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alexandre courban

  • Alexandre Courban : Rue De L'Espérance, 1935. Vers un avenir radieux ?

    alexandre courban,rue de l’avenir 1935,éditions agulloService de presse.


    C'est encore une fois autour de l'intrigue policière que les événements de l'Histoire ou pour le moins, sur le registre du roman noir que l'on perçoit les enjeux sociaux qui vont avoir une influence sur la tournure de certains épisodes du passé rejaillissant parfois dans le cours de notre actualité à l'instar de ce nouveau front populaire faisant référence à cette coalition de gauche des années trente qui avait marqué nos sociétés avec l'instauration de plusieurs acquis en faveur des travailleurs salariés dont les plus emblématiques sont les fameux congés payés et la semaine de quarante heures. Mais on ne saurait s'arrêter sur ces deux aspects d'une époque charnière finalement méconnue qu'Alexandre Courban se charge de décortiquer année après année en débutant avec Rue De L'Avenir, 1934 où l'on distingue la polarisation des opinions dont cette inquiétante montée du fascisme avec comme point d'orgue cette journée d'émeute du 6 février 1934, menée par les ligues d'extrême droite incitant les partis de gauche à s’unir afin de contrer ces mouvements fascistes qu'un journal comme l'Humanité dénonce avec véhémence. C'est en adoptant le point de vue d'un journaliste du fameux quotidien communiste, d'une ouvrière d'une raffinerie de sucre et d'un commissaire d'un poste de police du quartier que s'égrène cette année 1934 en se focalisant notamment sur l'enquête autour de la découverte d'une femme que l'on a retrouvé noyée dans la Seine. Outre les terribles conditions de travail des ouvriers et plus particulièrement des ouvrières harcelées par les contremaîtres, Alexandre Courban se penche également sur le fonctionnement du quotidien L'Humanité dont il connaît bien les rouages puisqu'il y a consacré une thèse qu'il a soutenue en 2005 alors qu'il était étudiant en histoire. Et puis, sur un registre naturaliste, on s'immerge littéralement dans le tissu social de l'époque en parcourant les rues de ce quartier méconnu du XIIIème arrondissement de Paris dont l'auteur, exerçant la fonction de conseiller d'arrondissement auprès de la mairie du XIIIème, met en exergue certains aspects du patrimoine qui s'intègrent parfaitement dans le déroulement d'une intrigue policière s'inscrivant dans cette même veine naturaliste de l'environnement qui entoure les personnages. On retrouve d'ailleurs tous ces éléments dans Rue De L'Espérance, 1935, second opus de cette chronique du Front Populaire dont l’union sacrée prend de plus en plus d'ampleur tandis que les rumeurs de la guerre exacerbent toutes les convoitises en matière de technologie et de contrats juteux qui en découlent.

     

    En 1935 à Paris, on assiste à un véritable essor de l'industrie aéronautique avec l'expansion de la société Gnome et Rhône spécialisée dans la conception de moteurs d'avion et pour laquelle travaille André Legendre, dessinateur industriel, que l'on a poignardé dans le métro. Les faits se déroulant à la station Campo-Formio, l'enquête sur les circonstances du meurtre est confiée au commissaire Bornec qui officie dans le quartier de la Gare. Mais les indices sont minces et le policier va devoir faire quelques appels à témoin en sollicitant notamment Gabriel Funel  journaliste pour le compte du quotidien L’Humanité, au sein de la rubrique sociale et qui s'intéresse plus particulièrement aux conditions de travail des métallurgistes. Pourtant, au cours de l'enquête, ils sont rejoints par Camille Dubois qui, outre son travail au service des abonnements du journal, se passionne pour la photographie en vue de devenir reporter photographe. Et c'est peut-être en consultant ses clichés que va émerger certains éléments permettant d'identifier un insaisissable meurtrier qui semble vouloir faire le ménage dans le milieu aéronautique pour le compte du gouvernement italien dirigé par Mussolini. Il faut dire que le dictateur est bien décidé à en découdre avec les forces éthiopiennes avec lesquelles il est en conflit depuis des années et qu'il lui faut pour cela acquérir du matériel performant afin d'équiper ses troupes.  

     

    Alexandre Courban poursuit donc la mise en oeuvre de cette fresque historique du Front Populaire qu'il met en scène à une échelle humaine, sans grandiloquence et surtout sans manichéisme quant à cette union sacrée des partis de gauche dont on perçoit l'émergence par le prisme de la rédaction du quotidien L'Humanité et plus particulièrement de son journaliste Gabriel Funel qui nous permet de nous immerger dans les coulisses de la rédaction et de découvrir certains aspects des personnalités qui le dirige. On perçoit de cette manière la perplexité des figures dirigeantes du journal quant à la position de l'URSS vis à vis de la France et de ses velléités de ramener le service national obligatoire à deux ans  alors que le secrétaire général du Parti communiste français lance le mot d'ordre de "Front populaire pour le pain, la paix et la liberté". Mais avec Rue De L'Espérance, 1935, bien loin de cette attitude pacifique qui prévaut dans les rangs de la gauche, émerge déjà cette atmosphère belligérante des nations qui donnent l'impression de se préparer aux hostilités à venir, à l'instar du gouvernement fasciste italien enlisé depuis bien des années dans un conflit avec l'empire d'Éthiopie et dont on perçoit les échos par l'entremise de l'enquête du commissaire Bornec chargé d'élucider le meurtre d'un employé de la société Gnome Et Rhône, la plus grande entreprise de construction de moteurs d'avion d'Europe. A partir de là, Alexandre Courban construit une intrigue policière aussi habile que réaliste en faisant en sorte que chacun des personnages, que ce soit le journaliste Gabriel Funel ou le commissaire Bornec, restent dans leurs prérogatives respectives sans jamais outrepasser les limites qui leur sont imposées, ceci même si certains aspects de l'enquête se déroulent notamment en Suisse alors que l’on suit le parcours d’un individu inquiétant endossant de multiples identités. On reste donc, pour la plupart du temps, dans le magnifique et méconnu quartier populaire du XIIIème arrondissement au gré d'investigations qui se diluent (parfois un peu trop) dans le temps, en arpentant les rues du quartier en compagnie du journaliste et du policier mais également de Camille Dubois, cette ancienne ouvrière de la raffinerie du sucre qui se passionne désormais pour la photographie tout en travaillant au service abonnement du journal L’Humanité et dont on apprécie la prépondérance  dans le cours de  l'intrigue. Ainsi, outre les événements en lien avec le Front Populaire que ce soit, la victoire de la gauche aux  élections municipales, la grande fête de L’Humanité qui prend plus d'ampleur ainsi que la grande manifestation du 14 juillet 1935 rassemblant plusieurs centaines de milliers de personnes, Alexandre Courban nous entraîne également dans le milieu héroïque de l’aviation, objet de toutes les convoitises militaires notamment, ainsi que dans les balbutiements du travail de photographe reporter prétexte à une immersion encore plus intense dans le milieu modeste des travailleurs qu'il dépeint avec une impressionnante force naturaliste. Tout cela se met en place dans un environnement où les positions contradictoires sont exacerbées dans une lutte des classes extrêmement intense qu’Alexandre Courban a su restituer sur un registre historique d’une impressionnante justesse se conjuguant à hauteur d’hommes et de femmes ordinaires, témoins presque malgré eux d’événements qui les dépassent quelque peu mais auxquelles ils entendent bien prendre part, ceci sur une note pleine d’espoir de cette année 1935 que l’on a traversé le souffle coupé. Vivement la prochaine année 1936. 

     


    Alexandre Courban : Rue De L'Espérance, 1935. Editions Agullo 2024.

    A lire en écoutant : Tosca: "E lucevan le scelle" interprété par Luciano Pavarotti. Album : Puccini:Tosca   Freni - Pavarotti - Milnes. 1979 Decca Music Group Limited.

  • ALEXANDRE COURBAN : PASSAGE DE L'AVENIR, 1934. SUCRE CANDIDE.

    alexandre courban,passage de l’avenir 1934,éditions agullo

    Service de presse.

     

    C'est parfois tout un parcours de vie qui vous conduit vers l'écriture et il est toujours intéressant de se pencher sur la biographie d'un auteur ou d'une romancière pour dresser des parallèles entre leur vécu et la fiction qu'ils mettent en scène, ceci plus particulièrement lorsqu'il s'agit d'une personne primo-romancière. Nouvel auteur figurant au catalogue des éditions Agullo, historien de formation, Alexandre Courban a soutenu une thèse consacrée au journal L'Humanité, de sa création en 1904 à son interdiction de parution en 1939. En lien avec cette thèse, Alexandre Courban a d'ailleurs publié L'Humanité, de Jean Jaurès à Marcel Cachin (1904-1939) aux éditions de l'Atelier. Outre son intérêt pour l’histoire, on relèvera également un engagement marqué, puisqu'au sein du groupe communiste et citoyen, il officie comme Conseiller d'arrondissement à la Mairie du 13e Arrondissement de Paris et comme délégué aux anciens combattants, à la mémoire et au patrimoine. A la lecture de ces aspects de son parcours, on ne s'étonnera donc pas que son premier roman, Passage De L'Avenir, 1934, soit un polar historique s'inscrivant dans une grande saga à venir, prenant pour cadre la période trouble de l'entre-deux-guerres où l'on observe les prémices de ce mouvement du Front populaire par l'entremise du commissaire Bornec et du journaliste à L'Humanité Gabriel Funel qui évoluent tous deux dans ce quartier du 13ème arrondissement si cher à l'auteur et que Léo Malet a sublimé dans Brouillard Au Pont Tolbiac.

     

    Rien ne va plus à Paris en février 1934, où l'extrême droite se fait de plus en plus menaçante tandis que les premières manifestations ouvrières sont réprimées dans le sang ce qui ne décourage pas les participants qui font désormais front commun. Dans un tel contexte, on se moque bien de cette jeune femme que l'on a repêchée dans la Seine. Après un examen sommaire, les autorités sanitaires concluent à un suicide, en dépit des doutes du commissaire Bornec. Personne ne se manifeste pour récupérer le corps et aucun avis de disparition ne correspond au profil de la victime. Désemparé, le policier se tourne vers journaliste Gabriel Funel, afin qu'il publie un article dans L'Humanité qui lui permettra peut-être d'identifier la noyée de la Seine. A ce duo tout en opposition qui s'est formé malgré tout, se joint Camille une jeune ouvrière embauchée à la raffinerie de la Jamaïque et dont le patron se retrouve embringué dans une drôle d'affaire autour de la spéculation sur le sucre. Machination ou simple fait divers, c'est ce que vont déterminer ce trio disparate, sur fond de révoltes et d'exactions qui bruissent dans les rues populeuses du quartier. 

     

    Hormis la création de deux semaines de congés payés et la réduction du temps de travail à 40 heures par semaine, on ne connaît pas grand-chose du Front populaire qui voit l'émergence d'une coalition des partis de la gauche réagissant à la montée en puissance des ligues fascistes et plus particulièrement à la dramatique journée d'émeute du 6 février 1934. Dans ce contexte d'une France extrêmement divisée et encore secouée par le scandale politique de l'affaire Stavisky, Alexandre Courban entame donc cette fresque historique aux inclinaisons politiques marquées, au sens large du terme, sans pour autant verser dans le manichéisme. Ainsi Passage De L'Avenir, 1934 s'inscrit dans une atmosphère naturaliste et sociale s'articulant autour d'un fait divers pour mettre en exergue le labeur des ouvrières qui, en plus de la pénibilité de la tâche à laquelle elles sont assignées, doivent faire face aux comportements libidineux de contremaitres peu scrupuleux. Outre le fait de s'intéresser plus particulièrement aux ouvrières, Alexandre Courban se penche également sur le sort réservé aux travailleurs immigrés que l'on croise au détour de ces machines infernales qui broient littéralement le personnel de l'usine. Dans un style extrêmement sobre qu'il convient de souligner, l'auteur décline ainsi le quotidien de cet arrondissement populaire de Paris où l'on côtoie une importante communauté ouvrière s'entassant dans des logements insalubres à l'image de la Cité Jeanne d'Arc, théâtre de foyer de révolte vivement réprimé par les forces de l'ordre et dont on perçoit toute la violence au cours de l'intrigue. C'est dans cet environnement populaire qu'évolue le commissaire Bornec qui tente d'élucider le mystère entourant cette jeune femme noyée tandis que le journaliste Gabriel Funel s'intéresse à une affaire de spéculation sur le prix de sucre éclaboussant le directeur de la raffinerie de la Jamaïque nous permettant ainsi d'avoir une vision de ce qui se trame dans les locaux de cette immense entreprise faisant référence à la raffinerie Say qui fut l'une des plus grandes usines de Paris avant de fermer ses portes en 1968. On le voit, Alexandre Courban distille habilement son intrigue entre fiction et faits historiques au détour de deux enquêtes qui vont s'entremêler subtilement, presque l'air de rien, pour mettre en perspective les prémices de ce Front populaire qui s'amorce et dont la presse, toute puissante, rend compte en fonction du point de vue en lien avec l'inclinaison politique du journal à l'instar de L'Humanité bien évidemment mais aussi du Figaro et de bien d'autres journaux qu'Alexandre Courban évoque tout au long d'un roman épique nous permettant de croiser des personnalités qui ont forgé cette période de l'histoire méconnue, mais également toute la nuée de militants se rassemblant dans les cortèges des grandes manifestations parisiennes jalonnant cette année 1934. Accompagné de Bornec et de Funel dont on apprécie les caractères nuancés, l'auteur nous donne donc l'occasion d'aller à la rencontre d'une galerie de personnages aux antagonismes marqués, reflets emblématiques de la société de l'époque, à l'exemple de la jeune ouvrière Camille, dont on regrettera le rôle trop secondaire, ou de l'inquiétant chauffeur Albert Sainton, un militant de l'association des Croix-de-Feu regroupant les anciens combattants de la Grande Guerre. Tout cet ensemble hétérogène s'embrase magnifiquement dans la noirceur d'un récit historique extrêmement dense, allant à l'essentiel, totalement dépourvu d'esbroufe, faisant de Passage De L'Avenir, 1934 un roman d'une remarquable puissance et d'une formidable richesse dont on se réjouit de découvrir la suite.

     

    Alexandre Courban : Passage De L'Avenir, 1934. Editions Agullo 2024.

    A lire en écoutant : Complainte De La Seine interprétée par Marianne Faithfull. Album : Tweetieth Century Blues: An Evening In The Weimar Republic. Reverso Musikproduktionges.mbH, Vienna, Austria.