Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

10. Récit

  • David Grann : Killers Of The Flower Monn/La Note Américaine. Les coyotes.

    Capture d’écran 2023-10-24 à 15.50.15.pngC’est cette obsession du détail véridique et cette manière si particulière de nourrir sa narration sous une forme romancée qui font du journaliste et écrivain David Grann un auteur emblématique de ce que l’on désigne comme de la narrative nonfiction, ou en français de l’enquête littéraire, trouvant notamment sa place dans les colonnes du prestigieux magazine New Yorker où il travaille toujours. Mais ce sont bien évidemment autour de ses ouvrages que David Grann connaît une certaine notoriété, ce d’autant plus que bon nombre d’entre eux font l’objet d’adaptations au cinéma à l’instar de Trial By Fire (Allia 2010) réalisé par David Lowery ainsi que La Cité Perdue De Z (Points 2020) mis en scène par James Grey. Mais l’actualité de David Grann se focalise autour de deux événements que sont la sortie de son dernier ouvrage Les Naufragé du Wager (Sous-sol 2023) dont on annonce l’adaptation par Martin Scorsese qui vient de réaliser Killers Of The Flower Moon inspiré de l’avant-dernier récit de l’auteur. A l’occasion de la sortie sur les écrans de cet événement cinématographique, les éditions Globe ont donc réédité La Note Américaine en reprenant son titre original, Killers Of The Flower Moon, faisant référence aux fleurs tapissant les immenses prairies de ces contrées appartenant aux indiens Osages, objets de toutes les convoitises après la découverte de champs pétrolifères au début du XXème siècle, mais également aux meurtriers qui se sont employés à dépouiller les membres de cette communauté autochtone de toutes leurs richesses.

     

    Alors qu'ils vivaient sur des terres situées dans les états du Kansas, de l'Arkansas et du Missouri, les indiens Osages sont finalement parqués sur un territoire aride de l'Oklahoma afin de laisser leur place aux colons bénéficiant de l'appui du gouvernement dans le cadre d'une conquête de l'ouest débridée. Famines et maladies déciment cette population autochtone. Pourtant avec la découverte du plus grand gisement de pétrole des Etats-Unis au début du XXème siècle, les chose changent pour les Osages qui détiennent désormais une véritable fortune leur permettant d'acquérir des biens matériels considérables, d'envoyer leurs enfants faire des études dans les universités les plus prestigieuses et d'employer une cohorte de domestiques blancs qui sont à leur service. Mais en 1921, certains membres de la communauté disparaissent dans des conditions dramatiques. Empoisonnements, exécutions par arme à feu, attentat à l'explosif, les meurtres s'enchainent sans qu'aucune enquête sérieuse ne vienne mettre un terme à cette terrible série noire. C'est le règne de la terreur qui régit désormais le quotidien de ces riches Osages terrorisés allant jusqu'à demander de l'aide auprès du président afin que cesse ces exactions meurtrières. Le dossier est finalement confié au Bureau of Investigation dirigé par un jeune fonctionnaire ambitieux Edgar J Hoover qui voit là une opportunité de mettre en avant ce service de police qui deviendra en 1935 le fameux Fédéral Bureau of Investigations (FBI). C'est donc une équipe d'enquêteurs aguerris qui va débarquer dans le comté d'Osage afin de démasquer les auteurs de ces crimes abominables.

     

    Il fallait bien un film d'une durée de plus de trois heures à la mise en scène solide pour restituer certains aspects de cette enquête magistrale évoquant la série de meurtres qui a secoué la communauté des indiens Osages au début du XXème siècle. Une belle adaptation donc avec quelques acteur formidables tels que Lilly Gladstone et Jesse Plemons devant absorber les interprétations parfois outrancières d'un Robert De Niro plutôt inspiré et d'un Leonardo Di Caprio qui a tendance à surjouer avec à la clé toute une série de mimiques devenant rapidement insupportables. Difficile néanmoins d'intégrer tout les éléments d'un récit d'une densité peu commune que David Grann décline avec une véritable maestria en décortiquant les moindres détails d'une époque trouble qu'il restitue avec une précision peu commune. Il faut donc saluer cette initiative toute commerciale des éditions Globe pour remettre au goût du jour Killers Of The Flower Moon/La Note Américaine publié et 2018 et désormais orné d'une nouvelle couverture et d'un bandeau faisant la promotion d'un film qui reprend la première chronique d'un ouvrage en comptant trois. Cette première chronique prend véritablement l'allure d'une intrigue policière qui s'articule autour de la personnalité de Molly Burkhart témoin impuissante des débuts du Règne de la terreur entrainant la disparition de ses proches. Qui donc commet ces meurtres ? A qui profite le crime ? C'est autour de ces questions que David Grann dresse le contexte social de l'époque tout en déclinant la trajectoire  historique du peuple Osage et de ses richesses nouvellement acquises avec la découverte de cette manne pétrolière que l'on se transmet par héritage au sein des familles autochtones. Pour s'emparer de ses richesses ou au moins en contrôler le flux, les Blancs mettent en place un système inique de tutelle auquel chaque Osage est soumis, tandis qu'une faune de gens peu scrupuleux gravitent autour d'eux afin de faire main basse sur leur fortune. On prend ainsi la mesure du choc des cultures et des crimes odieux qui se perpétuent dans un contexte rendu encore plus délétère par la prohibition dont on contourne allègrement les règles. Il émane ainsi une atmosphère sauvage de non droit rendue encore plus prégnante par des autorités incompétentes et pour la plupart du temps complètement corrompues. La seconde chronique dresse le portrait de Tom White, chargé par Hoover de faire enfin la lumière sur les meurtres qui déciment la communauté des Osages donnant l'occasion à David Grann de nous expliquer les arcanes politiques de ces investigations permettant de mettre en avant les compétences du Bureau of Investigation, ancêtre du légendaire FBI. Pressions et déterminations sont les moteurs de cette enquête d'envergure et des procès qui s'ensuivent en mettant en exergue les jeux d'intimidations de la partie adverse bien décidée à tout faire pour éliminer les témoins gênants. En nous projetant dans le présent, la dernière chronique s'intéresse au devenir des descendants des différents protagonistes qui ont joué un rôle dans ce Règne de la terreur avec ce sentiment indicible de gâchis qui imprègne encore les membres de la communauté Osage qui n'a rien oublié de cette terrible époque. Mais bien plus qu'un fait divers qui mettrait en cause quelques individus abjects David Grann met en lumière une machinerie institutionnelle odieuse destinée à spolier, de manière systémique, les avoirs des indiens Osages. 

     

    Ainsi, Killers Of The Flower Moon/La Note Américaine, dresse le portrait d'une Amérique inique prête à tout pour s'emparer des richesses des autochtones dans un climat de terreur et de violence qui perdure à travers le temps, comme une espèce d'ADN immuable phagocytant l'ensemble des communautés qui composent le pays. Une enquête d'une impitoyable clairvoyance.

     

     

    David Grann : La Note Américaine (Killers Of The Flower Moon). Editions Globe 2023. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Cyril Gay.

    A lire en écoutant : Still Standing de Robbie Robertson. Album : Killers Of The Flower Monn (Soundtrack from the Apple Original Film). 2023 Masterworks, a label Of Sony Music Entertainment.

     

     

  • RAPHAEL MALKIN : LIEUTENANT VERSIGA. UNE VIE DE FLIC DANS LE MISSISSIPPI.

    raphaël malkin, lieutenant versiga, éditions marchialyOn y parle de yakuzas, de détournements de cryptomonnaies, de vols de livres de collection, de cannibales, d'états autoproclamés et de dompteurs de fauves qui se déclinent sous forme de récits de voyage ou de récits journalistiques incroyables qui pourraient bien évidemment flirter avec la fiction, quand bien même l'ensemble de la collection se base sur des faits véridiques. C'est exclusivement sur cette forme littéraire que les éditions Marchialy se sont lancées dans l'aventure en offrant aux lecteurs des couvertures somptueuses suscitant encore davantage de curiosité que l'originalité des thèmes abordés. Bras croisés avec un air déterminé, l'arme rangée à la ceinture et trônant au centre de ce qui apparaît comme un badge qu'il chérit tant, on apprécie déjà cette couverture bleutée qui célèbre la vie peu commune du Lieutenant Versiga officiant à Pascagoula dans les bayous du Mississippi où Raphaël Malkin, journaliste à Vanity Fair s'est rendu pour effectuer un reportage aux Etat-Unis pour le compte du magazine français Society. Fasciné par ce personnage extraordinaire, le journaliste décide de lui consacrer un livre qui retrace la carrière exemplaire d'un policier à la fois tenace et empreint d'une empathie sans commune mesure.

     

    Il a débuté comme patrouilleur à Pascagoula au Mississippi, mais s'est rapidement orienté comme inspecteur pour traiter avec méticulosité des affaires criminelles du bureau du département de police de la localité. Il faut dire que Darren Versiga ne lâche jamais l'affaire auquel il consacre tout son temps en prenant en compte le désarroi des victimes. C'est pour cette raison que l'on lui confie les cold cases du commissariat et notamment ce meurtre d'une jeune femme noire dont le corps, réduit à l'état de squelette et retrouvé le 27 décembre 1977 dans le bayou, n'a jamais été identifié. Ses investigations le conduisent sur la piste de Samuel Little, l'un des plus effroyables serial killer du pays ayant sévi sur plusieurs états en s'en prenant plus particulièrement aux prostituées et femmes de conditions modestes qu'il étranglait avant de les abandonner parfois dans les fossés du bord de la route. Une enquête hors du commun qui se déroulera sur plusieurs décennies et qui poussera Darren Versiga à remettre en question ses convictions les plus profondes. Mais bien plus que les aveux qu'il doit obtenir, parviendra-t-il à identifier cette victime inconnue afin de lui offrir une sépulture décente ?

     

    L'intérêt du récit réside sur le fait que l'auteur ne se concentre pas exclusivement sur l'enquête en lien avec un serial-killer sévissant dans une multitude d'états dont le Mississippi mais se concentre sur le parcours de vie du Lieutenant Versiga semblant directement extrait d'une fiction qui n'est pas sans rappeler les personnages de James Lee Burke. On fait ainsi la connaissance d'un individu hors du commun qui, outre sa passion pour son métier, a exercé comme détective privé en mettant en place une entreprise florissante en lien avec sa réputation d'enquêteur rigoureux mais qui a dû reprendre sa profession de policier suite à des déboires financiers notamment dus aux crises financières qui ont balayé le pays. On découvre également un homme qui a dû affronter avec sa famille le fameux ouragan Katherina qui a complètement détruit sa maison en engloutissant la grande majorité de ses affaires personnelles. Raphaël Malkin dresse ainsi le portrait fouillé d'un homme attachant au grand cœur se révélant être un tireur émérite lors des compétitions de tir et un boxeur accompli durant sa jeunesse avec quelques velléités de reprendre les gants à un âge plus avancé ce qui n'est pas sans danger. Une vie riche en émotions que l'auteur restitue avec un texte qui prend la forme d'un roman imprégné de cette atmosphère particulière des bayous du Mississippi où évolue une population dont le cadre social plutôt modeste n'en demeure pas moins fascinant et singulier. C'est dans un tel environnement, que débute l'enquête et cette obsession du Lieutenant Versiga pour cette victime inconnue qu'il va s'efforcer d'identifier en se lançant notamment sur les traces d'un tueur en série dont le nombre de victime va se révéler particulièrement impressionnant, voire même hallucinant. Sans aucun rapport avec les personnages de thriller à la "Hannibal Lecter", on prend la pleine mesure d'une enquête âpre et complexe qui va se dérouler sur plusieurs décennies dont le côté sordide et réaliste ne manquera pas de saisir le lecteur qui lira probablement ce récit d'une traite tant le sujet est passionnant.

     

    Raphaël Malkin : Lieutenant Versiga. Editions Marchialy 2022.

    A lire en écoutant : Blue Bayou interprété par Linda Ronstadt. Album : Linda Ronstadt - Greatest Hits (Remastered). 2015 Rhino Entertainment Compagny.

  • JUSTIN FENTON : LA VILLE NOUS APPARTIENT. FLIC ET VOLEUR.

    Capture.PNGParfois la réalité dépasse la fiction. L'expression n'est pas galvaudée avec La Ville Nous Appartient de Justin Fenton, un journaliste du Baltimore Sun qui a enquêté durant plusieurs années sur une escouade d'élite de la police de Baltimore, la Gun Trace Task Force (GTTF) dont la plupart des membres furent impliqués dans des affaires d'extorsions, de corruptions, de vols d'argent et de stupéfiants qu'ils remettaient sur le marché en récupérant ainsi le produit du deal. Un scandale qui défraya la chronique au niveau national au terme d'une enquête menée conjointement par des procureurs fédéraux, des agents du FBI, des policiers du comté et du BPD (Baltimore Police Départment). Recueillant un nombre considérable de témoignages, Justin Fenton rédigea un nombre important d'articles pour le compte de son journal, avant de se lancer dans l'écriture du présent récit sur conseil de David Simon, ancien journaliste au Baltimore Sun et auteur de Baltimore (Sonatine 2012) qui inspira l'emblématique série The Wire dont il fut le "showrunner" et qui se déroulait déjà à Baltimore. C'est d'ailleurs sur la base de ce récit qui se lit comme un roman que David Simon a adapté une nouvelle mini-série de six épisodes pour HBO, intitulée We Own This City en reprenant le titre original du récit, ceci avec la complicité de Ed Burns et George Pelecanos et qui sera diffusée le 26 avril 2022 sur OCS.

     

    L'idée est des plus simples : Voler l'argent des dealers et revendre la drogue saisie pour son propre compte. On pense tout d'abord à Omar Little, gangster notable de la série The Wire qui pratiquait de la sorte avant de se rendre compte que l'idée fut reprise dans la réalité par huit agents de la police de Baltimore formant une brigade d'élite qui officiait en civil dans les quartiers défavorisés de la ville en s'en prenant majoritairement aux membres de la communauté afro-américaine. Tout est bon à prendre pour ces policiers complètement dévoyés qui se comportent comme les membres d'une organisation criminelle en trafiquant les heures supplémentaires, en effectuant des perquisitions sans mandat afin de substituer une partie ou la totalité de l'argent découvert ainsi que les produits stupéfiants saisis qu'ils revendaient avec la complicité d'intervenants externes qui participaient parfois en toute illégalité aux interventions policières. Conduit par le sergent Wayne Jenkins, on découvre l'édifiant parcours de ces policiers complètement corrompus qui opérèrent ainsi durant plusieurs années en toute impunité.

     

    Divisé en trois parties, le récit débute avec la présentation des arcanes du Baltimore Police Départment et de l'état d'esprit qui y règne et plus particulièrement cette culture du chiffre pour faire face à la hausse exponentielle de la criminalité que les autorités ne parviennent pas à juguler. Sans disculper la responsabilité individuelle des huit policiers corrompus, Justin Fenton parvient à mettre en lumière les disfonctionnements d'un service exigeant du résultat à tout prix sans se préoccuper des moyens pour y parvenir. On découvre ainsi des agents sous pression exerçant parfois dans des quartiers défavorisés où la population les perçoit davantage comme une menace qu'une ressource destinée à les protéger. C'est dans ce contexte particulier que l'on fait connaissance avec le sergent Wayne Jenkins qui va mettre en place ces activités délictueuses devenant la norme de la Gun Trace Task Force qui apparaît aux yeux de la hiérarchie comme l'exemple à suivre tant les résultats semblent satisfaisants. Néanmoins, au gré des nombreux entretiens qu'il a eu avec bon nombre de délinquants victimes des agissements de ces policiers corrompus, Justin Fenton met en exergue le paradoxe de ces malfrats qui n'osent signaler que la quantité de drogue saisie est moindre que celle dont ils étaient en possession sans risquer d'aggraver leur cas aux yeux de la justice. Il en va de même pour ce qui a trait à l'argent dérobé, même si certains délinquants vont tout de même  signaler le cas aux autorités qui vont bien évidemment douter de la véracité des faits. Car qui pourrait soupçonner des policiers d'agir pareillement ? Néanmoins, les soupçons vont commencer à apparaître avec la récurrence des plaintes qui vont finalement faire l'objet d'une enquête conjointe que Justin Fenton décline dans la seconde partie du récit, au gré d'un rythme trépident et d'une maîtrise sans faille qui nous permet d'intégrer la multitude d'intervenants  apparaissant tout au long de ces investigations d'une ampleur exceptionnelle. On en prend la pleine mesure au terme de la troisième partie évoquant la chute de ces policiers et du nombre presque invraisemblable de délits commis où Justin Fenton aborde notamment la mort d'un inspecteur de la brigade criminelle dont on ignore s'il s'agit d'une exécution ou d'un suicide, ceci venant du fait qu'il avait côtoyé certains des policiers corrompus de la Gun Trace Task Force. C'est également dans cette dernière phase que le journaliste mentionne les conséquences politiques et les tentatives de réforme de cette institution policière entrant dans la spirale d'une tourmente qui semble sans fin.

     

    Récit édifiant de l'ensemble d'une brigade corrompue de la police de Baltimore, Justin Fenton décline avec La Ville Nous Appartient les dysfonctionnements d'une institution militarisée qui s'éloigne résolument de sa population qu'elle est censée protéger.

     

    Justin Fenton : La Ville Nous Appartient (We Own This City). Editions Sonatine 2022. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Paul Simon Bouffartigue.

    A lire en écoutant : Sound Of Da Police de KRS-One. Album : Return Of The Boom Bap. 1993 Zomba Recording LLC.