Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03. Roman policier - Page 22

  • Wojciech Chmielarz : La Ferme Aux Poupées. Marchandise humaine.

    Capture d’écran 2018-12-17 à 16.55.17.pngPolar rural ou plus récemment polar des périphéries, voici quelques désignations pour évoquer la littérature noire se déroulant hors des grands centres urbains. Il ne reste plus qu’à s’en arroger la paternité à l’instar d’Aurélien Masson, ancien directeur de la Série Noire, estimant être l’origine de cet engouement pour le genre alors que l’on sait bien que ce sont des maisons d’éditions indépendantes qui se sont intéressées aux romans noirs se déroulant dans les contrées campagnardes. Toujours quête d’originalité, ce sont également ces même éditeurs indépendants qui mettent en avant des polars provenant de nations périphériques méconnues, comme les pays de l’est et plus particulièrement la Pologne suscitant un intérêt particulier depuis le succès des trois romans de Zygmunt Miloszewski mettant en scène les enquêtes du procureur Teodore Szacki débutant avec Les Impliqués (Mirobole éditions 2013) se poursuivant avec Un Fond De Vérité (Mirobole éditions 2014) et s’achevant avec Rage (Fleuve Noir 2016). Toujours en Pologne et inaugurant une nouvelle série de romans policiers, c’est désormais par l’entremise d’Agullo éditions que l’on poursuit notre exploration du pays avec Pyromane (Agullo 2017) de Wojciech Chmierlarz. On découvrait alors l’inspecteur Jakub Mortka, surnommé le Kub, officiant à Varsovie avant de le retrouver dans un dernier opus, La Ferme Aux Poupées, se déroulant dans une région minière de la voïvovide de Silésie.

     

    Après une enquête éprouvante dans la banlieue de Varsovie, l’inspecteur Jakub Mortka, que tout le monde surnomme le Kub, se retrouve muté à Kretowice dans une province montagneuse de la Pologne afin de dispenser aux policiers locaux le nouvelles méthodes d’investigations. Mais dans cette ancienne région minière les affaires reprennent avec la disparition d’une petite fille. L’affaire est d’autant plus délicate qu’elle met en évidence une série d’enlèvements dont certains touchent la communauté Rom. Mais un pédophile récidiviste est rapidement interpellé. Tout irait donc pour le mieux si l’on ne découvrait pas dans les entrailles de la montagne quelques cadavres étrangement conservés qui entraînent le Kub dans des investigations qui vont mettre en évidence un inquiétant trafic d’êtres humains.

     

    On prend énormément de plaisir à retrouver le Kub, ceci d’autant plus que Wojciech Chmierlarz a étoffé son personnage en mettant en évidence quelques failles sans pour autant sombrer dans les stéréotypes propre au genre. Ainsi le Kub se révèle être un policier plus ou moins intègre, ceci en fonction de l’avancée de ses enquêtes qui prennent évidemment un place trop importante dans sa vie. Mais intuitif et assez claivoyant dans le cadre des investigations, le policier est à la peine lorsqu’il s’agit de son entourage auquel il ne prête pas suffisement d’attention, ce qui peut le conduire à certaines déceptions. Prompt à la colère, loin d’être exemplaire et pouvant parfois se fourvoyer, Jakub Mortka, dont la vie privée reste en friche, échappe à la banalité de son quotidien en s’investissant pleinement dans une profession qui devient une espèce d’échappatoire. On retrouve cette ambivalence et ces failles pour l’ensemble des personnages récurrents  de la série à l’exemple de l’ex femme du Kub ou de ses anciens partenaires de Varsovie qui mettent en exergue les faiblesses du Kub mais également toute sa détermination lorsqu’il s’agit d’exercer son métier.

     

    Après Varsovie, le Kub se retrouve donc affecté dans une petite ville de province de seconde zone donnant ainsi l’occasion de découvrir un nouvel environnement. Ancienne cité minière, l’intrigue permet d’appréhender le contexte sociale d’une communauté  aux prises avec les difficultés inhérentes au déclin économique de la région. C’est dans cet univers pesant que La Ferme Aux Poupées, titre aussi glaçant que la couverture,  prend toute sa dimension en mettant en exergue une détresse sociale permettant de mettre en place les trafics les plus odieux. On décèle déjà ce milieu difficile lorsque le Kub interroge les parents d’une petite fille qui vient d’être enlevée. Violence, alcoolisme l’auteur parvient à saisir une scène en quelques mots sans s’apesantir sur le misérabilisme de la situation. Il en va d’ailleurs de même lorsqu’il nous dépeint sans fard les affres d’une communauté Rom méfiante et parfois hostile vis à vis des autochtones qui le leur rendent bien. Une tension latente au service d’une intrigue dont on perd parfois le fil tant les interactions sont parfois complexes et surprenantes à l’instar de cette ferme aux poupèes qui révèle l’odieuse ingniosité de trafiquants sans scrupules.

     

    Une série d’enlèvement d’enfants, des cadavres démembrés, un trafic d’être humain et des malfaiteurs cruels et violents, nul doute que La Ferme Aux Poupées prend parfois l’allure d’un thriller incisif qui se garde pourtant bien de sombrer dans les dérives narratives souvent liées à ce genre, pour s’intéresser davantage aux causes sociales de situations sordides qui se suffisent à elles-mêmes. Un bel équilibre de tensions et de réflexions pour une intrigue qui fait froid dans le dos.

     

    Wojciech Chmielarz : La Ferme Aux Poupées. Editions Agullo 2018. Traduit du polonais par Erik Vaux.

    A lire en écoutant : So Nice de Tomasz Stanko. Album : Dark Eyes – Tomasz Stanko Quintet. 2009 ECM Records GmbH.

     

  • Boris Quercia : La Légende De Santiago. Chute libre.

    la légende de santiago,boris quercia,éditions asphalteService de presse.

     

    Les services de presse sont d'autant plus agréables lorsqu'ils se font rares et qu'ils proviennent de maisons d'édition que vous appréciez et qui semblent avoir une certaine estime pour quelques uns de vos retours de lecture qu'ils ont pris le temps de parcourir. Néanmoins le côté spontané de la démarche peut avoir son revers de médaille avec le risque d'acheter l'ouvrage en librairie avant même de l'avoir réceptionné comme ça a faillit être le cas pour La Légende De Santiago de Boris Quercia, dernier opus des aventures de l'inspecteur Santiago Quiñones, flic chilien borderline, grand amateur de cocaïne qu'il consomme sans modération pour se remonter le moral. On avait rencontré le personnage dans un premier roman intitulé Les Rues De Santiago (Asphalte éditions 2014) pour le retrouver une seconde fois aux prises avec une sombre affaire de pédophilie et de narcotrafiquants dans Tant De Chiens (Asphalte éditions 2015) qui avait obtenu Le Grand Prix de la Littérature Policière – Etrangère. Furieusement déjantée, la série Quiñones mérite que l'on s'y attarde ne serait-ce que pour découvrir cette ville de Santiago du Chili que Boris Quercia dépeint avec une affection certaine, mais également pour se laisser entraîner dans une suite d'aventures rocambolesques qui présentent parfois quelques entournures mélancoliques d'autant plus appréciables lorsqu'elles prennent le pas sur le rythme effréné que nous impose l'auteur.A n’en pas douter, les romans de Boris Quercia ont suscité l’adhésion des lecteurs francophones puisque La Légende De Santiago est publié dans sa version française avant même sa parution dans sa langue d’origine, prévue en 2019.

     

    Rien ne va plus pour l’inspecteur Santiago Quiñones qui vient d’euthanasier son beau-père grabataire en l’étoufant avec un oreiller afin de soulager sa mère qui supportait mal la situation. Un geste vain puisque celle-ci ne se remet pas de ce décès. Du côté de sa vie sentimentale, la situation n’est guère plus reluisante car sa compagne Marina, ne supportant plus ses frasques et ses infidélités, a décidé de le quitter. Et ce n’est pas au boulot que Santiago trouvera du réconfort avec des collègues qui le craignent ou qui le méprisent en rêvant de le voir chuter. D’ailleurs cela ne saurait tarder, non pas parce qu’on lui a confié une enquête délicate de meurtres racistes, mais parce qu’il a subtilisé une demi-livre de cocaïne en découvrant le cadavre d’un trafiquant dans une gargotte tenue par des chinois qui souhaitent récupérer leur bien. Et ils ne vont pas le demander bien gentiment.

     

    Un long dérapage, une embardée sans fin, c’est sur cette sensation d’absence totale de contrôle que Boris Quercia entraine le lecteur dans le sillage de son inspecteur fétiche, fréquemment dépassé par les événements. Du flic maladroit, un brin magouilleur qu’il était autrefois, Santiago Quiñones est devenu un policier borderline, beaucoup plus prompt à utiliser la violence pour régler ses problèmes. Une évolution d’autant plus intéressante qu’avec ce personnage toujours en proie au doute et à la mélancolie, nous allons découvrir les rapports complexes qu’il entretenait avec son père dont il ne semble pas avoir vraiment fait le deuil. Des sentiments exacerbés avec la mort de son beau-père et la rencontre d’un demi-frère qu’il a toujours ignoré, Santiago Quiñones va donc replonger dans ses souvenirs d’enfance. Avec une intrigue échevelée où meutres racistes et réglements de compte entre trafiquants se succèdent à un rythme complètement déjanté, on appréciera ces phases un peu plus introspectives qui nous permettent de souffler un peu tout en discernant les raisons du mal être d’un individu complètement perdu qui n’en demeure pas moins extrêmement attachant. Mais au-delà de ces aspects introspectifs, on se délectera bien évidemment avec ces soudaines explosions de violence, parfois complètement déconcertantes qui prennent certaines fois une dimension complètement burlesque au gré d’une intrigue policière chaotique.

     

    Si l’on prend toujours autant de plaisir à découvrir le quotidien de la ville de Santiago avec ses rues grouillantes de monde, ses cafés bondés et ses marchés bigarrés servant de décor pour ce récit explosif, Boris Quercia nous entraîne également du côté de Valparaiso et de la côte chilienne où l’on décèle la présence de quelques fantômes du passé distillant ainsi une atmosphère plus pesante. Une autre ambiance, une autre tonalité pour mettre en place une scène finale extrêmement poignante qui marquera les lecteurs les plus blasés tout en confirmant le talent d’un auteur qui sait jouer brillamment avec toute la palettes des émotions sans jamais en faire trop.

     

    Récit épique, jouant sur le passif d’un personnage torturé, La Légende De Santiago, possède cette énergie saisissante et entraînante caractérisant l’écriture de Boris Quercia qui nous livre, une fois encore, un roman détonnant et terriblement addictif... pour notre plus grand malheur.

     

    Boris Quercia : La Légende De Santiago (La Sangre No Es Agua).  Asphalte éditions 2018. Traduit de l'espagnol (Chili) par Isabel Siklodi.

    A lire en écoutant : Malagradecido de Mon Laferte. Album : Mon Laferte, Vol. 1. 2016 Universal Music S.A. de C.V.

  • LAURENT GUILLAUME : LÀ OÙ VIVENT LES LOUPS. CHASSE EN MEUTE.

    laurent guillaume, là où vivent les loups, éditions denoëlLorsque l'on se rend à un festival de la littérature noire comme Toulouse Polar du Sud, on devrait prendre soin d'éviter les 65 auteurs présents de peur de sympathiser avec eux et d'avoir ainsi bien plus de mal à relever les imperfections des romans qu'ils nous proposent. En l'occurrence le problème ne se pose pas lorsque l'on rencontre un romancier comme Laurent Guillaume car en plus d'être un formidable conteur captant son auditoire lorsqu'il nous livre ses péripéties lors de ses missions en Afrique comme consultant international pour la lutte contre le crime organisé ou durant la période où il a été officier au sein de la police nationale française, l'homme possède un indéniable talent lorsqu'il couche sur papier des récits policiers empreints de ses expériences personnelles. Après une série de romans mettant en scène Mako, un policier affecté à la BAC de la région parisienne, Laurent Guillaume nous propose, avec son dernier roman Là Où Vivent Les Loups, de découvrir un nouveau flic, Priam Monet, se distinguant tant sur le plan physique que sur le plan relationnel ce qui en fait un personnage résolument hors norme.

     

    Un ours mal léché, mal embouché, c’est ainsi que l’on pourrait qualifier le commandant Priam Monet dont la carrière au sein de la brigade criminelle et des stups à Paris n’est plus qu’une histoire ancienne lui qui est désormais affecté à l’IGPN, la police des polices. Cantonné à des tâches administratives il doit traîner sa grasse carcasse, deux mètres pour quelques cent cinquante kilos, au fin fond d’une vallée perdue de la Haute-Savoie, toute proche de la frontière avec l’Italie, afin d’inspecter un service de la Police aux Frontières, dans le cadre d’un audit. Une mission qui n’a rien d’une sinécure lorsqu’il se retrouve dans cette ville décrépite de Thyanne qui endure les affres de la désindustrialisation alors que la plupart des habitants de la vallée subissent la tyrannie d’un riche propriétaire terrien. Priam Monet n’a donc plus qu’une idée en tête, quitter au plus vite ce bled pourri dont il n’a que faire. Mais avec la découverte du cadavre d'un migrant qui aurait chuté d'une falaise, la donne change car Priam Monet ne croit guère à la version de l'accident. Et le vieux briscard va rapidement retrouver ses réflexes d'enquêteur chevronné pour mettre à jour d’obscurs secrets que la faune locale veut dissimuler à tout prix. Des hommes inquiétants qui rôdent dans la forêt. Des coups de feu qui résonnent dans le silence de cette vallée perdue. Il semble que l'on s'adonne à des parties de chasse qui sortent de l'ordinaire. Et on dirait bien que Priam Monet va s'attarder dans la région plus que de raison. Tant qu’il n’y demeure pas pour l’éternité.

     

    Avec une parfaite connaissance du monde policier au sein duquel il a travaillé de nombreuses années et une certaine maîtrise des codes de la littérature noire, Laurent Guillaume nous livre avec Là Où Vivent Les Loups, un polar extrêmement bien calibré qui emprunte également quelques influences propre aux westerns. L'arrivée en train, le héros solitaire, la petite ville perdue et ses habitants hostiles, le riche propriétaire terrien régnant sans partage sur la région, nul doute que le lecteur décèlera quelques influences du genre, amplifiées par des décors improbables à l'instar du Route 66, un établissement perdu au milieu d'une zone industrielle qui prend l'allure d'un saloon ou d'un bar américain typique. Un décor clinquant contrebalançant l'ambiance glauque de cette petite ville perdue ou la majesté des contreforts montagneux et des forêts. Il faut dire que Laurent Guillaume, natif de la région où se déroule le récit, parvient à restituer avec une belle aisance cette atmosphère savoyarde lui permettant de mettre en scène une histoire somme toute assez classique, tout de même agrémentée de quelques rebondissements saillants sur fond de thématiques de migrants et de désindustrialisation qu'il évoque avec suffisamment  de tact et d'à-propos sans trop verser dans des considérations lénifiantes ou larmoyantes. Il faut dire que l'auteur possède un sens de l'écriture efficace qui lui permet d'aller vers l'essentiel en donnant du rythme à un roman où l'évocation des investigations et des procédures policières confère à l'ensemble de l'intrigue une solide sensation de réalisme sans jamais basculer vers l'ennui de l'explication pontifiante.

     

    Mais il va de soi que l'indéniable plaisir que l'on a à lire un roman tel que Là Où Vivent Les Loups réside dans les échanges parfois extrêmement drôles entre ce flic hors du commun qu'est Priam Monet et des interlocteurs déconcertés par son attitude. On Tombe sous le "charme" de ce personnage irascible, parfois franchement odieux qui s'est bâti une carapace afin de contrer tous ceux qui aurait l'outrecuidance de faire quelques commentaires sur son obésité. Une prison de chair qui l'isole des autres pour en faire une espèce de misanthrope livrant ses considérations dépourvues du moindre filtre social. Il en résulte des dialogues savoureux, parfois franchement hilarants et des scènes d'actions qui prennent occasionnellement une tournure quelque peu cocasse ce qui les rend d'autant plus appréciables. L'ensemble est d'autant plus plaisant qu'en plus de son physique disgracieux et de son caractère ombrageux, ce flic, parisien jusqu'au bout des ongles,  ne supporte pas cet environnement alpin dans lequel il évolue et que c'est bien évidemment dans cette logique de confrontation que l'auteur met en scène des interactions à la fois drôles et percutantes avec les autres protagonistes tel que Claire, adjointe, à son corps défendant, de Monet ou d'autres personnages comme le Vieux Roc, montagnard bourru ou Marie, la journaliste locale. Des protagonistes très bien campés décelant, tout comme le lecteur d’ailleurs, cette part d'humanité que l'auteur concède à son personnage pour en faire un flic franchement attachant que l’on aura plaisir à retrouver.

     

    Une intrigue bien menée, agrémentée de personnages étonnants et de dialogues à la fois drôles et efficaces, Là Où Vivent Les Loups fait partie de ces récits solides et plaisants qui donnent toutes ses lettres de noblesse au roman populaire.

     

    Laurent Guillaume : Là Où Vivent Les Loups. Editions Denoël 2018.

    A lire en écoutant : As Ugly As I Seem de Jack White. Album : Get Behind Me Satan. 2005 XL Recordings.

  • Wojciech Chmielarz : Pyromane. Brûlure froide.

    Capture d’écran 2018-08-12 à 21.03.48.pngIl va de soi que la série de romans policiers de Valerio Varesi, mettant en scène les investigations du commissaire Soneri, constitue l’une des belles trouvailles de la maison d’éditions Agullo. Le Fleuve Des Brumes (Agullo 2016), La Maison De La Via Saffi (Agullo 2017) et son dernier opus Les Ombres De Montelupo (Agullo 2018) ont ainsi bénéficié d’une belle mise en lumière en occultant peut-être une autre série policière également publiée par Agullo et dont l’action se déroule en Pologne. Il serait pourtant dommage de passer à côté de Pyromane de Wojciech Chmielarz, nous permettant de faire la connaissance de l’inspecteur Jakub Mortka, surnommé le Kub, et de découvrir sa première enquête se déroulant dans une morne banlieue de la ville de Varsovie.

     

     A Ursynow, en plein hiver, l’ex star de concours de beauté polonais, Klaudia Kameron, dont la carrière de chanteuse populaire a rapidement tourné court, peut s’estimer chanceuse. Elle a survécu à l’incendie qui a dévasté sa maison alors que son mari, un businessman aux fréquentations douteuses, est retrouvé mort dans les décombres. Hospitalisée, portant les stigmates du sinistre qui l’a défigurée, Klaudia tente de se remettre de l’événement, ceci d’autant plus qu’il s’agit d’un acte criminel. En charge de l’enquête, Jakub Mortka, que tout le monde surnomme le Kub, découvre rapidement qu’un pyromane sévit dans les rues de Varsovie et qu’il faut rapidement l’appréhender avant qu’il ne fasse de nouvelles victimes. Malgré les pressions émanant du pouvoir judiciaire, de sa hiérarchie et même du Milieu, le Kub, flic au caractère bien trempé, ne va pas s’en laisser compter pour mener à bien ses investigations en pouvant s’appuyer sur un partenaire au comportement douteux et une profileuse séduisante dont il n’a que faire mais que ses supérieurs lui imposent.

     

    On peut définir Pyromane comme un examen sans fard de la société polonaise qui se traduit d’ailleurs avec l’environnement dans lequel se déroule l’enquête, une banale banlieue abritant la classe moyenne de Varsovie, nous permettant de découvrir le quotidien des habitants ainsi que leurs difficultés en s’attardant sur le thème des violences domestiques que subissent les femmes polonaises. Avec une telle thématique Wojciech Chmielarz pose un regard à la fois incisif et impitoyable sur l’ensemble des protagonistes qui vont intervenir dans le roman. Que ce soit le mari de Klaudia qui violente sa femme, tout comme l’adjoint de Jakub Mortka qui malmène son épouse, on voit bien que le phénomène impacte toutes les classes sociales. Et en rapport à ces exactions, on observe également le comportement passif des témoins à l’instar de Jakub Mortka qui préfère fermer les yeux sur les agissements de son collègue afin de poursuivre son enquête. Personnage ambivalent, dénué de tout centre d’intérêt hormis les enquêtes dont il a la charge, Jakub Mortka ne possède aucun talent particulier à l’exception d’une ténacité sans faille et d’un investissement professionnel démesuré qui lui a coûté son mariage. C’est d’ailleurs au travers des relations avec son ex femme que l’on perçoit l’humanité de cet individu dont la morale peut s’avérer extrêmement variable en fonction de l’avancée des investigations qu’il doit mener.

     

    A la lecture d’une enquête extrêmement réaliste et très bien construite, comportant parfois quelques longueurs, le lecteur ne manquera pas d’être surpris par le dénouement d’une intrigue révélant quelques rebondissements singuliers qui font de Pyromane un excellent premier roman d’une série policière polonaise nous offrant un vision passionnante et sans concession d’un pays méconnu.

     

    Wojciech Chmielarz : Pyromane (Podpalacz). Traduit du polonais par Erik Veaux. Editions Agullo 2017. Editions Le Livre de Poche 2018.

    A lire en écoutant : When The Sun Goes Down de Arctic Monkey. Album : Whatever People Say I Am, That’s What I’m Not. 2005 Domino Recording Co.

  • DOMINIQUE MAISONS : TOUT LE MONDE AIME BRUCE WILLIS. AMES BRISEES.

    Service de presse.

    dominique maisons, tout le monde aime bruce willis, éditions La MartinièreA l’heure de la récente inculpation du producteur Harvey Weinstein pour harcèlements, agressions sexuelles et viols, on pouvait s’étonner de l’absence de fictions dénonçant ces comportements troubles et inquiétants se déroulant dans le milieu de l’industrie du cinéma américain. Car même si l’on a pu croiser, à de très nombreuses reprises, ce fameux personnage du «gros» producteur odieux et sans scrupule, rares sont les auteurs qui se sont penchés sur les problèmes de discrimination des genres dans l’univers cinématographique avec toute la cohorte d’abus qui en résulte, notamment vis-à-vis des actrices et des réalisatrices, ceci tous pays confondus. Parce que l’on peut considérer Hollywood comme une espèce de Mecque du cinéma, c’est donc à Los Angeles que nous suivons les tribulations de Rose, une jeune actrice «banckable», que l’on découvre dans Tout Le Monde Aime Bruce Willis, nouveau roman de Dominique Maisons.

     

    Jeune actrice adulée, Rose Century dysfonctionne de plus en plus. A bout de nerf, elle doit contenir l’appétit  financier de son producteur et les tentatives de contraintes sexuelles du réalisateur de la nouvelle série dans laquelle elle s’apprête à tourner. Du côté de la famille cela ne va guère mieux entre un père odieux et méprisant, une mère qui a reporté tous ses rêves de succès sur sa fille et le souvenir d’une sœur adorée qui s’est donnée la mort. La pression du succès, ces flashes et cette foule qui l’assaillent constamment, il ne lui reste plus que l’alcool et la coke pour tenir le coup et ne pas sombrer dans la folie, ceci d’autant plus que l’on ne cesse d’évoquer des lieux où on l’aurait croisée et des rencontres dont elle n’a pas le moindre souvenir.

     

    Trop de clichés tuent le cliché et même si l’on comprend bien que c’est sur une somme de stéréotypes que Dominique Maisons entend déconstruire le mythe hollywoodien on ne peut s’empêcher d’avoir un sentiment de déjà vu que ce soit notamment du point de vue du décorum, à l’image de la photo ornant la couverture du livre, mais également sur le plan de la construction narrative dont on peut déjà définir l’ensemble des contours au terme de la lecture de la première partie du livre. C’est d’autant plus regrettable que le roman recèle quelques scènes intéressantes comme cette mise en abîme de Rose lors de son déplacement à Paris ou les étranges démarches de Caleb, pensionnaire d’une mystérieuse communauté religieuse, retirée dans les confins du désert. Mais bien vite il faut déchanter pour constater que le récit obéit à des archétypes narratifs éprouvés, maintes fois rabâchés comme celui de la victime bafouée et démunie qui va pourtant trouver les ressources nécessaires pour pouvoir reconquérir sa place tout en faisant face aux personnes responsables de ses tourments, ceci sur fond d’une machination alambiquée très peu crédible. Et malgré une écriture alerte, teintée de quelques traits d’humours sardoniques et de quelques clins d’œil facétieux on ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine forme d’ennui et de déception à la lecture d’un roman dont on attendait probablement plus de noirceur ou davantage de folie pour s’acheminer vers un récit un peu plus déjanté ou surprenant. Mais arrivé au terme de Tout Le Monde Aime Bruce Willis, il faudra bien admettre que l’ouvrage se révèle extrêmement convenu et somme toute, plutôt frustrant.

     

    Dominique Maisons : Tout Le Monde Aime Bruce Willis. Editions de La Martinière 2018.

    A lire en écoutant : You’re Lost Little Gril de The Doors. Album : Strange Day. Elektra Records 1967.