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03. Roman policier - Page 23

  • Gilles Sebhan : Cirque Mort. Normes et désordres.

    Capture d’écran 2018-05-31 à 00.05.17.png"Tous les enfants sont des hommes. Peu d'adultes le restent." C’est probablement avec cet aphorisme de Tony Duvert, auquel Gilles Sebhan a consacré deux ouvrages sur le destin de cet auteur sulfureux, que l’on peut résumer l’univers étroitement lié de ces deux écrivains dérangeants évoquant les thèmes de l’enfance au travers de la sexualité et d’une certaine forme de violence à la fois trouble et subversive. Comme un écho à cette sentence et à l’occasion de cette première incursion dans le domaine de la littérature noire, Gilles Sebhan reste donc fidèle à la thématique de l’enfance et du rapport avec l’adulte tout en délaissant les notions de sexualité pour nous livrer, avec Cirque Mort, un roman policier déroutant nous entraînant, par le biais d’une angoissante série de disparitions d’enfants, dans l’univers trouble d’une institution psychiatrique pour jeunes patients psychotiques.

     

    Un mystérieux message anonyme conduit le lieutenant Dapper vers le centre hospitalier où sont internés de jeunes mineurs névrosés. Il s’agit de l’unique indice auquel il peut se raccrocher pour retrouver son fils Théo qui a disparu depuis plusieurs semaines tout comme les deux garçons sur lesquels il enquêtait avant d’être dessaisi de l’affaire. Comme un signe annonciateur, préfigurant cette série de disparitions, peut-il y avoir un lien avec le massacre à coup de hache de tous les animaux d’un cirque installé pour Noël ? Parce qu’il ne peut se résigner, Dapper va tenter de trouver des réponses au sein de cette institution singulière en plaçant tous ses espoirs sur le témoignage d’Ilyas, un adolescent en proie à d’étranges visions qui prétend être l’ami de Théo. Névroses ou hallucinations, Dapper n’a pas le choix et va devoir se départir de toutes ses certitudes pour tenter de retrouver son fils tout en se demandant ce qui a bien pu unir Ilyas et Théo issus de deux mondes tellement différents.

     

    Si la littérature noire a souvent eu pour vocation de dénoncer par le biais du crime ou du fait divers des disfonctionnements au sein de la société, Gilles Sebhan interpelle le lecteur sur un registre quelque peu différent avec un récit dérangeant qui ne cesse de susciter le malaise notamment avec ce monde de l’enfance s’éloignant des archétypes de l’innocence, propre à cette thématique. De cette manière, l’enquête policière prend une toute autre tournure que ce à quoi l’on peut s’attendre avec une intrigue portant sur la disparition d’enfants impliquant un père désemparé à la recherce de son fils kidnappé. Car bien au-delà d’une mise en scène emprunte de suspense et de rebondissements bien maitrisés, il faut voir avec Cirque Mort toute la dimension étrange qui se dégage du rapport entre l’adulte et cet univers de l’enfance disloquée où la raison et la folie se désagrègent sur  une question de point de vue. Car tout l’enjeu réside au cœur de cette institution psychiatrique sur laquelle règne le docteur Tristan qui, tel un savant fou, façonne la personnalité de ses jeunes patients au gré de ses expérimentations issues de quelques théories obscures où la raison et la folie se déclinent en fonction des règles et des normes établies par la société et que l’on pourrait remettre en cause sur fond de grand chambardement. Dans le confinement de cet établissement, le psychiatre endosse ainsi le rôle d’arbitre, pour apparaître rapidement comme un homme dépassé, en quête de l’idéal absolu qui résiderait dans la personnalité trouble de ses petits protégés. Un constat d’autant plus effrayant que loin d’être vulnérable, un enfant perturbé tel qu’Ilyas se révèle être un patient redoutable et bien plus inquiétant qu’il n’y paraît en étant capable de se soustraire à toutes tentatives de manipulations pour parvenir à ses fins. Ainsi, au travers des investigations d’un homme vulnérable comme le lieutenant Dapper, le lecteur perçoit donc le jeu à la fois subtil et pervers des influences qu’exercent les différents protagonistes qu’il croise sur son chemin.

     

    Dans la torpeur hivernale d’une ville de province anonyme et au détour de ces évènements étranges se situant à la lisière du fantastique, Gilles Sebhan distille, au gré d’une écriture à la fois surprenante et saisissante, une atmosphère oppressante pour mettre en exergue les rapports ambigus régissant le monde de l’enfance et l’univers des adultes qui résonnent au cœur de cette intrigue policière atypique faisant ainsi de Cirque Mort un roman singulier et provoquant.

     

    Gilles Sebhan : Cirque Mort. Editions du Rouergue/Noir 2018.

    A lire en écoutant : String Quartet n° 1 de Giörgy Ligeti interprété par le Quatuor Hagen. Album : Giörgy Ligeti : String Quartets Nos 1 & 2 Ramifications. 2003 Deutsche Grammophon GmbH Berlin.

  • VALERIO VARESI : LES OMBRES DE MONTELUPO. REVES DECHUS.

    valerio varesi, les ombres de montelupo, agullo éditionsAprès avoir arpenté les rives du Pô dans Le Fleuve Des Brumes, s’être égaré dans les rues de Parme au détour de La Pension De La Via Saffi, nous retrouvons le commissaire Soneri pour la troisième fois dans une intrigue plus intimiste puisqu’elle prend pour cadre le village natal de cet enquêteur emblématique du roman policier italien. Avec Les Ombres De Montelupo ce sont les réminiscences d’un père trop tôt disparu qui planent sur cette vallée perdue des Apennins où la brume s’invite une nouvelle fois pour diffuser cette atmosphère mélancolique enveloppant l’œuvre remarquable de Valerio Varesi.

     

    Désireux de s’éloigner des tumultes de la ville de Parme, le commissaire Soneri s’octroie quelques jours de vacances bien méritées pour se ressourcer dans son village natal au gré de longues promenades sur les sentiers escarpés de Montelupo, en quête de quelques champignons qui accommoderont les petits plats mitonnés que lui préparent l’aubergiste de la pension où il séjourne. Mais la quiétude sera de courte durée. Les rumeurs bruissent dans le village. On évoque une éventuelle faillite de l’usine de charcuterie Rodolfi, unique source de revenu des habitants. Rumeurs d’autant plus inquiétantes que les Rodolfi père et fils disparaissent dans d’étranges circonstances qui suscitent l’émoi de toute une communauté. On parle d’emprunts frauduleux, d’escroqueries et d’économies de toute une vie parties en fumée. Et les détonations résonnant dans les châtaigneraies des environs ne font qu’amplifier la tension qui règne dans la bourgade, car à Montelupo les comptes se règlent parfois à coup de fusil de chasse.

     

    Élément récurrent de la série mettant en scène les enquêtes du commissaire Soneri, l’évocation des partisans luttant contre les factions fascistes devient l’enjeu sous-jacent de cette nouvelle enquête où les souvenirs résonnent comme un écho sur les flancs de cette région montagneuse nimbée de brumes et de troubles compromissions. Bien plus que le devenir de Palmiro et de son fils Paride, deux entrepreneurs peu scrupuleux, il importe pour le commissaire Soneri de découvrir si son père s’est compromis avec le patriarche qui a fait prospérer la région avant que l’entreprise ne périclite en entraînant tout le village dans le chaos des désillusions desquelles émergeront tout un cortège de représailles. Une enquête qu’il mène presque contre son gré, sur les chemins sinueux de ces contrées boisées où les rencontres et les événements se succèdent dans les contreforts abrupts de cet environnement sauvage que parcourent braconniers et contrebandiers en tout genre.

     

    Gestions déloyales, investissements hasardeux, même dans cette région reculée de l’Italie, les désillusions financières toucheront l’ensemble d’une communauté secouée par la brutalité des conséquences d’une entreprise en faillite. On décèle, notamment au travers de Sante, l’aubergiste grugé, tout le désarroi mais également toute la concupiscence de villageois appâtés par les gains faciles découvrant la tragique réalité de prêts téméraires qu’ils ont octroyé sans aucune garantie. Emprunt d’une certaine forme de mélancolie, il émane du récit tout un climat de suspicion qui pèse sur l’ensemble des villageois au gré d’une enquête qui trouvera son aboutissement dans une traque absurde ne faisant qu’exacerber ce sentiment d’injustice et de désillusion planant sur un monde qui semble désormais révolu et qu’incarne Le Maquisard, personnage emblématique du roman, qui va à la rencontre de son destin en fuyant les carabiniers qui le pourchassent. Sauvage, encore épris de liberté, le vieil homme parcourant les bois au crépuscule de sa vie, incarne le souvenir de cette figure paternelle dont Soneri tente de faire rejaillir quelques bribes au détour de ces paysages embrumés dans lesquels il puise une certaine forme de vérité. Mais bien plus que la brume, c’est cette neige ultime qui va recouvrir, tel un linceul, l’ensemble d’un passé amer dont il va pouvoir se détacher pour toujours.

     

    Avec Les Ombres De Montelupo, Valerio Varesi décline dans l’équilibre d’un texte somptueux, où la nostalgie d’une époque révolue côtoie ce présent âpre et inquiétant, tout le savoir-faire d’un auteur accompli, capable de conjuguer émotions et tensions narratives émergeant des contreforts boisés de ces montagnes embrumées qui distillent un puissant parfum, mélange de liberté et d’humanité.

     

    Valerio Varesi : Les Ombres De Montelupo (Le Ombre Di Montelupo) Editions Agullo/Noir 2018. Traduit de l’italien par Sarah Amrani.

    A lire en écoutant : Après un rêve de Gabriel Fauré. Album : Fauré Requiem. Jules Esckin, Boston Symphony Orchestra & Seiji Ozawa. 2003 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin.

  • Joël Dicker : La Disparition De Stéphanie Mailer. J’suis snob.

    joël dicker,la disparition de stéphanie mailer, éditions de falloisDepuis l’immense succès de son second livre, La Vérité Sur L’Affaire Harry Québert que j’avais bien apprécié, Joël Dicker a toujours eu un rapport conflictuel avec le polar pour lequel il réfute toute appartenance, ce qui se révèle, avec un roman comme Le Livre Des Baltimore, plutôt salutaire pour la réputation d’un genre déjà bien malmené par une cohorte d’ouvrages ineptes. Et aujourd’hui encore, à l’occasion de la parution de son nouvel opus, intitulé La Disparition De Stéphanie Mailer, l’auteur affirme, dans une longue interview de trois pages dans le Matin Dimanche, qu’il ne s’agit pas d’un polar qui en aurait les apparences et les habits, mais qui ne répondrait pas particulièrement à ses codes. Et de rajouter, certainement avec le sourire charmeur qui fait vaciller tous ses interlocuteurs, qu’il n’aime pas particulièrement le genre qu’il ne lit d’ailleurs pas. Il faut dire que Joël Dicker peut débiter, sans ciller, n’importe quelles fadaises face à une journaliste conquise par l’œuvre de ce jeune écrivain absolument adorable qui a eu l’élégance de lui préfacer son recueil des cent meilleures chroniques. Alors bien évidemment, dans de telles circonstances, il ne viendrait à l’esprit de personne de demander comment l’on peut aimer ou ne pas aimer un genre qu’on ne lit pas et plus encore, d’affirmer que son texte ne respecterait pas les codes dont on ignore, semblerait-il, absolument tout ? Mais tout cela importe peu puisque l’auteur n’en est pas à une contradiction ou à une élucubration près, lui permettant de décréter, dans la même interview, avoir construit avec La Disparition De Stéphanie Mailer « une sorte de roman russe » tout en se gardant bien de citer une quelconque référence en lien avec ce vaste pan de la littérature. Tolstoï, Dotoïevski, Soljenitsyne ou même l’œuvre fantastique de Sergueï Loukianenko, à la lecture du roman il sera bien plus facile d’identifier le responsable de La Disparition De Stéphanie Mailer que de percevoir cette fameuse influence russe imprégnant le texte. Parce qu’il est comme ça Joël Dicker à balancer tout azimut ses effets d’annonce évoquant les prestigieux romanciers qui planeraient sur l’ensemble de ses romans. Philip Roth pour Le Livre Des Baltimore et bien évidemment Norman Mailer pour son dernier opus, la manœuvre se révèle pourtant à double tranchant puisqu’au souvenir de romans tels que Pastorale Américaine ou La Nuit Des Bourreaux, on peut mesurer toute la faiblesse de l’œuvre insipide que produit laborieusement un Joël Dicker peinant à se positionner dans le milieu littéraire. Mais quitte à citer des auteurs américains, autant mentionner ceux qui ont obtenu le prix Pulitzer, afin d’éblouir journalistes, chroniqueurs et lecteurs conquis d’avance par le charisme d’un jeune écrivain au sourire ravageur qui devrait sérieusement songer à tourner une publicité pour une marque de dentifrice après avoir vanté les mérites d’une compagnie aérienne et d’un modèle de voiture.

     

    En 1994, Orphéa, charmante petite ville côtière des Hamptons, a défrayé la chronique avec les meurtres du maire, de son épouse, de leur fils et d’une passante probablement témoin encombrant de cette terrifiante tragédie.

    Jesse Rosenberg et Derek Scott, deux jeunes flics ambitieux de la police d’Etat, sont chargés de l’enquête qu’il vont mener jusqu'à son terme en constituant un dossier solide permettant l’appréhension du meurtrier. Auréolés de gloire, encensés par leur hiérarchie, les deux enquêteurs sont désormais respectés par leurs pairs.

    Mais l’affaire comporte quelques zones d’ombre et vingt ans plus tard, Stéphanie Mailer, une brillante journaliste locale, prétend que la police s’est trompée de coupable et qu’il faut reprendre toute l’enquête. Des propos d’autant plus troublants que la jeune femme disparaît peu après avoir contacté Jesse Rosenberg qui n’a plus d’autre choix que de se replonger dans des investigations se révélant bien plus complexes qu’il n’y paraît.

    Parviendra-t-il à retrouver Stéphanie Mailer ?

    Et surtout pourra-t-il faire toute la lumière sur cette tragédie vieille de 20 ans qui n’a pas fini de secouer toute la petite communauté d’Orphéa ?

     

    Ceci n’est pas un livre mais un produit destiné à conquérir le marché avec une maquette familière permettant aux consommateurs d’avoir la certitude de s’y retrouver en restant dans le même registre que l’ouvrage qui avait assuré la notoriété de l’auteur. Après Edward Hooper, Joël Dicker himself nous propose, en guise de couverture, une photo d’un amateur où l’on découvre une rue typique des USA investie par les forces de l’ordre. Pâle resucée de l’œuvre du photographe Gregory Crewdson, grand admirateur du peintre américain, l’image, reprend, avec beaucoup de lourdeur, tout le climat, parfois anxiogène, de ce décor de rêve américain qui émerge, presque insidieusement, de l’œuvre des deux artistes. Une illustration à l’image du contenu où l’absence de subtilité des personnages se conjugue avec la lourdeur d’une intrigue se déclinant sur le modèle fastidieux d’un calendrier que l’auteur égrène jusqu'à la nausée. « 33 jours avant la première du 21ème festival de théâtre d’Orphéa » ; « Mi-septembre 1994. Un mois et demi après le quadruple meurtre et un mois avant le drame qui allait nous frapper Jesse et moi. » Joël Dicker abuse de cette mécanique éculée du décompte, propre aux « page-turner », pour inciter le lecteur à poursuivre sa lecture jusqu’à la survenue des drames ou des coups d’éclat à venir, ce qui n’apparaît pas comme une évidence tant cette intrigue poussive, truffée d’invraisemblances, d’incohérences et ponctuée de dialogues mièvres, confine à la niaiserie voire même à la bêtise.

    "- Merci mon amour, d’être un mari et un père aussi génial.

    - Merci à toi d’être une femme extraordinaire.

    - Je n’aurai jamais pu imaginer être aussi heureuse, lui dit Cynthia les yeux brillants d’amour.

    - Moi non plus. Nous avons tellement de chance, repartit Jerry."

    Avec une syntaxe approximative et cette pauvreté de la langue où des qualificatifs tels que extraordinaire, merveilleux et magnifique reviennent à tout bout de champ, on comprend, dès lors, le fait que Joël Dicker renonce à s’attarder sur la description des lieux et des personnages, préférant ainsi tabler sur l’imagination du lecteur, ce qui explique peut-être cette absence d’atmosphère qui émane d’un texte aseptisé où l’ensemble des personnages, caricaturaux à l’extrême, apparaissent complètement dénués de caractère. Les flics détenteurs de lourds secrets, l’amant benêt martyrisé par son odieuse maîtresse, l’adolescente dépressive haïssant ses parents, le metteur en scène déjanté et le critique odieux détestant tous les auteurs à succès, l’auteur prend soin de décliner tous les poncifs du genre. Mais au fait de quel genre s’agit-il ? Assurément pas un polar comme nous l’affirme l’auteur lui-même en tablant sur l’absence de scènes sanguinolentes ou sur le fait que son tueur exécute les gens par nécessité et non pas par plaisir comme un vulgaire serial killer. Il serait vain d’énumérer les romans policiers ou les romans noirs qui contrediraient les assertions de Joël Dicker pour s’attarder sur l’avis de quelques chroniqueurs avisés, reprenant ses propos afin de l’exonérer des invraisemblances et des situations absurdes qui jalonnent ce texte bancal car justement il ne s’agit pas d’un polar et que l’auteur tend vers autre chose. Satyre, vaudeville, conte absurde, allégorie d’une farce sociale tragique, célébration de la culture et plus particulièrement du théâtre, ou même hommage à ce fameux roman russe, La Disparition De Stéphanie Mailer ne s’orientera vers aucune de ces éventualités parce qu’il ne suffit pas de citer le titre d’une pièce de théâtre ou d’employer quelques didascalies pour rendre hommage à Tchekhov. Parce qu’il ne suffit pas d’une enseigne d’un bar portant le nom de Beluga, d’un restaurant baptisé La Petite Russie, d’une petite amie prénommée Natasha, de grands-parents grotesques natifs du pays ou de l’imbrication d’une pléthore de personnages pour en faire un roman russe. Parce qu’il ne suffit pas d’inscrire l’intrigue au cœur d’un festival de théâtre pour prétendre avoir abordé les thèmes de la dramaturgie et de la mise en scène. Et l’on pourra bien citer une multitude d’auteurs et de dramaturges comme Don Delillo, Philip Roth, John Irving, Patricia Highsmith (quand je repense au Journal d’Edith), Anton Tchekhov et bien d’autres qui entrent dans une vaine litanie suffisante. Mais rien n’y fera, car derrière l’emballage rutilant nous ne trouverons qu’une coquille vide dans laquelle résonnent les prétentions de l’auteur.

     

    Prisonnier des enjeux de ventes phénoménales, de ses schémas éculés, de son écriture simpliste et de ses propos mièvres et convenus, Joël Dicker nous livre avec La Disparition De Stéphanie Mailer une triste et longue sentence du succès qui se fera au détriment des lecteurs de moins en moins crédules quant à la qualité du produit prétentieux qu’on leur propose.

     

    Joël Dicker : La Disparition De Stéphanie Mailer. Editions De Fallois 2018.

    A lire en écoutant : J’suis snob de Boris Vian. Album : Le Déserteur. 1997 Mecury Music Group.

  • ERIC PLAMONDON : TAQAWAN. DANS LES MAILLES DU FILET.

    Capture d’écran 2018-03-13 à 01.20.05.pngLivre destiné pour la jeunesse, Un Os Au Bout De L’Autoroute (Grand Angle 1978) de William Camus, un canadien aux origines iroquois, reste, aujourd’hui encore, un ouvrage qui m’a fortement marqué en découvrant le parcours d’un jeune indien tentant vainement de s’extirper des effroyables conditions sociales d’une réserve indienne de l’Etat d’Arizona où la jeune génération ne trouve d’issues que dans l’alcool et le suicide. J’avais à peine onze et je me souviens encore de la tragique destinée de Petit-Cheval. Quarante ans plus tard, c’est un roman comme Taqawan d’Eric Plamondon, également d’origine canadienne, qui marquera indéniablement l’esprit des lecteurs avec le récit noir d’une adolescente indienne, victime d’une viol et dont l’intrigue est fortement imprégnée du contexte social d’une réserve mig’maq située à la frontières des provinces du Québec et du New-Brunswick.

     

    En 1981, sur la réserve de Restigouche, 300 agents de la Sûreté du Québec débarquent pour confisquer les filets des pêcheurs mig’maq. Dans un contexte d’émeutes et de répressions violentes, échapper à la police pour défendre les siens pourrait presque apparaître comme un jeu pour Océane, une jeune adolescente indienne en pleine révolte. Mais la tournure des événements vire au drame lorsque la jeune fille disparaît. Écœuré par les exactions dont il a été témoin, Yves Leclerc, un agent de la faune, démissionne de ses fonctions et trouve refuge dans sa cabane nichée au cœur de la forêt où il découvre Océane, bien mal en point. Afin de faire la lumière sur le déroulement des événement, il pourra compter sur Caroline, un jeune enseignante française en stage, et surtout sur William, un indien solitaire qui sait faire parler la poudre quand il le faut.

     

    Désignation mig’maq du saumon, Taqawan n’a rien d’un titre anodin puisque ce fameux poisson devient l’enjeu d’un conflit historique qui a opposé, en juin 1981, les autochtones de la réserve de Restigouche aux autorités québécoises voulant imposer des quotas de pêche en bafouant ainsi les traditions ancestrales d’un peuple millénaire. Durant une période de crise constitutionnelle où la province du Québec entend affirmer sa position au sein de la nation, Eric Plamondon met en exergue tout le paradoxe d’un gouvernement québécois prônant des velléités d’indépendance tout voulant assujettir la population mig’maq afin de défier les autorités fédérales du pays.

     

    Roman noir aux courts chapitres rythmés et percutants, entrecoupés de contes et de légendes, d’événements historiques romancés, de recettes de cuisine traditionnelles et autres aspects sociaux et culturels, Eric Plamondon dresse avec Taqawan une superbe carte anthropologique du peuple mig’maq permettant de mettre en lumière tous les éléments qui nourrissent une sombre intrigue se mariant parfaitement au contexte des événements. Avec cette structure narrative quelque peu atypique mais extrêmement bien équilibrée, ne cédant d’ailleurs jamais à un quelconque misérabilisme, l’auteur construit un récit solide, emprunt de quelques scènes d’actions trépidantes, oscillant sur les registres du polar et du roman historique. Apparaissant comme fragile et vulnérable, Océane va peu à peu se construire autour des terribles épreuves qu’elle subit et des rencontres qu’elle fera au cours d’un parcours éprouvant pour devenir la jeune femme déterminée que l’on découvre au terme d’un roman bouleversant qui aborde également la thématique des abus sexuels liés au trafic d’êtres humains. A l’instar d’une population québécoise davantage concernée par les victoires de Gilles Villeneuve en F1 ou les débuts de Céline Dion, Yves Leclerc, le garde-faune ulcéré par les événements dont il a été témoin, cherche tout d’abord refuge dans la solitude de sa cabane nichée au fond des bois avant de s’impliquer pour venir au secours d’Océane tout en pouvant compter sur l’aide de Caroline, une institutrice française qui le contraindra , à son corps défendant, à percevoir toute l’ambivalence du gouvernement québécois vis à vis de la population mig’maq. Autre personnage emblématique du roman, il y a William, vieil autochtone solitaire, mi-chasseur, mi-sorcier, incarnation de cet homme mutique préférant agir, quitte à employer la force quand cela s’avère nécessaire et dont les ressources vont s’avérer indispensables pour déjouer les pièges des individus traquant la jeune indienne.

     

    Belle surprise de ce début d’année 2018, Taqawan est un roman à la fois social et politique absolument saisissant qui parvient en moins de 200 pages à nous immerger dans le contexte historique de cette « guerre du saumon », sur fond de polar nerveux, tout en appréhendant les aspects ethnographiques d’une population amérindienne révoltée tentant de se soustraire, parfois en vain, à toutes formes de vexations et d’humiliations que veut lui imposer une nation conquérante, refusant de se pencher sur son passé. Un livre prodigieux.

     

    Eric Plamondon : Taqawan. Quidam éditeur 2018.

    A lire en écoutant : The Pusher de Steppenwolf. Album : Steppenwolf. Geffen Records 1968.

     

  • MARIE-CHRISTINE HORN : LA PIQÛRE. CE MAL QUI VOUS RONGE.

    Capture d’écran 2018-01-21 à 19.33.39.pngDepuis quelques années, alors qu'elles s'en désintéressaient totalement, d’emblématiques maisons d’éditions romandes, comme Zoé ou L’Âge d’Homme, se sont lancées dans le roman policier sans que l’on ne comprenne très bien le sens de cette démarche si ce n’est une volonté de saisir l’opportunité du regain d’intérêt du public suisse romand pour la littérature noire, ceci d’autant plus que les médias ne cessent d’encenser les auteurs se lançant dans le polar sur le mode local que l’on affuble désormais du qualificatif ridicule « d’ethno ». Mais bien au-delà du phénomène de mode teinté d’accents folkloriques racoleurs ou de l’aspiration à épouser les modèles des best-sellers scandinaves ou d’autres contrées, ou même de réitérer un coup d’édition à la Dicker, on peut comprendre, à la lecture de certains textes, que les éditeurs n’aient pas voulu voir échapper quelques auteurs brillants, capables de saisir l’atmosphère de nos contrées helvétiques par le prisme du genre policier. Ainsi en compulsant le catalogue de l’Âge d’Homme on découvre une collection Poche Suisse Noir comportant un titre de Marie-Christine Horn, intitulé La Piqûre que l’auteure avait publié en 2006 et dont elle nous propose une version rémaniée pour la présente publication.

     

    Surmonter le deuil n’est pas une chose aisée pour Lou, surtout lorsqu’il s’agit de Carlos, son amant brésilien qu’elle a retrouvé mort dans sa baignoire, les veines tranchées. Une image sordide qui ne cesse de la hanter, ceci d’autant plus qu’elle ne peut admettre la thèse du suicide. Fantasque, mythomane, alternant les moments joyeux et quelques humeurs plus mélancoliques, Carlos était un homme secret ne parlant que très peu de son pays d’origine. Mais pour faire la lumière sur sa mort et à mesure qu’elle découvre le passé de son compagnon, Lou met à jour un parcours de vie insoupçonné qui se dévoile peu à peu laissant entrevoir toute la détresse de ces immigrés clandestins devant tout abandonner dans l’espoir de trouver une vie meilleure dans de lointaines contrées. Et comme cette piqûre qui la démange, Lou n’aura de cesse de trouver la vérité, tout comme l’inspecteur Charles Rouzier en charge d’une enquête se révélant moins routinière qu’il n’y paraît.

     

    Sur une trame narrative plutôt classique, où l’héroïne, envers et contre tous, découvre dans le passé de la victime quelques obscurs secrets en lien avec le crime, Marie-Christine Horn met en place une dramaturgie originale, un peu décalée, notamment au niveau de l’introduction avec cette piqûre nous renvoyant au souvenir du crime dans une redoutable et efficace mise en perspective permettant de percevoir toute la détresse d’une femme désemparée. Outre l’efficience d’un schéma narratif maîtrisé, on appréciera avec Marie-Christine Horn la convergence des genres pour une intrigue oscillant entre le polar et le roman noir. Ainsi l’enquête policière se met en place par l’entremise de l’inspecteur Charles Rouzier dont le profil s’apparente à celui d’un policier comme Jules Maigret ou Martin Beck tout en occupant un rôle plutôt secondaire pour mettre en exergue les carences des institutions cantonales révélant une corruption ne tournant pas forcément autour d’une simple question d’argent. Mais La Piqûre emprunte davantage de thèmes afférents aux romans noirs en mettent en scène cette dichotomie entre l’insouciance de Lou, représentation d’une classe moyenne aisée, et l’angoisse de Carlos dont le statut de séjour précaire le contraindra à quelques compromissions dont il ne peut révéler les tenants et les aboutissants. Parce qu’elle ne peut se départir du cliché du brésilien séducteur, Lou ne voit, dans les dissimulations de son amant, que de vagues petites histoires d’infidélité la conduisant sur le seuil de la rupture. Bien évidemment, rongée par le remord, ce n’est qu’à la mort de son amant que Lou va découvrir une réalité beaucoup moins glamour en se rendant dans un bidonville de Rio de Janeiro où vivait Carlos. Dans le cadre de cette dynamique de rédemption bien trop tardive, on appréciera également les personnages secondaires composant l’entourage de l’héroïne à l’instar de sa sœur Nicole, incarnation de la mère de famille modèle et de Daniel, son ami d’enfance dévoué, qui voit dans la quête de Lou, l’occasion de conquérir son cœur. L’ensemble se décline dans une atmosphère lausannoise que Marie-Christine Horn restitue par petites touches et avec beaucoup de justesse tout comme la ville de Rio de Janeiro et ses bidonvilles, dépeints avec beaucoup de pudeur en évitant tous les clichés sordides.

     

    On l’aura deviné, l’ensemble du récit, dépourvu d’éléments gores ou de scènes d’actions trépidantes, tourne autour d’une tension psychologique continue que l’auteure entretient au gré de rebondissements surprenants qui alimentent une intrigue à la fois subtile et prenante. Avec une écriture précise et dynamique, sans abuser d’artifices narratifs propres au genre et avec une logique implacable, l’intrigue baigne dans une atmosphère de suspense se déclinant au rythme des nombreuses péripéties jalonnant le roman et dont l’issue ultime révélera encore quelques surprises que l’on découvrira sous la forme d’un épilogue à l’ironie mordante.

     

    Pertinente dans le choix des thèmes qu’elle aborde avec beaucoup de finesse au travers de la belle énergie de cette figure héroïque d’une femme forte mais désemparée devant surmonter les obstacles de la disparition suspecte de son amant, Marie-Christine Horn nous offre, avec La Piqûre, un excellent polar dynamique conciliant la veine populaire du genre tout en abordant les multiples disfonctionnements sociétaux pouvant pousser l’individu à la commission d’un crime. Dans le paysage de la littérature noire helvétique il faut compter sur Marie-Christine Horn.

     

    Marie-Christine Horn : La Piqûre. Editions L’Âge d’Homme 2017.

    A lire en écoutant : O Caminho de Bebel Gilberto. Album : Bebel Gilberto. Crammed Disc 2004.