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furieux sauvages

  • URS SCHAUB : LA SALAMANDRE. UN VILLAGE SI TRANQUILLE.

    Capture d’écran 2017-02-26 à 22.44.11.pngAprès avoir découvert les territoires urbains de la ville de Zürich en compagnie du détective privé Vijay Kumar créé par Sunil Man (La Fête des Lumières, 2013 et L’Autre Rive, 2015) la maison d’éditions Furieux Sauvages nous propose une autre escapade alémanique du côté du pays des Trois Lacs (Neuchâtel, Bienne et Morat) avec La Salamandre du dramaturge bâlois Urs Schaub. Au cœur de cette région bilingue, aux caractéristiques plutôt rurales, l’auteur nous entraîne à la suite du commissaire Simon Tanner, personnage récurrent d’une série de cinq romans policiers.

     

    Au terme d’un séjour d’une année dans un pays nordique, le commissaire Simon Tanner est de retour au pays avec les reliquats d’une histoire d’amour chaotique. Lorsqu’il débarque au petit matin sur le quai de la gare de son village, le commissaire croise un mystérieux jeune homme qui descend du même train et qui semble encore plus désemparé que lui. Rapidement, le policier apprend que le jeune homme vient d’Espagne où il prétend avoir été incarcéré à tort durant cinq ans, pour avoir transporté une quantité non négligeable de stupéfiants. Malgré ce tableau peu reluisant l’individu, bien qu’un peu perturbé, inspire plutôt confiance. C’est pour cette raison que Simon Tanner va accepter de garder la valise qu’il lui confie. Un crime vieux de plusieurs décennies, d’anciens missionnaires suisses ayant officiés en Afrique, une étrange communauté religieuse isolée, il s’en passe des choses sur les bords de ce lac embrumé. Et si le lien entre ces différents événements se trouvait dans le contenu de la valise, ceci d’autant plus que son propriétaire a mystérieusement disparu.

     

    Avec La Salamandre on s’achemine vers un roman policier d’atmosphère distillant une lente intrigue peu ordinaire qui se décline au rythme de la torpeur hivernale émaillant cette région lacustre embrumée. Au cœur de ces décors mélancoliques on pense immédiatement aux ambiances des récits de Friedrich Dürrenmatt ou de Friedrich Glauser où les frimât de l’hiver sont contrebalancés par l’ambiance chaleureuse des auberges dans lesquelles les protagonistes échangent confidences et confessions autour des plats locaux de la région. Urs Schaub parvient ainsi à capter cette ambiance villageoise où les non-dits et les secrets des habitants alimentent une succession de rebondissements plutôt surprenants pour un récit qui prend son temps mais où l’on ne s’ennuie jamais.

     

    Quatrième roman de la série, mais premier opus traduit en français, La Salamandre met en scène le commissaire Simon Tanner et quelques autres personnages secondaires qui semblent récurrents. A la fois discret et épicurien le policier est doté d’une grande sensibilité et d’un solide sens de l’écoute lui permettant de recueillir les confidences des protagonistes et de progresser dans ses enquêtes en officiant principalement dans les établissements culinaires de la région qu’il fréquente avec une assiduité qui frise la dévotion. Outre l’aspect gastronomique, on découvre la région des Trois Lacs par l’entremise des longues promenades de ce commissaire intuitif qui n’aime rien tant que de s’abandonner dans ces errances pour mettre de l’ordre dans ses nombreuses réflexions tout en observant son environnement et son entourage. Au gré du récit on décèle quelques éléments dont une histoire d’amour nordique qui a probablement fait l’objet de développements dans les romans précédents. Mais loin de prétériter la compréhension de l’histoire ces éléments donnent, au contraire, un supplément d’épaisseur d’âme pour un personnage qui n’en était d’ailleurs pas dépourvu.

     

    En abordant la thématique des sectes, Urs Schaub a choisi de s’attaquer à un sujet délicat qu’il aborde avec beaucoup de finesse et de subtilité en s’attardant sur les connexions entre les édiles des villages voisins et les membres de cette communauté religieuse qui est parvenue à s’intégrer dans la région et à cohabiter avec le voisinage dans une relative ouverture au monde extérieure qui s’opère par le biais d’actions charitables et du commerce d’objets artisanaux de qualité. Mais au-delà d’apparences spirituelles plutôt pacifiques, l’auteur parvient à mettre en scène toute une tension dramatique dépourvue d’effets sensationnels permettant de s’immerger dans un contexte réaliste qui va se révéler bien plus inquiétant qu’il n’y paraît.

     

    Habitué, avec les Furieux Sauvages, à une haute exigence éditoriale, on déplorera le trop grand nombre de coquilles qui ponctuent cette impression mais qui, fort heureusement, n’interfèrent pas dans la qualité d’un roman qui capte avec une belle justesse l’essence de ce climat helvétique en restituant cette ambiance si particulière aux krimis alémaniques. Une belle écriture teintée d’une certaine poésie au service d’une intrigue extrêmement dense, La Salamandre est un roman captivant et envoûtant. Une belle découverte.  

     

    Urs Schaub : La Salamandre. Editions Furieux Sauvages 2016. Traduit de l’allemand par Anne Dürr.

    A lire en écoutant : Emmige interprété par Stephan Eicher. Album : Hôtel S – Stephan Eicher’s Favorites. Interowners 2001.

  • Le polar suisse n'existe pas.

    Capture d’écran 2016-11-17 à 23.45.10.pngChroniques du noir

    Chronique publiée pour le journal littéraire Le Persil, numéro spécial polar romand.

     

    Flic, amateur de polars. C’est ainsi que l’on me désigne lorsque l’on évoque les chroniques du noir que je rédige, depuis plus de cinq ans, pour un blog dont la thématique est dévolue aux romans noirs et aux polars. J’ignore si cette formulation est empreinte d’une certaine condescendance, d’une forme de mépris ou si elle ne sert qu’à déterminer tout simplement, de manière factuelle, ce que je suis, à savoir policier depuis 26 ans et passionné du genre littéraire depuis toujours. Au regard de mon métier et de mon intérêt pour ce type de romans, on me demande fréquemment si j’ai embrassé la carrière de policier en fonction des polars que j’ai lus ou si l’un d’entre eux aurait pu influencer mon orientation professionnelle. Je dois avouer que la corrélation entre ces deux activités est extrêmement tenue et, pour être tout à fait clair, je ne suis pas devenu policier parce que je lisais ce type de romans, tout comme je ne me suis pas intéressé aux polars par rapport au choix de mon métier. Finalement, si j’aime le noir, ce n’est pas pour prolonger une quelconque succession de sensations que la profession me prodigue quotidiennement, mais parce qu’il autopsie plus qu’aucune autre littérature ne saurait le faire toute l’abondance des malaises d’une société au travers de l’histoire ou plus précisément du roman d’un crime.

     

    Capture d’écran 2016-11-17 à 23.49.15.pngC’est très souvent par le biais du genre littéraire noir que l’auteur s’emploie à décortiquer un modèle social pour mettre en exergue les carences, les non-dits et les fragilités d’un milieu ou d’un environnement bouleversé par le fait divers qui s’incarne dans le sursaut de fureur, de révolte ou de désespoir d’un individu ou d’un groupe transgressant des normes et des valeurs dans lesquels ils ne se reconnaissent plus. En cela, de nombreux textes émanant du roman noir prennent une forme de revendication lorsqu’ils évoquent par exemple la fermeture d’une usine dans Aux Animaux la Guerre (Actes Sud, 2016) de Nicolas Mathieu ou la pollution d’une friche industrielle dans Le Dernier Jour d’un Homme (Rivages, 2010) de Pascal Dessaint, quand ce n’est pas le modèle suédois dans son entier qui est examiné sous toutes ses coutures par Maj Sjöwall et Per Walhöö où le couple d’auteurs met en scène les enquêtes du commissaire Martin Beck dans l’édition intégrale du Roman d’un crime en dix volumes (Rivages 2008-2010).

     

    Particulièrement en Suisse romande, l’origine d’un blog consacré au noir réside dans la volonté de partager ces lectures, des romans moins formatés, dont les médias traditionnels ne parlent que très peu et qui peinent parfois à trouver leur place sur les étals des librairies. Car contrairement à ce que l’on prétend, le lecteur ne trouve pas forcément le livre qu’il souhaite. Dans sa quête, il doit tout d’abord franchir les murailles du même roman ornant les entrées des chaînes de librairie, contourner les ouvrages en tête de gondoles campés devant les tables de présentoir et faire fi du matraquage médiatique consacré aux mêmes auteurs de best-sellers. Une orientation forcée que l’on retrouve également dans le paysage numérique du livre. Au fil des années, force est de constater qu’un blog dédié aux romans noirs et aux polars, loin de compléter l’offre journalistique, devient un substitut à une déficience et un silence médiatique assourdissant, particulièrement en ce qui concerne un genre qui reste, aujourd’hui encore, bien trop décrié. Et ce ne sont pas les romans calibrés pour le plus grand nombre qui vont contribuer à réhabiliter le noir aux yeux d’une intelligentsia intellectuelle qui affiche à la fois sa méconnaissance et son mépris pour ce type de littérature.

     

    La constitution d’un blog chroniquant romans noirs et intrigues policières m’a permis de découvrir tout un monde de l’édition que je ne connaissais que très peu et de côtoyer d’autres blogueurs amateurs du genre policier à l’instar de sites comme Encore du Noir, Le Vent Sombre ou Le Blog du Polar de Velda qui mettent en évidence la diversité des très nombreuses parutions qu’ils valorisent dans la rigueur d’articles de qualité. Car, pour se démarquer de la kyrielle de blogs littéraires, il est indispensable de s’imposer quelques principes éditoriaux permettant de susciter un certain intérêt auprès des lecteurs en quête de découvertes. C’est ainsi qu’au-delà de leurs démarches littéraires, je me distancie des auteurs, ne cherchant pas à compiler ou à collectionner autographes et autres selfies que je pourrais récolter dans les salons et festivals que je ne fréquente d’ailleurs que très rarement. Il en va de même pour les maisons d’édition qui me sollicitent pour effectuer du service presse, démarche que je refuse régulièrement, estimant que pour promouvoir le livre, il m’apparaît comme essentiel d’en faire l’acquisition avec ses propres deniers, bénéficiant ainsi d’une certaine indépendance critique et d’une absence de contrainte dans le choix de mes lectures. Fort de cette autonomie, je ne cherche finalement ni à plaire ni à déplaire à l’ensemble des acteurs composant le paysage littéraire du polar et du roman noir car, aussi positif ou négatif qu’il soit, il importe de développer un argumentaire étayé pour rédiger une critique forcément empreinte d’une dose de subjectivité en rapport au lecteur que je suis, m’appropriant le livre au travers de mes propres perceptions. Il faut avouer que les déceptions restent plutôt anecdotiques, car l’expérience et la constellation de contacts constitués au cours de toutes ces années permettent de détecter plus aisément les ouvrages suscitant l’enthousiasme.

     

    Capture d’écran 2016-11-17 à 23.54.00.pngFestivals, salons du livre, numéros hors-série, depuis quelque temps, on assiste à l’émergence du noir à laquelle les grands noms de l’édition du polar ont contribué depuis tant d’années à l’instar de Rivages/Noir qui, aujourd’hui encore, reste l’une des références emblématiques du genre. David Peace, James Ellroy ou Hervé Le Corre sont les quelques auteurs qui conjuguent qualités narratives avec un style éprouvé qui a marqué et marquera encore toute une génération de lecteurs. Dans un registre plus confidentiel, on appréciera la ligne éditoriale de la maison d’édition Gallmeister qui s’oriente vers les auteurs nord-américains comme Lance Weller avec Wilderness (2013), Benjamin Whitmer avec Pike (2015) et la redécouverte de toute l’œuvre de James Crumley dont la nouvelle traduction de Fausse Piste (2016) illustrée par Chabouté. Nombreux sont ces auteurs américains qui ont d’ailleurs dépassé la catégorisation des codes et des genres littéraires. Toujours plus confidentiels, il faut saluer des maisons d’édition comme La Manufacture de Livres et sa collection « Territori », permettant de mettre en évidence quelques perles noires comme Clouer l’Ouest (2014) de Séverine Chevalier, qui restera l’un des tout grand roman noir qu’il m’ait été donné de lire. On pourra citer également les éditions Asphalte contribuant à promouvoir des auteurs hispaniques tels que Carlos Zanon avec J’ai été Johnny Thunders (2016) ou Boris Quercia mettant en scène l’inspecteur Quiñones dans Les Rues de Santiago (2014) et Tant de Chiens (2015). Et il ne s’agit là que d’un petit florilège d’auteurs bousculant les idées reçues d’un genre qui n’a plus rien à prouver.

     

    Le polar suisse, par contre, n’existe pas. Il s’inscrit malheureusement dans une dimension régionale dont les rares exceptions comme Martin Suter, Sunil Man et quelques autres ne font que confirmer ce triste constat. Dans un contexte de marché, on oppose le krimi alémanique au polar romand en arguant le fait qu’il ne s’agit pas du même public, renonçant ainsi, au sein d’une nation multilingue, à faire les frais d’une traduction. Un manque d’audace et d’ambition que l’on retrouve d’ailleurs dans la méconnaissance crasse du milieu littéraire romand en ce qui concerne le noir. Ainsi l’émergence du polar en suisse romande s’inscrit-elle dans le sillage des modèles de best-seller à l’exemple de Vargas, Läckberg et Musso, qui deviennent les références des écrivains romands se lançant parfois maladroitement dans le genre noir. Certes, on peut écrire un roman noir ou un polar sans en avoir lu, cela reste même préférable plutôt que de succomber aux influences des auteurs les plus visibles et de s’égarer dans la sempiternelle course au succès qui s’incarne avec l’affichage sur les réseaux sociaux du nombre d’exemplaires vendus ou de son classement dans les grandes chaînes de librairies. Plaire au plus grand nombre, parfois au détriment de l’histoire, semble être le credo de ces écrivains en quête de consécration.

     

    En dépit de ce tableau funeste, il faudra s’intéresser aux nombreux acteurs participant à cette émergence du polar suisse romand qui parviennent à mettre en avant toutes les qualités narratives d’un genre en pleine effervescence auquel le collectif Léman Noir (2012), mené par Marius Daniel Popescu, a largement contribué avec ce recueil de nouvelles noires édité par BSN Press, maison dirigée par Giuseppe Merrone. Ce passionné du polar propose régulièrement des textes d’auteurs consacrés du noir, Jean Chauma ou Joseph Incardona, mais également de belles découvertes : Le Parc (2015) d’Olivier Chapuis, par exemple, est un véritable travail d’orfèvre made in Switzerland.

     

    Il faudra examiner la belle collection de polars originaux, rassemblés au sein des Furieux Sauvages, maison d’édition créée par Valérie Solano, qui s’ingénie à mettre en exergue une autre Suisse que celle que l’on dépeint habituellement. Il faudra également s’attarder sur l’œuvre de Daniel Abimi mettant en scène les pérégrinations du journaliste Michel Rod et de son comparse l’inspecteur Mariani, dont les enquêtes sont parues chez Bernard Campiche, et qui incarne idéalement l’esprit du roman noir troublant la douce quiétude qui prévaut sur les rivages du lac Léman.

     

    Du noir, encore et toujours du noir, que ce soit par le biais d’un blog ou d’un autre support, vous découvrirez un autre pan fascinant de la littérature où auteurs et éditeurs romands s’inscrivent de manière magistrale dans l’autopsie d’une nation dont la noirceur ne cessera pas d’éclabousser les pages des nombreux romans à venir.

     

    LAUSAN'NOIR FESTIVAL DU POLAR : 18 & 19 NOVEMBRE.
    ESPACE ARLAUD
    Place de la Riponne 2 bis - 1005 Lausanne

    A lire en écoutant : Birdland de Patti Smith. Album : Horse. Arisa Records 1975

    Crédit photos : Isabelle Falconnier/Le Persil

     

  • Guy-Olivier Chappuis : Sous le Viaduc. A la rupture.

    Capture d’écran 2016-11-06 à 23.58.37.png

    Chronique publiée pour le journal littéraire Le Persil, numéro spécial polars romands.

     

    Sous le viaduc est le premier roman du journaliste suisse Guy-Olivier Chappuis qui dévoile les turpitudes d’une puissante multinationale aux prises avec des altermondialistes intrusifs. Une intrigue librement inspirée d’un fait d’actualité réel où la multinationale Nestlé avait mandaté l’entreprise Securitas pour infiltrer le groupe altermondialiste Attac.

     

    Un couple retrouvé mort sous le viaduc de l’A12 à la lisière des cantons de Vaud et de Fribourg et voici Louis-Marie Prokowski, surnommé Proc, chargé d’une enquête intercantonale qui ne l’intéresse guère. Coureur de jupons invétéré, l’inspecteur de la police cantonale vaudoise s’est fait remettre à l’ordre et reléguer à une fonction de subalterne après avoir séduit une collègue dans une voiture de service. Désabusé, il promène son mal de vivre et sa frustration d’être désormais le subordonné d’une charmante commissaire qui le dirige à la baguette. Pourtant les investigations vont prendre une tournure étrange qui mènera l’inspecteur sur les traces d’un père qu’il n’a jamais connu.

     

    Une fois encore avec la maison d’édition Les Furieux Sauvages, il faut tout d’abord s’attarder sur le contenant avant d’entamer le contenu pour apprécier le livre comme un bel objet renfermant une histoire dont quelques indices sont distillés sur un protège-couverture déroutant où l’on distingue le dessus d’un crâne dégarni et une mystérieuse clé ornant la couverture de l’ouvrage. Puis lorsque l’on s’installe dans la lecture, on appréciera immanquablement le soin apporté à l’impression avec une belle typographie soignée permettant d’appréhender le récit dans les meilleurs conditions.  

     

    Ainsi on découvre avec ce nouvel auteur, les imbroglios d’une enquête intercantonale dans laquelle on distingue toute l’expérience du journaliste chevronné, doté d’une vision acérée permettant ainsi de mettre en exergue toute les complications qu’implique une investigation de cette nature avec ses carences et ses rivalités. Du mordant avec une pointe de sacarsme qu’il met entre les mains de son personnage principal c’est ce que l’on perçoit sur toute la durée de ce récit emprunt d’une certaine originalité que l’on retrouve notamment au travers de protagonistes atypiques pourvus de quelques traits caricaturaux qui servent l’aspect satyrique d’une trame policière qui sort de l’ordinaire.

     

    La force de Guy-Olivier Chappuis est donc de distiller une ironie mordante tout au long de cette enquête dont quelques entournures prennent parfois une expression mélancolique. Il dresse ainsi le portrait de Proc, ce flic vaudois un peu borderline, amateur de vins locaux, qui rompt sa solitude avec des aventures sans lendemain sous le regard imperturbable de son chat Clooney. La galerie des personnages secondaires est bien étoffée et haute en couleur avec une attirante commissaire qui n’est pas dénuée de force et d’intelligence, un brocanteur véreux, un vieux gangster brutal à la santé déclinante et ce chef de service veule autour duquel tournent toutes les manigances de l’entreprise. Une écriture vive et acérée, parfois détonante, donne à l’ensemble du roman un dynamisme décoiffant pour une intrigue ponctuée de scènes d’action percutantes qui se déroulent dans les beaux décors de la Riviera vaudoise et de l’arrière-pays fribourgeois.

     

    Pertinent et impertinent, Sous le Viaduc permet de s’immerger dans toutes les strates d’une société helvétique plus trouble qu’il n’y paraît en passant des buvettes et cafés populaires aux vénérables salons d’entreprises internationales sur une déclinaisons de paysages attrayants en suivant les pérégrinations d’un flic à la fois troublant et attachant que l’on souhaite retrouver pour d’autres aventures.

     

    Dans le cadre du festival du polar Lausan’noir retrouvez Guy-Olivier Chappuis et Valérie Solano, le vendredi 18 novembre 2016 :

    12h45 Du journalisme au polar

    Corinne Jaquet a fait 10 ans de chronique judiciaire à Genève avant de se lancer dans le polar, tout comme le journaliste vaudois Guy-Olivier Chappuis, auteur de « Sous le viaduc » (Sauvages). Un bagage précieux.

    13h30 Editer du polar en Suisse romande

    Giuseppe Merrone, éditeur et fondateur de BSN press, Valérie Solano créatrice de la maison d’édition des Sauvages et Jacques Leresche, éditeur de Rompol, nous expliquent comment ils parviennent à dénicher l’écriture qui nous fera frissonner.

     

    Guy Olivier Chappuis : Sous Le Viaduc. Editions des Sauvages/Collection des Furieux Sauvages 2016.

    A lire en écoutant : Hope I Don’t Fall In Love With You de Tom Waits. Album : The Early Years Vol. II. Bizarre/Straight Records 1993.

  • SUNIL MANN : L’AUTRE RIVE. UN INDIEN A ZURICH.

    Capture d’écran 2015-05-02 à 22.24.35.pngLorsqu’une série démarre, il y a toujours un peu d’appréhension lors de la découverte du second opus comme c’est le cas pour L’Autre Rive de Sunil Mann qui nous livre la deuxième enquête de son détective privé d’origine indienne Vijay Kumar. C’était avec la Fête des Lumières que l’on avait rencontré ce détective atypique arpentant les rues d’une ville de Zürich désormais classée  au premier rang des cités les plus chères du monde et au second rang des villes possédant la meilleure qualité de vie. Dans ce contexte d’une Suisse aux villes florissantes, les récits de Sunil Mann prennent une certaine intensité en pointant tous les aspects peu reluisants d’une société qui se voudrait être un modèle du genre.

     

    Dans une forêt proche de l’aéroport de Zürich, on découvre le corps sans vie d’un jeune migrant. Congelée, les membres brisés, la victime semble être tombée d’un avion dans lequel elle se serait introduite clandestinement. C’est en tout cas à cette conclusion qu’arrive Vijay Kumar qui accompagne son ami journaliste José sur les lieux de la tragédie. L’affaire serait donc vite classée s’il n’y avait pas ce mystérieux commanditaire enjoignant le détective indien à faire la lumière sur les circonstances troubles de ce décès. D’une piste à l’autre, Vijay Kumar va évoluer dans le milieu gay pour traquer un mystérieux personnage souhaitant à tout prix dissimuler ses préférences sexuelles.

     

    Des notables de la ville, aux migrants vivant dans la clandestinité, Sunil Mann parvient, avec un rare talent, à dresser tous les portraits de la scène gay zurichoise, sans pour autant verser dans une vision caricaturale. Parfois sensible, drôle ou franchement glauque, nous découvrons les différentes castes de ces protagonistes empêtrés dans un lourd voile d’apparences et de bienséances. C’est sous le poids du conformisme que ces personnages, en lutte avec eux-mêmes, doivent évoluer dans une ville qui derrière son apparence bienveillante, peine à accepter la différence. Chasses et tabassages d’homos, reprogrammations spirituelles, Sunil Mann nous livre un portrait réaliste et sans concession d’une société en proie à de lourdes intolérances sur l’orientation sexuelle que d’ailleurs le droit pénal suisse ne sanctionne toujours pas au niveau des discriminations.

     

    Malgré la gravité du thème, il y a dans le texte de Sunil Mann cet humour corrosif qui émaille les dialogues en donnant à l’ensemble du récit une certaine légèreté. On apprécie toujours autant Vijay Kumar et son entourage, car il s’agit de personnages réalistes dont les évolutions s’avèrent particulièrement pertinentes en donnant d’avantage de relief à une histoire qui n’en manquait d’ailleurs pas. L’intégration d’une famille de migrants de première et seconde génération reste l’un des thèmes de prédilection de Sunil Mann. Avec un portrait poignant du père de Vijay, l’auteur parvient à nous exposer avec une belle sensibilité toute la problématique de l’insertion de ces premières vagues de migrants qui ont tout donné sans prendre le temps de s’intégrer, occupés qu’ils étaient à travailler sans compter pour le bien-être de leurs familles. Le Kreis 4 (arrondissement) où réside notre détective reste toujours aussi pittoresque, même si les lumières des bars à champagne et des sex-shops prennent des tonalités mélancoliques dans cette atmosphère hivernale d’une ville qui semble comme prête à s’endormir dans la quiétude des convenances.

     

    L’Autre Rive est un récit habile et dynamique qui ne manque pas de suspense, sans pour autant tomber dans les artifices des rebondissements outranciers. Un bel équilibre entre le portrait social, l’enquête policière et la comédie de mœurs font de Sunil Mann un auteur à part qui mérite le détour. Du bon polar helvétique !

     

    Sunil Mann : L’Autre Rive. Traduit de l’allemand par Ann Dürr. Editions des Furieux Sauvages 2015.

    A lire en écoutant : Pass Them By de Agnes Obel. Album : Aventine. Agnes Obel released 2013. PIAS Entertainment group.