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France - Page 25

  • FRANCK BOUYSSE : GLAISE. AU COEUR DE LA TERRE.

    frank bouysse, Il y a toujours ce moment déconcertant où l’on se demande par quel bout appréhender cette fameuse rentrée littéraire qui convoque tous les lecteurs sur une période donnée, comme s’il y avait un instant idéal pour se lancer dans la découverte d’une production qui doit se caler sur l’agenda des grands prix de littérature. Dans cette déferlante de parutions qui s’étouffent les unes les autres et disparaissent dans l’anonymat du nombre on peut éprouver un sentiment de dépassement à l’image de cet enfant perdu devant un coffre rempli de jouets neufs. Quel roman faut-il choisir ? Une phase de perplexité qui ne dure guère longtemps puisqu’il y a toujours quelques ouvrages qui émergent comme Glaise de Franck Bouysse qui, entre le succès d’un roman tout en retenue comme Grossir Le Ciel (La Manufacture de Livres 2014) et les débordements d’une écriture trop dense que l’on décelait avec Plateau (La Manufacture de Livres 2015), suscitait une grande attente, teintée de curiosité avec cette nouvelle parution.

    Comme partout ailleurs, dans cette région reculée du Cantal, les hommes sont partis à la guerre. Celle que l’on dit la dernière. Et Joseph, tout juste quinze ans doit s’occuper de la ferme avec sa mère Mathilde et sa grand-mère. La tâche est rude, mais ils peuvent compter sur Léonard, un vieux paysan du coin qui fait également office de confident tout en étant capable de tenir la dragée haute à Valette, un voisin pas commode qui a été reformé à cause de cette fichue main atrophiée. L’homme règne sur son exploitation avec sa femme Irène et nourrit son amertume et sa fureur à coup de petits verres d’eau de vie en attendant le retour de leur fils. Et pour rajouter à son humiliation voilà qu’il doit héberger la femme de son frère, Hélène une citadine qui vient se réfugier au domaine avec sa fille Anna, une belle adolescente prête à faire chavirer les cœurs quitte à bouleverser l’équilibre précaire qui règne sur ces montagnes.

    Alors bien sûr, on pourrait reprocher à Franck Bouysse de ne pas prendre trop de risque et de ne pas vouloir sortir de sa zone de confort en nous proposant, pour la troisième fois, un roman noir se déroulant dans ce milieu rural qu’il affectionne. On pourrait également déplorer le fait que le personnage du vieux paysan taciturne revient continuellement dans le cours de ses récits et que des protagonistes tels que Gus dans Grossir Le Ciel, Virgile dans Plateau ou Léonard que l’on découvre dans ce nouvel opus, ne présentent guère de dissemblances les uns par rapport aux autres. Mais il faut bien admettre que toutes ces réticences ne pèsent pas bien lourd face à un texte puissant, racé et équilibré qui nous entraîne sur le parcours initiatique de Joseph, un jeune garçon, contraint, par la force des choses, à grandir trop vite. C’est donc autour de cet adolescent que se construit, au rythme lent des saisons qui passent, une intrigue chargée de tensions mais également d’émotions parfois poignantes avec, en toile de fond, cette guerre que l’on devine et qui, même si elle résonne dans le lointain, est encore capable de dévaster les cœurs meurtris ou d’alimenter la folie de celles et ceux qui sont restés à l’arrière.

    Glaise c’est bien évidemment le matériau qu’utilise Joseph pour ses sculptures, mais c’est également cette terre nourricière qui cimente l’ensemble des personnages à l’instar de cette grand-mère conservant dans son coffret les précieux titres de propriété du domaine. Un bien inestimable donc qui alimente les convoitises et les rancœurs jusqu’au drame qui se bâtit peu à peu sur fond de haine et de jalousie ravivées par la relation qui se noue entre Joseph et la belle Anna qui va bousculer le fragile équilibre régulant les relations entre les différents protagonistes. Glaise c’est également cette boue gorgée de sang qui colle aux vêtements de ces soldats disparaissant dans cette terre meuble qui les absorbe parce que c’est finalement cette guerre lointaine qui aura le dernier mot d’ailleurs gravé sur la stèle froide d’un monument aux morts qui conclut d’une manière cruelle et abrupte un récit se révélant bien plus surprenant qu’il n’y paraît.

    Comme à l’accoutumée, Franck Bouysse parvient à magnifier le cadre dans lequel se déroule le roman avec une dentelle délicate de phrases et de mots qui lui permettent de dépeindre un décor à la fois âpre et somptueux qui évolue au fil des saisons même s’il faut parfois compulser, pour le citadin que je suis, un ouvrage de botanique pour visualiser les différentes espèces d’arbres et de plantes qui sont évoquées. Etroitement liés aux décors qui les entourent, les personnages empruntent toutes les caractéristiques de cette nature sauvage qui les imprègne en se traduisant notamment par l’entremise de dialogues ciselés qui vont toujours à l’essentiel dans cet univers où la parole est comptée. Ainsi au travers d’un texte somptueux on perçoit cette belle et subtile alchimie qui allie la magnificence d’une nature au service d’une belle intrigue et de personnages magnifiques qui font de Glaise un roman tout simplement admirable.

     

    Franck Bouysse : Glaise. Editions La Manufactures de Livres 2017.

    A lire en écoutant : Branle – La péronelle de Malicorne. Album : Mariage Anglais. Hexagone 1975.

  • JEROME LEROY : LE BLOC. LA BETE NE MEURT JAMAIS.

    Capture d’écran 2017-08-20 à 23.57.49.pngPeut-être bien plus qu’en 2011, date de sa parution, Le Bloc de Jérôme Leroy résonne dans une actualité où les blocs justement se polarisent de plus en plus que ce soit lors des dernières élections présidentielles en France ou plus récemment lors de la tragédie qui s’est déroulée aux USA à Charlottesville en Virginie, en marge des affrontements entre membres du suprématisme blanc et militants antiracistes. Portrait d’un mouvement politique d’extrême droite, Le Bloc a également inspiré le réalisateur Lucas Belvaux pour son film Chez Nous qui vient de sortir dans les salles et dont le scénario, très éloigné du roman original, a été coécrit en collaboration avec l’auteur du récit.

     

    Une nuit. Les émeutes font rage en France et les victimes s’additionnent sur le compteur qu’égrènent la plupart des chaînes de télévision. Mais cette nuit il est surtout question des négociations qui se jouent entre le pouvoir en place et Agnès Dorgelles, la présidente du groupe d’extrême droite le Bloc Patriotique. Sur la balance, il y a l’exécution de Stanko, militant de la première heure, qui se joue. Sur la balance, il y a le destin d’Antoine Maynard qui intégrera peut-être la prochaine formation gouvernementale. Stanko sacrifié, Antoine sanctifié, il est temps pour ces deux complices de se remémorer toutes ces années de fureurs, de manipulations et de secrets inavouables qui les ont conduit à cet aboutissement de 25 ans de militantisme au sein de la plus trouble des formations politiques. Une nuit seulement pour se souvenir et mourir peut-être.

     

    S’ils ne sont pas traités sous la forme d’un pamphlet ou d’un brûlot, les sujets abordant le thème de l’extrême droite font régulièrement l’objet de critiques virulentes avec des détracteurs toujours prompts à évoquer une espèce de complicité ou de fascination de l’auteur pour les membres de ces groupuscules radicaux qu’ils décrivent. Pourtant que ce soit avec Fasciste de Thierry Marignac, ou Le Bloc, transposition fictive d’un parti politique français, aux thèses extrémistes, tristement célèbre, il devient impérieux de découvrir qui se cache derrière l’anonymat des chiffres que l’on nous assène lors des diverses périodes électorales. Sous la forme d’un roman noir qui s’articule sur la rétrospective de deux personnages passant en revue le fil de leurs engagements politiques, Jérôme Leroy dresse les portraits inquiétants des différentes mouvances qui composent la diaspora du Bloc Patriotique où l’on observe une véritable mutation qui s’illustre sous un vernis technocratique permettant de véhiculer d’une manière plus décomplexée les idéologies les plus abjectes. Au gré des évocations, l’une des grilles de lecture de l’ouvrage consistera donc à déterminer quels sont les personnages, les villes et autres affaires politiques faisant référence au Front National que Jérôme Leroy développe sous l’angle d’une fiction habile où l’évolution des mouvances de l’extrême droite est intégrée dans son contexte historique mais également par l’entremise des idéologies véhiculées par une cohorte d’écrivains comme Drieu, Brasillach ou Chardonne que l’on découvre au travers d’un catalogue littéraire richement étoffé qui jalonne l’ensemble du récit.

     

    La construction narrative s’effectue sur un mode binaire où l’auteur développe une alternance des points de vue d’Antoine Maynard et de Stanko qui s’égrène au rythme des chapitres composant le roman. On suit ainsi les parcours respectifs de ces deux personnages sulfureux qui, au terme d’une nuit décisive, vont voir leur destin basculer. Maynard c’est le militant intellectuel qui a embrassé la cause fasciste davantage par provocation que par conviction. Petit fils d’un résistant communiste, grand amateur de littérature et d’une certaine forme de violence que lui offre cette idéologie il gravit les échelons et devient l’un des pontes du parti en épousant Agnès Dorgelles présidente du Bloc Patriotique qui succède à son père. Rédigé en employant la deuxième personne, les chapitres concernant Maynard distillent un certain malaise avec cette sensation de complicité qui se développe au fil du récit, ceci d’autant plus que le personnage présente de nombreuses caractéristiques propres à l’auteur. Mais au-delà du détachement romantique ou d’une certaine forme dandysme exacerbé, voire même de nihilisme, Maynard est bien le misérable salaud qui n’hésite pas à sacrifier son meilleur ami sur l’autel de la respectabilité dont son parti a toujours été en quête. Rongé par la haine et révolté par l’injustice sociale dont ses proches ont toujours été victime, Stanko est le nervi intègre du mouvement politique qui a mis en place le service de sécurité Alpha, une espèce de garde prétorienne composée de tueurs froids et déterminés qui se sont désormais retournés contre lui. Parce qu’il est trop compromis, parce qu’il en sait trop, parce qu’il ne correspond plus à la ligne du parti, Stanko est le fils prodigue qu’Agnès Dorgelles et Antoine Maynard doivent sacrifier pour parvenir dans les coulisses du pouvoir en place. On assiste donc à cette traque violente, parfois sanglante tout en découvrant les arcanes d’un mouvement politique en pleine mutation afin de cultiver sa longue quête du rejet et de la haine de l’autre.

     

    Roman noir incisif et perturbant, Le Bloc est résolument ancré sur un registre humain en distillant ainsi son lot de malaises et d’émotions afin de mieux appréhender et mesurer la colère de ces hommes et de ces femmes qui ne se reconnaissent plus dans les formations politiques traditionnelles qui n’ont fait que les décevoir. La logique du repli sur soi et de l’exclusion peut se mettre en place.

     

    Jérôme Leroy : Le Bloch. Folio policier 2011.

    A lire en écoutant : On Est Chez Nous de Zebda. Album : Essence Ordinaire. Barclay 1998.

  • Thierry Jonquet : Moloch. L’ogre est toujours affamé.

    thierry jonquet, moloch, folio policierDurant la pause littéraire, de bien trop courte durée, que procure la période estivale, c’est l’occasion de découvrir ou redécouvrir quelques romans en piochant sur les étalages des librairies qui croulent sous les assortiments d’ouvrages en format poche. Dans le domaine du roman noir et du polar, c’est également une opportunité pour remettre au goût du jour quelques auteurs ayant disparu précocement et dont l’œuvre a sombré bien trop rapidement dans l’oubli à l’instar de Jean-Claude Izzo ou de Thierry Jonquet qui ont marqué l’univers du polar durant toute la décennie précédent les années 2000. Avec Moloch, de Thierry Jonquet on aborde sous l’angle du fait divers sordide, une enquête mettant en scène l’équipe de l’inspecteur divisionnaire Rovère qui a inspiré les personnages de la série Boulevard du Palais.

     

    On découvre quatre petits cadavres partiellement carbonisés dans une maison abandonnée du côté de la porte de la Chapelle et c’est l’équipe de l’inspecteur divisionnaire Rovère qui est chargée de l’enquête sous la direction de la juge d’instruction Nadia Lintz.



    A l’hôpital Armand-Trousseau, la surveillante en chef Françoise Delcourt réclame depuis plusieurs jours le carnet de santé de la petite Valérie atteinte d’un cancer du pancréas. Heureusement, la fillette peut compter sur le soutien de ses adorables parents avec une mère exemplaire de courage qui suscite l’admiration. Mais la lecture du document recèle quelques surprises.
    Le psychiatre Vilsner reçoit depuis plusieurs mois la visite d’un étrange patient. Atteint d’une infection au niveau des yeux qui le rendra très prochainement aveugle, le peintre Haperman a annoncé qu’il mettrait fin à ses jours au terme de sa thérapie.

    Victimes, proies faciles, trois affaires convergentes où il est question de souffrance et d’innocence bafouée car sur l’autel du sacrifice, Moloch, divinité cruelle, réclame toujours sa part d’enfants à immoler.

     

    Issu du courant néo polar, comme bon nombre d’auteurs français, Thierry Jonquet a rédigé ses textes avec la volonté de dénoncer les carences sociales par l’entremise du roman noir qu’il a découvert notamment avec l’œuvre de Jean-Patrick Manchette. Engagé politiquement, mais également professionnellement que ce soit comme ergothérapeute en gériatrie ou professeur dans la zone périphérique du nord de Paris, l’auteur a donc puisé dans la somme de ses expériences pour enrichir des récits d’une terrible noirceur qui s’enracinent toujours dans un réalisme déconcertant. Ainsi Moloch ne déroge absolument pas à cette règle de naturalisme que ce soit lors des investigations policières et judiciaires, mais également durant toutes les phases se déroulant dans le milieu médical. L’abandon, le dénuement, mais également dans le deuil que l’on doit surmonter ou l’attachement tout en ambiguïté, Thierry Jonquet aborde la thématique de l’enfance malmenée et bousculée dans le contexte de trois intrigues très adroitement menées qui vont trouver leurs conclusions dans une finalité qui devient l’enjeu du roman. En effet, même si l’on perçoit très rapidement quelques ressorts des différentes péripéties qui alimentent le récit, le lecteur est plongé dans une perpétuelle perplexité quant à la découverte des éléments qui vont permettre de les mettre en lien dans la perspective d’un final troublant et forcément désespérant.

     

    Un texte précis équilibré, dépourvu d’effets de style ostentatoire où chaque mot semble avoir été pesé, permet d’appréhender avec une facilité déconcertante la multitude de personnages qui entrent en scène dans un roman somme toute assez court. Qu’ils soient principaux ou secondaires, l’ensemble des protagonistes est doté d’une épaisseur qui leurs donne un certain relief tout en nous permettant d’appréhender leurs divers états d’âme en rapport avec des faits douloureux qui ne sont pas forcément en lien avec l’intrigue. Dans une construction aussi subtile qu’implacable, Thierry Jonquet chronique un ensemble de faits divers à la fois cruels et abjects, sans pour autant sombrer dans une forme de voyeurisme pervers ou morbide. Car au-delà de l’ignominie des actes, l’auteur parvient toujours à insuffler cette petite part d’humanité que l’on peut même déceler dans le cœur des individus les plus monstrueux. Cela transparaît notamment avec Charlie, ce SDF paumé, ancien soldat affecté dans une unité du génie, victime d’un traumatisme après avoir été engagé au Rwanda dans le cadre de l’opération Turquoise ou avec Marianne, cette mère courage qui noie son enfant malade sous un déluge d’affection équivoque. Cette humanité elle transparaît également au travers des personnages tels que l’inspecteur divisionnaire Rovère qui doit surmonter le deuil de son enfant et la juge d’instruction Nadia Lintz qui doit accompagner sa meilleure amie pour une interruption volontaire de grossesse. Tout un ensemble de protagonistes confrontés à cet univers lourd de la maltraitance d’enfants et qui apparaissaient déjà dans un roman intitulé Les Orpailleurs (Folio Policier 1993) évoquant les premières investigations mettant en scène les membres de cette équipe d’enquêteurs.

     

    Moloch donne également l’occasion de découvrir Paris sous un aspect aussi attrayant qu’original, puisque l’auteur nous entraîne avec force de précisions dans le périmètre des entrepôts qui bordent le canal de l’Ourcq, les Puces de Saint-Ouen, les chantiers et autres terrains vagues qui jouxtent le périphérique du côté de la porte de la Chapelle. Un portrait sans fard, mais également sans misérabilisme où enquêteurs, délinquants, travailleurs, résidents et touristes se côtoient dans les méandres d’une ville que Thierry Jonquet dépeint avec beaucoup de justesse sans rien concéder au cliché de carte postal ou au sensationnalisme de bas étage tout en distillant une atmosphère à la fois trouble et pesante pour un roman policier original, tout en rigueur.

     

    Thierry Jonquet : Moloch. Folio Policier 1998.

    A lire en écoutant : Rive Gauche d’Alain Souchon. Album : Au Ras des Pâquerettes. Parlophone Music 1999.

      

  • ANTONIN VARENNE : TROIS MILLE CHEVAUX VAPEUR. LA PISTE DE SANG.

    antonin varenne, trois mille chevaux vapeur, albin michelIl existe des ouvrages qui rôdent autour de vous, précédés d’une réputation plutôt flatteuse, que vous tardez pourtant à acquérir, miné que vous êtes, par un temps désespérément trop court pour aborder l’ensemble des publications qui vous tentent et qui déferlent avec une constance excessive mais permanente dans les librairies. D’où ce sentiment de regret qu’il faut parfois surmonter en vous disant que vous trouverez bien l’occasion de vous plonger dans le récit convoité. Vaines illusions ? Pas toujours, comme c’est le cas avec Trois Mille Chevaux Vapeur publié chez Albin Michel en 2014 et qui fut l’un des ouvrages qui forgea la réputation d’Antonin Varenne en tant que narrateur talentueux comme il le démontra avec Battues (La Manufacture de Livres/Territori 2015) et Cat 215 (La Manufacture de Livres/Territori 2016).

     

    En 1852, le sergent Arthur Bowman est un soldat impitoyable qui se bat pour le compte de l’East India Compagny. Durant une campagne sanglante de la seconde guerre anglo-birmane, on lui confie une obscure mission. Il doit remonter le cours d’un fleuve pour s’enfoncer dans la jungle birmane. Mais l’expédition tourne mal et les hommes sont capturés et doivent subir les brimades et tortures de leurs gardiens durant de nombreux mois. Seuls dix d’entre eux parviendront à s’extirper de cet enfer. En 1858, à Londres où il est devenu vigile pour la compagnie, le sergent Bowman étouffe ses cauchemars dans les vapeurs d’alcool et les nuages d’opium. Mais dans un égout de la ville, il découvre un cadavre portant des stigmates similaires à ceux que lui ont infligé ses geôliers birmans. L’auteur de ce crime atroce ne peut-être que l’un de ses anciens compagnon d’infortune et Bowman se lance à sa poursuite d’autant plus que l’assassin semble poursuivre ses sombres activités sur un continent américain en pleine expansion.

     

    Oscillant sur le mode du roman d’aventure, du western et du thriller, Trois Mille Chevaux Vapeur entraînera le lecteur sur ces différentes thématiques que l’auteur aborde avec une aisance peu commune par l’entremise d’un texte dont la fluidité permet d’évoquer sans aucune lourdeur tous les grands changements du XIXème siècle. Ainsi Antonin Varenne aborde les manœuvres navales de la guerre anglo-birmane ; l’effondrement de la Compagnie des Indes ; les bas-fonds de Londres en pleine période de sécheresse, les grèves ouvrières à New-York et bien évidemment la grande conquête de l’Ouest, le tout sur fond d’industrialisation et de progrès notables qui se font sur le dos d’une population exploitée et dont les sursauts de révoltes sont réprimés d’une sanglante manière. Très documenté, sans pour autant en faire un étalage pénible, Trois Mille Chevaux Vapeur évoque également tout le contexte historique et social d’événements intenses dans lesquelles le protagoniste principal se retrouve mêlé au gré de son périple qui fera de lui un autre homme.

     

    On suit donc le parcours d’Arthur Bowman, personnage frustre et cruel qui se révèle plutôt antipathique mais dont l’humanité se révélera au fil des rencontres qu’il fera lors de cette quête rédemptrice. Mais rien n’est simple avec Antonin Varenne, les stéréotypes d’une histoire convenue disparaissent au travers de personnages qui se révèlent bien plus complexes qu’ils n’y paraissent. Ainsi, l’auteur met régulièrement de côté la traque d’un tueur qui devient le fil conducteur d’un récit qui se concentre sur les aspects d’un monde en pleine mutation. D’ailleurs les crimes qui jalonnent le roman sont toujours relégués au second plan en se dispensant par exemple de tout l’aspect sanglant de meurtres qui ne servent qu’à relancer l’intrigue.

     

    Conteur hors pair, Antonin Varenne concilie donc avec maestria tous les ingrédients d’une époque dantesque où les mondes s’écroulent tandis que d’autres prennent naissance pour nourrir une intrigue fourmillant de péripéties et de rebondissements parfois spectaculaires dans lesquelles apparaissent une myriade de protagonistes qui vont influencer la trajectoire et la destinée d’Arthur Bowman. Il rencontrera, entre autre, des soldats déboussolés par une guerre sauvage, une femme de caractère aux convictions utopistes, un indien tiraillé entres ses différentes origines et un prêcheur à la foi chamboulée, autant de personnages façonnés par l’imagination fertile d’un auteur qui parvient à déjouer tous les stéréotypes que l’on pourrait conférer à ce type d’individus que l’on a croisé dans tant d’autres récits.

     

    Mené avec la force tranquille de l’un de ces paquebots traversant l’Atlantique et dont la puissance donne son nom au roman, Trois Mille Chevaux Vapeur est un récit qui conjugue donc, avec un bel équilibre, l’imaginaire foisonnant d’un auteur et le contexte historique d’une période chargée en événement pour nous livrer un roman dantesque qui ne manquera pas de laisser le lecteur avec le souffle coupé. Un ouvrage impressionnant.

     

    Antonin Varenne : Trois Mille Chevaux Vapeur. Editions Albin Michel 2014.

    A lire en écoutant : In God’s Country de U2. Album The Joshua Tree : Island Records 1987.

  • Fred Vargas : Quand Sort La Recluse. Le venin du succès.

    fred vargas, éditions flammarion, adamsberg, quand sort la recluseQuand Sort La Recluse, dernier roman de Fred Vargas, reine du polar ou plus précisément du  « rompol » comme elle désigne l’ensemble de son oeuvre, débarque dans nos librairies, pour ceux qui ne l’aurait pas remarqué ou qui aurait loupé la vague de service de presse qui a déferlé sur les multiples supports médiatiques. Après la déception de Temps Glaciaires qui marque l’essouflement de la série Adamsberg, je mesure tout de même l’attachement (l’addiction ?) pour l’ensemble de ces personnages puisque me voici plongé, malgré tout, dans une nouvelle enquête de ce commissaire emblématique de la littérature policière française. Signes d’un succès qui ne se dément pas, on évoque désormais Fred Vargas par le truchement de son classement dans les meilleures ventes de livres ainsi que par le biais du tirage initial et du nombre d’exemplaires vendus alors que les recensions sur l’ouvrage ne font état que d’éléments qui ont déjà été évoqués à de multiples reprises lors de la parution de ces précédents romans.

     

    Dans la région de Nîmes, la Recluse, une araignée plutôt discrète, est sortie de son trou pour faire trois victimes qui ont succombé à sa morsure qui n’était pourtant, jusqu’à présent, pas signalée comme étant potentiellement mortelle. On évoque bien une mutation liée à l’usage des pesticides, mais le commissaire Adamsberg n’y croit guère. Revenu des brumes islandaises, il percoit, dans le nuage éthéré de ses pensées, un obscur assassin qui officierait afin d’accomplir une sourde et terrible vengeance. Il faut dire que l’image de la Recluse le renvoie vers des terreurs d’enfance enfouies qui ne sont pas forcément en lien avec une banale arachnaphobie mais évoque plutôt une terrible tradition issue de rites obscurs du Moyen Age. Il ne reste plus qu’a convaincre tout le commissariat de se lancer à la poursuite de ce meurtrier. Une tâche qui va se révéler bien plus ardue qu’il n’y paraît, provoquant des scissions au sein d’une équipe qui doute du bien-fondé des certitudes d’Adamsberg. Que fait le capitaine, a-t-il perdu la raison ?

     

    On reprend les mêmes et on recommence. Pour ceux qui souhaitent retrouver l’univers de Fred Vargas sans être troublé par un quelconque changement, Quand Sort La Recluse entame un retour aux sources de la série Adamsberg en reprenant les fondamentaux qui en ont fait son succès. Une tradition médiévale en lien avec des meurtres, un lot de personnages atypiques, des dialogues décalés et une enquête alambiquée qui s’appuie sur le passé du commissaire Adamsberg, on se retrouve ainsi avec un récit correct qui ne brille pas par son originalité. Avec des recettes éprouvées, Fred Vargas signe un nouveau succès en devenir pour des lecteurs en quête de retrouvailles et d’habitudes au gré d’une intrigues aux entournures quelque peu éculées. Ainsi pour les plus avisés et les plus addicts d’entre eux, il faudra bien admettre que l’assassin est aisément identifiable tant il s’inscrit dans une espèce de tradition propre aux récits de l’auteur que je me garderai bien de dévoiler.

     

    Bien que Fred Vargas s’en défende, il y a désormais, derrière la série Adamsberg, une histoire de gros sous qui s’assortit inévitablement avec un manque de créativité et d’originalité. Il s’agit là d’un des revers de la médaille du succès que l’on ne saurait attribuer uniquement à Fred Vargas, puisque toute la chaîne du livre, jusqu’aux lecteurs que nous sommes, doit être mise en cause. Ainsi dans un univers où les publications n’ont jamais été aussi nombreuses, je m’étonne toujours de cette concentration et de mise en lumière sur quelques auteurs « bankables » qui rapportent certainement un revenu conséquent mais qui se fait au détriment de tous ces ouvrages méconnus qui peinent à trouver leur place dans cette course au succès. Un logique qui obéit forcément à un lot de contraintes afin de répondre aux attentes des lecteurs permettant ainsi d’écouler ces fameux tirages de plusieurs milliers d’exemplaires. Fred Vargas ne se dérobe malheureusement pas à la règle, même si elle tente de pimenter le récit en implémentant un conflit au sein de l’équipe du commissaire Adamsberg, comme elle l’avait d’ailleurs fait dans Temps Glaciaire. Au gré de dialogues, certes savoureux, mais désormais terriblement convenus, l’auteur égrène son lot de personnages qui ne sortent pas de leurs rôles. Adamsberg demeure ce personnage toujours aussi flou qui enquête et dirige ses collaborateurs au gré de ses sensations ; Veyrenc débite encore quelques rares alexandrins qui ne font que souligner l’essouflement de cette série ; Danglard dispense son savoir au gré des investigations en cours et Retancourt s’affirme toujours comme étant la femme-vestale, pilier indestructible de la brigade. Tout est donc bien rangé dans ce récit agréablement convenu qui présente l’avantage de se lire rapidement sans pour autant en retirer l’indéfinissable frisson que nous procurait des romans tels que L’Homme A L’Envers, Pars Vite Et Reviens Tard ou L’Armée Furieuse.

     

    Sur les eaux bien tranquilles de la notoriété, Fred Vargas nous livre donc, avec Quand Sort la Recluse, un ouvrage qui comblera les attentes des aficionados du commissaire Adamsberg sans pour autant vouloir remettre en question les rouages d’une série qui tourne désormais dans le vide en dispensant tout de même quelques éléments d’intrigues agréables à découvrir. Néamoins La Recluse mord cruellement en distillant son poison létargique qui font que, l’air de rien, l’auteur s’endort tout doucement sur son succès.

     

    Fred Vargas : Quand Sort La Recluse. Editions Flammarion 2017.

    A lire en écoutant : Le Capitaine de William Sheller. Album : William Sheller & le quatuor Stevens (Live). Mercury 2007.