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03. Roman policier - Page 19

  • JAMES LEE BURKE : NEW IBERIA BLUES. FANTOMES DU BAYOU.

    James Lee Burke, New Iberia blues, éditions rivagesImpossible de tirer la prise et de dire adieu à une série emblématique de la littérature noire qui a débuté en 1991 avec Prisonnier Du Ciel mettant en scène la première enquête de Dave Robicheaux, alias Belle-Mèche. On découvrait ainsi, par l’entremise des éditions Rivages et des traductions du regretté Freddy Michalsky, l’oeuvre de James Lee Burke avec son écriture grandiloquente et hypnotique submergeant le lecteur d’émotions et de sensations qui ne sont pas sans lien avec cette région de la Louisiane qu’il sait dépeindre à la perfection. Avec La Pluie De Néon, préquel des aventures de Robicheaux, la série ne compte pas moins de 22 ouvrages qui nous ont accompagnés pendant trois décennies en suivant les péripéties de cet inspecteur hors-norme pouvant toujours compter sur ses partenaires comme Helen Soileau et l’inénarrable Clete Purcel ainsi que sur sa fille Alafair (prénom de la fille dur romancier) qui a grandi avec nous. Il faut admettre que James Lee Burke a su créer, avec tout un ensemble de paramètres subtils, une ambiance et une atmosphère attachante dont on ne peut se débarrasser d’un haussement d’épaule. J’ai ainsi marché dans les traces de Belle-Mèche à un point tel que je me suis rendu du côté de New Iberia pour voir si je ne le croiserais pas dans les rues de la paroisse. Véritables guides touristiques, les romans ne peuvent que vous inciter à découvrir cette Louisiane ensorcelante en dégustant quelques spécialités culinaires dans les restaurants de la Nouvelle-Orléans avant de s’égarer dans quelques bars éloignés du Vieux-Carré en se remémorant quelques scènes emblématiques d’une série policière qui nous marquera à jamais, même si l’on a pu éprouver quelques lassitudes voire même quelques déceptions à la lecture des derniers romans qui sentent tout de même le réchauffé comme c'est malheureusement le cas avec New Iberia Blues, dernier opus traduit de la série.

     

    Ce ne sont pas moins de trois appels pour des cris de femme provenant de la baie de New Iberia qui poussent Dave Robicheaux et sa nouvelle équipière à se rendre à proximité de la propriété de Desmond Cormier, grand réalisateur d’Hollywood qui est revenu dans sa Louisiane natale afin de réaliser son nouveau film. Robicheaux qui a bien connu l’homme dans sa jeunesse en profite pour lui rendre visite afin d’avoir un meilleurs point du vue pour retrouver une éventuelle victime. Et c’est en regardant la mer avec un télescope que l’inspecteur de New Iberia distingue une femme noire ligotée sur une croix flottant au gré du mouvement des vagues. Débute ainsi une série de crimes où l’assassin dispose ses victimes en fonction des représentations des suites du tarot. Déconcerté par ces meurtres d’un genre nouveau, Dave Robicheaux continue d’affronter ses démons tout en tentant de discerner si l’auteur ne pourrait pas être un des individus douteux qui compose l’entourage de Desmond Cormier.

     

    Bien ancré dans la paroisse de New Iberia, le récit fluctue au gré de meurtres qui s’enchainent à un rythme soutenu en reprenant d’une manière plutôt macabre les représentations des personnages emblématiques d’une suite de tarot. Dans ce contexte, Dave Robicheaux continue à porter sur ses épaules toute la douleur du monde et d’un passé qu’il n’a toujours pas exorcisé. Fidéle à lui-même Robicheaux fait du Robicheaux en affrontant les nantis représentés cette fois-ci par Desmond Cormier et son entourage hollywoodien tout en tentant de protéger les personnes de conditions modestes, proies de flics tripoux qui paient parfois le prix fort. On n'en attend pas moins de ses acolytes qui semblent plus en retrait comme Helen Soileau qui continue de veiller sur son vieux pops qu’elle ne ménage pourtant pas surtout lorsqu’il se tourne vers Clete Purcel personnage ingérable de la série qui reste pourtant dans cet opus extrêmement raisonnable. Comme à l’accoutumée on appréciera la dynamique entre ses protagonistes récurrents qui restent toujours bien dans leurs rôles respectifs avec des échanges incisifs qui sont la marque de fabrique de James Lee Burke. Si la dynamique entre ces individus semblent inscrite dans une dimension narrative éprouvée, on espère toujours que le changement viendra de personnages tels que Desmond Cormier ou Bailey Ribbons, nouvelle partenaire de notre détective qui semble tomber sous son charme en dépit d’une différence d’âge importante qui ne fait qu’accentuer sa culpabilité. Mais on savourera surtout le retour de Smiley Wimple, cet énigmatique tueur à gage qui va à nouveau semer le chaos tout autour de lui, ceci pour notre plus grand plaisir. A partir de là on continue à suivre Belle-Mèche dans ses pérégrinations du côté des bars mal famés à écouter du blues en sirotant du Dr Pepper ou du côté des bayous et des quartiers pauvres où il rencontre toujours une galerie de personnages atypiques comme Bella, cette chanteuse de blues aux charmes troubles qui va séduire notre héros. 

     

    Une nouvelle fois l'ennui d'une intrigue convenue est compensé par cette ambiance poisseuse et cette atmosphère à la fois chaleureuse et troublante qui font de New Iberia Blues un récit solide qui reste malheureusement sans surprise mais dont on sort tout de même étrangement charmé.

     

     

    James Lee Burke : New Iberia Blues (The New Iberia Blues). Éditions Rivages/Noir 2020. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christophe Mercier.

     

    A lire en écoutant : Sweet Blood Call de Lousiana Red. Album : Sweet Blood Call. 2011 Fat Possum Records.

  • Valerio Varesi : Or, Encens Et Poussière. Providence ou déterminisme.

    valerio varesi,or encens et poussière,agullo éditionsService de presse

     

    Ainsi on peut opposer roman noir et roman policier comme on l’observe ces derniers temps à la lecture de certains articles où la critique sociale au travers du fait divers définirait le roman noir tandis que la remise à l’ordre sociale au terme d’une enquête caractériserait le roman policier. Derrière cette définition un peu simpliste des genres composant la littérature noire on remarque une certaine propension à vouloir anoblir le roman noir qui deviendrait ainsi l’unique moyen d’expression permettant de dénoncer les dérives de notre monde. On ne saurait énumérer l’ensemble des romans policiers contredisant cette assertion et en ces temps troublés, où un besoin impérieux de fondamentaux et de repères nous permettant de conserver un certain équilibre, on appréciera de retrouver au détour d’une série de romans policiers un personnage tel que le commissaire Soneri dont les enquêtes dans la région de Parme permettent à son auteur Valerio Varesi de mettre en exergue les carences d’un pays dont les troubles fascistes ne sont pas encore complètement relégués dans un lointain passé. Pour ce romancier, également journaliste à La Repubblica, le roman policier est bel et bien politique puisqu’il émerge en filigrane de chaque roman mettant en scène son commissaire fétiche des relents de « peste brune » qui émergent à la surface d’une agglomération engoncée dans une voile de brume semblant ne jamais vouloir disparaître. Le thème est bien présent dans Le Fleuve Des Brumes (Agullo 2016), premier roman de la série, traduit en français, ainsi que dans La Pension De La Via Saffi (Agullo 2017)et bien évidemment dans Montelupo (Agullo 2018) qui met en lumière la figure tutélaire du père de Soneri, ancien partisan luttant contre les factions fascistes. Mais on ne saurait réduire les enquêtes du commissaire Soneri à une lutte simpliste des courant politiques qui secouent l’Italie pour prendre en considération d’autres problèmes sociaux laminant le pays à l’instar de la mafia dont on découvre les implications dans les régions du Nord avec Les Mains Vides  (Agullo 2019), récit désespérant où les investigations du policier ne font que renforcer cette sensation de mal endémique que l’on ne pourrait résoudre au terme d’une simple enquête de police. C’est cette incertitude et ce désespoir qui habite cet enquêteur attachant dont les pérégrinations au détour des ruelles et avenues de la ville de Parme ne cessent de nous charmer et que l’on retrouve dans Or, Encens Et Poussière, nouveau roman d’une série qui n'a pas fini de nous surprendre.

     

    Le brouillard recouvre une nouvelle fois la région de Parme provoquant un immense carambolage sur l’autoroute. Incapables de se repérer dans la brume, les patrouilles de police doivent compter sur l’aide du commissaire Soneri pour se repérer dans cette région qu’il connaît bien. Alors qu’apparaissent, tels des ombres fantomatiques, des taureaux échappés de l’un des camions accidentés et tandis que l’on devine au loin les lueurs des phares des voitures encastrées, c’est un corps calciné découvert au pied d’un talus qui va retenir l’attention du commissaire, ceci d’autant plus que le cadavre n’a rien à voir avec le carambolage qui vient de se produire. La victime, une jeune femme séduisante d’origine roumaine, avait charmé toute une série d’amants issus des hautes sphères de la ville parmesane. Séductrice damnée ou jeune femme naïve, le commissaire Sonerie va devoir composer avec les multiples facettes de cette femme fascinante qui gravitait dans la communauté des roms dont elle était issue en tentant de s’extirper à tout prix de sa condition. Un prix bien trop élevé pour Soneri qui compte bien retrouver l’auteur de ce meurtre quitte à bousculer la bourgeoisie de cette bonne ville de Parme se croyant à l’abri d’une justice bien trop aveugle.

     

    La ville de Parme telle que décrite par Valerio Varesi n’est pas un personnage à part entière, mais une entité organique où l’on erre dans un dédale de ruelles, avenues et places qui sont autant de raccourcis, détours et voies sans issues, reflet des réflexions sinueuses d’un commissaire tourmenté, toujours en proie aux doutes et à l’incertitude quant à l’orientation de ses enquêtes et qui ne trouve l’apaisement que dans ces longues pérégrinations au coeur d’une cité embrumée ou dans les saveurs d’un bon repas chez Alceste, son ami aubergiste qui le gratifie de spécialités de la région. Or, Encens Et Poussière débute avec cette scène d’anthologie dans la campagne parmesane où l’on croise taureaux et vaches égarées dans la brume avant de découvrir un cadavre calciné à proximité d’un carambolage dantesque, non loin d’un campement de gitans. Il n’en faut pas plus pour le commissaire Soneri pour entamer une enquête chaotique où la victime opère encore de son charme sur ce policier rêveur en quête de vérité. Comme à l’accoutumée avec Valerio Varesi tout n’est que suggestion et rumeur avec cette thématique des gens du voyage qui apparaissent dans un trafic d’or commandité par quelques notables de la ville. Il n’y aura donc pas de propos pontifiants sur ces communautés avec un auteur qui préfère s’attarder sur les apparences d’une bourgeoisie dévoyée qui reste en quête de respectabilité. Dans ce registre on appréciera donc l’apparition de Sbarazza, ce noble déchu, un brin clochard qui devise avec le commissaire sur le déterminisme ou la providence nous rappelant ainsi que l’auteur a été étudiant en philosophie et que le hasard devient forcément l’un des moteurs essentiels des enquêtes de son personnage central.

     

    Avec cette belle humanité et cette sensibilité imprégnant l’ensemble de ses personnages, Valerio Varesi s’emploie une nouvelle fois à mettre en exergue les frasques des notables d’une ville au charme indéfinissable que l’on prend plaisir à retrouver en compagnie d’un commissaire emblématique qui devient l’icône du roman policier italien. Or, Encens et Poussière, un beau titre pour un bel ouvrage qui nous enchante.

     

     

    Valerio Varesi : Or, Encens Et Poussière (Oro, Incense E Polvere). Traduit de l’italien par Florence Rigolet. Agullo noir 2020.

     

    A lire en écoutant : Ultimo Amore de Vinicio Capossela. Album : L’Indispensabile. 2003 CDG East West Divisione Warner Music Italia S.R.L.

  • GILLES SEBHAN : LA FOLIE TRISTAN. LE ROYAUME DES INSENSES.

    gilles seb han,la folie triste,rouergue noirCe qu’il y a de réjouissant avec la littérature noire c’est de se retrouver confronté parfois à des univers à la fois surprenants et dérangeants comme ceux que nous propose Gilles Sebhan, auteur notamment de deux biographies du très contreversé Tony Duvert et du peintre Stéphane Mandelbaum dont l’œuvre provocante réalisée, pour une grande partie, au stylo bille évoque un univers violent de souffrance, de mort et de sexe au détour de portraits et d’autoportraits dissonants et inquiétants. Vivant à la marge de la société, ces deux artistes marginaux ont en commun une mort tragique au terme d’un isolement volontaire pour l’un et d’un crime sordide pour l’autre. Au confin de la folie, Gilles Sebhan s’intéresse donc à cet environnement trouble de l’enfance meurtrie dont on percevait quelques éléments singuliers avec Cirque Mort (Rouergue 2018) mettant en scène le lieutenant Dapper que l’on retrouve dans La Folie Tristan, second opus qui débute là où s’achevait le livre précédent qu’il est d’ailleurs fortement recommandé de lire avant d’entamer ce récit tournant une nouvelle fois autour de ce mystérieux établissement psychiatrique pour enfants d’une petite ville du nord de la France.

     

    Le lieutenant Dapper se remet d’une blessure par balle que lui a infligé le ravisseur de son fils Théo. Après avoir abattu le criminel, l’officier de police est considéré comme un héro qui est parvenu à reconstituer le cadre familial idéal dans lequel il évolue. Mais suite à cet enlèvement, le père s’aperçoit qu’il est incapable de renouer les liens avec son fils qui fait preuve d’un comportement étrange, probablement en lien avec les trois mois de captivité qu’il a subit. Alors qu’il se réfugie dans le travail, le lieutenant Dapper est confronté à un nouvel enlèvement, celui d’une femme qui lui avait fait part de son inquiétude quant au comportement inquiétant d’un homme aux allures martiales, accompagné d’un enfant présentant des déficiences mentales. Un indice qui conduit le policier une nouvelle fois du côté de l’établissement psychiatrique du docteur Tristan pour tenter d’obtenir des réponses auprès du praticien et de ses jeunes internés comme Ilyas, cet enfant troublant qui l’a aidé à retrouver son fils. Des réponses qui vont rejaillir sur son propre passé et le conduire à découvrir les mystères qui entourent son enfance. Dérives et folies vont à nouveau s’abattre sur cette petite ville qui cultive les secrets enfouis des origines.

     

    On ne s’attendait pas vraiment à une suite au terme de Cirque Mort, premier roman policier de Gilles Sebhan qui s’articulait autour de la disparition de Théo et du massacre d’animaux d’un cirque itinérant. Alors que l’on considère souvent le roman policier comme une epèce de remise à l’ordre de la société au terme d’un crime résolu, il est intéressant de constater que tel n’est pas le cas avec un auteur qui nous invite à retrouver cet univers singulier où les retrouvailles d’un père et d’un fils n’ont rien du happy end que l’on s’imaginait au terme du premier opus. Avec La Folie Tristan, Gilles Sebhan s’emploie donc à décortiquer les rapports qui unissent les différents personnages d’un récit qui tourne autour d’une nouvelle affaire d’enlèvement qui n’a rien d’exceptionnel. On regrette même cette intrigue policière plutôt simpliste où apparaît Marlène, une quarantenaire séduisante, au prise avec deux terrifiants ravisseurs. Mais avec Gilles Sebhan, l’essentiel est ailleurs puisque le schéma narratif de cette intrigue policière n’est qu’un prétexte pour mettre en exergue les liens entre les divers protagonistes du récit en se focalisant plus particulièrement sur le lieutenant Dapper et le docteur Tristan qui règne toujours, tel un desposte, sur son petit royaume des insensés comme il se plaît à surnommer ces étranges pensionnaires de l’hôpital psychiatrique qu’il dirige. On retrouve donc avec une certaine délectation cette atmosphère dérangeante qui plane au-dessus de l’ensemble d’un roman qui nous apporte tout un lot de révélations dont on mesurera probablement toutes les conséquences dans un troisième ouvrage, Feu Le Royaume, qui vient de paraître.

     

    Enfance meurtrie tournant autour de la transmission et de la filiation au travers de l’héritage qu’il soit matériel, génétique et psychique, Gilles Sebhan met en avant toute la souffrance et la violence des secrets enfouis qui ne sont pas sans rappeler les parcours de l’écrivain Duvert ou du peintre Mandelbaum dont les allusions affleurent au fil des pages comme ce personnage qui trouve la mort dans des circonstances similaires à celle du dessinateur maudit. Il résulte finalement de La Folie Tristan une confrontation grinçante entre l’univers psychiatrique et le monde policier incarnés par le docteur Tristan pour l’un et le lieutenant Dapper pour l’autre. Et c’est au gré de ces téléscopages entre ces deux entités que l’on peut mesurer la fragilité des certitudes des uns et des autres alors que les enfants endossent paradoxalement un savoir et une sagesse mystérieuse qui dépassent le monde des adultes tentant vainement de décortiquer cette logique enfantine, telle une équation insoluble. C’est particulièrement le cas avec Ilyas, jeune garçon mutique, qui semble doté d’une perpection exacerbée lui permettant de déceler les secrets les plus intimes des individus qu’il croise sur son chemin. Ainsi l’enquête policière prend-t-elle parfois des allures de récit fantastique permettant quelques facilités au niveau de la résolution de l’affaire.

     

    Second opus de ce qui apparaît comme une trilogie qu’il convient de lire dans l’ordre de parution, La Folie Tristan poursuit donc l’exploration de cette enfance dévoyée rejaillissant tragiquement sur la psyché d’adultes qui ne cessent d’expier les fautes de leurs ascendants. Une somme de douleurs et de souffrances, baignant dans un climat dérangeant qui nous interpelle.

     

    Gilles Sebhan : La Folie Tristan. Editions du Rouergue/Noir 2019.

    A lire en écoutant : Tristan de William Sheller. Album : Avatar. 2017 Mercury Music Group.

  • B. MICHAEL RADBURN : L’ARBRE AUX FEES. DISPARITIONS ET EXTINCTIONS.

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    Service de presse

     

    Toujours une belle occasion d’explorer de nouvelles contrées par l’entremise de la littérature noire, ceci d’autant plus lorsque l’on s’aventure du côté de l’Océanie. Peter Temple pour Rivages Noir, Jane Harper pour Calmann-Lévy, Paul Cleave et Tony Cavanaugh chez Sonatine, les auteurs australiens sont de plus en plus nombreux à débarquer dans nos régions francophones avec polars, romans noirs et thrillers dont la majeure partie se déroule dans les environs de Melbourne. Mais c’est plus au sud, sur l’état insulaire de Tasmanie que B. Michael Radburn nous invite à découvrir L’Arbre Aux Fée, premier roman d’une série mettant en scène le ranger australien Taylor Bridges qui a choisi de s’exiler dans le parc national Ben Lomond, suite à la disparition de sa fille Claire dont il ne peut se remettre.

     

    Muté à sa demande, Taylor Bridges débarque en Tasmanie en tant que ranger où il a la charge de gérer le parc national Ben Lomond. Hanté par le souvenir de Claire, sa petite fille qui a disparu dans des circonstances tragiques, Taylor réside désormais à proximité de la petite localité de Glorys Crossing en comptant bien trouver une certaine quiétude dans la solitude des lieux. Mais avec les cauchemars et les crises de somnambulisme dont il est sujet, le ranger reste un homme tourmenté, ceci d’autant plus lorsqu’il apprend la disparition de Drew, une fillette du même âge que Claire. Impliqué plus que de raison dans les recherches, Taylor Bridges mène une enquête qui n’est pas du goût du chef de la police locale et des habitants qui se montrent hostiles. Mais rien n’arrêtera le ranger obstiné qui est persuadé que Drew est encore vivante tout en découvrant au gré de ses investigations que d’autres fillettes ont disparu avant elle. L’enquête va prendre davantage d’ampleur avec l’arrivée d’un inspecteur du continent qui va déterrer quelques secrets bien enfouis.

     

    Un long voyage aux antipodes de nos contrées, B. Michael Radburn nous emmène donc du côté de cette île méconnue, ancienne colonie pénitentiaire, située à près de 250 kilomètres au large de Melbourne. D’entrée de jeu, il est question de paysages montagneux figés par le froid avec des forêts de cèdres saupoudrées de neige et un lac artificiel qui ronge la petite localité fictive de Glorys Crossing s’apprêtant à être engloutie par l’inexorable montée des eaux. Il émane ainsi une atmosphère de désolation inquiétante, quelque peu gothique que l’auteur exploite à fond à l’exemple de ces cercueils du cimetière inondé remontant à la surface pour livrer quelques macabres révélations, de cette étrange tour à plomb qui servait à la fabrication de balles de fusil et de ce vieux poivrier sauvage dont la silhouette insolite donne son titre au roman. C’est dans ce décor à la fois sauvage et menaçant qu’évolue Taylor Bridges, garde forestier en quête de rédemption après la disparition de sa fille Claire. Hasard extraordinaire, c’est une autre fillette qui disparaît dès l’arrivée de Taylor. Ainsi, tout le récit s’articule autour de l’enlèvement de la jeune Drew avec une intrigue plutôt convenue pour ce genre de thèmes maintes fois rabâchés. Le récit est d’autant plus décevant que B. Michael Radburn ne se fatigue pas, en nous proposant des ressorts narratifs simplistes qui fonctionnent sur la base de coïncidences peu probables quand ce ne sont pas tout simplement des rêves prémonitoires qui permettent au ranger tourmenté, en proie à des crises de somnambulisme, de progresser dans son enquête.

     

    Comme s’il voulait aborder tous les thèmes en lien avec la Tasmanie, tout en se focalisant sur les aspects d’un thriller convenu avec le sempiternelle tueur en série rôdant dans les parages, ponctué d’éléments fantastiques, B. Michael Radburn nous donne l’impression de s’être égaré au gré d’une intrigue manquant singulièrement de tenue où bien trop de thèmes ont été effleurés à l’instar de la disparition des tigres de Tasmanie qu’il aborde de manière bien trop superficielle quand il ne s’autorise pas quelques entorses avec la réalité de la situation. On regrettera également cette galerie de personnages caricaturaux qui compose la petite communauté de Glorys Crossing en nous donnant l’impression d’avoir à faire à des bouseux ignares complètement déconnectés de la réalité, seule explication valable pour expliquer cet abandon des recherches d’une fillette, au bout de quelques heures, ou le fait de ne pas exploiter l’existence d’une faune que l’on croyait disparue qui empêcherait la mise en place d’un barrage auquel l’ensemble des habitants est opposé.

     

    Inaugurant une série à venir, L’Arbre Aux Fées, roman plein de promesses, se révèle au final plutôt décevant avec un auteur qui a pris le parti de rester sur des registres extrêmement convenus en dépit d’un cadre qui sort de l’ordinaire mais qui est fort mal exploité.

     

    Michael Radburn : L’Arbre Aux Fées (The Crossing, 2011). Editions Seuil/Cadre noir. Traduit de l’anglais (Australie) par Isabelle Troin.

    A lire en écoutant : Artic World de Midnight Oil. Album : Diesel and Dust. 1987 Midnight Oil Ents Pty Ltd.

  • Dorothy B. Hugues : Un Homme Dans La Brume. Voile déchiré.

    dorothy b. hugues,un homme dans la brume,rivages noirMême si l’on n’est pas forcément un adepte de mouvements sociaux comme #MeeToo, il importe tout de même de se questionner sur la représentativité des femmes, ceci notamment dans le domaine de la littérature noire pour débuter cette année 2020 en évoquant l’œuvre de Dorothy B. Hugues, romancière méconnue dans nos contrée francophones, qui fut une contemporaine d’auteurs tels que Hammett, Chandler et Goodis. A une époque où le pulp était une affaire exclusivement d’hommes et où l’on célèbrait les détectives privés désabusés, Dorothy B. Hugues se distingue avec des récits centrés sur des individus tourmentés dont la destinée vire au tragique comme c’est le cas avec Un Homme Dans La Brume qui fait l’objet d’une nouvelle traduction nous permettant de découvrir ce qui apparaît comme l’un des premiers thriller psychologique en nous confrontant aux réflexions d’un tueur psychopathe sévissant dans les rues de Los Angeles, alors que la seconde guerre mondiale est à peine achevée.

     

    Ancien pilote de chasse démobilisé au terme de la seconde guerre mondiale, Dix Steele est un homme solitaire qui arpente les rues de Los Angeles. En quête d’inspiration pour l’élaboration d’un roman policier, l’homme apparaît comme désœuvré en profitant de l’appartement de Berverly Hills que son ami Mel lui a prêté avant d’entamer un long séjour au Brésil. Au cours de ses pérégrinations nocturnes, Dix se rend à Santa Monica pour retrouver son ancien camarade de combat Brub Nicolai qui a intégré le LAPD en tant qu’inspecteur à la brigade criminelle et qui semble avoir trouvé le bonheur en épousant Sylvia. Mais avec un prédateur rôdant dans les rues de la ville en étranglant des jeunes femmes, Dix perçoit l’inquiétude qui ronge le couple. Les victimes se succèdent sans que l’on ne parvienne à identifier le tueur. Des victimes que Dix a croisées sur son chemin.


    Porté à l’écran en 1950 par Nicholas Ray, avec Humphrey Bogart en vedette, Le Violent est une adaptation du roman de Dorothy B. Hugues qui s'intéresse davantage sur l’envers du décor des studios hollywoodiens avec un scénariste en proie à des accès de violence incontrôlable. Le récit de la romancière s’articule sur un tout autre registre en se focalisant sur la confrontation des genres à une période où l’homme, après des années de conflit, doit retrouver sa place au sein d’une société où les femmes se sont émancipées en occupant des emplois habituellement destinés à la gent masculine. Personnage central de l’intrigue, Dix Steele incarne ce ressentiment larvé à l’égard des femmes qui vire à la folie furieuse au gré de réflexions et de préjugés misogynes. Alors qu’il côtoie Sylvia, l’épouse de son ami Brub Nicolai ou sa voisine Laurel qu’il veut séduire à tout prix, on perçoit cette colère et cette frustration vis à vis de femmes émancipées qui n’entrent clairement pas dans l’idée qu’il se fait d’une caste féminine qu’il juge forcément à un niveau inférieur. Il faut dire que Dix Steele apparaît comme un individu égocentrique et antipathique qui devient franchement inquiétant tandis que l’on retrouve des jeunes femmes étranglées dans les rues de Los Angeles. Mais tout en suggestion, notamment pour tout ce qui a trait aux meurtres, Dorothy B. Hugues prend soin d’entretenir le doute avec cet individu ambivalent dont on perçoit les fêlures et même le désarroi à mesure que les soupçons convergent vers lui. C’est une espèce de voile qui se déchire lentement pour distinguer la véritable personnalité d’un homme solitaire qui a perdu tous ses repères sans vouloir réellement l’admettre en se complaisant dans le costume d’un personnage idéal qu’il a façonné de toute pièce.

     

    Ainsi, dans cette inquiétante comédie de mœurs hollywoodienne, le lecteur découvre donc un individu qui entretient les apparences derrière une façade de faux-semblant au delà de laquelle on distingue les affres de la solitude et de la rancœur dans une ville de Los Angeles rutilante qui prend la forme d’un labyrinthe dantesque et étouffant où proies et bourreaux se rencontrent dans la lumière des néons des dîners et autres clubs selects pour disparaître dans cette brume qui emporte tout.

     

    Bénéficiant d’une nouvelle traduction de Simon Baril, on ne peut que saluer l’initiative des éditions Rivages qui ont su mettre au goût du jour Un Homme Dans la Brume, un roman à la fois saisissant et subtil qui n’a pas pris une ride et qui résonne même curieusement dans l’actualité évoquant la parité entre hommes et femmes.

      

    Dorothy B. Hugues : Un Homme Dans La Brume (In A Lonely Place, 1947). Rivages/Noir 2019. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Simon Baril.

    A lire en écoutant : Ruby My Dear de Thelonius Monk. Album : Thelonius Monk with John Coltrane. 2016 Concord Music Group, Inc.