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10. Récit

  • LIONEL DESTREMAU : UN CRIME DANS LA PEAU. FAUT QUE CA SAIGNE.

    IMG_1392.jpegLors de la tenue de festivals tels que celui des Quais Du Polar à Lyon, il y a ces moments magiques où l'on se livre à quelques considérations autour de la littérature noire avec tout ce petit monde du livre, en partageant le verre de l'amitié et en dégustant les spécialités de la région quand les restaurateurs daignent bien vouloir nous servir ce qui n'a rien d'une évidence dans la Capital des Gaules où l'accueil se révèle parfois légèrement bancal dans ce domaine. Quoiqu'il en soit, c'est l'occasion de belles rencontres comme celle avec Lionel Destremau qui a officié dans le monde de l'édition parisienne durant une vingtaine d'années avant de retourner à Bordeaux, ville de ses origines, où il dirige notamment le fameux festival Lire en Poche de Gradignan qui est le premier événement littéraire français exclusivement dédié à ce format et qui célèbre ses vingt ans d'existence. Mais outre ses activités dans les univers de l'édition et des manifestations littéraires, Lionel Destremau a publié trois recueils de poésie chez Tarabuste éditions, entreprise indépendante officiant depuis quarante ans dans la région du Centre-Val de Loire. On notera également la part active qu'il prendra à l'élaboration, durant cinq ans, de la revue de critique littéraire Prétexte qu’il a animé en collaboration avec Jean-Christophe Millois, et dans laquelle on trouve notamment quelques dossiers dédiés au mauvais genre comme Les marges du polar, littérature blanche ou noire ? C'est d'ailleurs probablement dans cette marge que s'installe Lionel Destremau publiant son premier roman noir, Gueules D'Ombre (La Manufacture de livres 2022) prenant pour cadre un pays fictif dans lequel évolue, au milieu des décombres d'une guerre sans nom, un enquêteur chargé de découvrir l'identité d'un soldat plongé dans le coma. Un récit décalé à l'image de la superbe couverture de l'ouvrage tout comme celle ornant Jusqu'à La Corde (La manufacture de livres 2023), second livre de l'auteur qui s'inscrit dans le même registre insolite de la ville fictive de Caréna. Mais c'est dans l'agglomération bien réelle de Lyon, durant les années trente, que se déroule Un Crime Dans La Peau, son troisième ouvrage que l'on peut définir comme le récit d'un fait divers au procédé narratif déconcertant puisque Lionel Destremau navigue une nouvelle fois à la marge des genres entre fiction et réalité de l'époque qu'il restitue avec une impressionnante habilité.

     

    lionel destremau,un crime dans la peau,la manufacture de livresA l'occasion de la visite du musée des Techniques policières d'Edmond Locard à Lyon, le jeune officier de police en devenir Eric Mailly, passionné de tatouage, découvre deux ouvrages qui ont été retirés de la vente aux enchères d'une collection privée. Il s'agit notamment d'une étrange pochette ayant appartenu au médecin légiste et criminologue Jean Lacassagne qui présente la particularité d'avoir intégré dans sa reliure la peau tatoué d'un homme, ce qui en interdit toute commercialisation. En se penchant sur les origines de l'ouvrage, Eric Mailly découvre que le tatouage ornait le corps de Louis Rambert, coupable de l'effroyable double meurtre de deux personnes âgées, crime qui avait défrayé la chronique judicaire lyonnaise des années trente. Et en poursuivant ses recherches, le jeune élève de l'école de police constate avec stupeur que le complice prénommé Gustave porte le même nom que lui. Se pourrait-il qu'il s'agisse d'un de ses aïeuls ? ainsi, en se plongeant dans les archives, dont celles de la presse qui a relaté le procès, Eric Mailly va découvrir certains pans de la vie tumultueuse de Louis Rambert et de Gustave Mailly, deux vauriens qui ont fini par commettre l'irréparable. S'agit-il d'un parcours prédestiné ? Et que sont-ils devenus après avoir été condamnés ?

     

    D'entrée de jeu, il y a cette mise en situation habile dans le prologue d'Un Crime Dans La Peau laissant entrevoir cette dimension de recherches qui s'inscrit donc dans le registre de la fiction tout en nous permettant de saisir l'ampleur du travail de documentation minutieux que Lionel Destremau a entrepris afin de nous permettre de nous immerger dans les méandres de l'affaire du double crime d'Ecully tout en captant l'atmosphère de cette région lyonnaise des années trente, au détour des dépêches de la météo mais surtout par l'entremise des articles de presse relatant les crimes et autres délits sordides de l'époque suscitant cet intérêt du lectorat français et qui font office de transition pour chacune des parties du roman. C'est ainsi que le récit prend une dimension sociologique où l'on perçoit la violence et la misère qui imprègnent cette France de l'entre-deux-guerres et qui frappent plus plus particulièrement les milieux les plus défavorisés dont sont issus Louis Rambert et Gustave Mailly et que Lionel Destremau va entreprendre de décortiquer dans le moindre détail que ce soit le milieu familial et la jeunesse de chacun d'entre eux, mais également le monde interlope de cette petite délinquance dans laquelle ils vont évoluer ainsi que l'univers carcéral dans lequel ils vont échouer. Pour Louis Rambert, on passera par l'institution religieuse extrêmement sévère qui l'a recueilli et qui l'a exploité ainsi que par la Marine Nationale qui le conduira en Asie dont il reviendra avec un tatouage ornant son torse. En ce qui concerne Gustave Mailly, s'il bénéficie d'un environnement stable durant son enfance, c'est un accident le rendant définitivement boiteux qui va faire en sorte qu'il rencontre des difficultés à trouver sa voie. A partir de là, on observe cette trajectoire vers la délinquance qui conduit les deux hommes à se rencontrer avant qu'ils ne commettent ce crime odieux qui va les perdre définitivement. Si le récit fait figure de document social au travers du fait divers qui devient le point de bascule de la trajectoire des deux hommes, il prend des nuances romancées nous permettant d'appréhender la psyché de chacun d'entre eux, tout en nous immergeant dans l'environnement dans lequel ils évoluent et plus particulièrement dans ce décor lyonnais de l’époque que Lionel Destremau restitue avec une impressionnante précision que ce soit le bidonville au bord de la Saône dans lequel Gustave a élu domicile en s'installant dans une baraque en bois en bois ou ce quartier animé de la Guillotière. Tout cela se décline au rythme d'un texte fluide et équilibré où l'on adopte différents points de vue pour mieux saisir l'itinéraire de ce duo dont l'existence se révèle chaotique certes, mais également plus singulière qu'il n'y paraît. Et puis, tout en gardant une certaine distance à l'égard de ces deux criminels, Lionel Destremau nous interpelle sur ce déterminisme sociale qui pousse parfois des individus à commettre l'irréparable sans aucunement entrer dans une forme de justification. Et ce déterminisme va jusqu'à s'inscrire dans le peau de Louis Rambert pour donner son titre au roman avec cette évocation des tatouages d'autrefois et de cette marginalité à laquelle ils sont associés mais qui fascinent déjà certains scientifiques qui en font la collection en les photographiants pour mieux les répertorier mais également en les recueillant après de ceux qui en font don après leur mort. Et cette fascination on la retrouve dans cette superbe couverture ornant Un Crime Dans La Peau avec ce portrait saisissant de Louis Rambert qui va nous accompagner tout au long d'une lecture absolument captivante.

     

    Lionel Destremau : Un Crime Dans La Peau. Editions de La Manufacture de livres 2025.


    A lire en écoutant : Red Right Hand de PJ Harvey. Album : Peaky Blinders (Original Music From The TV Series). 2019 Universal Music Operation Limited.

  • Alice Géraud : Sambre, radioscopie d'un fait divers.

    sambre,radioscopie d’un fait divers,alice géraud,éditions jean-claude lattèsA l'occasion de sa venue aux Quais du Polar à Lyon, le cinéaste Dominik Moll accordait un entretien à Christophe Laurent pour évoquer son travail de réalisateur et plus particulièrement son dernier film La Nuit Du 12 inspiré de 18.3, Une Année A La PJ (Denoël 2021), un récit de Pauline Guéna qui a suivi les enquêteurs de différentes brigades de police judiciaire de Versailles, en se focalisant plus spécifiquement sur le meurtre d'une jeune femme aspergée d’essence et brûlée vive alors qu’elle cheminait le soir pour rentrer chez elle, et qui ne sera jamais résolu. Durant cette interview, dont vous trouverez l'intégralité sur le blog The Killer Inside Me, le réalisateur parlait de son intérêt pour les récits de non-fiction en mentionnant Sambre d'Alice Géraud, une journaliste indépendante qui a enquêté durant quatre ans en se penchant sur le procès de Dino Scala, un auteur d'une série de viols et d'agressions sexuelles perpétrés sur l'espace de trois décennies par celui que l'on surnommait «le violeur de la Sambre» et qui sévissait dans cette petite région industrielle du Nord de la France en s’en prenant à un nombre considérable de femmes des agglomérations environnantes.

     

    Hiver 1986, l’aube ne s’est pas encore levée sur cette rue de Maubeuge où chemine Danielle, une aide-soignante qui se rend à son travail lorsqu’un individu cagoulé la soulève brutalement pour l’entrainer à l’écart de l’artère avant de lui enfoncer un tissu dans la bouche afin qu’elle se taise pour ensuite la tuer pense-t-elle. Mais l’homme semble renoncer et lui glisse un billet de 50 francs dans la main avant de s’enfuir. Au commissariat où elle se rend, Danielle remet le billet aux policiers et dépose plainte. Elle n’aura aucune nouvelle de son agression durant 30 ans. Il semble que ce soit la première des nombreuses victimes de Dino Scala qui est arrêté le 26 février 2018 en étant soupçonné d’être celui que l’on surnomme «le violeur de la Sambre». Après quatre ans d’instruction, ce prédateur est jugé pour pas moins de 56 viols et agressions sexuelles. Outre la temporalité, c’est le nombre considérable de victimes qui interpelle, en se demandant comment Dino Scala a-t-il pu agir aussi longtemps, sur un si petit territoire en commettant tous ces crimes, avec le même modus operandi, sans jamais être inquiété une seule fois. C’est auprès des victimes que l’on trouvera des réponses en découvrant le témoignage d’une multitude de femmes brisées et bafouées, parfois même oubliées, dont le long parcours judiciaire chaotique met en exergue les défaillances de toute une société et plus particulièrement l’incompétence d’institutions qui sont incapables de faire face à la prise en charge de personnes ayant subi des violences sexuelles. 

     

    Comme pour le film de Dominik Moll, il est donc question, avec Sambre, de violences faites aux femmes en se concentrant plus spécifiquement sur le sort réservé aux victimes, et plus particulièrement sur la prise en considération de leurs plaintes suite à des agressions sexuelles ou des viols s'étalant sur une période de trente ans entre 1988 et 2018 année où l'on procède enfin à l'interpellation de Dino Scala dont on ignore, aujourd'hui encore, le nombre exact d'exactions qu'il a commises durant toutes ces années. D'entrée de jeu, on rejoint le réalisateur dans le fait qu'un récit tel que Sambre devient un témoignage sociétal important devant figurer dans la liste des ouvrages obligatoires à l'intention des écoles de police en mettant en exergue tout ce que l'on ne doit pas faire lorsque l'on prend en charge une victime d'un viol ou d'une agression sexuelle. Parce qu'en se focalisant principalement sur les points de vue des victimes, Alice Géraud décrit le désarroi de ces femmes devant faire face à une somme effarante d'incompétence, d'ignorance et parfois même de défiance des forces de l'ordre, mais également de la justice, qui s'ajoute à la détresse des crimes dont elles ont fait l'objet. Se déroulant sur une temporalité de plusieurs décennies, on observe également de manière extrêmement prégnante, l'insidieux processus de démolition ravageant définitivement l'existence de ces personnes violées ou agressées sexuellement qui ne peuvent se remettre d'un tel événement. Le point fort de Sambre réside dans le fait que la journaliste s'attache à restituer le climat de l'époque au gré d'une écriture à la fois sobre et immersive s'appuyant sur des témoignages factuels ce qui fait que le texte n'a rien d'un pamphlet, bien au contraire, puisque l'on ressent cette émotion qui nous étreint tout au long de cette lecture passionnante. Et puis, au-delà des erreurs et des carences qui ont permis à Dino Scala d’agir en tout impunité, Alice Géraud met en exergue les acteurs qui se sont investis, en dépit de tout, pour tenter d’appréhender "le violeur de la Sambre » et dont les fonctions donnent le titre à certains chapitres qui ponctuent le récit, à l’instar de la juge, de l’archiviste, de la maire et de quelques policiers dont les compétences et l'empathie mettent davantage en perspective les manquements de leurs institutions respectives. Ainsi, Alice Géraud relève, avec une pertinence et une lucidité incroyable, l'état d'esprit d'une époque qui n’a pas encore basculé dans l’ère des mouvements sociaux comme #MeToo. On distingue donc dans Sambre certains aspects d'une prépondérance toute masculine, formels ou informels, à l’exemple de l’évocation de l'ancien code pénal régissant notamment les délits en lien avec l'intégrité sexuelle avec certains aspects du viol qualifiés comme des attentats à la pudeur et que de très nombreux policiers persistaient à mentionner dans leurs procédures et dépit de la révision de ce texte législatif abandonnant cette terminologie désuette. Il faut également souligner la qualité de la construction narrative de Sambre qui, du présent autour du procès de Dino Scala, nous projette dans une longue analepse s’inscrivant dans la chronologie de l’ampleur de ses crimes, pour nous ramener sur les instants assez poignants où les victimes prennent connaissance du verdict mettant un terme à leur parcours judiciaire d’une intensité saisissante. Alice Géraud parvient donc littéralement à nous immerger dans les méandres de cette enquête rigoureuse, dont on retrouve la plupart des éléments dans l’adaptation d’une série tout aussi magistrale que ce récit criminel atypique et bouleversant qu’il faut lire impérativement.

     

    Alice Géraud : Sambre. Radioscopie d'un fait divers. Editions Jean-Claude Lattès 2023.

    A lire en écoutant :

    En Rouge Et Noir de Jeanne Mas. Album : Femme d'Aujourd'hui. 2010 Warner Music France.

    Sambre de Raf Keunen. Album : Sambre (Musique originale de la série). 2023 Ear Inn.

  • David Grann : Killers Of The Flower Monn/La Note Américaine. Les coyotes.

    Capture d’écran 2023-10-24 à 15.50.15.pngC’est cette obsession du détail véridique et cette manière si particulière de nourrir sa narration sous une forme romancée qui font du journaliste et écrivain David Grann un auteur emblématique de ce que l’on désigne comme de la narrative nonfiction, ou en français de l’enquête littéraire, trouvant notamment sa place dans les colonnes du prestigieux magazine New Yorker où il travaille toujours. Mais ce sont bien évidemment autour de ses ouvrages que David Grann connaît une certaine notoriété, ce d’autant plus que bon nombre d’entre eux font l’objet d’adaptations au cinéma à l’instar de Trial By Fire (Allia 2010) réalisé par David Lowery ainsi que La Cité Perdue De Z (Points 2020) mis en scène par James Grey. Mais l’actualité de David Grann se focalise autour de deux événements que sont la sortie de son dernier ouvrage Les Naufragé du Wager (Sous-sol 2023) dont on annonce l’adaptation par Martin Scorsese qui vient de réaliser Killers Of The Flower Moon inspiré de l’avant-dernier récit de l’auteur. A l’occasion de la sortie sur les écrans de cet événement cinématographique, les éditions Globe ont donc réédité La Note Américaine en reprenant son titre original, Killers Of The Flower Moon, faisant référence aux fleurs tapissant les immenses prairies de ces contrées appartenant aux indiens Osages, objets de toutes les convoitises après la découverte de champs pétrolifères au début du XXème siècle, mais également aux meurtriers qui se sont employés à dépouiller les membres de cette communauté autochtone de toutes leurs richesses.

     

    Alors qu'ils vivaient sur des terres situées dans les états du Kansas, de l'Arkansas et du Missouri, les indiens Osages sont finalement parqués sur un territoire aride de l'Oklahoma afin de laisser leur place aux colons bénéficiant de l'appui du gouvernement dans le cadre d'une conquête de l'ouest débridée. Famines et maladies déciment cette population autochtone. Pourtant avec la découverte du plus grand gisement de pétrole des Etats-Unis au début du XXème siècle, les chose changent pour les Osages qui détiennent désormais une véritable fortune leur permettant d'acquérir des biens matériels considérables, d'envoyer leurs enfants faire des études dans les universités les plus prestigieuses et d'employer une cohorte de domestiques blancs qui sont à leur service. Mais en 1921, certains membres de la communauté disparaissent dans des conditions dramatiques. Empoisonnements, exécutions par arme à feu, attentat à l'explosif, les meurtres s'enchainent sans qu'aucune enquête sérieuse ne vienne mettre un terme à cette terrible série noire. C'est le règne de la terreur qui régit désormais le quotidien de ces riches Osages terrorisés allant jusqu'à demander de l'aide auprès du président afin que cesse ces exactions meurtrières. Le dossier est finalement confié au Bureau of Investigation dirigé par un jeune fonctionnaire ambitieux Edgar J Hoover qui voit là une opportunité de mettre en avant ce service de police qui deviendra en 1935 le fameux Fédéral Bureau of Investigations (FBI). C'est donc une équipe d'enquêteurs aguerris qui va débarquer dans le comté d'Osage afin de démasquer les auteurs de ces crimes abominables.

     

    Il fallait bien un film d'une durée de plus de trois heures à la mise en scène solide pour restituer certains aspects de cette enquête magistrale évoquant la série de meurtres qui a secoué la communauté des indiens Osages au début du XXème siècle. Une belle adaptation donc avec quelques acteur formidables tels que Lilly Gladstone et Jesse Plemons devant absorber les interprétations parfois outrancières d'un Robert De Niro plutôt inspiré et d'un Leonardo Di Caprio qui a tendance à surjouer avec à la clé toute une série de mimiques devenant rapidement insupportables. Difficile néanmoins d'intégrer tout les éléments d'un récit d'une densité peu commune que David Grann décline avec une véritable maestria en décortiquant les moindres détails d'une époque trouble qu'il restitue avec une précision peu commune. Il faut donc saluer cette initiative toute commerciale des éditions Globe pour remettre au goût du jour Killers Of The Flower Moon/La Note Américaine publié et 2018 et désormais orné d'une nouvelle couverture et d'un bandeau faisant la promotion d'un film qui reprend la première chronique d'un ouvrage en comptant trois. Cette première chronique prend véritablement l'allure d'une intrigue policière qui s'articule autour de la personnalité de Molly Burkhart témoin impuissante des débuts du Règne de la terreur entrainant la disparition de ses proches. Qui donc commet ces meurtres ? A qui profite le crime ? C'est autour de ces questions que David Grann dresse le contexte social de l'époque tout en déclinant la trajectoire  historique du peuple Osage et de ses richesses nouvellement acquises avec la découverte de cette manne pétrolière que l'on se transmet par héritage au sein des familles autochtones. Pour s'emparer de ses richesses ou au moins en contrôler le flux, les Blancs mettent en place un système inique de tutelle auquel chaque Osage est soumis, tandis qu'une faune de gens peu scrupuleux gravitent autour d'eux afin de faire main basse sur leur fortune. On prend ainsi la mesure du choc des cultures et des crimes odieux qui se perpétuent dans un contexte rendu encore plus délétère par la prohibition dont on contourne allègrement les règles. Il émane ainsi une atmosphère sauvage de non droit rendue encore plus prégnante par des autorités incompétentes et pour la plupart du temps complètement corrompues. La seconde chronique dresse le portrait de Tom White, chargé par Hoover de faire enfin la lumière sur les meurtres qui déciment la communauté des Osages donnant l'occasion à David Grann de nous expliquer les arcanes politiques de ces investigations permettant de mettre en avant les compétences du Bureau of Investigation, ancêtre du légendaire FBI. Pressions et déterminations sont les moteurs de cette enquête d'envergure et des procès qui s'ensuivent en mettant en exergue les jeux d'intimidations de la partie adverse bien décidée à tout faire pour éliminer les témoins gênants. En nous projetant dans le présent, la dernière chronique s'intéresse au devenir des descendants des différents protagonistes qui ont joué un rôle dans ce Règne de la terreur avec ce sentiment indicible de gâchis qui imprègne encore les membres de la communauté Osage qui n'a rien oublié de cette terrible époque. Mais bien plus qu'un fait divers qui mettrait en cause quelques individus abjects David Grann met en lumière une machinerie institutionnelle odieuse destinée à spolier, de manière systémique, les avoirs des indiens Osages. 

     

    Ainsi, Killers Of The Flower Moon/La Note Américaine, dresse le portrait d'une Amérique inique prête à tout pour s'emparer des richesses des autochtones dans un climat de terreur et de violence qui perdure à travers le temps, comme une espèce d'ADN immuable phagocytant l'ensemble des communautés qui composent le pays. Une enquête d'une impitoyable clairvoyance.

     

     

    David Grann : La Note Américaine (Killers Of The Flower Moon). Editions Globe 2023. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Cyril Gay.

    A lire en écoutant : Still Standing de Robbie Robertson. Album : Killers Of The Flower Monn (Soundtrack from the Apple Original Film). 2023 Masterworks, a label Of Sony Music Entertainment.

     

     

  • RAPHAEL MALKIN : LIEUTENANT VERSIGA. UNE VIE DE FLIC DANS LE MISSISSIPPI.

    raphaël malkin, lieutenant versiga, éditions marchialyOn y parle de yakuzas, de détournements de cryptomonnaies, de vols de livres de collection, de cannibales, d'états autoproclamés et de dompteurs de fauves qui se déclinent sous forme de récits de voyage ou de récits journalistiques incroyables qui pourraient bien évidemment flirter avec la fiction, quand bien même l'ensemble de la collection se base sur des faits véridiques. C'est exclusivement sur cette forme littéraire que les éditions Marchialy se sont lancées dans l'aventure en offrant aux lecteurs des couvertures somptueuses suscitant encore davantage de curiosité que l'originalité des thèmes abordés. Bras croisés avec un air déterminé, l'arme rangée à la ceinture et trônant au centre de ce qui apparaît comme un badge qu'il chérit tant, on apprécie déjà cette couverture bleutée qui célèbre la vie peu commune du Lieutenant Versiga officiant à Pascagoula dans les bayous du Mississippi où Raphaël Malkin, journaliste à Vanity Fair s'est rendu pour effectuer un reportage aux Etat-Unis pour le compte du magazine français Society. Fasciné par ce personnage extraordinaire, le journaliste décide de lui consacrer un livre qui retrace la carrière exemplaire d'un policier à la fois tenace et empreint d'une empathie sans commune mesure.

     

    Il a débuté comme patrouilleur à Pascagoula au Mississippi, mais s'est rapidement orienté comme inspecteur pour traiter avec méticulosité des affaires criminelles du bureau du département de police de la localité. Il faut dire que Darren Versiga ne lâche jamais l'affaire auquel il consacre tout son temps en prenant en compte le désarroi des victimes. C'est pour cette raison que l'on lui confie les cold cases du commissariat et notamment ce meurtre d'une jeune femme noire dont le corps, réduit à l'état de squelette et retrouvé le 27 décembre 1977 dans le bayou, n'a jamais été identifié. Ses investigations le conduisent sur la piste de Samuel Little, l'un des plus effroyables serial killer du pays ayant sévi sur plusieurs états en s'en prenant plus particulièrement aux prostituées et femmes de conditions modestes qu'il étranglait avant de les abandonner parfois dans les fossés du bord de la route. Une enquête hors du commun qui se déroulera sur plusieurs décennies et qui poussera Darren Versiga à remettre en question ses convictions les plus profondes. Mais bien plus que les aveux qu'il doit obtenir, parviendra-t-il à identifier cette victime inconnue afin de lui offrir une sépulture décente ?

     

    L'intérêt du récit réside sur le fait que l'auteur ne se concentre pas exclusivement sur l'enquête en lien avec un serial-killer sévissant dans une multitude d'états dont le Mississippi mais se concentre sur le parcours de vie du Lieutenant Versiga semblant directement extrait d'une fiction qui n'est pas sans rappeler les personnages de James Lee Burke. On fait ainsi la connaissance d'un individu hors du commun qui, outre sa passion pour son métier, a exercé comme détective privé en mettant en place une entreprise florissante en lien avec sa réputation d'enquêteur rigoureux mais qui a dû reprendre sa profession de policier suite à des déboires financiers notamment dus aux crises financières qui ont balayé le pays. On découvre également un homme qui a dû affronter avec sa famille le fameux ouragan Katherina qui a complètement détruit sa maison en engloutissant la grande majorité de ses affaires personnelles. Raphaël Malkin dresse ainsi le portrait fouillé d'un homme attachant au grand cœur se révélant être un tireur émérite lors des compétitions de tir et un boxeur accompli durant sa jeunesse avec quelques velléités de reprendre les gants à un âge plus avancé ce qui n'est pas sans danger. Une vie riche en émotions que l'auteur restitue avec un texte qui prend la forme d'un roman imprégné de cette atmosphère particulière des bayous du Mississippi où évolue une population dont le cadre social plutôt modeste n'en demeure pas moins fascinant et singulier. C'est dans un tel environnement, que débute l'enquête et cette obsession du Lieutenant Versiga pour cette victime inconnue qu'il va s'efforcer d'identifier en se lançant notamment sur les traces d'un tueur en série dont le nombre de victime va se révéler particulièrement impressionnant, voire même hallucinant. Sans aucun rapport avec les personnages de thriller à la "Hannibal Lecter", on prend la pleine mesure d'une enquête âpre et complexe qui va se dérouler sur plusieurs décennies dont le côté sordide et réaliste ne manquera pas de saisir le lecteur qui lira probablement ce récit d'une traite tant le sujet est passionnant.

     

    Raphaël Malkin : Lieutenant Versiga. Editions Marchialy 2022.

    A lire en écoutant : Blue Bayou interprété par Linda Ronstadt. Album : Linda Ronstadt - Greatest Hits (Remastered). 2015 Rhino Entertainment Compagny.

  • JUSTIN FENTON : LA VILLE NOUS APPARTIENT. FLIC ET VOLEUR.

    Capture.PNGParfois la réalité dépasse la fiction. L'expression n'est pas galvaudée avec La Ville Nous Appartient de Justin Fenton, un journaliste du Baltimore Sun qui a enquêté durant plusieurs années sur une escouade d'élite de la police de Baltimore, la Gun Trace Task Force (GTTF) dont la plupart des membres furent impliqués dans des affaires d'extorsions, de corruptions, de vols d'argent et de stupéfiants qu'ils remettaient sur le marché en récupérant ainsi le produit du deal. Un scandale qui défraya la chronique au niveau national au terme d'une enquête menée conjointement par des procureurs fédéraux, des agents du FBI, des policiers du comté et du BPD (Baltimore Police Départment). Recueillant un nombre considérable de témoignages, Justin Fenton rédigea un nombre important d'articles pour le compte de son journal, avant de se lancer dans l'écriture du présent récit sur conseil de David Simon, ancien journaliste au Baltimore Sun et auteur de Baltimore (Sonatine 2012) qui inspira l'emblématique série The Wire dont il fut le "showrunner" et qui se déroulait déjà à Baltimore. C'est d'ailleurs sur la base de ce récit qui se lit comme un roman que David Simon a adapté une nouvelle mini-série de six épisodes pour HBO, intitulée We Own This City en reprenant le titre original du récit, ceci avec la complicité de Ed Burns et George Pelecanos et qui sera diffusée le 26 avril 2022 sur OCS.

     

    L'idée est des plus simples : Voler l'argent des dealers et revendre la drogue saisie pour son propre compte. On pense tout d'abord à Omar Little, gangster notable de la série The Wire qui pratiquait de la sorte avant de se rendre compte que l'idée fut reprise dans la réalité par huit agents de la police de Baltimore formant une brigade d'élite qui officiait en civil dans les quartiers défavorisés de la ville en s'en prenant majoritairement aux membres de la communauté afro-américaine. Tout est bon à prendre pour ces policiers complètement dévoyés qui se comportent comme les membres d'une organisation criminelle en trafiquant les heures supplémentaires, en effectuant des perquisitions sans mandat afin de substituer une partie ou la totalité de l'argent découvert ainsi que les produits stupéfiants saisis qu'ils revendaient avec la complicité d'intervenants externes qui participaient parfois en toute illégalité aux interventions policières. Conduit par le sergent Wayne Jenkins, on découvre l'édifiant parcours de ces policiers complètement corrompus qui opérèrent ainsi durant plusieurs années en toute impunité.

     

    Divisé en trois parties, le récit débute avec la présentation des arcanes du Baltimore Police Départment et de l'état d'esprit qui y règne et plus particulièrement cette culture du chiffre pour faire face à la hausse exponentielle de la criminalité que les autorités ne parviennent pas à juguler. Sans disculper la responsabilité individuelle des huit policiers corrompus, Justin Fenton parvient à mettre en lumière les disfonctionnements d'un service exigeant du résultat à tout prix sans se préoccuper des moyens pour y parvenir. On découvre ainsi des agents sous pression exerçant parfois dans des quartiers défavorisés où la population les perçoit davantage comme une menace qu'une ressource destinée à les protéger. C'est dans ce contexte particulier que l'on fait connaissance avec le sergent Wayne Jenkins qui va mettre en place ces activités délictueuses devenant la norme de la Gun Trace Task Force qui apparaît aux yeux de la hiérarchie comme l'exemple à suivre tant les résultats semblent satisfaisants. Néanmoins, au gré des nombreux entretiens qu'il a eu avec bon nombre de délinquants victimes des agissements de ces policiers corrompus, Justin Fenton met en exergue le paradoxe de ces malfrats qui n'osent signaler que la quantité de drogue saisie est moindre que celle dont ils étaient en possession sans risquer d'aggraver leur cas aux yeux de la justice. Il en va de même pour ce qui a trait à l'argent dérobé, même si certains délinquants vont tout de même  signaler le cas aux autorités qui vont bien évidemment douter de la véracité des faits. Car qui pourrait soupçonner des policiers d'agir pareillement ? Néanmoins, les soupçons vont commencer à apparaître avec la récurrence des plaintes qui vont finalement faire l'objet d'une enquête conjointe que Justin Fenton décline dans la seconde partie du récit, au gré d'un rythme trépident et d'une maîtrise sans faille qui nous permet d'intégrer la multitude d'intervenants  apparaissant tout au long de ces investigations d'une ampleur exceptionnelle. On en prend la pleine mesure au terme de la troisième partie évoquant la chute de ces policiers et du nombre presque invraisemblable de délits commis où Justin Fenton aborde notamment la mort d'un inspecteur de la brigade criminelle dont on ignore s'il s'agit d'une exécution ou d'un suicide, ceci venant du fait qu'il avait côtoyé certains des policiers corrompus de la Gun Trace Task Force. C'est également dans cette dernière phase que le journaliste mentionne les conséquences politiques et les tentatives de réforme de cette institution policière entrant dans la spirale d'une tourmente qui semble sans fin.

     

    Récit édifiant de l'ensemble d'une brigade corrompue de la police de Baltimore, Justin Fenton décline avec La Ville Nous Appartient les dysfonctionnements d'une institution militarisée qui s'éloigne résolument de sa population qu'elle est censée protéger.

     

    Justin Fenton : La Ville Nous Appartient (We Own This City). Editions Sonatine 2022. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Paul Simon Bouffartigue.

    A lire en écoutant : Sound Of Da Police de KRS-One. Album : Return Of The Boom Bap. 1993 Zomba Recording LLC.