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03. Roman policier - Page 27

  • James Crumley : Fausse Piste. Sur les traces de la voie lactée.

    Capture d’écran 2017-02-18 à 00.51.39.pngUne nouvelle traduction de Jacques Mailhos agrémentée d’illustrations en noir et blanc de Chabouté, toutes les occasions sont bonnes pour revisiter l’œuvre de James Crumley comme nous le propose les éditions Gallmeister avec Fausse Piste, premier roman de la série consacrée au détective Milo Milodragovitch. Au-delà d’une traduction plus contemporaine, il s’agit de découvrir ou redécouvrir l’une des voix marquantes du roman noir américain qui fut paradoxalement l’un des écrivains les plus méconnu de ce fameux courant « nature writing » issu de la ville de Missoula dans laquelle James Crumley a toujours séjourné en côtoyant James Lee Burke et Jim Harrison.

     

    A Meriwether dans le Colorado c’en est fini des flagrants délits d’adultère pour le détective privé Milo Milodragovitch qui se morfond désormais dans son bureau depuis que l’on a réformé la loi sur les divorces en le privant ainsi de sa principale source de revenu. Alors que ses finances sont au plus mal, il passe en revue les ruines de sa vie sentimentale entre deux cuites avec ses camarades de beuverie. Une existence bancale sans grandes interférences jusqu’à ce que débarque la belle Helen Duffy à la recherche de son petit frère disparu. Pour les beaux yeux de cette femme séduisante, Milo se lance maladroitement sur les traces du jeune étudiant amateur de tir au revolver au dégainé rapide. Mais l’enquête va se révéler plus chaotique qu’il n’y paraît.

     

    Une écriture généreuse, sincère, dotée d’un humour vachard, c’est la marque de fabrique de James Crumley qui reprend tous les canons du roman noir et du polar en les assaisonnant d’une tension confuse parfois décousue mais qui se révèle au final d’une étonnante maîtrise en embarquant le lecteur dans les tréfonds de l’âme tourmentée de ce détective qui sort vraiment de l’ordinaire. A bien des égards, Milo Milodragovitch présente de nombreuses similitudes avec son auteur dans sa propension à s’imbiber généreusement d’alcool en alternant des périodes de morosité et de gouaille festive tout en s’investissant corps et âmes dans des enquêtes qui s’avèrent bien plus originales qu’on ne pourrait l'imaginer. Publié en 1975, Fausse Piste capte également le climat de révolution culturelle qui régnait à l’époque aux USA. Une période confuse où l’on croise des personnages atypiques comme ce travesti féru d’arts martiaux ou cet ancien avocat qui a renoncé au droit pour s’imbiber quotidiennement et méthodiquement d’alcool. Libéralisation des mœurs qui va de pair avec la consommation de drogues devenant une plaie sournoise et endémique renvoyant aux propres addictions de Milo Milodragovich et de son entourage proche et indirectement à l’auteur qui ne porte jamais de jugement de valeur mais qui témoigne magistralement de son temps.

     

    Parce qu’il ne faut pas s’y tromper, Fausse Piste, comme d’ailleurs la plupart des ouvrages de James Crumley, fait partie de la quintessence du polar en dépassant allégrement tous les codes du genre. On entre dans une autre dimension d’une incroyable facture tant sur le plan narratif que sur l’objet de l’intrigue et il serait vraiment regrettable de passer à côté de cette remise au goût du jour que nous propose les éditions Gallmeister qui a eu la bonne idée de l’agrémenter des illustrations percutantes de Chabouté parvenant à saisir l’atmosphère du roman avec une belle justesse.

     

    James Crumley nous présente donc des récits emprunts à la fois d’une violence crue et d’une grâce parfois émouvante, servis par la force de dialogues truculents et incisifs permettant de mettre en scène toute une galerie de personnages d’une singulière sensibilité, toujours délicieusement humains dans toutes leurs imperfections qu’ils dissimulent sous une somme d’excès et brutalités quelques fois extrêmement saisissante. Ainsi Milo Milodragovitch, ex shérif deputy corrompu et détective alcoolique se distancie des clichés usuels propre à ce type de personnage pour incarner ce qui se fait de mieux en matière de personnage à la fois torturé par ses démons tout en tentant de faire le bien du mieux qu’il peut autour de lui. Homme frustre, parfois très maladroit mais toujours sensible et obligeant, Milo résoudra une enquête pénible et compliquée car parsemée d’une myriade de fausses pistes et dont la conclusion se réalisera à ses propres dépens.

     

    Indéniablement Fausse Piste, comme tous les romans de James Crumley, constitue l’une des très grandes références dans le domaine du polar et du roman noir et s’inscrit dans deux séries emblématiques mettant en scène Milo Milodragovitch pour l’une et C.W. Sughrue pour l’autre, détective également mythique que l’on retrouve dans Le Dernier Baiser qui vient de paraître également au éditions Gallmeister. Et pour achever de vous convaincre de lire James Crumley, il faut bien prendre conscience que Fausse Piste n’est que le début d’une œuvre magistrale qui a révolutionné le genre. Indispensable et fondamental.

     

    James Crumley : Fausse Piste (The Wrong Case). Editions Gallmeister 2016. Traduit de l’anglais (USA) par Jacques Mailhos.

    A lire en écoutant : The Ghosts of Saturday Night de Tom Waits. Album : Asylum Years. Asylum 1986.

  • Friedrich Glauser : L'Inspecteur Studer. Les fondamentaux du polar suisse.

    friedrich glauser,l'inspecteur studer,polar suisse,éditions le promeneur,éditions gallimardUn parcours déroutant, c’est le moins que l’on puisse dire pour qualifier la biographie de Friedrich Glauser (1896 - 1938), écrivain suisse alémanique, créateur d’une série de six romans policiers mettant en scène l’inspecteur Studer qui le rendit célèbre. Une vie familiale difficile et des fugues multiples lui vaudront des placements dans des maisons d’éducation ainsi que quelques séjours en prison. Après des études chaotiques, Friedrich Glauser travaillera comme plongeur, garçon laitier, journaliste stagiaire, mineur, horticulteur et intégrera même la Légion étrangère durant deux ans. C’est son addiction à la morphine qui le contraindra à vivre en marge de la société en effectuant de nombreux séjour en hôpital psychiatrique et en maison d’arrêt dont il s’évadera à plusieurs reprises. On retrouvera donc au travers de l’œuvre de Friedrich Glauser toute l’évocation d’une vie mouvementée qu’il conviendra de redécouvrir en mettant en perspective les scandales de placements forcés et autres internements abusifs avec une actualité récente qui a mis en lumière une page trouble et peu glorieuse de l’histoire suisse contemporaine.

     

     Esprit frondeur et indépendant, rétrogradé au rang d’inspecteur, Studer est en froid avec sa hiérarchie et fuit fréquemment son bureau de la police cantonale bernoise pour se lancer à la poursuite d’individus recherchés. C’est ainsi qu’il appréhende Schlumpf, un jeune homme un peu marginal, accusé du meurtre de son patron qui s’occupait de la réinsertion des détenus. Placé en maison d’arrêt à Thoune, le jeune homme tente de se pendre dans sa cellule et ne doit la vie sauve qu’à la prompte intervention de l’inspecteur Studer. Intrigué par les dénégations véhémentes de ce garçon perdu qui ne cesse de clamer son innocence, le policier se rend au village de Gerzenstein pour reprendre les investigations des gendarmes afin d’éclaircir les zones d’ombre d’un meurtre qui se révèle bien plus étrange qu’il n’y paraît.

     

    Publié en 1935, L’Inspecteur Studer demeure, aujourd’hui encore, un ouvrage de référence dans le domaine du roman policier helvétique tout en restant méconnu du grand public, ce qui est fort regrettable. A l’heure, où les références du polar suisse romand se concentrent principalement sur l’aspect géographique des lieux, Friedrich Glauser dresse le décor de son premier roman dans le village fictif de Gerzenstein pour mettre en scène toute une galerie de personnages évoluant dans l’univers laborieux des classes modestes d’un pays qui, derrière une façade idyllique, révèle son lot de rivalités et de jalousies. L’auteur y évoque les difficultés d’une vie teintée d’espoirs et de déceptions dans un contexte économique qui paraît extrêmement précaire. Faillites, détournements de fonds, investissements aussi modestes qu’hasardeux, il s’en passe des choses derrières les façades de ce village tout en longueur, dont les maisons s’échelonnent de part et d’autre d’une artère unique, et il n’est donc pas étonnant qu’un meurtre finisse par s’y produire. L’inspecteur Studer devient ainsi une espèce d’anthropologue observant et décryptant tout l’aspect relationnel entre les différents protagonistes. Avec un mélange de déduction et d’intuition le policier s’immerge dans le quotidien des villageois pour mettre à jour les dissensions entre notables et villageois de conditions plus modeste.

     

    A bien des égards, l’inspecteur Studer présente de nombreuses similitudes avec l’auteur notamment en ce qui concerne son empathie vis à vis de ces écorchés de la vie qu’il croise sur son chemin, ainsi qu’une certaine aversion paradoxale à l’autorité qui lui vaudra d’ailleurs sa rétrogradation et quelques inimitié au sein de sa hiérarchie policière. Au lieu d’opérer dans son bureau, Studer fait partie de ces policiers qui préfèrent investir les domiciles des protagonistes concernés par le meurtre ou les retrouver dans les cafés qu’ils fréquentent afin de les observer dans leurs environnements respectifs pour tenter de discerner les antagonismes pouvant constituer le mobile du crime. Toute l'intrigue du roman consiste à savoir si Schlumpf, ce jeune marginal, en voie de réinsertion, est bien coupable du crime dont il est accusé. Et avec cette scène ouvrant le roman où le jeune homme tente de se suicider dans le cachot de la maison d’arrêt de Thoune, on retrouve, là aussi, quelques éléments de la vie de Friedrich Glauser lorsque l’on apprend, en consultant sa biographie, que l’auteur fit au moins quatre tentatives pour mettre fin à ses jour, ceci dans divers établissements pénitentiaires ou psychiatriques qu’il fréquenta sa vie durant.

     

    Parce qu’il y livre beaucoup de lui-même et de son parcours de vie, il y a de la défiance et du mordant dans l’écriture généreuse et sincère de Friedrich Glauser qui s’emploie à dépeindre sans complaisance un portrait social saisissant de réalisme dans cette atmosphère confinée, parfois lourde de tension propre à ces petits villages helvétiques si tranquilles … en apparence. Injustement méconnue, l’œuvre de Friedrich Glauser débutant avec L’Inspecteur Studer mérite d’être redécouverte toutes affaires cessantes dans le cadre de cette nouvelle effervescence du roman policier helvétique.

     

    Friedrich Glauser : L’Inspecteur Studer (Wachtmeister Studer). Editions Gallimard/Le Promeneur 1990. Traduit de l’allemand par Catherine Clermont.

    A lire en écoutant : She Rains de The Young God. Album : T .V. Sky. Play It Again Sam (PIAS) 1992.

     

  • ZYGMUNT MILOSZEWSKI : LA RAGE. LA DISSOLUTION DES COEURS.

    Zigmunt Miloszewski, La Rage, Teodore szacki, violences conjugales, pologne, Fleuve noirEn l’espace de trois romans narrant les investigations du procureur Teodore Szacki, son créateur Zygmunt Miloszewski s’est attaché à dresser un portrait social de la Pologne à la fois caustique et sans concession tout en soulignant le charme mais également les travers des régions dans lesquels il a mis en scène cet enquêteur atypique au caractère revêche le rendant quelque peu antipathique. Le procureur Teodore Szacki affecté au parquet de Varsovie faisait son entrée dans Les Impliqués (Mirobole 2015) où l’on découvrait le passé peu reluisant de la Pologne communiste. Un Fond de Vérité (Mirobole 2015) nous permettait d’entrevoir toute la problématique de l’antisémitisme dans le cadre pittoresque de la ville de Sandormierz. Avec La Rage, Zygmunt Miloszewski a décidé de mettre un terme à la série en abordant la thématique des violences domestiques. On retrouve donc notre procureur désormais affecté à la ville d’Olsztyn (ville d’origine de l’épouse de l’auteur) pour une ultime enquête qui l’impliquera au-delà de ce que l’on aurait pu imaginer.

     

    Toujours en quête d’affaires sortant de l’ordinaire, Teodore Szacki ne trouve guère de satisfaction dans ses fonctions de procureur affecté au parquet de la petite ville provinciale d’Olsztyn. La situation n’est guère plus reluisante au sein de sa vie de couple perturbée par la venue de sa file Hela, une jeune adolescente au caractère aussi affirmé que celui de son père.
    De prime abord la découverte d’un squelette dans un bunker désaffecté ne présenterait pas le moindre intérêt pour Teodore Szacki. Une résurgence de la seconde guerre mondiale tout au plus. Mais les ossements présentent les particularités d’être beaucoup plus récents qu’il n’y paraît et d’appartenir à plusieurs victimes. Pour le fringuant et orgueilleux procureur c’est l’occasion rêvée pour mettre à l’épreuve ses compétences quitte à négliger ses affaires courantes et à éconduire une femme qui peine à s’exprimer pour décrire les violences psychiques que lui inflige son mari. Une absence d’écoute et d’empathie qui va virer à la tragédie et révéler des liens entre les deux affaires.
    Y aurait-il un justicier qui sévit dans la ville d’Osztyn ?

     

    La Rage, débute sur un préambule déroutant où l’auteur met en scène son procureur fétiche dans une situation dramatique qui trouvera son explication dans le long flash back composant l’ouvrage avec une enquête s’étalant sur une période située entre le 25 novembre et le 4 décembre 2013. La période suivante s’achevant au 1er janvier 2014 dépeint les conclusions de l’enquête qui feront également office d’épilogue. Comme à l’accoutumée, chacune des journées débute avec une revue de presse qui permet à l’auteur, également journaliste, de mettre en exergue la thématique qu’il aborde dans le déroulement de l’intrigue tout en situant le contexte sur le plan international, national et local.

     

    Toujours aussi bien documenté, l’auteur appréhende le phénomène des violences domestiques avec une justesse qui fait froid dans le dos. En pénétrant dans l’intimité du quotidien d’un couple on découvre tout le processus de ces brutalités psychiques se révélant bien plus insidieuses et bien plus abjectes que la force des coups qui concluent immanquablement ces relations destructrices. C’est d’autant plus dramatique lorsque la victime essaie de rapporter les faits aux autorités pour ne rencontrer que scepticisme et absence d’écoute à l’instar de cette femme tentant en vain de dépeindre les violences dont elle fait l’objet à un Teodore Szacki complètement désintéressé qui trouve le moyen d’éconduire l’épouse en invoquant l’absence de faits concrets. La scène se conclut sur cet instant poignant où l’épouse désemparée regagne le domicile conjugal en ne sachant plus vers qui se tourner pour trouver de l’aide. C’est probablement après le drame qui s’ensuit que le procureur se départira de cette morgue qu’il affiche en permanence pour dévoiler une part d’humanité que l’on peinait à entrevoir dans les opus précédents. Elle se traduit notamment dans les relations qu’il entretient avec sa fille lors de confrontations qui révèlent toute l’affection que le père porte pour cette jeune adolescente qu’il ne découvre que trop tardivement.

     

    Sur le plan de l’intrigue, Zygmunt Miloszewski entretient un suspense haletant notamment en ce qui concerne l’exécution des victimes avec un processus qui s’avère aussi ingénieux que terrifiant, ceci d’autant plus que le procureur sera directement visé par les noirs desseins d’un curieux tueur déterminé. Il règne donc tout au long du récit une ambiance pesante et inquiétante sur fond de morosité hivernal qui déteint sur l’ensemble des personnages évoluant dans cette ville provinciale d’Olsztyn que l’auteur dépeint avec une certaine sévérité teintée d’une pointe d’humour grinçant en fustigeant les conditions déplorables de circulation. Beaucoup moins drôle sont les conditions d’une enquête rendue difficile par l’incompatibilité des systèmes informatiques des différents services de l’état qui rendent impossible le moindre recoupement visant à faciliter les recherches du procureur. On assistera donc à un duel impitoyable où les meurtres sont destinés à mettre en lumière toute l’incurie d’un processus judiciaire déficient tout en ébranlant les certitudes et la rigueur de l’homme de loi dépassé par des événements qui l’engagent sur un plan très personnel. Un mise en abîme édifiante qui se terminera d’une manière un peu trop abrupte pour être suffisamment crédible eu égard aux trésors d’ingéniosité dont auront fait preuve les adversaires du procureur Szacki pour déjouer ses investigations.

     

    Toujours aussi pertinent avec les phénomènes sociétaux qu’il aborde par l’entremise d’une intrigue éprouvée, Zygmunt Miloszewski achève avec La Rage un cycle passionnant prenant pour cadre la Pologne contemporaine qu’il décortique avec une acuité déconcertante.

     

    Zygmunt Miloszewski : La Rage (Gniew). Editions Fleuve Noir 2016. Traduit du polonais par Kamil Barbarski.

    A lire en écoutant : All the Love de Kate Bush. Album : The Dreaming. EMI Records 1982.

  • Guy-Olivier Chappuis : Sous le Viaduc. A la rupture.

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    Chronique publiée pour le journal littéraire Le Persil, numéro spécial polars romands.

     

    Sous le viaduc est le premier roman du journaliste suisse Guy-Olivier Chappuis qui dévoile les turpitudes d’une puissante multinationale aux prises avec des altermondialistes intrusifs. Une intrigue librement inspirée d’un fait d’actualité réel où la multinationale Nestlé avait mandaté l’entreprise Securitas pour infiltrer le groupe altermondialiste Attac.

     

    Un couple retrouvé mort sous le viaduc de l’A12 à la lisière des cantons de Vaud et de Fribourg et voici Louis-Marie Prokowski, surnommé Proc, chargé d’une enquête intercantonale qui ne l’intéresse guère. Coureur de jupons invétéré, l’inspecteur de la police cantonale vaudoise s’est fait remettre à l’ordre et reléguer à une fonction de subalterne après avoir séduit une collègue dans une voiture de service. Désabusé, il promène son mal de vivre et sa frustration d’être désormais le subordonné d’une charmante commissaire qui le dirige à la baguette. Pourtant les investigations vont prendre une tournure étrange qui mènera l’inspecteur sur les traces d’un père qu’il n’a jamais connu.

     

    Une fois encore avec la maison d’édition Les Furieux Sauvages, il faut tout d’abord s’attarder sur le contenant avant d’entamer le contenu pour apprécier le livre comme un bel objet renfermant une histoire dont quelques indices sont distillés sur un protège-couverture déroutant où l’on distingue le dessus d’un crâne dégarni et une mystérieuse clé ornant la couverture de l’ouvrage. Puis lorsque l’on s’installe dans la lecture, on appréciera immanquablement le soin apporté à l’impression avec une belle typographie soignée permettant d’appréhender le récit dans les meilleurs conditions.  

     

    Ainsi on découvre avec ce nouvel auteur, les imbroglios d’une enquête intercantonale dans laquelle on distingue toute l’expérience du journaliste chevronné, doté d’une vision acérée permettant ainsi de mettre en exergue toute les complications qu’implique une investigation de cette nature avec ses carences et ses rivalités. Du mordant avec une pointe de sacarsme qu’il met entre les mains de son personnage principal c’est ce que l’on perçoit sur toute la durée de ce récit emprunt d’une certaine originalité que l’on retrouve notamment au travers de protagonistes atypiques pourvus de quelques traits caricaturaux qui servent l’aspect satyrique d’une trame policière qui sort de l’ordinaire.

     

    La force de Guy-Olivier Chappuis est donc de distiller une ironie mordante tout au long de cette enquête dont quelques entournures prennent parfois une expression mélancolique. Il dresse ainsi le portrait de Proc, ce flic vaudois un peu borderline, amateur de vins locaux, qui rompt sa solitude avec des aventures sans lendemain sous le regard imperturbable de son chat Clooney. La galerie des personnages secondaires est bien étoffée et haute en couleur avec une attirante commissaire qui n’est pas dénuée de force et d’intelligence, un brocanteur véreux, un vieux gangster brutal à la santé déclinante et ce chef de service veule autour duquel tournent toutes les manigances de l’entreprise. Une écriture vive et acérée, parfois détonante, donne à l’ensemble du roman un dynamisme décoiffant pour une intrigue ponctuée de scènes d’action percutantes qui se déroulent dans les beaux décors de la Riviera vaudoise et de l’arrière-pays fribourgeois.

     

    Pertinent et impertinent, Sous le Viaduc permet de s’immerger dans toutes les strates d’une société helvétique plus trouble qu’il n’y paraît en passant des buvettes et cafés populaires aux vénérables salons d’entreprises internationales sur une déclinaisons de paysages attrayants en suivant les pérégrinations d’un flic à la fois troublant et attachant que l’on souhaite retrouver pour d’autres aventures.

     

    Dans le cadre du festival du polar Lausan’noir retrouvez Guy-Olivier Chappuis et Valérie Solano, le vendredi 18 novembre 2016 :

    12h45 Du journalisme au polar

    Corinne Jaquet a fait 10 ans de chronique judiciaire à Genève avant de se lancer dans le polar, tout comme le journaliste vaudois Guy-Olivier Chappuis, auteur de « Sous le viaduc » (Sauvages). Un bagage précieux.

    13h30 Editer du polar en Suisse romande

    Giuseppe Merrone, éditeur et fondateur de BSN press, Valérie Solano créatrice de la maison d’édition des Sauvages et Jacques Leresche, éditeur de Rompol, nous expliquent comment ils parviennent à dénicher l’écriture qui nous fera frissonner.

     

    Guy Olivier Chappuis : Sous Le Viaduc. Editions des Sauvages/Collection des Furieux Sauvages 2016.

    A lire en écoutant : Hope I Don’t Fall In Love With You de Tom Waits. Album : The Early Years Vol. II. Bizarre/Straight Records 1993.

  • KAZUAKI TAKANO : TREIZE MARCHES. ASCENSION POUR L’ECHAFAUD.

    Capture d’écran 2016-08-29 à 17.35.29.pngDans le domaine du polar, la thématique de la peine de mort est bien souvent abordée sous la forme du thriller devenant par la force des choses l’apanage des Etats-Unis dont le système judiciaire est fortement décrié. La structure narrative de ce type de roman s’appuie essentiellement sur deux enjeux que sont la temporalité et le doute où l’on suit le parcours d’un enquêteur devant disculper un condamné à mort ceci avant une date d’exécution imminente, tout en se demandant s’il est vraiment innocent. Pourtant si l’on examine une carte du monde des pays pratiquant la peine de mort on s’aperçoit que l’Asie abrite un nombre important de nations appliquant le châtiment suprême à l’instar du Japon qui exécute ses condamnés exclusivement par pendaison. Treize Marches de Kazuaki Takano se propose d’examiner par le biais d’un roman riche en suspense tout le processus judiciaire et administratif conduisant un prévenu devant l’échafaud tout en abordant les thèmes de la réinsertion et du pardon.

     

    Ryõ Kihara est condamné à mort pour un crime dont il n’a plus aucun souvenir. Enfermé depuis sept ans, dans le couloir de la mort il ignore la date de son exécution. Ce sont les bruits de pas d’une procession de gardiens et les hurlements de son voisin de cellule que l’on extrait pour appliquer la sentence finale qui ravivent sa mémoire. Un flash rapide où il se voit gravir un escalier. S’agit-il d’un élément permettant peut-être de le disculper ? C’est ce que pense le chevronné gardien de prison Shôji Nangõ, mandaté par l’avocat du condamné, qui propose au jeune Jun’ichi Mikami bénéficiant d’une liberté conditionnelle, de l’aider dans ses investigations. Ce dernier ayant été condamné à deux ans de prison pour un homicide involontaire, voit dans cette démarche incertaine une occasion de se racheter.

     

    Treize Marches dont le titre définit les différents paliers administratifs et judiciaires autorisant l’exécution d’un condamné à mort est un thriller social saisissant qui passe en revue, avec une précision redoutable, les contradictions, les ambivalences et autres ambiguïtés d‘un système étatique assurément imparfait. Avec un gardien de prison et un repris de justice on sort très rapidement des poncifs propre au genre pour suivre le parcours maladroit de ces deux enquêteurs aussi atypiques qu’inexpérimentés. De fausse pistes en rebondissemments percutants, le lecteur restera tout au long du récit en proie au doute quant à l’issue d’une enquête dont le final s’avérera des plus subtil, remettant notamment en cause les principes de la réinsertion assurée par des citoyens lambdas sélectionnés sur le principe du volontariat.

     

    Outre une possible rédemption, la récompense à l’issue de l’enquête permettra au gardien de prison de quitter son métier afin d’ouvrir une boulangerie et au jeune repris de justice d’aider ses parents à indemniser la famille du jeune homme qu’il a tué accidentellement. Avec cette dimension pécuniaire qui se situe parfois au dessus des principes moraux qui les motive, on perçoit toute l’humanité de ces deux personnages souhaitant s’extirper des rouages d’une mécanique administrative implacable générant son lot d’angoisses et d’inquiétudes que ce soit en terme de réinsertion ou de trajectoire professionnelle.

     

    Au-delà d’une intrigue habile et originale, on aura compris que l’intérêt de Treize Marches réside dans la description sans complaisance des rouages administratifs d’une justice qui révèle toutes ses failles au gré d’un texte puissant et incisif. Sur le plan d’une justice réhabilitative on va donc suivre le parcours saisissant du jeune Jun’ichi Mikami devant présenter, au terme de sa peine de prison, ses excuses auprès du père de sa victime, tandis que ses parents se ruinent afin de l’indemniser. Mais dans ce système judiciaire schizophrénique, le pardon ne peut aller au-delà d’un certain point. C’est sur la base du nombre de victimes (deux) et l’absence de repentir sincère que la cour prononce sa sentence de mort pour Ryõ Kihara. Un cliché kafkaïen où le prévenu, du fait de son amnésie, ne peut présenter le moindre regret pour des actes dont il n’a plus aucun souvenir. Reste pour Shôji Nangõ, ce gardien de prison qui s’est déjà chargé de l’exécution de deux condamnés à mort, à savoir en quoi le fait d’ôter la vie d’un homme sur la base de processus étatiques imparfaits peut-il être plus acceptable qu’un meurtre accidentel ou intentionnel. Ne pouvant s’absoudre, malgré les bases légales en vigueur, l’homme est en proie à une profonde et permanente remise en question qui le ronge et l’éloigne de sa famille.

     

    Treize Marches met également en exergue toute la dilution des responsabilitsé dans les terribles décisions administratives que l’état attribue aux différentes strates du pouvoir politique et des fonctionnaires ceci jusqu’au trois gardiens appuyant simultanément sur trois interrupteurs sans savoir lequel déclenchera la trappe fatidique de l’échafaud, tout cela bien à l’abri derrière les murs d’une charmante petite maisonnette forestière nichée au sein d’un bosquet comme pour mieux dissimuler la sinistre finalité d’un système peinant à s’assumer.

     

    Extrêmement bien documenté, Treize Marches est un thriller noir doté d’une dimension sociale égrénant les imperfections d’un processus meurtrier qui fait froid dans le dos. Instructif, édifiant, passionnant, bref … indispensable.

     

     

    Kazuaki Takano : Treize Marches (13 Kaidan). Editions Presses de la Cité/Sang d’Encre 2016. Traduit du japonais par Jean-Baptiste Flamin.

    A lire en écoutant : Skinner de Headphone : Album : Ghostwriter. Play It Again Sam (PIAS) 2008.