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France - Page 12

  • BENJAMIN DIERSTEIN : LA COUR DES MIRAGES. L'IDOLE DES JEUNES.

    Capture d’écran 2022-08-04 à 14.34.02.pngDébutant en mars 2011 avec La Sirène Qui Fume, la trilogie de la PJ Parisienne de Benjamin Dierstein s'inscrit donc dans un contexte historique où l'on observe la lutte acharnée pour le pouvoir entre une droite fragilisée par les affaires et une gauche en quête du graal présidentiel, avant de se poursuivre en octobre 2011 avec La Défaite Des Idoles pour s'achever en avril 2013 avec La Cour Des Mirages qui clôture cette série dantesque. Entre une violence exacerbée s'implémentant parfaitement dans la reconstitution minutieuse d'une actualité au service du récit, on découvrira au travers de cette institution policière, une série aux accents politiques chargée d'énergie qui prend l'allure d'un hard-boiled historique mettant en scène trois policiers explosifs et jusqu'au-boutistes que sont le capitaine Gabriel Prigent miné par la disparition de sa fille, le lieutenant Christian Kertesz amoureux fou d'une call-girl déjantée et la capitaine Laurence Verhaegen rongée par l'ambition. Outre l'aspect politique, on observait avec La Sirène Qui Fume, les aspects peu reluisants de la prostitution "haut de gamme" employant des jeunes filles mineures au travers de la dualité entre Prigent et Kertesz, tandis que l'on abordait avec La Défaites Des Idoles la thématique des financements de partis politiques alimentés notamment par le truchement du pouvoir libyen en pleine déliquescence, ceci par le prisme de l'affrontement entre Kertesz et Verhagen. Pour clôturer cette trilogie, La Cour Des Mirages nous donne l'occasion de nous plonger dans l'univers sordide des réseaux pédophiles par l'entremise d'une enquête conjointe entre Verhaegen et Prigent qui n'a toujours pas renoncé à savoir ce qu'il est advenu de sa fille disparue.

     

    Juin 2012, François Hollande est au pouvoir et la droite déchante, tandis que les purges s'enchainent au sein du ministère de l'Intérieur, à commencer par la commandante Laurence Verhaegen qui doit quitter la DCRI. Mutée à la brigade criminelle du 36, elle retrouve le capitaine Gabriel Prigent qui a réintégré le service après un internement d'une année en HP. Deux flics déchus et brisés qui vont hériter d'une enquête sensible où un ancien haut cadre politique a assassiné sa femme et son fils avant de se suicider. Mais bien vite les investigations vont les conduire dans les méandres de réseaux puissants évoluant dans le milieu de la pédophilie et de la prostitution de luxe tout en combinant des montages financiers occultes afin de favoriser l'évasion fiscale. Taraudés par leurs obsessions respectives, Verhaegen et Prigent vont s'enfoncer dans les arcanes d'une organisation criminelle sordide bien implantée dans les hautes sphères du monde politique qui a tout intérêt à ce que leur enquête n'aboutisse pas. Un plongée en enfer, sans retour, dans un univers impitoyable de barbarie.

     

    La Cour Des Mirages désigne ces bacchanales infernales des années 70 où adultes, hommes et femmes, se côtoient en abusant d'enfants enlevés pour l'occasion, ceci sous l'égide d'un inquiétant maître des lieux déclamant quelques textes philosophiques, d'où son surnom Le Philosophe. L'un des enjeux du livre consiste donc à découvrir l'identité de cet individu captieux et des complices qui l'accompagnent pour alimenter les geôles de son domaine avec de très jeunes enfants. L'autre enjeu de l'ouvrage se focalise sur la fille de Gabriel Prigent dont on suit les détails de son enlèvement en guise d'introduction tout en se demandant si son père va enfin découvrir, six ans plus tard, ce qu'il lui est advenu. Marqué par l'affaire de La Sirène Qui Fume on retrouve donc un flic obèse, plus ou moins brisé qui carbure aux antidépresseurs mais qui retrouve un regain de vigueur avec une enquête qui le conduit sur les traces d'un réseau pédophile pouvant avoir un lien avec l'enlèvement de son enfant. Pour cadrer ce flic borderline, la capitaine Laurence Verhaegen va l'accompagner dans cette quête dantesque tout en rendant compte aux nouvelles officines en place de l'avancée des investigations. Mais déchue de son grade de commandante, isolée de par ses accointances avec les anciens hauts fonctionnaires sarkozystes, cette policière va s'impliquer dans les méandres d'une enquête éprouvante qui va remettre en question toutes ses certitudes. Dans cet ouvrage à la fois brillant et explosif, Benjamin Dierstein passe donc en revue tous les aspects de la pédophilie en mettant en scène victimes et prédateurs qui se côtoient dans ces rapports biaisés, abjects qui deviennent parfois insoutenables au gré d'une écriture sèche, dépourvue d'effets de style qui ne font que renforcer la sauvagerie de scènes éprouvantes. Pour autant, il n'y a pas d'excès dans cette intrigue maîtrisée qui se rapporte toujours à la rigueur de l'actualité de l'époque en évoquant notamment les aléas de l'affaire Matzneff ou la mise en lumière des écrits de Daniel Cohn-Bendit afin de mettre en perspective les contours de cette enquête terrifiante de réalisme qui s'achèvera d'une manière abrupte afin de clouer le lecteur sur place en ne lui laissant aucune bride d'espoir quant au devenir des protagonistes et à l'avenir de ces réseaux pédophiles qui semblent toujours renaître de leurs cendres. Un roman époustouflant qui clôture magistralement cette trilogie dantesque.

     

    Benjamin Dierstein : La Cour Des Mirages. Editions Equinox/Les Arènes 2022.

    A lire en écoutant : No White Clouds de Strange Fruit. Album : BOF de Strange Days. Epic Soundtrax 1995.

  • NATHALIE SAUVAGNAC : ET NOUS, AU BORD DU MONDE. PUISQU'IL FAUT PARTIR.

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    Professeur de théâtre, metteuse en scène, comédienne, et directrice d'une compagnie, Nathalie Sauvagnac incarne la vie d'une baroudeuse en endossant également le rôle d'une romancière débarquant dans le domaine de la littérature noire avec Les Yeux Fumés (Le masque 2019) où elle nous convie dans l'univers d'une cité en prêtant la voix à cette France de la marge que l'on retrouve d'ailleurs dans son dernier roman, Et Nous, Au Bord Du Monde. Avec une unité de lieu nous donnant l'occasion de nous immerger au cœur d'une ferme squattée par trois marginaux, Nathalie Sauvagnac va saisir le lecteur avec ce nouveau récit, au gré d'une lente construction de la tragédie donnant ses lettres de noirceur à une mise en scène d'une belle justesse qui vous coupe le souffle en suivant le parcours de Nadine, cette jeune femme fragile dont on perçoit le désarroi qui semble devenir le moteur de sa destinée.

     

    Depuis qu'elle a été chassée de la maison familiale, Nadine ne trouve plus sa place dans un monde qui n'est pas le sien. Elle loge temporairement chez une amie et travaille pour une boîte d'intérim qui lui fournit un job lui permettant de vivoter tant bien que mal. A l'occasion d'une fête, elle découvre Les Vignes, un ancien corps de ferme squatté par Jean-Mi et Louis, deux marginaux qui en ont fait leur repaire. Sans eau, sans électricité, adossée à une colline boisée où gambadent quelques chèvres hargneuses et quelques poules dédaigneuses, la bâtisse a des airs de paradis pour Nadine qui décide de s'y installer et d'y faire son nid. Une certaine idée du bonheur qui convient à cette jeune femme en quête d'oubli et de quiétude au fil d'une existence toute simple et sans contrainte. Mais les rêves sont toujours de courte durée et le paradis se transforme en enfer lorsque les contraintes du monde bousculent une nouvelle fois son existence. Des désillusions auxquelles Nadine devra faire face. Mais en a-t-elle encore la force ?

     

    Il n'y a pas vraiment de miracle, mais peut-être un peu d'espoir pour Nadine, cette jeune femme qui découvre ce petit bout du monde dans lequel elle pense pouvoir se faire une place entre Louis, cet homme mutique qui vit d'expédients en élevant quelques chèvres et poules tandis que son acolyte Jean-Mi, plus communicatif, cultive quelques plants de cannabis tout en tentant de maîtriser tant bien que mal son addiction à l'héroïne. Tout pour être heureux simplement, pour souffler un peu et poser ses valises au cœur des Vignes, ce domaine agricole qui prend l'allure d'un squat où ces trois personnages attachants vont s'apprivoiser peu à peu. Nathalie Sauvagnac décline ainsi un petit bout de paradis dans lequel évolue ces laissés pour compte qui ne demande t rien d'autre que de vivre ensemble et de trouver un peu de réconfort à la marge de ce monde. Mais il y a évidemment le grain de sable qui va gripper cet équilibre fragile et qui s'incarne en la personne de Nono, un repris de justice dont l'ascendant sur Jean-Mi et Louis va également se répercuter sur Nadine qui bascule peu à peu, l'air de rien dans un univers plus contraignant qu'il n'y paraît. Ainsi, au gré d'une écriture subtile, d'une atmosphère trompeuse admirablement bien élaborée, Nathalie Sauvagnac entraîne le lecteur dans un jeu de faux semblant qui suscite le doute et le malaise, sans que l'on ne sache vraiment trop pourquoi et surtout vers quel destin funeste on s'achemine. C'est bien là que réside le talent de la romancière abordant ainsi tout en nuance les thèmes du contrôle et de la manipulation autour de ces trois marginaux en quête d'une place en bordure d'un monde qui n'est pas fait pour eux. Et puis il y a ces souvenirs prenant forme peu à peu au fil du récit en rappelant à Nadine que rien n'est acquis et dont la finalité va se répercuter sur son devenir avec ses compagnons d'infortune en nous laissant abasourdis et bouleversés au terme d'un récit poignant qui marque les esprits.  

     

    Nathalie Sauvagnac : Et Nous, Au Bord Du Monde. Editions du Masque 2022.

    A lire en écoutant : Message Personnel de Françoise Hardy. Album : Message Personnel. 2013 Warner Music France.

  • BENJAMIN DIERSTEIN : LA DEFAITE DES IDOLES. DESTITUTION SANGLANTE.

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    Trash et déjanté sont les deux qualificatifs pouvant désigner l'ensemble de l'œuvre de Benjamin Dierstein et plus particulièrement sa trilogie policière débutant notamment avec La Sirène Qui Fume qui nous plongeait dans les méandres du milieu de la prostitution et plus particulièrement d'un réseau d'escort-girls mineures, victimes d'un tueur sadique laissant toute une série de cadavres démembrés derrière lui. Il faut bien avouer que l'on était secoué par la violence qui émergeait d'un texte imprégné d'une énergie brute alimentant le périple halluciné d'un duo d'enquêteurs dévoyés dont les péripéties se succédaient au rythme infernal de leurs investigations se heurtant parfois de plein fouet en faisant émerger leurs dissensions respectives. Second volet de cette trilogie, on retrouve avec La Défaite Des Idoles le lieutenant Christian Kertesz tandis que la capitaine Laurence Verhaeghen, personnage secondaire du roman précédent, occupe désormais le devant de la scène en donnant une dimension plus politique au récit se situant durant la période électorale de 2012 où François Hollande, chef de file du Parti Socialiste, défiait le président en place Nicolas Sarkozy alors qu'émergeait les affaires de financement occulte de la campagne électorale alimentée par des fonds en provenance du pouvoir lybien.

     

    France, octobre 2011. Même s'il a été acquitté des charges de corruptions qui pesaient sur lui, le lieutenant Christian Kertesz a préféré démissionner en évitant ainsi le risque de nouvelles enquêtes diligentées à son encontre par l'Inspection Général des Services de police. Déchu de ses prérogatives, il travaille désormais à plein temps pour le compte du Milieu corse avec lequel il s'était lié durant ses années au sein de la police judiciaire. Outre la remise à flot d'un trafic de cocaïne, Kertesz doit espionner, pour le compte d'une entreprise de sécurité privée, les dessous d'une multinationale qui souhaite s'implanter en Lybie alors que le pays est en pleine ébullition depuis la chute de son leader Mouammar Kadhafi. C'est dans ce contexte explosif que se déroulent la campagne présidentielle qui oppose François Hollande au président sortant Nicolas Sarkozy et que la capitaine Laurence Verhaegen, proche des hauts dirigeants Sarkozystes implantés au sein des états-majors de la police, enquête sur un meurtre qui va la mettre sur la piste de son ancien collègue Christian Kertesz en lui permettant de se confronter à d'autres policiers dont elle s'est jurée d'avoir la peau. Sur fond de rivalités entre deux courants politiques qui se livrent une lutte à mort pour accéder au pouvoir et aux hautes instances policières, Kertesz et Verhaegen vont s'affronter tout en soulevant des affaires peu reluisantes de corruption qui laminent les institutions du pays.

     

    La Défaite Des Idoles fait référence à la chute de Mouammar Khadafi dont on découvre les péripéties de son exécution qui fait office de prologue à une intrigue sur laquelle plane l'ombre omniprésente de Nicolas Sarkozy, l'autre personnalité adulée, parfois idolâtrée, par un grand nombre de membres des forces de police française avec une hiérarchie noyautée par ses fervents partisans placés durant son mandat comme ministre de l'Intérieur qui lui servit de tremplin pour la conquête du pouvoir. C'est ce vacillement du pouvoir en place que l'on va observer durant la période électorale de 2012 où l'on découvre les mécanismes de corruption avec la Lybie afin d'alimenter les comptes de la campagne présidentielle de l'UMP. On distingue ainsi le télescopage de ces deux destinées au gré d'une intrigue construite sur la dualité entre les deux personnages centraux que sont l'ex lieutenant Christian Kertesz et la capitaine Laurence Verhaegen avec une alternance des investigations qui vont les conduire, parfois à leur corps défendant, à côtoyer toute une série de personnalités inquiétantes que sont les mercenaires, hommes d'affaire et politiciens de haut rang qui ont trempé dans le cloaque de ces connexions  libyennes plus que douteuses. L'intérêt de ce roman énergique réside bien évidemment dans l'aspect réaliste des événements que Benjamin Dierstein égrène notamment par l'entremise des dépêches qui jalonnent l'ensemble d'un récit extrêmement complexe au cours duquel l'on pourrait aisément se perdre s'il n'y avait pas cette rigueur omniprésente qui nous ramène dans le fil de l'intrigue. On appréciera également la folie et le jusqu'au-boutisme de Kertesz, fou amoureux de Clotilde Le Maréchal, "sirène" survivante de l'opus précédent, et dont le parcours semble s'acheminer vers un destin funeste tandis que l'on découvre l'extrême violence mais également la compromission et l'ambition de Verhaegen côtoyant les huiles de la direction de la police à l'instar de Guéant, de Squarcini et de Péchenard qui évoluent désormais dans un climat de fin de règne où tout le monde s'affole face à la montée en puissance du parti adverse que l'on tente de discréditer à tout prix. Tout cela nous donne un roman dantesque s’imprégnant du réalisme de l’histoire qui se décline au gré d’une intrigue policière et politique d’une puissance peu commune qui dévaste tout sur son passage.

     

    Benjamin Dierstein : La Défaite Des Idoles. Editions Nouveau Monde 2020. Editions Points 2021.

    A lire en écoutant : Make It Happen de The Record Compagny. Album : All Of This Life. 2018 Concord Records.

     

  • RAPHAEL MALKIN : LIEUTENANT VERSIGA. UNE VIE DE FLIC DANS LE MISSISSIPPI.

    raphaël malkin, lieutenant versiga, éditions marchialyOn y parle de yakuzas, de détournements de cryptomonnaies, de vols de livres de collection, de cannibales, d'états autoproclamés et de dompteurs de fauves qui se déclinent sous forme de récits de voyage ou de récits journalistiques incroyables qui pourraient bien évidemment flirter avec la fiction, quand bien même l'ensemble de la collection se base sur des faits véridiques. C'est exclusivement sur cette forme littéraire que les éditions Marchialy se sont lancées dans l'aventure en offrant aux lecteurs des couvertures somptueuses suscitant encore davantage de curiosité que l'originalité des thèmes abordés. Bras croisés avec un air déterminé, l'arme rangée à la ceinture et trônant au centre de ce qui apparaît comme un badge qu'il chérit tant, on apprécie déjà cette couverture bleutée qui célèbre la vie peu commune du Lieutenant Versiga officiant à Pascagoula dans les bayous du Mississippi où Raphaël Malkin, journaliste à Vanity Fair s'est rendu pour effectuer un reportage aux Etat-Unis pour le compte du magazine français Society. Fasciné par ce personnage extraordinaire, le journaliste décide de lui consacrer un livre qui retrace la carrière exemplaire d'un policier à la fois tenace et empreint d'une empathie sans commune mesure.

     

    Il a débuté comme patrouilleur à Pascagoula au Mississippi, mais s'est rapidement orienté comme inspecteur pour traiter avec méticulosité des affaires criminelles du bureau du département de police de la localité. Il faut dire que Darren Versiga ne lâche jamais l'affaire auquel il consacre tout son temps en prenant en compte le désarroi des victimes. C'est pour cette raison que l'on lui confie les cold cases du commissariat et notamment ce meurtre d'une jeune femme noire dont le corps, réduit à l'état de squelette et retrouvé le 27 décembre 1977 dans le bayou, n'a jamais été identifié. Ses investigations le conduisent sur la piste de Samuel Little, l'un des plus effroyables serial killer du pays ayant sévi sur plusieurs états en s'en prenant plus particulièrement aux prostituées et femmes de conditions modestes qu'il étranglait avant de les abandonner parfois dans les fossés du bord de la route. Une enquête hors du commun qui se déroulera sur plusieurs décennies et qui poussera Darren Versiga à remettre en question ses convictions les plus profondes. Mais bien plus que les aveux qu'il doit obtenir, parviendra-t-il à identifier cette victime inconnue afin de lui offrir une sépulture décente ?

     

    L'intérêt du récit réside sur le fait que l'auteur ne se concentre pas exclusivement sur l'enquête en lien avec un serial-killer sévissant dans une multitude d'états dont le Mississippi mais se concentre sur le parcours de vie du Lieutenant Versiga semblant directement extrait d'une fiction qui n'est pas sans rappeler les personnages de James Lee Burke. On fait ainsi la connaissance d'un individu hors du commun qui, outre sa passion pour son métier, a exercé comme détective privé en mettant en place une entreprise florissante en lien avec sa réputation d'enquêteur rigoureux mais qui a dû reprendre sa profession de policier suite à des déboires financiers notamment dus aux crises financières qui ont balayé le pays. On découvre également un homme qui a dû affronter avec sa famille le fameux ouragan Katherina qui a complètement détruit sa maison en engloutissant la grande majorité de ses affaires personnelles. Raphaël Malkin dresse ainsi le portrait fouillé d'un homme attachant au grand cœur se révélant être un tireur émérite lors des compétitions de tir et un boxeur accompli durant sa jeunesse avec quelques velléités de reprendre les gants à un âge plus avancé ce qui n'est pas sans danger. Une vie riche en émotions que l'auteur restitue avec un texte qui prend la forme d'un roman imprégné de cette atmosphère particulière des bayous du Mississippi où évolue une population dont le cadre social plutôt modeste n'en demeure pas moins fascinant et singulier. C'est dans un tel environnement, que débute l'enquête et cette obsession du Lieutenant Versiga pour cette victime inconnue qu'il va s'efforcer d'identifier en se lançant notamment sur les traces d'un tueur en série dont le nombre de victime va se révéler particulièrement impressionnant, voire même hallucinant. Sans aucun rapport avec les personnages de thriller à la "Hannibal Lecter", on prend la pleine mesure d'une enquête âpre et complexe qui va se dérouler sur plusieurs décennies dont le côté sordide et réaliste ne manquera pas de saisir le lecteur qui lira probablement ce récit d'une traite tant le sujet est passionnant.

     

    Raphaël Malkin : Lieutenant Versiga. Editions Marchialy 2022.

    A lire en écoutant : Blue Bayou interprété par Linda Ronstadt. Album : Linda Ronstadt - Greatest Hits (Remastered). 2015 Rhino Entertainment Compagny.

  • Séverine Chevalier : Jeannette Et Le Crocodile. Que reste-t-il ?

    Capture d’écran 2022-03-28 à 17.50.20.pngDurant ses onze années d'existence, ce site a pu assister à l'émergence de quelques romanciers et romancières exceptionnels à l'instar de Séverine Chevalier que l'on peut considérer comme l'une des grandes figures de la littérature noire, même si l'ensemble de son œuvre transcende les codes du genre et qu'elle reste encore bien trop méconnue du public au regard d'une écriture, d'un style qui vous happe le cœur afin de vous immerger dans la nuance de textes sombres aux reflets poétiques. C'est bien évidemment l'humain avec toutes ses fragilités et toutes ses failles que Séverine Chevalier place au centre de ses récits au gré d'intrigues imprégnées des tragédies du quotidien qui deviennent le miroir de notre réalité en nous interpellant sur notre propre sens de l'existence. Son premier roman, Recluses, publié dans la défunte maison d'éditions Ecorce, nous permettait de nous familiariser avec son univers en déclinant la douleur silencieuse d'un duo de femmes écorchées vivant isolées dans un corps de ferme perdu où la mémoire se dissout dans un torrent de pluie et de sang.  Puis c'est l'extraordinaire Clouer L'Ouest qui va bouleverser l'ensemble des lecteurs avec un récit hypnotique qui nous invite à suivre le parcours chaotique de Karl retournant au sein d'une famille honnie vivant sur le plateau enneigé de Millevaches. La justesse du mot, la précision de la phrase qui vous touche, on retrouve tout cela dans Les Mauvaises ainsi que dans son dernier roman Jeannette Et Le Crocodile où Séverine Chevalier, avec ce sens de la nuance qui la caractérise, nous questionne, sur fond de changements climatiques et de rapports dysfonctionnels avec la nature, au sujet du devenir d'une jeunesse qui ne trouve plus aucun sens dans le monde qui l'entoure. 

     

    A l'occasion de ses 10 ans, Jeannette n'a qu'un seul désir : se rendre au zoo de Vannes pour rencontrer Eléonore, un crocodile que l'on a retrouvé dans les égouts à proximité du Pont Neuf. Blandine, sa mère, a tout préparé. Le plein de la voiture est fait, les provisions sont emballées et il y a bien entendu l'argent pour payer les tickets d'entrée. Dans la cuisine, Jeannette dessine en attendant que sa mère veuille bien se lever pour entamer ce grand voyage. Mais il y a les aléas de la vie avec une usine qui ferme dans la région, le travail que l'on souhaite conserver en dépit de sa pénibilité, les factures qu'il faut payer et l'alcool qui s'invite dans la danse. Alors la rencontre avec Eléonore, ce sera pour une autre fois. En attendant, on gratte quelques petits moments de joie et quelques douces lueurs d'espoir qui ne sont probablement que des illusions tandis que les rêves d'une petite fille sont reportés à l'année prochaine. On ira au zoo à l'occasion de ses onze, douze ou peut-être treize ans jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Parce qu'il arrive bien une fois où les rêves s'enlisent définitivement dans les méandres des regrets.

     

    Chez Séverine Chevalier on trouve toujours un personnage au profil décalé pour énoncer sa vérité avec ses mots désarmants de sincérité qui ne font qu'amplifier l'ampleur de la tragédie. Pour Jeannette Et Le Crocodile, c'est Pascal l'oncle de Jeannette qui endosse ce rôle avec sa propre perception des rapports qu'il distingue dans la brume de ses raisonnements et qu'il distille dans le cours de sa narration qui devient, dans la conclusion du récit, criante de vérité et de lucidité. C'est par sa voix que l'on perçoit également, dès le début du récit, le devenir de Jeannette en se demandant ce qui l'a conduite vers un tel destin, vers une telle tragédie de l'ordinaire. Ainsi se construit l'intrigue autour de Jeannette et de sa mère Blandine et des rapports qui se distendent entre le désarroi d'une mère et la déception d'une jeune fille qui s'éloigne du monde des adultes qu'elle ne comprend plus. On observe ainsi cet éloignement par le biais des autres habitants du village, que ce soit Robinson l'ami d'enfance de Jeannette et son père Eric, Gégé le tenancier du bar du village ou Paul Gravière le maire et sa femme Samia qui est également la patronne de Blandine. Ainsi Séverine Chevalier décline toute une galerie de personnages dont l'équilibre est imperceptiblement perturbé avec l'arrivée de Dirck, le petit ami de Blandine qui va s'employer à subjuguer l'ensemble des protagonistes à l'exception de Jeannette qui ne voit pas d'un bon œil l'arrivée de ce bellâtre. Alors que se dessine en filigrane les interrogations sur le devenir d'un monde subissant les affres du changement climatique, Dirck incarne le rôle du salaud ordinaire, du manipulateur qui ne pense qu'à lui, de celui qui prend sans rien donner en nous renvoyant vers notre propre attitude avec ce manifeste qui interpelle le lecteur au terme d'un récit où il ne reste que bien peu d'espoir si ce n'est la poursuite d'une vie imprégnée de regrets et de tristesse.

     

    C'est tout cela que l'on perçoit avec la justesse des mots de Séverine Chevalier qui alimente cette émotion palpable à chaque instant et que l'on retrouve dans Jeannette Et Le Crocodile, un terrible récit sur la désagrégation de notre monde.   

     

    Séverine Chevalier : Jeannette Et Le Crocodile. Editions la Manufacture de Livres 2022.

    A lire en écoutant : Tu vois loin de Eiffel. Album : Le ¼ D'heure Des Ahuris. 2006 Le Label.