Pará où il vit. Trop de sorties, trop de nouveautés et autres mauvaises excuses, il aura fallu attendre le quatrième opus de l’auteur, intitulé Pssica, pour que je découvre l’univers extrêmement violent d’Augusto Edyr qui dépeint la corruption qui gangrène cette région où règne un climat de déshérence sociale laissant la place à des situations d’une insoutenable abjection.

     

    Après avoir filmé leurs ébats, le petit ami de Janilice a décidé de diffuser la vidéo qui se retrouve sur tous les portables des camarades d’école de la jeune fille. Un scandale que ses parents ont de la peine à supporter, raison pour laquelle ils expédient la belle adolescente, à peine âgée de 14 ans, chez sa tante à Belém. Mais la colère fait rapidement place au désarroi lorsqu’ils apprennent que Janilice s’est fait kidnapper dans la rue, en plein jour. Aux portes de la région amazonienne, l’événement est loin d’être isolé. Les forçats de la jungle sont avides de chairs fraîches qui alimentent les bordels. Ne pouvant compter sur les autorités locales corrompues, le père de Janilice supplie Amadeu, un flic retraité, de se lancer à la recherche de la jeune fille. De Belém à Cayenne, débute alors un périple halluciné aux confins de la jungle amazonienne dans laquelle on croise des pirates du fleuve barbares, des garimpeiros brutaux et des macros cruels qui végètent dans un environnement où la vie humaine n’a que bien peu de prix.

     

    Ce qu’il y a de déroutant avec un romans comme Pssica, c’est que l’auteur ne s’embarrasse d’aucune fioriture aussi bien dans le texte que dans sa mise en forme à l’instar des dialogues qui s’enchaînent sans le moindre saut de page en procurant ainsi une sensation de fulgurance encore bien plus intense pour un ouvrage dépourvu du moindre temps mort. Afin d’achever le lecteur, il faut prendre en compte le fait que Pssica est exempt de toute espèce de transition et se dispense de descriptifs servant à magnifier un environnement pourtant peu ordinaire, dans lequel évoluent des personnages aux destinées plus qu’aléatoires. On se retrouve ainsi avec un texte au travers duquel émane une violence quotidienne, d’une rare cruauté puisqu’elle touche particulièrement des enfants asservis à la concupiscence d’adultes dépourvus du moindre scrupule. Âpres et sans fard, les sévices que dépeint Edyr Augusto suscitent un sentiment de malaise parce qu’ils s’inscrivent dans un réalisme qui fait frémir. Mais loin d’être esthétique ou complaisante, la crudité des scène ne fait que souligner la thématique abordée par l’auteur en dépeignant la corruption institutionnalisée dans une région où l’absence de règles et de contrôles qu’ils soient formels ou informels ne font que renforcer ce sentiment de sauvagerie qui règne tout au long d’un récit sans concession. Ainsi les actes brutaux, qui s’enchaînent tout au long de cet ouvrage à l’écriture sèche et dépouillée, ne deviennent plus qu’une espèce de résultante mettant en lumière cet univers sans foi ni loi où l’expression « loi de la jungle » s’éloigne de son sens figuratif pour prendre une dimension plus littérale.

     

    Avec Pssica, nous suivons donc le parcours de Janilice dont le destin prend la forme d’une espèce de malédiction (Pssica) donnant ainsi son titre au roman. Comme une colonne vertébrale dramatique, les péripéties de la jeune adolescente, soumise aux affres des viols à répétition, de la prostitution forcée et dont la tragique beauté va attiser toutes les convoitises, révèlent les sombres desseins des autres protagonistes du roman qui, tour à tour, semblent comme envoûtés à la simple vue de cette jeune fille au charme ravageur. C’est un peu le cas pour Amadeu, cet ancien flic qui s’engage sans grande conviction dans un périple aux résultats incertains, mais dont les recherches vont virer à l’obsession à mesure qu’il remonte les travées du fleuve qui s’enfonce dans la jungle. Ancien militaire angolais, Manoel Toreirhos pensait avoir trouvé refuge au fin fond de cette forêt équatoriale jusqu’à ce qu’il croise le chemin de Preá, membre d’une bande de pirates qui sévissent dans l’estuaire. Une escalade de vengeances poussent les deux hommes à se confronter dans une succession de règlements de comptes qui virent aux carnages en laissant sur le carreau un bon nombre de leurs compères respectifs. Dans ce monde cruel où chacun rend justice à sa manière, les destins s’entremêlent au gré de rebondissements dont les circonstances aussi brutales qu’abruptes remettent en cause tous les parcours des différents acteurs du roman.

     

    A l’image d’une fièvre malsaine, qui brouille l’esprit, Pssica ensorcellera le lecteur pour l’emmener dans cet univers de violence qui agit comme une véritable catharsis afin d’offrir une possibilité de rédemption qui se révélera bien aléatoire. Puissant, troublant et déroutant.

     

    Edyr Augusto : Pssica (Pssica). Editions Asphalte 2017. Traduit du portugais (Brésil) par Diniz Galhos.

    A lire en écoutant : Até o Fim de Madame Saatan. Album : 11 Anos Naas Missào. Doutromundo Musica 2011.

  • VALERIO VARESI : LA PENSION DE LA VIA SAFFI. AU BOUT DES EXTREMES.

    Capture d’écran 2017-04-02 à 20.43.33.pngBien plus épaisse que son manteau Montgomery, la brume semble suivre les pas du commissaire Soneri en se cramponnant aux rives mystérieuses du Pô dans Le Fleuve Des Brumes puis en s’insinuant dans les rues tortueuses de cette ville provinciale de Parme où l’on rencontre, pour la seconde fois, ce policier solitaire chargé de l’enquête du meurtre de la tenancière de La Pension De La Via Saffi. L’occasion de faire plus ample connaissance avec un personnage familier que l’on prend plaisir à retrouver et dont on va découvrir les affres d’un passé tourmenté. Ainsi, en l’espace de deux volumes, Valerio Varesi parvient à entraîner le lecteur francophone dans la jubilation de la découverte d’une nouvelle série aussi dense que prometteuse.

     

    A quelques jours de Noël, Ghitta Tavgliavini, la vieille tenancière de la pension de la via Saffi, ne répond plus. Et pour cause, on retrouve son corps sans vie, étendu dans la cuisine de son appartement. En charge de l’enquête, le commissaire Soneri parcourt les rues de la ville en mettant à jour, au fil de ses pérégrinations, tout un réseau de corruption dont les connections transitent par la pension. Mais au-delà des accointances et des compromissions, le commissaire Soneri se replonge dans les dédales troubles des souvenirs douloureux de sa jeunesse. Car c’est à la pension de la via Saffi qu’il a rencontré sa femme Ada, décédée en accouchant d’un enfant mort-né. Le brouillard trouble la mémoire mais n’atténue pas la douleur et le désir de vengeance.

     

    C’est sur une succession des portraits dressés dans l’atmosphère déliquescente d’une ville embrumée, troublée par le passé de combats idéologiques d’autrefois et dont les réminiscences n’ont de cesse de vouloir s’inviter dans un présent idéalisé que le commissaire Soneri va se charger de résoudre l’énigme que représente ce meurtre oscillant entre les mobiles crapuleux d’une constellation d’édiles corrompus ou le désir de vengeance d’hommes et de femmes en proie aux regrets lancinants et destructeurs d’une insupportable compromission.

     

    En se confrontant au passé d’une épouse disparue tragiquement, idéalisée par la somme d’un chagrin aveugle qu’il porte en lui, le commissaire Soneri va devoir remettre en question ses certitudes et s’impliquer plus qu’il ne le voudrait dans les tréfonds sordides des secrets que détenait la vieille Ghitta Tavgliavini. Montagnarde honnie par les habitants de son village d’origine, cette redoutable rebouteuse n’a eu de cesse, toute sa vie durant, de mettre en place un réseau tentaculaire, constitué de secrets d’alcôve et de biens immobiliers dont la fortune devient l’unique source de respectabilité. Une quête aussi vaine qu’inassouvie puisque la vieille dame ne fait qu’attiser rancœur et haine qui causeront sa perte. Une succession de portraits peu flatteurs mais foncièrement humains hantent ainsi les rues de cette cité rongée par la brume incarnant la nostalgie, les faux-fuyants et les regrets qui assèchent les cœurs de ses habitants. Dans un jeu de filatures nocturnes, le commissaire Soneri arpente les rues d’une ville animée par les rencontres occultes de protagonistes sournois dont les idéaux paraissent avoir été relégué aux oubliettes. L’enquête devient incertaine, presque trouble et vaporeuse au point tel que le policier semble parfois vouloir s’en détacher complètement. Pour ne pas perdre pied, le commissaire Soreni pourra compter sur Angela qui s’extirpe du rôle volage qu’elle endossait dans Le Fleuve de Brumes pour incarner une femme bien plus consistante et bien plus ensorcelante que dans l’opus précédent.

     

    La ville de Parme prend également une place importante dans le cœur du récit en alimentant les thématiques liées aux idéologies d’un passé qui ne restitue désormais plus qu’une succession de monuments à la gloire des rouges et des noirs alors que les convictions d’autrefois se sont délitées dans la convoitise d’un pouvoir qui a laissé place à la compromission. Elle permet également d’appréhender ces quartiers populaires du centre-ville qui se sont désertifiés avant que les vagues d’immigrés prennent possession des lieux pour être délogés à leur tour par la convoitise des promoteurs immobiliers. Un lieu incertain où ne subsistent plus que quelques vagues souvenirs et que quelques petits commerçants qui entretiennent le mythe à l’exemple du barbier Bettati. D’autres personnages originaux vont agrémenter ce récit qui prend quelques consonances chaleureuses par le biais des plats mitonnés par Alceste, le restaurateur du Milord où le commissaire Soneri a ses habitudes en dégustant les recettes typiques d’une région qu’il affectionne et qu’il arrose avec quelques bonnes bouteilles de vin.

     

    Souvent comparé à l’illustre commissaire Maigret, Soneri présente davantage de similitudes avec Duca Lamberti le personnage emblématique du romancier Giorgio Scerbanenco. En effet, ce sont des événements personnels dramatiques qui donnent cette stature si particulière à ces deux enquêteurs qui sortent résolument de l’ordinaire. Néanmoins, les récits de Valerio Varesi empruntent quelques tonalités poétiques pour mettre en scène une vision nostalgique et désenchantée d’un pays embrumé par les remords et les regrets à l’instar des locataires de La Pension De la Via Saffi. Envoûtante et maîtrisée, la série mettant en scène le commissaire Soneri se révèle être l’un des très belles découvertes de la maison d’édition Agullo.

     

    Valerio Varesio : La Pension De La Via Saffi (L’Affittacamere). Editions Agullo 2017. Traduit de l’italien par Florence Rigollet.

    A lire en écoutant : Una Notte Disperata de Musica Nuda. Album : Complici. Bonsaï Music 2011.

  • James Crumley : Le Dernier Baiser. L’ivresse du voyage.

    james crumley, le dernier baiser, éditions gallmeisterUn bon roman policier doit-il forcément être mal écrit ? Telle était la question que se posait un chroniqueur commentant un mauvais roman policier helvétique que je ne citerai pas. Pour y répondre, il suffit de recommander, parmi tant d’autres, toute l’œuvre de James Crumley qui ne laisse place à aucun doute quant à la qualité de l’écriture et du style d’un auteur qui n’a pourtant jamais bénéficié d’une grande notoriété, ce qui est fort regrettable. Afin de réparer cette injustice, les éditions Gallmeisters ont décidé de publier l’intégralité de ses romans en nous proposant une nouvelle traduction de Jacques Mailhos qui rend davantage justice aux textes originaux de ce romancier hors norme. Cette belle démarche éditoriale a débuté avec Fausse Piste et se poursuit avec Le Dernier Baiser qui met en scène, pour la première fois, les aventures du détective C. W. Sughrue.

     

    C’est n’est pas une sinécure lorsque le détective privé C. W. Sughrue doit se lancer à la poursuite de Trahaerne, une célèbre poète qui s’est mis en tête de fréquenter tous les bars de l’ouest du pays. Mais il faut admettre que la famille de l’écrivain s’est montrée plutôt généreuse, ceci d’autant plus que les notes de frais sont illimitées. De motels décatis en rades atypiques, le détective retrouve l’écrivain dans un bar miteux de la côte ouest et fait la connaissance de Rosie, une vieille barmaid, qui lui confie une nouvelle affaire. Il s’agit de retrouver sa fille Betty Sue Flowers qui n’a pas donné signe de vie depuis dix ans. En compagnie du poète alcoolique, Sughrue entame une longue quête fiévreuse afin de retrouver la jeune fille disparue. Un parcours chaotique, nimbé de violence, d’alcool et d’une pointe acide d’humour.

     

    Avec James Crumley, il faut toujours s’attendre à être quelque peu bousculé en s’embarquant à la suite de héros déjantés, portés sur la boisson. Et il faut bien l’avouer, l’auteur s’y connaît en la matière en distillant son goût immodéré pour la bibine au fil de pages qui exhalent de forts relents d’alcool tout en donnant le tournis. C’est d’ailleurs lorsqu’il se lance dans le descriptif de libations outrancières qu’il parvient à mettre en place des actions dantesques où la folie et la violence virent parfois au burlesque. Mais on aurait tord de s’arrêter uniquement sur l’aspect insensé d’un texte qui révèle davantage d’émotions qu’il n’y paraît. C’est ce qui transparaît de manière particulièrement flagrante avec Le Dernier Baiser où l’on fait la connaissance de Chauncey Wayne Sughrue qui, tout comme Milo Milodragovich, officie en tant que détective privé dans la petite ville de Meriwether. Probablement moins extraverti que son collègue, ceci particulièrement lorsqu’il perd le contrôle après un excès de boisson, Sughrue possède une sensibilité à fleur de peau qui le pousse à s’impliquer plus qu’il ne le devrait dans une enquêtes pour laquelle sa fascination pour cette jeune femme disparue joue un rôle prépondérant, tout comme les autres personnages secondaires féminins qui prennent le contrôle d’une intrigue riche en péripéties. Émancipées, elles se révèlent parfois vulnérables mais également extrêmement redoutables aussi bien dans leur quête d’indépendance que dans le contrôle de leur entourage. James Crumley nous propose ainsi une galerie de portraits de femmes fortes, déterminées autour desquelles se met en place, de manière aussi subtile qu’insidieuse le drame qui clôturera le récit.

     

    Succédant à Chabouté, c’est Thierry Murat qui s’est chargé d’agrémenter Le Dernier Baiser avec une succession d’illustrations qui subliment un roman exceptionnel. De cette manière, le lecteur peut s’élancer sur la route des grands espaces de l’ouest américain que l’auteur s’emploie à dépeindre avec la force lyrique d’une écriture précise et soignée. Chaque mot semble avoir été considéré, pesé et travaillé afin de nourrir des phrases racées permettant d’illustrer, parfois de manière audacieuse, les paysages mais également les ressentis des personnages qui jalonnent le roman. Par l’entremise de dialogues à la fois incisifs et envoûtants, dotés de répliques percutantes, on perçoit une espèce de souffle épique et un certain romantisme nuancé par une sensation de désenchantement qui transparaît tout au long d’un roman qui se dispense de toute forme d’illusion. Car avec Le Dernier Baiser, James Crumley, en narrateur chevronné qu’il est, détient l’art redoutable de clouer le cœur du lecteur au travers d’un roman noir d’une puissance peu commune.

     

    James Crumley : Le Dernier Baiser (The Last Good Kiss). Editions Gallmeister 2017. Traduit de l’anglais (USA) par Jacques Mailhos.

    A lire en écoutant : Long Lonely Road de Valerie June. Album The Order Of Time. Concord Music Group, Inc 2017.