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France - Page 26

  • DOA : PUKTHU – SECUNDO. LA GUERRE EST UN BUSINESS.

    DOA, pukhtu secundo, pukhtu, série noire, éditions gallimardAvec Pukhtu – Primo, DOA nous avait entraîné au cœur des méandres du conflit afghan en mettant en scène l’implacable vengeance d’un chef de clan décidé à exterminer les membres d’un groupuscule de mercenaires américains responsables de la mort de plusieurs membres de sa famille. Au terme de cette première partie, l’auteur nous laissait sur le seuil d’une confrontation sanglante entre les paramilitaires et le chef de guerre pachtoune. Tout aussi dense, tout aussi fouillé, c’est peut dire que l’on attendait le second volume, Pukhtu – Secundo, avec une certaine impatience, couplée à une légère appréhension en se demandant comment l’on allait pouvoir se replonger dans les circonvolutions d’une histoire complexe, peuplée d’une myriade de personnages qui s’entrecroisent dans un chassé-croisé géopolitique subtil.

     

    Rien ne va plus à Kaboul et dans ses environs. Loin d’être maîtrisé le conflit afghan s’enlise dans une succession d’échauffourées et d’attentats de plus en plus meurtriers, tandis que les trafics en tout genre prennent une ampleur de plus en plus conséquente à mesure que la guerre dégénère. Dans cette poudrière, chacun tente de tirer profit du conflit et les mercenaires de l’agence américaine 6N sont davantage préoccupés par le trafic d’héroïne qu’ils ont mis en place avec l’aide de Montana, un haut responsable d’une officine des services secrets français. Pourtant les problèmes surviennent. Tout d’abord il faut faire face à la froide vengeance de Sher Ali décidé à exterminer tous les membres de la compagnie qui ont tué sa fille chérie Badraï, victime collatérale d’un raid meurtrier. Il y a également ces deux journalistes fouineurs désireux de mettre à jour l’économie souterraine du commerce de l’héroïne. Et pour couronner le tout, il y a cet ancien agent clandestin que l’on a tenté d’éliminer en Afrique et qui va bouleverser toute la donne lors d’un périple sanglant le menant des côtes africaines, en passant par Paris, jusqu’au cœur des montagnes afghanes. Cet homme solitaire et déterminé, également ivre de vengeance, va demander des comptes à l’ensemble des responsables de la mort de sa compagne enceinte.

     

    En guise de préambule, une brève synthèse de l’opus précédent permet au lecteur de s’immerger très rapidement dans ce récit vertigineux qui s’ouvre sur de nouvelles perspectives. En effet, avec Pukhtu – Secundo, DOA se concentre principalement sur le périple d’un nouveau personnage qui entre en scène pour bouleverser toutes les dynamiques misent en place dans le premier roman. Ainsi la démarche vengeresse de Sher Ali Kahn trouve un écho avec celle de Servier, alias Lynx qui, du Mozambique à Paris, va également mettre à mal toute l’organisation criminelle servant à couvrir ce trafic de drogue international décrit avec minutie dans le premier ouvrage. C’est sur l’échiquier parisien que se déroule une grande partie du récit avec des dynamiques de surveillances et de contre-surveillances qui ressemblent furieusement à celles que l’on rencontrait dans Citoyens Clandestins, ceci d’autant plus que l’on retrouve un très grand nombre des personnages de ce roman. Néanmoins, Pukhtu – Secundo recèle quelques surprises, notamment dans le fait que les vindictes de Sher Ali Kahn et de Servier, trouvent rapidement leurs épilogues respectifs dans des confrontations sanglantes et violentes permettant de s’intéresser davantage aux conséquences de ces représailles qui trouveront une conclusion commune dans les vallées montagneuses de l’Afghanistan.

     

    Avec cette écriture dynamique et précise, DOA met en scène des opérations clandestines pertinentes et réalistes qui alimentent un indéniable climat de tension et de suspense trouvant bien souvent leurs dénouements dans des confrontations aussi vives que sanglantes. Néanmoins pour bon nombre d’entre elles on ne peut s’empêcher d’éprouver un certain sentiment de répétition, ceci d’autant plus que l’auteur semble avoir mis de côté tout l’aspect géopolitique que l’on découvrait dans le premier roman et qui constituait l’une des grandes originalités du récit. Ainsi l’interventionnisme américain en Afghanistan ne rencontre plus qu’un faible écho tout comme l’aspect organisationnel du trafic de drogue qui est complètement abandonné. On le perçoit également par le biais de ces personnages secondaires dont l’auteur ne sait plus trop quoi faire et dont les destins s’achèvent dans des conclusions un peu trop abruptes à l’instar de cette jeune Chloé dont le portrait bien trop stéréotypé restera l’une des grandes faiblesses du récit.

     

    Alors que Pukhtu – Primo était davantage axé sur l’aspect géopolitique du conflit afghan, Pukhtu – Secundo s’inscrit dans une dimension résolument orientée sur l’esprit d’action et d’aventure qui comblera ou décevra les lecteurs en fonction de leurs attentes. On reste tout de même subjugué par le périple de Servier dans les vallées afghanes qui constitue l’un des points forts du roman. Pour dissiper une éventuelle déception qui peut émaner de ce second volume, il conviendra peut-être d’appréhender le cycle Pukthu dans son ensemble, ceci d’une seule traite, pour apprécier les indéniables qualités narratives d’un récit incroyablement documenté qui sort résolument de l’ordinaire.

     

    DOA : Pukhtu - Secundo. Editions Gallimard – Série Noire 2016.

    A lire en écoutant : Head in the Dirt de Hanni El Khatib. Album : Head in the Dirt. Innovative Leisure 2013.

  • Eric Maneval : Inflammation. Vers un autre monde.

    Capture d’écran 2017-01-02 à 06.23.59.pngQualifié de culte, bon nombre de lecteurs auront été indéniablement marqués par Retour à la Nuit, second roman d’Eric Maneval paru en 2009 aux éditions Ecorces dirigées par Cyril Herry (son premier roman intitulé Eaux paru en 2000 est désormais introuvable) puis réédité en 2015 à la Manufacture de Livres pour la collection Territori. Il faut dire que l’auteur s’était emparé des codes du thriller pour bâtir un roman à la fois étrange et épuré où de nombreuses questions soulevées demeuraient sans réponses, nécessitant un surcroît d’interprétation de la part du lecteur, pouvant générer un sentiment de frustration. Marque de fabrique de l’écrivain, celui-ci s’inscrit dans le même registre avec Inflammation, thriller inquiétant s’engouffrant sur la voie de l’ésotérisme en s’inspirant des événements tragiques de la secte de l’Ordre du Temple Solaire.

     

    La fureur de l’orage ne saurait retenir Liz. Elle prend la voiture et disparaît dans le crépuscule, sous la pluie battante. Folie passagère ou acte désespéré ? Son mari Jean est complètement dépassé et ne peut comprendre les raisons qui ont poussé sa femme à prendre ainsi la fuite. Et le message téléphonique où Liz, en pleurs, demande pardon, ne fait qu’amplifier son désarroi. Jean est désormais seul avec leurs deux enfants et des questions auxquelles il va falloir trouver des réponses. Et à mesure qu’il cherche, des éléments inquiétants se mettent en place dans une logique inquiétante qui dépasse tout entendement.

     

    Inflammation est un récit assez court, doté d’une écriture aussi sèche qu’efficace se concentrant sur l’essentiel tout en captant cette atmosphère d’angoisse et de tension inhérente au genre. La brièveté du roman permet ainsi au lecteur de suivre, quasiment d’une traite, les pérégrinations de Jean, ce père de famille complètement perdu découvrant la part d’ombre des nombreuses personnes composant son entourage, dont son épouse Liz. La première partie de l’ouvrage dépeint la quête de cet homme assommé par la souffrance liée au doute quant au devenir de sa femme disparue. La seconde partie s’emploie à donner des éléments de réponse sur fond de complot pharmaceutique couplé à une dimension spirituelle et ésotérique qui vire à la tragédie. Un épilogue équivoque, comme une espèce de mise en abîme, achèvera de laisser le lecteur avec cet étrange sentiment de perplexité et cette curieuse sensation d’être passé à côté du récit. Certains s’en contenteront pour considérer comme normal qu’en adoptant le seul point de vue de Jean on ne puisse obtenir qu’une vison fragmentaire et lacunaire des événements. Finalement la frustration réside dans le choix de l’auteur qui s’est focalisé sur le personnage le moins intéressant du récit ce qui explique, par exemple, que l’on ne puisse déceler les motivations des différents protagonistes intervenant dans le cours de l’histoire. Au final on peut se demander où l’auteur a-t-il voulu en venir avec ce roman ?

     

    On décèle bien sûr quelques thématiques liées à la désillusion et à la déliquescence du cercle familiale mais cela reste bien maigre par rapport à la somme de sujets abordés, surtout dans la seconde partie du récit. On pourrait également évoquer cet éternel antagonisme entre la science et la spiritualité avec une dimension horrifique en lien avec la découverte d’une mystérieuse molécule engendrant de monstrueuses mutations comme un châtiment divin dépassant les hommes de science. Mais au gré des débats, parfois animés, sur les réseaux sociaux entre les différents blogueurs et lecteurs qui ont affiché leurs divergences, Eric Maneval est intervenu en constatant que la plupart des personnes ayant lu le livre semblaient être passées à côté d’une dimension importante du livre ce qui l’a poussé à communiquer par le biais d’une interview accordée au blog du Polar de Velda que vous retrouverez ici et dont voici un extrait.

     

    Je vais tâcher de répondre sans dévoiler trop de choses. Effectivement, la scène finale peut et doit renvoyer à l’affaire de l’OTS (Ordre du Temple solaire). Dans les diverses critiques, peu de gens ont fait le rapprochement, cette affaire a dû disparaître de la mémoire collective  (il se pourrait qu’elle ressurgisse car certaines pistes, plus ou moins crédibles,  font le lien avec le meurtre de Mme Marchal (affaire Omar Raddad)). Bref, soit le lecteur connaît cette histoire et il fait le rapprochement, soit il ne la connaît pas.

     

    Communiquer sur un livre ou en expliquer certaines références n’augure rien de bon quant aux qualités contextuelles de l’ouvrage et l’on ne saurait imputer aux lecteurs une méconnaissance des événements ou un quelconque oubli de faits réels. Il incombe à l’auteur de faire en sorte que les références soient suffisamment perceptibles afin d’appréhender sereinement le contexte évoqué. Mais par égard aux survivants ainsi qu’aux proches des victimes des massacres de l’OTS, Eric Maneval n’a pas souhaité effectuer cette démarche et s’est même distancé de ces drames. Dès lors on peine à comprendre le raisonnement de l’écrivain car loin d’en constituer l’essentiel de la trame, les allusions à cette affaire apparaissent comme diffuses, presque anecdotiques même si l’on en décèle tout de même quelques une au gré de l’histoire, à l’instar du fameux transit qu’évoque un des protagonistes du roman :

    C’est sympa, merci, mais moi aussi je vais partir. Je vais disparaître pour mieux renaître, ailleurs. (Page147).

     

    Ou le modus operandi de mise à feu pour la tragédie finale qui rappelle les événements de 1994 qui se sont déroulés notamment sur les communes de Salvan et de Cheiry et qui ont marqué toute la région de Suisse romande :

    Il appuie sur une touche de son téléphone et déclenche le système de mise à feu. (Page 175).

     

    Toutefois ces quelques éléments épars ne sauraient constituer une thématique sur les sectes, ceci d’autant plus que l’auteur a curieusement renoncé à en mentionner ne serait-ce que le mot. Il dépeint une communauté dirigée par un individu portant un titre ecclésiastique ce qui achève de brouiller les pistes, expliquant ainsi le fait que peu de personnes aient fait consciemment le rapprochement. Et on revient au même problème lié à l’aveuglement d’un personnage principal peu captivant dont on suit en permanence le point du vue, ce qui nous prive logiquement de toutes les dimensions inhérentes à l’endoctrinement ou au basculement vers une folie mystique.

     

    En définitive, les explications de l’auteur ne font que souligner les carences d’un roman qui, bien que brillamment écrit, passe complètement à côté de son sujet. Avec Inflammation il faudra se laisser porter par le récit sans en comprendre le sens. Mais y en a-t-il seulement un ?

     

    Eric Maneval : Inflammation. Editions La Manufacture de Livres/Territori 2016.

    A lire en écoutant : The Chamber of 32 Doors de Genesis. Album : The Lamb Lies Down on Broadway. Virgin Records Ltd 1974.

  • Hervé Le Corre : Du Sable Dans la Bouche. Le sacre du désespoir.

    hervé le carre, du sable dans la bouche, éditions rivages, polar bordeaux, conflit basqueLa mort dans l’âme, il faut parfois savoir renoncer à s’inscrire dans le courant enthousiaste des chroniqueurs encensant un roman comme Après la Guerre d’Hervé Le Corre. Car dans cette déferlante de louanges unanimes que pourrait-on ajouter de plus qui n’a pas été dit ? Alors, après deux ans de silence, il ne reste peut-être plus qu’à exprimer simplement son impatience à l’idée de retrouver cet auteur majeur du polar français. Aussi, pour nous faire patienter, Rivages/Noir a choisi de publier Du Sable Dans la Bouche, dans une nouvelle édition entièrement révisée pour ce roman paru en 1993 chez Gallimard pour la collection Série Noire (n° 2327).

     

    Mathilde marche dans les rues de Bordeaux. Elle est sortie de prison et elle boite. Elle laisse derrière elle les quelques amis qui n’osent évoquer le drame d’autrefois. Difficile de réveiller les vieux souvenirs enfouis. Ce groupuscule d’autonomistes basques traqués par un tueur psychopathe à la solde des services secrets espagnols. Est-ce au nom d’un amour de jeunesse ou de ses anciennes convictions que Pierre s’est mis en tête d’aider les membres de cette cellule terroriste. Un démarche dangereuse, d’autant plus que les flics français ont mis en place un traquenard machiavélique pour appréhender les fugitifs. Mathilde marche dans les rues de Bordeaux. Elle est sortie de prison et elle boite. Mais la démarche est assurée car elle a fait l’acquisition d’un fusil. Il est des meurtrissures plus profondes dont on ne saurait guérir.

     

    L’essouflement des convictions, la résignation et le sursaut dont l’ensemble est imprégné d’une logique de vengeance tels sont les thèmes qu’Hervé Le Corre aborde avec une habilité narrative singulière où, par exemple, la conjugaison des temps désigne les différentes périodes de l’histoire permettant ainsi de se dispenser de dates ou autres notions temporelles. Car finalement c’est en cela que l’auteur se distingue, avec quelques autres, dans cette maîtrise de la langue qu’il manipule avec un talent indéniable pour servir un récit à la fois poétique et implacable.

     

     A bien des égards, Du Sable Dans la Bouche contient de nombreux éléments qui composeront la trame d’Après la Guerre. Outre l’inexorable parcours de représailles, on retrouvera des thématiques qui accompagnent toute l’œuvre de l’auteur à l’instar de ces femmes vulnérables devenant les victimes expiatrices de bourreaux manipulateurs. Dans Du Sable Dans la Bouche, Mathilde incarne donc ce personnage à la fois déterminé et fragile, en rupture total qui va demander réparation. L’enjeu du roman consiste à déterminer les raisons qui poussent la jeune femme à s’engager sur cette voie de la violence en entraînant le lecteur dans une longue analepse mettant en scène des protagonistes inquiétants comme Angel Matanzas, tueur froid et déterminé, prenant un plaisir sadique à malmener ses victimes avant de leur ôter la vie. Mais plus retords et finalement plus monstrueux il y a ces flics ambitieux n’hésitant pas à manipuler et sacrifier des vies sur l’autel de la raison d’état pour mettre en place une opération visant à interpeller un groupe d’indépendantistes basques.

     

    Avec ce récit dense et ramassé Hervé Le Corre ne s’attarde pas vraiment sur le contexte du combat lié au nationalisme basque pour se concentrer principalement sur les protagonistes et leurs divers degrés d’implication dans cette lutte armée. Ayant choisis plus ou moins sciemment de s’engager dans le conflit on assiste au rapprochement entre Emilia la combattante déterminée et Pierre l’ancien syndicaliste qui renoue avec des convictions qu’il avait mises de côté depuis bien des années. Sympathie pour la cause ou reliquat d’un amour défunt, les motifs de Pierre sont incertains mais mettront en péril le couple qu’il vient de former avec sa compagne Mathilde qui est totalement étrangère au conflit basque. Impliquée malgré elle, la jeune femme subira les affres de cette guerre sans nom dans une inéluctable spirale de violence.

     

    L’ambiance est triste et froide, à l’image du contexte hivernal dans lequel évoluent les différents protagonistes. Dans cette ville de Bordeaux, ainsi que dans les campagnes landaises transies on s’imprègne d’une atmosphère pesante et désenchantée qui alimente toute la noirceur d’un récit cruel où la barbarie et la compromission ne laisse aucune place à un quelconque perspective de probité et d’intégrité.

     

    Un récit solide, une intrigue forte, Du Sable Dans la Bouche décline toute la nébulosité d’une implication belliqueuse dont les conséquences mettront à mal tous les principes de victimes qui deviennent forcément bourreaux. Un texte lumineux servant la noirceur d’un roman au souffle désespéré.

     

    Hervé Le Corre : Du Sable Dans la Bouche. Edition Rivages/Noir 2016.

    A lire en écoutant : La Ville S’endormait de Jacques Brel. Album : Les Marquises. Barclay 1977.

  • ANTONIN VARENNE : CAT 215. TOUJOURS PLUS LOIN, TOUJOURS PLUS FOU.

    antonin varenne, cat 215, territori, la manufacture de livresLe format change tout comme la région, mais la qualité reste la même avec Cat 215 très court et intense roman d’Antonin Varenne publié au sein de la collection Territori de la Manufacture de Livres en s’éloignant des régions rurales de la métropole afin de s’engouffrer dans le sillon d'une pelleteuse mécanique se frayant un chemin à travers l’épaisse jungle de la Guyane.

     

    Marc, mécano sans le sou, avec une famille à nourrir, n’hésite pas bien longtemps à l’attrait de l'offre d’un ancien associé véreux qui lui propose de retourner en Guyane pour réparer une pelleteuse Caterpillar, modèle Cat 215, tombée en rade en pleine jungle. Moteur à changer pour que l’engin puisse être acheminé, à l’insu des autorités, vers un camp d’orpaillage permettant d’accélérer l’extraction du métal précieux. Au bout d’une piste chaotique, Marc rejoint la machine immobile et l’équipe chargée de la convoyer, composée d’un ancien légionnaire parano et d’un guide brésilien mutique. Dans cette jungle équatoriale, les tensions sont palpables et la violence menace d’éclater à tout instant. Une simple question de temps.

     

    A peine six pages pour poser le contexte et nous faire passer des frimât d’un hiver campagnard à la moiteur étouffante d’une jungle. On mesure ainsi tout le talent d’Antonin Varenne capable de nous faire basculer en quelques mots d’un univers à un autre et de distiller ensuite, tout au long d’un texte captivant, un climat et une ambiance oppressante qui sont finalement les moteurs essentiels de cette intrigue. Un livre de sensation et d’impression dans lequel on perçoit les bruits et les odeurs de cette forêt équatoriale où les hommes s’égarent dans un mélange de folie et de convoitise. Comme absorbés par la jungle, ils retournent peu à peu à l’état sauvage tandis que cette pelleteuse mécanique incarne l’ultime vestige d’une civilisation vouée à disparaître.

     

    Ainsi, dans cette forêt luxuriante, les arbres deviennent des murailles infranchissables et l’immensité de la jungle se transforme en une cage exiguë où gravitent désormais Marc le mécano, Joseph le légionnaire et le guide Alfonso. Dans ce décor aussi mystérieux qu’étouffant, la tension s’installe comme une fièvre sournoise et s’empare de la raison des trois hommes accablés par la chaleur et l’humidité pour nous laisser pantois au seuil d’une folie dont le paroxysme et la conclusion seront à la charge de l’imagination du lecteur permettant de prolonger durablement l’intensité de ce roman percutant.

     

    Cat 215, c’est un roman sec et tranchant comme la lame affûtée d’une machette.

     

    Antonin Varenne : Cat 215. Editions La Manufacture de Livres/Territori 2016.

    A lire en écoutant : Eldorado de Bernard Lavilliers. Album : Nuit d’Amour. Barclay 1981.

  • ANTONIN VARENNE : BATTUES. QUASIMODO ET JULIETTE.

    antonin varenne, battues, La manufacture de livres, éditons écorces, territoriiLa collection Territori, dirigée par Cyril Herry, s’est toujours distinguée en nous livrant de somptueux romans noirs célébrant le monde rural français tout en découvrant des auteurs dont les textes travaillés, ciselés, aux styles si particuliers ont séduit bon nombre de lecteurs à l’instar de Grossir le Ciel, Plateau de Frank Bouysse, Crocs de Patrick K Dewdney ou Clouer l’Ouest de Severine Chevalier. Avec Battues, Antonin Varenne se démarque de ses camarades d’écriture en nous livrant un roman pourvu d’une intrigue complexe et d’une mise en scène ambitieuse sur fond d’affrontement entre deux familles de notables.

     

    Le Plateau des Millevaches, R. une agglomération déclinante sur laquelle les clans des Courbiers et des Massenet règnent comme des despotes. Les exploitations forestières appartiennent aux premiers tandis que les seconds dirigent les domaines agricoles de la région. On travaille pour les Courbier ou pour les Messenet et on se tait, car derrière les rivalités, il existe également les petites accointances indispensables pour se répartir, au mieux, le territoire. Mais vingt ans après l’accident, neuf jours après la découverte du premier cadavre et douze heures après la fusillade, Michèle Massenet raconte son retour dans cette ville honnie. Revenue pour son père malade, elle voulait surtout revoir Rémi le garde-forestier défiguré qui semble être au cœur de ces intrigues. Une histoire d’amour qui résonne comme une malédiction.

     

    Avec Battues, Antonin Varenne fait une démonstration éclatante de son sens de l’intrigue et de son art de la mise en scène pour nous livrer un roman noir dont certains échos résonnent comme un lointain western rural à l’image de Haut-Fer de José Giovanni, se déroulant également dans le contexte des exploitations forestières. Battues est un récit éclaté où la temporalité des principaux événements passés et à venir s’inscrit au gré des titres de chaque chapitre, accroissant ainsi la tension narrative d’une histoire qui n’en manquait pas. L’auteur dévoile également des parties de son intrigue par l’entremise d’interrogatoires menés par le commandant de gendarmerie Vanberten, témoin presque impuissant des règlements de compte qui se trament dans la région. Tout comme les titres des chapitres qui rythment le récit, ces interrogatoires font état de faits dont le lecteur n’a pas encore pris connaissance, renforçant ainsi la puissance de cette théâtralité narrative.

     

    S’il y a une myriade de personnages, l’auteur se focalise sur Michèle, la fille rebelle de la famille Massenet, et sur Rémi le garde-forestier autour duquel tourne toutes les intrigues. Un personnage atypique, dont les stigmates d’un accident agricole ravage toute une partie de son visage en le contraignant à faire un usage immodéré de codéine destinée à soulager les douleurs toujours présentes. L’homme à la recherche de Philippe, un collègue de l’Office National des Forêts mystérieusement disparu, va mettre à jour les arrangements douteux entre les deux grands propriétaires terriens de la région. De rixes brutales en tentatives de meurtre, Rémi est la proie de règlements de compte violents que la compagnie de gendarmerie ne semble pas être en mesure de pouvoir juguler.

     

    Antonin Varenne met ainsi en exergue ces exploitations forestières et cette agriculture intensive qui s’inscrivent dans une logique de profit au détriment du respect des ressources naturelles que dénoncent tant bien que mal des groupuscules écologistes, ceci parfois au péril de leur vie, comme on le découvrira au détour du roman. Autour de ces luttes féroces, l’auteur met également en scène le quotidien des habitants d’une ville qui se désagrège en ponctuant son récit de petites anecdotes mettant en lumière toute la vicissitude de cette communauté.

     

    Le roman est donc intense et extrêmement dense avec cette kyrielle d’intervenants et d’événements ponctuant un récit tout en maîtrise. Cela est peut-être dû à cette écriture simple, sans fioriture, au style rapide et direct qui permet au lecteur de se concentrer sur le corps du récit tout en s’immergeant dans cette terre sauvage que l‘auteur expose avec une passion dénuée d’excès. Les paysages, la flore et surtout la faune servent ainsi ce roman haletant à l’instar de cette battue, donnant le titre à l’ouvrage et devenant surtout l’un des points d’orgue d’un récit où se décline la beauté farouche d’une violence savamment maîtrisée.

     

    Oui, maîtrise est bien le mot idéal permettant de définir ce roman puissant. Battues, un roman à lire sans retenue.

     

    Antonin Varenne : Battues. La Manufacture des Livres/Editions Ecorce Territori 2015.

    A lire en écoutant : Retourne Chez Elle d’Ariane Moffat. Album : Le Cœur Dans la Tête. Les Disques Audiogrammes 2005.