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France - Page 22

  • François Médéline : Tuer Jupiter. Mort d’une Icône.

    Capture d’écran 2018-09-30 à 22.49.48.pngDestinés à attiser la curiosité du lecteur, les bandeaux ornant les livres de la rentrée littéraire sont désormais légions et peuvent également faire office d’avertissement comme c’est la cas pour Tuer Jupiter, le nouveau roman de François Médéline mettant en scène la mort du président Macron, victime d’un obscur complot impliquant les grands dirigeants de l’ordre mondial. Un drôle de nouveau monde. La fiction politique de la rentrée, le message est clair tout comme cet avant-propos de l’éditeur réitérant le fait qu’il s’agit avant tout d’une création littéraire et non d’un pamphlet ou autre critique politique s’inscrivant dans les récents scandales émaillant cette nouvelle présidence. C’est d’ailleurs mal connaître l’auteur que de le taxer d’opportuniste comme j’ai pu le voir dans quelques retours de lecture où l’on s’étonnait également de la brièveté d’un récit ne faisant que survoler le sujet. Il faut dire que ces quelques détracteurs s’attendaient, avec une fiction politique, à un texte conséquent à l’image des deux romans précédents de l’auteur, La Politique Du Tumulte (La Manufacture de Livres 2012) et Les Rêves De Guerre (La Manufacture de Livres 2014). Mais c’est à nouveau mal connaître François Médéline que de s’attendre à ce qu’il se plie aux exigences des codes pour satisfaire son lectorat  en préférant nous livrer un texte à la fois vif et aérien offrant, au gré d’un périple à rebours du temps, quelques épisodes originaux et parfois audacieux de l’assassinat annoncé d’une figure politique élevée au rang d’icône.

     

    #RIPEM. Les hashtags rendant hommage au président Emmanuel Macron fleurissent sur la toile du réseau social. C’est donc le dimanche 2 décembre 2018 que l’on assiste à l’ensevelissement du jeune président de la République lâchement empoisonné  dans ce qui apparaît comme un attentat revendiqué par Daesch. Cérémonie au Panthéon conduite par Brigitte Macron, discours vibrant de Gérard Collomb, les hommages sont à la fois dignes et poignants. Mais à la remontée du temps on découvre les arcanes d’un complot où barbouzes et autres groupuscules inquiétants façonnent l’identité de cet Olivier Barnerie, alias Abdelkader Al-Faransi, un ancien néonazi devenu salafiste convaincu. Etrange parcours. Mais entre manipulations et compromissions, les dirigeants des grandes nations sont prêts à tout pour dissimuler leurs obscurs desseins, quitte à sacrifier Jupiter sur l’autel de son nouveau monde.

     

    Tuer Jupiter, il y a bien évidemment, dans ce titre, comme un goût de folie et de provocation, qui correspond d’ailleurs bien à l’état d’esprit de son auteur qui nous entraîne, au gré d’une narration à rebours endiablée, aux origines d’un complot sinistre mettant en scène les turpitudes des grands hommes de pouvoir à l’image de Trump ou de Poutine, mais également de ceux qui font partie de l’entourage du président Macron. En connaisseur avisé du monde politique pour lequel il a travaillé, François Médéline restitue, avec une insolente aisance, toute la mécanique, parfois retorse, des arcanes d’un pouvoir suprême autour duquel gravite une kyrielle d’individus prêt à en découdre pour en obtenir quelques miettes. Dans une espèce de mécanique de la désacralisation, le lecteur va assister à la panthéonisation du chef d’état défunt puis à l’embaumement du corps d’Emmanuel Macron pour finir avec quelques instants d’intimité entre Bibi et Manu qui font écho à ceux de la famille Trump ou de l’entourage de Poutine. Des échanges qui pourraient prêter à sourire, s’il n’y avait pas ce sentiment d’assister à une grande kermesse mondiale dirigée par quelques personnages aux comportements parfois complètement infantiles avec ce sentiment que l’on se joue de tout et particulièrement de la vie des autres qui n’a plus du tout la même valeur dans ces hautes sphères du pouvoir.

     

    Outre la folie et l’outrance, François Médéline prend soin d’instaurer tout au long de l’intrigue un sentiment de confusion dans le réalisme de sa fiction qui se traduit dès les premières pages avec cette série de tweets émanant de vrais ou de faux profils de personnalités commentant la mort du président français. Ainsi l’on serait prêt à rire du commentaire de Brigitte Macron lorsque l’on s’aperçoit que l’on a été tout simplement dupé par l’auteur qui met ainsi en exergue notre propre crédulité. Car avec Tuer Jupiter il est également question de manipulations médiatiques avec cette sarabande de manchettes de journaux, de commentaires Facebook, de blogs et autres moyens de communication qui mettent en lumière cet univers 2.0 dans lequel tout le monde peut s’immiscer pour mieux se perdre dans le chaos de cette hyper communication excessive.

     

    Pouvoir et communication avec pour corollaire cette manipulation de tous les instants, on retrouve, au fil d’un texte aux accents « ellroyiens », toute la mécanique précise de la préparation d’un attentat avec quelques scènes saisissantes comme cette agression dantesque à Aubervilliers qui devient le point central du roman où tout bascule entre le projet et la mise en place du complot en faisant implicitement référence au fameux braquage de Underworld USA.Et puis, comme une espèce de mise en abîme, il y a cette scène étrange se déroulant sur un catamaran où le manipulateur instaure un climat de confiance et de dépendance avec sa victime tandis que François Médéline achève son roman sur voilier au large de l’Atlantique. Paradoxalement, c’est dans l’isolement d’un navire voguant au milieu de l’océan, bien loin de toute cette hyper connectivité que l’on fustige, que le vieux barbouze peut mettre en place des liens forts avec celui qui deviendra l’auteur de l’attentat.

     

    Mise en exergue des egos démesurés de dirigeants infantiles,Tuer Jupiter devient effectivement la rare, voire la seule fiction politique de cette rentrée littéraire où l’audace et la pertinence d’une intrigue fulgurante remplit pleinement toutes ses promesses en livrant aux lecteurs une vision à la fois piquante et intelligente des arcanes du pouvoir.

     

    François Médéline : Tuer Jupiter. La Manufacture de livres 2018.

    A lire en écoutant : Aux Armes Et Caetera de Serge Gainsbourg. Album : Aux Armes Et Caetera. Universal 1979.

     

  • FREDERIC PAULIN : LA GUERRE EST UNE RUSE. FRENCH UNDERWORLD.

    éditions agullo, la guerre est une ruse, frédéric paulinOn recense près de six cent ouvrages publiés qui se bousculent sur les présentoirs des librairies, à l’occasion de la rentrée littéraire où la logique de diversité cède peu à peu le pas à un constat plutôt effrayant où l’on s’aperçoit que le livre est en train de tuer le livre. Difficile, dans un tel contexte, qu’un ouvrage puisse émerger ou que l’on soit capable de le désigner comme étant le grand roman de cette rentrée à moins d’avoir lu l’ensemble des livres parus. Pourtant il convient d’affirmer haut et fort que La Guerre Est Une Ruse de Frédéric Paulin figure justement parmi les romans qui vont compter dans ce paysage littéraire encombré et qu’il faut impérativement découvrir ce récit remarquable qui couvre la période trouble des événements méconnus de la guerre civile d’Algérie des années 90 jusqu’au terrible attentat du RER à la station Saint-Michel. Première partie d’une trilogie annoncée, les éditions Agullo ne se sont pas trompées en accueillant dans leur collection leur premier roman français intégrant, avec une rare intelligence, une intrigue prenante où les faits historiques s’enchevêtrent à la fiction permettant d’appréhender avec une belle clairvoyance les contours d’une situation géopolitique complexe mais ô combien passionnante.

     

    En 1992, l’Algérie entre dans une phase sanglante de répression avec l’armée prenant le contrôle du pays en interrompant le processus législatif qui voit la victoire des partis islamistes. Ce sont désormais quelques généraux, les «janvieristes», qui tiennent les rênes du pouvoir. Dans ce contexte de guerre civile, Tedj Benlazar, agent du DGSE, observe les rapports troubles et les liens étranges qui s’opèrent entre le DRS, puissant Département du Renseignement et de la Sécurité et les combattants du Groupe Islamique Armé. Manipulations, infiltrations, tous les moyens sont bons pour ces militaires s’accrochant au pouvoir afin de faire en sorte d’obtenir le soutien de la France pour poursuivre leur combat acharné contre les groupuscules terroristes, quitte à exporter le conflit du côté de l’ancienne métropole. Localisation d’un camp de concentration, évasion massive d’un pénitencier et autres rafles féroces dans la casbah, Tedj amasse les preuves et les renseignements sans parvenir à convaincre sa hiérarchie. Il y a pourtant urgence, car des hommes déterminés comme Khaled Kelkal sont prêts à déverser leur haine et leur folie destructrice dans les rues de Paris.

     

    Perspicacité et efficacité, à n’en pas douter le lecteur se retrouve rapidement embarqué dans ce contexte historique intense où l’on découvre cette décennie noire de guerre civile qui ensanglanta l’Algérie au début des années 90. En débutant son récit par la localisation d’un « camp de sûreté » à Aïn M’guel, une région désolée subsaharienne où la France effectua des essais nucléaires sans prendre la moindre précaution vis à vis des habitants victimes, aujourd’hui encore, des effets radioactifs dévastateurs, l’auteur parvient en quelques chapitres à saisir aussi bien les effets pernicieux de la colonisation que les exactions des autorités algériennes tenant à tout prix à éviter que le pays ne devienne un république islamique. Partant de ce principe, tous les moyens sont bons pour y parvenir. Tortures, infiltrations, manipulations et déportations massives, dans un climat de violence institutionnalisée, Frédéric Paulin dresse un panorama sans concession et absolument captivant des officines qui contribuèrent à maintenir au pouvoir une clique de militaires détenant une légitimité imparable en se proclamant « sauveurs de l’Algérie ».

     

    Parce qu’il parvient à concilier un souffle romanesque dans une dimension historique où les personnages fictifs côtoient les acteurs réels qui ont joué des rôles importants durant cette période meurtrière à l’instar de Khaled Kelkal ou du général Toufik ; parce qu’il parvient également à mettre en scène des faits tangibles, mais méconnus, qui ont marqué l’actualité algérienne à l’exemple de ces 1'200 prisonniers qui se sont évadés du pénitencier de Tazoult, Frédéric Paulin entraîne le lecteur dans le tumulte de cette guerre civile en mettant en perspective l’attentisme des autorités françaises soucieuses de préserver leurs intérêts économiques sans trop vouloir s’impliquer dans cette lutte armée qui pourrait ressurgir sur leur territoire. Et c’est bien évidemment tout ce basculement du conflit d’un pays à l’autre que l’auteur décrit avec une précision minutieuse tout au long de cette fresque dantesque qui prend l’allure d’un réquisitoire sévère ne versant pourtant jamais dans la diatribe vaine et inutile.

     

    Avec un texte précis dont l’énergie folle nous rappelle les meilleurs romans d’Ellroy, Frédéric Paulin, en conteur hors pair, parvient à saisir, avec une acuité déconcertante, toute la densité d’une situation géopolitique complexe sans pour autant perdre le lecteur dans la multiplicité des intentions parfois contradictoires des diverses factions rivales. C’est en partie dû au fait que l’on suit, avec constance, les pérégrinations de Tedj Benlazar, cet agent du DGSE qui devient le témoin de ces circonvolutions historiques d’une époque trouble en bénéficiant de l’aide et du regard avisé de son mentor vieillissant, le commandant  Bellevue, vieux briscard des renseignements français. Plongé au cœur de l’action, le personnage de Tedj Benlazar ramène constamment le lecteur vers une dimension plus humaine des terribles événements qui ponctuent cette intrigue au souffle à la fois dense et épique. Et pour compléter ce regard plus terre à terre, on appréciera également, dans le registre des personnages fictifs, ces portraits de femmes que l’on croise au cours du récit en apportant toute une palette d’émotions salutaires permettant d’entrevoir tout l’aspect tragique des victimes collatérales à l’instar de Gh’zala fille de la Casbah ou de Fadoul, la maîtresse de Bellevue. Bien plus que des faire-valoir, ces femmes de caractère contrent les velléités des bourreaux tout en faisant face à leur destin en incarnant une certaine forme de résistance qui prendra probablement plus d’importance dans la suite de cette trilogie annoncée.

     

    Vision saisissante d’une guerre civile à la fois méconnue et monstrueuse basculant imperceptiblement sur la thématique anxiogène du terrorisme frappant les nations occidentales La Guerre Est Une Ruse est un roman essentiel nous permettant de poser un regard lucide sur ce personnage du terroriste que l’on aurait tendance à nous présenter comme un monstre sorti de nulle part à l’image de ce que l’on a pu faire avec le phénomène des sérial killers. Exactions, radicalisations et manipulations, ce constat clairvoyant n’en est pas moins effrayant car Frédéric Paulin place l’humain au cœur du récit avec tout ce qu’il y a de plus terrible pour qu’il puisse parvenir à ses fins, quitte à employer la ruse comme moyen ultime. Un roman époustouflant qui laisse présager une suite dont la force d’impact ne manquera pas de heurter le lecteur de plein fouet.

     

    Frédéric Paulin : La Guerre Est Une Ruse. Editions Agullo 2018.

    A lire en écoutant : Rock El Casbah de Rachid Taha. Album : Tékitoi. Barclay 2004.

     

  • Jean-François Vilar : Nous Cheminons Entourés De Fantômes Aux Fronts Troués. Pour ne pas oublier.

    jean-français vilar, nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués, éditions du seuil, éditions pointsQue ce soit dans les médias, sur les réseaux sociaux ou sur les blogs, il n'est plus question que de rentrée littéraire qui débarque de plus en plus tôt sur les étals de nos librairies avec une cohorte d'ouvrages grands formats reléguant les collections de livres de poche dans les rayonnages. Si vous n'êtes pas encore enfiévré par cette quête des nouveautés et si vous fouinez un peu, peut-être aurez-vous la chance de dénicher un roman de Jean-François Vilar. Peu importe le titre, prenez-le. Vous ne le regretterez pas car il s'agit de romans noirs d'une grande envergure tant au niveau de l'écriture qu'au niveau de l'intrigue où l'on perçoit l'engagement politique de l'auteur comme militant trotskiste. Durant les vingt-et-une dernières années de sa vie, Jean-François Vilar n'a publié que deux nouvelles et on peut se dire qu'avec un roman comme Nous Cheminons Entourés De Fantômes Aux Fronts Troués, publié aux éditions du Seuil en 1993,il n'avait peut-être plus rien d'autre à ajouter en parvenant au sommet de son art. Evoquant notamment l'écrasement du Printemps de Prague, dont on "célèbre" les 50 ans, Nous Cheminons Entourés De Fantômes Aux Fronts Troués aborde, avec une certaine forme de désenchantement empreint de nostalgie, plusieurs époques révolues comme la lutte des proches de Trotski qui doivent survivre à Paris en 1938 ainsi que l'effondrement du mur de Berlin en 1989 et cette fameuse révolution de Velours qui précipita la chute du Parti communiste tchécoslovaque.

     

    En 1989, après trois ans de captivité, le photographe Victor Blainville débarque à Paris avec son compagnon d'infortune Alex Katz. On parlerait bien de cette libération des deux otages, mais l'actualité se trouve soudainement chamboulée avec l'annonce de la chute du mur de Berlin. Déboussolé, Victor peine à retrouver ses repères, ceci d'autant plus que son appartement a été complètement vidé. Tant bien que mal, la vie reprend son cours lorsque survient la mort d'Alex. Un malheureux accident ? Une exécution ? Qui peut le dire ? Victor trouvera peut-être la réponse dans le mystérieux journal du père d'Alex qu'on lui a confié. Rédigé en 1938, il découvre les événements d'une autre époque qui semblent faire écho à cette période chamboulée. Et si l'histoire n'était qu'un éternel recommencement ? Un adage funeste où les fantômes se rappellent aux bons souvenirs de ceux qui survivent.

     

    Il s’agit bien d’une balade à la fois funèbre et poétique dans ces rues de Paris qui deviennent des lieux ou plutôt des liens de transition pour passer d’une époque à l’autre en déterrant les secrets enfouis dans les méandres de l’histoire. Bâtiments, monuments, tout est prétexte pour suivre les pérégrinations hasardeuses de Victor Blainville ce photographe presque désinvolte dont on ignore les circonstances de sa captivité qui l’a éloigné de Paris durant trois années. Un mystère de plus pour ce guide étrange, presque las de tout, dont le nom rend hommage à Marcel Duchamp qui fait partie de ce courant surréaliste que l’auteur affectionne tant. Il en sera d’ailleurs constamment question tout au long du récit où nous aurons l’occasion de croiser André Breton, Salvatore Dali, Paul Delvaux et bien d’autres notamment au cours de cette première exposition internationale du Surréalisme se déroulant en 1938. Une année charnière de l’intrigue puisqu’il s’agit également de la période où Lev Sedov, le fils de Trotsky, meurt dans d’étranges circonstances qui seront évoquées sous la forme d’un mystérieux journal qui ne recèle que la « vérité » de son auteur mais qui va offrir à Victor une espèce d'échappatoire salutaire. Engagements et trahisons, Jean-François Vilar met en scène avec une belle intensité tous les aléas d’une lutte dévoyée qui n’a plus rien de révolutionnaire mais dont l’inspiration reste éternel. Texte érudit mais complètement accessible, c’est par le prisme de cette littérature noire que l’auteur parvient à secouer l’histoire dans le choc des circonstances et des rencontres improbables. De l’audace des surréalistes aux conflits larvés entre staliniens et trotskistes, des étreintes dans un hôtel que fréquentait Burrough et Kerouac à l’effervescence de cette Révolution de Velours, Jean-François Vilar romance l’histoire avec le talent de celui qui en maîtrise toutes les arcanes dans un entrelacs d’époques qu’il nous projette au travers d’intrigues qui ne doivent pas forcément apporter toutes les réponses. Dans ce labyrinthe de rues et de passages obscurs, le lecteur s’égare ainsi dans l’incertitude de personnages refusant de livrer tous leurs secrets et va cheminer, parfois en vacillant, entourés de fantômes et de regrets mais avec la conviction d’avoir découvert un grand roman noir que l’on ne pourra pas oublier.

     

    Jean-François Vilar : Nous Cheminons Entourés De Fantômes Aux Fronts Troués. Editions du Seuil 1993. Edition Points 2014.

    A lire en écoutant : Body And Soul de John Coltrane. Album : Coltrane’s Sound. 1964 Atlantic Records.

  • PHILIPPE LAFITTE : CELLE QUI S’ENFUYAIT. A BOUT DE SOUFFLE.

    Philippe Lafitte, Celle qui s'enfuyait, éditions grassetC’est toujours agréable de découvrir un auteur par l’entremise d’une nouvelle ou d’un micro roman qui reste un exercice difficile permettant de mesurer la capacité du romancier à concilier l’intrigue et le style dans un format court, présentant également la particularité, dans le cadre de la littérature noire, d’offrir fréquemment une chute singulière afin de surprendre le lecteur. Loin d’être un néophyte dans le genre, j’ai eu l’occasion d’appréhender le travail de Philippe Lafitte avec Eaux Troubles (BSN Press/Collection Uppercut 2017), un bref huis clos troublant et anxiogène se déroulant dans l’atmosphère moite d’une piscine municipale en intégrant quelques éléments de suspense que l’on retrouve d’ailleurs dans son dernier roman Celle Qui S’enfuyait qui présente tous les aspects du thriller psychologique.

     

    Quelle que soit les circonstances Phyllis Marie Mervil n’a jamais cessé de courir que ce soit pour entretenir sa forme ou pour prendre la fuite dès que le danger survient. Après avoir quitté New-York en 1975, cette afro-américaine s’est retirée dans une région reculée du sud-ouest de la France et connaît un certain succès avec les romans policiers qu’elle écrit en empruntant un pseudonyme. La course à pieds et l’écriture pour une vie de recluse qui lui convient parfaitement en cultivant le goût du mystère et du secret auprès des rares personnes composant son entourage. Mais qu’elles sont les événements de son passé qui l’ont poussée à s’enfuir et à se cacher ? L’homme qui rôde autour de la maison de Phyllis en l’observant au travers de la lunette de son fusil détient sûrement la réponse.

     

    Une vengeance, une traque et des secrets enfouis dans le passé, pas de doute, Philippe Lafitte emploie bien quelques codes du thriller pour mieux les détourner. Cela se ressent tout d’abord avec cette écriture soignée et subtile qui permet d’appréhender de manière posée les ressorts qui animent l’intrigue et dont on découvre très rapidement les contours puisque l’auteur n’encombre pas son récit d’artifices narratifs destinés à leurrer le lecteur.  Bien loin des brefs chapitres et des petites phrases courtes, c’est également au niveau du rythme que l’on sera agréablement surpris avec un texte posé et intelligemment construit distillant une belle atmosphère emprunte d’une tension latente afin de mettre en scène une confrontation finale à la fois réussie et surprenante où tout reste ouvert.

     

    Mais au-delà de l’aspect thriller, Celle Qui S’enfuyait nous permet d’appréhender quelques réflexions sur l’errance dans cette fuite qui prend la forme d’une espèce de prison tandis que l’écriture devient l’échappatoire indispensable pour Phyllis Marie Mervil qui tente ainsi de se soustraire à son passé. Un équilibre fragile, ponctué par cette tension permanente d’être découverte, Phyllis s’éloigne ainsi du monde qui l’entoure, même si parfois la tentation est grande de nouer quelques relations plus durables que ce soit avec Paul, son amant ou avec Laurence, l’institutrice du village qui lui propose un emploi d’auxiliaire d’éducation. Mais au gré des retours dans la passé évoquant, sans être lénifiant, tout l’aspect de la lutte armée pour les droits civiques avec des groupuscules révolutionnaires faisant référence notamment au Weather Underground, Philippe Laffite aborde également les thèmes de la résilience et du pardon qui semblent être des notions totalement abstraites aussi bien pour Phyllis que son poursuivant dont la détermination apparaît bien plus fragile qu’il n’y paraît. Lâcheté ou mode de vie désormais incontournable, chacun appréciera le parcours de Phyllis qui nous rappelle ce qu’aurait pu être le destin d’Angela Davis, auquel l’auteur fait d’ailleurs référence, si elle n’avait pas été appréhendée au terme d’une cavale de deux semaines.

     

    Philippe Lafitte dresse avec Celle Qui S’enfuyait, le magnifique portrait nuancé d’une femme afro-américaine soixantenaire, forte dans sa détermination mais également vulnérable dans le contexte de cette fuite permanente dont on suivra la destinée au gré d’un roman habile et plaisant.

     

    Philippe Lafitte : Celle Qui S’enfuyait. Editions Grasset 2018.

    A lire en écoutant : My World de Lee Field. Album : My World. Truth & Soul Records 2009.

     

  • DOMINIQUE MAISONS : TOUT LE MONDE AIME BRUCE WILLIS. AMES BRISEES.

    Service de presse.

    dominique maisons, tout le monde aime bruce willis, éditions La MartinièreA l’heure de la récente inculpation du producteur Harvey Weinstein pour harcèlements, agressions sexuelles et viols, on pouvait s’étonner de l’absence de fictions dénonçant ces comportements troubles et inquiétants se déroulant dans le milieu de l’industrie du cinéma américain. Car même si l’on a pu croiser, à de très nombreuses reprises, ce fameux personnage du «gros» producteur odieux et sans scrupule, rares sont les auteurs qui se sont penchés sur les problèmes de discrimination des genres dans l’univers cinématographique avec toute la cohorte d’abus qui en résulte, notamment vis-à-vis des actrices et des réalisatrices, ceci tous pays confondus. Parce que l’on peut considérer Hollywood comme une espèce de Mecque du cinéma, c’est donc à Los Angeles que nous suivons les tribulations de Rose, une jeune actrice «banckable», que l’on découvre dans Tout Le Monde Aime Bruce Willis, nouveau roman de Dominique Maisons.

     

    Jeune actrice adulée, Rose Century dysfonctionne de plus en plus. A bout de nerf, elle doit contenir l’appétit  financier de son producteur et les tentatives de contraintes sexuelles du réalisateur de la nouvelle série dans laquelle elle s’apprête à tourner. Du côté de la famille cela ne va guère mieux entre un père odieux et méprisant, une mère qui a reporté tous ses rêves de succès sur sa fille et le souvenir d’une sœur adorée qui s’est donnée la mort. La pression du succès, ces flashes et cette foule qui l’assaillent constamment, il ne lui reste plus que l’alcool et la coke pour tenir le coup et ne pas sombrer dans la folie, ceci d’autant plus que l’on ne cesse d’évoquer des lieux où on l’aurait croisée et des rencontres dont elle n’a pas le moindre souvenir.

     

    Trop de clichés tuent le cliché et même si l’on comprend bien que c’est sur une somme de stéréotypes que Dominique Maisons entend déconstruire le mythe hollywoodien on ne peut s’empêcher d’avoir un sentiment de déjà vu que ce soit notamment du point de vue du décorum, à l’image de la photo ornant la couverture du livre, mais également sur le plan de la construction narrative dont on peut déjà définir l’ensemble des contours au terme de la lecture de la première partie du livre. C’est d’autant plus regrettable que le roman recèle quelques scènes intéressantes comme cette mise en abîme de Rose lors de son déplacement à Paris ou les étranges démarches de Caleb, pensionnaire d’une mystérieuse communauté religieuse, retirée dans les confins du désert. Mais bien vite il faut déchanter pour constater que le récit obéit à des archétypes narratifs éprouvés, maintes fois rabâchés comme celui de la victime bafouée et démunie qui va pourtant trouver les ressources nécessaires pour pouvoir reconquérir sa place tout en faisant face aux personnes responsables de ses tourments, ceci sur fond d’une machination alambiquée très peu crédible. Et malgré une écriture alerte, teintée de quelques traits d’humours sardoniques et de quelques clins d’œil facétieux on ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine forme d’ennui et de déception à la lecture d’un roman dont on attendait probablement plus de noirceur ou davantage de folie pour s’acheminer vers un récit un peu plus déjanté ou surprenant. Mais arrivé au terme de Tout Le Monde Aime Bruce Willis, il faudra bien admettre que l’ouvrage se révèle extrêmement convenu et somme toute, plutôt frustrant.

     

    Dominique Maisons : Tout Le Monde Aime Bruce Willis. Editions de La Martinière 2018.

    A lire en écoutant : You’re Lost Little Gril de The Doors. Album : Strange Day. Elektra Records 1967.